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LE FORGERON VENU DU CIEL Eric Guerrier - Kadath

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COMITE DE REDACTION :<br />

ivan verheyden, rédacteur en chef<br />

patrick ferryn, secrétaire de rédaction<br />

jean-claude berck, robert dehon,<br />

jacques gossart, jacques victoor<br />

AVEC LA COLLABORATION DE :<br />

jacques blanchart, jacques dieu,<br />

guy druart, jacques keyaerts,<br />

pierre méreaux-tanguy,<br />

édith pirson, albert szafarz,<br />

nicole torchet, albert van hoorenbeeck<br />

MAQUETTE DE GERARD DEUQUET<br />

Au sommaire<br />

— notre dossier présence kadath<br />

— l’archéologie devant quelle imposture ?, Ivan Verheyden . . .<br />

— les bricolages de génie, Robert Dehon . . . . . . . . . .<br />

— jade et immortalité dans l’empire du milieu, Patrick Ferryn . . . .<br />

— mégalithes oubliés de corée, Jacques Keyaerts . . . . . . .<br />

— le forgeron venu du ciel, <strong>Eric</strong> <strong>Guerrier</strong> . . . . . . . . . .<br />

— post-scriptum : énoch, adam, stonehenge . . . . . . . . .<br />

3<br />

12<br />

17<br />

26<br />

30<br />

37<br />

1


2<br />

A la recherche<br />

De kadath<br />

Ami lecteur, en ce troisième anniversaire de KADATH, nous vous proposons un numéro de transition.<br />

De grandes énigmes ont été abordées, et il en reste pas mal encore. Des domaines ont été survolés,<br />

et des théories confrontées. Il semble bien, au travers des livres publiés et recensés durant les dix<br />

dernières années, que l’archéologie nouvelle, que nous appelons de nos vœux, n’en soit qu’à ses<br />

balbutiements. Cela ne nous a qu’à moitié surpris. Mais l’audience de KADATH grandissant, nous<br />

avons atteint, maintenant, en maints domaines, la source même des événements. Cela se reflétait<br />

sporadiquement dans de récents numéros, et les gens attentifs n’ont pas manqué de nous en féliciter.<br />

Il semble donc que, outre notre rôle de mise en ordre dans ce méli-mélo incroyable, on attende<br />

de nous autre chose. Nous y sommes prêts, simplement, pareille performance ne s’obtient pas en<br />

quelques mois. Nous poursuivons notre mise en ordre, bien sûr, et c’est le rôle du comité de rédaction.<br />

Mais le comité d’honneur a, pour sa part, pris à cœur d’assumer un rôle plus que figuratif. Ces<br />

gens qui font l’événement en archéologie nouvelle, ont relevé le défi. Défi, car ils ne sont ni journalistes,<br />

ni compilateurs. Ce sont des chercheurs, et avant tout les auteurs d’un ou plusieurs livres. Pour<br />

exposer dans le détail le résultat de leurs travaux, il faut un livre, et le résumer en un article tient souvent<br />

de la gageure. Ils ont pourtant accepté de jouer le jeu. Désormais, à côté des articles de synthèse,<br />

vous trouverez donc une bonne proportion d’analyses, sur un sujet bien déterminé. Après les<br />

inscriptions runiques du Paraguay, vous trouverez bientôt, par son inventeur lui-même, une tentative<br />

de déchiffrement de l’écriture maya. Et voici aussi les traditions se rapportant au cratère du lac<br />

Bosumtwi en pays dogon. Toutes choses destinées à éclairer sous un jour nouveau, tel ou tel aspect<br />

de la recherche archéologique. Nous vous proposerons par la suite une étude inédite sur le mythe du<br />

dieu mexicain Quetzalcoatl, les recherches astronomiques d’Alexander Thom en Bretagne mégalithique,<br />

la controverse d’André Pochan et Jean-Philippe Lauer sur le sens des pyramides d’Egypte, etc.<br />

Et tout cela de première main, par les protagonistes eux-mêmes. Contrairement à ce qu’on trouve<br />

dans les revues d’archéologie classique, où la découverte (ô combien estimable) d’une nouvelle villa<br />

galloromaine ne fait qu’enfoncer des portes largement ouvertes, les études que nous vous proposons<br />

sont autant de coups de boutoir dans la version conformiste des choses. Pour nous, notre conviction<br />

est ferme : ce sont ces pièces-là qui seront, demain, les bases de l’archéologie non réduite à quelques<br />

schémas préétablis.<br />

KADATH<br />

Petite cigale en jade, de l’époque chinoise des Han, et destinée, comme en Mésoamérique, à être<br />

placée sur la langue du défunt.


