You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
10 ACTU INTERNATIONAL Dimanche<br />
Dimanche<br />
12 novembre 2023 N N° 8025<br />
À l’Oasis de paix, en Israël,<br />
l’espoir plus fort que la peur<br />
Dans ce village, où vivent en harmonie juifs et Arabes depuis des décennies, les massacres<br />
du 7 octobre ont naturellement ébranlé les esprits. Mais pas entamé la foi en l’avenir.<br />
LIBAN<br />
<strong>Neve</strong><strong>Shalom</strong>-<br />
<strong>Wahat</strong>al-Salam<br />
SYRIE<br />
Mer<br />
Méditerranée CISJORDANIE<br />
GAZA<br />
Jérusalem<br />
ISRAËL JORDANIE<br />
ÉGYPTE<br />
50km<br />
Manifestations<br />
pour un<br />
cessez-le-feu<br />
Plus de<br />
16 000 manifestants<br />
se sont retrouvés à Paris<br />
ce samedi pour réclamer<br />
un cessez-le-feu à Gaza.<br />
Tous ont déambulé dans<br />
le calme aux cris<br />
de « libérez Gaza »,<br />
portant des drapeaux aux<br />
couleurs palestiniennes<br />
et pour certains des<br />
pancartes sur lesquelles<br />
on pouvait lire « Stop<br />
Genocide in Gaza »<br />
ou encore « Cessez le feu ».<br />
À Montpellier, Bordeaux,<br />
Toulouse, Rennes,<br />
Nice ou Ajaccio,<br />
des rassemblements<br />
ont également eu lieu. À<br />
Lyon, trois personnes ont<br />
été légèrement blessées<br />
dans la soirée après que<br />
des militants d’ultradroite<br />
ont tenté de s’introduire<br />
par la force dans une<br />
conférence sur la<br />
Palestine. L’une d’entre<br />
elles a été interpellée.<br />
Ety Edlund, arrivée en 1983<br />
dans le village, continue à<br />
penser qu’« ici reste le meilleur<br />
endroit pour vivre en Israël<br />
car il permet à chacun de<br />
connaître le ressenti de l’autre ».<br />
Timothée Boutry<br />
Envoyé spécial à <strong>Neve</strong><br />
<strong>Shalom</strong> - <strong>Wahat</strong> as-Salam<br />
(Israël)<br />
LE COURS de sport bat son<br />
plein dans une ambiance<br />
joyeuse, entre échanges de<br />
tennis et lancers de basket.<br />
Une scène a priori banale,<br />
sauf qu’ici, au sommet de cette<br />
colline boisée entre Tel-<br />
Aviv et Jérusalem, les bambins<br />
sont juifs et arabes à<br />
parts égales, une incongruité<br />
dans un pays comme Israël.<br />
Cette école primaire se<br />
situe dans un lieu unique du<br />
pays, le village de <strong>Neve</strong><br />
<strong>Shalom</strong> - <strong>Wahat</strong> as-Salam,<br />
dont le nom signifie « oasis de<br />
paix » en hébreu et en arabe.<br />
Fondée dans les années 1970<br />
par un prêtre français dans le<br />
no man’s land de la frontière<br />
entre Israël et la Cisjordanie<br />
occupée, cette communauté<br />
abrite désormais 80 familles<br />
(300 résidents) autant juives<br />
qu’arabes qui vivent dans des<br />
maisons individuelles et peuvent<br />
profiter d’équipements<br />
communs, dont un centre<br />
spirituel par exemple (ici, il n’y<br />
a ni mosquée ni synagogue).<br />
« Ici, tous les habitants ont<br />
choisi de vivre ensemble »<br />
« Il existe d’autres villes mixtes<br />
en Israël, mais la différence<br />
est qu’ici, tous les habitants<br />
ont choisi de vivre ensemb<br />
l e » , s o u l i g n e S a m a h<br />
Salaime, arrivée en 2000<br />
dans le contexte de la seconde<br />
intifada. Même dans ce lieu<br />
entièrement dédié à la paix et<br />
à la compréhension mutuelle,<br />
les massacres du 7 octobre<br />
perpétrés par le Hamas et ses<br />
répercussions dans la bande<br />
de Gaza ont sérieusement<br />
ébranlé les consciences.<br />
« Il y a une chose qui n’a pas<br />
changé, c’est la manière dont<br />
les enfants se comportent<br />
entre eux. On les encourage à<br />
LP/TIMOTHÉE BOUTRY<br />
<strong>Neve</strong> <strong>Shalom</strong> - <strong>Wahat</strong> as-Salam (Israël), mardi. Neama Abodalu, la directrice de l’école, se réjouit de constater que, malgré les événements<br />
tragiques du mois dernier, les élèves, juifs et arabes à parts égales, « sont restés aussi liés qu’avant ».<br />
exprimer leurs sentiments<br />
sur les événements mais ils<br />
s o n t r e s t é s a u s s i l i é s<br />
qu’avant », se félicite Neama<br />
Abodalu, la directrice de l’école.<br />
« En revanche, ajoutet-elle,<br />
c’est plus difficile au<br />
niveau des parents et du personnel.<br />
La peur s’est installée,<br />
on sent que quelque chose<br />
s’est cassé. À nous de trouver<br />
les moyens de maintenir la<br />
foi dans notre projet, mais<br />
on sait que cela va prendre<br />
du temps. »<br />
Entre les dessins du symbole<br />
« peace and love » et<br />
l’exposition du concours de<br />
drapeau où les étendards<br />
israéliens et palestiniens se<br />
mêlent, les murs rappellent<br />
combien tout est fait ici pour<br />
inculquer l’harmonie entre<br />
deux peuples déchirés.<br />
