Ineffable Magazine n°11
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Ineffable Magazine I N°11 I ISSN : 2602-6562
ALGÉRIE PLURIELLE :
NOTRE DIVERSITÉ NOUS UNIT
ALGÉRIE PLURIELLE :
NOTRE DIVERSITÉ NOUS UNIT
Ineffable Magazine I N°11 I ISSN : 2602-6562
Couverture par Ta9sas
MENTIONS LÉGALES :
• Directrice de la rédaction :
Ahlem KEBIR
ahlem.kebir@ineffable-dz.art
+213 (0) 698 200 899
• Directeur de la publication :
Aimen BENNOUNA
aimen.bennouna@ineffable-dz.art
+213 (0) 698 585 628
• Illustratrice :
Amina Djebri
@amina_illustration
• Comité de lecture :
Hiba BOURMOUM,
Fatima ABADA,
Ibtisem HAMMOUCHE,
Djouher MEZDAD.
Chaimaa LADJAL
Anya MÉRIMÈCHE
• Couverture : Ta9sas
• Site web : www.ineffable-dz.art
• ISSN : 2602-6562
SOMMAIRE
ALGÉRIE PLURIELLE
PAGE 08
ALGER DU MONDE
Auteure : Fred Romano
PAGE 16
RITES FUNÈBRES ET LITTÉRATURE
Auteure : Nélia Salem
PAGE 22
OULED NAIL DANCERS: A FADING MEMORY
Auteur : Hamza Koudri
PAGE 26
DE LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE EN ALGÉRIE
Auteur : Adel Hakim, Président du club littéraire de l’étudiant francophone
Université Hassiba Benbouali
PAGE 30
ALGÉRIE PLUS RÉELLE !
Auteure : Oumaima Louafi -Equipe Rédaction Nomad Club
PAGE 32
UN PETIT GRAIN DE SABLE AU MILIEU DU SAHARA
Auteure : Farah Boucherit – Equipe Rédaction Nomad Club
PAGE 34
LE CINÉMA ALGÉRIEN : UN ROMAN AUX MULTIPLES VISAGES
Auteure : Menel Zeggar
PAGE 38
DZAIR RIHLA FI ZMAN
Auteure : Soumia Acherouf
PAGE 40
YENNAYER : LE NOUVEL AN BERBÈRE
Auteure : Louiza Tilleli Seker - Club ALUMNI HEC Alger
PAGE 43
PAGE 44
AL-ĀALA, L’INSTRUMENT MUSICAL COMME TÉMOIN DE LA
DIVERSITÉ CULTURELLE EN ALGÉRIE
Auteur : Salim Dada Compositeur, musicien, chef d’orchestre et chercheur musicologue
PAGE 48
MAHFOUD TOUAHRI DRAMATIC ART ASSOCIATION
OF MILIANA
Author : Sara Taib
EDITO
ALGÉRIE PLURIELLE :
NOTRE DIVERSITÉ NOUS UNIT
« Source d’échanges, d'innovation et de créativité, la diversité culturelle est, pour le
genre humain, aussi nécessaire que l'est la biodiversité dans l'ordre du vivant. En ce
sens, elle constitue le patrimoine commun de l'humanité et elle doit être reconnue
et affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures ».
Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle
Je ne ferai pas de discours sur la grande diversité du paysage culturel algérien,
car il s’agit là d’une évidence. Pourtant, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il
y aurait plusieurs Algéries. Le défi, aujourd’hui, est justement d’avoir une seule
Algérie, unie tout en restant plurielle, d’en faire un miroir qui refléterait un visage
collectif, dans lequel nous pourrions tous nous identifier.
Pour y arriver, un grand travail d’acceptation et de tolérance est à faire. Qui sait
réellement s'il est berber, arabe, ottoman, kouloughli, romain ou punique ? Est-il
seulement possible d’avoir une seule origine ? Depuis le temps, il y en a eu des
métissages. Revenir aux premières origines semble être un choix sensé à première
vue, mais effacer des pans de l’histoire, c’est aussi effacer des pans de notre
identité. Choisir une seule identité pour un pays comme l’Algérie ne fera qu’aliéner
la population, accepter la diversité ne fera que l’enrichir.
Pour en venir à la tolérance, l’Algérie ne peut pas se permettre une tolérance
passive. Il ne s’agit pas d’accepter que l’autre existe en toute indifférence, mais
d’apprendre et comprendre la culture et le mode de vie de l’autre et d’accepter
que quelque part sa culture est aussi la nôtre, car nous demeurons unis par un seul
et même pays et une histoire commune.
Cela parait difficile, et c’est bien le cas, car il est requis de penser autrement que
de coutume. À mon avis, il s’agit d’accepter la possibilité d’être plus qu’une seule
chose, d’avoir plus qu’une seule culture et plus d’une origine. Nous avons cette
tendance à fonctionner en case binaire, où seul un de deux états est possible. Et si
la réponse à la question était à choix multiples, et que plusieurs réponses étaient
possible simultanément ? Et pourquoi se réduire à être une seule chose quand nous
avons la possibilité d’être, en toute légitimité, plusieurs choses à la fois ?
Cette pluralité n’est pas un fardeau à porter, il s’agit d’un droit et d’un devoir. Le
droit d’être tout ce que l’histoire nous a permis d’être, et le devoir de préserver
cette richesse pour les générations futures.
Ahlem Kebir - Cofondatrice
ALGER DU MONDE
Auteure : Fred Romano
Telle une jarapa, composée
de multiples étoffes colorées
tissées entre elles, la population
d’Alger a des origines des plus
diverses, venues du monde
entier.
Œuvre de L'Homme Jaune, Alger
ALGÉRIE PLURIELLE
ALGER DU MONDE
Auteure : Fred Romano
a première immigration
massive détectée par
analyse génétique lors d’une
recherche internationale
a été celle des Etrusques,
ennemis jurés de Rome,
bien que de cultures similaires, vers le
Nord africain. Elle est visible grâce à
l’amer de Tipaza, le mausolée royal de
Maurétanie (appelé depuis la colonisation
française et jusqu’a aujourd’hui tombeau
de la Chrétienne) un tombeau qui est
très similaire aux tombeaux étrusques en
Toscane, à Cerveteri, ainsi que le tombeau
rectangulaire dit « punique » dans le port
de Cherchell.
Cependant, une question se pose : Rome
a-t-elle conquis ce territoire montagneux,
propice aux embuscades, où ses légions
avaient des difficultés à progresser,
habité par des Etrusques et Carthaginois
? La culture Etrusque était très similaire
à la Romaine, ce qui permit sans doute
à l’empereur Auguste d’établir un pacte
avec les villes côtières de l’échelle
punique : Cherchell, Annaba, où des
Romains scientifiques, tel Columella (1er s
A.C), purent s’établir et poursuivre leurs
travaux ( première observation que la
‘fièvre romaine’- nommée plus tard malaria
ou paludisme- provient de ‘animalcules’
vivant dans les marécages), repris -sans
citer- au 19ème s. par Alphonse Laveran,
médecin militaire français basé à Annaba,
Prix Nobel de médecine en 1907 pour sa
communication sur la malaria, et considéré
comme père de la microbiologie).
Toutefois, on notera que la portion de
mer Méditerranée qui borde l’Algérie, de
Oran jusqu’au cap Bon, ne porte toujours
pas de nom sur les cartes internationales
marines, comme une vengeance tardive
des administrateurs romains sur l’empire
de mer étrusco-carthaginois. Une autre
influence majeure à cette époque fut
l’arrivée des armées perses, avec leurs
artisans et scientifiques, qui équipèrent
tout le Nord de l’Afrique en « Qanats »
et autres systèmes d’irrigation, amenant
ces terres à une splendeur qui provoqua
l’envie des Romains, gagnants en
puissance, à présent voisins. Et c’est le
romain Vitruvius, dans ses « Douze livres
sur l’architecture », qui va apporter les
connaissances techniques nécessaires
à la réalisation des Qanats et à leur
préservation.
L’œuvre de Vitruvius (1er s A.C), fut traduit
et illustré par le Vénitien Roberto Valturio
(ami de la célèbre famille d’éditeurs
vénitiens Manutius, centre de l’activité
intellectuelle à Venise) en 1472 pour le
vicomte Sigismond de Malatesta de Rimini,
qui l’offrit à Mehmet II, sultan ottoman.
Scipione Cicala, juif né en Calabre,
converti à l’islam comme Mimar Sinan, dans
sa formation à Istanbul redécouvrira le
livre et en tirera des solutions défensives
innovantes et spectaculaires. Ainsi, la ville
d’Alger lui doit probablement le système
de qanats, couplé aux réservoirs de la
ville, qui a provoqué, non la tempête, mais
un véritable tsunami, emportant de forme
presque définitive les forces pourtant
supérieures de Carlos V et mettant
l’empereur lui-même en danger.
Vitruve a cependant beau attribuer le
Qanat aux romains comme « aqueduc
souterrain », il est toutefois établi que la
technologie est Perse et que Darius le
Grand l’a largement mise en place lors
de sa conquête du monde connu, ce qui
signifiait des générations d’esclaves et
d’artisans spécialisés venus de toutes les
régions de l’empire Perse, travaillant sur
place et se mêlant probablement aux
populations locales.
10 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
La mer ramènera d’autres envahisseurs tels que
les Vandales. Quant aux Arabes, ils arrivèrent par
le désert, depuis Damas, Sinaï, Egypte, jusqu’au
cœur du Touat saharien. Comment résistèrent-ils?
Tout comme les commerçants chinois traversant
le désert de Gobi, grâce à une plante, née dans les
steppes chinoises de moyenne altitude, utilisée
(encore aujourd’hui) pour combattre le syndrome
de chaleur toxique. Les Arabes, maîtres de la
distillation, en tirèrent un colorant bleu résistant
au soleil, comme le précieux bleu pharaonique (à
base de lapis-lazzuli), et de surcroît médicinal.
Dans le désert du Touat, ils apprirent aux Touareg
à cultiver le pastel (en français), anyil de Jerusalem
(en espagnol), isiatis tinctorial (terminologie
scientifique), puis à teindre des habits médicinaux
les protégeant du soleil, par lesquels ils sont
encore connus comme Hommes Bleus (même
si depuis, l’indigo, non médicinal, a remplacé le
pastel).
Les Arabes sont venus par petits groupes,
amenant techniques et organisations nouvelles.
Néanmoins, ce ne fut pas une immigration massive.
Ils amenaient de nouvelles techniques, notamment
d’irrigation, de distillation et de colorants, ce qui
permit à Alger de s’enrichir, grâce au Kermès
(cochenille donnant un rouge vif, devenu couleur
royale espagnole) et au pastel (plante venue des
contreforts des Himalaya donnant une couleur
bleue résistante au soleil - couleur royale de
France).
L’innovation du système décimal, ainsi que l’Islam,
révolutionnèrent la société. Mais, attachés au
nomadisme, ils se mêlèrent peu aux populations
locales et aujourd’hui, ils ne représentent que 1%
au plus de la population algérienne. La boussole
et l’art de la cartographie, ainsi que les judicieuses
inventions de Vitruve, comme le bateau
démontable, assurèrent la domination musulmane
en mer.