L’ARCHEOLOGIE DEVANT<br />

QUEL<strong>LE</strong> IMPOSTURE ?<br />

« La science, ce n’est pas l’explication. Et même,<br />

l’explication, ce peut être l’antiscience. Si vous cherchez<br />

des explications, fuyez les savants, occupés<br />

surtout à poser des questions, et rejoignez les faiseurs<br />

de systèmes. Là, vous trouverez toutes les<br />

explications que vous voudrez, vous aurez l’esprit<br />

apaisé et vous crèverez idiots. »<br />

Rémy Chauvin.<br />

Ce numéro est celui de notre troisième anniversaire.<br />

Au risque de décevoir certains, nous n’avons pas<br />

encore trouvé la solution-miracle capable de résoudre<br />

en une équation l’ensemble des énigmes auxquelles<br />

nous nous sommes attelés. Par contre, nos<br />

positions se sont précisées et nous nous démarquons<br />

bien plus nettement, aujourd’hui, par rapport à<br />

d’autres tentatives, et la nôtre gagne ainsi en spécificité.<br />

KADATH s’est acquis une image de marque, et<br />

en ces temps de confusion, c’est déjà un bien beau<br />

résultat. On a pu assister récemment à deux<br />

confrontations qui font réfléchir. Le 28 novembre,<br />

sous le titre « Explorateurs des secrets de l’univers<br />

ou bricoleurs de l’impossible », Bernard Pivot, sur<br />

Antenne 2, présentait le livre de Jean-Pierre Adam,<br />

« L’archéologie devant l’imposture » 1 , et le mettait en<br />

Si le titre de cet éditorial en forme de « ce que<br />

je crois», paraphrase celui du livre de Jean-<br />

Pierre Adam, c’est que celui-ci servit de détonateur.<br />

Nous ne pouvions garder le silence, ni en<br />

faire un bref compte-rendu en post-scriptum.<br />

Nos lecteurs voulaient une réponse. La voici.<br />

Ce livre est une imposture, au même titre que<br />

l’archéomanie à laquelle il s’attaque. Les solutions<br />

préconisées par l’auteur — outre qu’elles<br />

contiennent des erreurs flagrantes — sont des<br />

vues de l’esprit, au même titre que celles faisant<br />

appel à l’antigravitation. Ceci est particulièrement<br />

vrai pour le transport des « grosses pierres<br />

». C’est pourquoi, en guise de couverture,<br />

j’ai proposé à Gérard Deuquet le montage que<br />

vous y voyez, sur le thème de la boutade d’Archimède<br />

: « Donnez-moi un point d’appui, et je<br />

soulèverai le monde ». Cette illustration est, elle<br />

aussi, une vue de l’esprit, mais au moins a-t-elle<br />

l’avantage d’aller jusqu’au bout dans l’absurde.<br />

A usage de ceux qui croient à une technologie<br />

analogue à la nôtre dans le passé, j’ai repris le<br />

« crawler transporter », cette plate-forme de 2<br />

500 tonnes conçue par la NASA pour amener la<br />

fusée lunaire Saturne V de son édifice d’assemblage<br />

jusqu’à l’aire de lancement. Mais comme<br />

les Anciens ignoraient presque tous la roue, il<br />

fallait y atteler des esclaves : 920 à partir des<br />

calculs de M. Adam. Et enfin, la solution extraterrestre<br />

me faisant l’effet d’un autre « deus ex<br />

machina », j’ai remplacé la fusée par un obélisque.<br />

S’il fallait illustrer toutes les aberrations<br />

qu’on peut rencontrer dans ce domaine, le dessin<br />

de couverture aurait été surchargé. Et nous<br />

ne sommes pas une revue surréaliste...<br />

présence de ceux qu’il prétendait dénoncer. J’ai eu<br />

l’occasion depuis de rencontrer l’auteur. Ensuite, le<br />

lendemain soir, nous étions confrontés au « Forum<br />

du Fantastique », organisé par le groupement<br />

GRECE 2 , à deux personnages bien différents en<br />

apparence, Louis-Claude Vincent parlant de la terre<br />

de Mu, et Guy Rachet présenté peut-être à son<br />

corps défendant, comme un tenant de l’archéologie<br />

officielle. Or, dans les deux cas, nous nous sommes<br />

trouvés, avec notre revue, en porte-à-faux. Il nous<br />

fallait dire notre désaccord avec les méthodes de<br />

Jean-Pierre Adam, sur lesquelles je reviens en détail<br />

plus loin dans cet éditorial. Les schématisations à<br />

outrance de l’auteur sont inacceptables, et elles<br />

nous offrent en plus une vision bien morne et triste<br />

de l’archéologie. Quant aux belles théories de Louis-<br />

Claude Vincent, pour présenter une vue fantastique<br />

de l’archéologie, elles n’en reposent pas moins sur<br />

des sables mouvants. Mais les deux avaient au<br />

moins en commun de tenter à tout prix de réduire<br />

l’Histoire à un schéma préétabli, où plus aucune<br />

place n’est laissée à l’imagination créatrice. La<br />

société balbutiante préscientifique pour l’archéologue<br />

classique, les deus ex machina (entendez : les<br />

géants, les habitants de Mu ou les extraterrestres),<br />

pour l’archéologue sauvage.<br />

Le réductionnisme en archéologie.<br />

Dans les pages qui me sont offertes, je voudrais,<br />

exemples à l’appui, démontrer ceci : que l’archéologie,<br />

à l’instar d’autres sciences humaines, est victime<br />

de manœuvres réductionnistes ; que ces manœuvres<br />

sont le fait, aussi bien des tenants de la science<br />

dite officielle que de l’archéologie dite sauvage et<br />

que, à ce niveau, l’une ne vaut pas mieux que l’autre<br />

; que lorsque ces deux réductionnisme sont mis<br />

en présence, l’on assiste à un lamentable dialogue<br />

de sourds se résumant à des joutes oratoires quand<br />

ce ne sont des échanges d’insultes ; que dans cet<br />

étalement de narcissisme nous n’avons aucune place<br />

à revendiquer, persuadés que nous sommes de<br />

ce qu’il existe une troisième voie, celle que nous<br />

préconisons ; que cette voie nous apparaît comme la<br />

seule à même à la fois de désamorcer la bombe, de<br />

chercher un terrain d’entente pour les bonnes volontés,<br />

et de redonner vie aux recherches archéologiques<br />

vraiment passionnantes ; et j’essaierai de faire<br />

ressortir cette voie (que nous appellerons provisoirement<br />

« réactivation archéologique » 3 ), sans longs<br />

discours car notre méthode, telle que décrite dans le<br />

deuxième numéro de notre revue, n’a guère subi de<br />

modifications notables, et doit continuer à servir de<br />

base.<br />

De plus en plus nombreuses sont les voix qui s’élèvent,<br />

enfin, contre cette fâcheuse tendance qu’ont<br />

maints sociologues, historiens, psychologues, économistes<br />

et autres, à réduire la réalité humaine à un<br />

seul de ses aspects, et à confondre la partie avec le<br />

tout. C’est ainsi que le marxisme réduit l’Histoire à la<br />

lutte des classes, tandis que le freudisme ramène<br />

tout à la libido, le plaisir. C’est ce réductionnisme<br />

que dénonçait Louis Pauwels dans son livre « Ce<br />

que je crois », repris d’ailleurs bientôt, comme en<br />

écho, par Maurice Clavel dans un autre ouvrage<br />

3


4<br />

portant le même titre 4 . Quant on sait que<br />

l’ « intelligentsia » s’efforce d’étiqueter l’un à droite et<br />

l’autre à gauche, on voit que le mal est profond. Mes<br />

préférences allant au premier, je citerai un exemple<br />

extrait de son livre : « Je me souviens d’un article sur<br />

les lemmings, dit-il. Ces migrateurs, parfois, se suicident<br />

collectivement en se précipitant dans la mer.<br />

L’énigme demeure. L’auteur tenait une explication.<br />

Les lemmings sont myopes. Il était bien content. Il<br />

terminait en souhaitant que « tous les mystères<br />

soient un jour ramenés à une simple question de<br />

myopie ». (...) La rage d’expliquer le haut par le bas.<br />

(...) A voir l’empressement avec lequel on s’adresse<br />

au monde matériel pour se fournir en explications,<br />

c’est à croire qu’il existe une firme concurrente qu’on<br />

n’aime pas et qu’on veut couler ». Tournez-vous vers<br />

l’archéologie : la firme concurrente, chez l’un, se<br />

nomme « science officielle », chez l’autre « les extraterrestres<br />

». Les griefs sont réels : chacun des protagonistes<br />

tente de réduire l’Histoire à un de ces deux<br />

schémas. Je dis que c’est du réductionnisme. Et je<br />

dis aussi que les méthodes utilisées sont superposables.<br />

La grave accusation du Dr Morlet contre l’Ecole<br />

Bayle (celle qui « démontra » que trois tablettes de<br />

Glozel étaient fausses) mérite une large application<br />

dans les milieux réductionnistes, la voici : « La méthode<br />

consiste à exposer longuement des théories<br />

scientifiques admises par tous... puis à vouloir les<br />

appliquer par un véritable tour de passe-passe, à<br />

l’étude d’objets auxquels elles ne s’appliquent nullement<br />

». Les titres, le jargon scientifique, les anathèmes<br />

: tout cela est très efficace et se montre payant.<br />

Nous rencontrons le procédé quotidiennement en<br />

archéologie sauvage, mais comme ce n’est guère<br />

intéressant, je n’insisterai pas. (J’ai déjà eu l’occasion<br />

de présenter au lecteur le Tartempion du genre,<br />

Herr Von Däniken.) Mais il ne faut pas croire que les<br />

milieux dits officiels en soient dépourvus. Dans son<br />

livre, Jean-Pierre Adam, pour réfuter les mégalithes,<br />

Baalbeck et l’île de Pâques, montre de quoi étaient<br />

capables les Grecs et les Romains. Il démontre que<br />

les pierres d’Ica sont fausses, parce que ce qui est<br />

gravé dessus est impossible !<br />

Je me demande si tout le malentendu actuel ne provient<br />

pas d’une erreur d’aiguillage dès le départ. Le<br />

Matin des Magiciens avait — parmi d’autres effets —<br />

pratiqué la première réactivation archéologique dans<br />

la littérature de langue française. Aucune des questions<br />

soulevées n’a encore reçu, à ce jour, de réponse<br />

définitive. Mais aucune des énigmes relevées<br />

n’était mal posée, non plus : il faut avoir le courage<br />

de le reconnaître. Et le tort de Louis Pauwels et Jacques<br />

Bergier a été, je crois, alors qu’ils disposaient<br />

d’un instrument précieux qui s’appelait Planète, de<br />

laisser le terrain archéologique à d’autres. C’est<br />

Nietzsche qui disait : « Je dois mettre une barrière<br />

autour de ma doctrine pour empêcher les cochons<br />

d’y entrer ». C’est ce qui s’est passé, à peine trois<br />

ans après leur livre-essai. Pour Robert Charroux,<br />

réactivation archéologique signifiait simplement :<br />

remuer dans la vase et ressusciter les anciennes<br />

chimères. Il fut même surpris, dans sa candeur, de<br />

ne trouver aucun écho sous la plume de ceux qu’il<br />

avait si lamentablement plagiés, et la rancœur, depuis,<br />

ne s’est jamais tarie. Aujourd’hui, pratiquement<br />

tout est à refaire : réparer le gâchis, dénoncer les<br />

conclusions hâtives, rectifier les affirmations gratuites,<br />

que sais-je encore ! L’affaire de Glozel en est un<br />

exemple : si Charroux en reparla en 1963, ce n’est<br />

pas qu’un élément neuf le justifiait, c’était simplement<br />

pour dénigrer la science dite officielle. Bien sûr,<br />

on comprend qu’Emile Fradin ait été ravi, lui qui avait<br />

subi les pires injustices. Mais ce n’est qu’en 1973<br />

qu’il était légitime de relancer l’affaire, une nouvelle<br />

technique archéologique ayant — enfin ! — démontré<br />

l’authenticité du site. Et qu’on ne vienne pas dire<br />

que les livres successifs de Robert Charroux y sont<br />

pour quelque chose, ce serait du plus haut comique !<br />

Toujours est-il que, au cours de la décennie, l’archéologie<br />

sauvage a pu faire ses preuves, et révéler<br />

ses constantes, parmi lesquelles je citerai : les attaques<br />

systématiques contre la science officielle et le<br />

refus de tenir compte de ses acquis, le manque d’information,<br />

l’incompétence et les raccourcis dans le<br />

raisonnement, l’utilisation d’arguments ne relevant<br />

pas de l’archéologie mais de l’occultisme ou de l’ésotérisme,<br />

le rapprochement enfin de choses qui<br />

n’ont aucun rapport entre elles.<br />

Il ne faut pas s’étonner, dès lors, que l’archéologie<br />

sauvage des Charroux, Kolosimo et autres Von Däniken<br />

jette le discrédit sur toute recherche sérieuse,<br />

que nous qualifions volontiers de parallèle. Et on<br />

comprend aisément que, obnubilé par cette archéologie<br />

sauvage qu’il voue aux gémonies, Jean-Pierre<br />

Adam m’ait demandé à quoi servait, tout compte fait,<br />

notre revue : il se demandait, en substance, pourquoi<br />

nous jugions utile de faire le point sur des énigmes<br />

qui (selon lui) n’en sont pas, si ce n’est pour<br />

préconiser de l’irrationnel comme le fait Charroux. Il<br />

a donc fallu que je lui explique qu’il existe une autre<br />

archéologie, que je qualifie provisoirement de parallèle,<br />

et qu’elle ne fait pas appel à l’irrationnel, quand<br />

bien même elle ne prétend pas avoir déjà trouvé une<br />

solution aux énigmes qu’elle pose. (Disons tout de<br />

suite, qu’à chacun des exemples que je lui donnais,<br />

il fallait que j’ajoute un mot d’explication, notre chasseur<br />

de sorcières paraissant chaque fois revenir de<br />

Pontoise.) J’énumérerai donc ici quelques exemples<br />

de cette archéologie en marge qui nous passionne,<br />

en m’excusant d’avance pour les innombrables lacunes<br />

: la mise en cause de la chronologie égyptienne<br />

par André Pochan, les contacts transocéaniens<br />

avant Colomb mis en évidence par Heine-Geldern,<br />

Jacques de Mahieu, Cyrus Gordon et d’autres, les<br />

connaissances astronomiques à l’époque des mégalithes<br />

relevées par Gerald Hawkins et Alexander<br />

Thom, les civilisations préincaïques scrutées par<br />

Simone Waisbard, les traces d’une civilisation interglaciaire<br />

analysées par Charles Hapgood à partir de<br />

cartes marines. Et coetera, et coetera. Et je suis sûr<br />

d’en avoir oubliés autant. La moitié de ces ouvrages<br />

ne sont même pas rédigés en français, et ils attendent<br />

toujours un traducteur et un éditeur.<br />

Archéologie « officielle »,<br />

archéologie « parallèle ».<br />

L’énumération de ces recherches appelle deux réflexions.<br />

D’abord, pareils livres n’existaient pratiquement<br />

pas avant les années ’60 : la réactivation archéologique<br />

dont nous parlions plus haut était donc<br />

bien indispensable pour attirer l’attention sur ces<br />

travaux. Ensuite, aucun n’a rallié l’unanimité autour<br />

de son nom, c’est dire qu’ils sont loin de résoudre<br />

définitivement une énigme irritante, et il est donc<br />

d’utilité publique que les recherches se poursuivent.<br />

Mais une chose est certaine : ils ne s’excluent pas<br />

entre eux, ce qui est plutôt bon signe. Et ces archéologues<br />

en marge ne se privent pas de recherches


persévérantes. Lorsque, voici trois ans, je vous parlais<br />

de l’horloge d’Anticythère, je n’avais pratiquement<br />

à ma disposition qu’une seule publication<br />

scientifique datant de juin 1959. Aujourd’hui, quinze<br />

ans après (eh oui !), l’auteur de la découverte, le Dr<br />

de Solla Price consacre un livre entier à cette mécanique<br />

! Il faudrait un livre sur chaque horloge d’Anticythère<br />

du monde, et sur chacune de ces pièces à<br />

conviction qui dorment dans les musées, et sur les<br />

innombrables autres énigmes archéologiques. Et il<br />

faut une revue comme la nôtre pour suivre cela de<br />

près, et avec un respect du lecteur qui passe par le<br />

respect de la vérité dans l’information. La tâche est<br />

même urgente, lorsqu’on voit se profiler, derrière<br />

Jean-Pierre Adam, toute une famille d’esprit dont le<br />

seul souci est de minimiser l’importance de ce genre<br />

de découvertes, et par voie de conséquence, de les<br />

ignorer voire de les étouffer. Et notre rôle n’est pas<br />

de parler de choses qu’on ignore, mais bien de dire<br />

ce qu’on sait sur les choses que les archéologues<br />

prétendent ignorer. Nuance !...<br />

On veut nous faire croire que, devant une nouvelle<br />

découverte, le premier soin de tous les archéologues,<br />

en dignes scientifiques avides de connaissances,<br />

est d’y attacher toute l’importance qu’elle mérite.<br />

Ceci est malheureusement faux. Tout le drame<br />

de Glozel vient de ce que les tablettes furent découvertes<br />

quelques mois à peine après que René Dussaud<br />

avait démontré l’antériorité de l’écriture phénicienne.<br />

Bien sûr, s’il fut un temps où il était nécessaire<br />

d’épingler les cas exemplaires de Galilée, Schliemann<br />

ou Boucher de Perthes, je reconnais volontiers<br />

qu’ils sont devenus trop souvent, depuis, des alibis<br />

servant à justifier n’importe quoi. Mais, il y a bel et<br />

bien un aspect exécrable de l’archéologie classique,<br />

et qui mérite amplement le qualificatif d’ « officiel »<br />

l’archéologie (tout comme l’histoire) n’est pas la même<br />

partout ! Le chauvinisme des archéologues péruviens<br />

est bien connu, accordant la préséance à leurs<br />

sites par rapport à d’autres pays amérindiens. Et<br />

pendant ce temps-là, dans d’autres universités, on<br />

n’hésite pas à envisager une origine cosmique aux<br />

civilisations du plateau bolivien. En Egypte, l’Ecole<br />

du Caire ne voit pas la chronologie des pyramides<br />

sous le même angle que nous. En Inde, des universités<br />

étudient les textes sanscrits dans une optique<br />

bien différente de la nôtre, laquelle est la digne héritière<br />

des explorateurs-esthètes du temps de Marco-<br />

Polo. L’archéologie a ce même défaut — ou cette<br />

même nécessité — que l’histoire : enseignée dans<br />

les écoles, dans les livres et les musées, elle doit<br />

entretenir le nationalisme, justifier pourquoi on fait<br />

partie d’une communauté et pourquoi celle-ci est<br />

meilleure que les autres. Pour ne parler que de notre<br />

société galloromaine, nous sommes héritiers des<br />

splendeurs de la Rome antique (l’enseignement du<br />

latin), et il faut que les Gaulois vaincus ne soient que<br />

de pauvres hères. L’Europe a colonisé l’Amérique et<br />

lui a apporté ses lumières : il faut à tout prix qu’aucune<br />

société précolombienne ne soit antérieure à notre<br />

culture. Et ne parlons pas du racisme qui grève toute<br />

recherche sérieuse sur l’existence d’une quelconque<br />

civilisation autochtone d’Afrique noire. Ce n’est pas<br />

pour rien que, dans nos recherches, les plus grands<br />

obstacles à franchir sont les musées. Ce n’est pas<br />

pour rien non plus que nous trouvons un écho particulièrement<br />

favorable, chez certains instituteurs en<br />

rupture d’orthodoxie. Cela aussi, il fallait le dire.<br />

L’archéologie parallèle n’exclut pas l’archéologie<br />

classique, bien au contraire. Il nous faut également,<br />

à nous, des fouilles aussi approfondies que possible,<br />

avec des données stratigraphiques, chronologiques<br />

et autres. Tant il est vrai qu’il n’y a qu’une science.<br />

Simplement, elle offre des lacunes énormes, il manque<br />

des éléments que nous croyons essentiels, et<br />

qui expliqueraient l’Histoire mieux que les pénibles<br />

amalgames anthropologico-préhistoriques qu’on<br />

nous échafaude. Je crois avoir démontré à suffisance<br />

que KADATH ne relève pas de l’archéologie sauvage<br />

ni de l’archéomanie. Mais nous ne relevons<br />

pas plus de l’archéologie officielle, qu’on le veuille ou<br />

non. J’en veux pour preuve l’écho que nous réserva<br />

après trois ans de silence, le chroniqueur archéologique<br />

d’un quotidien du soir 5 . Pourquoi ce long mutisme<br />

? Parce qu’il nous estimait trop éloignés de l’archéologie<br />

telle qu’il la concevait. Et dès lors, s’il nous<br />

cita, ce fut uniquement à cause des deux articles<br />

dénonçant l’archéologie-fiction, et plus particulièrement<br />

à Bayan-Khara Uula. Nous avions trouvé ces<br />

mises au point importantes mais, et le lecteur en<br />

conviendra, l’essentiel de ce numéro était ailleurs : la<br />

révision du calendrier maya, les inscriptions runiques<br />

du Paraguay, les chevaux blancs du monde celtique.<br />

De ceci, pas un mot, à peine une allusion à M. Vollemaere.<br />

Qu’est-ce à dire ? Que ces sujets ne relèvent<br />

pas de l’archéologie telle que M. Burnet la conçoit ?<br />

Mais pourquoi ? Lorsque les Chinois présentèrent à<br />

la presse leurs dernières découvertes archéologiques,<br />

le même Albert Burnet leur fit un large écho,<br />

en se fiant tout compte fait à très peu de chose : un<br />

communiqué, de mauvaises photos, quelques citations<br />

du président Mao. C’est tout. Même cautionné<br />

par l’Académie des Sciences de Pékin, pareille<br />

« révélation » devait être maniée avec des pincettes.<br />

Alors, pourquoi les momies chinoises et pas les pyramides<br />

? Pourquoi les statues équestres et pas les<br />

disques pî ? Il y a là un apriorisme flagrant. A moins<br />

que ce dont nous parlons ne relève pas de la même<br />

archéologie...<br />

L’archéologie que nous avons jusqu’à présent qualifiée<br />

de parallèle, est en fait une archéologie en marge,<br />

pour ne pas dire marginale. Il faut se représenter<br />

l’archéologie comme un faisceau de flèches, toutes<br />

parallèles et orientées dans le même sens. Selon<br />

qu’elles sont admises par un nombre plus ou moins<br />

élevé de chercheurs, les lignes de recherche seront<br />

situées plus ou moins près du centre de ce faisceau.<br />

Si ces lignes de recherche s’entendent entre elles,<br />

elles seront contiguës, de façon à ne former, au centre,<br />

qu’un bloc homogène, la science dite officielle.<br />

Plus on s’éloigne de ce centre, plus on trouve des<br />

flèches séparées, distinctes. Vues ainsi, elles sont<br />

les éléments d’une science dite parallèle. Les parallèles<br />

ne se rejoignent jamais, mais à la longue elles<br />

vont faire corps avec le courant central. Peut-être<br />

même que, de par leur poids d’un côté ou de l’autre<br />

du bloc monolithique central, elles finiront par infléchir<br />

sa course générale. C’est l’espoir de ces archéologues<br />

en marge. C’est de la science aussi bien<br />

que l’archéologie officielle. Simplement, de par leur<br />

éloignement du centre, il leur faudra un temps plus<br />

considérable pour se faire entendre. C’est tout. Les<br />

archéologues sauvages, eux, constituent des flèches<br />

parasites, qui tirent à hue et à dia, sans espoir de<br />

faire dévier la science (et c’est tant mieux), mais en<br />

courant simplement le risque de se perdre dans le<br />

néant (et de gagner beaucoup d’argent). Aux yeux<br />

de l’archéologie classique, ces recherches marginales<br />

pèchent par un double défaut : ou bien elles ne<br />

5


6<br />

cadrent pas avec les théories en vogue, et on les<br />

condamne sur base du fameux principe de l’économie<br />

des hypothèses ; ou bien elles s’occupent de<br />

sujets où les vestiges sont rares et souvent déclarés<br />

inutilisables par une science qui a déclaré forfait. Je<br />

pense à des sites comme l’île de Pâques, Stonehenge<br />

ou Tiahuanaco. Constatant que l’arsenal des<br />

méthodes de recherche applicables à ces sites est<br />

trop restreint, ces chercheurs proposent une ouverture,<br />

une nouvelle approche de la question. Là où le<br />

bât blesse, c’est quand ils préconisent de faire appel<br />

à d’autres disciplines : l’astronomie, la géologie,<br />

l’étude des traditions, l’analyse de textes négligés,<br />

etc. On n’accepte une approche pluridisciplinaire de<br />

l’archéologie que dans une optique réductionniste :<br />

le carbone-14 ou l’analyse pollinique, à condition<br />

qu’elles viennent confirmer les recoupements historico-archéologiques.<br />

Et à ce sujet, je voudrais attirer<br />

l’attention sur une découverte récente, dont les implications<br />

m’ont beaucoup inquiété.<br />

La dendrochronologie a été maintenant suffisamment<br />

vérifiée, et des tableaux de correction pour les<br />

dates au carbone-14 commencent à être publiés<br />

partout. On sait que la comparaison de radioactivité<br />

dans les anneaux de croissance d’arbres millénaires<br />

comme le séquoia a obligé les savants à corriger<br />

leurs dates, parfois de plusieurs siècles. C’est ainsi<br />

que la dendrochronologie a donné le coup de grâce<br />

à la théorie ô combien adulée du diffusionnisme<br />

d’est en ouest, le fameux mirage de l’Orient. Dorénavant,<br />

au lieu de lui être postérieur, Stonehenge et les<br />

mégalithes par exemple sont bien antérieurs à Mycènes.<br />

(Nous nous en doutions depuis longtemps, mais<br />

ceci est une autre histoire.) Seulement, cette théorie<br />

n’était pas basée uniquement sur le C-14, loin s’en<br />

faut. On date avant tout les pièces par comparaison<br />

avec d’autres cultures, par analogie avec des sites<br />

voisins, par l’étude de l’évolution des arts et des<br />

techniques, etc. Or ! ! ! Toutes ces méthodes<br />

« historiques » étaient en accord avec la datation au<br />

C-14, affirmant que la vieille Europe était l’héritière<br />

de l’Orient. Si, maintenant, la datation scientifique<br />

doit être corrigée, que faut-il penser de toutes ces<br />

autres méthodes qui étaient arrivées au même résultat<br />

? Je suis très inquiet, car il faudrait penser qu’on<br />

a donné là-bas pas mal de coups de pouce dans<br />

tous les sens, pour arriver à cette fameuse corrélation<br />

historico-scientifique chère aux archéologues.<br />

Pauvre séquoia ! Oserait-il mettre en doute la bonne<br />

foi de tant de générations d’honnêtes chercheurs ?<br />

Architecture en chambre.<br />

En ce qui concerne le transport des « grosses pierres»<br />

de l’Antiquité, mégalithes et monolithes (1), on<br />

connaît la réponse réductionniste : des esclaves à la<br />

pelle. Dans le cas des pyramides, et en attendant<br />

mieux, on pourrait, pourquoi pas, se contenter de<br />

cette solution. Je ferai simplement remarquer que<br />

dans les ouvrages d’égyptologie on trouve autant de<br />

techniques de transport qu’il y a d’auteurs, ce qui<br />

(1) Jean-Pierre Adam appelle mégalithe tout ce qui<br />

est « grosses pierres ». S’il se veut archéologue,<br />

il devrait savoir que le terme de « mégalithes<br />

» est réservé aux pierres non taillées ou<br />

mal dégrossies, du genre dolmens et menhirs,<br />

tandis que les colosses taillés et/ou sculptés<br />

sont les monolithes.<br />

prouve que les vestiges à partir desquels on extrapole<br />

ne sont pas aussi démonstratifs qu’on veut bien<br />

nous le faire croire. Cela étant, lorsqu’on constate<br />

que des blocs gigantesques, souvent déjà achevés,<br />

furent ajustés avec une précision extraordinaire et<br />

sans subir la moindre éraflure, on est en droit de se<br />

poser des questions. Devant la résurgence périodique<br />

de celles-ci, et obligés de prononcer le mot<br />

« technique », les archéologues sortent une nouvelle<br />

arme, l’ingéniosité ou plus simplement, le « système-<br />

D ». Première remarque : l’honnêteté élémentaire<br />

obligerait à reconnaître — et explicitement — que la<br />

solution proposée n’est rien de plus qu’un scénario,<br />

autrement dit une invention pure et simple, à partir<br />

d’exemples contemporains. Car on n’a jusqu’à présent<br />

jamais retrouvé de plan de travail, ni de résidus<br />

suffisamment probants pour recueillir la conviction<br />

unanime (c’est d’ailleurs de là que vient tout le problème).<br />

Mais ces messieurs se parent alors volontiers<br />

de leurs titres pour que, noblesse oblige, le<br />

lecteur soit subjugué. Non ! Qualitativement, pareille<br />

procédure ne vaut guère mieux que celle utilisée par<br />

l’autre bord, et qui consiste à se dire grand initié et à<br />

faire appel à des aides occultes quelconques. S’il<br />

fallait un portrait-robot de ce genre<br />

d’ « arrangements », je vous propose le livre de<br />

Jean-Pierre Adam : tout Baalbeck y est « résolu » à<br />

partir d’une technique du XVIII e siècle, le transport<br />

des statues de l’île de Pâques à partir... de l’auteur,<br />

et celui des blocs des pyramides à partir d’une fresque<br />

figurant une statue du Moyen Empire. Il faut que<br />

je m’y attarde pour démonter devant vous le mécanisme.<br />

Je commencerai par le dernier exemple cité.<br />

Sur deux pages entières, l’auteur a redessiné une<br />

fresque de la XII e , dynastie (Moyen Empire), trouvée<br />

dans le tombeau du pharaon Djéhoutihotep. Nous en<br />

reproduisons tirée de Jean-Philippe Lauer 6 , une<br />

réplique exacte, c’est-à-dire où on n’a pas complété<br />

ce qui manque, mais dotée par contre des hiéroglyphes<br />

qui l’entourent (ignorés par J.-P. Adam). Et<br />

voici que commencent les entourloupes (voir le dessin<br />

ci-contre).<br />

1. La hauteur du colosse, il la déduit de la hauteur<br />

des personnages, car, dit-il « les artistes égyptiens<br />

respectaient généralement les échelles sur<br />

ce type de représentation ». Affirmation gratuite,<br />

mais qui sert. De toute façon, ignare en égyptologie,<br />

il ne pouvait pas savoir que la hauteur est<br />

tout simplement inscrite dans les hiéroglyphes<br />

(voir J.-Ph. Lauer, page 271).<br />

2. Ignorant aussi bien quel était le matériau utilisé, il<br />

fait une estimation allant de 54 à 80 tonnes, selon<br />

qu’il s’agit de pierre tendre ou dure. S’il avait<br />

lu ne fût-ce que le livre de Lauer, il saurait que le<br />

colosse est en albâtre. Qu’à cela ne tienne, il<br />

choisit un poids moyen de 72 tonnes (?).<br />

3. Par un calcul rudimentaire, le voilà qui conclut<br />

qu’il fallait 1950 hommes pour le traîner. Ayant<br />

remarqué sur la fresque qu’un des personnages<br />

rend le sol glissant en y déversant un liquide, il<br />

en déduit que l’effort à fournir tombe au sixième<br />

de la charge, soit 480 hommes... Et voici le tour<br />

de passe-passe : sur le dessin ne sont figurés<br />

que 172 ouvriers ! Donc, « seuls le manque de<br />

surface et la simplification de son travail l’ont<br />

amené (l’artiste) à réduire de deux fois et demie<br />

la quantité normalement requise » ! Ran pataplan<br />

! fermez le ban !, selon une expression chère<br />

à l’auteur.<br />

Voilà comment ces gens font de l’archéologie ! Non


Le transport de la statue du pharaon Djéhoutihotep (d’après Jean-Philippe Lauer). Selon Jean-Pierre Adam,<br />

architecte, tout en respectant les proportions pour la taille des personnages, le dessinateur en a délibérément<br />

réduit le nombre. En effet, les calculs de J.-P. Adam montrent qu’il eût fallu 480 hommes, or la fresque n’en<br />

représente que 172.<br />

prévenu, on n’y verrait que du feu. Et pourtant l’arrangement<br />

est là, irréfutable : pour calculer la hauteur<br />

du colosse, on se base sur la fidélité du dessin,<br />

mais dès que les calculs ne vous conviennent plus,<br />

hop, vous arguez d’une schématisation de la part du<br />

même dessinateur, et le tour est joué. Qu’on ne me<br />

fasse maintenant pas dire ce que je n’ai pas dit.<br />

J’admets volontiers que cette statue et d’autres aient<br />

été déplacées de la façon indiquée sur la fresque. Le<br />

contraire serait étonnant quand on voit tous les temples<br />

égyptiens encore debouts. Tout comme on serait<br />

surpris d’apprendre que les anciens Egyptiens<br />

n’auraient jamais traîné le moindre bloc. Mais qu’on<br />

ne présente pas ce genre de calcul comme la panacée.<br />

Et surtout, qu’à partir de ce modeste exemple<br />

datant du Moyen Empire, on ne vienne pas dire (p.<br />

155) que « la méthode utilisée ici pour le déplacement<br />

peut être étendue à la majeure partie des mégalithes<br />

mis en œuvre, tant dans la vallée du Nil que<br />

dans d’autres contrées ». L’extrapolation de Jean-<br />

Pierre Adam à la construction des pyramides<br />

contient d’ailleurs sa propre réfutation. Partant d’une<br />

méthode inventée de toutes pièces, il doit reconnaître,<br />

au fur et à mesure, que tel ou tel ustensile était<br />

inconnu à l’époque, que ce n’est pas d’application<br />

pour tout, bref que la solution n’est pas là. Mais en<br />

attendant, et à l’aide de pleines pages de dessins<br />

parfois très sophistiqués, on a donné au lecteur l’impression<br />

que le mystère est depuis longtemps résolu<br />

et que, de toute façon, vu le contexte du livre, toute<br />

autre explication serait de l’imposture. Mais où est<br />

l’imposture ?<br />

Croit-on que j’exagère ? Il y a mieux. A l’île de Pâques.<br />

Le livre aura au moins eu l’avantage de nous<br />

rappeler qu’on attend de nous un exposé honnête et<br />

complet d’énigmes comme celles-là. Nous préparons<br />

un dossier à ce sujet, et je ne m’attarderai donc pas<br />

trop. Disons simplement que la technique préconisée<br />

par notre architecte en chambre (il reconnaît n’avoir<br />

jamais mis les pieds ni à Nazca, ni à Stonehenge, ni<br />

à l’île de Pâques, ni probablement ailleurs), cette<br />

technique est inventée de toutes pièces, et, quoique<br />

plausible comme toutes les précédentes, ne dispose<br />

pas du moindre début de preuve. Ignorant délibérément<br />

que des dizaines de statues sont encore creusées<br />

dans le flanc d’un volcan presque à pic, et que<br />

d’autres ont été descendues en passant par-dessus<br />

celles-ci, J.-P. Adam découvre malgré tout le colosse<br />

inachevé, long de 20 mètres, qui réduit sa théorie à<br />

néant. Qu’à cela ne tienne, il sort de son chapeau le<br />

bon vieux cliché de tout archéologue réductionniste<br />

qui se respecte : comme à Baalbeck, une fois la<br />

pierre pratiquement taillée, ses constructeurs se sont<br />

rendus compte avec effarement qu’ils ne pourraient<br />

la déplacer ! Car il faut savoir que ces gens étaient<br />

bêtes au-delà de toute imagination ! Pas si bêtes<br />

pourtant que pour laisser traces de leurs gigantesques<br />

rampes de terre : pour l’une des plus grandes<br />

statues, l’auteur a imaginé une rampe de 4 500 m 3 ,<br />

ni plus ni moins, et encore bien inclinée à 20%. Imaginez<br />

le spectacle. Mais ici aussi, ignorant les premiers<br />

mots de l’archéologie pascuane, on ne lui avait<br />

jamais dit que, pour réaliser pareille rampe, avec le<br />

sol volcanique de l’île, il eût fallu en amasser pratiquement<br />

toute la terre. L’ayant appris de Francis<br />

Mazière lors de leur confrontation sur Antenne 2, il<br />

ne faudra à Jean-Pierre Adam qu’un mois pour imaginer<br />

une nouvelle entourloupe. Figurez-vous que si<br />

l’île de Pâques est devenue la terre désolée qu’on<br />

connaît, c’est tout simplement par la faute des Pascuans<br />

eux-mêmes : « Ils ont déboisé complètement<br />

l’île, m’a-t-il dit, et, au déboisement a succédé une<br />

érosion éolienne formidable, qui a retiré la couche de<br />

cendres volcaniques qui se trouvait en surface. On<br />

est donc obligé de raisonner en partant de parallèles<br />

avec le mégalithisme européen notamment, où l’on<br />

trouve du bois et de la terre pour faire des rampes ».<br />

Ran pataplan ! fermez le ban encore une fois ! Et si<br />

les Pascuans ont déboisé, c’est sans doute pour<br />

traîner leurs statues ? Et les rampes étaient faites en<br />

cendres volcaniques ? Vous voyez, on tourne en<br />

rond. Mais comme on n’a jamais trouvé le moindre<br />

indice de pareil phénomène à l’île de Pâques, il est<br />

loisible d’inventer n’importe quoi, personne ne vous<br />

démentira. C’est bien ce que je disais : les archéomanes<br />

procèdent ainsi, mais apparemment aussi<br />

ceux qui se veulent archéologues. Pareille procédure<br />

7


8<br />

est, ni plus ni moins, de l’archéologie-fiction !<br />

Puisqu’on nous renvoie au mégalithisme européen,<br />

j’y suis allé voir de plus près. On sait que les préhistoriens<br />

se sont mis d’accord pour clamer à qui<br />

veut l’entendre, que les dolmens sont des tombeaux.<br />

C’est pourquoi, véritables empêcheurs de tourner en<br />

rond, nous nous faisons un plaisir de vous parler,<br />

dans ce numéro, des mégalithes coréens, où les<br />

squelettes sont extrêmement rares, et probablement<br />

récents, dus à ce que Henri de Saint-Blanquat (sans<br />

partager nos vues) appelle « les attardés du mégalithisme<br />

» 7 . C’est finalement chez Fernand Niel, dans<br />

son livre sur Stonehenge, que j’ai trouvé les plus<br />

beaux exemples de ces syllogismes qui tournent en<br />

rond, et dont on sait qu’ils sont très en usage aussi<br />

chez les archéomanes 8 . Jugez-en plutôt, c’est écrit<br />

page 117 : « Les pierres de Stonehenge peuvent<br />

avoir été dressées sous l’impulsion de l’idéal religieux.<br />

D’ailleurs (c’est moi qui souligne), l’érection<br />

des monuments montre que les hommes de ces<br />

époques avaient l’habitude des grands travaux ». Si<br />

vous pouvez me dire comment l’un découle de l’autre,<br />

écrivez-moi. J’ai trouvé une perle semblable à<br />

Avebury, non loin de Stonehenge, où se dresse une<br />

double enceinte de pierres levées pesant jusque 40<br />

tonnes. On y lit sur une plaquette rédigée à l’usage<br />

des touristes par l’archéologue attitré du site, le Professeur<br />

R.J.C. Atkinson, que ce cromlech de 650<br />

menhirs a été édifié « for unknown religious purpose<br />

», pour des raisons religieuses inconnues. En<br />

littérature, on pourrait admirer la figure de style, mais<br />

c’est paraît-il, de science qu’il s’agit ici. Alors, si les<br />

raisons sont inconnues, comment sait-on qu’elles<br />

sont religieuses ? Là encore, si vous savez, écrivezmoi.<br />

Mais la perle la plus précieuse, celle qu’on voudrait<br />

enchâsser, concerne la construction des dolmens.<br />

Elle est aussi de Fernand Niel, page 239 : « Il<br />

(le système du remblai) fut sans doute adopté pour<br />

la pose des tables des dolmens (...). On a objecté<br />

qu’aucune trace ne restait de tels travaux, mais<br />

pourquoi en resterait-il ? Il ne s’en trouve pas non<br />

plus autour de la plupart des dolmens ». CQFD,<br />

lecteur ne doutez plus, la foi vous sauvera !<br />

Comment arranger les chiffres.<br />

Baalbeck, enfin ! Là, c’est du Cecil B. De Mille, le<br />

sens de l’humour en moins. Si ce dernier utilisait,<br />

pour ses reconstitutions, des blocs en carton-pâte,<br />

Jean-Pierre Adam, de son propre aveu, ne tient nullement<br />

compte, dans son scénario, de la résistance<br />

des matériaux, ce qui résout déjà pas mal de choses.<br />

Un kilo de plumes pèse autant qu’un kilo de<br />

plomb, tout le monde sait ça. Second problème<br />

qu’on escamote : le fait que les blocs du trilithe aient<br />

été soulevés à une hauteur de sept mètres. Vous<br />

imaginez alors, de la carrière jusqu’au temple, une<br />

chaussée longue d’un kilomètre, et vous la rehaussez<br />

jusqu’au niveau de l’assise correspondante ;<br />

comme le temple est en contre-bas de la carrière, on<br />

reste rêveur devant la quantité de terre remuée ; que<br />

cela ne laissa aucune trace, bien sûr, vous ne vous<br />

en préoccupez guère. Et enfin, comme je l’ai dit plus<br />

haut, le bloc encore dans la carrière, vous le laissez<br />

où il est (bien sûr), en laissant entendre que s’il ne<br />

fut jamais transporté, c’est parce qu’il était intransportable,<br />

et que les tailleurs de pierre étaient trop<br />

demeurés que pour s’en rendre compte à temps. Si<br />

je vous réponds qu’il leur aurait suffi d’en scier un<br />

morceau jusqu’à le rendre transportable, vous me<br />

rétorquez, candidement (page 139) que « pour obte-<br />

nir un mètre cube de pierre de construction, il était<br />

plus facile de le réaliser en un seul morceau que de<br />

le fractionner en un grand nombre de moellons dont<br />

la confection aurait multiplié considérablement les<br />

surfaces à tailler ». On n’avait jamais songé à cela si<br />

les hommes se sont, à une certaine époque, mis à<br />

tailler et à traîner des blocs gigantesques, c’est parce<br />

qu’ils étaient paresseux ! Dernier conseil : au<br />

passage, vous ne donnez à ce bloc dans la carrière<br />

que 4 m 30 de large, pour 4 m 80 dans la réalité, ce<br />

qui réduit son volume de 45 m 3 , et son poids de 160<br />

tonnes : c’est toujours ça de pris. Et vous voilà à<br />

pied d’œuvre. Ceux que cela intéresse, je les renvoie<br />

au livre en question, tout y est résolu en une<br />

page.<br />

Nous reproduisons ici simplement le schéma de<br />

Jean-Pierre Adam, destiné à illustrer tout cela, et qui<br />

en dit long sur les dons d’illusionniste de l’auteur.<br />

Remarquez simplement trois choses (2) :<br />

1. Des cabestans comme vous en voyez, il est censé<br />

y en avoir 16, disposés symétriquement. Qu’il<br />

faut de la place pour agencer tout cela n’a apparemment<br />

aucune importance. Qui plus est, la<br />

puissance produite par chaque machine est calculée<br />

une fois pour toutes, et rien n’entamera<br />

l’optimisme de l’auteur. Aucune traction ne s’effectue<br />

droit vers l’avant mais bien plus ou moins<br />

en éventail : par conséquent, la résultante sera<br />

dans chaque cas inférieure aux calculs. C’est de<br />

la mécanique élémentaire qui ne gêne nullement<br />

M. Adam.<br />

2. Trente-deux hommes s’esquintent sur chacun<br />

des cabestans. D’après ses calculs, chaque machine<br />

développe ainsi une force de 35 tonnes.<br />

Trente-cinq tonnes par cabestan Et cette puissance<br />

vient s’appliquer sur un tambour central en<br />

cèdre du Liban de 20 centimètres de diamètre !<br />

Demandez l’avis d’un ingénieur : c’est en acier<br />

massif que devrait être le tambour pour résister.<br />

Qui plus est, dans ce tambour sont plantées huit<br />

barres, également en cèdre, sur lesquelles viennent<br />

s’appuyer les hommes. Là aussi, le bois<br />

devrait au moins être cerclé d’acier.<br />

3. Contrairement à ce qu’on pourrait croire en<br />

voyant le dessin, c’est chaque cabestan qui doit<br />

être ancré dans le sol par une herse. Si on veut<br />

une traction autant que possible vers l’avant,<br />

cela pose un nouveau problème, que l’auteur ne<br />

soulève bien sûr pas. Mais en outre, voyez la<br />

légende, c’est dans du remblai qu’elles se fixent<br />

et toutes à l’avant. Ce remblai, c’est du sol meuble,<br />

qu’on y ajoute autant de pierraille qu’on veut.<br />

Encore une fois, c’est en réalité du béton armé<br />

qu’il faudrait.<br />

Enfin, je ne puis m’empêcher de sourire en constatant<br />

que, après avoir réfuté le transport par 800<br />

bœufs, comme étant trop encombrant, l’auteur trouve<br />

par contre que 512 hommes, maniant 16 cabestans<br />

arrimés par autant de herses, c’est beaucoup<br />

plus plausible et, je suppose, pas encombrant du<br />

tout. Aux innocents les mains pleines... Désolé, mais<br />

ceci n’est pas de l’architecture, mais du travail de<br />

potache. Imaginez le sort qu’on réserverait à un lycéen,<br />

remettant une copie où il laisse entendre que<br />

le déplacement provoqué par une force est toujours<br />

identique, que celle-ci soit appliquée perpendiculairement<br />

à la masse, ou obliquement. C’est pourtant<br />

bien ce qui est dit : 16 cabestans, donc 16 fois la<br />

puissance d’un cabestan... (3).<br />

A l’appui de son système-D, Jean-Pierre Adam men-


Le transport d’un monolithe de Baalbeck, d’après J.-P. Adam. Sans entrer dans les détails, nous avons<br />

reconstitué les bras de forces en présence. Des calculs de l’auteur, on peut déduire que la puissance<br />

résultante appliquée en A par exemple (nous n’avons pas calculé le centre de gravité) sera identique,<br />

que cette force soit presque parallèle comme en B (pour le premier cabestan), ou presque perpendiculaire<br />

comme en C (pour le dernier). En effet, le déplacement obtenu par l’ensemble est, selon J.-P. Adam,<br />

architecte, de 16 fois celui créé par n’importe lequel des 16 cabestans. En médaillon, l’auteur de ce chefd’œuvre<br />

