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80ÈME ANNIVERSAIRE DE L’INSURRECTION DU GHETTO DE VARSOVIE

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Le Galilée<br />

Le Galilée<br />

Et pourtant il tourne...<br />

NUMÉRO <strong>ANNIVERSAIRE</strong> :<br />

Et pourtant il<br />

tourne....<br />

<strong>GHETTO</strong> <strong>DE</strong> <strong>VARSOVIE</strong><br />

N°80 - AVRIL 2023 -<br />

1.15€


EDITO<br />

<strong>80ÈME</strong> <strong>ANNIVERSAIRE</strong><br />

<strong>DE</strong> <strong>L’INSURRECTION</strong> <strong>DU</strong> <strong>GHETTO</strong> <strong>DE</strong> <strong>VARSOVIE</strong><br />

I<br />

l y a 80 ans, le 19 avril 1943, une poignée de<br />

juifs du ghetto de Varsovie entamait une révolte contre<br />

les nazis. Seules quelques dizaines de personnes ont<br />

survécu.<br />

Nous avons voulu commémorer cette lutte en<br />

redonnant de la visibilité à cet événement exceptionnel<br />

qui bouscule les idées reçues, les clichés de Juifs<br />

passifs se rendant à l’abattoir sans réagir ! Elles sont<br />

nombreuses ces révoltes, individuelles ou collectives,<br />

elles montrent la volonté de survivre d’un peuple qu’on<br />

assassine dans la quasi indifférence du monde.<br />

Déportation des juifs arrêtés durant l’insurrection du<br />

ghetto de Varsovie (4 mai 1943)<br />

<strong>L’INSURRECTION</strong><br />

(19 AVRIL – 16 MAI 1943)<br />

Celle-ci commence le 19 avril 1943, quand les<br />

Allemands décident de liquider le ghetto. La date n’est<br />

pas prise au hasard, elle correspond cyniquement au<br />

premier jour de Pessah, la Pâques Juive, qui<br />

commémore la sortie d’Égypte du peuple hébreu.<br />

Les premières unités SS pénètrent à l’aube du 19, mais<br />

elles sont repoussées par les insurgés. Les pertes<br />

juives sont lourdes dès le premier soir, mais les<br />

Allemands, pour la première fois, ont reculé.<br />

Pendant trois semaines, quelques centaines de<br />

combattants tiennent tête à l’une des plus grandes<br />

armées du monde. Mais le rapport de force est trop<br />

important et le 16 mai 1943, après avoir fait dynamiter<br />

la grande synagogue, Stroop câble à Himmler : « Il n’y<br />

a plus de quartier juif à Varsovie. » Le ghetto est en<br />

ruine et il ne reste plus rien du judaïsme polonais.<br />

"Tout acte de résistance<br />

est un non au désespoir.<br />

Dire non au désespoir,<br />

c'est refuser<br />

l'inacceptable, se révolter<br />

contre l'inévitable,<br />

affronter l'insurmontable,<br />

combattre l'invincible.<br />

C'est croire en la vie<br />

envers et contre tout."<br />

Modechaï Anielewicz<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

LE GALILÉE 2


MOURIR DANS LA DIGNITÉ<br />

Cette révolte force notre respect. Quel courage ! Les<br />

insurgés se sont battus seuls, comme le montre leur<br />

dernier SOS le 11 mai qui se conclut par ces mots :<br />

« Le monde de la liberté et de la justice reste silencieux<br />

et ne fait rien ! ». Dans la quasi indifférence des<br />

partisans polonais, des Polonais et des alliés, le ghetto<br />

est liquidé et les derniers juifs du ghetto assassinés.<br />

UNE LEÇON POUR L'HISTOIRE<br />

80 ans après, la révolte du ghetto de Varsovie se doit<br />

d’être soulignée, honorée pour ces centaines de<br />

combattants qui n’avaient rien à perdre si ce n’est leur<br />

vie, mais qui ont choisi la façon dont ils voulaient mourir.<br />

Mourir dans la dignité en se battant contre le nazisme,<br />

mourir les armes à la main. "Nous ne pensions en aucun<br />

cas que nous allions vaincre les Allemands. C’était clair »,<br />

témoigne Simcha Rotem, dit Kazik, l’un des derniers<br />

combattants. « En fait, moi, ce que je voulais c’était juste<br />

pouvoir choisir ma mort, avoir une mort plus belle, une<br />

mort plus décente que la mort dans une chambre à gaz ».<br />

Arrestations dans le ghetto de Varsovie, mai 1943<br />

"Nous ne voulons pas<br />

sauver notre vie.<br />

Personne ne sortira<br />

vivant d’ici.<br />

N o u s v o u l o n s s a u v e r<br />

l a d i g n i t é h u m a i n e " .<br />

A r i e W i l n e r<br />

Corps de résistants assassinés lors de<br />

l'insurrection du 19 avril 1943<br />

Arrestation de résistants juifs, 4 mai 1943<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

LE GALILÉE 3


Le Galilée<br />

Et pourtant il tourne....<br />

Directrice de la publication<br />

Coralie Surget<br />

SOMMAIRE<br />

Rédaction, documentation, réalisation<br />

Les élèves de la classe de T 2 du lycée Galilée de<br />

Combs-la-Ville :<br />

Fatumata Bah,<br />

Emilie Baldwin,<br />

Léna Berardino,<br />

Nassim Chahid,<br />

Clara Charpentier,<br />

Mariama Diawara,<br />

Arielle Dragna,<br />

Donnie Dumay,<br />

Amélie Durot,<br />

Damia Gnanamaheswaran,<br />

Rebecca Guehoun-Ondzie,<br />

Mathilde Gueu,<br />

Emmerik Guey-Banlin,<br />

Paul Houadj,<br />

Emelyne Jonneau,<br />

Alisia Kartal,<br />

Lola Lampin-Genelot,<br />

Hamir Lawani,<br />

Pavao Markic,<br />

Fanny Meurisse,<br />

Coline Minguet,<br />

Valentine Moreira Morin,<br />

Gabriel Morot-Sir,<br />

Chine Mournetas-Fievez,<br />

Mamadou Lamine Ndiaye,<br />

Antony Niama-Missouele,<br />

François Setticasi,<br />

Tanya Simeon-Ferreira,<br />

Louna Sonde,<br />

Nathan Talbotec,<br />

Danusha Thiviyanathan,<br />

Léo Vidalain<br />

Mise en page<br />

Emmerik Guey-Banlin, Coline Minguet, Léo Vidalain<br />

2. Édito<br />

5. Rencontre avec Larissa Cain<br />

6. Infographie du ghetto<br />

9. Le "Judenrat" et Adam Czerniaków<br />

10. La vie dans le ghetto<br />

12. L'insurrection du ghetto<br />

14. Quelques figures de l'insurrection<br />

Arrestation de militants pendant l'insurrection<br />

(4 mai 1943)<br />

16. Les Archives du ghetto de Varsovie<br />

18. Le nouveau musée de Varsovie<br />

Musée du ghetto de Varsovie<br />

19. Le Pianiste de Roman Polanski<br />

Rédaction, Révision,-correction<br />

Françoise Olhagaray, Joseph Dauzat<br />

Les photos reproduites proviennent essentiellement du Mémorial de la Shoah<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

