Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
1
iLatina éditions<br />
Collection Grandes Autores<br />
ilatina.fr<br />
ISBN: 978-2-491042-02-8<br />
Traduction: Thomas Dassance<br />
Maquette: Iván Kuntz Ampuero<br />
Lettrage: Javier Hildebrandt<br />
© Quique Alcatena et Gustavo Schimpp<br />
© 2019 iLatina éditions pour cette édition<br />
Achevé d’imprimer en septembre 2019<br />
par Imago Group.
PROLOGUE<br />
FAISONS UN TRUC AVEC DES INDIENS<br />
“Faisons un truc avec des Indiens.”<br />
Ce furent, j’en suis presque sûr, les mots exacts de Quique quand nous<br />
avons commencé à discuter de ce que nous pourrions faire ensemble.<br />
Vers le milieu des années 90, je commençais tout juste à vendre mes<br />
histoires à la maison d’édition Eura, en Italie, pour ses revues Skorpio<br />
et Lanciostory, et l’éditeur argentin qui officiait aussi entant qu’agent,<br />
mais surtout Quique, m’offrirent la possibilité de travailler sur un projet<br />
commun. L’idée de l’éditeur était de proposer des histoires courtes,<br />
tandis que la nôtre était de réaliser une série, c’est ainsi que nous<br />
avons combiné les deux idées pour faire naître une « série cachée » :<br />
une série composée d’histoires courtes sur un axe thématique commun.<br />
Bien sûr, il manquait encore le thème.<br />
C’est là que j’ai appris l’une des nombreuses choses que Quique<br />
m’a enseignées sans y prétendre : être à l’écoute de ce que le<br />
dessinateur souhaite dessiner. Et il voulait dessiner des histoires qui<br />
se passeraient dans les bois, mais pas dans des bois génériques, non.
Il souhaitait reproduire les bois qui inspiraient les récits de James<br />
Fenimore Cooper, avec ses chasseurs et ses « peaux rouges ».<br />
C’est alors qu’il lâcha la fameuse phrase. “Mais seulement avec des<br />
Indiens” ajouta-t-il.<br />
« Et de la zone des Grands Lacs ». Et j’ai accepté, comment ne pas le<br />
faire ?<br />
Bien sûr, l’euphorie initiale d’écrire enfin des scénarii pour Alcatena<br />
fut bientôt remplacée par la panique, par la peur de ne pas savoir le<br />
faire. Et c’est ainsi que j’ai commencé à me documenter. Les romans<br />
de Fenimore Cooper pour commencer. Mais ce n’était pas suffisant.<br />
Sont alors arrivés entre mes mains Les Indiens d’Amérique du Nord<br />
de Lewis Spence ; Great Lake Indians de William Kubiak ; The Iroquois<br />
- Indians of North America, de Barbara Graymont; Native Americans.<br />
Enduring Cultures and Traditions, de Trudy Griffin-Pierce et Le<br />
masque et la culture d’Enrique Palavecino<br />
Mais ce qui m’aida le plus à me mettre dans la peau de ces peuples,<br />
ce furent nos conversations avec Quique. Leur manière de voir<br />
le monde, la relation avec la nature, leurs<br />
concepts de cruauté et de bonté si<br />
différentes des nôtres. Une anecdote<br />
racontée par lui, ou une<br />
phrase trouvée au détour de<br />
l’un de ces livres déclenchait
une histoire qu’il fallait justifier, habiller et mettre en contexte. Ainsi,<br />
c’est en l’écoutant parler du Windigo raconté par Blackwood qu’est<br />
née l’histoire sur le rite de passage d’un jeune iroquois pour devenir<br />
guerrier. Le nom trouvé dans l’histoire d’Hiawatha fut l’étincelle qui<br />
alluma le feu du récit de l’ours dépouillé de sa peau.<br />
Chacune des histoires qui composent ce livre ont, elles aussi, leur<br />
propre histoire qui m’aida non seulement à écrire ces scénarii de<br />
bande dessinée, mais aussi à en savoir plus sur mon ami avec qui j’ai<br />