d’archéologie-fiction officielle.<br />

(2) Non content de me remémorer quelques notions<br />

élémentaires de mécanique physique, j’ai aussi<br />

recueilli l’avis des ingénieurs, en l’occurrence Pierre<br />

Méreaux-Tanguy et Alex Pirson, qui m’ont aidé à<br />

souligner quelques-unes des approximations dont<br />

je parle.<br />

(3) A partir de là, on peut aller très loin. Je soumets ce<br />

petit jeu aux ingénieurs, afin de vérifier, par comparaison,<br />

à quelles aberrations on aboutit. On a dit<br />

que le programme Apollo vers la Lune était « la<br />

pyramide du XX e siècle ». La fusée Saturn V pèse,<br />

avec son carburant, 2700 tonnes, mais 170 seulement<br />

à vide. Pour l’amener jusqu’à l’aire de lancement,<br />

à cinq kilomètres de l’édifice d’assemblage,<br />

la NASA avait prévu un « crawler transporter »,<br />

plate-forme de 40 x 35 mètres et pesant 2500 tonnes.<br />

Avec la fusée et sa tour, cela donne approximativement,<br />

trois blocs de Baalbeck. Ceux-ci,<br />

Jean-Pierre Adam les met sur des rondins, et les<br />

voilà qui ne font plus que 1l12 e du poids initial. J’ai<br />

estimé que, sur roues, cela devait faire 1l20 e . Toujours<br />

à partir de ces calculs, il suffirait pour le transport,<br />

d’environ 920 hommes maniant 30 cabestans.<br />

Dommage que la NASA n’ait pas retenu cette solution,<br />

elle aurait fait une économie de plusieurs millions<br />

de dollars. A titre de comparaison, sachez que<br />

le « crawler transporter » avance sur quatre paires<br />

de chenilles, chacune étant mue par huit moteurs<br />

électriques alimentés par deux générateurs Diesel<br />

de 2800 chevaux chacun...<br />

9


10<br />

tionne le transport en 1928 du monolithe de Mussolini<br />

(560 tonnes) et celui, vers 1780, du bloc de Saint-<br />

Pétersbourg (1250 tonnes). Le premier fut descendu<br />

de sa plate-forme d’extraction par un système funiculaire<br />

de câbles d’acier... probablement le même<br />

que celui en usage à l’île de Pâques ! Il fut traîné<br />

ensuite par soixante bœufs, tout au long d’une déclivité<br />

permanente. L’auteur nous dit que la traction<br />

s’exerçait sur trois câbles, mais il prend bien soin de<br />

ne pas nous dire en quoi étaient faits ces câbles,<br />

Même avec l’aide de rondins, c’est une masse de<br />

190 tonnes qui exerce sa traction sur chacun des<br />

câbles : gageons qu’ils n’étaient sûrement pas en<br />

chanvre... Quant au bloc de Saint-Pétersbourg, traîné<br />

par 64 hommes, chacun des câbles passait par<br />

deux palans et trois poulies, procédés complètement<br />

inconnus à l’époque mégalithique. Qui plus est, le<br />

monolithe, à peine dégrossi, roulait littéralement sur<br />

32 billes dans des rails en bois, lesquels étaient renforcés<br />

par un alliage identique à celui des billes.<br />

Nous avons retrouvé la source de ces renseignements<br />

9 de même que l’erreur retranscrite par notre<br />

architecte : il y est bien dit que l’alliage était fait de<br />

cuivre, d’étain et de calamine. Or, le nom de calamine<br />

est donné, soit à une couche d’oxydes de fer<br />

qu’on fait adhérer à de l’acier laminé à chaud par<br />

exemple, mais n’étant pas un métal, l’alliage cuivreétain-calamine<br />

n’existe pas : c’est aussi absurde que<br />

de prétendre faire des pommes-mousseline avec<br />

des pommes de terre enrobées dans leur gangue de<br />

terre ; ou bien la calamine peut être un minerai de<br />

zinc, et l’auteur songeait-il à l’addition de zinc à du<br />

bronze : mais cette fois, pareil alliage diminue la<br />

résistance et la dureté... alors que J.-P. Adam affirme<br />

exactement le contraire. Donc, de toute façon,<br />

c’est une erreur, et M. Adam n’est pas ingénieur, me<br />

direz-vous. Mais à ce moment, par respect du lecteur,<br />

il ferait bien de ne pas colporter les erreurs, de<br />

ne pas en rajouter, enfin et surtout, de fournir tous<br />

les renseignements car dans la référence citée, j’ai<br />

relevé un autre détail soigneusement escamoté par<br />

le même : à chaque fois qu’on était dans l’impossibilité<br />

de poursuivre en ligne droite, on transférait le<br />

bloc sur un châssis à coulisses circulaires, et pour ce<br />

faire, on dut avoir recours à 12 vérins en acier avec<br />

vis et chapeau en cuivre. Autant dire que les constructeurs<br />

de Baalbeck n’avaient jamais entendu le<br />

premier mot de toutes ces techniques industrielles.<br />

En comparant des choses sans rapport entre elles,<br />

on arrive bien sûr à démontrer n’importe quoi. Pour<br />

être plus honnête, il eût fallu remonter à un exemple<br />

se rapprochant plus des moyens de l’époque. C’est<br />

ainsi que pour dresser place Saint-Pierre l’obélisque<br />

de 510 tonnes amené à Rome par Caligula, il fallut,<br />

en 1585, outre les 40 treuils, 75 chevaux et pas<br />

moins de 907 hommes ! Et à l’époque égyptienne (et<br />

d’autres), pareille performance était quotidienne…<br />

Les calculs de Jean-Pierre Adam sont tous des exprapolations<br />

à partir des expériences d’un théoricien<br />

en architecture de l’époque napoléonienne, M. Rondelet,<br />

que lui-même aurait renouvelées sur un chantier<br />

en Turquie (4). On voit dans son ouvrage plusieurs<br />

photos montrant des ouvriers arc-boutés à un<br />

traîneau sur lequel repose un bloc d’apparemment<br />

quelques tonnes. Cinq tonnes, m’a-t-il confirmé. Il<br />

est une constatation de tous les jours, qui m’avait<br />

frappé lorsque je l’ai étudiée dans je ne sais plus<br />

quel cours de physiologie. Si vous soulevez cinq<br />

kilos aisément, et qu’on y ajoute 100 grammes, vous<br />

ne remarquerez pratiquement rien ; prenez un poids<br />

de vingt kilos, ce sera plus pénible, et il se peut même<br />

que, avec 100 grammes de plus, vous n’arriviez<br />

plus à le soulever. Pourtant, dans les deux cas, la<br />

différence n’est que de 100 grammes : il existe donc<br />

une limite à partir de laquelle l’effort à déployer commence<br />

à suivre une progression non plus arithmétique,<br />

mais bien géométrique. Il ne suffit donc pas de<br />

déplacer cinq tonnes, puis de multiplier par 10, 50 ou<br />

100 en disant que c’est la même chose : on oublie<br />

des tas de facteurs, dont les plus importants sont la<br />

résistance des matériaux, celle des hommes, l’encombrement,<br />

l’intendance et j’en passe. Or, ce genre<br />

de calcul est fréquent. Un cas flagrant est la reconstitution,<br />

par la BBC, du transport fluvial de pierres<br />

bleues destinées à Stonehenge. Ces pierres faisaient<br />

cinq tonnes, et, pour la reconstitution, on s’est<br />

contenté de blocs de 1500 kilos. Pourquoi ne pas y<br />

mettre le gros paquet, tant qu’on y était ? Je dis que<br />

c’est parce que les archéologues savaient qu’ils se<br />

heurteraient à des difficultés qu’on pouvait escamoter<br />

de la sorte. Ils n’ont pas manqué pourtant de<br />

calculer à partir de là comment il eût fallu déplacer<br />

les blocs de 50.000 kilos. Or, les cas connus de certains<br />

transports exceptionnels, utilisant les mêmes<br />

techniques — mais effectués sur le terrain et non par<br />

calcul sur le papier — démontrent précisément que<br />

ce genre d’extrapolation relève de la plus haute fantaisie.<br />

Si je reprends l’expérience de la BBC, je peux<br />

calculer, selon M. Adam et consorts, que s’il fallut 12<br />

hommes pour 1500 kilos, il en faudrait 88 pour un<br />

bloc de 11 tonnes. C’est la masse de la dalle de<br />

couverture d’une tombe qu’on a vu déplacer récemment,<br />

aux dires de Henri de Saint-Banquat, quelque<br />

part en Asie du Sud-Est 10 . Eh bien, l’expérience a<br />

montré que ce n’est pas 88 hommes qu’il fallait, mais<br />

bien 550 ! il y a là un coefficient que nos architectes<br />

en chambre feraient bien de rechercher.<br />

Réactivation archéologique.<br />

Quoi qu’il en soit, je doute que tout ceci soit de nature<br />

à ébranler la conviction de gens comme M. Adam.<br />

De la conversation que j’ai eue avec lui, il ressort<br />

clairement que nous n’envisageons pas les choses<br />

sous le même angle. Pour lui, ce genre de problèmes<br />

se résume à ceci : on a réussi à trouver une<br />

explication plausible pour un cas déterminé, on peut<br />

donc l’extrapoler à tous les cas analogues, et il devient<br />

même inutile d’encore chercher plus loin. Et de<br />

(4) Il semble d’ailleurs que ce soit la seule (re)découverte<br />

archéologique qu’ait jamais faite J.-<br />

P. Adam. Il faut dire qu’il n’a que 38 ans. C’est<br />

en vain qu’on chercherait dans sa biographie<br />

une quelconque référence strictement archéologique.<br />

On dit bien qu’il a suivi des cours d’architecture<br />

et qu’il donne cours d’architecture galloromaine.<br />

A part çà, il a « suivi des chantiers de<br />

fouilles, essentiellement en Turquie, en Afrique<br />

du Nord, en Grèce et en Italie. De son propre<br />

aveu, il n’a vu ni Stonehenge, ni Nazca, ni Glozel,<br />

ni l’île de Pâques, dont il parle si bien. Cela<br />

étant, on sait aussi de lui qu’il est le neveu du<br />

ministre français des Finances (ce qui pourrait<br />

expliquer son accès facile aux mass media), et<br />

enfin, que pour lancer son livre comme on lance<br />

des savonnettes, il n’hésite pas à accompagner<br />

un reporter de RTL dans les rues, demandant<br />

partout aux gens s’ils connaissent son nom, et<br />

s’ils ont lu son livre !


plus, en ce qui le concerne, toute autre explication<br />

ne pourrait relever que de l’irrationnel, ce qui n’est<br />

pas du tout notre avis. L’archéologie n’est pas une<br />

science « finie », achevée, et les quelques hypothèses<br />

avancées ne sont pas, j’espère, le dernier mot<br />

de l’intelligence humaine. Celles qu’on veut nous<br />

imposer, sous couvert de rationalisme, ne nous semblent<br />

guère plus convaincantes que celles qu’on<br />

camoufle sous le label d’initiation ou d’imagination.<br />

Et précisément, en disant cela, je me heurte à un<br />

des principes sacro-saints du cartésianisme, à savoir<br />

l’ « économie des hypothèses ». Lorsqu’il est<br />

confronté à des éléments inexpliqués, le premier<br />

objectif de l’homme de science doit être de ramener<br />

chacun de ces éléments dans le cadre d’une théorie<br />

existante. En général, il atteint son but, mais il restent<br />

souvent deux ou trois pièces « en l’air », pour<br />

lesquelles il y a toujours moyen de trouver une explication<br />

à tout crin. Or, cette pièce à conviction est<br />

peut-être le grain de sable, précisément. Et si celui-ci<br />

ne s’explique que par une hypothèse nouvelle, absolument<br />

fantastique pour l’époque, il peut arriver,<br />

comble d’ironie, qu’il s’agit de la pièce maîtresse<br />

d’une tout autre conception. Voire que, à la lueur de<br />

cette pièce à conviction, il faille revoir toutes les autres,<br />

toutes celles qu’à grand peine on avait ramenées<br />

à des théories préexistantes. C’est ainsi que la<br />

gravitation de Newton est devenue un cas particulier<br />

de la théorie plus générale de la relativité d’Einstein.<br />

Si celui-ci avait suivi la méthode cartésienne d’économie<br />

des hypothèses, dans le cadre de la théorie<br />

existante (celle de Newton), jamais il n’aurait découvert<br />

la relativité. Je ne crois pas que l’Histoire entière<br />

soit à réviser, mais bien que certaines incidences<br />

sont complètement tordues, suite aux innombrables<br />

coups de pouce qu’elle a subis au cours du temps.<br />

S’en tenir à des lois, c’est nécessaire, mais il ne faut<br />

pas que cela empêche l’imagination d’encore fonctionner.<br />

Lorsqu’on voit M. Adam présenter le transport<br />

de tous les mégalithes et tous les monolithes du<br />

monde comme résolus, il faut dire bien haut que tel<br />

n’est pas le cas, et qu’il le sait très bien. S’il veut<br />

ainsi couper les ailes aux archéomanes, c’est son<br />

affaire. Mais lire et prendre pour argent comptant ce<br />

qu’il dit, ce serait manquer d’autant d’esprit critique<br />

que de lire et prendre pour argent comptant ce que<br />

dit Charroux.<br />

Tout reste à faire, et il faut être exigeant tant pour les<br />

réponses existantes que pour les nouvelles. La réac-<br />

JEAN-PIERRE ADAM : ... Il a fallu attendre que<br />

les Phéniciens essaiment dans toute la<br />

Méditerranée pour apporter l’écriture.<br />

KADATH : Et un moyen de transmission écrite<br />

A.<br />

K.<br />

A.<br />

K.<br />

A.<br />

K.<br />

A.<br />

K.<br />

A.<br />

Sur quel support ?<br />

François Bordes, vous connaissez ?...<br />

Pas du tout !<br />

... il envisage l’usage de peaux...<br />

Ils auraient spontanément imaginé d’écrire<br />

sur une peau, sans s’exercer d’abord sur<br />

un os, ou sur une pierre ?<br />

Il y a les travaux de Marshack sur les os.<br />

Vous avez lu ?<br />

Pas du tout !<br />

Si vous n’envisagez pas l’hypothèse, vous<br />

n’allez pas chercher après, non plus !<br />

On n’a pas le droit de l’envisager lorsqu’on<br />

a une responsabilité scientifique...<br />

(extraits d’une tentative de dialogue vouée à l’échec).<br />

tivation archéologique est à ce prix. Cette attitude<br />

faite de patientes recherches et de prudence, il s’avère<br />

en fin de compte qu’elle est une de nos caractéristiques.<br />

Elle n’est en tout cas ni celle de M. Adam<br />

ni celle de M. Charroux. Ni de beaucoup d’autres.<br />

Tous ces réductionnistes ont des points communs,<br />

et je vous en soumets quelques-uns. Vérifiez au<br />

hasard de vos lectures archéologiques, vous débusquerez<br />

facilement, je crois, les réductionnistes, en<br />

recherchant les caractéristiques suivantes :<br />

— ils ignorent délibérément certains détails et<br />

schématisent à outrance ;<br />

— ils considèrent leurs théories comme définitives ;<br />

— face aux leurs, on trouve autant de théories qu’il<br />

y a de réductionnistes ;<br />

— ils ne sont compétents qu’en un domaine restreint,<br />

puis extrapolent ;<br />

— ils refusent tout dialogue.<br />

Et j’en reviens aux confrontations dont je parlais en<br />

début d’article. Elle m’ont rappelé un passage<br />

d’Abraham Merritt, cet auteur d’heroic fantasy, qui<br />

était aussi archéologue amateur, ce qui l’avait amené<br />

à jeter un regard assez pertinent sur certains<br />

milieux scientifiques que nous côtoyons aussi. « Et<br />

je me dis, alors, que la science et la religion sont<br />

vraiment proches parentes, ce qui explique en grande<br />

partie pourquoi elles se haïssent si fort, que les<br />

hommes de science et les hommes de religion sont<br />

parfaitement semblables dans leur dogmatisme, leur<br />

intolérance, et que chaque âpre bataille religieuse<br />

sur telle ou telle interprétation de foi ou de culte a<br />

son équivalence dans les batailles scientifiques sur<br />

un os ou sur un rocher » 11 .<br />

IVAN VERHEYDEN<br />

Jean-Pierre Adam : « L’archéologie devant l’imposture<br />

», Robert Laffont éd. 1975. Voir en postscriptum<br />

également.<br />

Groupement de recherche et d’études pour la<br />

civilisation européenne ; s’adresser à Christian<br />

Durante, 130, rue de la Pompe, 75116 Paris.<br />

La notion de « réactivation archéologique », nous<br />

l’empruntons à Bernard Lefèvre, qui nous avait<br />

présentés en ces termes aux lecteurs de l’hebdomadaire<br />

« Pourquoi Pas », le 13 septembre 1973,<br />

sous le titre « Faut-il brûler les livres d’archéologie<br />

? ».<br />

Louis Pauwels : « Ce que je crois », Bernard<br />

Grasset éd. 1974. Maurice Clavel, idem 1975. Lire<br />

aussi à ce sujet « Face au néant », essais d’Arthur<br />

Koestler (Calmann-Lévy, 1975).<br />

Albert Burnet : « Science, apriorisme et fiction »,<br />

dans « Le Soir » du 6 décembre 1975.<br />

Jean-Philippe Lauer : « Le mystère des pyramides<br />

», Presses de la Cité 1974.<br />

Henri de Saint-Blanquat : « Le mégalithe aux 300<br />

morts », Sciences et Avenir. N° 346 de décembre<br />

1975.<br />

Fernand Niel : « Stonehenge, temple mystérieux<br />

de la préhistoire », Robert Laffont éd. 1974.<br />

Stanislas Lami : « Dictionnaire des sculpteurs de<br />

l’époque française au XVIII e Références.<br />

1<br />

2<br />

3<br />

4<br />

5<br />

6<br />

7<br />

8<br />

9<br />

siècle », Honoré<br />

Champion éd. 1910. Compulsé par Christiane<br />

Piens.<br />

10<br />

Henri de Saint-Blanquat : « Dossier : les mégalithes<br />

», Sciences et Avenir, n° 342 d’août 1975. Il<br />

ne précise pas de quel pays il s’agit.<br />

11<br />

Abraham Merritt : « Les habitants du mirage »,<br />

Collection J’ai Lu, n° 557, p. 292.<br />

11


12<br />

PIECEs A CONVICTIONS<br />

<strong>LE</strong>S BRICOLAGES DE GENIE<br />

Lors d’un passage à la télévision, il y a de cela plusieurs mois, Jacques Bergier exigeait qu’on le mette en<br />

présence d’une machine à laver néolithique. Chose peu simple quand on est pris au dépourvu, même<br />

pour Robert Charroux. Pourtant, d’autres mécaniques étrangement compliquées — au point de vue scientifique<br />

— se remarquent de par le monde. Des assemblages de rouages, pré-transistoriens, peuvent être<br />

aisément saisis, si toutefois le mot est bien choisi : le computer d’Anticythère ne révéla ses derniers<br />