LE GALILÉE 4


RENCONTRE<br />

AVEC LARISSA CAIN<br />

N<br />

ous avons eu l’opportunité de visiter le Mémorial de la Shoah, le plus grand centre de recherche en Europe,<br />

d’information et de sensibilisation sur l’histoire du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est<br />

un lieu de mémoire, de pédagogie et de transmission.<br />

Nous, élèves de Terminale 2 du lycée Galilée, avons<br />

également pu rencontrer Larissa Cain, une survivante<br />

ghetto de Varsovie au Mémorial de la Shoah le 17 Novembre<br />

2022. Elle est venue témoigner. Un récit douloureux et<br />

précieux. Larissa Cain n’était qu’une petite juive polonaise<br />

tout juste âgée de 8 ans quand elle a découvert l’inhumanité<br />

instaurée par le régime nazi. La faim, la maladie, la peur, la<br />

mort. Elle a échappé « par chance » à une mort qui a fauché<br />

presque toute sa famille. « Une terrible épidémie de typhus se<br />

répandit dans le ghetto. Le typhus se transmet par les poux.<br />

Et comme les gens n’avaient plus de quoi se laver, le typhus<br />

fit des ravages. Mon père tomba malade à son tour ».<br />

Depuis plus de 40 ans maintenant, elle témoigne de la Shoah<br />

dans des livres, dans des écoles, via des associations. À 91<br />

ans, Larissa Cain est l’une des dernières rescapées vivantes<br />

du ghetto de Varsovie.<br />

« Je me suis évadée en décembre 1942, quelques mois avant<br />

l’insurrection du ghetto. C’est mon oncle Alexandre, qui vivait<br />

à l’extérieur, qui a tout organisé. J’avais 10 ans. J’ai escaladé<br />

le mur d’enceinte avec une échelle. C’était haut. J’avais<br />

terriblement peur. J’étais paniquée, tétanisée. Et puis j’ai<br />

sauté de l’autre côté dans la neige, où un ami de mon oncle<br />

m’attendait. Beaucoup de gens m’ont aidée ensuite à me<br />

cacher. J’ai eu beaucoup de chance. C'est la dernière fois que<br />

j'ai vu mon père ».<br />

La crypte<br />

du Mémorial de la Shoah<br />

du<br />

Larissa Cain entourée d'élèves de Terminale 2<br />

au Mémorial de la Shoah le 17 novembre 2022<br />

LARISSA CAIN<br />

Un infatigable témoin<br />

Larissa Cain, est née à Sosnowiec, en Pologne le<br />

8 octobre 1932. Sa famille s'installe à Varsovie<br />

l'année suivant sa naissance. En novembre 1940<br />

elle est enfermée dans le ghetto de Varsovie. Au<br />

cours de la Shoah, elle perd ses parents et<br />

presque toute sa famille dont son oncle Alexandre.<br />

D'octobre 1944 à janvier 1945, elle est cachée<br />

dans une ferme, puis accueillie dans un orphelinat.<br />

Larissa Cain arrive à Nancy dans sa famille en<br />

France en octobre 1946 où elle entreprend des<br />

études grâce aux encouragements de nombreux<br />

enseignants. Docteur en chirurgie dentaire,<br />

spécialiste en orthodontie, elle exerce la<br />

profession de dentiste. À partir de 1978, elle<br />

commence une activité de militante de la Mémoire<br />

de la Shoah, voulant expliquer, témoigner et<br />

transmettre. Elle écrit alors de nombreux ouvrages.<br />

NUMÉRO SPÉCIAL LE GALILÉE 5


INFOGRAPHIE <strong>DU</strong> <strong>GHETTO</strong><br />

L<br />

ors de la Seconde Guerre<br />

mondiale, une politique<br />

génocidaire contre les<br />

Juifs est mise en place,<br />

aboutissant à la création<br />

de ghettos.<br />

C'est à Varsovie, en Pologne qu'est<br />

créé le plus important ghetto juif au<br />

sein des territoires d'Europe occupés<br />

par les nazis pendant la Seconde<br />

Guerre mondiale.<br />

L'un des rares bâtiments encore debout de<br />

l'ancien ghetto juif de Varsovie<br />

et lieu de mémoire.<br />

SEPTEMBRE 1939<br />

A partir du 1er Septembre 1939,<br />

l’Allemagne nazie envahit la<br />

Pologne. Puis l'armée allemande<br />

entre dans Varsovie le 29<br />

septembre 1939. C'est le début des<br />

persécutions contre les Juifs. Tous<br />

les Juifs âgés de plus de douze<br />

ans doivent porter obligatoirement<br />

un brassard blanc où figure une<br />

étoile de David bleue. De<br />

nombreuses mesures antisémites<br />

sont par la suite mises en place,<br />

dont l'identification des magasins<br />

juifs, la confiscation des radios et<br />

l'interdiction de voyager, etc.<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