Pendant ce temps, l’Andalousie souffrait, alors
que les catholiques violaient tous les accords
de cohabitation entre les diverses religions
espagnoles. Les convertis, puis descendants
de convertis y étaient à présent vus comme
« anciens mécréants » et virent leurs droits se
réduire à peau de chagrin, leurs boutiques ou
ateliers pillés, leurs enfants brûlés vif. On les
força à les convertir en leur donnant un nouveau
nom aux accents porcins (Cerda, Grassa, Porcell,
etc.), sachant ce que représentait le porc pour
juifs et musulmans, les mettant ainsi à l’opprobre
de leur propre communauté, comme vis-àvis
des chrétiens. Puis, commença la dictature
de l’assiette (ceux qui refusaient de manger du
homard pouvaient finir brûlés vifs), l’espionnage
des voisins (récompensés lorsqu’un converti était
pris retournant à la religion de ses ancêtres),
les tortures arbitraires et les interrogatoires
inhumains. Le monde musulman de l’autre côté
de la Méditerranée leur apparut alors comme leur
seule planche de salut. L’immigration andalouse se
fit massive depuis l’Espagne vers Alger, ainsi que
depuis le Sud de l’Italie, la Sardaigne et la Sicile,
où sévissaient des Inquisiteurs particulièrement
effroyables (tel l’archevêque qui terrorisa Palerme,
Diego de Haedo).
L’Espagne se désertifia donc de tous ses artisans,
commerçants et scientifiques, lesquels fuyaient
l’horreur catholique sur de petites barques vers
Alger. L’Espagne tenta d’enrayer cette fuite de
cerveaux en interdisant l’embarquement vers
l’Afrique depuis ses ports, ce qui provoqua l’afflux
massif des convertis espagnols vers les ports
français, notamment Marseille, les plus riches
versant des bourses afin que les plus pauvres
puissent embarquer aussi. De véritables banques
solidaires se sont créées, afin de fuir l’horreur de
l’Inquisition espagnole.
Marcus Vitruvius Pollio - babelio.com
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
11
Carte d’Alger de 1541, par l’inventeur de la vision à vol d’oiseau, le Hollandais Cornelius Antoniszt
12 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
13
Charles Quint, devenu empereur chrétien, manda
Pedro Navarro, son homme de main, en Afrique du
Nord, de récupérer ces forces vives appartenant
à l’Espagne. A Bejaia, il faisait tatouer sur la figure
les Andalous évadés en Algérie d’un S avec un clou:
esclavo pour toujours. Il est probable que dans ce
contexte atroce, les femmes kabyles aient choisi
de réaffirmer leur tradition du tatouage facial
afin d’éviter celui des catholiques ( sur un visage
tatoué, on ne voyait plus si bien le «S clavo» faisant
la gloire des maîtres espagnols).
Cette politique, menée aux quatre coins de
l’empire espagnol catholique (et même aux
frontières), finit par provoquer la rébellion justifiée
des musulmans et des métis et l’Islam devint la
religion de la libération.
Bab Aruç, marin grec, après deux ans de torture
continue dans la chambre des horreurs de la
citadelle chrétienne de Bodrum, des chevaliers de
Saint-Jean de Rhodes (qui devinrent les chevaliers
de Malte après avoir été expulsés de Rhodes
par Suleyman le Magnifique), devint le Bénévole,
petit père des peuples opprimés, dé-chaineur
d’esclaves, en collaboration avec l’esclave devenu
empereur ottoman, et pour lequel la libération
des esclaves de chrétiens et leur conversion
à l’islam, afin de ne plus jamais être esclaves,
était une priorité. Il devint le premier roi d’Alger
et, avec Mimar Sinan, juif Calabrais converti à
l’Islam et ingénieur civil de génie, fit construire
la jetée reliant le fort espagnol à la ville, ainsi
que ses astucieuses défenses hydrauliques, qui
provoquèrent l’écrasante défaite de Charles V.
Dans cette ère dite « ottomane » d’Alger, bien peu
vinrent de Turquie, d’autant que le roi Hassan Pacha
Veneziano, vénitien comme l’indique son nom,
parvint à faire en sorte que n’importe quel habitant
d’Alger puisse se faire janissaire et ainsi participer
à la défense de la ville. Ce privilège unique dans
tout l’empire ottoman limitait aussi les entrées de
janissaires turcs ou roumains à Alger, définissant
le royaume comme autosuffisant. Ceux qui, dans
«Topographie et Histoire Générale d’Alger», sont
nommés comme « Turcs de profession » en réalité
proviennent de :
« En commençant par les provinces lointaines 1 de
l’Europe, on trouve des renégats moscovites, russes,
géorgiens, valaques 2 , bulgares, polonais, hongrois,
bohêmes, tudesques, norvégiens et danois 3 ,
écossais, anglais, irlandais, flamands, bourguignons 4 ,
français, navarrais, basques 5 , castillans, galiciens,
portugais, andalous, de Valence, aragonais, catalans,
majorquins, sardes, corses, siciliens, calabrais,
napolitains, romains, toscans, génois, savoyards 6 ,
piémontais, lombards, vénitiens, slovènes 7 , albanais,
bosniaques, arnautes 8 , grecs, crétois, chypriotes,
syriens, égyptiens et même des abechinos 9 , et
des indiens des Indes du Portugal 10 , du Brésil, et
de la Nouvelle Espagne 11 ». A ces nouvelles sources
génétiques, il faut ajouter les milliers d’esclaves
portugais ou espagnols qui se convertirent à
l’islam (au moins 30%) et se fondirent dans la
société algéroise.
Les épidémies de malaria ayant tué plus de 60%
de la population adulte (ce qui démontre bien
son caractère de maladie nouvelle en Algérie), les
Français ne firent qu’enfoncer une porte béante
en 1840, se livrant au pillage des anciens alliés
dont ils connaissaient les richesses. Les Socialistes
français primitifs se mirent à rêver d’un El Dorado,
où ils pourraient développer une société plus
juste, sur les bases de la révolution française. Il ne
suffisait que « d’exproprier les barbares », selon
Adrien Berbrugger.
1
Eloignées de l’Espagne
2
Des Balkans
3
La Norvège était alors comme une province du
Danemark ; ce détail démontre une fine connaissance
en politique internationale de la part de l’Auteur
4
Louis XIV ne parvint à s’approprier du duché de
Bourgogne qu’en 1678
5
La Biscaye était alors une seigneurie indépendante,
bien que déjà unie à la Castille, ainsi que les suivantes
régions espagnoles et italiennes
6
La Savoie ne faisait pas encore partie de la France
7
L’Auteur dit Esclavones
8
L’Auteur dit Arnautas, qui signifie albanais installés
dans l’île de Nios (Ios), au service des pachas turcs.
9
L’auteur dit Abexinos ; les universitaires prétendent
que les abexinos étaient soumis au Prêtre Jean, un
mythe catholique sur un apôtre égaré en Orient ;
certains vinrent à croire qu’il y possédait des armées
et ont avancé qu’il s’agit ici de Huns, convertis au
christianisme. En réalité, il s’agit d’Abyssins convertis
à l’islam, recrutés lors du voyage de Suleyman le
Magnifique en Inde, « Travel from Alexandria to
India, 1538 » relaté par le même Antonio Manutius,
qui a écrit aussi le présent ouvrage, avec Miguel de
Cervantes.
10
Les comptoirs portugais en Inde, comme Goa
11
Le Mexique ; il est très étrange que ces indigènes
soient mentionnés, car la politique de l’Espagne quant
à ses colonies était de ne pas ramener vers les terres
européennes des indigènes, qu’ils suspectaient d’être
les juifs des tribus perdues.
14 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
La maison d'un esclave (S clavo) à Madrid (Espagne)
Références :
• Vitruvius. The Ten Books on Architecture. Morris Hicky Morgan ed.
• Valturio Roberto. Les douze livres de Robert Valturin touchant la discipline militaire, 1555. Traduit
de langue latin en français par Louis Meygret Lyonnais. (Repris des travaux de Vitruvius)
• Infant Don Fernando de Bougie, vassal de l’empereur Charles Quint ( ou la politique espagnole de
l’horreur en Kabylie) pdf en espagnol
• Dans la citadelle chrétienne de Bodrum, surtout dans la Tour Gatineau, Dieu est absent
• Monique Bodin-Payre. La mise en place d’une vérité historique au XIXème s. en Algérie , (CNRS)
• Jean-Louis Marçot. Comment est née l’Algérie Française (1830-1850). La belle utopie.
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
15
ALGÉRIE PLURIELLE
RITES FUNÈBRES ET LITTÉRATURE
Auteure : Nélia Salem
Ames errantes, tombant dans un monde qui leur
est inconnu, se mettent à la recherche d’un abri,
d’un refuge qui devrait leur être éternel et puis,
un beau jour, elles s’immiscent dans un corps qui
n’est pas complètement le leur, un corps passager
pour une âme éternelle…
Mais ce corps finit par s’affaiblir et se laisser
emporter par le rythme des jours heureux et
mélancoliques, ne laissant de trace que par
de brefs souvenirs gardés au fond d’un esprit
nostalgique.
La perte d’un être cher appelle à un dernier
hommage, et on l’aura tous remarqué : les traditions
algériennes ne font guère exception à cette règle
qui, d’une manière ou d’une autre, prouve que l’on
tient à faire un dernier geste symbolique à l’égard
du défunt. Les rites funéraires sont extraordinaires
dans un pays où la diversité comble tous les vides
et déteint sa beauté là où elle passe. La mort
devient un rite magique où pleures deviennent
chants, où religion devient abri, où propreté
devient rite de retour aux sources. Ces derniers
doivent donc être mis en valeur pour comprendre
la profondeur de la culture algérienne, ainsi que
toute la place qu’occupe cette tradition en la liant
directement à la littérature, qui, à son tour apporte
son lot d’authenticité dans la description joliment
détaillée de la cérémonie finale. Comment les
traditions mortuaires sont-elles effectuées dans
un pays très attaché aux coutumes ? Et comment
la littérature algérienne a-t-elle décrit ces rites
funèbres ?
Alger, Famille maure au cimetiere
16 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
1. Entre mort et traditions :
Quand l’ange de la mort vient happer les âmes
des vivants, une vague de froid s’installe dans
toute l’atmosphère qui entoure la dépouille
fraîchement cueillie, les personnes prennent du
temps pour s’en rendre compte et faire face à la
réalité douloureuse. C’est là que les traditions de
nos ancêtres font leur entrée pour atténuer ce
chagrin qui creuse un abîme profond où plusieurs
sentiments se jettent et s’affrontent : amour,
manque, regrets, haine, plaintes et lamentations.
Citer les traditions appelle obligatoirement à citer
la religion, nos aïeux étaient à cheval sur le bon
déroulement de la veillée en restant très pointilleux
sur l’application correcte des croyances.
Quand le corps gît dans la demeure, les premiers
gestes fait par les proches sont ceux de fermer les
yeux et la bouche et recouvrir le défunt d’un drap.
La suite est connue, on annonce la nouvelle aux
proches et aux gens du village tout en prévenant
la mosquée pour organiser la prière qui se fera le
jour-même (pour certains) ou le lendemain (pour
d’autres).
