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INTimes n°11 - Mars

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CAMPUS

Angle-mort

L’appartement à toujours été abandonné, donc les flics et les riverains alentours ont fini par s’habituer à la

présence du couple ici. A vrai dire, ils ne posaient jamais vraiment problème. Les toxicomanes, c’est

dégueulasse, certes, mais les gens ne se plaignent que quand ils s’affichent dans la rue ou quand ils fouillent les

poubelles. Si les choses sont cachées, ou si elles se cachent elles-mêmes comme l’ont fait Billy et Jessy, alors les

gens ignorent sans aucun état d’âme le problème. Il n’y a que la laideur et le dégout qui ne puissent vraiment

faire bouger le citoyen…

Le téléphone de Billy sonne soudainement.

« Ouais ? … ah merde sérieux ? … ok ça va tant mieux porte toi bien ! » biiip Billy n’avait pas l’air inquiété.

« C’était qui ? »

« Oh rien c’était Jojo, il vient de se faire contrôler par les flics mais tranquille ils ont juste pris ses pipes… »

« Hein ? » Jessy était légèrement penchée en avant vers lui. « Oh non merde c’est pas possible ! » De sa pose de

statue grec elle était maintenant devenue une poupée désarticulée, paniquée. Elle se met à fermer

frénétiquement les bouquins sur la table.

« Ben qu’est-ce t’as bébé, c’est bon on ira en acheter d’autres, ça coute rien une pipe… »

« Mais putain tu comprends rien ! Si les flics arrivent et qu’ils voient tout ça – elle montrait avec ses bras

l’ensemble de la pièce décorée par les plans et tout le bazar sur la table– ils vont savoir ce qu’on va faire et on va

partir en tôle ! »

« Woa c’est vrai t’as raison, sur le bon dieu qu’ jsuis con ! »

« oui oui aller aide moi à tout cacher »

Ils prenaient les piles immenses de papiers et de photos, les énormes cartes composées de feuilles

d’imprimerie collés avec du scotch, et jetait tout par terre. Billy se mis à déchirer les livres d’arts.

« Voilà continue chéri, au moins ils penseront qu’on est juste crades » lui disait Jessy presque encourageante.

« Et pour la carte peinte sur le mur ? »

« Ohh c’est vrai merde j’en a vraiment besoin… »

Jessy avait les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle qui avait l’impression que sa misérable vie de cafard était

sur le point de changer, qu’elle avait enfin un travail sérieux (voler le tableau…), et que tout ça était sur le point

de partir en fumée. A cause d’un simple contrôle de police ! C’était des larmes de honte qui lui montaient, mais

aussi des larmes de frustration. Un contrôle de police banal et sans intérêt… Elle avait travaillé si dur sur son

plan, elle avait réfléchi si longtemps… Pendant les trois jours qu’elle avait passé à peindre à la bombe ce tableau,

elle n’avait pas fumé une seule fois. Sans le savoir, elle sentait qu’au fond d’elle dormait son enfance, sa liberté,

c’est à dire la fin de la dépendance à cette drogue de merde. Ce plan, c’était celui d’une infraction mais aussi, de

manière plus symbolique pour elle, d’une évasion. Cet ensemble de carrés noirs et jaunes mal tracés était sa

porte de sortie, sa lumière au bout du tunnel qui mène au paradis. Elle ne pouvait pas juste le raturer. Elle n’en

avait pas besoin pour le casse vu que la photo est sur son téléphone, elle en avait besoin pour survivre…Billy vit

d’instinct le tracas sur le visage de Jessy.

6

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