OCTOBRE 1939<br />

Le 4 octobre 1939, la Gestapo<br />

ordonne à Adam Czerniaków, un<br />

ingénieur polonais d'origine juive,<br />

de créer un Conseil juif pour faire<br />

régner l'ordre dans le quartier juif<br />

de Varsovie.<br />

NOVEMBRE 1939<br />

Le nombre de juifs présents à<br />

Varsovie est estimé à 359 837.<br />

MAI 1940<br />

Le quartier juif de Varsovie est<br />

officiellement déclaré par les<br />

Allemands "zone d'épidémie".<br />

JUIN 1940<br />

Le Conseil juif (Judenrat) de Varsovie<br />

est réorganisé et se doit désormais<br />

d'exécuter les ordres allemands.<br />

SEPTEMBRE 1940<br />

Le quartier du futur ghetto de Varsovie<br />

est mis sous quarantaine. Il comprend<br />

40 000 Juifs et 80 000 chrétiens.<br />

OCTOBRE 1940<br />

Le mois d'octobre marque la fin de la<br />

construction du ghetto. Le 2 octobre<br />

1940, le gouverneur du district de<br />

Varsovie, Ludwig Fischer, publie<br />

l’ordre de "transplantation". Cela<br />

implique le transfert des chrétiens qui<br />

habitent l'emplacement du futur ghetto<br />

juif de Varsovie et celui des Juifs vers<br />

le quartier sous quarantaine.<br />

Entre le 12 octobre et le 31 novembre,<br />

113 000 non-Juifs quittent le quartier<br />

juif et 138 000 Juifs y "déménagent".<br />

Les Juifs sont contraints à un couvrefeu<br />

de 19h à 8h.<br />

LE GALILÉE 6


NOVEMBRE 1940<br />

Le 16 novembre 1940, les portes du<br />

ghetto de Varsovie sont fermées par<br />

les SS. C'est la clôture du ghetto de<br />

Varsovie.<br />

FÉVRIER 1941<br />

À Varsovie, un pont en bois pour<br />

piétons relie le "petit ghetto" (au<br />

sud) au "grand ghetto" (au nord).<br />

Plan du ghetto<br />

de Varsovie<br />

JUILLET 1942<br />

Pont reliant les deux parties<br />

du ghetto<br />

Le 22 Juillet marque le début de la<br />

grande déportation. C'est le décret<br />

sur "la réinstallation à l'Est".<br />

Construction d'un centre de mise à<br />

mort est à Treblinka.<br />

PRINTEMPS 1941<br />

La population du ghetto atteint près<br />

de 450 000 personnes.<br />

Epidémie de typhus très importante<br />

(on dénombre jusqu'à 150 morts<br />

par jour !)<br />

JUIN 1941<br />

Dans le ghetto de Varsovie, la<br />

grande Synagogue de la rue<br />

Tlomacki est rouverte au culte. En<br />

effet, à l'arrivée des Allemands, la<br />

grande Synagogue de Varsovie se<br />

retrouve dévastée par les nazis.<br />

Mais Adam Czerniaków, président<br />

du Judenrat du ghetto de Varsovie,<br />

lance une collecte de fonds qui<br />

permettra de rénover la synagogue.<br />

Formation d'un convoi de<br />

déportation sur<br />

l'Umschlagplatz, été 1942<br />

Charrette remplie des corps<br />

d'enfants morts, 1942<br />

Adam Czerniaków, se suicide au<br />

cyanure : "Ils exigent de moi que je<br />

tue de mes mains les enfants de<br />

mon peuple. Il ne me reste qu'à<br />

mourir".<br />

SEPTEMBRE 1942<br />

C'est la fin de la "grande<br />

déportation". 80% de la population<br />

juive a été déportée à Treblinka. Il<br />

ne reste donc que 60 000 Juifs<br />

dans le ghetto de Varsovie. Au total<br />

prés de 300 000 personnes ont été<br />

assassinées à Treblinka.<br />

OCTOBRE 1942<br />

Au ghetto de Varsovie, un comité<br />

de coordination (KK) constitue<br />

l'Organisation juive de combat<br />

(ZOB) avec entre autres, Mordechaj<br />

Anielewicz et Marek Edelman.<br />

NUMÉRO SPÉCIAL LE GALILÉE 7


JANVIER 1943<br />

Du 18 au 21 janvier 1943, c’est le<br />

début de la liquidation du ghetto de<br />

Varsovie. L'Organisation juive de<br />

combat organise un 1er<br />

soulèvement.<br />

AVRIL 1943<br />

Le mois d'avril marque le début du<br />

soulèvement armé. En effet, le 19<br />

avril les résistants hissent 2<br />

drapeaux, blanc-rouge (polonais) et<br />

blanc-bleu (juif).<br />

Des soldats de la Waffen SS<br />

entrent en tenue de combat dans le<br />

ghetto central de Varsovie, rue<br />

Zamenhof.<br />

Ils sont repoussés par les<br />

combattants juifs. Le général SS<br />

Stroop ordonne, au bout de<br />

quelques jours de combat,<br />

d'incendier le ghetto.<br />

Soldats SS regardant des<br />

immeubles<br />

en flammes pendant<br />

l'insurrection du ghetto,<br />

4 mai 1943<br />

Les soldats allemands tirant au<br />

canon, printemps 1943<br />

Mi-mai 1943, il ne reste plus rien du<br />

ghetto.<br />

AOÛT 1944<br />

Le 1er août 1944, c'est le début<br />

de l'insurrection de Varsovie à<br />

laquelle prennent part de rares<br />

survivants de l'Organisation juive<br />

de combat (ZOB).<br />

OCTOBRE 1944<br />

L'insurrection de la capitale<br />

polonaise est écrasée le 2 octobre,<br />

avec comme résultat des dizaines<br />

de milliers de combattants morts,<br />

des centaines de milliers de<br />

Varsoviens déportés et une ville<br />

presque entièrement rasée.<br />

MAI 1943<br />

La révolte du ghetto de Varsovie<br />

s'achève le 16 mai 1943. 7 000<br />

Juifs sont morts dans des combats<br />

désespérés, les autres sont<br />

envoyés dans les centres de mise<br />

à mort. La destruction du ghetto<br />

marque la fin de la plus grande<br />

communauté juive d'Europe.<br />

Ruines de Varsovie<br />

Répression et arrestation<br />

des Juifs<br />

pendant l'insurrection du<br />

ghetto, le 4 mai 1943<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

LE GALILÉE<br />

8


LE JU<strong>DE</strong>N<br />

ET ADAM CZERNIAKÓW<br />

RAT<br />

L<br />

es nazis mettent en place dans tous les<br />

ghettos des "Judenräte" qui sont des corps<br />

administratifs composés des leaders des<br />

communautés juives.<br />

Ils forment le gouvernement de ces communautés et<br />

servent d’intermédiaires entre les autorités nazies et la<br />

population. Ils sont forcés par l’occupant de "fournir des<br />

juifs", et d’aider à la déportation. Ils ont donc un rôle très<br />

controversé dans la communauté juive.<br />

Le ghetto de Varsovie est organisé par un conseil juif<br />

composé de 24 membres, établi sous la direction d'Adam<br />

Czerniaków. C'est un ancien conseiller municipal de<br />

Varsovie.<br />

Dès sa nomination en tant que chef du Judenrat, il écrit<br />

tout ce qu’il fait chaque jour dans son journal qui est<br />

publié en 9 carnets.<br />

Ces carnets représentent un document exceptionnel à<br />

double titre. D’abord ils rassemblent les notes<br />

personnelles d’Adam Czerniaków sur la politique nazie<br />

dans le ghetto de Varsovie. Ensuite ils nous interpellent<br />

sur les sentiments de l’auteur quant à son rôle face à la<br />

politique nazie.<br />

UN TERRIBLE DILEMME<br />

Les membres des conseils juifs doivent affronter des<br />

dilemmes insoutenables. Contraints de mettre en œuvre<br />

la politique nazie, les présidents des conseils juifs doivent<br />

décider s'ils se conforment aux exigences allemandes, en<br />

fournissant par exemple des listes de noms pour les<br />

déportations.<br />

Portrait d'Adam Czerniaków<br />

Adam Czerniaków s'efforce d'atténuer les brutalités des<br />

mesures nazies, en mettant en place des services de<br />

distribution de nourriture, des services sociaux, éducatifs,<br />

religieux et médicaux afin de faire face aux problèmes<br />

causés par le nombre trop important des Juifs dans le<br />

ghetto.<br />

Face à la politique génocidaire des nazis, Adam<br />

Czerniaków prend le décision de se suicider le 22 juillet<br />

1942, le jour où les déportations commencent. Il refuse de<br />

participer aux rafles de Juifs, afin de ne pas contribuer à la<br />

déportation d’enfants. On retrouve dans son dernier<br />

carnet ses derniers mots : “on exige de moi de tuer de<br />

mes propres mains les enfants de mon peuple”.<br />

Pour beaucoup il restera un traître et un lâche qui aurait<br />

pu faire plus pour sa communauté en restant en vie.<br />

« Je ne peux supporter plus longtemps tout ce qui arrive.<br />

Mon acte montrera à chacun ce qui est la bonne décision à<br />

prendre »<br />

Adam Czerniaków dans une lettre<br />

à sa femme, avant son suicide<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