L’apport d’une aide aux proches du défunt est
une action importante dans nos traditions (aides
dans les tâches ménagères, cuisine, etc.) c’est
non seulement prouver que l’on est là pour la
famille, mais c’est aussi faire un dernier geste
symbolique à l’égard de l’être aimé qui nous quitte
soudainement. L’un de ces gestes, est celui du
lavage mortuaire. Ce dernier peut être fait par un
membre de la famille qui y tient réellement ou par
un membre extérieur. C’est une tâche délicate
qui demande beaucoup de courage aux proches,
et beaucoup d’attention aux inconnus.
La prière est faite à la mosquée ou au cimetière,
cette oraison est de courte durée contrairement
à celles qui sont faites habituellement.
En Algérie, il n’y a que les hommes qui assistent
aux funérailles, les femmes quant à elles doivent
attendre le lendemain ou les jours qui viennent
pour s’y rendre. Leur absence est justifiée par
le fait que la femme est sensible et délicate. Par
conséquent, elle ne peut guère maîtriser sa peine
et son chagrin.
Les traditions n’ont pas fini de confesser tous
leurs secrets, on continue à rendre hommage
à l’être qui nous a quitté durant des jours bien
précis comme le troisième et le quarantième
jour. Le troisième jour suivant l’enterrement, les
proches préparent à manger et se présentent
au cimetière pour placer l’épitaphe. Lors du
quarantième jour, c’est El Wa3da, on prépare à
manger, et on invite tous les passants à prendre
place dans une sorte d’offrande censée aider le
mort dans l’au-delà. Et puis il y a le moment où
l’on dépose une partie des offrandes sur la tombe,
pour que les visiteurs du cimetière en bénéficient
également en guise de bienfaisance. C’est là une
sorte de Sadaqa au nom du défunt. Le choix de
ces deux jours en particulier n’est pas fortuit, dans
la tradition kabyle par exemple une croyance dit
que l’âme du défunt erre autour de la maison
durant la troisième nuit, puis demeurera dans la
tombe jusqu’au quarantième jour.
Nous venons de passer en revue les traditions les
plus répandues dans notre pays, bien que parfois
quelques divergences sont à noter d’une region
à une autre. Et pour sauvegarder toutes ces
traditions et tous ces rites, la littérature dans sa
grandeur fait son entrée en offrant un travail de
sauvegarde qui traverse les temps.
Alger, vendredi au cimetière d'El-Keittar
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
17
2. Traditions mortuaires dans la littérature
algérienne :
La littérature algérienne est un champ vaste
où tous les sujets s’affrontent, s’entrechoquent
et s’emmêlent pour aboutir à un récit des
plus entrainants. Nos auteurs ont toujours
eu cette touche culturelle bien à eux, et ce,
depuis l’apparition d’une littérature purement
algérienne (c’est-à-dire à partir des années 50
avec Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, Mouloud
Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebar et autres).
Nos auteurs ont su s’imprégner d’une réalité
algérienne et l’adapter à un imaginaire romanesque.
Ce fut l’explosion des saveurs ! On se permettait
toutes les absurdités possibles en utilisant une
langue riche en émotions et en culture ancestrale.
Quand les écrivains se mettent à faire cela, on se
retrouve confrontés à des situations réelles de la
vie de tous les jours avec une légèreté propre aux
mots qu’on ne peut retrouver nulle part ailleurs.
Toutes les traditions ont été citées dans nos
romans et parmi elles, notre sujet : les traditions
funèbres.
Une sélection de passages nous montre la
profondeur du deuil et la légèreté des mœurs
dans la réalité algérienne romanesque :
a. La colline oubliée de Mouloud Mammeri :
« Le long cortège grossissait à chaque village
[…] précédée par les marabouts et les vieillards
qui chantaient inlassablement le chant monotone
et lent de ceux qui sont morts loin de leur tribu
natale.
Ils entrèrent au village le soir. Toute la nuit, le
cheikh avec les marabouts et les adeptes de la
confrérie Abderrahman chantèrent des litanies
autour du corps ».
Nous pouvons déjà, à la lecture de ce passage,
voir la place qu’occupent les chants durant les
enterrements, ce ne sont guère des chants de
joie et de fête, Ils servent à rendre un dernier
hommage, à travers un chant religieux qui, pour
sa part, appelle à la miséricorde de Dieu envers
cette âme qui s’envole vers d’autres cieux.
Les chants funèbres sont parfois sinistres, mais
n’en demeurent pas moins beaux et légers,
un certain apaisement les accompagne et fait
adoucir l’atmosphère morose qui règne autour du
mort.
Nous pouvons ajouter à cela ce passage émouvant:
«Avant de le mettre en terre, pour la dernière
fois, quand le cheikh levant un coin du linceul,
découvrit le visage du mort, le père de Mokrane
baissa sur ses yeux le capuchon de son burnous,
car un homme ne doit jamais montrer sa douleur».
Les hommes en Algérie, « doivent » avoir la force
de faire face à la rudesse de la vie ; par exemple
dans ce passage, le père perd son fils, mais il se
doit d’être fort et de tenir le coup. Les hommes ne
pleurent pas devant tout le monde, c’est un signe
de faiblesse dans les traditions. Contrairement
aux femmes, qui se laissent aller et extériorisent
leur douleur plus facilement, car la tendresse de la
femme lui offre cette possibilité, d’où l’interdiction
d’assister à la mise en terre du défunt.
La colline oubliée n’est pas seulement un roman
réaliste, il va au-delà des frontières littéraires :
c’est un roman où chaque détail compte, toutes
les traditions kabyles y sont mentionnées d’une
manière ou d’une autre ; on ne peut qu’apprendre
en s’y plongeant :
« Longtemps, Melha ne put se consoler de la
perte de son fils. […] Elle ne prenait plus la peine
d’essuyer ses larmes, même pas quand Ramdane
entrait, et, ne pouvant elle-même aller chaque
jour sur la tombe de son fils, elle confiait à la mère
de Mouh les offrandes pour le repos des âmes de
leurs deux enfants ».
Ce passage est très important parce qu’il touche
à plusieurs points culminants. Les femmes sont
celles qui font face le plus longtemps à la douleur,
surtout la mère. Un lien très fort se tisse entre
mère et enfants, et à la perte de l’un d’eux
c’est tout l’univers qui s’effondre. Melha ne peut
même plus aller à la tombe de son fils, c’est trop
douloureux, voire insupportable.
Les femmes traditionnelles respectent
énormément le mari, pleurer devant ce dernier est
signe de manque de respect. La plupart du temps,
elles se cachent pour le faire d’où l’expression
«Elle ne prenait plus la peine d’essuyer ses larmes,
même pas quand Ramdane entrait».
Et, enfin, un dernier point : l’offrande. C’est un
acte qui, non seulement est bon pour le mort,
mais également pour les vivants ; offrir à manger
à des pauvres n’est que bienfaisance.
18 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
b. La terre et le sang de Mouloud Feraoun :
« La maison de Kamouma était pleine de monde.
Le défilé des visiteurs avait commencé dès
l’arrivée du corps. Des gens venaient dire une
parole de réconfort à Kamouma et à Madame,
s’approchaient à tour de rôle du mort, se tenaient
un moment sur le seuil puis cédaient leur place à
d’autres ».
La mort n’est pas un événement banal, un être
disparaît et laisse derrière lui un vide énorme dans
la vie de ceux qui l’entouraient. Par respect au
défunt et à ses proches, les gens qui le connaissent
de près ou de loin viennent apporter leur soutien
aux vivants, c’est un certain appui qu’on leur offre
pour faire face à l’épreuve de la mort.
« Hemama se trouvait dans le lot des femmes
qui se lamentaient et ses cris dominaient tous
les autres. Chaque fois, elle donnait le signal. Elle
choisissait son moment pour crier, les autres
suivaient. Elle guettait les entrées, puis quand
un groupe important obstruait la porte, elle les
assourdissait de son bruyant désespoir ».
Lors des enterrements en Algérie, les femmes sont
les premières à montrer l’étendu de la tragédie:
cris, évanouissements, chaudes larmes. C’est
digne d’une tragédie Racinienne. Les femmes
adorent faire dans l’hyperbole, exagérer est un
don. Bien que les plus proches soient vraiment
touchées, les autres ne font que suivre le rythme
pour accentuer la lourdeur d’un événement
naturel qui se répète.
La terre et le sang est un roman riche en émotions
et en tragédies, la mort et les liens familiaux
prennent le dessus tout au long du récit.
c. Les enfants du nouveau monde d’Assia Djebar :
Assia Djebar est l’une des rares écrivaines
algériennes qui a su décrire totalement les mœurs
des femmes dans toute leur splendeur ! Elle est
allée au fin fond des choses, pour conter le monde
des femmes, leur intimité sublime.
« On avait emporté le corps de la vieille Aicha
le lendemain de sa mort, à la fin de la matinée:
cérémonie brève, récitations de prières, puis
quatre hommes sortis les premiers de la maison
avec sur leurs épaules le cercueil, ou plutôt
une planche large de bois poli sur lequel gisait,
enveloppé de linge blanc, le corps ».
Ce passage est riche en informations : les
personnes qui soulèvent le corps, l’objet sur lequel
il est transporté, mais également le drap blanc
dans lequel est enveloppé le corps du défunt. Cela
pourrait sembler inintéressant, mais c’est toute
une tradition religieuse qui se cache derrière, ce
n’est pas un récit romanesque courant, mais une
description des mœurs à travers des personnages
banales qui pourraient être vous et moi.
« […] Mais Amna avait besoin d’aller jusqu’au
fond de son chagrin pour en éprouver ensuite
un soulagement animal. Elle gémissait, sortait un
large mouchoir, éternuait dans ce drap. Et les deux
mioches effarés pendus toujours aux frusques de
leur mère, se mettaient en chœur à s’écrier, à
hoqueter… ».
Le deuil ne se manifeste jamais de la même
manière chez les deux sexes opposés ; les hommes
essayent de garder leur virilité contrairement aux
femmes qui ressentent le besoin de crier et de
faire part de leur douleur (aussi légère soit-elle)
pour avoir quelqu’un qui l’épaule. Nous avons,
d’ailleurs, vu cela dans les romans cités plus haut.
Les romans phares de notre littérature ne sont
pas seulement les enfants blafards enfouis sous
terre et déterrés sous forme de mots, ils sont
également ces racines tant redoutées, ces arbres
que l’on ampute, mais qui reviennent encore plus
forts, plus beaux et donnent fruit à l’imaginaire
grandiose de nos écrivains qui ont su jumeler
entre réalité et fiction pour nous offrir la plus
belle fresque du monde.
La mort n’est pas une fin en soi, voyez-vous ? Nos
auteurs sont poussière et pourtant leurs esprits
ne cessent d’errer dans notre monde en quête de
cette liberté tant chérie et leurs voix ne cessent
de répandre leurs échos dans une terre fièrement
libre. Laisser sa trace, apporter quelque chose à
ce monde, c’est l’apparition après l’effacement.