secrets que tout dernièrement, même si nous en parlions déjà en mars 1973.<br />

L’adjectif facile ne s’accorde pas vraiment à la<br />

découverte de tout objet du culte enfoui sous les<br />

vitrines des musées, j’en prendrai pour seul<br />

exemple le cas des piles de Bagdad que nous<br />

vous contions dans KADATH n° 10. Difficile est<br />

réservé aux pièces de collection privée, que les<br />

sectes pseudo-initiatiques se gardent le plaisir de<br />

contempler sinon d’adorer. Partiellement impossible,<br />

qualifie mieux les pièces inestimables protégées<br />

par les parois anti-atomiques du Vatican :<br />

malgré tout, les trésors les plus précieux sont<br />

toujours disponibles aux audacieux.<br />

Me laissant guider par le flair de l’audacieux, j’ai<br />

découvert un livre digne d’intérêt, à Londres, et<br />

de ce fait en langue anglaise, intitulé : « The Ancient<br />

Engineers » de Lyon Sprague de Camp,<br />

publié en poche par Ballantine (Réf. 23783).<br />

Nous survolerons ainsi quelques découvertes<br />

recensées par de Camp et son épouse, transitant<br />

allègrement de l’antiquité au néolithique pour<br />

terminer le voyage dans le temps en Grèce. La<br />

démarche que j’entreprends au travers de cet<br />

article est de convaincre le lecteur, s’il ne l’est<br />

déjà, que les Anciens bénéficiaient d’une science<br />

théorique qu’ils mirent en pratique. Je n’ai pas<br />

encore trouvé la rôtisseuse ultrasonique du néolithique,<br />

encore faudrait-il savoir si ces mêmes<br />

Anciens ne l’avaient pas bannie sous la pression<br />

de l’AMDCPH, ou si vous préférez l’Association<br />

Mondiale de la Défense du Consommateur de la<br />

Proto-Histoire.<br />

Marcus Vitruvius.<br />

Architecte romain, probablement ingénieur militaire<br />

sous César et Auguste, traité « De Architectura<br />

», sans doute un abrégé des œuvres des écri-<br />

vains grecs, principales éditions : celles de Venise<br />

(1497) et de Lyon (1552). Tacite décrivait ainsi,<br />

dans ses « Annales » le jeune Vitruve :<br />

« ... Vitruve voyait son idéal d’architecte comme<br />

un homme de lettres, un dessinateur de talent,<br />

un mathématicien, un familier des études historiques,<br />

un étudiant assidu des philosophes,<br />

connaissant la musique, n’ignorant pas la physique,<br />

érudit dans les lois, familier avec l’astronomie<br />

et les calculs astronomiques ».<br />

On sait peu de choses au sujet de Vitruve, hormis<br />

qu’il travailla pour l’armée romaine — il mit<br />

au point divers progrès techniques pour les catapultes<br />

—, qu’il construisit une basilique à Fanum<br />

et qu’il se décrivait, avec un certain humour, comme<br />

un petit homme affreux. Vitruve semble donc<br />

être un écrivain spécialisé en architecture romaine.<br />

Il emprunta la plus grande partie historique<br />

de son traité à ses prédécesseurs grecs, et discuta<br />

les méthodes architecturales des Hellènes<br />

et des Républicains romains de son temps : le<br />

Colisée et le Mur d’Hadrien n’étaient pas encore<br />

érigés.<br />

Son traité est, encore actuellement, une des<br />

meilleures sources d’information sur l’art, l’architecture<br />

et les techniques de l’époque. Et bien que<br />

Vitruve ne se borna pas au seul traité « De Architectura<br />

», les autres ont malheureusement disparu.<br />

Malgré tout, par divers recoupements, on sait<br />

à présent quels thèmes ils comportaient : le premier<br />

traité énonçait les qualifications d’un architecte,<br />

parlait d’architecture en général et de la<br />

planification des villes. Le deuxième étudiait les<br />

matériaux de construction, leur historique depuis<br />

les temps les plus reculés et les diverses métho-


des d’utilisation de la maçonnerie, des briques et<br />

des ciments. Le troisième décrivait les temples,<br />

les proportions de ces derniers dérivant des proportions<br />

du corps humain. Le quatrième traité<br />

s’attachait aux trois ordres : dorique, ionique et<br />

corinthien. Le cinquième décrivait les bâtiments<br />

publics tels basiliques, théâtres, bains, etc., discutant<br />

également de l’acoustique et de la théorie<br />

de la propagation des sons. Le sixième traité<br />

portait sur les habitations particulières tandis que<br />

le suivant s’intéressait à la décoration. Le huitième<br />

ouvrage concernait l’alimentation en eau :<br />

aqueducs, citernes, fossés etc. Le neuvième<br />

traité parlait de géométrie, d’astronomie, de mesure<br />

et d’études d’horloges à eau, nous verrons<br />

par la suite ce dont il s’agit. Le dixième et dernier<br />

traité s’étendait sur la mécanique : pompes,<br />

roues à eau, système de levage, orgues à eau,<br />

une espèce de taximètre pour mesurer la distance<br />

parcourue etc. Plusieurs chapitres étaient dédiés<br />

aux catapultes, tortues-boucliers ancêtres<br />

de nos chars d’assaut, beffrois et autres pièces<br />

essentiellement militaires.<br />

Les travaux de Vitruve disparurent au Moyen Age<br />

pour réapparaître peu après, au XV e siècle, et<br />

furent alors pris par les érudits comme une infaillible<br />

source de la plus belle autorité. Vitruve vécut<br />

aux environs de 25 avant Jésus-Christ, il avait, à<br />

l’instar de Pythagore, puisé dans les connaissances<br />

plus anciennes. Comme le fait remarquer de<br />

Camp, Vitruve était nimbé d’une culture universelle<br />

difficilement accessible en une vie humaine.<br />

Il avait tout bonnement résumé et mis à profit un<br />

back-ground disponible à l’époque, ce qui nous<br />

permet d’avoir une petite idée de l’état de la technologie<br />

des derniers siècles avant notre ère.<br />

Quelques exemples succincts permettront au<br />

lecteur de se faire également une idée précise de<br />

cet état technologique ; on peut parfois s’étonner<br />

des connaissances acquises il y a deux mille<br />

ans : celles-ci ne sont pourtant pas mensonge,<br />

c’est la Renaissance qui s’accaparera la renommée<br />

de la découverte. C’est d’ailleurs l’esprit de<br />

la Renaissance qui manipule encore toujours nos<br />

réactions vis-à-vis de l’Histoire.<br />

L’orgue de Héron.<br />

Ktesibios vécut de 285 à 247 avant J.-C., sous le<br />

règne de Ptolomée II Philadelphe, et était fils<br />

d’un barbier particulièrement doué en musique et<br />

mécanique. Cet orgue est le résultat d’une expérience<br />

personnelle de Ktesibios et fait appel à<br />

l’hydropneumatique (eau et gaz) et, nous rapporte<br />

Vitruve, consistait en plusieurs parties telles :<br />

une pompe à air de deux cylindres ; un vase<br />

d’expansion dans lequel l’air était admis sous<br />

pression ainsi que de l’eau, servant de régulateur<br />

de sortie d’air tel un vase dit de Mariotte : une<br />

série de tubes communiquant aux pipes de l’orgue<br />

; les pipes proprement dites avec leurs valves<br />

d’admission d’air et, finalement, un clavier<br />

commandant l’admission de l’air sous pression.<br />

Cette invention n’incluait pas seulement l’idée de<br />

base de l’orgue, mais aussi les moyens pneumatiques<br />

et hydrauliques permettant une pression<br />

constante et un clavier sélectionnant les pipes.<br />

De plus, et c’est un brevet, Ktesibios inventait<br />

des valves maintenues en place par les premiers<br />

ressorts métalliques de l’Histoire. Comment ces<br />

ressorts de fer furent-ils manufacturés est un<br />

autre brevet sans doute.<br />

L’horloge parastatique de Ktesibios.<br />

Les moyens de mesure du temps il y a deux mille<br />

ans étaient, selon les critères officiels, relativement<br />

pauvres, les cadrans solaires et autres<br />

clepsydres ne présentaient que peu de détails<br />

dans le fractionnement du temps. Ktesibios fut,<br />

encore une fois, l’inventeur d’un appareil de loin<br />

plus compliqué, tant du côté mécanique que de<br />

sa partie fluidique. Cet objet fut-il réellement utile<br />

dans le calcul du temps ou représentait-il un gadget,<br />

est une autre question lourde de retombées.<br />

Le vase de la clepsydre laissait s’échapper l’eau<br />

par un orifice, plus ou moins rapidement selon<br />

son diamètre, qui déterminait ainsi un temps<br />

« x » quand le récipient était vide. Mais bien des<br />

problèmes se posaient quant à la précision de<br />

l’engin : l’écoulement du liquide n’était jamais<br />

égal, l’obstruction du trou par lequel l’eau s’échappe<br />

empêchait toute régulation, le volume et<br />

la pression faussaient la vitesse du débit. Ktesibios<br />

changea le vase unique de la clepsydre en<br />

un système de trois vases qui formaient l’élément<br />

13


14<br />

de régulation, ces trois pièces étant imbriquées<br />

ingénieusement. Dans le dernier récipient, le plus<br />

important au point de vue contenance, flottait une<br />

pièce de liège qui s’élevait en même temps que<br />

le niveau de l’eau. Une figurine, posée sur le<br />

socle de liège, pointait les heures de la journée<br />

sur une grille appropriée. Du temps de Ktesibios,<br />

le jour était divisé en douze parties depuis le<br />

lever jusqu’au coucher du soleil ; bien entendu, le<br />

jour n’étant pas d’une durée constante suivant le<br />

cycle des saisons, il eut l’idée de régler le débit<br />

de l’eau par une valve ajustable par rapport à<br />

l’époque considérée.<br />

L’horloge anaphorique.<br />

Toujours à la recherche d’une plus grande exactitude<br />

dans le calcul du temps, Vitruve rapporte<br />

l’invention d’une autre horloge à eau dont le mécanisme<br />

présentait un disque de bronze sur lequel<br />

était gravée une carte des cieux. L’écliptique<br />

— cheminement apparent du soleil parmi les<br />

étoiles — était dessinée par un cercle décentré<br />

du disque et dans lequel il y avait 365 petits orifices<br />

; chaque jour, on déplaçait un petit soleil<br />

miniaturisé d’une position afin de corriger l’heure<br />

: c’est de la même manière que Stonehenge<br />

était « réglé ». Les heures étaient, elles, représentées<br />

par une grille de fils de bronze montée<br />

face au disque ; on situait l’heure en repérant la<br />

position du mini-soleil par rapport à la grille. Au<br />

XIX e siècle, un fragment d’une telle horloge fut<br />

trouvé en France et un autre exemplaire près de<br />

Salzbourg.<br />

Le moulin à eau.<br />

Le moulin à eau qui broye le blé, par exemple, a<br />

subi de nombreuses modifications à travers les<br />

âges. Nous en connaissons tous l’image et l’application<br />

; Vitruve, toujours lui, nous décrit une<br />

telle réalisation qui n’a, en rien, à rougir des moulins<br />

modernes. La grande difficulté de la mécanique<br />

du moulin réside dans la transmission de<br />

l’énergie développée par la roue à aubes à la<br />

meule, située, par la force des choses, à un autre<br />

endroit. Les moulins les plus simples étaient du<br />

type à transmission directe, grâce à un arbre de<br />

transmission solidaire à la meule. La force de<br />

l’eau devait alors être très grande comme celle<br />

d’une chute d’eau. Vitruve, quant à lui, décrivit un<br />

système de transmission faisant appel à des tambours<br />

à dents, permettant de transmettre la rotation<br />

de l’arbre horizontal de la roue à aubes à un<br />

autre arbre vertical, celui de la meule. Il semblerait<br />

même qu’un jeu de rouages fut étudié à la<br />

manière d’un mouvement différentiel — nous<br />

verrons plus loin un autre exemple — afin de<br />

ralentir la rotation de la meule. On peut facilement<br />

concevoir la complexité mécanique de l’ensemble,<br />

d’esprit rigoureusement moderne, qui fait<br />

appel à des matériaux lourds, des engrenages<br />

précis et solides et à une élaboration de type<br />

industriel.<br />

Le premier automaton.<br />

Au premier siècle de notre ère, survint un autre<br />

génie, Héron d’Alexandrie. La bibliothèque du<br />

même lieu lui fournit-elle de nombreuses idées,<br />

on peut franchement se le figurer. Inventeur prolixe,<br />

nous lui devons également plusieurs ouvrages.<br />

Connu en son temps sous le nom de Héron<br />

Ktesibios, soit Héron fils de Ktesibios, son patronyme<br />

pose déjà une énigme : en effet, Ktesibios<br />

vécut au troisième siècle avant J.-C. et Héron<br />

sans doute aux environs de 60 de notre ère, ce<br />

qui fut démontré, de Camp le rappelle, par une<br />

description d’éclipse de la lune qui concorde parfaitement<br />

avec l’époque. Peut-être qu’il n’y a là<br />

qu’une vague parenté ou une filiation d’esprit. Il<br />

n’empêche que Héron s’attacha à des travaux<br />

d’ingénieur comprenant « Mécaniques »,<br />

« Pneumatique », « Art de Siège »,<br />

« L’Automatique », un livre de géométrie s’intitulant<br />

« Mesures » et d’optique portant le titre de<br />

« Miroirs ». Les transcriptions d’origine disparurent<br />

pour ne subsister qu’en copies latines ou<br />

arabes. Si Héron, de son propre aveu, n’inventa<br />

pas les procédés qu’il décrit, il ne put s’empêcher<br />

de retranscrire d’anciennes découvertes<br />

« arrangées » à sa manière. Héron était donc le<br />

premier « Japonais » de l’Antiquité. Sans vouloir<br />

me concentrer sur des appareils techniques, je<br />

souhaite plutôt vous fournir quelques renseignements<br />

concernant une machine à sous, à l’apparence<br />

moins sérieuse bien qu’extrêmement malicieuse.<br />

Il s’agissait d’un distributeur d’eau sacrée, automatique<br />

puisqu’il suffisait d’y introduire une piécette<br />

pour recevoir en échange une certaine<br />

quantité d’eau dûment sacralisée : rien n’a changé<br />

en ce bas monde ! Héron utilisa à plein ses<br />

connaissances des combinaisons de vases d’expansion<br />

et siphons pour faire jouer les pressions<br />

et réactions, le résultat, à titre gracieux, étant la<br />

revalorisation des prêtres grecs aux yeux du peuple.<br />

Sprague de Camp remarque, à ce sujet, les<br />

similitudes mécaniques utilisées par Héron et la<br />

légende du vin changé en eau des Noces de<br />

Cana. De même, la description de pompes à<br />

incendie de Héron : il semble exact que Licinius<br />

Crassus, au premier siècle avant J.-C., posséda<br />

une brigade anti-feu, disposant d’un appareil à<br />

deux cylindres, dont une partie était submergée<br />

par le liquide, et qui expulsait l’eau par une lance<br />

orientable. Autant de retombées technologiques<br />

qui s’entremêlèrent, prouvant bien une recherche<br />

active ou un héritage scientifique de la part de<br />

certains érudits.<br />

Les ingénieurs du passé se bornèrent-ils à inventer<br />

ou à monter de toutes pièces des machines<br />

dont l’emploi n’était pas de la plus grande utilité,<br />

ou faut-il suggérer que ces orgues hydrauliques<br />

et autres fontaines automatiques n’étaient plus<br />

que des jeux — habiles certes —, ou des bribes


d’un savoir-faire de loin plus enlevé mais, hélas,<br />

dramatiquement perdu ? Les Vitruve et autres<br />

Héron ne possédaient-ils que les débris épars de<br />

connaissances en physique ou en d’autres sciences<br />

appliquées ; les quelques engrenages ou<br />

leurs descriptions qui nous restent pour fonder<br />

des recherches archéologiques, étaient-ils fabriqués<br />

uniquement pour s’acquérir la faveur des<br />

puissants de l’époque ? On peut se risquer à en<br />

émettre l’hypothèse. Toujours est-il que peu d’objets<br />

ou de travaux sont le fait d’études poussées<br />

et celles-ci prennent du temps sinon de la patience,<br />

j’en prendrai pour exemple l’affaire de la mécanique<br />

d’Anticythère dont nous vous avons entretenu<br />

dans le premier numéro de KADATH.<br />

Retour à Anticythère.<br />

Le Professeur Derek de Solla Price s’était intéressé<br />

à cette mécanique dès 1951. Nous rappelons<br />

que l’objet avait été trouvé par hasard en<br />

1900 à bord d’une épave antique coulée au large<br />

de l’île d’Andikythera (orthographe officielle aujourd’hui),<br />

au sud du Péloponnèse. En 1971, le<br />

Professeur de Solla Price préconisait la radiographie<br />

du système d’engrenages et après reconstitution<br />

partielle, il n’hésita pas à baptiser le mécanisme<br />

du vocable de « computer » : c’était un<br />

ensemble métallique capable de renseigner son<br />

utilisateur sur les mouvements combinés du soleil<br />

et de la lune. Un livre retraçant les recherches et<br />

ses rebondissements vient de paraître — en anglais,<br />

serait-ce la langue véhiculaire en archéologie<br />

? — portant le titre : « Gears From The<br />

Greeks : The Antikythera Mecanism, A Calendar<br />

Computer From Circa 80 BC ». Les études et les<br />

radiographies des quatre fragments de base dont<br />

traitait l’article de KADATH, furent renforcées par<br />

le hasard, encore une fois, de la redécouverte<br />

d’une partie supplémentaire, trouvée dans les<br />

réserves du Musée National d’Athènes (! !). Le<br />

Professeur Ch. Karakolos se chargea de le radiographier<br />

également : ainsi fut révélé le rouage<br />

« D », pièce circulaire dentée quasiment intacte,<br />

qui permit une identification plus fine du nombre<br />

de dents — 64 — et, par voie de conséquence, le<br />

déchiffrage du nombre de dents des autres rouages<br />

en fut d’autant plus accessible. Le dernier<br />

fragment était donc le chaînon manquant qui<br />

donna le coup de pouce nécessaire à de Solla<br />

Price et dont voici les conclusions définitives.<br />

Les rouages de la mécanique, dès identification<br />

des composantes, travaillaient sous forme de<br />

« trains de rouages » autorisant la marche avant<br />

et arrière, ou si vous préférez, l’addition et la<br />

soustraction de données programmables. Au<br />

point de vue purement mécanique, les diverses<br />

manœuvres étaient optimisées par un véritable<br />

Agencement des quatre fragments principaux (et 19 fragment D) de la mécanique d’Anticythère.<br />

15


16<br />

différentiel qui n’a rien à envier à ceux qu’on trouve<br />

actuellement dans les ponts arrières de nos<br />

voitures. C’est aussi là que de Solla Price put<br />

constater le réel savoir des constructeurs du calculateur<br />

: « Le différentiel est certainement la<br />

particularité mécanique la plus spectaculaire de<br />

l’appareil d’Anticythère, à cause de sa sophistication<br />

extrême et l’absence de tout précédent historique<br />

». En effet, ce mouvement différentiel dont<br />

résulte la combinaison de deux mouvements<br />

produits par une même force — ces deux mouvements<br />

étant la somme et la différence — est de<br />

loin plus évolué que celui que nous avons approché<br />

avec Vitruve. Cela dit et grâce aux trains<br />

d’engrenages et au différentiel, il s’avère que le<br />

calculateur offre deux « raisons » ou proportions,<br />

l’une annuelle et l’autre approximativement mensuelle.<br />

Radiographie du fragment D, et le principe du<br />

différentiel.<br />

De Solla Price ajoute : « Les deux choix astronomiques<br />

évidents et auxquels on ne peut se dérober,<br />

seraient associés avec le fait que le mouvement<br />

synodique de la lune — le cycle des phases<br />

de la nouvelle lune à la pleine lune — est la différence<br />

entre les mouvements apparents du soleil<br />

et de la lune sur l’arrière-plan des étoiles fixes.<br />

Le soleil semble tourner à travers les étoiles du<br />

zodiaque en environ 365 jours tandis que la lune<br />

change de place en une période d’environ 27 1l3<br />

jours et change de phases durant son cycle en<br />

environ 29 1l2 jours ». Il est, par ailleurs, confirmé<br />

que les divers rouages introduisent des nombres<br />

compatibles avec le calendrier grec du cycle<br />

de Méton dans lequel 19 années solaires correspondent<br />

exactement à 235 lunaisons ou encore à<br />

254 (235 + 19) révolutions sidérales de la lune ;<br />

c’est le même cycle dit de Méton qui est utilisé à<br />

Stonehenge !<br />

De Sella Price dit encore : « L’appareil contient<br />

des rouages qui correspondent très bien avec les<br />

nombres premiers de 19 et 127 qui sont utilisés<br />

dans le cycle métonique ». Ce qui se vérifie par :<br />

64<br />

38<br />

x<br />

48<br />

24<br />

x<br />

127<br />

32<br />

254<br />

d’où le différentiel est nourri par 254 révolutions<br />

d’un rouage et 19 révolutions inverses d’un autre<br />

rouage, cela dès que l’on tourne la roue principale<br />

de 19 tours, ce qui donne pour résultat 235<br />

demi-révolutions pour le différentiel complet et<br />

tous les rouages y attenant. Les nombres repris<br />

ci-dessus s’accordent aux dents des rouages.<br />

D’autres implications du différentiel sont offertes<br />

aux lecteurs du livre de de Solla Price. Ce dernier<br />

s’attarde aussi aux considérations touchant l’inventeur<br />

d’une telle mécanique, nous n’en retirerons<br />

qu’une seule ligne : « Pour Anticythère, je<br />

pense qu’il est nécessaire d’évoquer l’existence<br />

d’un génie ».<br />

Ainsi, les Anciens nous proposent encore maintes<br />

surprises — surprises car, après tout, nous<br />

ne possédons encore que très peu de données<br />

concernant leur savoir. Dieu seul sait ce qui dort<br />

dans les musées du monde sinon au fond de<br />

l’eau, aussi seule l’information la plus largement<br />

répandue, peut faire prendre conscience aux<br />

chercheurs patentés que les plus belles découvertes<br />

restent à être menées à bien, ceci à titre<br />

d’émulation. Je crois, quant à moi, que les traductions<br />

françaises de livres tels ceux de Sprague<br />

de Camp et de de Sella Price contribueront<br />

efficacement à divulguer les énigmes archéologiques.<br />

Qu’en pensent Messieurs les éditeurs et<br />

autres directeurs de collections ?<br />

ROBERT DEHON<br />

Sources<br />

● Derek de Solla Price : « Gears From The<br />

Greeks ». Science History Publications, 156<br />

Fifth Av., New York, NY 10010.<br />

● Voir également : « La Mécanique d’Anticythère<br />

» in KADATH n° 1, et concernant le<br />

cycle métonique « L’Affaire de Stonehenge »<br />

in KADATH n° 4.<br />

● Lyon Sprague de Camp : « The ancient engineers<br />

». Ballantine books n° 23783, New York<br />

1974.<br />

=<br />

19


ARCHEOLOGIE PARAL<strong>LE</strong><strong>LE</strong><br />

JADE ET IMMORTALITE<br />

DANS L’EMPIRE <strong>DU</strong> MILIEU<br />

Parmi les découvertes archéologiques faites dans<br />

le monde entier, celles en provenance de la République<br />

Populaire de Chine depuis ces vingt dernières<br />

années, sont certainement les plus importantes,<br />

tant par leur qualité que leur quantité. Elles<br />

éclairent d’un jour nouveau l’histoire ancienne de<br />

cette grande culture chinoise et témoignent d’un<br />

raffinement extrême, d’un art somptueux et nous<br />

enrichissent des connaissances scientifiques des<br />

hommes de ces époques très reculées et principalement<br />

sous la toute puissante dynastie des Han<br />

(voir chronologie de la Chine dans KADATH n° 2).<br />

Pour la plus grande joie des amoureux de l’histoire<br />

de l’Empire du Milieu, deux grandes expositions<br />

de ces trésors furent déléguées aux quatre coins<br />

du monde. L’une s’arrêta à Paris en 1973, puis<br />

s’en alla pour Londres, Vienne, Stockholm, Toronto<br />

et Washington. L’autre s’en fut à Tokyo, Bucarest,<br />

Belgrade, Mexico, Amsterdam et enfin, à<br />

Bruxelles où nous pûmes la voir de la mi-février au<br />

début d’avril 1975. Vous êtes impardonnable si<br />

vous l’avez ratée... Chacune de ces deux expositions<br />

comportait une pièce maîtresse spectaculaire,<br />

qui ne manqua pas d’émerveiller et d’intriguer<br />

à la fois les visiteurs : le linceul de jade de la Princesse<br />

Teou Wan (au Petit Palais, à Paris) et celui<br />

d’un haut dignitaire également de la dynastie des<br />

Han (au Palais des Beaux-Arts, à Bruxelles). Ce<br />

curieux linceul épouse parfaitement la forme du<br />

corps, l’habillant ainsi complètement de milliers de<br />

petites plaquettes de jade biseautées, assemblées<br />

par des fils précieux. On lui donne également le<br />

nom de boîte, cotte ou robe de jade.<br />

C’est en juillet et en août 1968 qu’eurent lieu les<br />

fouilles qui conduisirent à la découverte de deux<br />

tombes des Han de l’ouest, dans des grottes aménagées<br />

des monts Lingchan, à Mantcheng, dans<br />

la province du Hopei. Les deux tombeaux sont<br />

formés d’une salle principale, de deux salles auxiliaires<br />

situées au nord et au sud, et d’une salle<br />

postérieure. Elles sont réunies entre elles par des<br />

couloirs qui donnent à chacune des tombes la<br />

forme générale d’une sorte de croix. La première<br />

appartient à Lieou Cheng, frère aîné de l’Empereur<br />

Wou, prince Tsing de Tchongchan, qui mourut<br />

en 113 avant J.-C. La seconde est le sépulcre<br />

de sa femme Teou Wan. Leur volume est considérable<br />

: respectivement 2700 et 3000 mètres<br />

cubes. Elles ont livré plus de 2800 objets funéraires<br />

parmi lesquels des chars, une douzaine de<br />

chevaux, des bronzes, des objets en or, en argent,<br />

en jade, en verre, des poteries, des laques et des<br />

soieries. Et bien entendu les linceuls de jade.<br />

Ceux-ci étaient réservés aux empereurs des Han<br />

et aux nobles de très haut rang. Le linceul de<br />

Lieou Cheng comporte 2690 plaquettes de jade,<br />

pour la plupart rectangulaires, d’une épaisseur<br />

moyenne de trois millimètres, percées chacune de<br />

quatre petits trous et assemblées par 1110 grammes<br />

de fils d’or de grande qualité, qui pour certains<br />

comportent douze brins d’or très fins, souples<br />

et solides. Celui de Teou Wan possède une<br />

sorte de gilet formé de plaques rectangulaires plus<br />

grandes, maintenues par des fils de soie, mais les<br />

autres parties du linceul sont presque identiques<br />

au premier. Au total, 2156 plaquettes et 703 grammes<br />

de fils d’or. Les défunts tenaient dans les<br />

mains un croissant de jade, et leur tête reposait<br />

sur un oreiller de bronze et de jade orné de part et<br />

d’autre d’une tête de dragon en or. Autour des<br />

corps étaient disposés des objets rituels, dont les<br />

disques pî en jade (voir le rôle de ceux-ci dans<br />

KADATH n° 13). Le linceul de Lieou Cheng resta<br />

pour sa part à Pékin. Celui que nous vîmes à<br />

Bruxelles fut exhumé plus tard, en 1970, d’un tombeau<br />

proche de la ville de Siutcheou (ou Hsüchou)<br />

dans la province du Kiang-sou. Le défunt<br />

n’est pas encore identifié ; on sait seulement qu’il<br />

s’agit d’un haut personnage (le linceul le prouve),<br />

peut-être un des descendants de l’Empereur<br />

Ming-ti, et que le tombeau date de Lieou-kong, roi<br />

de Peng-tcheng sous les Han de l’est. Le rang du<br />

17


18<br />

Le linceul de Teou Wan à Paris. Notez le gilet formé de plaques de jades beaucoup plus grandes, et<br />