LE GALILÉE 9


LA VIE DANS LE <strong>GHETTO</strong><br />

E<br />

n Pologne, et plus précisément à Varsovie<br />

est situé le plus grand ghetto juif<br />

d’Europe.<br />

A l’intérieur du ghetto, les juifs sont<br />

coupés du reste du monde et doivent<br />

lutter pour survivre.<br />

RESTER HUMAIN DANS <strong>DE</strong>S<br />

CONDITIONS INHUMAINES<br />

Les conditions de vie dans le ghetto sont inhumaines.<br />

Promiscuité, faim, maladies rendent la vie impossible.<br />

128 000 habitants au km² ! Le ghetto s’étend sur 300<br />

hectares, soit 8% de la superficie de Varsovie où sont<br />

parqués 40 % de la population juive.<br />

En juin 1941 ils sont 439 000 juifs à vivre dans cet espace<br />

clos et limité, 6 à 7 personnes par pièce.<br />

Habitants du ghetto faisant la queue<br />

devant une boutique vendant de la soupe, 1941<br />

Les décès se multiplient, sans que des fusillades ou des<br />

déportations aient lieu. C’est en juillet 1942 que<br />

commencent les grandes déportations vers le centre de<br />

mise à mort de Treblinka.<br />

RÉSISTER POUR SURVIVRE<br />

La vie dans le ghetto est aussi marquée par une résistance<br />

civile permanente. Des réseaux de contrebande se<br />

forment. Des enfants risquent leur vie pour faire passer<br />

clandestinement de la nourriture dans le ghetto, car si les<br />

contrebandiers sont attrapés, ils sont immédiatement<br />

exécutés par les Allemands.<br />

Forte densité dans le ghetto<br />

La grande majorité vit dans une extrême pauvreté. La<br />

principale préoccupation est de manger, de trouver de la<br />

nourriture pour survivre. Ainsi en moyenne, les Juifs ont<br />

une ration quotidienne de 184 calories/jour contre 2613<br />

calories pour les allemands, soit l'équivalent de 10% de<br />

celle destinée aux citoyens allemands !<br />

Beaucoup meurent de faim.<br />

Avis du 17/11/1941 du commissaire du ghetto de Varsovie,<br />

communiquant l'exécution de 8 personnes juives<br />

pour être sorties du ghetto<br />

NUMÉRO SPÉCIAL LE GALILÉE 10


Des cantines populaires sont mises en place pour servir<br />

des repas. Mais ces organisations clandestines ne<br />

concernent pas que la nourriture ou le soin.<br />

Comme l’éducation est interdite dans le ghetto, les Juifs<br />

instaurent des cours clandestins dans des centres de<br />

réfugiés ou dans des cantines populaires. En effet, malgré<br />

les conditions inhumaines qui règnent dans les ghettos,<br />

plusieurs institutions communautaires et des associations<br />

bénévoles s'efforcent de redonner un sens à la vie et de<br />

subvenir aux besoins de la population.<br />

On organise des spectacles, comme si ces activités<br />

étaient primordiales pour continuer à vivre. Continuer à<br />

vivre coûte que coûte, comme une échappatoire à la<br />

réalité meurtrière, comme une revanche sur la mort. Être<br />

plus fort que les bourreaux en maintenant une vie<br />

culturelle, sociale, humaine, solidaire.<br />

Le temps d’une pause pour vivre, pour laisser de côté la<br />

douleur, la peur, le temps d’un spectacle, d’un concert,<br />

d’un échange. La littérature, le travail intellectuel, la<br />

musique ou encore le théâtre rappellent à ses habitants<br />

leur vie antérieure. Des artistes se produisent dans des<br />

sortes de soirées privées pour divertir la population du<br />

ghetto. L’écriture et le dessin permettent aux enfants et<br />

aux adultes d'exprimer la peur et l'angoisse qui règnent<br />

sur la communauté juive.<br />

La vie dans le ghetto c’est aussi une intense activité<br />

politique.<br />

LA PRESSE CLAN<strong>DE</strong>STINE<br />

On assiste dès 1940 à l’apparition d’une presse<br />

clandestine. Dès 1942, 47 journaux sont recensés. Ces<br />

journaux illégaux sont un outil essentiel pour diffuser des<br />

informations sur le monde extérieur. Ces journaux sont<br />

publiés dans différentes langues – yiddish, polonais ou<br />

encore hébreu. Chaque mouvement idéologique imprime<br />

sa propre publication. Parmi les revues les plus<br />

importantes on peut citer Biuletyn (Bulletin) et Yugnt-<br />

Shtime (Voix de la jeunesse) du Bund, Proletarisher<br />

Gedank (Pensée prolétarienne) de Poalei Zion. Ces<br />

journaux critiquent fortement l’action du Judenrat et ses<br />

institutions.<br />

Musiciens dans une rue du ghetto, 1943<br />

LES COURANTS POLITIQUES<br />

Les partis politiques juifs participent également à cette vie<br />

culturelle et poursuivent leurs activités clandestinement.<br />

C’est en priorité parmi eux que vont se recruter les<br />

combattants de l’Organisation juive de combat (créée en<br />

juillet 1942). On peut citer deux courants : les<br />

organisations sionistes qui luttent principalement pour<br />

l'émigration vers la Palestine et les organisations<br />

bundistes qui regroupent des militants ouvriers et<br />

révolutionnaires qui luttent sur place. Dans la doctrine du<br />

Bund, il y a la notion de Doykayt. C'est l'idée qu'une<br />

communauté choisisse de se développer là où elle est et<br />

de s'enraciner dans sa terre natale. " Doykayt " signifie "<br />

être là ", en yiddish (la langue parlée par les Juifs), pour<br />

dire " vivre dans le pays où nous sommes nés ".<br />

Les clivages dans le ghetto perdent vite leur sens : les<br />

sionistes voient leur rêve d'émigration devenir impossible,<br />

tout comme l'espoir d'une révolution pour les bundistes.<br />

Bientôt il ne s'agit plus que de survie et de dernière<br />

révolte.<br />

Ces différentes organisations sionistes (sionistes de<br />

gauche du Poalei Zion mais aussi les partisans de<br />

Jabotinsky, le Bétar ou encore les sionistes de droite) et<br />

les marxistes prennent une grande part au soulèvement<br />

du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943.<br />

NUMÉRO SPÉCIAL LE GALILÉE 11


INSURRECTION<br />

<strong>DU</strong> <strong>GHETTO</strong><br />

MOURIR DANS LA DIGNITÉ<br />

Soldats SS lors de l'insurrection du ghetto<br />

E<br />

n avril 1943, après les<br />

grandes déportations il<br />

reste officiellement dans le<br />

ghetto 36 000 personnes<br />

auxquelles on peut<br />

rajouter 20 000 à 25 000<br />

