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Simenon et les femmes

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Les compagnons de l’apocalypse<br />

Luc Lafn<strong>et</strong>, Bohème liégeois, 1922.<br />

La vie de bohème, écrivait Jean de<br />

La Varende, est l’antichambre de<br />

l’Académie ou de la morgue.<br />

<strong>Simenon</strong> qui fut, de son propre aveu,<br />

« moitié lapin de choux, moitié lapin de<br />

garenne », a failli être bohème. Ses insatiab<strong>les</strong><br />

curiosités <strong>et</strong>, sans doute, une sorte<br />

d’affinité cordiale, le poussèrent à<br />

côtoyer assez irrégulièrement un groupe<br />

d’artistes, rapins, candidats poètes,<br />

« musicos » qui se donnaient le titre <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> allures de « derniers romantiques ».<br />

En 1919, ils tranchaient sur l’arrivisme<br />

ambiant en ému<strong>les</strong> de Rodolphe, de<br />

Marcel, de Colline, de Schaunard, <strong>les</strong><br />

héros idéalisés des Scènes de la vie de<br />

bohème, d’Henri Murger, portant comme<br />

eux le bér<strong>et</strong> de velours noir, cher aux<br />

ateliers artistiques, le chapeau à larges<br />

bords, genre sombrero, la cravate lavallière,<br />

la longue pipe de terre entre <strong>les</strong><br />

dents.<br />

Au temps du p<strong>et</strong>it Sim, reporter à la<br />

Gaz<strong>et</strong>te de Liége, ces artistes avaient établi<br />

leur cénacle au fond d’une ancienne<br />

venelle, la rue de Houpe 1 . Ce véritable<br />

boyau aux pavés raboteux s’ouvre encore<br />

au n°13 de la rue des Écoliers qui<br />

longe le chev<strong>et</strong> de l’église Saint-Pholien.<br />

Nous sommes ici en un haut lieu de l’ancien<br />

quartier des tanneurs. Malgré son<br />

exiguïté, la voie perm<strong>et</strong>tait aux manœuvres<br />

du bon métier de passer avec <strong>les</strong><br />

brou<strong>et</strong>tées de peaux ou d’écorces de<br />

chêne, pour accéder aux rivages de<br />

Meuse. Déchue au rang d’impasse,<br />

entrée dans le domaine privé, elle n’est<br />

plus qu’une servitude; elle dessert l’immeuble<br />

occupé par une menuiserie,<br />

comme à l’époque des bohèmes.<br />

Avec son passage voûté, ses hauts<br />

murs tout en grisaille, ses portes<br />

condamnées, elle a conservé « le décor<br />

moyenâgeux à souhait » qu’elle présentait<br />

quand le Roul<strong>et</strong>abille de la Gaz<strong>et</strong>te<br />

la découvrit. <strong>Simenon</strong>iens, simenologues<br />

ou simp<strong>les</strong> collectionneurs d’ambiances,<br />

ceux qui empruntent l’itinéraire <strong>Simenon</strong><br />

aiment à s’attarder dans ce couloir<br />

ombreux, à humer son atmosphère confinée.<br />

Le temps semble s’être arrêté ici.<br />

On est en dehors du siècle. La voie<br />

donne sur la p<strong>et</strong>ite histoire <strong>et</strong> la légende,<br />

déjà …<br />

Les Hiboux<br />

Le nom de la plupart des bohèmes<br />

d’hier figure aujourd’hui en<br />

bonne place dans <strong>les</strong> monogra-<br />

phies <strong>et</strong> <strong>les</strong> catalogues d’art. Ils ont marqué<br />

profondément la vie artistique de la<br />

Cité Ardente <strong>et</strong> au-delà de nos frontières.<br />

Je fais l’appel des ombres à l’entrée de<br />

l’impasse : Auguste Mambour, Luc<br />

Lafn<strong>et</strong>, Edgar Scauflaire, Robert<br />

Crommelynck, Joseph Verhaege, Coco<br />

Caron, Fernand Steven, Joseph<br />

Bonvoisin, Emmanuel Meuris, Michel<br />

Morsa, Nènès Forgeur, Joseph Kleine,<br />

Jeph Lambert, Marcel Lempereur-Haut,<br />

Joseph Coulon, Rémy Veckmans, le<br />

sculpteur ébéniste Man<strong>et</strong>te, le pianiste<br />

compositeur Léopold B<strong>et</strong><strong>et</strong>, le guitariste<br />

Albert Nuez du cabar<strong>et</strong> de l’Âne Rouge,<br />

du côté des l<strong>et</strong>tres, Robert Denoël, le<br />

futur éditeur, Ernest Bonvoisin, Jean<br />

Lebeau, violoniste à ses heures, qui dirigera<br />

la Gaz<strong>et</strong>te du Tourisme, sans oublier<br />

Georges <strong>Simenon</strong> <strong>et</strong> le photographe<br />

André Maréchal.<br />

Nés quatre ou cinq ans avant le vingtième<br />

siècle, <strong>les</strong> plus âgés parmi <strong>les</strong><br />

peintres formaient déjà une bande avant<br />

1914. Ils montent au Sart Tilman<br />

peindre sur le motif, avant de prendre du<br />

bon temps à la laiterie Ki<strong>les</strong>se, « au<br />

Repos des Chasseurs », <strong>et</strong> de regagner la<br />

ville, à pied, en chantant. Graveur, dessinateur<br />

<strong>et</strong> folkloriste, Char<strong>les</strong> Bury, qui<br />

participa à leurs escapades nous a laissé<br />

de précieux souvenirs 2 : « Dès la fin de<br />

l’année 1912, se rencontraient dans <strong>les</strong><br />

rues de notre ville, des jeunes gens de<br />

seize à dix-sept ans, portant longue cravate<br />

lavallière <strong>et</strong> le chapeau mou des<br />

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