réunies par des fils de soie.<br />

dignitaire devrait être en principe moins élevé que<br />

celui des deux précédents, car les 2600 et quelques<br />

plaquettes de jade sont assemblées, non<br />

plus avec du fil d’or, mais avec 800 grammes de<br />

fils d’argent. Un texte ancien, le Heou Hanchou,<br />

régit la sorte de fil qu’il fallait employer et qui différait<br />

dans la hiérarchie selon le degré de noblesse.<br />

En fait, l’or n’était réservé qu’à l’empereur ; Lieou-<br />

Cheng et Teou Wan furent donc privilégiés et il fut<br />

certainement tenu compte de leur étroite parenté<br />

avec l’Empereur Wou. L’Homme de jade de la<br />

tombe de Siu-tcheou devrait être un roi. Des annales<br />

disent également que des fils de cuivre étaient<br />

utilisés pour des nobles et des hauts fonctionnaires.<br />

Les archéologues connaissaient donc ces<br />

linceuls par des documents (Thao Hung-Ching en<br />

parlait déjà au cinquième siècle de notre ère) mais<br />

avant 1968, personne ne les avait jamais vus. Il y<br />

a beaucoup de chances pour qu’on en retrouve<br />

d’autres, si ce n’est déjà fait.<br />

Les linceuls témoignent d’une grande habileté<br />

artisanale et d’une technicité élevée : en effet, les<br />

plaquettes de jade ont été découpées à l’aide d’une<br />

scie extrêmement fine, comme le prouve l’intervalle<br />

entre les traits de l’outil, qui n’excède pas 0,3<br />

millimètre. Certains des petits trous situés aux<br />

extrémités des plaquettes ont à peine un millimètre<br />

de diamètre et ont été percés à l’aide d’un foret<br />

tubulaire au sable. Ceci laisse songeur quant au<br />

temps qu’il a fallu pour confectionner un tel vêtement.<br />

On estime qu’un artisan expérimenté aurait<br />

mis dix années... Les trois linceuls se décomposent<br />

en une douzaine d’éléments qui furent ensuite<br />

assemblés autour de la dépouille : le crâne, un<br />

masque, des manches, des gants, le buste, les<br />

jambes, les souliers etc... Au sommet du crâne,<br />

les plaquettes aboutissent à un petit disque percé<br />

qui n’est certainement pas là par hasard car c’est<br />

un parfait petit disque pî de quelques centimètres<br />

de diamètre. La couleur nous fait hélas cruellement<br />

défaut pour vous faire apprécier la grande<br />

beauté et la majesté de ces pièces resplendissant<br />

des teintes fascinantes du précieux minerai.<br />

Les Voies de l’Immortalité.<br />

Si tant de richesses furent utilisées pour les si<br />

nobles défunts, la raison n’est pas seulement le<br />

goût du faste, mais un souci, ô combien plus important,<br />

qui semble avoir été une grande préoccupation<br />

sous les Han : la recherche de l’immortalité<br />

; et dans ce vaniteux défi, le rôle du jade est<br />

primordial. Bien avant les Han déjà, sous les<br />

Chang, le jade remplit une importante fonction. Il<br />

faut avant tout se souvenir — alors qu’en Occident<br />

le mobilier funéraire évoque un sentiment de profonde<br />

tristesse — que la mort n’apparaît pas de la<br />

même manière chez les Chinois. Bien sûr, ils pleuraient<br />

la perte de l’être cher, mais son âme s’en<br />

irait dans l’au-delà à condition que fussent observés<br />

des préparatifs funéraires précis. Il y avait<br />

donc une foi en la résurrection, extension de la vie<br />

après la mort, et le fervent espoir que celui ou<br />

celle qui s’en allait pourrait négocier avec les<br />

dieux, en faveur de ceux qui demeuraient encore<br />

sur terre. Un minutieux et complexe rituel se développa<br />

donc dans le respect du culte des ancêtres<br />

afin qu’ils puissent intervenir de la manière souhaitée.<br />

La tombe était dès lors abondamment remplie<br />

de nourriture, de vin, d’objets précieux, tous les<br />

biens que le disparu aurait appréciés de son vivant.<br />

Le jade était en Chine, dans les temps néolithiques<br />

(avant environ — 1700) la pierre la plus<br />

dure ; sans doute était-ce cette particularité, conjuguée<br />

avec la rareté et les fascinantes colorations


glauques, qui en firent une matière précieuse.<br />

Sous les Chang, elle était utilisée pour les disques<br />

pî (les plus anciens datent de cette période) : un<br />

matériau noble pour un objet sacré dont le symbolisme<br />

deviendra de plus en plus important au fur et<br />

à mesure que son rôle primordial se perdra. Selon<br />

l’archéologue Chêng’ Tê-k’un, c’est aux environs<br />

de cet âge qu’apparaît pour la première fois l’utilisation<br />

funéraire des jades : de petites amulettes<br />

sont cousues sur les vêtements des défunts et<br />

d’autres sont placées dans les orifices naturels du<br />

corps. Elles sont en rapport avec l’énergie vitale<br />

dérivée de l’élément Yang et doivent préserver la<br />

dépouille de la putréfaction. A tout moment, l’âme<br />

peut alors retrouver un corps intact, ainsi qu’il est<br />

écrit dans les livres du Cheu li et du Li ki, qui expliquent<br />

ces principes taoïstes. On plaçait de préférence,<br />

sur la langue, une petite cigale de jade, (1)<br />

dont le symbolisme est la chrysalide se métamorphosant<br />

en cigale, après un long séjour souterrain.<br />

Telle que celle-ci, l’âme ressuscite après le trépas.<br />

Dans le but de parfaire cette protection, on conçut<br />

plus tard le linceul de jade, protégeant tout le<br />

corps assimilé à la chrysalide. Egalement dans<br />

ces cas-là, des pièces de jade fermaient en plus<br />

les orifices de la tête, sous le masque, car on était<br />

persuadé que l’extrême durabilité du jade allait<br />

produire sur le corps un effet semblable. Mais on<br />

est maintenant en droit de se demander si le choix<br />

de cette matière n’était pas, outre ces caractéristiques,<br />

fonction d’un autre facteur...<br />

Il a souvent été retrouvé, adhérant aux objets de<br />

jade, en même temps que la terre du tombeau,<br />

des traces d’un pigment rougeâtre qui se révéla<br />

être du cinabre, sulfure naturel de mercure (2).<br />

Souvent aussi, les cadavres en étaient euxmêmes<br />

recouverts. La coutume remonte au fond<br />

des âges, puisqu’on la retrouve déjà dans les rites<br />

funéraires des hommes de Chou-k’ou-tien, au<br />

paléolithique. Elle est présente chez les peuples<br />

de la Sibérie orientale (5000 à 2000 avant J.-C.) et<br />

dans les tombes de la culture néolithique de Panpo<br />

(4200 à 3600 avant J.-C.). Mais laissons là<br />

pour l’instant le sulfure de mercure, nous y reviendrons.<br />

(1) Cette coutume est connue chez d’autres peuples<br />

anciens tels que les Romains, les Grecs,<br />

les Hindous, qui plaçaient un petit objet de<br />

valeur sur la langue des défunts. Dans l’île de<br />

Bâli, par exemple, il s’agissait d’un anneau<br />

d’or enchâssé d’un rubis. Mais ce qui est certainement<br />

moins connu c’est que parmi certains<br />

peuples amérindiens, il en est qui plaçaient<br />

eux aussi une petite cigale de jade<br />

dans la bouche de leurs morts...<br />

(2) De plus en plus curieux : le même cas se présente<br />

pour des amulettes de jade en Mésoamérique...<br />

Les jades.<br />

Sous cette dénomination générale sont en fait<br />

regroupés plusieurs minéraux de nature différente<br />

parmi lesquels il faut distinguer les vrais jades,<br />

tels que le jade (ou néphrite) et la jadéite, et le<br />

faux jade telle que la serpentine. Ces trois roches<br />

appartiennent cependant au même groupe dit des<br />

asbestes.<br />

Le jade, de la famille des amphiboles, variété de<br />

roches actinotes, est un silicate hydraté de calcium<br />

et de magnésium. Il contient également du<br />

fer qui lui donne sa couleur verte. Le jade est un<br />

minéral huileux. Densité 3 à 3,3. La jadéite, de la<br />

famille des pyroxènes, est un amphibole déshydraté.<br />

C’est un silicate d’aluminium et de sodium.<br />

Au contraire du jade, c’est un minéral vitreux.<br />

Densité 3,3 à 3,5. La serpentine est un silicate<br />

hydraté de magnésium avec parfois un peu de fer<br />

et de nickel. Sa couleur verte en fait une bonne<br />

imitation du jade. Densité 2,2 à 2,6. Elle est donc<br />

moins dure, par conséquent plus facile à tailler.<br />

Polie, elle se vendait jadis sous le nom de verre<br />

antique.<br />

Il existe d’autres roches plus ou moins voisines,<br />

fréquemment prises pour du jade, telles que la<br />

stéatite (silicate hydraté de magnésium) peu dure,<br />

facilement taillée au couteau, et la chloromélanite<br />

(chlorosilicate de calcium, de fer et de titane) généralement<br />

noire mais parfois vert-foncé, qui a<br />

fourni beaucoup de haches polies. Notons encore<br />

la grossularite, faux jade d’Afrique du Sud, d’une<br />

teinte proche de celle du jade.<br />

Le jade étant une roche métamorphique, il n’est<br />

pas impossible qu’il se trouve dans la nature sous<br />

forme de masses de néphrite qui seraient souples<br />

et auraient l’aspect d’une pâte ; ce qui rendrait<br />

vraisemblables les récits alchimiques où il est<br />

question de pâte de jade destinée à être absorbée.<br />

Les sources de jade furent très longtemps discutées,<br />

certains attribuant même aux objets en jade<br />

trouvés dans des sites mégalithiques bretons une<br />

origine asiatique. Le jade chinois provenait, déjà à<br />

l’époque des Chang, des rivières et des montagnes<br />

du Khotan et du Yarkland (province de Sinkiang).<br />

Des textes anciens traitent du commerce<br />

qui s’y déroulait, et des voyageurs décrivirent des<br />

exploitations de jade encore en activité au XIX e<br />

siècle. Quant à la jadéite qui ne serait apparue en<br />

Chine qu’au XVIII e siècle, elle proviendrait de<br />

Haute Birmanie. Du jade à l’état brut fut également<br />

découvert sur les bords du lac Baïkal et était<br />

déjà utilisé au troisième millénaire comme le prouvent<br />

les haches de la culture de Serovo. La station<br />

suisse de Moosseedorf, qui livra des objets<br />

en néphrite, en jadéite et en chloromélanite, amena<br />

la découverte de ces minerais dans les Alpes,<br />

et d’autres gisements français expliquent à présent<br />

les haches polies de la vallée du Petit-Morin<br />

et les anneaux-disques et les bijoux de Bretagne.<br />

Source : Pierre Méreaux-Tanguy.<br />

19


20<br />

Qui dit recherche de l’immortalité, songe pierre<br />

philosophale, élixir de longue vie, alchimie... L’alchimie<br />

: le mot fait encore sourire et évoque irrésistiblement<br />

des charlatans ou des fous. Certes, il<br />

y en eut. Cependant, sans les alchimistes, sans<br />

les Geber, Al Razi, Avicennes, Johan Helvetius,<br />

Roger Bacon, Paracelse, Albert le Grand et autres<br />

Nicolas Flamel, nous ne connaîtrions pas la<br />

chimie. Ces pauvres fous étaient à la quête de la<br />

pierre philosophale dont le pouvoir serait de<br />

transmuter les métaux et de fournir l’élixir de longue<br />

vie. Il n’est pas question ici de prouver ou<br />

d’infirmer s’ils y ont réussi, mais leur rôle dans<br />

l’histoire des sciences est capital. Même un pape,<br />

Jean XXII, s’adonna à cette science occulte,<br />

mais s’empressa en 1317 de l’interdire. On retrouve<br />

l’alchimie dans d’autres sociétés anciennes<br />

telles qu’aux Indes, en Egypte ainsi qu’à<br />

Rome et il est curieux de voir que les éléments<br />

primaires de cet art étaient les mêmes : le soufre<br />

et le mercure... Elle fut connue et pratiquée très<br />

tôt en Chine, ainsi que nous l’apprennent les<br />

textes anciens. En 175 avant notre ère par exemple,<br />

une loi fut promulguée contre la fabrication<br />

de l’or par des méthodes alchimiques. Mais alors<br />

que cette recherche de l’or alchimique était sévèrement<br />

punie, il semble, toujours suivant les chroniqueurs,<br />

que la quête de l’élixir de longue vie<br />

connut un vif succès et fut même largement encouragée<br />

en Chine. Je sens pointer ici le regard<br />

réprobateur de plus d’un honnête rationaliste se<br />

demandant sur quelle pente hasardeuse je vais<br />

l’entraîner en puisant des renseignements dans<br />

des textes fort anciens abordant un pareil sujet.<br />

Le penchant des Chinois pour le merveilleux est<br />

une chose bien connue et tout ce qu’ils ont écrit<br />

n’est bien sûr pas à prendre au pied de la lettre.<br />

Conscient de cela et nanti de cet avertissement<br />

en guise de protection, je vous replonge donc<br />

dans les cornues et les alambics.<br />

Thao Hung Ching écrit dans un texte du cinquième<br />

siècle de notre ère : ... « Lorsqu’un tombeau<br />

d’une époque ancienne est ouvert, et que le<br />

corps est dans un état tel qu’il semble vivant, on<br />

retrouve partout autour de lui, et à l’intérieur, une<br />

grande quantité d’or et de jade. Il est un usage<br />

établi que sous la Maison des Han chaque prince<br />

ou grand vassal était enterré avec des perles (de<br />

jade) et des boîtes de jade afin de prévenir la<br />

putréfaction »... Ce témoignage mentionne donc<br />

la présence d’un linceul de jade et atteste aussi<br />

du parfait état du cadavre, au minimum près de<br />

deux siècles après son inhumation (puisque la<br />

Maison des Han régna jusqu’en 220 après J.-C.).<br />

Ce ne fut plus le cas quinze siècles plus tard<br />

pour les corps de Lieou Cheng, Teou Wan et<br />

celui du tombeau de Siu-tcheou, dont il ne subsistait<br />

plus rien dans les linceuls de jade affaissés<br />

qui gisaient sur le sol lors de leur découverte.<br />

Sans aucun doute les défunts n’étaient-ils pas<br />

assez purs, car la fragile chrysalide s’en était<br />

retournée en poussière... Vaine précaution donc,<br />

que la boîte de jade ? Quinze siècles après, certainement.<br />

Mais à l’époque où Thao Hung Ching<br />

écrivit le texte ci-dessus, le temps assez long qui<br />

s’était écoulé depuis l’ensevelissement pouvait<br />

donner naissance à l’idée que le corps était protégé<br />

de la putréfaction pour l’éternité. De toute<br />

manière, ceux qui établirent ces pratiques funéraires,<br />

et les heureux qui en bénéficièrent, ne<br />

seraient plus là, après « une éternité » pour vérifier<br />

le bien-fondé de la méthode. Ce pouvait donc<br />

n’être qu’une croyance naïve que seul un haut<br />

degré de mysticisme peut justifier. En effet, pour<br />

les taoïstes, l’ordre de la nature réside dans le<br />

Tao dont la manifestation est l’éternel flux et reflux<br />

de deux pôles d’énergie, deux principes naturels<br />

fondamentaux : le Yin et le Yang. Le but<br />

suprême de l’adepte était d’acquérir la Sainteté<br />

et l’Immortalité. Vaste programme qui ne pouvait<br />

lors de la mise en application effective qu’aboutir<br />

aux pratiques les plus curieuses : outre la méditation<br />

visionnaire, les techniques respiratoires et<br />

la transe cataleptique, le taoïste en arriva à se<br />

livrer à d’étranges expériences alimentaires basées<br />

sur des substances des plus inattendues,<br />

telles que notamment, le jade et le cinabre...<br />

La Véritable Essence<br />

de la Sphère Obscure.<br />

Comment absorber du jade ? Un alchimiste du<br />

quatrième siècle, Koh Hung nous renseigne : ...<br />

« La pâte de jade se forme au sein des montagnes<br />

qui recèlent du jade. On ne la trouve qu’en<br />

des lieux escarpés et dangereux. Le jus-de-jade<br />

qui s’écoule de ces montagnes se coagule en<br />

une sorte de pâte après une période de quelques<br />

10.000 années. Cette pâte est fraîche et limpide<br />

comme le cristal. Si vous en trouvez, écrasez-la<br />

et mélangez-la avec du jus d’herbes dépourvues<br />

d’essence. Elle se liquéfiera immédiatement.<br />

Buvez-en alors une pinte et vous vivrez mille<br />

ans... Celui qui absorbe le jade vivra aussi longtemps<br />

que durera le jade ; celui qui absorbe de<br />

l’or vivra aussi longtemps que durera l’or ; celui<br />

qui absorbe la Véritable Essence de la Sphère<br />

Obscure (un des noms du jade) jouira d’une existence<br />

éternelle...».<br />

Un autre récit merveilleux est relaté dans les<br />

Livres de la Maison des Wei et dans l’Histoire du<br />

Nord de l’Empire (période des Trois Royaumes).<br />

Il concerne un homme d’Etat, Li Yü : celui-ci se<br />

livrait avec ardeur à l’absorption de jade. Un jour,<br />

il en découvrit dans un champ une centaine de<br />

morceaux. Il les écrasa, en distribua une partie et<br />

absorba le restant dans le courant de l’année.<br />

Après quoi il mourut ! Mais suite à d’autres causes,<br />

s’empresse d’ajouter l’auteur ! Son corps<br />

n’était pas encore mis en bière après le quatrième<br />

jour qui suivit son décès, et bien que cela se<br />

passait dans le septième mois de l’année, le plus


chaud, il n’avait pas le teint propre au cadavre<br />

(3). Son épouse lui plaça deux perles de jade<br />

dans la bouche et aucune odeur de putréfaction<br />

n’émanait de sa gorge... Et l’auteur de conclure<br />

avec prudence : « Finalement, le jade ne peut<br />

véritablement préserver la vie du trépas, mais par<br />

contre, il peut protéger le corps de la putréfaction<br />

». Ce qui n’est déjà pas si mal.<br />

D’anciens traités de botanique médicinale précisent<br />

que le sage qui sent venir la mort, absorbe<br />

cinq livres d’une solution à base de jade, ce qui a<br />

pour effet durant les trois années qui suivent la<br />

mort, que le teint du défunt ne s’altère pas...<br />

Trois années me paraissent beaucoup plus raisonnable<br />

que l’éternité, et un pareil laps de<br />

temps permet des expérimentations et des<br />

contrôles. On retrouve dans la pharmacopée<br />

chinoise des produits surprenants, parfois extrêmement<br />

dangereux, tels que des composés métalliques<br />

dérivés de l’arsenic, du mercure, du<br />

cuivre, de l’étain, du plomb, du nickel et même de<br />

l’antimoine. Une de leurs fréquentes utilisations<br />

était la préparation d’aphrodisiaques mais aussi<br />

des remèdes contre beaucoup de maux et de<br />

maladies. Leur expérimentation envoya plus d’un<br />

aide-alchimiste en un lieu d’où il ne put jamais<br />

revenir pour rendre compte des résultats ! Une<br />

chose est certaine, et ceci est mentionné dans un<br />

des volumes de l’œuvre magistrale du sinologue<br />

Joseph Needham : on connaît des exemples de<br />

corps demeurés imputrescibles. Certains furent<br />

laqués et vénérés dans des temples, même au<br />

Japon, jusqu’au début de notre siècle. Il y a aussi<br />

l’exemple de Sun Ssu-Mo, décédé en 682 de<br />

notre ère, alors presque centenaire ; aucun signe<br />

d’altération de la dépouille ne fut visible durant<br />

plusieurs semaines. Après plus d’un mois, le<br />

corps intact fut placé dans le cercueil. Ce vénérable<br />

homme était alchimiste, physicien, pharmacien<br />

aussi, et absorba certainement un des élixirs<br />

à base de mercure ou d’arsenic dont il traita dans<br />

ses nombreux ouvrages. Ceci rappelle les Archives<br />

Historiques Shih Chi (premier siècle avant<br />

notre ère) où il est dit que le cinabre pouvait être<br />

transmuté en or et servait en outre à la fabrication<br />

de l’élixir de jouvence...<br />

(3) On ne peut bien sûr attribuer avec certitude ce<br />

prodige au seul effet du jade. Le texte le laisse<br />

évidemment supposer, mais il faut signaler que<br />

l’on sait (dans les textes du Li ki, par exemple)<br />

que dans l’attente de la mise au tombeau, les<br />

corps étaient — dans certains cas — conservés<br />

dans des coffres remplis de glace.<br />

Le jade et le cinabre conduisent-ils vraiment à<br />

l’immortalité ? Certes pas, si l’on prend les textes<br />

pour argent comptant. Mais souvenons-nous de<br />

la prudente conclusion de l’auteur du texte<br />

concernant Li Yü, vu plus haut. Voilà certainement<br />

le sens véritable qu’il convient d’accorder<br />

aux vertus de ces substances : « l’immortalité »<br />

de la dépouille après la mort... Bien sûr, dans le<br />

cas des linceuls de jade, l’expérience n’est pas<br />

concluante, bien qu’il semble qu’elle l’ait été deux<br />

siècles après la mise au tombeau, du temps de<br />

Thao Hung Ching. Par contre, et dans cette même<br />

optique, dans le cas de l’emploi du cinabre,<br />

elle apparaît aujourd’hui concluante, car outre les<br />

textes anciens que l’on ne croit qu’avec une légitime<br />

réserve, deux extraordinaires découvertes<br />

nous apportent la preuve qu’il faudrait considérer<br />

avec un grand intérêt les écrits réputés merveilleux<br />

et parfois fantaisistes des alchimistes.<br />

Le linceul de jade de Lieou Cheng, avec un petit<br />

disque pî au sommet de la tête.<br />

La dame de Tai.<br />

A Mawangtouei, dans la banlieue de Tchangcha<br />

(province du Honan) une découverte, jusqu’à l’an<br />

dernier unique au monde, fut faite au printemps<br />

1972. Du fond d’un tombeau, désormais désigné<br />

sous le nom de tombe Han n° 1, fut ramené le<br />

corps en parfait état de conservation d’une femme<br />

morte il y a 2100 ans... Cet événement fit<br />

bien entendu grand bruit dans le monde de l’archéologie.<br />

On connaissait les corps des sacrifiés<br />

21


22<br />

des tourbières de Tolund dans le Jutland, et qui<br />

datent grosso modo de la même époque, mais<br />

c’est pur accident que ceux-ci traversèrent les<br />

temps et nous parvinrent en si bon état, tannés<br />

par la tourbe. Quant aux momies égyptiennes,<br />

les corps ne sont pas intacts : ils étaient en effet,<br />

dans la période archaïque, démembrés, éviscérés<br />

puis embaumés. On « remontait » ensuite le<br />

plus parfaitement possible le défunt, en empruntant<br />

quelquefois un os ou l’autre au voisin. Plus<br />

tard succéda la momification, moins répugnante,<br />

mais après que le cadavre fut traité au natron et<br />

au bitume, il était cependant encore vidé de ses<br />

viscères. Ce qui fait l’intérêt et l’innovation de<br />

Manwangtouei, est d’une part l’exceptionnel état<br />

d’un corps complet et d’autre part que ce prodige<br />

résulte d’une volonté. La structure même du tombeau<br />

en est une des preuves : sous un tertre de<br />

terre de 20 mètres de haut et 50 mètres de diamètre,<br />

se trouve une fosse d’environ 16 mètres<br />

de profondeur de section rectangulaire, orientée<br />

suivant un axe nord-sud (voir ce qu’il est dit au<br />

sujet de ce type de sépulcre dans KADATH n° 2).<br />

Au fond du puits, un lourd sarcophage de structure<br />

complexe, formé de plusieurs compartiments<br />

de bois, minutieusement assemblés par des tenons<br />

et des mortaises, contenait outre des trésors<br />

inestimables, trois cercueils somptueux emboîtés<br />

les uns dans les autres.<br />

Sur le couvercle du dernier était étalée une re-<br />

marquable bannière de soie peinte, à laquelle il<br />

sera fait allusion plus loin. Toutes les précautions<br />

avaient été prises pour garantir une durée maximum<br />

au corps et au mobilier : cinq tonnes de<br />

charbon de bois entouraient le vaste sarcophage,<br />

en une couche de 30 à 40 cm d’épaisseur. Cette<br />

première enveloppe était elle-même protégée par<br />

une couche d’argile blanche de 60 à 130 cm. Audessus,<br />

près de douze mètres de terre sablonneuse.<br />

Dans le premier cercueil intérieur gisait le<br />

corps de la défunte, allongé sur le dos, tête au<br />

nord, enveloppé dans vingt couches d’étoffes de<br />

soie, ficelé par neuf rubans.<br />

Une autopsie 21 siècles plus tard.<br />

De nombreux renseignements anatomiques, histologiques<br />

et biochimiques ont été recueillis par<br />

une équipe de spécialistes de l’Institut de Médecine<br />

de Pékin, de Changai, du Hounan et de<br />

Kouangtcheou. Avant la dissection, le cadavre fut<br />

soumis à un examen externe et radiologique (les<br />

résultats détaillés de l’autopsie, trop longs pour<br />

être exposés ici, sont publiés dans un article de<br />

la revue « La Chine en Construction »). Le cadavre<br />

mesure 1 m 54 et pèse 34 kilos ; la peau de<br />

couleur jaune-brun est moite et la plupart des<br />

tissus mous conservent une entière élasticité (en<br />

injectant de l’antiseptique dans le corps, on remarqua<br />

que le tissu se gonfla au passage du<br />

liquide qui se dispersa au fur et à mesure). L’exa-


men radiographique montre un squelette intact,<br />

où même les os du nez et les sésamoïdes peuvent<br />

être nettement observés. La dissection des<br />

viscères permet de constater la bonne conservation<br />

de certaines parties délicates. Il fut même<br />

retrouvé dans l’œsophage, l’estomac et les intestins,<br />

des pépins de melon. On suppose donc que<br />

le décès est survenu brutalement. Aucune blessure<br />

ne témoigne cependant d’une mort violente.<br />

Les spécialistes pensent que la mort est due à un<br />

infarctus du myocarde ou à une grave arythmie<br />

conséquence de son athérosclérose coronaire.<br />

Six sachets de soie, trouvés dans la tombe,<br />

contiennent des matières médicinales telles que<br />

graines de xanthoxylum, boutons de magnolia,<br />

écorce de canelle, etc... Ces médicaments, mentionnés<br />

dans un traité médical vieux de plus de<br />

2000 ans, seraient utilisés pour le traitement de<br />

certaines affections du cœur qui rappellent de<br />

par les symptômes décrits, ce que nous nommons<br />

aujourd’hui l’athérosclérose coronaire. La<br />

mort est survenue à l’âge d’environ 50 ans. Grâce<br />

à des inscriptions à l’encre sur des objets funéraires<br />

et à la présence de sceaux d’argile marqués<br />

« Intendant de la Maison du Marquis de<br />

Tai », la défunte put être identifiée. Il s’agit de<br />

l’épouse de Li Tsang, chancelier du prince de<br />

Tchangcha, premier Marquis de Tai.<br />

Vers la fin de 1973, deux autres tombes voisines<br />

furent ouvertes : celle de Li Tsang lui-même, et<br />

celle de son fils. Tous deux sont décédés en 168<br />

avant J.-C. Ces deux derniers tombeaux sont<br />

construits sur le même schéma que celui de la<br />

dame de Tai et de plus, les sarcophages sont<br />

identiques. On s’attend donc à trouver là aussi,<br />

peut-être, des cadavres parfaitement bien<br />

conservés, mais hélas, rien n’est dit à ce sujet<br />

dans les publications chinoises. Du moins pour<br />

l’instant. Heureusement, une toute récente communication<br />

fit part de l’exhumation d’une deuxième<br />

dépouille absolument intacte, dans une autre<br />

fosse des Han de l’ouest, dans les monts Fenghouang,<br />

non loin de Kinan (province de Hopei).<br />

Le corps d’un homme d’une cinquantaine d’années,<br />

enterré en 167 avant J.-C., présente les<br />

mêmes caractéristiques que celui de la dame de<br />

Tai. Nous en saurons certainement plus à ce<br />

sujet d’ici peu. Nous ne sommes d’ailleurs pas au<br />

bout de nos surprises, car cinq autres cas semblables<br />

sont cités dans le Shih Ching Chu et le<br />

Shin Shu, textes antérieurs au septième siècle de<br />

notre ère.<br />

Le contexte alchimique.<br />

Oui mais, me direz-vous, après tout, sans disconvenir<br />

de l’aspect extraordinaire de ces trouvailles,<br />

il est fort possible que cette remarquable<br />

conservation s’explique tout simplement par la<br />

construction soignée du tombeau. Effectivement,<br />

la couche de charbon de bois a dû être placée<br />

pour prévenir le sarcophage de l’humidité. Quant<br />

à l’argile, elle protège le charbon de bois et ne<br />

laisse passer ni air ni eau. De plus, la terre sablonneuse<br />

qui recouvre le tout sur une appréciable<br />

épaisseur, crée aussi de bonnes conditions<br />

d’étanchéité. Les trois cercueils sont de plus<br />

étroitement assemblés et laqués. Tout cela assurant<br />

au corps un milieu dépourvu d’oxygène, ou<br />

quasiment, a ralenti ou arrêté presqu’entièrement<br />

le processus de décomposition. Mais ce n’est<br />

pourtant pas suffisant, car il existe les bactéries<br />

anaérobies du corps et du sol, qui malgré un<br />

milieu dépourvu d’oxygène, vont provoquer la<br />

décomposition des organes. Il faut donc autre<br />

chose et c’est là que nous retrouvons l’empreinte<br />

des alchimistes anciens, par la présence d’un<br />

élément commun chez la dame de Tai et dans le<br />

cas de l’homme dernièrement découvert : dans le<br />

dernier des trois cercueils de bois, les cadavres<br />

étaient tous deux à demi immergés dans un<br />

liquide rougeâtre... Son analyse chimique révéla<br />

qu’il s’agissait d’un composé de plusieurs acides<br />

organiques et... de mercure.<br />

Une autre allusion à cette science de la recherche<br />

de l’élixir de longue vie se trouve sur la magnifique<br />

bannière multicolore de soie peinte qui<br />

recouvrait le cercueil contenant la dame de Tai.<br />

Hormis sa grande beauté et son caractère unique<br />

jusqu’à maintenant, cette pièce de soie peinte est<br />

la plus ancienne connue. En forme de « T », elle<br />

illustre dans toute son ampleur cosmique, l’univers<br />

tel que se le représentaient les Chinois : le<br />

Monde Céleste, le Monde des Humains et le<br />

Monde Souterrain. Les trois régions sont peuplées<br />

d’une foule de créatures imaginaires issues<br />

de la mythologie et des légendes. Parmi les innombrables<br />

symboles, notons au passage un<br />

énorme médaillon figurant un disque pî (symbole<br />

de l’immortalité) au centre duquel se croisent<br />

deux dragons. Dans le coin supérieur gauche de<br />

23


24<br />

la bannière, on peut voir, sous le croissant de la<br />

Lune, une femme chevauchant un dragon ailé ; il<br />

s’agit de Tchang-eh, l’épouse de l’Archer Yi, qui<br />

suivant le mythe, dut s’enfuir dans la Lune pour<br />

avoir dérobé... l’élixir d’immortalité. Un autre clin<br />

d’œil à l’alchimie est encore donné par un petit<br />

lièvre blanc, qui se tient à l’intérieur du croissant<br />

de la Lune ; selon la légende, le lièvre blanc y<br />

réside, fabriquant les drogues qui entrent dans la<br />

composition de... l’élixir de jouvence. Il est souvent<br />

taillé en forme de petites amulettes de jade<br />

et remplit alors la fonction des jades funéraires<br />

décrite plus haut. Ces derniers rapprochements<br />

avec l’alchimie ne semblent pas avoir été soulignés.<br />

Bien sûr, il faut être extrêmement prudent<br />

et ne pas tirer de conclusions hâtives. La médecine<br />

occidentale connaît à la fois les dangers du<br />

mercure et, d’autre part, ses vertus antiseptiques,<br />

mais personne ne s’est jamais demandé quelle<br />

pouvait être l’action d’un minerai comme le jade<br />

sur l’organisme, et cela se conçoit aisément.<br />

Pour terminer (il n’est pas interdit de rêver) je<br />

vous renverrai une dernière fois à l’article sur les<br />

pyramides chinoises, où le chroniqueur Sseuma<br />

Ts’ien nous décrivant l’intérieur du tombeau gigantesque<br />

de l’Empereur Ts’in Che Houang-ti,<br />

précisait: « Un véritable palais souterrain se dressait<br />

là, où des ruisseaux de mercure dessinaient<br />

d’éternelles rivières ; des machines le faisaient<br />

couler et se le transmettaient des unes aux autres...».<br />

Je ne vous cache pas mon impatience<br />

d’en apprendre plus au sujet des fouilles actuellement<br />

en cours dans le tombeau de l’Empereur<br />

Jaune, qui risquent de nous stupéfier une fois de<br />

plus. Comme apéritif il nous a déjà été communiqué<br />

la découverte, dans une fosse géante située<br />

à proximité du tombeau lui-même, de près de six<br />

mille statues (vous avez bien lu !) de guerriers en<br />

armes et de chevaux, grandeur nature…<br />

Ne concluons donc pas et attendons, d’autant<br />

plus qu’ainsi que le déclarait judicieusement<br />

quelqu’un, en raison de ce que nous savons,<br />

mais surtout en raison de l’abondance de ce que<br />

nous ignorons (les milliers de textes anciens non<br />

encore traduits ont de quoi nous plonger dans un<br />

abîme de perplexité) : « Parler de la Chine, c’est<br />

s’exposer à dire des bêtises »...<br />

BIBLIOGRAPHIE.<br />

PATRICK FERRYN<br />

● J.J.M. De Groot : « The Religious System of<br />

China », volume 2, chapitre 3. Leyden 1894.<br />

● B. Laufer: « Jade - a Study in Chinese Archeology<br />

and Religion », Field Museum of Natural<br />

History Publications, Anthropological Series.<br />

Chicago 1912.<br />

● P. Pelliot : « Introduction aux Jades archaïques<br />

appartenant à Monsieur C.T. Loo. van<br />

Oest », Paris-Bruxelles 1925.<br />

● Chêng, Tê-k’un : « Archeology in China »,<br />

volume 3, Chou China 1963.<br />

● William Watson : « La Chine Ancienne», Sequoia-Elsevier,<br />

Paris - Bruxelles 1968.<br />

● Nathan Sivin : « Chinese Alchemy : preliminary<br />

Studies », Harvard University Press -<br />

Cambridge Massachusetts 1968.<br />

● Edmund Capon et William MacQuitty :<br />

« Princes of Jade», Jarrold and Sons Ltd, Norwich.<br />

Cardinal, Sphere Books 1973.<br />

● Joseph Needham : « Science and Civilisation<br />

in China », Volume 5, Chemistry and Chemical<br />

Technology, Part 2. University Press - Cambridge<br />

1974.<br />

● Joan M. Hartman : « Ancient Chinese Jades<br />

from the Buffalo Museum of Science », China<br />

House Gallery. China Institute in America,<br />

New York 1975.<br />

● Revues :<br />

La Chine en Construction, octobre 1973 :<br />

« Autopsie d’un cadavre de femme vieux de<br />

2000 ans ».<br />

Le Courrier de l’Unesco, avril 1974, « La plus<br />

vieille peinture sur soie ».<br />

Pékin Information, numéro 35, septembre<br />

1974. National Geographic Magazine, vol. 145<br />

n° 5, mai 1975 : « A lady from China’s past ».<br />

La Chine, numéro 11, novembre 1975.<br />

● Un très intéressant album illustré en couleurs<br />

ainsi qu’une plaquette qui en a été tirée, peuvent<br />

aisément s’obtenir à l’Association Belgique-Chine<br />

à Bruxelles : « Découvertes Archéologiques<br />

en Chine Nouvelle ».