clandestins qui se terrent<br />

dans des caches de<br />

toutes sortes.<br />

Homme émergeant d'une cache aménagée<br />

dans les sous-sols, 4 mai 1943<br />

<br />

Quelques centaines de combattants<br />

civils décident alors de résister.<br />

Le soulèvement du ghetto de Varsovie<br />

est une révolte armée, organisée et<br />

menée par la population juive du ghetto<br />

de Varsovie contre les forces<br />

d'occupation allemandes entre le 19 avril<br />

et le 16 mai 1943.<br />

C'est l'acte de résistance juive pendant<br />

la Shoah le plus connu et le plus<br />

commémoré.<br />

L’insurrection est due à l’accumulation<br />

des douleurs subies par le peuple juif.<br />

La famine, la peur, les maladies, les<br />

coups, les exécutions et les<br />

déportations entrainent la révolte des<br />

habitants du ghetto. Quitte à mourir, ils<br />

le feront dans la dignité, debout, les<br />

armes à la main.<br />

LE DÉBUT <strong>DE</strong> LA RÉVOLTE<br />

Le 19 avril 1943, la veille de la Pâque<br />

Juive, les Allemands entrent dans le<br />

ghetto afin de poursuivre la liquidation<br />

du peuple juif. Seulement, à leur<br />

arrivée, les rues sont vides, tous les<br />

habitants sont cachés.<br />

C’est Mordechaï Anielewicz qui dirige<br />

les forces de résistance.<br />

Dès le premier jour, armés de pistolets,<br />

de grenades (la plupart artisanales) et<br />

de quelques armes automatiques et<br />

fusils, les combattants prennent de<br />

cours les Allemands. Ils leurs tendent<br />

des pièges mais évitent une<br />

confrontation directe, car ils se savent<br />

moins armés que les troupes<br />

allemandes. Les pertes juives sont très<br />

lourdes, mais les Allemands, pour la<br />

première fois, ont reculé.<br />

LA RÉACTION ALLEMAN<strong>DE</strong><br />

La réaction des Allemands ne se fait<br />

pas attendre et le troisième jour du<br />

soulèvement ils envoient des forces<br />

blindées commandées par le<br />

commandant Jürgen Stroop. L’objectif<br />

est de raser le ghetto, un immeuble<br />

après l’autre, pour faire sortir les Juifs<br />

de leurs cachettes. Devant la<br />

résistance, Stroop décide d'incendier le<br />

ghetto, d'envoyer du gaz dans les<br />

souterrains, de détruire les bunkers, et<br />

de bombarder le ghetto à l'arme lourde.<br />

Soldats allemands tirant au canon,<br />

printemps 1943<br />

En face, la résistance juive tente de<br />

s’organiser mais ne compte pas plus de<br />

1000 combattants, souvent très jeunes,<br />

faiblement armés et sans réelle<br />

formation militaire.<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

LE GALILÉE<br />

12


Ainsi 800 000 personnes sont mortes dans les<br />

ghettos.<br />

80 000 dans le ghetto de Varsovie, de<br />

privations, de maladies, d'exécutions.<br />

6 000 Juifs trouvent la mort dans les combats<br />

lors de l'insurrection ou se suicident (c'est le<br />

cas de Mordechai Alinewicz, le 8 mai 1943), 7<br />

000 sont fusillés sur place.<br />

3 millions de juifs Polonais sont exterminés,<br />

soit 89,5 % de la population juive de Pologne.<br />

Face à eux les Allemands alignent 830<br />

SS auxquels s’ajoutent des effectifs de<br />

police et de nombreux auxiliaires<br />

ukrainiens et baltes. Au plus fort des<br />

combats, ils déploient plus de 2 000<br />

hommes lourdement armés, bénéficiant<br />

du soutien de l’artillerie, des blindés et<br />

de l’aviation.<br />

LA FIN <strong>DU</strong> <strong>GHETTO</strong><br />

Le 16 mai 1943, le commandant Stroop<br />

ordonne la destruction de la grande<br />

synagogue de la rue Tlomacki pour<br />

symboliser la victoire allemande. Stroop<br />

câble à Himmler : « Il n’y a plus de<br />

quartier juif à Varsovie. »<br />

BILAN <strong>DE</strong> LA POLITIQUE<br />

GÉNOCIDAIRE<br />

C’est David contre Goliath et pourtant<br />

les combattants juifs luttent avec<br />

acharnement.<br />

Policiers allemands et soldats SS<br />

utilisant une mitrailleuse<br />

pendant l'insurrection, 4 mai 1943<br />

<br />

Le 8 mai, le poste de commandement<br />

de la résistance juive, rue Mila, est<br />

anéanti. Mordechaï Anielewicz, acculé<br />

par les troupes allemandes, se suicide<br />

avec des camarades dans son bunker.<br />

Le ghetto n’est plus qu’un champ de<br />

ruines. Stroop rapporte avoir capturé<br />

56 000 Juifs et détruit 631 bunkers.<br />

Selon ses chiffres, ses unités ont tué<br />

7000 juifs durant le soulèvement, et<br />

environ 7000 autres ont été déportés à<br />

Treblinka et gazés dès leur arrivée.<br />

L’insurrection prend donc fin le 16 mai<br />

1943, seuls 80 combattants du ghetto<br />

survivent.<br />

Beaucoup d’entre eux trouveront la<br />

mort lors de l’insurrection de Varsovie<br />

de l’été 1944.<br />

Ainsi, 800 000 personnes sont mortes<br />

dans les ghettos.<br />

80 000 dans le ghetto de Varsovie, de<br />

privations, de maladies, d'exécutions.<br />

7 000 Juifs trouvent la mort dans les<br />

combats lors de l'insurrection ou se<br />

suicident (c'est le cas de Mordechai<br />

Alinewicz, le 8 mai 1943).<br />

Malgré sa mort, le combat continue<br />

avec Marek Edelman qui reprend le<br />

commandement de l’insurrection.<br />

Arrestation de résistants juifs,<br />

4 mai 1943<br />

Mais le rapport de force est bien trop<br />

déséquilibré et les troupes allemandes<br />

brisent la résistance militaire en<br />

quelques jours, entrainant la mort de<br />

beaucoup de combattants. Quelquesuns<br />

parviennent à s'échapper par les<br />

égouts, mais la majorité est capturée,<br />

tuée sur place ou envoyée dans des<br />

centres de mise à mort.<br />

Immeubles incendiés pendant<br />

l'insurrection du ghetto de Varsovie,<br />

4 mai 1943<br />

3 millions de juifs Polonais<br />

sont exterminés,<br />

soit 89,5 % de la population<br />

juive de Pologne<br />

NUMÉRO SPÉCIAL LE GALILÉE 13


QUELQUES FIGURES <strong>DE</strong><br />

L'INSURRECTION<br />

Dans le ghetto, de nombreuses personnes se rassemblent afin de se révolter face à l’oppression nazie, visant à se<br />

débarrasser des juifs. Durant trois longues années dans le ghetto, les juifs récupèrent des armes afin de résister aux nazis.<br />