Couverture du livre la terre et le sang Mouloud Feraoun
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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OULED NAIL DANCERS: A FADING MEMORY
Auteur : Hamza Koudri
[The] Ouled Nail, with her robe of vivid crimson embroidered in gold, her soft
silk veil of the palest blue…the wide gold girdle with its innumerable chains
and pendants, the necklaces of coins, the bracelets of silver and gold, and the
crown-like head-dress, is the personification of the gorgeous East. – Frank
Edward Johnson, “Here and There in Northern Africa” (The National Geographic
Magazine, January 1914)
public domain (pre-1923)
20 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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ALGÉRIE PLURIELLE
OULED NAIL DANCERS: A FADING MEMORY
Auteur : Hamza Koudri
For decades, tourists from wide and far
flocked to Algerian desert towns like
Bousaada to watch the enchanting Ouled
Nail dancers perform at Moorish cafés or
in the middle of a crowded marketplace. With
their ostrich feathers perched on their heads and
their hair braided in thick loops around their ears,
the Ouled Nail women would sway their bodies
to the rhythm of the tambourine, the flute and
the kerkabo. Their hands drew circles in the air
and their bellies rose and dove to the beat of the
music as the crowds around them clapped and
moved their shoulders, captivated by the magic
of it all. The dancers’ jewelry, their entire fortunes,
clanked and jingled too, a loud proof of their
success and joy; their childhood dreams coming
to life.
Generations of dancers were raised in the arts of
singing and dancing, and they grew to fascinate
photographers and artists such as Rudolf Franz
Lehnert and Etienne Dinet, but their charm soon
faded in the face of modernity and their entire
culture, a richly unique way of life, was buried
deep amidst the folds of shame and denial.
So little is known about these Arabo-Berber
tribes, where their culture originated from or
how they came to raise their girls to grow into
talented courtesans. In fact, most Algerians have
never even heard of them, and many deny their
existence, claiming the colonial French fabricated
such fictitious stories to attract tourists or tarnish
the reputation of our nation. Others rush to justify
the Ouled Nail’s lifestyle by imputing it to dire
poverty that must have left them no other choice.
A quick glance through the comments section on
any post related to this topic will give you an idea
why the Ouled Nail dancers have been shoved
out of our collective memory; and the result is
a tragic loss of a part of our heritage and our
cultural identity.
Denying the Ouled Nail’s history won’t change the
fact that they lived all those years ago just like
accepting it won’t necessarily reflect negatively
on our values as a nation.
This is not to deny such factors like poverty
or colonial rule. In fact, the Ould Nail suffered
a great deal at the hands of the French who
tried to conform them to the western notion
of prostitution regardless of their customs and
common practices. Traditionally, a Ouled Nail
dancer was very much like a Japanese geisha.
Her service was entertainment. She was raised
to dance and sing, and her clients paid for her
performance as well as her company, which didn’t
always necessarily lead to bodily pleasure.
This was all foreign to the French, and in an effort
to both organize this business according to
common practices in Europe and make a profit
off of it, they set countless restrictions on the
Ouled Nail dancers, making it impossible for them
to maintain their ancestral way of life. Those who
survived the French rule soon vanished in a postcolonial
Algeria that had no place for women who
didn’t conform to common norms and traditions.
But one can barely deny the rich heritage left
by these mesmerizing dancers. From exuberant
costumes to glowing jewelry. Their vibrant music
and the Saadaoui dance. We remember them by
Etienne Dinet’s many paintings, Frank Edward
Johnson’s photographs in one of the oldest
National Geographic magazine issues, and Émile
Gaudissard’s famous sculptures in Jardin d’Essai
du Hamma in Algeirs.
Most importantly, the Ouled Nails set their mark
in history for being strong, financially independent
women who took control of their bodies and
resisted against what Christelle Taraud calls
“la double violence sexuelle” from the colonial
and patriarchal society in the Algerian Sahara.
Navigating the oppressive, colonial law and the
conservative local norms, the Ouled Nail women
negotiated their place effectively between two
rigid communities, setting lessons for the modern
world to learn from.
Algeria is a continent rich with diverse cultures
worth celebrating and stories worth telling, and in
embracing our history we can have more clarity
on our present and stand on sure grounds as we
forge our future.
22 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
illustration par : Souleyman Sandid
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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24 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
THE OULED NAIL. DEFENSE BRACELETS BY SARAH CORBETT
Her Jewelry… Her Life
For a Nailiya dancer, her jewelry was more than a
simple, shiny object for decoration. In many ways, it
represented her life. The large golden girdle around
her waist and the coin necklaces she wore in layers
provided proof of her success as a dancer. Also,
for security reasons, the Nailiya always had to wear
her entire fortune to keep it on her, making her a
walking target for thieves. This led to many incidents
of robbery where dancers were murdered for their
valuable treasures. To defend themselves, the Ouled
Nail started wearing weapons in the form of jewelry.
A studded bracelet, also known as the swar, with its
intricate engraving and spiked cuff, was a dancer’s
weapon of choice, her only means of defense against
attackers.
illustration par : Souleyman Sandid
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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ALGÉRIE PLURIELLE
DE LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE EN ALGÉRIE
Auteur : Adel Hakim, Président du club littéraire de l’étudiant francophone
Université Hassiba Benbouali
Depuis la nuit des temps, le territoire
algérien a été une zone d’influence et de
colonisation, partielle ou totale, qui a vu
passer les Phéniciens, les Carthaginois,
les Romains, les Vandales et les Byzantins. Il y
eut ensuite la conquête arabe puis ottomane, en
parallèle d’incursions espagnoles avec occupation
de quelques parties du territoire algérien. Et c’est
en 1830 que la France a décidé de traverser la
Méditerranée pour venir s’établir en Algérie.
Tout cela a fait de l’Algérie un pays métissé de
cultures, de religions et surtout de langues. Juste
après l’indépendance, et exactement après la
fameuse expression du président Ahmed ben
Bella «Vous êtes arabes, arabes, arabes», les gens,
à l’époque, avaient peur d’être trois fois la même
chose. L’État algérien a opté pour l’arabe comme
langue officielle et pour le français comme une
langue d’étude. Mais pas seulement : la langue
française dominait dans les journaux, à la radio,
et à la télévision. Même les films américains qui
étaient diffusés à la télé, depuis cette époque à
ce jour, étaient doublés en français. C’est-à-dire
qu’ils étaient traduits dans une langue qui n’était
pas la nôtre si l’on s’en tient au discours officiel.
En 2016, après plus d’un demi-siècle
d’indépendance, le gouvernement algérien a
officialisé le tamazight, la langue des autochtones
de la région nord-africaine, autant que langue
nationale. Cela impose de facto la question
suivante : combien existe-t-il de langues en
Algérie ? Autrement dit, quelles langues parlent
les Algériens ? Vous allez dire deux, soit l’arabe
et le tamazigh, avec quelques dialectes très
proches de l’arabe. Très vieille réponse ! Et pour
comprendre pourquoi, je pose une nouvelle
question : qu’est-ce qu’une langue ?
Selon Ferdinand de Saussure, la langue est un
système de communication structuré et commun
à une communauté donnée. Si on prend l’arabe, le
français ou l'anglais, que tout le monde considère
comme étant des langues, cette définition est
respectée. Que ce soit l’arabe, le français, ou
l'anglais, ce sont des systèmes de communication
particuliers, structurés, puisqu'ils ont leurs
spécificités et leurs règles propres, et ils sont,
chacun, associés à une communauté donnée,
que l'on pourrait considérer comme étant la
francophonie pour le français, l'anglophonie
pour l'anglais ou l’arabophonie pour l'arabe.
Mais si je prends maintenant le «tamasheq»
ou le «mozabite» que certains définissent
comme étant des dialectes de tamazight, là, la
définition saussurienne du mot langue est aussi
respectée, puisque ce sont aussi des systèmes
de communication particuliers, structurés et
communs à une communauté donnée. En d’autres
termes que l'on parle d'un patois, d'un dialecte
ou d'une langue régionale, d'un point de vue
saussurien, l'on parle d'une langue quand bien
même l'opposition entre langue et dialecte est
une opposition qui nous paraît importante et
même logique. D’ailleurs, même en linguistique,
on parle volontiers du dialecte. Si jamais je
vous demande, maintenant, de me définir avec
exactitude ce qu'est un dialecte et ce qu'il n'est
pas, et en quoi il est différent d'une langue, en
seriez-vous capable ? Est-ce que vous auriez des
critères ? Et les moyens de les départager ? Si
vous n'avez pas réussi, ce n’est pas très grave,
c'est même plutôt « normal ». En effet, en fouillant
sur le net, je me suis rendu compte que personne
n'arrive vraiment à définir ce qu'est un dialecte.
Pourtant, ils essayent ! Pour les spécialistes de la
question, la langue est liée à un standard, mais le
dialecte en est dépourvu. Ainsi, le tamazight est
un standard dans le sens où il y a des organismes
qui codifient sa grammaire, comme l'Académie
algérienne de la langue amazighe, qui rectifie,
voire qui dicte son usage. Le chleuh, par contre,
n'a pas d'organisme qui dicte ou qui contrôle
sa grammaire ou son orthographe, il n'a pas
d’académie. Le chleuh est donc, selon cette
définition, un dialecte.
26 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Le problème de cette définition est que le
tamazight, considéré donc comme une langue,
ne se limite absolument pas au standard et n'est
absolument pas uniforme. Et les parlers que l'on
considère parfois comme étant des dialectes ont
en fait une orthographe normée. Le tamasheq
et le mozabite, par exemple, possèdent des
orthographes normées et des dictionnaires, ils
ont même des structures dans lesquelles ils sont
enseignés. Ce qui implique que leurs grammaires
ont été codifiées ou au moins décrites. Bref, tout
cela pour dire que ce critère est contestable.
On affirme que le dialecte est le descendant
d'une langue. À ce propos, il est nécessaire
de comprendre une chose fondamentale, les
dialectes d'une langue sont parfois, et même
souvent, les langues sœurs de leurs standards
et pas leurs langues filles. C'est parfois même le
contraire. Ainsi, le kabyle n'est pas la langue mère
du chaoui ou du targuie. Le kabyle en est une
langue sœur, puisqu'il est en réalité lui-même issu
d'un dialecte autrefois parlé en grande Kabylie.
Ce dialecte a juste eu plus de succès sur le plan
politique et social. C'était la langue des gens qui
réclamaient le tamazight. Cela pour conclure que
ce critère est peu recevable.
On affirme également que la différence entre un
dialecte et une langue a rapport avec l'étendue
géographique ou le nombre de locuteurs.
Personnellement, j'aurai tendance à dire que
ce critère est complètement erroné. Je vous
explique pourquoi: l’arabe algérien est parlé
par au moins 35 millions de personnes. Il est
considéré comme un dialecte issu de la langue
arabe, et cela, par ses locuteurs eux-mêmes.
L'aire de l'arabe algérien couvre, en gros, la moitié
de l’Algérie, soit 1 150 000 km 2 . Le Finnois est
parlé par 5 millions de personnes, il est considéré
comme une langue. Et on considère, en gros, que
la langue occupe tout le territoire finlandais, soit,
en gros, 340 000 km 2 . Donc, on a une langue qui
a trois fois moins de territoire et cinq fois moins
de locuteurs qu'un dialecte. Donc, ce critère n'est
vraiment pas recevable.
rendre compte de l’immensité du patrimoine. Ce
fait nous oblige à évoquer la tradition orale, car
le patrimoine ne doit pas forcément être écrit. À
cela, il faut ajouter les écrits en dialectes qui sont
légion.