Mégalithes oubliés de Corée<br />

Une des surprises qu’éprouve le voyageur parcourant certaines régions de Corée est la découverte, à cet<br />

endroit, d’un ensemble de dolmens typiques. Seuls quelques spécialistes sont au courant et l’on ne s’y<br />

attend guère. Il en existe plusieurs milliers inégalement répartis sur tout le territoire, au point qu’on peut y<br />

voir un facteur spécifique du pays : la péninsule est un centre mégalithique important, par rapport aux<br />

contrées avoisinantes, pauvres en constructions de ce genre. On parlera donc des dolmens coréens, comme<br />

on cite ceux de Bretagne auxquels ils ressemblent parfois de manière frappante. En certains lieux, et<br />

avec un peu d’imagination, le touriste se croirait volontiers dans le voisinage immédiat de Locmariaquer ou<br />

de Carnac. Apparence ne signifie bien sûr pas identité. La présence de ces monuments pose une série de<br />

problèmes non résolus à ce jour. Précisons tout au moins que les solutions proposées n’emportent pas<br />

l’adhésion définitive. Afin de permettre au lecteur de situer plus aisément les faits, nous brosserons<br />

d’abord un tableau sommaire de ce passé lointain. Les érudits ne m’en voudront pas si le croquis à peine<br />