Parmi ceux encore présents dans le ghetto lors de l'insurrection, on peut citer Mordechai Anielewicz, Zivia Lubetkin et<br />

Marek Edelman, trois figures importantes.<br />

MOR<strong>DE</strong>CHAI ANIELEWICZ<br />

Mordechai Anielewicz est né à Varsovie en 1919. Issu d’une famille juive ouvrière, il rejoint<br />

un mouvement de jeunesse sioniste Hashomer Hatzair. Pendant la guerre et sous la<br />

domination nazie, il rentre dans la Résistance. En 1942, il retourne dans le ghetto de<br />

Varsovie et crée l'organisation clandestine militante ŻOB (Żydowska Organizacja Bojowa),<br />

dans le but de combattre activement l'occupant allemand. Il participe au premier<br />

soulèvement du ghetto le 18 janvier 1943, puis il dirige le soulèvement armé dans le ghetto<br />

de Varsovie. Il se suicide avec l’état-major du ŻOB et sa compagne Mira Fuchrer dans son<br />

bunker de la rue Mila le 8 mai 1943. Marek Edelman lui succèdera.<br />

Son objectif était de montrer au monde que les Juifs pouvaient contrer les oppresseurs<br />

allemands dans une bataille ouverte et jouer leur rôle dans le conflit militaire avec<br />

l'Allemagne. À Varsovie, la rue Gęsia (une des artères de l'ancien ghetto) porte maintenant<br />

le nom de Mordechai Anielewicz .<br />

ZIVIA LUBETKIN<br />

Zivia Lubetkin est née le 9 novembre 1914 en Pologne dans une famille juive traditionnelle<br />

aisée. Elle adhère dans sa jeunesse au mouvement sioniste-socialiste Freiheit (Liberté).Elle<br />

rejoint le ghetto de Varsovie en janvier 1940. Réalisant l’ampleur de l’anéantissement, elle<br />

décide de résister. « Après avoir entendu parler de Vilna d’une part et de Chelmno de l’autre,<br />

nous nous sommes rendu compte que c’était systématique. … Nous avons arrêté nos<br />

activités culturelles … et tout notre travail était désormais consacré à la défense active », a-telle<br />

témoigné au procès d’Adolf Eichmann (1960-1962).<br />

Elle est parmi les fondateurs de l’Organisation Juive de Combat (Zydowska Organizacja<br />

Bojowa, ŻOB). Elle participe dès lors en janvier 1943 à la première opération de résistance<br />

contre les nazis. Puis, en avril 1943, elle prend part à l’insurrection du ghetto de Varsovie. Le<br />

10 mai 1943, elle sort du ghetto avec quelques combattants grâce aux égouts et passe du<br />

côté aryen. Zivia Lubetkin est l’une des 40 survivants de l’insurrection du ghetto de Varsovie.<br />

Jusqu’à la fin de ses jours, elle sera hantée par la pensée qu’elle a abandonné ses amis<br />

restés derrière à une mort certaine.<br />

Elle rejoint l’insurrection de la ville de Varsovie au côté du mouvement de résistance communiste polonais. En 1946, elle<br />

rejoint les kibboutz, en Israël. Elle décède en 1976, à l’âge de 62 ans.<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