Tout cela pourrait permettre d'expliquer
pourquoi certaines langues très proches doivent
être considérées comme deux langues à part, et
pas comme deux dialectes d'une même langue,
comme le Catalan et le Castillan. Le problème,
si on se réfère à ce critère, est qu'il est très
subjectif! De fait, quand est-ce que l’on doit
considérer qu'un dialecte a assez de patrimoine
pour devenir une langue ? Le dialecte en lui-même
étant une forme de patrimoine, cela ne justifie-t-il
pas le fait que ce soit une langue ? En définitive,
c'est un critère qui est très intéressant mais trop
subjectif pour véritablement départager une
langue d'un dialecte. L’inter-compréhension est
la clé : deux locuteurs qui parlent deux langues
différentes, mais qui se comprennent, parlent
en fait deux dialectes d'une même langue. Par
exemple, un chleuh et un kabyle peuvent se
comprendre, mais leurs langues sont différentes.
On considère donc que «tachelhit» et «thaqvaylit»
sont respectivement deux dialectes du berbère.
Le problème, c'est que si on prend les exemples
précédents, un Slovaque comprend un tchèque,
un ukrainien comprendra un russe, un danois et un
suédois se comprendront mutuellement. Mais de
quelle langue, alors, sont issus leurs dialectes ? Si on
prend la frontière germano-néerlandaise, les gens
qui habitent de chaque côté de la frontière se
comprennent sans problème, mais les néerlandais
considèreront qu'ils parlent néerlandais, et les
Allemands considéreront qu'ils parlent allemand.
Finalement, ils parlent en fait sûrement chacun
un parler qui est au moins aussi proche de l'un
et de l'autre. L’inter-compréhension est donc un
critère intéressant, mais qui n'est absolument pas
applicable dans certaines situations.
La langue a une littérature, contrairement au
dialecte, explique-t-on. Selon ce critère, un
dialecte devient donc une langue lorsqu’il a un
patrimoine. Alors, encore une fois, pourquoi pas?
Mais on part du principe que le dialecte n'a pas
de patrimoine, ce qui n'est pas vrai. Il n’y a qu’à
écouter, entre autre, le nombre incroyable de
chansons locales et poèmes populaires pour se
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
27
Tout ce qui n'est pas le standard d'un pays est un
dialecte, dit-on. Si, précédemment, on avait des
critères plus ou moins acceptables, celui-ci est
clairement le plus contestable de la liste. En effet, si
les dialectes en question ne sont pas du tout de la
même famille linguistique que la langue du standard,
on fait comment ? Sur le territoire algérien, le
standard, c'est l’arabe, et le kabyle se trouve sur le
territoire algérien. Du coup, le kabyle est un dialecte.
J'ai mieux! Dans certains quartiers d’Oran, on parle
l’espagnol. Oran se trouve en Algérie. Donc, les gens
qui parlent l’espagnol en Algérie parlent un dialecte.
Donc, vous l'aurez compris, il n'y a pas de critère
magique pour séparer la langue du dialecte. En fait,
la problématique du dialecte est une problématique
assez algérienne. Je ne dis pas du tout qu'elle n’existe
qu'en Algérie, tout ce que je veux dire, c’est qu'elle
est très importante en Algérie.
!
Pour conclure, je cite une phrase de Max Weinreich:
«A shprakhiz a dialekt mit an armey un flot». Ce qui
veut dire : une langue est un dialecte avec une armée
et une flotte. J’ajoute qu’il est vraiment grand temps
pour commencer à traiter les langues comme des
instruments de communication et que chaque patois,
dialecte ou langue régionale ait le droit d’exister.
28 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Azul
Bonjour
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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ALGÉRIE PLURIELLE
ALGÉRIE PLUS RÉELLE !
Auteure : Oumaima Louafi -Equipe Rédaction Nomad Club
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître…» Antonio Gramsci
Au moment où beaucoup se hâtent pour
apprendre de nouvelles langues, et
d’autres s’accrochent à la seule langue,
qu’ils aient connu et parlé toute leur vie,
je me retrouve à m’étonner devant mes propres
dires et à questionner ce parler que j’entends
tous les jours dans les rues de mon pays. Je me
suis souvent étonnée des aptitudes intellectuelles
que peut avoir un peuple dont le langage est
composé d’au moins trois langues, sans compter
le vocabulaire qui change d’une région à une autre
et ces accents qu’on ne se lasse pas de découvrir
et d’admirer.
Je voudrais vous faire part de l’enchantement
que porte ma quête perpétuelle d’Algérianité,
vous révéler combien une chose qui n’a rien de
physique, telle que ce besoin d’appartenance à
une terre mère, pourrait nous conditionner parfois
et, combien des mots simples du quotidien
sortant de la bouche d’une maman ou d’un voisin
véhiculent tant de sens lorsqu’on s’éloigne de
cette même terre très chère. Puis je reviendrai
à cette citation d’Antonio Gramsci qui m’a
beaucoup inspirée «Le vieux monde se meurt, le
nouveau monde tarde à apparaître…» pour vous
faire part de cette confession, je vous parlerai du
dialecte algérien, je vous dirai ce que j’en pense
personnellement, dans la langue de Molière, car
pourquoi pas !
Ce langage, je l’appellerai «Algé-rien», car il ne
ressemble à presque rien au monde, mais sonne
pourtant si sensé, si beau et surtout si pluriel ! J’ai
souvent eu beaucoup de mal à le décomposer, à
le traduire, et surtout à en chercher l’origine. Je
cédais. En réalité, j’avais décidé de l’écouter, de le
penser ou le méditer ; et j’ai pu déduire combien
la composition des mots dérivant de plusieurs
langues était belle dans sa complexité, combien
l’emprunt d’un vocabulaire à différentes sources,
donnant naissance à une seule expression,
purement algérienne, se portait très bien dans un
dialecte qui lui aussi se porte très bien jusqu’ici.
J’ai pu trancher que le passage de ce parler
algérien vers une vraie langue qui se construit,
ou qui se prépare peut-être à naître un jour, ne
serait-ce qu’une nuance, et nous en portions déjà
toute la palette.
J’aimerais vous conduire un peu plus loin dans ma
confession en vous posant une liste de questions
qui semble aussi banale qu’interminable, à
laquelle nous, algériens, serions confrontés dans
notre quotidien de profanes ou de touristes
internationaux :
Quelle langue parlez-vous ? Pourquoi votre parler
est-il mélangé d’autant d’expressions en français ?
Êtes-vous donc Arabe ? Qu’est-ce que la langue
berbère ? Mais pourquoi votre accent est-il
différent de celui de votre ami, pourtant algérien
lui aussi ? Combien de fois changeriez-vous
d’accents de l’est allant vers l’ouest et replongeant
dans le grand désert ?
Et puis il y a moi, j’ai rédigé ma propre liste de
quelques questions plus réelles qu’on devrait
peut-être se poser à la place, et si finalement on
s'approprierait ce dialecte qui est sans doute le
nôtre, « dialna » , « tahna », et si on acceptait enfin
les petites différences de « tons » et «d’accents»
qui nous différencient de tous les habitants
de la terre ? Et si ces mêmes différences, nous
unissaient ?
Serions-nous la cause principale qui empêche
notre monde d’apparaître plus tôt ? Ou faudrait-il
d’abord accepter le deuil de notre vieux monde
pour renaître tous dans un monde pluriel?
30 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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ALGÉRIE PLURIELLE
UN PETIT GRAIN DE SABLE AU MILIEU DU SAHARA
Auteure : Farah Boucherit – Equipe Rédaction Nomad Club
Photo credit : Farah Boucherit
32 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Nous avons longuement hésité avant de
faire ce voyage, mon amie et moi. Nous
voulions être loin de tout, et avons vu
en cela l’occasion parfaite : le chantier
de réhabilitation d’un Ksar traditionnel (Agham
Elqabli) au niveau de la ville de Talmine, à 100
km de Timimoun dans le cadre des ateliers du
CAPTERRE. Nous nous ruions tout droit vers
l’inconnu.
L’avion atterrit et, en moins de 2h, nous sommes
passées de la dense capitale au doux désert du
Sahara.
Une fois arrivées à destination, le calme nous
submerge, il ne nous faut que quelques minutes
pour nous adapter. Très vite, nous avons fait la
connaissance des charmantes personnes qui
allaient nous accueillir, ainsi que des gens venus
des quatre coins du pays qui allaient être à nos
côtés pendant le séjour !
Dès lors, nous sûmes que, loin des artifices que
proposent certaines agences de tourisme hors
de prix, nous allions passer une semaine riche en
authenticité.
Nos journées, nous les passions au chantier, sous
la chaleur supportable d’un mois d’Octobre qui ne
faisait que commencer, à toucher, malaxer, manier
et manipuler l’argile et le sable de nos mains, de
nos pieds et parfois de tout notre corps. Nos
empreintes se fixaient sur la chose, multipliant
notre désir d’avancer au maximum et de faire un
travail correct et digne, pour réhabiliter ce lieu
ancestral, quasiment enfoui sous le sable, qui
d’ailleurs reprend naturellement le contrôle de
l’espace.
Il faut aussi dire que nos hôtes nous ont très bien
accueillies : plats traditionnels à chaque repas, thé
amer à la mousse interminable, chants traditionnels
envoûtants ainsi que différents types de dattes,
en plus d’un toit où dormir ! Nous étions traitées
comme des reines par de parfaits inconnus, tout
ce que nous avions à faire était de travailler sur
ce chantier pour faire avancer son classement au
patrimoine national algérien.
Nous le faisions avec grand plaisir, conscientes de
l’enjeu que cela représentait pour les habitants,
notamment Chikh Kader, notre hôte, qui disait
rêver de voir l’Agham de ses grands-parents en
meilleur état. Lui, qui a tant d’histoires à raconter
sur son village, ne voulait pas le voir tomber aux
oubliettes, sous le sable.
S’il y a bien une chose que je n’oublierai pas,
c’est notre rituel quotidien. Regarder le coucher
du soleil sur le sommet d’une dune pas loin
de notre logement, nous étaler sur le sable,
essoufflées par l’ascension jusqu’au sommet, le
sable légèrement frais et humide épousant les
courbes de nos corps, nous ne faisions qu’un avec
lui, nous nous endormions même quelques fois,
calmes, apaisées, soulagées de tout problème.
Nous étions simplement heureuses à ces instants
précis.
Un soir, des hommes vêtus de leurs tenues
traditionnelles, Chach sur la tête et Kamiss d’un
blanc légèrement bleuté sont venus. Ils se sont
posés formant un cercle sur le sol et ont chanté
en notre honneur des chants traditionnels et
religieux. Il s’agissait de la troupe du « Ahl Elil »,
majestueux est le mot qui les décrirait le mieux.
Au-delà de nos différences culturelles, je ne
pouvais m’empêcher de remarquer nos similitudes,
celles qui nous unissaient. La langue que nous
parlions, les plats que nous mangions, et même
nos habitudes se ressemblaient en quelque sorte.