partagé durant la réalisation de ces dix histoires (et plus encore) la<br />
fascination pour ce monde marqué par ces bois emplis de magie.<br />
J’y ai pénétré de sa main et grâce à ses traits je pouvais les sentir. J’ai<br />
connu des créatures fantastiques, bonnes parfois, méchantes autant<br />
d’autres fois. Comme les hommes normaux, comme n’importe lequel<br />
d’entre nous.<br />
Et s’il y a un mot qui puisse<br />
définir ce travail, c’est justement<br />
la magie.<br />
J’espère, cher lecteur, que<br />
votre esprit sera aussi touché.<br />
Gustavo Schimpp
Kyehe et le Windigo
L’été commence à mourir. Bientôt « Tawiskaron »,<br />
l’automne, couvrira la terre de feuilles dorées,<br />
il apportera les vents froids et viendra alors le<br />
temps des chasseurs de cerfs.<br />
Le plus ancien, en revanche, se dédiera à<br />
combattre le froid. Il se réfugiera dans son<br />
wigwam et ouvrira le trésor de son expérience<br />
à un public fasciné…<br />
Grand-père…<br />
raconte-nous<br />
ton initiation de<br />
guerrier… dis-nous<br />
comment tu as<br />
perdu ton<br />
œil.<br />
… et insatiable.<br />
Avec respect,<br />
Kyehe prend<br />
l’un de ses<br />
wampums et<br />
s’éclaircit<br />
la voix.<br />
Mais sa réponse était<br />
toujours la même…<br />
Cela se passa il y a<br />
de très nombreuses<br />
lunes… J’avais quelques<br />
années de plus que vous et le<br />
désir de devenir un guerrier<br />
comme mon père me brûlait<br />
le cœur…<br />
Tu es encore trop<br />
jeune, Kyehe. Ton temps<br />
viendra bientôt, tu ne dois pas<br />
être impatient… ou tu attireras<br />
la colère des esprits<br />
des bois.<br />
9
Ce n’était bien entendu<br />
pas ce que je voulais<br />
entendre, j’avais rêvé<br />
qu’il me demanderait<br />
de l’accompagner à la<br />
prochaine chasse…<br />
ou pour défendre<br />
les cinq nations des<br />
enfants de manitou.<br />
Tu te<br />
trompes !<br />
Tant mieux. Je<br />
me souviens que moi<br />
aussi j’étais impatient…<br />
et je me souviens<br />
comment a terminé le<br />
premier élan que j’ai<br />
pu chasser.<br />
Un feu terrible me<br />
brûlait de l’intérieur.<br />
Pendant de nombreuses<br />
lunes, pleurant presque,<br />
je demandai au grand<br />
manitou de me mettre<br />
à l’épreuve…<br />
Et une nuit,<br />
enfin, il me<br />
parla.<br />
Va dans les<br />
bois, Kyehe ! Là tu<br />
rencontreras ton<br />
destin… N’écoute pas<br />
ceux qui te tentent<br />
pour l’éviter…<br />
va…<br />
Les conseils et avertissements<br />
des anciens ne servirent à rien…<br />
10<br />
Tu ne dois pas aller<br />
dans les bois, Kyehe… C’est là<br />
que vit le Windigo… c’est là qu’il<br />
attend pour voler ton âme et la<br />
dévorer, en s’amusant de ton<br />
arrogance…
J’ai ri de l’ancien qui essayait de me faire<br />
peur avec cette histoire… j’en arrivai même<br />
à lui dire que si une telle créature existait,<br />
alors je reviendrais avec sa peau…<br />
Décidé à n’écouter<br />
que mon espritguide,<br />
j’entrai dans<br />
les bois. Après<br />
quelques jours,<br />
je parvins à chasser<br />
ma première proie…<br />
Je te dis adieu,<br />
Kyehe… Car si tu<br />
reviens, tu ne seras<br />
plus jamais le<br />
même.<br />
Je mangeai sa chair et me protégeai avec sa peau, mais je<br />
n’étais pas satisfait. Je ne pouvais croire que c’était tout,<br />
qu’un seul animal démontrerait ma valeur en tant que<br />
guerrier… C’est alors que cela commença…<br />
