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20<br />
Le ciel vendéen <strong>et</strong> charentais<br />
<strong>Simenon</strong> entre en contact avec La<br />
Rochelle <strong>et</strong> ses environs en 1927 à<br />
la faveur de son séjour à l’île<br />
d’Aix. Ses romans populaires montrent<br />
qu’il a dès c<strong>et</strong>te époque parcouru la côte<br />
vendéenne <strong>et</strong> charentaise des Sab<strong>les</strong>d’Olonne<br />
à Fouras. Séduit par le ciel <strong>et</strong><br />
<strong>les</strong> horizons immenses de c<strong>et</strong>te région, il<br />
s’installe de 1932 à 1935 à Marsilly, village<br />
proche de La Rochelle. De 1938 à<br />
1940, il habite à Nieul-sur-Mer, plus près<br />
encore de la ville. Après un court séjour<br />
à Vouvant, il se fixe à Fontenay-le-<br />
Comte de 1940 à 1942, puis à Saint-<br />
Mesmin jusqu’en 1945, sans compter la<br />
période de conva<strong>les</strong>cence, qui se mue en<br />
assignation à résidence, aux Sab<strong>les</strong>d’Olonne<br />
de la fin 1944 <strong>et</strong> du début<br />
1945. Il est normal, dans ces conditions,<br />
que le romancier ait situé dans c<strong>et</strong>te<br />
région qu’il affectionnait tout ou partie<br />
d’une quarantaine de fictions.<br />
La préfecture de la Charente-<br />
Maritime est restée la ville bien-aimée<br />
de <strong>Simenon</strong> qui déclare en 1982 : « J’ai<br />
découvert La Rochelle par hasard. C’est<br />
la ville dont j’ai été le plus amoureux. Je<br />
crois d’ailleurs que c’est celle sur laquelle<br />
j’ai écrit le plus de romans »<br />
(réponse à une interview-questionnaire<br />
de P. Chasten<strong>et</strong> citée dans Sud-Ouest<br />
Dimanche du 14 février 1982). On excusera<br />
l’écrivain, dans son enthousiasme,<br />
d’oublier Paris... À La Rochelle, on sait<br />
que <strong>Simenon</strong> a fréquenté la haute bourgeoisie<br />
de la ville essentiellement constituée<br />
par <strong>les</strong> armateurs locaux, même s’il<br />
préférait sans doute aller prendre l’apéritif<br />
au café de la Paix de la place<br />
d’Armes, plus conforme à ses goûts.<br />
N’empêche qu’il a peint le monde des<br />
armateurs <strong>et</strong> autres Rochelais opulents,<br />
sans aménité aucune, dans deux longs<br />
romans, Le Testament Donadieu (1937)<br />
<strong>et</strong> Le Voyageur de la Toussaint (1941).<br />
Dans ce dernier récit, le jeune Gil<strong>les</strong><br />
Mauvoisin se trouve en butte, tout au<br />
long du roman, à un groupe de notab<strong>les</strong>,<br />
dit le syndicat, qui fait littéralement la<br />
loi dans la ville. Pourtant, par un « matin<br />
clair », alors que le soleil se joue « sur<br />
<strong>les</strong> vieil<strong>les</strong> pierres de l’Hôtel de Ville »<br />
<strong>et</strong> que « tout, dans le décor, dans l’atmo-<br />
La maison de Nieul<br />
Collection Fonds <strong>Simenon</strong> / Université de Liège. Collection Fonds <strong>Simenon</strong> / Université de Liège.<br />
sphère, dans la vie bruissante de la cité,<br />
invit[e] à l’optimisme », le héros, sensible<br />
au charme <strong>et</strong> à la beauté de La<br />
Rochelle, est tenté de s’abandonner à la<br />
facilité <strong>et</strong> d’oublier la lutte qui l’oppose<br />
au syndicat, ce qui vaut au lecteur c<strong>et</strong>te<br />
évocation :<br />
Gil<strong>les</strong>, parfois, s’arrêtait <strong>et</strong> fermait <strong>les</strong> yeux,<br />
pour ne plus voir ce port vibrant de soleil,<br />
c<strong>et</strong>te foule colorée, pour ne plus entendre<br />
<strong>les</strong> voix sonores <strong>et</strong> <strong>les</strong> rires, pour s’abstraire<br />
malgré tout, supprimer <strong>les</strong> bateaux bleus <strong>et</strong><br />
verts, <strong>les</strong> voi<strong>les</strong> brunes <strong>et</strong> blanches, <strong>les</strong><br />
refl<strong>et</strong>s sur l’eau, le gamin qui pêchait à la<br />
ligne <strong>et</strong> qui avait <strong>les</strong> pieds nus, la forte<br />
odeur du vin quand on passait devant <strong>les</strong><br />
barriques rangées sur le quai des Ursulines,<br />
l’odeur du poisson, au bassin des chalutiers<br />
à vapeur... Jusqu’à l’air dont on sentait<br />
toutes <strong>les</strong> molécu<strong>les</strong> en mouvement <strong>et</strong> qui<br />
avait sa vie propre, son rythme, sa température,<br />
son parfum...<br />
Il était tenté de s’arrêter, […] d’ouvrir <strong>les</strong><br />
yeux tout grands pour laisser pénétrer <strong>les</strong><br />
images, de dilater ses poumons, de répondre<br />
au rire des passants par un rire, de vivre<br />
enfin... 16<br />
Roman écrit à la première personne,<br />
Le Train (1961) r<strong>et</strong>race le voyage ferroviaire<br />
effectué par un groupe d’habitants<br />
du nord de la France fuyant l’arrivée des<br />
troupes allemandes en 1940. Parmi eux<br />
se trouve le héros fumacien du roman,<br />
Marcel Féron, que <strong>les</strong> vicissitudes du<br />
traj<strong>et</strong> séparent de son épouse <strong>et</strong> qui a une<br />
liaison avec une jeune réfugiée tchèque<br />
<strong>et</strong> juive, Anna Kupfer. L’extrait suivant<br />
livre <strong>les</strong> premières impressions de<br />
Marcel Féron lorsque le train arrive en<br />
Vendée. On peut croire que le paysage<br />
exerce sur lui un émerveillement semblable<br />
à celui qu’a ressenti <strong>Simenon</strong><br />
quand il l’a découvert.<br />
Quant à la Vendée, je sais que ma peau, mes<br />
yeux, tout mon corps n’ont jamais aspiré<br />
aussi avidement le soleil que ce jour-là, <strong>et</strong> je<br />
peux dire que j’ai savouré toutes <strong>les</strong><br />
nuances de la lumière, toutes <strong>les</strong> sortes de<br />
vert des prés, des champs <strong>et</strong> des arbres.