LE GALILÉE 14


MAREK E<strong>DE</strong>LMAN<br />

L'homme derrière la révolte,<br />

Un héros, un combattant, un survivant...<br />

Marek Edelman, l’un des principaux fondateurs de la<br />

Żydowska Organizacja Bojowa (ŻOB), dont il est l’un des<br />

40 survivants, est nommé commandant suite à la mort de<br />

l’ancien commandant Mordechai Anielewicz.<br />

Le souci pour cette organisation est le manque<br />

d’armement. En effet, l’équipement que possèdent les<br />

combattants juifs ne se limite qu’à quelques pistolets<br />

fabriqués sur place ainsi que très peu de fusils et de<br />

canons volés.<br />

Marek Edelman fait également partie d’un groupe nommé<br />

le Bund, mouvement socialiste juif.<br />

Rare survivant de l'insurrection du ghetto de Varsovie, il<br />

rejoint la résistance polonaise et participe à la libération de<br />

Varsovie. Il décide de rester en Pologne après la guerre,<br />

contrairement à la majorité des survivants de la<br />

communauté juive qui préfèrent émigrer en Israël, aux<br />

Etats-Unis ou en Europe Occidentale.<br />

Il écrit en 1945 dans<br />

Mémoires du ghetto de Varsovie :<br />

Ceux qui ont été tués ont accompli<br />

leur devoir jusqu'au bout, jusqu'à la<br />

dernière goutte de sang qui imbibe le<br />

pavé du ghetto de Varsovie.<br />

Nous qui avons survécu, nous nous<br />

laissons le soin d'en conserver<br />

toujours vivante la mémoire.<br />

Il milite pour la démocratisation de la Pologne ...<br />

Après la guerre, Marek Edelman entreprend des études<br />

de médecine et devient un cardiologue reconnu. Il se<br />

marie avec Alina Margolis, pédiatre, dont il aura deux<br />

enfants, Aleksander, né en 1953, et Ania cinq plus tard.<br />

Militant infatigable, il travaille à la démocratisation du<br />

système communiste et combat l'antisémitisme en<br />

Pologne. Mais la campagne antisémite menée par le<br />

gouvernement communiste en réaction aux mouvements<br />

étudiants de 1968 pousse sa femme et ses enfants à<br />

s'exiler en France. Marek Edelman, lui, décide de rester<br />

fidèle à son pays. Il s'éteint à Varsovie le 3 octobre 2009,<br />

à l'âge de 90 ans.<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

Tombe de Marek Edelman, enterré à Varsovie<br />

​Après sa mort, l'historien Elie Barnavie dira de lui :<br />

"Edelman n'a pas bonne presse en Israël. Il est un héros<br />

incontestable mais dans la mémoire collective israélienne,<br />

il reste un Juif diasporique. Dans le conflit idéologique qui<br />

structure le pays, le vrai héros soutient le projet sioniste.<br />

Le vrai héros du ghetto, pour Israël, c'est Anielewicz". En<br />

effet pour lui : "Il n'y a pas de place ni pour un peuple élu,<br />

ni pour une terre promise".<br />

Aujourd’hui, on retrouve de nombreuses fresques et<br />

statues en son honneur. Et nous avons voulu rendre<br />

hommage à ce grand homme : résistant, combattant et<br />

engagé.<br />

Il reste pour nous un héros, "un éternel insoumis, un<br />

modèle d'intelligence et de morale".<br />

LE GALILÉE 15


LES ARCHIVES<br />

<strong>DU</strong> <strong>GHETTO</strong> <strong>DE</strong><br />

<strong>VARSOVIE</strong><br />

O<br />

n parle beaucoup, et c’est tant mieux, de la résistance<br />

juive lors de la liquidation du ghetto de Varsovie. Mais à<br />

mes yeux il existe un acte tout aussi important et<br />

admirable : c’est l’action du collectif Oneg Shabbat.<br />

Institut historique juif de Varsovie<br />

ALORS QUI SONT-ILS ? ET QU’ONT-ILS<br />

FAIT POUR FORCER NOTRE RESPECT ?<br />

Qui sont Emanuel Ringelblum, Hersz Wasser, Eliahu<br />

Gutkowski, le rabbin Shimon Huberband, Menahem Linder,<br />

le professeur Israël Lichtensztajn, et bien d’autres ? Des<br />

journalistes, des écrivains, des sociologues, des<br />

économistes, des artistes...<br />

POURQUOI FAUT-IL LEUR RENDRE<br />

HOMMAGE ?<br />

Tout simplement car ils étaient des visionnaires, des<br />

intellectuels qui ont très vite réalisé que les nazis étaient en<br />

train de les assassiner, « d’éradiquer » le peuple juif. Et<br />

qui écrira leur histoire ? Qui racontera la vie mais aussi la<br />

mort dans le ghetto ?<br />

Cette préoccupation taraude dès les premières semaines<br />

de l’occupation l’historien Emanuel Ringelblum qui<br />

entreprend alors de collecter des documents.<br />

Il constitue dans la plus stricte clandestinité un groupe<br />

d’une douzaine de personnes sous le nom yiddish d’Oneg<br />

Shabbat (Joie du shabbat), afin de constituer une<br />

importante documentation sur la situation à Varsovie et au<br />

sein des autres ghettos en Pologne. 6000 documents<br />

rassemblant des textes dactylographiés, des rapports (en<br />

polonais et en yiddish surtout, mais aussi en hébreu et en<br />

allemand), des photos, des affiches. Ils mettent en lumière<br />

la vie clandestine du ghetto, notamment les comités<br />

d’immeuble, les organismes d’entraide sociale, la vie<br />

culturelle et religieuse.<br />

Beaucoup de documents soulignent les persécutions<br />

nazies qui entraînent une situation sociale dramatique<br />

donnant lieu à des enquêtes de l’équipe de Ringelblum sur<br />

la morbidité tuberculeuse par exemple. On trouve même<br />

des listes de déportés et de travailleurs forcés.<br />

Ces écrits représentent une mine d’or pour l’Histoire et<br />

même pour l’Humanité. D’ailleurs le Comité international<br />

consultatif de l’UNESCO a reconnu leur portée universelle,<br />

l’inscrivant au Registre de la « Mémoire du monde » en<br />

1999.<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

LE GALILÉE 16


C’est une véritable résistance par<br />

l’écrit qui s’organise. L’histoire ne<br />

peut pas être uniquement écrite par<br />

les bourreaux !<br />

Oneg Shabbat constitue l’écriture de<br />

l’histoire du ghetto de Varsovie par les<br />

victimes du nazisme. Au-delà des<br />

témoignages des persécutions nazies,<br />

ces archives montrent aussi l’intense<br />

vie intellectuelle, culturelle et humaine<br />

qui existait au sein du ghetto.<br />

Après la collecte il<br />

faut la préserver et<br />

surtout la<br />

retrouver.<br />

Le 3 août 1942, les documents sont<br />

rangés dans dix boîtes en métal, dans<br />

les caves d’un bâtiment au 68 rue<br />

Nowolipki. À la fin du mois de février<br />

1943, la deuxième partie des archives<br />

est placée dans deux bidons de lait et<br />

également enfouie dans les sous-sols<br />

du 68 rue Nowolipki. La troisième et<br />

dernière partie des archives est<br />

cachée juste avant le soulèvement du<br />

19 avril 1943, sous l’immeuble du 34<br />

rue Swietojerska.<br />

Il faudra attendre le 18 septembre<br />

1946 pour qu’Hersz Wasser, membre<br />

d'Oneg Shabbat<br />

et survivant de la<br />

destruction du ghetto, localise<br />

l’endroit de l’enfouissement et<br />

retrouve les archives enterrées sous<br />

l’ancienne école, dans la cave du 68<br />

rue Nowolipki.<br />

Dix boîtes de fer d’archives qui<br />

représentent une véritable mémoire<br />

des habitants du ghetto, enfouie dans<br />

les pierres pour que subsiste par-delà<br />

la mort la vie d'un monde.<br />

Elles constituent la principale source<br />

historique de la tragique disparition<br />

des juifs polonais.<br />

Pour David Graber, jeune étudiant de<br />

19 ans chargé de l’enfouissement des<br />

archives "ce que nous ne pouvions<br />

transmettre, nos cris, nos hurlements,<br />

nous l’avons enfoui sous la terre. Je<br />

voudrais tant voir le moment où le<br />

grand trésor sera exhumé et clamera<br />

la vérité au monde. Ainsi le monde<br />

saura tout. Nous pouvons maintenant<br />

mourir en paix. Nous avons accompli<br />

notre mission. Puisse l’Histoire en<br />

témoigner pour nous".<br />

"Nous avons<br />

accompli notre<br />

mission.<br />

Puisse l’Histoire<br />

"<br />

en témoigner<br />

pour nous »<br />

Pour l’historien américain Samuel<br />

Kassov, les archives d’Oyneg<br />

Shabbes sont exceptionnelles.<br />

"Il s’agit d'une réflexion sur l'Histoire,<br />

sur la Mémoire, sur la manière dont<br />

elles se fabriquent, sur l'idée que<br />

l'Histoire est une entreprise<br />

collective". Pour lui, Emmanuel<br />

Ringelblum veut faire rentrer dans<br />

l'histoire ceux qu'on voulait effacer. Il<br />

lui fallait donc préserver les<br />

témoignages de ce qui s'était passé<br />

dans le ghetto car il savait qu'il n'y<br />

aurait plus personne pour le dire.<br />

Ringelblum et son armée dérisoire<br />

d'éducateurs, d'écrivains et de poètes<br />

a finalement vaincu l'oubli, mensonge<br />

ultime de la barbarie nazie. "Ainsi les<br />

boîtes du ghetto de Varsovie font<br />

renaître une communauté, une culture<br />

et une langue exterminées".<br />

Seules deux des trois parties enfouies<br />

de l’archive ont été retrouvées dans<br />

les ruines du ghetto. L’ensemble des<br />

archives est conservé au Zydowski<br />

Instytut Historyczny (Institut historique<br />

juif de Varsovie), dont elles forment<br />

l’essentiel des collections.<br />

Bidons de lait des archives de<br />

Ringelblum<br />

David Graber<br />

NUMÉRO SPÉCIAL<br />

Bidon où se trouvaient des archives<br />

LE GALILÉE 17


LE NOUVEAU MUSÉE<br />

<strong>DE</strong> <strong>VARSOVIE</strong><br />

L<br />

e musée du ghetto de<br />

Varsovie, situé au 51<br />

rue Śliska est un musée<br />

historique en cours<br />

d'organisation.<br />

L'exposition permanente du nouveau<br />

musée devrait voir le jour en 2025,<br />

d’après l’historien et directeur du<br />

musée Albert Stankowski.<br />

On peut voir du haut du 3ème étage<br />

l'unique fragment du mur n'ayant pas<br />

été détruit lors de la destruction du<br />

ghetto par les nazis.<br />

Nouveau musée du ghetto de Varsovie<br />

Ce nouveau musée est installé dans l'ancien hôpital du ghetto où travaillait<br />