Nous appartenons bel et bien à la même patrie,
riche en variantes dues à l’immensité de notre
pays.
Ce voyage a été pour moi un petit moment de
paix dans une année tumultueuse. Le partage et
l’échange culturel étaient au rendez-vous grâce
à ces âmes formidables, tellement chaleureuses
et accueillantes. Leurs sourires brillaient bien plus
que le soleil éclatant du désert, comme disait
Chikh Kader :
. » بالدنا واسعة و قلوبنا واسعة كرث «
Je ne pouvais que confirmer cette phrase qui ne
quitte plus mon esprit depuis. Je vous avouerai
que quelques larmes ont quitté mon corps en
rentrant chez moi. Au sommet de la dune de
Talmine, je me sentais comme un petit grain de
sable au milieu du Sahara.
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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ALGÉRIE PLURIELLE
LE CINÉMA ALGÉRIEN : UN ROMAN AUX MULTIPLES VISAGES
Auteure : Menel Zeggar
En étudiant le septième art allemand de l’entre-deux-guerres, le sociologue Siegfried Kracauer a affirmé
que le cinéma a le pouvoir d’être le reflet de la « mentalité d’une nation ». En effet, l’aboutissement
d’un film n’est que rarement coupé de son contexte et de son époque. Depuis l’indépendance, le
cinéma algérien puise sa source dans la représentation de sa société. À sa naissance, il ambitionne
d’être l’illustration d’un roman national. Mais est-il pour autant un récit homogène, montrant un seul type
de représentation ? Peut-il y avoir plusieurs visions de l’histoire de l’Algérie contemporaine ? Peuton
dire que le cinéma algérien prouve une diversité sociale et culturelle ? C’est à travers une courte
rétrospective sur le septième art que nous allons tenter de souligner cette pluralité esthétique.
Le cinéma algérien est né avec la conquête
de l’indépendance. Nous pouvons même
dire qu’il a émergé dans la lutte contre le
colonialisme français, en introduisant les
caméras dans les maquis. En effet, pour contrer la
propagande colonialiste, le septième art a été un
instrument redoutable dans la guerre des images.
Dès 1957, les organisations indépendantistes
structurent un cinéma de la décolonisation
algérienne en créant des services et des comités
pour la réalisation et la conservation des images.
Au lendemain de l’indépendance, en respectant
une logique historique, on a contribué à raconter
la guerre de libération dans le prisme du cinéma.
En souhaitant représenter le soulèvement d’un
« peuple algérien uni », les cinéastes ont pu créer
la première phase du septième art algérien : le
cinéma de guerre. Cette époque englobe une
page importante, jusqu’à l’obtention de la Palme
d’Or cannoise pour Chroniques des années de
braise de Mohammed Lakhdar-Hamina en 1975,
retraçant la période précédant le déclenchement
de la Révolution en 1954.
Malgré la volonté d’illustrer un peuple uni, voire
dans une homogénéité sociale et culturelle, la
ferveur révolutionnaire n’a pas montré qu’une seule
vision de la guerre de libération : avec Le vent des
Aurès (1966), Mohammed Lakhdar-Hamina met
en scène une Algérie rurale, symbolisée par une
mère à la recherche de son fils, affrontant seule
les armées françaises. Dans la même année, avec
une coproduction italienne, La bataille d’Alger de
Gillo Pontecorvo (1966) nous fait plonger dans une
guerre plus urbaine, où l’action se déroule dans
les rues de la capitale. Les personnages féminins
et masculins, généralement jeunes, amèneront
au soulèvement de la population algéroise en
décembre 1960. Mené par un réalisateur italien
proche des mouvements anti-impérialistes, La
bataille d’Alger est aussi un récit international
anticolonialiste, primé d’un Lion d’Or à la Mostra
de Venise en 1966.
Affiche du film Chronique des années de braise
34 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Alors que le cinéma dit « jadid » a fait émerger des
films illustrant les bouleversements de la société
post-indépendante (en 1973, Le charbonnier de
Mohamed Bouamari aborde les changements
des zones rurales par l’industrie et la révolution
agraire), les jeunes cinéastes des années 1970
construisent des personnages aux profils divers :
en 1976, Merzak Allouache réalise Omar Gatlato,
le portrait d’un jeune algérois féru de châabi
et de films indiens. En suivant son quotidien, on
découvre des personnalités différentes, loin d’un
imaginaire d’Algérois semblables à tant d’autres :
le bureaucrate, le débrouillard gérant d’un marché
noir, les femmes d’intérieur et la syndicaliste
soucieuse de la justice sociale. La société algéroise
des années 1970 est composée de personnalités
singulières, en fonction de leur parcours de vie et
de leur référence socio-culturelle.
Merzak Allouache aimera de nouveau confronter
les différents profils des Algérois dans un autre
contexte, dans Bab el Oued City (1994). Islamistes,
marxistes, mais aussi précaires, salariés et petits
trafiquants défendent leur territoire et leur vision
de Bab el Oued. Ils se côtoient au quotidien en
grinçant des dents. C’est le temps de la méfiance et
de l’affrontement. Dans un style plus humoristique,
rassembler une mosaïque de personnages issus
de la société algérienne a également été établi
par Benamar Bakhti dans Le clandestin (1989).
Plus optimiste que le dénouement de Bab el
Oued City, cette comédie fait cohabiter des
personnages parfois opposés selon leur origine
géographique ou sociale en leur faisant vivre
une aventure commune, tout en respectant leurs
singularités, à l’exception du «baratineur».
Les années de plomb n’ont pas épargné le monde
du cinéma, mais cette fragmentation a donné
des miracles, comme des instincts de survie
artistiques. On assiste à la naissance d’un art
fondamental dans le paysage cinématographique:
en 1990, Chérif Aggoune, récemment disparu
d’une crise cardiaque à l’âge de 68 ans, réalise le
court-métrage Taggara lejnun, première œuvre
entièrement en langue berbère. Durant cette
décennie sanglante, le cinéma berbère entre
dans le panthéon du septième art algérien, par La
montagne de Baya de Azzedine Meddour (1997),
par exemple, laquelle fut tournée entièrement en
kabyle.
Les années 2010 ont pu faire émerger une nouvelle
ère du septième art algérien, avec un autre style
de représentation, tout autant, voire davantage
soucieuse de la représentation plurielle.
© Les Films de la Passion
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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En 2017, le premier long-métrage de Karim
Moussaoui, En attendant les hirondelles, reprend
le schéma d’un film choral, rassemblant trois
intrigues principales. Les péripéties présentent
des tranches de vie humaine et permettent de
changer d’univers et de la vision que l’on se fait
du monde. L’exploration, commençant à Alger et
finissant par les Aurès, n’offre pas seulement une
variété géographique et culturelle. La diversité
y est également sociale, entre la famille aisée
algéroise, les cercles urbains conservateurs,
la paysannerie berbère…etc. En caressant ces
quotidiens, le point de vue reste sans jugement,
affectueux, respectueux de leur choix. Les
différents univers des personnages sont distincts
mais connectés entre eux, sans fracture.
Parmi les films produits ces dernières années,
nous pouvons également retenir l'une des
premières représentations d’un jeune Algérien
des années 2010 : dans le court-métrage Demain,
Alger ? d’Amine Sidi-Boumediene (2011), un jeune
étudiant prépare son départ avant d’aller étudier
en France. Dans sa chambre, la caméra montre
ses références : sous la musique de Jimi Hendrix
« Once I had a woman », on aperçoit différentes
affiches de films comme Blade Runner de Ridley
Scott et Le retour du Jedi de Richard Marquand.
Un portrait de Bob Marley côtoie celui de
Che Guevara, tout en ayant disposé un couvrelit
berbère. Sans quitter le contexte algérien, ce
jeune citadin, connecté au monde, s’approprie
des références internationales pour les introduire
dans son univers qui lui est propre et individuel.
À sa naissance, le cinéma algérien a peut-être eu
l’ambition de faire vivre une expérience collective
et nationale à tous les citoyens, comme un roman
national commun. Mais il s’est rapidement retrouvé
confronté à la complexité de sa population et à
son évolution sociale et culturelle. Aujourd’hui,
il nous est difficile de dessiner un portrait
social complet dans le prisme d’un film. Cinéma
de guerre, naturaliste, expérimental, en derja,
français ou berbère, les représentations sont
devenues de plus en plus complexes, individuelles
et singulières. Représenter quarante millions
d’habitants, en souhaitant raconter une histoire
nationale collective, semble être une ambition
irréalisable. Néanmoins, l’inspiration sociale n’a pas
quitté l’esprit des cinéastes, produisant ensuite un
résultat particulier. Il est donc impossible pour un
film d’être le porte-parole artistique et esthétique
d’une société ou de son histoire. Il n’en est que le
témoin singulier d’un individu appartenant de près
ou de loin à un groupe social.
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ALGÉRIE PLURIELLE
DZAIR RIHLA FI ZMAN
Auteure : Soumia Acherouf
Le 17 janvier 2020 a eu lieu le spectacle
vivant tant attendu, à l’Opéra d’Alger
BOUALEM BESSAIH, «Dzair Rihla fi Zman»,
un spectacle portant bien son nom, qui
a fait voyager les 1500 spectateurs présents en
retraçant l’histoire du pays. De l’Algérie andalouse
à l’indépendance, à travers une narration
poétique, la projection d’un reportage, et un
accompagnement musical et théâtral.
Le spectacle débuta par un mot du président
du Club d’Activités Polyvalentes (CAP) de l’Ecole
Nationale Polytechnique d’Alger, club organisateur
qui fête ses 10 ans d’existence en ce mois de janvier,
créé par l’initiative de trois élèves ingénieurs
de cette même école pour la nettoyer. Le CAP
compte en son sein aujourd’hui plus de 1000
membres, dont 300 membres actifs, organisant
chaque année plusieurs évènements tels que Clean
Day, Inter-spécialité, Célébra Science et Charity
Festival, qui sont devenus des évènements phares
du club, ainsi que Stock Market Simulation qui est
la première simulation boursière en Afrique réalisé
grâce à un programme conçu intégralement par
l’un des membres du club, ou encore Wikistage
Algiers qui est une série de talks autour d’une
même thématique. Ce dernier détient le record
mondial du nombre de participants. Ayant pour
but d’animer la vie estudiantine des élèves de
l’ENP, en plus de ces événements, le CAP contient
également trois sections : la section caritative, la
section scientifique et la section culturelle.
Le spectacle a rendu hommage, par une minute
de silence au commencement, à un membre
du club emporté par la maladie, ainsi que par
une cagnotte alimentée généreusement par le
public présent, qui sera reversée pour une cause
caritative aillant pour but de venir en aide aux
cancéreux.