esquissé est un peu trop schématique et, par le fait même, incomplet.<br />

Survol de la préhistoire coréenne.<br />

La Corée préhistorique est mal connue malgré<br />

les efforts méritoires des chercheurs autochtones,<br />

parmi lesquels nous citerons les Professeurs<br />

Chewon Kim et Moo-Byong Youn, dont les remarquables<br />

travaux relatifs aux dolmens nous<br />

ont fourni notre meilleure documentation. Plusieurs<br />

découvertes ont permis de tracer quelques<br />

lignes saillantes de cette longue période, mais, il<br />

faut bien l’avouer, la synthèse obtenue à partir<br />

d’éléments épars est restée dans une large mesure<br />

conjecturale, comme en témoigne la diversité<br />

des opinions émises par les auteurs. Dans ces<br />

conditions, nul ne s’étonnera si les conclusions<br />

que nous tirons des données en notre possession<br />

doivent, un jour ou l’autre, faire l’objet d’une<br />

révision. Seuls les faits archéologiques cités présentent<br />

une certaine garantie.<br />

On a pu prétendre que rien ne permettait d’affirmer<br />

l’existence d’un peuplement paléolithique en<br />

Corée. C’est l’avis du Professeur Li Ogg (réf. 2).<br />

Pourtant, en 1963, on exhuma des outils de pierre<br />

qui remontaient indubitablement à cette époque<br />

; ils furent découverts dans la province<br />

d’Hamgyong septentrional, soit à l’extrême nord<br />

du pays. Par après, on déterra des objets similaires<br />

au Ch’ungch’ong méridional, sur les bords du<br />

fleuve Kum, à savoir, pour le lecteur peu familiarisé<br />

avec la géographie coréenne, dans une région<br />

située au sud-ouest. Un fragment de bois calciné<br />

daté au radiocarbone remonte à ± 30.690 ans<br />

(réf. 1).<br />

Il nous faut à présent faire un bond d’environ 250<br />

siècles dans le temps pour atteindre le néolithique<br />

beaucoup mieux attesté. La plupart des vestiges<br />

laissés par cette époque datent du III e millénaire<br />

avant J.-C., mais on admet généralement<br />

que la période peut avoir commencé dans les<br />

deux mille ans qui précèdent. Nul ne sait exactement<br />

à la suite de quelle migration, ces peupla-<br />

des ont occupé la péninsule. L’hypothèse qui les<br />

rattache à une souche comprenant des tribus<br />

sibériennes, mongoles et mandchoues n’emporte<br />

pas l’unanimité des suffrages. Elle repose en<br />

partie sur des similitudes de langage entre le<br />

coréen historique, le turc, le mongol, le toungouse,<br />

le japonais et d’autres idiomes en usage en<br />

Sibérie, mais les résultats des recherches linguistiques<br />

sont bien loin d’être probants. Au départ,<br />

les hommes du néolithique semblent tirer de la<br />

pêche leurs principaux moyens de subsistance ;<br />

les communautés vivent au bord de la mer. A<br />

mesure que les siècles s’écoulent, on assiste à<br />

une pénétration à l’intérieur des terres et l’on voit<br />

apparaître les traces d’autres activités économiques<br />

: chasse et agriculture.<br />

Un fait saillant de l’époque néolithique est la poterie<br />

rayée dont les exemplaires furent principalement<br />

découverts sur les côtes. Il s’agit de vases<br />

décorés en surface par une série de lignes parallèles<br />

incisées, comme si l’on avait gravé l’argile<br />

humide au moyen d’une dent ou d’un peigne<br />

avant de la passer au feu ; cette production artisanale<br />

s’appelle « combware » en anglais et<br />

« Kamm Keramik » en allemand. Fait important :<br />

on a pu établir des rapprochements avec des<br />

objets similaires, associés à des sites néolithiques<br />

dans de nombreuses régions d’Asie et<br />

d’Europe septentrionales, en Mongolie, en Sibérie,<br />

jusqu’en Scandinavie et en Allemagne du<br />

Nord. La filiation exacte de la poterie rayée n’est<br />

certes pas établie, mais la question mérite un<br />

approfondissement. N’est-ce pas le signe d’un<br />

vaste courant d’échanges par le nord, et ce, à<br />

une époque où, chez nous, le mégalithisme est<br />

florissant ?<br />

On situe généralement l’introduction du bronze<br />

en terre coréenne dans le courant du premier<br />

millénaire. C’est approximativement à la même<br />

époque qu’apparaît un nouveau type de vase<br />

25


26<br />

brun-rougeâtre, à parois épaisses et sans aucune<br />

décoration : nous l’appellerons « poterie simple».<br />

On la trouve en général loin des côtes, à<br />

l’intérieur du territoire. Il est permis d’y voir la<br />

trace d’une implantation nouvelle, celle d’un<br />

groupe ethnique différent, qui intéresse particulièrement<br />

notre sujet car la science officielle tend<br />

actuellement à lui attribuer la construction des<br />

dolmens. Je reproduis cette opinion sous toute<br />

réserve. Pour la petite histoire, une ancienne<br />

légende donne le héros mythologique Tan’gun<br />

Wang Gom, qui aurait vécu vingt-quatre siècles<br />

avant Jésus-Christ, comme l’ancêtre du peuple<br />

coréen. Il aurait fondé un premier royaume, celui<br />

de Djo-son, expression qui fut rendue en français<br />

par : «matin calme». Cette jolie locution eut un<br />

certain succès, même si elle ne satisfait pas entièrement<br />

l’étymologie.<br />

Les dolmens.<br />

On classe traditionnellement les dolmens coréens<br />

en deux catégories, selon la technique de<br />

construction : le type nordique et le type méridional.<br />

Au départ, il s’agissait d’une répartition géographique.<br />

En réalité, on a trouvé des exemplaires<br />

du second en Corée du Nord, mais par habitude<br />

et aussi pour la commodité, l’ancienne terminologie<br />

a été maintenue.<br />

<strong>LE</strong> TYPE NORDIQUE.<br />

Le dolmen de type nordique est un ensemble<br />

constitué par quatre blocs de pierre disposés de<br />

manière à former une chambre rectangulaire ; il<br />

est surmonté d’un cinquième servant de couvercle,<br />

« la table». La majeure partie de la structure<br />

s’élève au-dessus du sol, comme c’est généralement<br />

le cas des dolmens européens, et c’est bien<br />

ce dernier aspect qui distingue le plus le modèle<br />

septentrional du type méridional qui, lui, est, dans<br />

une large mesure, enterré. Les parois les plus<br />

longues supportent l’essentiel du poids considérable<br />

que pèse la table. Aussi, les constructeurs<br />

ont-ils choisi à cet effet des rocs particulièrement<br />

massifs et solides. Une base en forme de coin,<br />

parfois arrondi, permet de les planter profondément<br />

dans le sol ; on lui a parfois fait subir une<br />

taille rudimentaire pour lui donner la forme appropriée.<br />

A l’inverse, les blocs constituant les petits<br />

côtés sont plus fragiles et moins enfoncés dans<br />

la terre. C’est le point faible de l’ouvrage et si un<br />

effondrement se produit, c’est évidemment à cet<br />

endroit qu’on le constate le plus souvent. En outre,<br />

on emploie parfois une moins bonne qualité<br />

de pierre pour ces petits supports, bien qu’en<br />

général les mêmes matériaux soient utilisés pour<br />

les quatre parois. Il arrive souvent que les bâtisseurs<br />

aient entassé des galets extraits d’un lit de<br />

rivière tout autour de la base, au point d’ensevelir<br />

entièrement les supports. L’ensemble forme alors<br />

une sorte de cairn ne laissant apparaître que la<br />

surface supérieure de la table.<br />

Seules les plantations et les montagnes nous<br />

assurent que nous ne sommes pas en Bretagne :<br />

dolmen de type nordique, situé dans la province<br />

de Kyonggido, district de Hang Hwa Kien.<br />

<strong>LE</strong> TYPE MERIDIONAL.<br />

Rappelons-le : la caractéristique principale du<br />

modèle méridional est la présence d’une chambre<br />

souterraine. Tout se passe comme si, à une<br />

époque indéterminée, on avait décidé d’enfouir le<br />

dolmen dans le sol, ne laissant que la partie supérieure<br />

à l’air libre. C’est bien sûr une image,<br />

car cette conception nouvelle détermine aussitôt<br />

des modifications profondes dans la structure de<br />

l’ensemble. La principale affecte la partie basse,<br />

celle précisément qui constitue la chambre. Elle<br />

perd en effet sa fonction de soutien, relayée par<br />

le seul terrain, du moins au départ. L’infrastructure<br />

devient plus fragile, sa solidité diminue. Les<br />

bâtisseurs ne sont plus obligés de chercher de<br />

gros blocs pour élever de lourdes parois. Deux<br />

techniques de construction différentes ont permis<br />

une subdivision des mégalithes de type méridional.<br />

— Le dolmen sans supports.<br />

La table repose, en principe, sur le sol et il arrive<br />

qu’on la distingue malaisément d’un simple rocher<br />

naturel gisant là par hasard. Elle doit être


écartée pour que son infrastructure apparaisse.<br />

Cette dernière est construite directement sous la<br />

table qui lui sert ainsi de couvercle. On note évidemment<br />

des variantes que l’on s’est tant bien<br />

que mal efforcé de classifier ; les données cidessus<br />

constituent l’essentiel.<br />

— Le dolmen à supports.<br />

Il procède du premier suite à une évolution que<br />

des impératifs pratiques ont rendue nécessaire.<br />

Les minces parois de la chambre n’opposaient<br />

plus une résistance suffisante à l’énorme mégalithe<br />

qui les recouvrait. La terre étant friable par<br />

nature, des risques d’effondrement menaçaient<br />

l’ouvrage. On en revint donc aux blocs de soutien,<br />

sans pour autant reprendre les procédés qui<br />

avaient donné naissance au type nordique : les<br />

supports ne formaient plus des murs, c’étaient de<br />

simples pierres de soutènement, souvent posées<br />

aux quatre coins. En outre, la cavité souterraine<br />

était plus profondément enfouie dans le sol sans<br />

contact direct avec la table qui perdait ainsi sa<br />

fonction de couvercle ; elle servait désormais de<br />

simple marque extérieure.<br />

Localisation et répartition géographique.<br />

On rencontre des dolmens sur tout le territoire<br />

coréen et même sur les îles côtières telles que<br />

Che judo et Huksando, à l’exception, semble-t-il,<br />

de l’extrême-nord, à savoir la province d’Hamgyong<br />

Pukdo. Il existe cependant des lieux de<br />

prédilection, par exemple les deux provinces méridionales,<br />

le Cholla Pukdo et le Cholla Namdo<br />

situées sur la côte ouest. Ils sont par contre peu<br />

nombreux dans les régions orientales du pays. A<br />

ce propos, notons en passant qu’une erreur s’est<br />

glissée dans l’ouvrage de Fernand Niel:<br />

« Dolmens et Menhirs » (Que sais-je ? n° 764).<br />

La localisation coréenne telle qu’elle est reprise à<br />

la page 74 est erronée. On les trouve en grand<br />

nombre dans les contrées proches de la mer et<br />

aussi le long des fleuves et des rivières. Cette<br />

tendance mise à part, aucune condition géographique<br />

particulière ne semble exigée. Le peuple<br />

des mégalithes a construit ses dolmens en terrain<br />

plat aussi bien que sur des collines, au pied<br />

des montagnes et même dans des passes montagneuses.<br />

Ils ne s’élèvent pas nécessairement<br />

en un endroit qui convient à l’établissement d’un<br />

habitat humain. Bien au contraire, l’environnement<br />

est souvent pauvre. Ils sont habituellement<br />

groupés par deux ou trois, mais on note aussi la<br />

présence de vastes ensembles comprenant plusieurs<br />

centaines d’ouvrages. C’est exceptionnel :<br />

en général, les dolmens assemblés ne dépassent<br />

pas vingt à trente unités, mais il arrive que de<br />

petits groupements constituent une aire plus vaste,<br />

qu’une localisation sur carte fait clairement<br />

apparaître. On remarque aussi des alignements,<br />

le plus souvent selon un axe nord-sud, information<br />

donnée par le Professeur Li Ogg (réf. 2).<br />

Les bâtisseurs.<br />

La thèse officielle attribue la paternité des dolmens<br />

au peuple qui s’est illustré par la poterie<br />

simple au premier millénaire. On constate en<br />

effet que les quelques objets extraits des mégalithes<br />

par les archéologues appartiennent à cette<br />

culture. Parmi les pièces les plus représentatives,<br />

citons d’abord une tête de flèche en pierre polie<br />

dont la section transversale est en losange. Or ce<br />

type d’arme est caractéristique des sites occupés<br />

jadis par les hommes qui ont produit ce type de<br />

vase. A titre de comparaison, la céramique rayée<br />

néolithique est associée à une tête de flèche dont<br />

la coupe transversale est triangulaire et la surface<br />

polie ou parfois grossièrement burinée. Le<br />

second objet confirmant l’hypothèse est une fort<br />

jolie dague à forme singulière : on jurerait qu’il<br />

s’agit d’une copie exécutée d’après un modèle en<br />

métal dont on ne trouve d’ailleurs aucun prototype.<br />

Elle pose un problème dont l’exposé dépasserait<br />

le cadre du sujet. Les mêmes conclusions<br />

s’imposent à son propos et désignent la même<br />

culture.<br />

Deux datations au carbone 14 viennent appuyer<br />

ces données. L’équipe dirigée par les Professeurs<br />

Chewon Kim et Moo-Byong Youn découvrit<br />

un site incendié à Oksokni, en Corée centrale,<br />

dans la province de Kyonggi ; un dolmen y avait<br />

été construit. A l’extrémité du site, on trouva un<br />

morceau de bois calciné et une dague ; l’analyse<br />

donne 2590 ± 105 BP, ce qui nous ramène à une<br />

période s’étendant du milieu du VIII e siècle au<br />

milieu du VI e avant Jésus-Christ. D’autre part, un<br />

squelette enseveli sous le dolmen 13 de Hwangsokni,<br />

dans la province de Ch’ungch’ong Pukdo,<br />

plus au sud, révèle, au radiocarbone, un âge de<br />

2360 ± 370 BP (1). La marge est plus incertaine,<br />

mais elle nous maintient au 1 er millénaire avant<br />

notre ère.<br />

Chronologie des dolmens.<br />

En essayant d’identifier les constructeurs, nous<br />

avons déjà largement empiété sur l’étude de la<br />

chronologie. Tâchons de préciser. De l’avis<br />

quasi-général, les dolmens de type nordique sont<br />

les plus anciens. Dans cette optique, ceux qui<br />

(1) Dans la terminologie du radiocarbone, BP<br />

signifie « before present ». Le « temps présent<br />

» est conventionnellement fixé à l’année<br />

1950, quelle que soit la date de l’analyse, ceci<br />

pour simplifier le calcul.<br />

27


28<br />

appartiennent au type méridional en dérivent.<br />

L’étude comparative des techniques, effectuée<br />

par les spécialistes, sur le terrain même, tend à<br />

démontrer que ces derniers sont des formes dégénérées<br />

du premier modèle. C’est bien cette<br />

conception des choses que nous avons exposée<br />

aux paragraphes précédents. Il résulte des diverses<br />

données exposées ci-dessus que l’on édifiait<br />

encore des dolmens, à l’époque de la poterie<br />

simple, soit au 1 er millénaire. Pour fixer les idées,<br />

les Professeurs Chewon Kim et Moo-Byong Youn<br />

déjà cités assignent comme terminus ad quem, la<br />

fin du IV e siècle ou le début du III e avant J.-C.<br />

pour les mégalithes à structure septentrionale et<br />

le II e siècle avant J.-C. pour les autres. C’est un<br />

point d’aboutissement. Peut-on aussi facilement<br />

déterminer le point de départ ?<br />

Nous l’avons constaté, la chronologie des dolmens<br />

repose presque entièrement sur les objets<br />

exhumés de ces monuments et à ce sujet deux<br />

constatations s’imposent.<br />

1. Les pièces qui ont permis une datation approximative<br />

appartiennent certes à la culture de<br />

la poterie simple ; on en a découvert d’autres<br />

exemplaires sur des sites appartenant à cette<br />

culture. Mais la chronologie de la poterie simple<br />

est bien loin d’être établie avec précision. On<br />

ignore son origine ; nous ne savons pas s’il s’agit<br />

d’une production autochtone ou d’une technique<br />

d’importation. Sa date d’introduction dans l’artisanat<br />

coréen est totalement inconnue.<br />

2. Le produit des fouilles effectuées à l’intérieur<br />

des dolmens est singulièrement maigre. La plupart<br />

ne contiennent rien. A de rares exceptions<br />

près, quand d’aventure on y découvre des objets,<br />

leur nombre est infime par rapport à la tâche<br />

écrasante qu’exige l’édification d’un tel ouvrage.<br />

La datation officielle repose donc un peu sur une<br />

tête d’épingle. Mais si l’on veut pousser l’investigation<br />

dans le temps, c’est vers le dolmen nordique<br />

qu’il nous faut diriger nos regards. Malheureusement,<br />

c’est le plus mal connu. Il serait utile<br />

de savoir si l’un de ces mégalithes se dressant<br />

au nord du 58 e parallèle ne recèle pas quelque<br />

artefact néolithique. Nous l’ignorons, mais la<br />

question reste pendante. Dans ce domaine, on a<br />

bien découvert des fragments de poterie rayée<br />

au sein du dolmen A à Oksokni, mais quand les<br />

chercheurs étendirent leurs fouilles aux alentours<br />

immédiats, ils trouvèrent un site remontant à cette<br />

dernière culture. Le fait n’est donc pas<br />

significatif : un groupe humain peut fort bien avoir<br />

bâti l’ouvrage bien après l’occupation des lieux<br />

par un peuple qui le précédait. En outre, on ignore<br />

à quelle époque la poterie rayée a<br />

disparu.<br />

La destination.<br />

Nous abordons ici un des problèmes les plus<br />

curieux posés par les dolmens coréens. La thèse<br />

officielle y voit des tombes ; les pièces enfouies<br />

seraient ainsi des objets funéraires et nul ne<br />

semble mettre cette destination en question. Le<br />

moment est venu, je crois, de donner quelques<br />

indications sur les dimensions des ouvrages qui<br />

nous intéressent. Il existe bien sûr des dolmens<br />

gigantesques, ceux du nord notamment. Le plus<br />

grand et peut-être le plus célèbre est celui<br />

d’Unyul. C’est un colosse dont la table mesure 8<br />

m 50 sur 6 m ; elle s’élève à une hauteur de 2 m<br />

30, pesant de tout son poids sur de fortes murailles.<br />

Bel ouvrage de type nordique qui contient<br />

une vaste chambre. Mais une envergure pareille<br />

est assez exceptionnelle. En général, la fosse qui<br />

est censée recevoir le cadavre s’avère ridiculement<br />

exiguë. Voici quelques exemples qui permettront<br />

à chacun de se faire une opinion.<br />

Oksokni<br />

Ch’onjonni<br />

Sin’giri<br />

en général<br />

dolmen B V<br />

dolmen A<br />

dolmen 2<br />

dolmen B<br />

moins d’1 m. sur 0,50 m.<br />

0,70 m. sur 0,50 m.<br />

0,50 m. sur 0,35 m.<br />

0,50 m. sur 0,35 m.<br />

0,50 m. sur 0,35 m.<br />

Les plus anciens dolmens de type méridional ont<br />

une chambre dont les dimensions ne dépassent<br />

guère 1 m 30 sur 0,50 m. Il est vrai qu’elles croissent<br />

à mesure que le temps s’écoule, pour atteindre<br />

une longueur d’1 m 50 à 1 m 80.<br />

Dolmen de type méridional à Chagsanni.<br />

Dans les conditions exposées ci-dessus, un ensevelissement<br />

se conçoit mal. On a émis l’hypothèse<br />

que les corps étaient recroquevillés avant<br />

les funérailles, mais cette éventualité même cesse<br />

d’être acceptable quand la fosse prétendument<br />

funéraire n’a pas un mètre de long. S’agirait-il<br />

d’une tombe d’enfant ? Mais le nombre des<br />

petites chambres est trop élevé pour admettre<br />

cette possibilité. Un autre fait vient encore ébranler<br />

l’idée d’un dolmen-caveau préhistorique : l’absence<br />

quasi-totale d’ossements. Nous avons


signalé plus haut qu’on avait effectivement découvert<br />

un squelette complet sous le dolmen 13<br />

de Hwangsokni. Entre parenthèses, il gisait en<br />

position allongée. Le cas n’est pas unique, mais<br />

rarissime. On peut en conclure qu’à une certaine<br />

époque, l’un ou l’autre dolmen a pu servir de<br />

tombe, mais, sous peine de commettre le plus<br />

abominable des latius hos, c’est-à-dire d’émettre<br />

une conclusion qui dépasse largement les données<br />

sur lesquelles elle se base, il est exclu d’en<br />

déduire que tous les monuments du genre ont<br />

été érigés à des fins funéraires et moins encore<br />

qu’une telle destination fut la raison première de<br />

leur apparition. Certes, la conservation des restes<br />

humains dépend largement de la nature du<br />

sol, principalement de son acidité. A ma connaissance,<br />

aucune étude n’a été entreprise dans ce<br />

sens en Corée. Il serait cependant étonnant que<br />

les ossements aient entièrement disparu sur l’ensemble<br />

du territoire péninsulaire. Or, c’est un fait<br />

certain : la plupart des dolmens sont vides. Vides<br />

de squelettes et d’objets ! Le mystère demeure.<br />

Nous ne sommes pas plus renseignés sur<br />

l’origine des dolmens coréens que sur leur destination.<br />

Comparaison.<br />

Existe-t-il un rapport entre le mégalithisme au<br />

pays du Matin Calme et celui que l’on découvre<br />

un peu partout dans le monde ? Le problème est<br />

posé, il n’est pas résolu. Certes, ces monuments<br />

peuvent fort bien être le fait d’une production<br />

nationale. Rien n’empêche deux ou plusieurs<br />

peuples d’avoir eu une idée analogue, sans aucun<br />

contact entre eux. Mais ce n’est qu’une hypothèse.<br />

La possibilité d’une influence doit être<br />

envisagée et quoiqu’en ce domaine, la documentation<br />

soit encore fragmentaire, elle existe cependant<br />

en abondance. Posons donc la question en<br />

termes concrets. Au centre du problème, nous<br />

situons la Corée, foyer mégalithique important. Il<br />

existe de petits dolmens au Japon, dans la partie<br />

septentrionale de Kyu-Syu (prononcer Kyou-<br />

Chou), la petite île qui forme le sud de l’archipel<br />

nippon. Selon toute apparence, il s’agit d’un produit<br />

d’importation venant de Corée. On a signalé<br />

la présence de quelques mégalithes dans la province<br />

chinoise de Shantung, région relativement<br />

proche de la péninsule ainsi qu’au Tchekyang sur<br />

les côtes de la mer de Chine, donc beaucoup<br />

plus au sud. Mais en général, l’Empire du Milieu<br />

passe pour être pauvre en dolmens. L’information<br />

dans ce domaine est très incomplète. Ces<br />

quelques vagues exceptions mises à part, nous<br />

devons effectuer un voyage de plusieurs milliers<br />

de kilomètres pour atteindre d’autres centres<br />

mégalithiques : le Haut-Laos et le Tibet. L’étude<br />

comparative reste à faire.<br />

Conclusion.<br />

A la fin de cette brève enquête sur les dolmens<br />

coréens, une impression se dégage, la même<br />

qu’éprouvent tous ceux qui se sont penchés sur<br />

le mégalithisme en quelque lieu qu’il soit apparu.<br />

Comme le fait remarquer Fernand Niel, ces monuments<br />

se font un malin plaisir d’aller à l’encontre<br />

de toutes les théories possibles. Impression<br />

générale, dis-je, mais à laquelle échappent,<br />

comme il se doit, les bons esprits qui ne doutent<br />

jamais de rien et pour lesquels tout est clair dans<br />

la mesure même où ils refusent obstinément de<br />

reconnaître l’existence d’un problème qui les<br />

dérange. A mon sens, ceux qui se sont donné<br />

pour tâche de scruter un passé trop lointain sont<br />

le plus souvent prisonniers d’une fâcheuse habitude<br />

mentale qui fausse leur étude. On aborde le<br />

fait mégalithique avec des idées toutes faites,<br />

produits d’un cerveau que notre civilisation, c’està-dire<br />

une culture spécifique, a conditionné. Nous<br />

raisonnons comme si les hommes des dolmens<br />

disposaient d’un mental fabriqué comme le nôtre<br />

ou, pis encore, comme celui des prétendus primitifs<br />

vivant à notre époque. C’est une attitude courante<br />

et elle ne repose sur rien. Plusieurs milliers<br />

d’années et bon nombre de kilomètres séparent<br />

les aborigènes australiens des peuples préhistoriques.<br />

Or s’il est une vérité qui apparaît de plus<br />

en plus clairement, c’est l’existence, chez ces<br />

derniers, d’une organisation psychique entièrement<br />

différente, une façon de penser, de sentir et<br />

même de percevoir le monde que nos esprits<br />

cartésiens n’imaginent pas. Peut-être existaientils<br />

entre ces êtres et leur environnement des<br />

liens qui nous sont totalement étrangers. Est-ce<br />

sans espoir ? Non, mais si nous voulons un jour<br />

comprendre leur œuvre, c’est bien leur âme qu’il<br />

nous faudra pénétrer.<br />

JACQUES KEYAERTS<br />

(documentation recueillie par Albert Szafarz)<br />

BIBLIOGRAPHIE.<br />

● L’ouvrage de base est introuvable en Europe :<br />

« Studies of dolmens in Korea » de Chewon<br />

Kim et Moo-Byong Youn, National Museum of<br />

Korea, Seoul 1967. Il comprend un long texte<br />

en coréen, un exposé plus court en anglais<br />

(traduction de la première partie du texte coréen),<br />

et une abondante documentation photographique.<br />

Il nous est parvenu grâce à l’aide<br />

précieuse de M. Kyung-Sik Rhee, attaché<br />

culturel de l’ambassade de Corée.<br />

● Han Woo-Keun : « History of Korea »,<br />

chapitres 1 et 2, Grafton K. Mintz éd. (réf. 1).<br />

J’émets quelques réserves quant à ses conclusions<br />

parfois hâtives et peu fondées.<br />

● Li Ogg : « Histoire de la Corée», Collection<br />

Que sais-je ?, n° 1310 (réf. 2). Le court chapitre<br />

sur la préhistoire est un peu trop succinct.<br />

29


30<br />

ENTRE <strong>LE</strong>S LIGNES<br />

<strong>LE</strong> <strong>FORGERON</strong> <strong>VENU</strong> <strong>DU</strong> <strong>CIEL</strong><br />

<strong>Eric</strong> <strong>Guerrier</strong><br />

Le N° 14 de KADATH a consacré un long article d’Ivan Verheyden à la cosmogonie des Dogon, à la suite<br />

d’un essai que j’avais tenté sur cet extraordinaire monument de la mémoire humaine. Bien sûr, j’avais eu<br />

du mal à résumer en 250 pages les vertiges de cette question difficile d’accès à cause de l’ignorance où<br />

nous sommes de ce que sont les Dogon, de leur mentalité profonde, de leur culture... C’est dire qu’un<br />

article résumant encore ne pouvait que mettre l’eau à la bouche, ou décourager. C’est dire aussi qu’il devait<br />

laisser de côté certains aspects, pour les développer ensuite, parce que valant à eux seuls un autre<br />

article. C’est le cas de toute une partie du mythe actuellement en cours d’exploration par la mission Dieterlen,<br />

concernant le site du lac Bosumtwi au Ghana. (1)<br />

« Après la descente sur la Terre d’une arche qui<br />

supportait presque tous les êtres créés... le forgeron<br />

descendit à son tour, mais dans des conditions<br />

particulières... Le forgeron vint sur Terre<br />

accompagné de sa jumelle... En descendant, il<br />

vola un morceau du soleil, c’est à dire un fragment<br />

brûlant du reste du placenta du Renard.<br />

C’est avec ce feu solaire que l’artisan allumera<br />

celui de sa forge, soulignant ainsi sa puissance<br />

sinon égale, du moins parallèle à celle de son<br />

« jumeau» le Nommo qui lutte victorieusement<br />

contre le fauteur de désordre. Il atterrit en un<br />

point de la Terre où il recueillit un morceau de<br />

« sagala » qu’il devait utiliser pour fabriquer le<br />

premier outillage de fer... Il réalisa un long périple<br />

qui le conduisit au lieu où s’était fichée l’enclume,<br />

et où il installa sa forge... l’eau remplit l’excavation,<br />

creusée par l’enclume, devenue mare : le<br />

Renard s’étant approché pour boire, Amma jeta<br />

du ciel... «une hache de pluie »... Le forgeron fera<br />

de cette pierre céleste son siège de travail. Dès<br />

lors l’artisan fut en possession de son matériel de<br />

base, d’origine céleste : le siège, l’enclume, la<br />

masse, le minerai, les soufflets et la tuyère, le<br />

feu...<br />

« Les événements concernant le forgeron mythique<br />

et certaines de leurs conséquences sont rappelés<br />

symboliquement lors de l’édification d’une<br />

nouvelle forge... « Planter l’enclume » rappelle,<br />

pour les Dogon le repiquage de la masse ardente<br />

venue du Ciel, dans le sol, après un premier impact...<br />

Enrobé dans le pisé a été placé un morceau<br />

de sagala, non extrait du sol mais « tombé<br />

(1) G. Dieterlen - Contribution à l’étude des forgerons<br />

en Afrique Occidentale - Annuaire 1965/<br />

66 ; Tome LXXIII (Ecole Pratique des Hautes<br />

Etudes - V o section : Sciences Religieuses),<br />

pages 12 à 28.


du ciel » (il s’agit donc d’un minerai d’origine sidérale<br />

et vraisemblablement d’un fragment de météorite...)<br />

« Les Dogon ont multiplié sur le territoire où ils se<br />

sont installés, après leur migration depuis leur<br />

pays d’origine, dans des buts initiatiques et rituels<br />

à la fois, des édifices, des aménagements dans<br />

des cavernes et abris sous roches, des pierres<br />

levées, des peintures rupestres, etc... qui, tous, se<br />

rapportent à diverses séquences du mythe dont<br />

nous avons résumé l’essentiel. Ils ont également<br />

interprété les accidents naturels du terrain pour les<br />

assimiler à ce système de représentations. Mais la<br />

plupart de ces aménagements du territoire dogon<br />

en reproduisent ou répètent d’autres — répartis<br />

sur une aire considérable en Afrique Occidentale<br />

— et dont le caractère est international ; ils sont<br />

bien connus des hommes et des femmes instruits<br />

dans les diverses ethnies où nous les avons étudiés,<br />

chez les Malinké, les Sarakollé, les Bambara,<br />

les Bozo, dont la cosmogonie et la religion sont<br />

étayées sur les mêmes principes que ceux des<br />

Dogon. Pour donner un exemple, une table rocheuse<br />

— image de l’arche qui supportait le Nommo<br />

mâle ressuscité et les huit ancêtres des hommes<br />

— érigée aux environs de Sanga est la répli-<br />

que d’une table comparable située au sommet du<br />

mont Gourao au lac Débo, lieu où les Dogon situent<br />

l’impact mythique de l’arche sur la Terre. De<br />

même, le cours de la Gona, rivière temporaire qui<br />

coule sur le plateau des Falaises, représente celui<br />

du Niger ; un certain nombre de « trous d’eau »<br />

sont l’objet de rites de purification semblables à<br />

ceux effectués en certains points du fleuve. (2)<br />

« Les événements relatifs à la chute de l’enclume,<br />

la descente du forgeron, celle de la « hache de<br />

pluie » qui deviendra son siège, font l’objet de<br />

représentations géographiques comparables. D’après<br />

les dires formels de nos informateurs, et ceci<br />

serait valable pour tous les forgerons de l’Afrique<br />

Occidentale, c’est la masse ardente du « sang du<br />

cœur » du Nommo sacrifié constituant l’enclume,<br />

qui a creusé le cratère du lac Bosumtwi au Ghana,<br />

qu’ils nomment « mare du trou de l’enclume descendue<br />

». C’est au sud de ce cratère qu’elle est<br />

allée se « repiquer » après avoir rejailli. Le forgeron<br />

est descendu du ciel au Mandé ; il a ramassé<br />

(2) G. Dieterlen - Mythe et organisation sociale au<br />

Soudan français - Journal de la Société des<br />

Africanistes, Tome XXV, 1955. p. 42 note 4.<br />

Parmi les habitations de l’époque des Tellem, creusées dans la falaise, celle du forgeron, homme-clé du<br />

village dogon, est particulièrement décorée.<br />

31


32<br />

un morceau de sagala céleste — « sang de la rate<br />

du Nommo » —, émigré depuis cette région jusqu’aux<br />

abords du cratère, qui s’était rempli d’eau,<br />

pour édifier la première forge là où se trouvait l’enclume,<br />

effectuant un périple interprété comme la<br />

réplique, sur la Terre, de « la route du sang »<br />

écoulé du Nommo sacrifié, au ciel, « comme pour<br />

remonter à son point d’origine ». C’est au bord du<br />

lac qu’est tombée la « hache de pluie »... Les Dogon<br />

ont rappelé ce fait en diverses régions de leur<br />

territoire. Au flanc sud du massif de Yougo, une<br />

grande excavation a été creusée, qui représente<br />

le cratère devenu « mare », soit le lac. C’est à<br />

Yougo-Dogorou, village perché presqu’au sommet<br />

du massif et au droit de cette excavation, que débutent<br />

les cérémonies soixantenaires du Sigui :<br />

dans cette agglomération, au-dessus des cavernes<br />

où sont abrités les masques et divers objets<br />

rituels, un rocher naturel vertical de grande dimension<br />

figure l’enclume.<br />

« A Arou-près-lbi, où vit le chef religieux — autrefois<br />

politique — le plus important des Dogon, les<br />

aménagements ont été réalisés dans les dépendances<br />

de l’habitation du dignitaire. Dans la cour<br />

une vaste excavation circulaire a été creusée, qui<br />

représente le lac. En face de la demeure, sur un<br />

escarpement qui domine la cour, à côté d’un autel<br />

consacré au créateur Amma, on a dressé un bloc<br />

vertical, l’enclume. On annonce le décès du dignitaire<br />

en attachant au sommet une torche de paille<br />

enflammée — « comme était l’enclume lors de la<br />

descente ». Dans la région de Sanga, trois cavernes<br />

ont été aménagées ; dans l’une est symbolisée<br />

la descente du forgeron ; dans la seconde<br />

figurent les événements « célestes» associés à la<br />

chute de l’enclume ; la troisième, très vaste, ouvre<br />

sur une vallée dans laquelle se trouve la<br />

« mare » : à l’intérieur, des dispositions de blocs<br />

de pierre représentent l’enclume, le siège du forgeron,<br />

sa tombe, etc. ; de très nombreuses peintures<br />

schématiques (dont des masques) exécutées<br />

au plafond rappellent les événements provoqués<br />

par la rébellion du Renard.<br />

« Le lac Bosumtwi est situé à environ 30 km au<br />

sud-est de Koumassi au Ghana (3) ; de forme<br />

circulaire, il occupe le fond d’un cratère aux rives<br />

escarpées recouvertes d’une abondante végétation<br />

(4)... Sa forme, l’aspect de l’enceinte du cratère<br />

ont attiré l’attention des chercheurs quant à son<br />

origine géologique...<br />

« D’autre part, dans la ville de Koumassi et planté<br />

au sommet d’une des collines sur lesquelles elle<br />

est édifiée, on peut voir une sorte de piquet de fer<br />

profondément enfoncé dans le sol, placé au centre<br />

d’une large plaque ovale de même métal qui devait<br />

être autrefois incrustée dans le sol et qui est<br />

actuellement détériorée... Pour ceux qui sont instruits<br />

de la tradition — et pour tous nos informateurs<br />

— cet objet qu’ils nomment « enclume de<br />

Koumassi » est, dans la ville royale, une réplique<br />

et un symbole de l’enclume « repiquée à l’endroit<br />

» après son éjection hors de l’excavation<br />

qu’elle avait creusée (lors de nos premiers séjours<br />

à Koumassi, l’un de nos informateurs dogon qui<br />

nous avait accompagnés, avait déclaré spontanément,<br />

devant le piquet, « qu’ils s’agissait d’une<br />

enclume » ; nos enquêtes ultérieures, avec le forgeron<br />

et nos collaborateurs de Sanga, ont confirmé<br />

cette première information)... S’ils en ont la<br />

possibilité avant leur intronisation, les postulants à<br />

la prêtrise chez les Dogon se rendent à Koumassi<br />

formuler des vœux devant le symbole de<br />

« l’enclume » (ce pèlerinage avait été effectué par<br />

notre informateur, le prêtre totémique Yébéné,<br />

actuellement décédé). Les forgerons, au cours de<br />

leur apprentissage et leur initiation, font de même<br />

et vont visiter le lac sacré.<br />

« Le lac est situé dans une région de roches précambriennes<br />

; la formation du cratère, bien postérieure,<br />

aurait eu lieu au tertiaire récent, peut-être<br />

au niveau du Pléistocène moyen. Les études des<br />

échantillons prélevés permettraient de dater la<br />

formation entre 1,3 et 1,6 millions d’années. Les<br />

résultats des analyses des éléments rares » de<br />

ces divers échantillons confirment le rapport d’origine<br />

entre les verres du Bosumtwi et les tectites<br />

de Côte-d’Ivoire... Un événement naturel gigantesque<br />

doit être considéré comme la cause, et c’est<br />

vraisemblablement la chute d’une météorite…<br />

Il nous paraît du plus haut intérêt de rapprocher<br />

l’hypothèse de la formation du cratère par une<br />

météorite des dires de nos informateurs, qui l’attribuent<br />

sans aucune restriction à l’impact d’une<br />

masse métallique, brûlante et de grande dimension,<br />

« venue du ciel »... Le problème se pose de<br />

savoir comment un pareil fait, d’une telle ancienneté,<br />

aurait pu être observé, son souvenir conservé<br />

et transposé dans les traditions des peuples de<br />

l’Afrique Occidentale (on pourrait envisager l’hypothèse<br />

d’une interprétation a posteriori de l’origine<br />

du lac par analogie avec les effets de chutes de<br />

météorites de bien moindres dimensions, que les<br />

intéressés recueillent et utilisent ». (5)<br />

(3) A près de 800 km du pays Dogon ! (NDLA)<br />

(4) D’après Th. Monod - Contribution à l’établissement<br />

d’une liste d’accidents circulaires d’origine<br />

météoritique (reconnue, possible ou supposée),<br />

cryptoexplosive, etc... - le diamètre du lac<br />

est de quelque 8 km, altitude 100 m, profondeur<br />

73 m.<br />

(5) Madame B. Appia rapporte une information sur<br />

l’usage probable de météorites comme enclumes<br />

dans certains groupes de forgerons du<br />

Foutah Djallon.


Ce nouvel épisode de la cosmogonie des Dogon<br />

est d’un intérêt considérable, car Madame Dieterlen<br />

y voit l’armature centrale du mythe tout entier.<br />

On peut, bien sûr, bâtir l’hypothèse que la découverte<br />

du fer céleste provoqua dans la société primitive<br />

dogon, un choc culturel tel que tout le mythe<br />

en aurait été marqué, s’articulant désormais<br />

autour de ces bolides célestes amenant le métal<br />

sacré. C’est une hypothèse rassurante pour l’orthodoxie<br />

universitaire, mais elle présente l’énorme<br />

lacune de ne donner aucune réponse aux questions<br />

fondamentales que posent les connaissances<br />

des Dogon.<br />

On notera pour commencer que le forgeron mythique<br />

descendu du ciel après le Nommo, était son<br />

« jumeau ». Il était resté en orbite dans l’autre<br />

partie de la « caisse superposée », après le détachement<br />

et la descente de l’arche. Le bolide décrit<br />

dans le mythe du lac Bosumtwi est donc différent<br />

de l’arche, et son atterrissage se passe de façon<br />

notablement différente : l’arche se pose en tournoyant<br />

et elle flottera après que l’eau ait rempli la<br />

dépression formée par son atterrissage ; le bolide<br />

du forgeron percutera le sol et rebondira vers le<br />

sud. Toutefois « le Nommo et le forgeron sont<br />

jumeaux ; tous deux sont rouges comme le cuivre,<br />

comme une boule resplendissante » (6). Mais à<br />

l’inverse du Nommo, qui se trouvait dans l’arche et<br />

qui en dirigea l’atterrissage, le forgeron ne descendra<br />

pas dans le bolide, « mais dans des conditions<br />

particulières : ... le forgeron recevra le pénis<br />

et les testicules vides du sacrifié (le Nommo)...<br />

Après la descente de l’arche, Amma donnera l’ordre<br />

au forgeron de descendre le premier — au<br />

titre de jumeau — en se servant des éléments du<br />

sexe comme d’un support : il mettra ses deux bras<br />

dans les deux testicules, ses jambes le long de la<br />

verge. Ces éléments se tranformeront sur le sol<br />

pour devenir respectivement le pénis, la tuyère, et<br />

les testicules, les soufflets de la forge...» (6)<br />

Le forgeron, donc, utilisera pour descendre sur<br />

Terre un appareil résiduel du train spatial que le<br />

mythe a assimilé au sexe vide du Nommo : pénistuyère<br />

et testicules-soufflet de forge. Y a-t-il image<br />

plus claire pour désigner un engin propulseur à<br />

moitié vide dont le forgeron utilise les dernières<br />

réserves pour se poser ? Il utilisera ensuite l’épave<br />

de cet engin pour construire sa « forge ». « Il<br />

réalisa un long périple qui le conduisit au lieu où<br />

s’était fichée l’enclume et il construisit sa forge ».<br />

Cette «enclume», c’était le corps principal du train<br />

spatial qui fut précipité sur Terre comme un bolide<br />

inerte, à la manière d’une météorite…<br />

« Le dieu Amma, au moment de la résurrection, fit<br />

jeter sur le sol le «sang du cœur » de la victime,<br />

mis « en boule» qui devint ardent. Le « sang »<br />

constitua l’enclume : comme une masse enflammée,<br />

comme « une boule de feu ardente », celle-<br />

ci tomba, à l’envers, creusant dans le sol une gigantesque<br />

excavation. Le fonio impur fut atteint,<br />

mais rejaillit et s’éparpilla autour d’elle. L’enclume,<br />

instrument de purification, ne pouvait rester en ce<br />

lieu souillé ; elle rejaillit hors du trou et alla se repiquer<br />

à l’endroit à l’extérieur, au sud, où elle s’enfonça<br />

profondément dans le sol, la partie émergeant<br />

devant être utilisée par le forgeron lors de<br />

l’édification de la première forge... En même<br />

temps que le « sang du cœur-enclume », Amma<br />

projeta sur le sol le « sang de la rate », qui se<br />

transforma en masse métallique, sagala, que les<br />

forgerons devaient par la suite exploiter, avant<br />

d’extraire le fer des minerais terrestres...» (6)<br />

(6) Opus cité p. 10, 12 et 11.<br />

33


34<br />

Les météorites sont des corps d’origine extraterrestre<br />

(ce fait n’a été accepté que depuis l’étude<br />

de Biot en 1806). Elles se classent principalement<br />

en trois catégories : 6 % sont des bolides<br />

de fer, 92 % des pierres et 2 % seulement un<br />

mélange des deux. Leur taille varie considérablement<br />

et il va sans dire que leur nombre évolue en<br />

proportion inverse de leur volume. La plus grande<br />

dont la Terre ait gardé la trace (ne pas oublier<br />

que les océans couvrent 71 % de la surface du<br />

globe) se trouve en Bavière : le Ries a 30 km de<br />

diamètre et a chuté au Miocène, il y a 22 millions<br />

d’années. Le plus spectaculaire se trouve être le<br />

Meteor Crater en Arizona ; d’un diamètre de 1<br />

200 m, il a été formé par la chute d’une masse de<br />

fer de huit milliards de tonnes il y a 75.000 ans.<br />

Ce cratère a montré qu’une couronne de 8 km<br />

avait été éclaboussée de débris (le plus gros<br />

pesant 20 tonnes). De récentes prospections<br />

magnétiques ont révélé la présence de quatre<br />

blocs de fer enfouis à 570 m sous le fond du cratère,<br />

pesant plusieurs millions de tonnes. (7)<br />

Voilà qui ressemble assez à notre « enclume » et<br />

au « sang de la rate » éparpillé sur le sol, transformé<br />

en fer que les forgerons iront exploiter.<br />

Mais ce n’est pas aussi probant qu’on pourrait le<br />

croire à première vue. La forme des météorites<br />

est en général quelconque, mais il s’en trouve qui<br />

ont un centre de gravité convenablement placé<br />

de telle sorte qu’elles peuvent être maintenues<br />

dans une position d’attaque constante. Elles s’usent<br />

alors au frottement et à l’échauffement suivant<br />

une forme conique, pointe en avant. C’est<br />

ce qui leur permet de se ficher en terre pendant<br />

que leur base éclate. Or les Dogon précisent que<br />

« celle-ci tomba à l’envers », exactement comme<br />

nos capsules qui se présentent la base en avant,<br />

pour augmenter le freinage. Si, donc, le bolide de<br />

Bosumtwi avait une forme conique et qu’il descendit<br />

à l’envers du sens naturel, suivant un angle<br />

incident assez faible, il est possible qu’il ait pu<br />

ricocher après avoir creusé son cratère. Il peut<br />

également s’être retourné dans ce ricochet et<br />

s’être retrouvé « à l’endroit », se fichant dans le<br />

sol la pointe en bas. C’est ce que semble raconter<br />

le mythe. Malheureusement on n’a pas<br />

encore examiné la région du Bosumtwi dans cette<br />

hypothèse, ni recherché au sud un plateauenclume<br />

témoin de cet atterrissage peu orthodoxe<br />

sur le plan de la balistique naturelle. Mais la<br />

plaque de fer symbolique fichée au sommet de la<br />

colline sacrée de Koumassi, n’en est-elle pas la<br />

transposition mythique ? (Il va sans dire que la<br />

chose a pu se passer ainsi, beaucoup plus probablement,<br />

s’il s’est agi d’un bolide artificiel,<br />

qu’Amma aurait envoyé s’écraser sur Terre, comme<br />

nous avons envoyé nos <strong>LE</strong>M s’écraser sur la<br />

Lune en fin de mission.) Mais on peut aussi s’en<br />

tenir à une hypothèse moins difficile à imaginer,<br />

d’un éclat important ayant rejailli au moment de<br />

l’impact, vers le sud. C’est une hypothèse minimum.<br />

Les verres qu’on a trouvés dans le Bosumtwi, on<br />

l’a vu, s’apparentent aux tectites trouvées en<br />

Côte-d’Ivoire. Les tectites forment une catégorie<br />

d’objets célestes complètement différente des<br />

autres météorites. Ce sont des substances vitreuses<br />

(du grec « tectos » fondu) noires ou verdâtres<br />

constituant des masses en forme de boules,<br />

gouttes, baguettes ou disques (de quelques<br />

grammes à trois kilos). On les trouve dans des<br />

alluvions qui excluent toute origine volcanique<br />

terrestre et on n’a jamais observé de chutes de<br />

tectites. « Il est remarquable de constater que<br />

ces substances sont réparties dans diverses<br />

régions du globe (Bohême, Australie, Indochine,<br />

Schéma du ricochet : dans cette hypothèse, le talus A devrait être moins haut que le talus B. Ce qui est le<br />

cas, l’altitude étant de 150 m à l’ouest et de 550 m à l’est : soit trois fois plus ! La trajectoire d’arrivée serait<br />

dans ce cas ouest-est, ce qui est la meilleure trajectoire pour avoir la résistance minimale au frottement de<br />

l’air. Le ricochet peut fort bien avoir été combiné avec un dérapage, ce qui expliquerait le changement de<br />

direction vers le sud.