notamment le célèbre médecin Janusz Korczak, déporté à Treblinka avec<br />

des enfants juifs en août 1942.<br />

En 2014, la ville de<br />

Varsovie s’était déjà<br />

dotée du Musée Polin qui<br />

retraçait l'histoire des<br />

Juifs de Pologne mais où<br />

le ghetto de Varsovie<br />

était peu représenté.<br />

Avec ce nouveau musée<br />

du ghetto, c’est toute<br />

l’histoire des Juifs de<br />

Pologne pendant la<br />

Deuxième<br />

Guerre<br />

mondiale qui est retracée<br />

et notamment la vie<br />

quotidienne des Juifs<br />

dans le ghetto de<br />

Varsovie mais également<br />

dans les autres ghettos<br />

de la Pologne occupée.<br />

Fragment du mur du ghetto Sculpture de Boris Saktsier à Yad Vashem<br />

Les enfants du ghetto et Janusz Korcsak<br />

NUMÉRO SPÉCIAL LE GALILÉE 18


LE PIANISTE<br />

<strong>DE</strong> ROMAN<br />

POLANSKI<br />

UN FILM BOULEVERSANT À<br />

NE SURTOUT PAS MANQUER !<br />

L<br />

e pianiste est un film réalisé par<br />

Roman Polanski. Il a obtenu la<br />

Palme d’Or à Cannes en 2002 et<br />

a permis à son acteur principal,<br />

Adrien Brody, d’obtenir l’Oscar<br />

du meilleur acteur.<br />

UNE HISTOIRE VRAIE !<br />

Le film raconte l’histoire vraie de Wladiyslaw<br />

Szpilman, un pianiste juif polonais, contraint<br />

de vivre, ou plutôt de survivre au cœur du<br />

ghetto de Varsovie.<br />

C’est un film sur la survie d’un homme au<br />

cœur même du plus grand ghetto d’Europe.<br />

Le film nous montre la lutte permanente du<br />

héros pour trouver à boire et à manger,<br />

mais aussi une lutte désespérée pour<br />

échapper aux souffrances, aux humiliations<br />

et aux crimes des nazis. Après la liquidation<br />

du ghetto, il parvient à se réfugier dans les<br />

ruines de la capitale. Un officier allemand va<br />

l’aider et lui permettre de survivre.<br />

INSPIRATION ET INTERPRÉTATION<br />

D'ADRIEN BRODY<br />

Le film doit beaucoup à l’interprétation<br />

d’Adrien Brody.<br />

«J’ai abandonné mon appartement à New<br />

York…, je ne suis plus sorti. Je devais<br />

maigrir, donc je ne mangeais pratiquement<br />

plus. Je suis devenu introverti et solitaire…<br />

Je crevais de faim. Roman m’avait interdit<br />

de boire ».<br />

Au début du film Adrien Brody est un<br />

pianiste élégant qui peu à peu se<br />

métamorphose pour ne devenir qu’un<br />

cadavre ambulant, meurtri par le sort<br />

réservé aux gens du ghetto.<br />

Des scènes mémorables :<br />

La scène où il est empêché de monter avec<br />

les siens dans le wagon qui les conduits à<br />

Treblinka nous a tous bouleversés.<br />

L’échange de regards entre lui et son père<br />

restera à tout jamais dans nos mémoires.<br />

De même, le plan où le héros erre seul<br />

dans les ruines du ghetto est terrible. On<br />

mesure alors toute l’horreur de la politique<br />

génocidaire des nazis. L’anéantissement<br />

quasi-total des Juifs de Pologne.<br />

Et pourtant il y a dans ce film de Polanski<br />

des moments de grâce. L’entraide<br />

d’hommes et de femmes et même d’un nazi<br />

qui va permettre à Wladiyslaw Szpilman de<br />

survivre, mais surtout son amour pour le<br />

piano. La musique constitue une ressource<br />

psychologique importante qui permet au<br />

héros de ne pas céder au désespoir. Et la<br />

musique l’accompagne tout au long du film.<br />

La rencontre avec un officier allemand<br />

mélomane, Wilm Hosenfeld, est<br />

extraordinaire. Celui-ci lui demande de jouer<br />

une ballade de Chopin. Les premières notes<br />

sont difficiles à jouer pour le jeune artiste,<br />

qui n'a pas joué depuis un moment, puis le<br />

talent reprend ses droits. "Et tandis que<br />

Władysław le redécouvre, l’officier et le<br />

pianiste ne sont plus seuls : le spectateur<br />

est lui aussi avec eux".<br />

Pour toutes ces raisons, et il y en a bien<br />

d’autres, courez voir le Pianiste, un<br />

inoubliable moment de cinéma malgré le<br />

sujet du film.<br />

Indispensable !<br />

NUMÉRO SPÉCIAL LE GALILÉE 19


Comment chanter quand le monde m’est désert ?<br />

Comment jouer, les mains tordues de désespoir ?<br />

Où sont mes morts ? Je cherche mes morts, ô Dieu, en chaque dépotoir,<br />

En chaque tas d’ordures, en chaque tas de cendres – où êtes-vous, mes morts ?<br />

(…)<br />

Venez tous, de Treblinka, d’Auschwitz de Sobibor,<br />

De Belzec, de Ponar, venez d’ailleurs encore, et encore, et encore !<br />

Les yeux exorbités, le cri figé, un hurlement sans voix – sortez<br />

Des marais, des boues profondes où vous gisez enlisés, des mousses putréfiées…<br />

(…)<br />

Apparaissez, surgissez à mes yeux, venez-vous, venez,<br />

Je veux vous voir, je veux vous contempler, je veux sur vous,<br />

Sur mon peuple, mon peuple assassiné, jeter mon regard muet, atterré.<br />

Et je vais chanter. Oui… A moi la harpe – je joue !<br />

Vittel, 3-5 octobre 1943,<br />

Yitskhok Katzenelson, Le chant du peuple juif assassiné,<br />

chant I<br />

Monument de Nathan Rapoport aux héros du<br />

ghetto de Varsovie, à Varsovie<br />

Le Galilée<br />

Et pourtant il tourne...

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