Quoi… ?<br />
Au début, ce ne fut qu’un léger mouvement<br />
entre les feuilles, presque imperceptible. Puis<br />
il devint plus fort… et alors j’eus la certitude<br />
que quelqu’un m’observait…<br />
Je suis<br />
Kyehe, guerrier<br />
mohawk !<br />
Montre-toi,<br />
lâche !<br />
Qui que ce fût, il<br />
ne me répondit pas<br />
et n’accepta pas<br />
mon défi non plus.<br />
Mais je savais qu’il<br />
était là, caché, en<br />
train de m’épier.<br />
Je me rappelai les<br />
paroles de l’ancien<br />
et commençai à<br />
penser qu’il avait<br />
peut-être raison…<br />
11
La nuit suivante, des profondeurs des bois commencèrent à<br />
me parvenir des voix susurrantes. Je ne comprenais pas ce<br />
qu’elles disaient, mais j’étais sûr qu’elles m’appelaient…<br />
windigo...<br />
windigo...<br />
Tout à coup, ce cri<br />
me glaça le sang…<br />
Quelque chose bougea,<br />
trop rapide pour que<br />
je puisse le voir… Mais<br />
c’était vivant… et si<br />
c’était vivant, je<br />
pouvais l’attaquer…<br />
Bats-toi !<br />
Et si je pouvais<br />
l’attaquer, je<br />
pouvais le tuer…<br />
Cela ressemblait<br />
à un animal, mais<br />
je n’en avais<br />
jamais vu d’aussi<br />
rapide. Ni avec des<br />
griffes capables de<br />
lacérer les chairs<br />
si facilement…<br />
12
C’est ainsi que je<br />
perdis mon œil, en<br />
luttant comme un<br />
valeureux guerrier.<br />
Et alors que je<br />
m’efforçai de<br />
surpasser la<br />
douleur, je<br />
le vis…<br />
Ce fut seulement l’espace d’un instant…<br />
un instant que je n’oublierai jamais… son<br />
aspect, ses yeux, la bouche entrouverte<br />
qui montrait ses dents pointues en un<br />
sourire mauvais… c’était une créature<br />
de cauchemar…<br />
Et quand il<br />
bougea, en<br />
lançant ce cri<br />
horrible, je ne<br />
doutai plus des<br />
paroles de<br />
l’ancien…<br />
Non…<br />
Tu ne dévoreras<br />
pas mon âme,<br />
Windigo !<br />
windigo !<br />
Je frappai et frappai sans savoir si je le blessais.<br />
Le sang couvrait mon visage… l’obscurité… sa<br />
vitesse… je n’arrivais pas à le voir…<br />
ah !<br />
Non,<br />
mon âme !<br />
Il m’attaqua<br />
à nouveau. Et<br />
je sus ainsi<br />
où il se<br />
trouvait.<br />
Je me jetais sur<br />
lui, en le tenant de<br />
toutes mes forces.<br />
Je voulais le faire<br />
tomber… le mettre<br />
à terre et lui<br />
donner la mort<br />
avec ma lance…<br />
ou de mes mains…<br />
13
Mais alors,<br />
la terre se<br />
termina.<br />
Nous tombâmes les deux<br />
à l’eau, en heurtant les<br />
roches. Je remerciai le grand<br />
manitou de ne pas avoir perdu<br />
connaissance et me sauvai<br />
ainsi de la noyade…<br />
Je<br />
sortis seul<br />
de l’eau…<br />
Pratiquement sans défense,<br />
j’attendis des heures que la<br />
créature me saute dessus,<br />
mais non, j’étais seul…<br />
J’étais un nouveau<br />
guerrier. Un véritable<br />
guerrier mohawk.<br />
14
Silence. Les enfants restent en silence.<br />
Ils attendent entre frayeur et surprise,<br />
les yeux fixés sur le visage de l’ancien.<br />
Dehors, la<br />
nuit avance.<br />
Alors…<br />
tu as tué le<br />
Windigo ?<br />
L’ancien pose<br />
le wampum.<br />
Un sourire se<br />
dessine sur<br />
son visage<br />
ridé.<br />
Le tuer ?...<br />
Non, bien sûr que<br />
non… je l’ai juste<br />
vaincu… cela suffit<br />
pour un guerrier.<br />
Peut-être que ce son en provenance des bois n’est pas<br />
seulement causé par le bruit du vent dans les branches...<br />
15