Plus de deux heures d’enchaînement harmonieux
entre narration de l’histoire, de la tombée
de Grenade à l’exécution de Salah Bey, puis
de l’envahissement de l’Algérie en 1830 aux
évènements du 8 mai 45, le tout, accompagné par
les réponses musicales d’un orchestre composé
intégralement de jeunes étudiants issus de
plusieurs facultés, qui ont interprété des chefsd’œuvre
de la musique andalouse et algérienne
tels que « Kom Tara », « Ya Asafi », « Galou Laarab
Galou », « Hayou Echamel », et « A yemma Azizen
Our sru». Le spectacle contenait également une
pièce théâtrale illustrant la bataille d’Exmouth
avec une mise en scène et une performance
spectaculaires de la part de jeunes acteurs et un
reportage résumant les révolutions populaires
de l’Emir Abdelkader, Lella Fatma Nsoumer et
Boubeghla.
Sous les applaudissements chaleureux d’une salle
archi-comble et, ce, même à la fin du spectacle,
émue et bluffée par ce concept inédit en
Algérie, œuvre de jeunes étudiants talentueux
et ambitieux essayant de renouer les liens avec
leur passé et de réconcilier l’Algérien avec son
histoire.
Photos Club CAP
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Photos Club CAP
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ALGÉRIE PLURIELLE
YENNAYER : LE NOUVEL AN BERBÈRE
Auteure : Louiza Tilleli Seker - Club ALUMNI HEC Alger
Notre beau pays jouit d’une culture riche
et variée, une culture qu’il est crucial de
mettre en avant, car elle symbolise notre
identité et notre vécu. Les nombreuses
fêtes célébrées à travers tout le pays, sont partie
prenante de cette culture.
Parmi ces fêtes, on retrouve celle du nouvel an
berbère, à savoir “Yennayer”, dont l’appellation
varie d’une région algérienne à une autre, prenant
parfois le nom de Yennar, Nnayer, Yiounyir,
Yiwenir, Yennayer…etc. Toutes ces appellations
désignent le premier mois du calendrier agraire
créé et utilisé par les amazighs afin de régler leurs
travaux agricoles saisonniers, l’agriculture étant
au cœur de leur vie quotidienne. Contrairement
au calendrier grégorien utilisé aujourd’hui qui est
solaire, le calendrier agraire amazigh est lunaire.
Cela signifie que ce calendrier recense les jours au
rythme des phases de la lune qui sont au nombre
de quatre : nouvelle lune, premier quartier, pleine
lune et dernier quartier. Le premier jour de l’an
amazigh "aqerru useggas" coïncide avec le 12
janvier du calendrier grégorien, cette journée
représente pour tous les amazighs du monde
une fête familiale de grande envergure.
Le point de départ de ce calendrier agraire
rappelle un évènement politique dont l’impact
fut énorme pour les amazighs, à savoir de
l’intronisation du Roi Sheshnoq en tant que
Pharaon d’Égypte en l’an 950 avant Jesus
Christ. Le roi Shechnoq, descendant d’un chef
libyen (berbère) qui a établi sa domination sur
Hiérakléopolis, en Moyenne-Égypte vers 1180 av.
J.-C, avait détrôné à Siwa en Égypte le pharaon
Psousennès (Ramsès 2). En marquant cette
victoire, le roi Sheshnoq a conquis l’Égypte où il
fonda sa capitale à Tanis ville du delta du Nil dont
le nom est actuellement San El Hajjar.
Yennayer prend place lors d’une saison où les
provisions en nourriture pour l’hiver viennent à
se terminer, c’est-à-dire la période de fin des
labours, c’est pourquoi il est donc important
de faire le plein de forces spirituelles à l’aide
de nombreux rites pratiqués durant le début
de l’année. Yennayer est célébrée dans cette
même optique, il s’agit d’un ensemble de rites
censés conjurer le sort de la misère, «Tamara»
en tamazight, faisant de cette fête un présage
de paix et d’abondance. Durant cette période,
les familles procèdent au grand nettoyage de
leur maison pour que l’année à venir soit plus
fructueuse et la terre plus fertile. Yennayer
symbolise l’harmonie qui existe entre l’homme
et la nature, puisque dans la foulée de la fête, les
hommes prospectent leurs terres, soucieux de
l’avenir qui leur est réservé. Plusieurs jours avant
la fête, femmes et enfants vont cueillir dans la
forêt des plantes et des herbes, et les hommes
apprennent aux plus jeunes comment chasser et
manier les armes.
Les amazighs sont composés de plusieurs
tribus dispersées dans plusieurs régions, tous,
fêtent le nouvel an berbère dans une ambiance
chaleureuse, empreinte de partage et de joie
profonde. Dans la région kabyle, Yennayer est
une sorte de porte qui s’ouvre sur le nouvel an et
qui est appelée « tabburt n useggas ».
Chaque région célèbre cette fête à sa manière,
mais certaines choses restent inchangées :
Yennayer est pour tous l’occasion de réunir tous
les membres de la famille autour d’un repas qui
se doit d’être copieux, pour augurer une année
abondante. Durant ce repas, même les absents
ont droit à leurs couverts disposés sur la table
de façon à réunir toutes les forces de la famille.
Les amazighs ont également pour habitude de
sacrifier une volaille comme offrande, toujours
dans le but de bien commencer l’année. Le repas
préparé est appelé « Imensi n yennayer », il s’agit
du couscous de blé (élément incontournable
de la cuisine berbère) avec une sauce appelée
«aseqqi», dans laquelle l’on mélange sept variétés
de plantes vertes, qui changent d’une région
à une autre (pois cassés, fèves concassées,
lentilles, pois chiches, haricots...), sans oublier
la viande de la volaille sacrifiée. D’autres mets
sont servis pendant yennayer, et ils différent
d’une région à une autre tels que : Tagalla (pain),
tighrifin (crêpes), uftiyen (une soupe à base de
pois chiches, de fèves et de pois cassés) et
pleins d’autres.
40 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Étant donné que le premier jour de yennayer
marque la fin des labours, tous les aliments utilisés
proviennent de cette période. Les desserts servis
sont les fruits secs issus de la récolte passée. Dans
un esprit de générosité, la maîtresse des lieux
n’oublie pas non plus les proches et les voisins
ainsi que toute personne venue quémander de
quoi manger.
Yennayer s’articule autour de multiples rituels et
de mythes. Au début de chaque nouvelle année,
les femmes se doivent de répéter cet adage
(Ad fen iberkanene, Adkecmen Imellalen) afin
d’éloigner les mauvais esprits et commencer
l’année sur de bons augures. Dans cette même
optique, il est interdit de prononcer les mots
«famine» ou «misère».
Selon les régions, on retrouve différentes
pratiques, à Beni Snous par exemple un carnaval
appelé « Ayred » (lion en tamazight) est organisé.
Lors de cet événement, les jeunes portent des
costumes, des masques d’animaux et défilent
dans les rues au rythme de chants et de youyous
pour réclamer des friandises, les vivres récoltés
sont ensuite reversés aux pauvres et démunis.
Aussi, à Médéa, les nouveaux nés sont mis dans
une coupelle (djefna) et recouverts de délices :
fruits, gâteaux et sucreries.
À l’approche de Yennayer, les chefs de famille
pratiquent ce que l’on appelle « Tisewiqt n’Imensi
n yennayer » (le petit marché). À l’occasion de la
nouvelle année qui se présente, il est recommandé
de s’acquitter de ses dettes, renouveler les
contrats de travail ainsi que les transactions, et de
clôturer l’inventaire de l’année ainsi que l’évaluation
des échanges. On associe aussi à Yennayer à
d’autres événements tels que la première coupe
de cheveux des nouveaux nés, promesse d’une
belle et abondante chevelure, ainsi que l’initiation
des enfants aux rites agricoles.
Beaucoup de légendes gravitent autour de
Yennayer, comme l’histoire de la vieille femme
qui, durant un jour de soleil, a cru que l’hiver était
passé. Elle s’est alors moquée de Yennayer qui
s’est fâché et est allé emprunter un jour à Furar
(le mois de février)… Par vengeance, il déclencha
un orage qui emporta la vieille. Également, dans
plusieurs régions d’Algérie subsiste la légende
de la vieille d’Ennayer, cette dernière viendrait
vérifier que les ventres des enfants sont bien
remplis suite au repas copieux de Yennayer, et si
ce n’était pas le cas elle remplirait leur ventre de
paille pour les punir. Aussi, on raconte qu’un jour,
une femme aurait éconduit une mendiante devant
sa porte et elle passa l’année d’après, maigre et
affamée, il se dit que cette mendiante était en fait
la vieille d’Ennayer elle-même venue inspecter
le comportement de la femme. Superstitions
farfelues pour certains et hérésie païenne pour
d’autres, les coutumes liées à Yennayer sont
néanmoins réitérées chaque année par toute la
communauté berbère.
Malgré les différentes appellations, et la divergence
des formes de célébrations, le symbole que porte
Yennayer en son sein reste le même : peu importe
l’endroit où il est célébré, il est synonyme de santé,
joie, prospérité et d’abondance. C’est un présage
de renouveau et un passage vers une nouvelle
année pleine de bons augures. Il a pour but de
chasser les maux et souffrances ayant marqué
l’année passée pour mieux accueillir l’année à
venir. À travers les rites et les coutumes divers,
Yennayer est censé rassurer les agriculteurs et
conjurer le sort de la misère en priant le ciel d’être
favorable. Cette célébration fait partie de notre
histoire et de notre patrimoine culturel, elle est
l’une des pierres angulaires de l’identité berbère.
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42 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
ALGÉRIE PLURIELLE
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ALGÉRIE PLURIELLE
AL-ĀALA, L’INSTRUMENT MUSICAL COMME TÉMOIN DE LA
DIVERSITÉ CULTURELLE EN ALGÉRIE
Auteur : Salim Dada Compositeur, musicien, chef d’orchestre et chercheur musicologue
Al-āla al-mûssîqiyya
Dans les musiques arabes, le mot āla (plur. ālât)
signifie l’instrument qu’utilise l’homme pour
créer des airs, percuter des rythmes ou jouer
simultanément plusieurs sons, dans le but de
composer des mélodies ou d’accompagner un
chant ou d’imiter la voix humaine ou de dialoguer
avec elle. La musique strictement instrumentale
est dite mûsîqâ āliyya ou ālâtiyya et le musicien
instrumentiste, celui qui maitrise un instrument de
musique, est dit ālâtî.
Dans le contexte culturel maghrébin et à l’instar
des musiques Gharnâṭî de Tlemcen, Çan‘a d’Alger
et Mâlûf de Constantine, Tunisie et Lybie, la Āla,
est le qualificatif vernaculaire utilisé au Maroc pour
désigner la musique arabo-andalouse nationale (alāla,
l’instrumentale), ainsi, pour la différencier des
autres musiques strictement vocales et souvent
religieuses. En Algérie, l’usage du mot āla et ālâtî/
ālâtiyya dans le parlé dialectal remonte à très loin.
On y trouve, dès le XVIe siècle, diverses citations
dans la poésie dialectale (malḥûn) et les chants du
ḥawzî. Les instruments les plus évoqués dans ces
textes sont les : ‘ûd, rbêb, kwîṭra, ṭâr, etc.