<strong>Le</strong>s attentats ont déjà eu des<br />
conséquences très concrètes :<br />
le renforcement de la sécurité.<br />
<strong>Le</strong> comité qui se réunit pour<br />
prendre les décisions collectives<br />
importantes, comme<br />
l’accueil de nouvelles familles<br />
par exemple, a décidé de faire<br />
appel à une société de sécurité<br />
privée. Des habitants se sont<br />
également portés volontaires<br />
pour faire des rondes la nuit.<br />
Promouvoir la paix n’est pas<br />
sans risque : le village a déjà<br />
été la cible de plusieurs incendies<br />
volontaires dont un, en<br />
2000, avait ravagé un bâtiment<br />
de formation.<br />
Mais les principales répercussions<br />
des attaques sont<br />
intimes. À la question de<br />
savoir ce que les événements<br />
du 7 octobre ont changé, Roi<br />
Silberberg et Noor Abu-Ras<br />
marquent une longue pause.<br />
Lui dirige l’École pour la paix,<br />
elle en est la directrice des<br />
projets. Ce centre de formation<br />
dispense des séminaires<br />
pour promouvoir la paix,<br />
l’égalité et la justice entre juifs<br />
et Palestiniens, en s’adressant<br />
notamment à un public ciblé<br />
(avocats, architectes, professionnels<br />
de la santé mentale…).<br />
« Tout le monde a été traumatisé,<br />
mais les deux sociétés<br />
l’ont été de manières différentes<br />
», analyse Roi Silberberg,<br />
qui s’est installé en famille<br />
dans le village il y a deux ans,<br />
afin d’élever ses deux filles<br />
dans des valeurs qui lui correspondent.<br />
« <strong>Le</strong>s Palestiniens<br />
souffrent des victimes à Gaza,<br />
du racisme accru de la société<br />
et des campagnes pour les<br />
expulser de la Cisjordanie.<br />
Tandis que du côté des juifs,<br />
ces agissements et la perte de<br />
confiance dans la capacité de<br />
l’État à les protéger ont provoqué<br />
une crise existentielle »,<br />
ajoute ce docteur en philosophie<br />
de l’éducation.<br />
« <strong>Le</strong>s Arabes israéliens<br />
vivent dans la peur. Si vous<br />
publiez un message de solidarité<br />
avec les Gazaouis sur<br />
Facebook, vous risquez de<br />
vous faire arrêter. Autour de<br />
moi, l’espoir d’aboutir à la paix<br />
a disparu, complète Noor<br />
Abu-Ras, très pessimiste. Je<br />
ne me sens évidemment pas<br />
liée par ce qu’a fait le Hamas<br />
mais je pense que les Palestiniens<br />
doivent se poser collectivement<br />
cette question : Estce<br />
ainsi que je veux obtenir la<br />
libération de mon peuple ? »<br />
<strong>Le</strong>s tensions de la société<br />
ne se sont pas arrêtées à la<br />
barrière qui protège l’accès au<br />
village. « Nous ne vivons pas<br />
dans une bulle et ce qui se<br />
passe à l’extérieur a des conséquences<br />
à l’intérieur. Certains<br />
jeunes du village ont par<br />
exemple été mobilisés en tant<br />
que réservistes, provoquant<br />
chez eux un grand dilemme<br />
», livre Samah Salaime.<br />
« La solution ne sera<br />
jamais militaire »<br />
« <strong>Le</strong>s plaies du 7 octobre sont<br />
encore à vif », confirme Ety<br />
Edlund, une pionnière qui a<br />
fondé l’école primaire dans la<br />
foulée de son installation, en<br />
1983. « Mais je continue à<br />
penser qu’ici reste le meilleur<br />
endroit pour vivre en Israël<br />
car il permet à chacun de<br />
connaître le ressenti de<br />
l’autre », précise cette femme<br />
de 76 ans qui effectue chaque<br />
matin une promenade avec<br />
ses bâtons de marche dans<br />
cet espace boisé égayé par les<br />
bougainvilliers en fleurs.<br />
Malgré ce climat plombé,<br />
les habitants de <strong>Neve</strong> <strong>Shalom</strong> -<br />
<strong>Wahat</strong> as-Salam sont convaincus<br />
que leur choix est le<br />
bon. « La solution ne sera<br />
jamais militaire. C’est uniquement<br />
en promouvant la paix,<br />
l’égalité, la justice et la fraternité<br />
que l’on obtiendra la sécurité<br />
», martèle Roi Silberberg, en<br />
se félicitant que de nombreux<br />
anciens pensionnaires de<br />
l’École pour la paix soient<br />
devenus d’importantes voix<br />
de la société civile israélienne.<br />
« La paix n’est pas une utopie,<br />
on l’expérimente au quotidien<br />
», soutient Einat Betsalel,<br />
qui vit ici depuis cinq ans<br />
et s’occupe du centre spirituel<br />
œcuménique. Dans le ciel, le<br />
bruit des avions de chasse de<br />
Tsahal en route vers Gaza<br />
perturbe la quiétude ambiante.<br />
« On ne perd pas espoir,<br />
insiste cette professionnelle<br />
du monde de la culture. Il n’y a<br />
pas d’autre solution. »<br />
aLa paix n’est pas<br />
une utopie,<br />
on l’expérimente<br />
au quotidien<br />
Einat Betsalel, responsable<br />
du centre spirituel œcuménique<br />
du village<br />
LP/TIMOTHÉE BOUTRY