Du point de vue organologique, on distingue
trois grands groupes d’instruments de musiques
traditionnellement connus en Algérie : les
cordophones, instruments à cordes frottées
(imzâd, rbâb, kamândja) ou pincées (kwîtra,
gumbrî, gnîbrî, qânûn, mandole), les aérophones
qui produisent le son par l’émission de l’air, les
instruments à bec (gaçba, djewwâq, fhel, tâmdja,
tazemmart, …) et les instruments à anche double
(ghâyṭa, zorna, shekwa, mezwed), ainsi que la riche
famille des percussions, avec les membranophones
qui utilisent de la peau d’animal (bendîr, shekshêk,
deff, ṭbal, darbûka, aqellâl, guellâl, dandûn, ṭbeylât,
tindî, …) et les idiophones fabriqués par d’autres
matériaux durs (qarqâbû, çonûdj, hajra, …) .
Les instruments européens ou orientaux sont
rentrés en Algérie à partir du XXe siècle,
c’est le cas des : mandoline, guitare, ‘ûd, banjo,
alto, violoncelle, contrebasse, nêy, saxophone,
flûte irlandaise, trompette, piano, accordéon,
synthétiseur, etc.
L’ensemble instrumental, lui aussi, peut avoir des
noms divers d’un genre musical à un autre. Qu’on
l’appelle jawq ou firqa en référence à la formation
musicale, zorna ou hadwa ou idhebbâlen en
rapport avec les pratiques des musiciens, ‘ayssâwa
ou dîwân ou gnâwî ou firqat inshâd selon le cadre
rituel, confrérique ou poétique, rbâ‘a ou groupe
ou orchestre comme dans la musique de nawba
et du sha‘bi, … l’instrumentarium propre à chaque
genre musical comporte, non seulement des
instruments particuliers dotés d’une esthétique
musicale spécifique, mais renvoie aussi, de par son
évolution et sa symbolique, à l’histoire de la société
et aux échanges culturels et politiques du pays,
ainsi, qu’aux appropriations et aux acculturations
qu’ont subi ces genres, et de ce fait, à l’évolution
même de la musique traditionnelle à travers les
différentes périodes et situations.
Joueur de Gumbrî, carte postale, Éd. Andréo, début 1900
44 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
André BROUILLET, L’exorcisme. Musiciens arabes chassant les djinns du corps d'un enfant, 1884
(Les instruments de gauche à droite : darbûka, târ, kwîtra, qânûn, djewwâq.)
Historiographier nos instruments
Du point de vue de l’histoire, il serait presque
impossible de révéler avec exactitude l’origine
des instruments d’Algérie, pourtant, il n’est pas
vain d’imaginer leurs parcours et d’oser de dater
leurs arrivées ou leur création. André Shaeffner,
dans son ouvrage Origine des instruments de
musique, dit que «l’étude entière des instruments
ou l’organologie offre un champ de comparaison
trop réduit pour que la question d’une origine
quelconque puisse être abordée avec sureté»,
et il rajoute que « les aires de diffusion des
instruments primitifs dans l’espace et dans le
temps est très vaste ». Dans le cas de l’Algérie, son
aire géographique, située au milieu du Maghreb
et entre la Méditerranée et le Sahel africain, sa
grande histoire faite de conquêtes militaires,
d'accessions politiques et d’appropriations
culturelles (amazighe, phénicienne, romaine, arabe,
andalouse, espagnole, turque, française), ont fait
que les instruments de musique traditionnels
algériens disposent tous, pour ainsi dire, d’une
généalogie transnationale et transhistorique.
Pour autant, l’usage de ses instruments, leurs
fabrications et leurs techniques de jeu leur
donnent un quelque chose qui reste typiquement
algérien.
Peut-on déterminer alors une nomenclature
originelle de l’orchestre de la nawba ou celui
des musiques de ṭbel, du tindî ou celle du
diwân ? Peut-on historiser l’évolution de cette
nomenclature et spécifier les éléments africains
de ceux maghrébins, méditerranéens ou orientaux
qu’elle inclut ? Qu’apportent la littérature et
l’iconographie coloniale à propos des instruments
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
traditionnels d’Algérie et des musiciens dits
indigènes, maures, arabes, kabyles, africains ?
Et que dit l’ethnographie coloniale et comment
cela a été traduit dans la création artistique et
littéraire de l’époque ? Quelle dialogie peuton
concevoir entre l’appropriation ou l’invention
instrumentale avec l’esthétique musicale ? et dans
quel sens dynamique se concrétise cette relation:
expérimentation ou besoin ou tout simplement
casuelle ?
À l’exemple de la plupart des instruments anciens,
il faut faire appel à l’historiographie musicale
et l’iconographie musicale afin de retracer et
de reconstituer une histoire relative de nos
instruments de musique. Malheureusement, notre
historiographie organologique ne date que de
la fin du XVIIIe siècle, et ce, grâce au lègue des
voyageurs, peintres, musiciens, compositeurs
et ethnologues étrangers qui sont passés par
l’Algérie et se sont retrouvés, à la fois, émerveillés
et interloqués devant ses chants et ses musiques
qui résonnaient très exotiques pour l’oreille
occidentale de l’époque.
Un croquis, une gravure, une note de voyage,
un récit d’expérience musicale, un cliché, une
carte postale « scènes et types », une peinture
orientaliste, une lettre, un coupon de presse ou
une étude ethnomusicologique, tous ces travaux,
sont d’une valeur précieuse et comportent,
aujourd’hui, une source essentielle pour une
historiographie ethnographique et organologique
de nos instruments et de nos musiques d’avant
l’air de l’enregistrement sonore et la vidéo.
45
Conservation, fabrication et acculturation
L’état de conservation de nos instruments
de musique traditionnels dépend des styles
musicaux et des régions dont ces instruments
sont utilisés. Or, la politique culturelle, quand elle
y est, peut mettre en œuvre de réels dispositifs
de conservation. C’est le cas de l’imzâd dont le
savoir-faire de sa fabrication et de sa pratique
musicale sont désormais à l’abri, grâce à l’activité
de terrain qu’a réalisé l’association «Sauver l’imzad»
et au travail scientifique du CNRPAH qui a abouti à
son classement en 2013 à la Liste représentative
du patrimoine culturel immatériel de l’humanité
de l’UNESCO sur une candidature tri-nationale :
Algérie, Mali et Niger.
Il est évident que la lutherie s’apparente à
l’artisanat de par le métier manuel et la maîtrise
du maniement des différents matériaux utilisés
(bois, fer, peau, métal, etc.), mais, elle nécessite
aussi des connaissances musicales, des notions
d’acoustique et un vrai sens du plasticisme et du
beau. Comme l’avait déjà noté El-Boudali Safir «En
Algérie, il y a plusieurs musiques ; chacune d’entre
elle, d’ailleurs, correspondant plus au moins à un
visage particulier du pays, à un trait personnel
de l’âme de ses habitants». La conservation d’un
instrumentarium originel participe alors, non
seulement à la préservation du répertoire propres
aux musiques traditionnelles, mais également, à
l’esthétique et à l’identité de l’art et de la culture
algériens.
La fabrication des instruments traditionnels est plus
ou moins conservée en Algérie, elle consiste à un
savoir-faire ancestral en la matière. Cette lutherie,
à l’ancienne, reste néanmoins de transmission orale
et son mode d’apprentissage est le plus souvent
mimétique et/ou autodidaxique. Cet héritage
- menacé aujourd’hui par l’effet d’importation
massive d’instruments étrangers, par la disparition
des vieux maîtres-luthiers et par l’absence d’un
enseignement institutionnelle régulier de ce
métier - nécessite plus que n’importe quel autre
moment, la renaissance et l’encouragement d’un
artisanat dont l’existence est vitale pour la vie
et le métier des musiciens des genres musicaux
traditionnels.
Les transformations et les acculturations font
également partie de l’évolution naturelle des
choses, et l’art et la culture n’y échappent pas
à cette loi. Si notre instrumentarium a subi tant
de changements au dernier siècle, c’est qu’il y
a eu une volonté, consciente ou spontanée, de
l’adapter aux désirs de la société algérienne, de
répondre à ses aspirations artistiques et culturelles
constamment renouvelées. Alors on répondra par
« oui » à ces aspirations, mais ne partons pas vite
en besogne sans être munis, non de l’appétence
fougue du paraître et des effets de modes, mais
du bon goût esthétique, de l’intelligence de l’art
et de la conscience de la science. Car en effet,
si nos instruments traditionnels et locaux sont le
conservateur légitime et authentique de notre
corpus musical traditionnel, ils sont également,
et tout simplement, le récit concret et encore
frétillant de notre mémoire culturelle commune.
46 Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
Troupe féminine tenant un rbêb, kwîtra, târ et plusieurs
shekshêk, in Victor-Charles MAHILLON, Catalogue
descriptif et analytique du Musée Instrumental du
Conservatoire Royal de Musique de Bruxelles, 1893
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ALGÉRIE PLURIELLE
MAHFOUD TOUAHRI DRAMATIC ART ASSOCIATION
OF MILIANA
Author : Sara Taib
“if you are born with the ability to change someone’s perspective or emotions, never waste that gift, it
is one of the most powerful gifts god can give, the ability to influence” SHANNON L.ALDER
opened doors for all kinds of theoretical
production, dramatic art, adults and kids’ theater,
experimental theater, absurd theater, comic
theater, chorography, educational theater. With a
high level of creativity, this association was able
to build strong connections between the actors
and the audience, talking about historical, social
or even political subjects, to encourage people
to express themselves and tell their stories, and
to allow actors to spread awareness through their
performances. Some of the famous performances
of the association are:
The « MAHFOUD TOUAHRI dramatic art »
association was founded by a groupe of
young men, among them are Mohamed
cherchel, Takhrist Reda, Sid Ahmed Kara
Ahcen, Slimane Nedjari. It was November 1st 1990,
a historical date for both Algeria and Miliana. It
coincides with the celebration of the 1st day of
the Algerian revolution and the memory of a
huge fire that took place in Zeccar Mountains.
In that same day the municipal theater of Miliana
organized a performance about racism, that has
been interrupted by the fire, everyone went
firefighting including the actors, MAHFOUD
TOUAHRI was one of them.
Theater is a fine art. It is a combination of Music,
dance and performances, that allows to improve
life skills and to express emotions and feelings. It
is a platform for people to express their ideas and
tell stories from their daily lives. This association
• House of Fire (1 St national performance that
tackled the Black decade of Algeria) - 1993
• Roots, adapted from an old roman
performance.
• A Midsummer Night's Dream by William
Shakespeare - 1996
• Si mokhridj, adapted from last dance of the
artist Nour Eddine Elhachemi - 2015
This association participated in both national and
international performances:
• Amateur Theater in Mostaganem (all editions).
• Cartage Festival.
• Venezuela Festival.
• Egypt Festival.
The association also performed in many
international, well known, performances but with
an Algerian touch. It also provides a professional
training in acting, technical adding (Scenery,
lighting, costuming…) and writing for both adults
and kids.
For the members of this association, theater is a
nation itself. It tackles all kind of subjects on stage,
using different situations, different characters and
different perspectives to teach a lesson at the end
of the story. It is a way to point out the attitude
and the mindset of the Algerian society. It is a
tool to educate people, a source of intellectual
learning, inspiration and a reflection on our lives.
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Page facebook : Association Mahfoud Touahri
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Ineffable Magazine I N°11 I ISSN : 2602-6562
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