Insulinde) toutes situées, à l’exception de la Côted’Ivoire,<br />

au voisinage immédiat d’un même grand<br />

cercle de la Terre, ce qui permet de supposer<br />

avec A. Lacroix qu’elles proviendraient d’un même<br />

météore ayant fait le tour du globe à la manière<br />

d’un satellite» (8). Rappelons que nos capsules<br />

spatiales sont protégées par un bouclier en céramique<br />

à très haute résistance thermique, qui fond<br />

lors de l’entrée dans l’atmosphère et doit alors<br />

produire quelque chose comme des tectites. Si<br />

notre « enclume » s’est approchée d’ouest en est<br />

de son impact au Bosumtwi, elle a survolé la Côted’Ivoire<br />

juste avant de prendre contact, au moment<br />

donc où son bouclier pouvait produire des<br />

« tectites ».<br />

Les Dogon ajoutent encore que quand Amma « a<br />

envoyé l’enclume, le monde a grondé », confirmant<br />

ainsi une manifestation connue de tout bolide<br />

(dont les météorites) rentrant dans l’atmosphère<br />

à plusieurs dizaines de kilomètres par seconde<br />

(40 à 70 pour les météorites classiques). On pourrait<br />

donc conclure en se rassurant : les Dogon<br />

décrivent en fait, la chute d’une gigantesque météorite<br />

de fer, boule incandescente et grondante,<br />

suivie d’une queue de flammes. Après avoir creusé<br />

un cratère, elle a projeté une pluie de fer à l’entour<br />

et un important débris vers le sud. Un homme<br />

de génie ayant eu l’idée d’utiliser ce métal nouveau<br />

pour faire des outils, la mythologie de ce<br />

nouveau maître-artisan a organisé la cosmogonie<br />

de la société transformée. Explication positive,<br />

marquée d’un a priori idéologique dialectique suspect<br />

à force d’être honorable !<br />

On sait que le mot « sidéral » vient du latin<br />

« sidus, sideris » qui veut dire « constellation ».<br />

On sait aussi que, parmi les métallurgies, celle du<br />

fer se nomme « sidérurgie », mot venant du grec<br />

« sideros » qui veut dire « fer ». On voit ainsi se<br />

dessiner nettement, par l’origine des concepts du<br />

langage, l’origine de ce que ces concepts désignent<br />

: le fer était d’origine sidérale, avant d’être<br />

extrait du minerai terrestre. Cela me fait penser à<br />

Nergal, dieu babylonien, associé à la fois à la forge<br />

et à la planète Mars ; planète qui passait, par<br />

sa brillance rouge, pour un astre fait de fer rougi<br />

au feu solaire. Et on a déjà fait le rapprochement<br />

entre Nergal et le Caïn biblique (9). Caïn veut dire<br />

« forgeron » en hébreu, et n’est-ce pas parce qu’il<br />

manipulait une matière tombée du ciel, donc divine,<br />

qu’il fut maudit par les dieux ? On a appris par<br />

l’ethnologie, que les forgerons étaient toujours des<br />

êtres (sinon des tribus) dangereux et tenus à part<br />

dans la société primitive. De même sera toujours<br />

considéré comme maudit, le fer et les outils ou<br />

armes de fer. Avec quelles précautions sacrificielles<br />

les paysans introduisaient-ils, il n’y a pas si<br />

longtemps encore, le soc de fer de leur charrue<br />

dans le premier sillon du labour.<br />

C’est une affaire entendue, l’ « invention » du fer<br />

est liée au mystère céleste de la chute de météorites<br />

ferreuses ; mais c’est oublier d’expliquer l’essentiel<br />

dans notre cas précis : comment les Dogon<br />

sont-ils devenus des « cosmolithologues » aussi<br />

éminents ? La chute de grosses météorites est fort<br />

rare. Celle du Bosumtwi ayant eu lieu il y a un<br />

million et demi d’années, il faut que les Dogon<br />

aient raisonné par analogie, comme nous le faisons,<br />

mais avec tout notre arsenal scientifique en<br />

moins. Pour qu’une telle analogie ait pu devenir<br />

une intuition consciente assez forte pour dominer<br />

la cosmogonie de tout un ensemble de peuples<br />

répartis sur une aire géographique grande comme<br />

plusieurs fois la France et couverte de forêts impénétrables,<br />

il aurait fallu qu’un assez grand nombre<br />

d’hommes aient pu assister ensemble et plusieurs<br />

fois à un phénomène semblable à celui décrit. Or<br />

les météorites ferreuses sont rares (6 %) et les<br />

gigantesques, rarissimes. Il serait tout à fait extraordinaire<br />

que des chutes de petites météorites<br />

ferreuses aient donné l’idée d’aller exhumer le lac<br />

Bosumtwi de son écrin de forêt équatoriale pour le<br />

placer au milieu d’une description mythique particulièrement<br />

pertinente sur le plan astrophysique.<br />

Les Dogon ne disent-ils pas aussi que l’enclume<br />

était le sang du « cœur du Nommo » ? Or on pense<br />

que ces météorites ferreuses sont les témoins<br />

du noyau d’une planète détruite qui occupait la<br />

position de la ceinture d’astéroïdes (entre Mars et<br />

Jupiter)... le « cœur d’un sacrifié » en quelque<br />

sorte !<br />

Peut-on enfin attirer l’attention sur le fait que la<br />

première forge mythique aurait été de dimension<br />

« industrielle » : une enclume de plusieurs kilomètres<br />

de diamètre, tout un arsenal venu du ciel ; et<br />

qui fut allumée avec le feu du Soleil que contenait<br />

le bolide. Ce feu du Soleil est, pour nous, une allusion<br />

à cette fusion lente de l’hydrogène dont les<br />

physiciens cherchent encore de nos jours à maîtriser<br />

la réaction. Cette forge, enfin, employait le<br />

sagala. Certes, dans cette partie du mythe, il est<br />

assimilé au fer sidéral. Mais n’oublions pas que,<br />

par ailleurs, le sagala est la matière extrêmement<br />

dense qui constitue la naine-compagnon de Sirius.<br />

On peut alors se poser une double question en<br />

forme alternative :<br />

— ou bien toute cette histoire n’est que l’archéty-<br />

(7) Pour ce qui concerne les météorites : P. Guérin<br />

- Planètes et Satellites - (Larousse) p. 83<br />

et ss ; — A. de Cayeux - La science de la Terre<br />

- (Bordas) p. 131 et ss ; — A. Beiser - La<br />

Terre - (Life-Jeunesse) p. 20 et ss ; — J. Orcel<br />

- Astronomie - (La Pléiade) p. 1239 et ss.<br />

(8) J. Orcel - L’Astronomie - (La Péliade) p. 1251-<br />

1252.<br />

(9) Alfred Boissier - Les Eléments Babyloniens de<br />

la Légende de Caïn et Abel - Imprimerie Albert<br />

Kündig - Genève 1909.<br />

35


36<br />

pe transcendé de la modeste forge primitive<br />

des tribus africaines d’il y a quelques millénaires<br />

? (et que d’énigmes alors !)<br />

— ou bien un atterrissage en plusieurs temps<br />

d’une complexe mission spatiale sur Terre, at-il<br />

été mémorisé par une identification avec<br />

des accidents naturels connus et des comportements<br />

types ?<br />

On retiendra à l’appui de cette deuxième partie<br />

de l’alternative que les Dogon ont utilisé les accidents<br />

de terrain de leur territoire pour retrouver<br />

les éléments d’une géographie mythique qui était<br />

nécessaire à la mémoire et au fonctionnement<br />

rituel de leur cosmogonie, telle qu’elle était véhiculée<br />

par leur culture à travers leurs différentes<br />

pérégrinations. Ce qui infirme de façon éclatante<br />

les théories animistes grossières (ou subtiles) qui<br />

veulent nous expliquer que les cosmogonies primitives<br />

sont le résultat du culte des forces et reliefs<br />

naturels transcendés. Or il apparaît au<br />

contraire on ne peut plus clairement que les accidents<br />

et forces de la nature n’induisent pas le<br />

culte, mais servent au contraire de support symbolique<br />

à une histoire, au sens strict du terme. Et<br />

quand la nature n’offre pas le support nécessaire,<br />

eh bien, on le fabrique : témoin en est la construction<br />

des collines artificielles que sont les ziggurats<br />

ou les pyramides.<br />

Cependant le cas du lac Bosumtwi résiste aux<br />

deux interprétations, car on oublie un peu vite<br />

que ce cratère a été formé il y a un million et<br />

demi d’années, et qu’aucun phénomène de ce<br />

genre ne s’est produit en Afrique depuis l’époque<br />

de la découverte du fer, il y a peut-être trois à<br />

quatre mille ans seulement. C’est oublier que<br />

l’Afrique d’il y a un million et demi d’années était<br />

peuplée d’australopithécinés, et qu’on imagine<br />

mal comment leur souvenir de la chute du Bosumtwi<br />

aurait pu se transmettre jusqu’à nos<br />

jours ! C’est la seule solution humaniste, mais<br />

son extrémisme la rend insoutenable... à moins<br />

de remettre en cause d’autres postulats humanistes<br />

sur la culture et sa transmission.<br />

Les recherches actuelles de la mission Dieterlen<br />

mettent en lumière l’extraordinaire « mémoire »<br />

des traditions des peuples de cette région : Dogon<br />

bien sûr, mais aussi Bambara, Malinké et<br />

Sarakollé. Tous s’accordent à dire qu’ils sont<br />

issus d’une civilisation (néolithique) vraisemblablement<br />

située dans le Sahara à une époque pas<br />

si ancienne où il était verdoyant ; qu’ils descendirent<br />

il y a quelques 4000 ans environs dans le<br />

Sahel, délogeant les habitants qui y vivaient, les<br />

Tellem, dont les archéologues ont en effet retrouvé<br />

les vestiges ; et enfin qu’avant les Tellem, au<br />

temps de la civilisation saharienne, et bien avant<br />

encore, l’Afrique forestière qui devait recouvrir le<br />

Sahel lui-même et une partie du Sahara, était<br />

peuplée d’une façon très clairsemée par « les<br />

petits hommes rouges », sorte de pygmées qui<br />

disparurent devant l’invasion des hommes. Or ne<br />

voit-on pas sur des objets égyptiens de la période<br />

thinite (10) les envahisseurs nubiens dominer,<br />

culbuter ou tuer de petits hommes qui habitaient<br />

ces régions avant eux (à l’époque où le Sahara<br />

était verdoyant, la vallée et le delta du Nil devaient<br />

être aussi luxuriants et impénétrables que<br />

le cours de l’Amazone).<br />

Madame Dieterlen a trouvé des sanctuaires bambara<br />

où sont conservés les témoins et les mémoires<br />

d’une chronologie des différents âges de la<br />

civilisation humaine avec des outillages de bois,<br />

de pierre et de fer, suivant une séquence que<br />

nous n’avons reconnue que depuis cent ans à<br />

peine (11). Et elle incline à penser que la mémoire<br />

culturelle de l’Afrique remonterait si loin...<br />

qu’on ose à peine envisager les implications psychosociologiques<br />

d’une telle hypothèse ! Mais<br />

dans cette hypothèse même, pour aussi hardie et<br />

révolutionnaire qu’elle soit, on n’explique pas<br />

comment a pu se constituer l’histoire de cette<br />

cosmonautique, a fortiori issue du petit cerveau<br />

de nos ancêtres préhominiens ! On ne s’en sortira<br />

jamais que par des haussements d’épaules,<br />

tant qu’on n’osera pas regarder les choses en<br />

face et sans exclusion a priori sur la nature des<br />

hypothèses à formuler pour expliquer les mythes<br />

d’incursions extraterrestres... de navigations spatiales...<br />

et d’engins célestes...<br />

© <strong>Eric</strong> <strong>Guerrier</strong> et R. Laffont éd., 1975.<br />

« Essai sur la cosmogonie des Dogon »).<br />

(10) Palette prédynastique au British Museum<br />

(Egypte ancienne, Hachette, p. 142) - Palette<br />

prédynastique du Louvre (oc. p. 143) - Palette<br />

du Roi Narmer (Empire thinite, IV e millénaire<br />

av. J.-C.) au Musée du Caire (oc. p. 144) -<br />

Couteau en silex et ivoire dit « de Djebel el-<br />

Arak » du Louvre (env. 3 000 ans av. J.-C.)<br />

(oc. p. 145), par exemple faciles à trouver.<br />

(11) Boucher de Perthes est mort en 1868.<br />

OFFRE<br />

KADATH<br />

Deux ouvrages essentiels cotés 3K<br />

dans la collection<br />

« Les portes de l’étrange »<br />

● ERIC GUERRIER<br />

Essai sur la cosmogonie des Dogon<br />

(256 pages - 340 FB)<br />

● Présenté par FRANCIS MAZIERE<br />

Le Livre d’Enoch<br />

(196 pages - 245 FB)<br />

Par règlement de la somme indiquée, à l’ordre de<br />

Prim’édit (les frais d’envoi sont compris).


Post scriptum<br />

<strong>LE</strong> LIVRE D’ENOCH<br />

(Editions Robert Laffont, 1975)<br />

KADATH n° 3 :<br />

«Heureux qui comme Hénoch… »<br />

Voici l’un des plus insolites et remarquables messages<br />

de la Bible apocryphe, celui du célèbre Patriarche<br />

Enoch, septième après Adam, descendant de<br />

Seth et ancêtre de Noé. Peut-être est-il bon d’expliquer<br />

que les apocryphes (du grec, apokruphos : tenu<br />

secret) sont des textes inspirés, dont la teneur est<br />

réputée suspecte et qui sont rejetés par les docteurs<br />

de la religion qui confectionnèrent le dogme. La structure<br />

des écrits admis à figurer dans le Canon religieux<br />

fut souvent modifiée par les différents Conciles,<br />

notamment par le Concile de Laodicée qui fit défense<br />

de parler des Anges et des hiérarchies divines, d’où<br />

l’exclusion d’un certain nombre de documents. De ce<br />

fait, l’ensemble des apocryphes — où figure notre<br />

Livre d’Enoch — a été écarté du public et il n’est pas<br />

aisé d’y avoir accès, encore moins de pouvoir trouver,<br />

à l’heure actuelle, le recueil complet en librairie.<br />

Pour expliquer ce camouflage, dès le IIIe siècle, Origène,<br />

l’un des plus grands parmi les Pères de l’Eglise<br />

primitive, affirme dans une lettre adressée à Africanus,<br />

que les Docteurs juifs ont pour habitude de<br />

soustraire à la connaissance des fidèles, tout ce qui<br />

risque d’engendrer le doute, l’accusation ou la<br />

contestation à l’encontre du dogme, des prêtres, des<br />

princes et des juges, ce qui, ne les empêche pas, ditil,<br />

de conserver précieusement les ouvrages de ce<br />

genre parmi leurs livres apocryphes ou secrets. Tel<br />

est le sort de ces documents initiatiques, dont le seul<br />

défaut est de bouleverser quelque peu les croyances<br />

établies, d’où l’impitoyable mise à l’index selon l’influence<br />

des opinions et des caprices théologiques.<br />

Mais, en dépit de sa suppression du Canon des Ecritures,<br />

Enoch n’en est pas moins cité plusieurs fois<br />

dans le corpus biblique traditionnel, notamment par<br />

saint Jude dans son Epître (14), puis dans l’Ecclésiastique<br />

ou Siracide (44, 16 ; 49, 14), Luc (3,37),<br />

Hébreux (11, 5). Après le VIII e siècle, le Livre<br />

d’Enoch n’était plus connu que par un petit nombre<br />

de passages conservés dans les anciens auteurs<br />

ecclésiastiques et par deux fragments grecs assez<br />

étendus, insérés dans les œuvres de Cedrenus et de<br />

Georges le Syncelle. Le Livre d’Enoch ne nous fut<br />

révélé en entier que par une version éthiopienne dont<br />

on doit la découverte au célèbre voyageur anglais<br />

Bruce, qui réussit à trouver vers la fin du XVIII e siècle,<br />

trois splendides manuscrits abyssins qu’il ramena<br />

en Angleterre. Un savant anglais, le Dr. Laurence, fut<br />

le premier à faire connaître l’intégralité du Livre<br />

d’Enoch, traduit et publié en 1821, en y joignant une<br />

introduction et des notes. Par la suite, plusieurs éditions<br />

parurent en Angleterre, en Allemagne et en<br />

France, en particulier celle de l’abbé Migne qui reprit<br />

la traduction de Laurence dans sa monumentale Encyclopédie<br />

théologique composée de soixante volumes.<br />

Nous lui sommes redevables de la présente<br />

édition, conforme à celle de son « Dictionnaire des<br />

Apocryphes » (Tome 23), paru en 1856 à Paris.<br />

On s’interroge encore sur l’époque exacte de la rédaction<br />

du Livre d’Enoch. Au XIX e siècle, Laurence et<br />

Hoffmann la situait vers le tout début du règne<br />

d’Hérode le Grand, soit environ 40 ans avant J.-C. Un<br />

autre savant, Boettcher, était d’avis que le Livre<br />

d’Enoch, de même que les Oracles des Sibylles,<br />

n’avait pu être formé qu’au premier siècle avec différents<br />

fragments composés à des époques bien antérieures.<br />

Enfin, pour Ditlman, la date supposée pouvait<br />

être située facilement vers 150 avant l’ère chrétienne.<br />

A l’heure actuelle et de toute évidence, compte tenu<br />

des recherches effectuées sur les manuscrits de la<br />

mer Morte, on est certain que le Livre d’Enoch a été<br />

rédigé à l’origine en hébreu et plus précisément en<br />

hébreu archaïque dit « écriture phénicienne », voire<br />

en araméen. C’est bien à ce dialecte qu’il faut rapporter<br />

tous les noms des anges qui sont cités dans le<br />

Livre. Dans les rouleaux de la mer Morte découverts<br />

en 1947, 1949 et les années suivantes, on a trouvé<br />

plusieurs fragments d’apocryphes rédigés en phénicien<br />

et en araméen. Il semble possible de situer la<br />

rédaction vers l’époque du règne d’Alexandre le<br />

Grand, soit au III e siècle avant J.-C. Il est également<br />

prouvé que le texte était largement connu et commenté,<br />

bien avant le début de l’ère chrétienne, ne<br />

serait-ce que la citation de saint Jude, comme il a été<br />

dit plus haut. Par ailleurs, le « Sepher Ha-Zohar » (Le<br />

Livre de la Splendeur), monumental commentaire<br />

ésotérique du Pentateuque et base de la Kabbale<br />

hébraïque, fait mention à plusieurs reprises du Livre<br />

d’Enoch, comme d’un livre conservé de génération<br />

en génération. On a également avancé l’hypothèse<br />

que le rédacteur pouvait appartenir à la secte des<br />

Esséniens, contemporains du règne d’Alexandre le<br />

Grand. On retrouve effectivement chez les Esséniens<br />

la croyance aux mondes angéliques et les adeptes<br />

devaient obligatoirement connaître le nom des anges<br />

et conserver précieusement les écrits qui en gardaient<br />

le souvenir, tout en menant une vie austère et<br />

contemplative.<br />

Fabricius, dans son « Codex pseudographus Veteris<br />

Testaments » cite plus de vingt auteurs qui font allusion<br />

au Livre d’Enoch. Il expose également les différentes<br />

opinions des Pères de l’Eglise sur ce livre<br />

fameux entre les apocryphes, d’où il ressort qu’il était<br />

connu bien longtemps avant l’avènement de Jésus-<br />

Christ. On reconnaît que divers auteurs juifs postérieurs<br />

à l’ère chrétienne lui ont fait de larges emprunts.<br />

Le Livre d’Enoch est souvent mentionné dans<br />

les Testaments des Patriarches, autres apocryphes,<br />

ce qui confirme encore l’ancienneté du texte. Enfin,<br />

dès le IVe siècle, l’Eglise cesse de s’en occuper. On<br />

en trouve des traces plus prolongées dans l’Eglise<br />

grecque et, bien sûr, dans le Canon abyssin où il<br />

trouve place immédiatement après le Livre de Job.<br />

Indépendamment des considérations d’antiquité, le<br />

Livre d’Enoch est un texte infiniment respectable,<br />

dont le moins qu’on puisse dire, est qu’il nous entraîne<br />

bien au delà des banales croyances, offrant une<br />

vue vertigineuse sur les univers, sur les personnalités<br />

de l’Esprit Infini, enfin sur l’histoire de notre planète et<br />

de ses habitants. De cette lecture se dégage une<br />

impression curieusement troublante, à laquelle on a<br />

peine à se soustraire.<br />

Francis Mazière.<br />

Cote : 3K<br />

(= excellent, digne de servir de référence).<br />

37


38<br />

L’ARCHEOLOGIE DEVANT L’IMPOSTURE<br />

(Editions Robert Laffont, 1975)<br />

Jean-Pierre ADAM<br />

KADATH n° 7 : Spécial Glozel.<br />

Concluant leur mise à jour de ce qui se passe actuellement<br />

à Glozel (KADATH n° 13, mai 1975), nos rédacteurs<br />

émettaient le vœu « que la nouvelle affaire de<br />

Glozel ne quitte pas les limites d’une recherche scientifique<br />

constructive ». Ce souhait est en passe de se<br />

réaliser, grâce aux chercheurs qui se sont retrouvés<br />

tout récemment au congrès d’Oxford. Jean-Pierre<br />

Adam, lui, qui n’est pas au courant, s’est fait un devoir<br />

d’orchestrer une nouvelle cabale antiglozélienne, aussi<br />

rétrograde que ridicule. Et lorsqu’on apprend que cet<br />

homme se prévaut du CNRS, on est en droit de se<br />

demander qui a intérêt à détourner ainsi la recherche<br />

française de ses véritables objectifs. Car de deux choses<br />

l’une : ou bien l’auteur n’est vraiment au courant<br />

de rien, et il ferait mieux de ne pas étaler davantage<br />

son ignorance ; ou bien certains secteurs de la recherche<br />

tentent, par ce biais, d’en discréditer d’autres. Il fut<br />

un temps où, négligeant les travaux des Monod, Jacob<br />

et autres futurs Prix Nobel, l’Union Rationaliste lançait<br />

des pamphlets contre la revue Planète. Il fallut que<br />

celle-ci publiât une bibliographie complète et mise à<br />

jour, à l’usage de ces « messieurs en noir », éteignoirs<br />

de la recherche française. Les temps n’ont guère<br />

changé, et voilà qu’il nous faut prendre la relève en<br />

archéologie. Il est quand même ahurissant de constater<br />

que nous devons recycler quelqu’un qui enseigne à<br />

l’Institut d’Art et d’Archéologie de Paris ! Mais tant pis,<br />

mouchons donc.<br />

Pour M. Adam, l’affaire de Glozel débute en 1963 avec<br />

« Histoire inconnue des hommes » et se termine en<br />

1929 avec le rapport Bayle. Singulier compte à rebours<br />

! Si l’auteur avait lu autre chose, il saurait que, à<br />

part Charroux, personne n’avait parlé d’Atlantes à<br />

Glozel. Il saurait aussi que le rapport Bayle, complètement<br />

truqué, a été réfuté point par point par le Dr.<br />

Morlet dans son « Petit historique de l’affaire de Glozel<br />

». A l’époque de notre numéro spécial, nous n’avions<br />

donc, par manque de place et d’intérêt, accordé<br />

aucune attention à cette pantalonnade. Mais si M.<br />

Adam y tient tellement — au point d’en reproduire 18<br />

pages ! —, voici quelques réponses essentielles qu’il<br />

s’est bien gardé de donner. M. Bayle démontre (!) que<br />

trois (!) tablettes sont fausses et de fabrication récente<br />

:<br />

— un fragment trempé dans l’eau s’y délite. Déjà à<br />

l’époque on savait pourtant que des tablettes assyriennes<br />

avaient subi le même sort ; mais on ne met<br />

pas en doute l’authenticité de tablettes assyriennes.<br />

— Bayle prétend avoir retrouvé des inclusions de chlorophylle,<br />

et compare leur dosage à celui qu’on trouve<br />

dans les herbiers du Museum, ceci pour situer la<br />

date de fabrication de la tablette. Or, ces herbiers<br />

sont, eux, à l’air libre et donc se dessèchent ; et<br />

déjà à l’époque, on n’ignorait pas que la chlorophylle,<br />

soustraite à l’action de l’air, peut se conserver<br />

durant des millénaires.<br />

— Bayle prétend aussi avoir retrouvé des fibres colorées,<br />

non pas naturellement mais à l’aide d’aniline.<br />

J.P. Adam ignore que, par la suite, M. Bayle luimême,<br />

lors d’une entrevue avec M. Bruet, viceprésident<br />

de la Société géologique de France, déclara<br />

avoir renoncé à faire état des filaments qui, de<br />

son propre aveu, pouvaient avoir été véhiculés par<br />

l’atmosphère. D’ailleurs le même M. Bruet ne trouva<br />

aucun débris contemporain dans les tablettes que<br />

lui-même examina, et il démontra que lesdites tablettes,<br />

de cuisson moyenne, avaient bien été cuites<br />

mais s’étaient ramollies suite à un long séjour<br />

dans le sol.<br />

Publier un rapport truqué, sans faire allusion à une<br />

quelconque réfutation, c’est de l’imposture si c’est<br />

délibéré, de l’ignorance ou de la légèreté si c’est involontaire.<br />

Et puisqu’il faut mettre les points sur les « i »<br />

ajoutons que le fameux M. Bayle est mort assassiné :<br />

ayant été chargé d’expertiser un contrat de vente prétendument<br />

falsifié, il l’avait tellement bien analysé que<br />

de la partie litigieuse il ne restait, après son analyse,<br />

plus aucune trace ! Toute contre-expertise était devenue<br />

impossible. L’accusé fut condamné, non pour<br />

falsification du contrat, mais pour meurtre sur la personne<br />

de M. Bayle.<br />

Questionné à ce sujet, à peine deux mois après parution<br />

de son livre, J.P. Adam reconnaît que, au moment<br />

de rédiger son manuscrit, il ignorait qu’on tenterait de<br />

dater Glozel par thermoluminescence. Si je vérifie<br />

dans l’ouvrage que j’ai sous la main, je constate qu’il<br />

fut « achevé d’imprimer le 8 octobre 1975 ». Je veux<br />

bien admettre un délai d’impression, mais veut-on me<br />

faire croire qu’il a été, en l’occurrence, de 18 mois ?<br />

Car déjà en mars 1974, et renvoyant à un éditorial<br />

précédent, la revue Antiquity donnait les premières<br />

datations pour quatre tablettes glozéliennes. Si M.<br />

Adam lisait les revues archéologiques, il aurait su.<br />

Mais apparemment, s’il ne lit pas Antiquity, il ne lit pas<br />

plus Sciences et Avenir : en mai de la même année,<br />

les renseignements y étaient repris par Henri de Saint-<br />

Blanquat. Qu’est-ce à dire ? Que si J.P. Adam était au<br />

courant des derniers travaux sur Glozel, il aurait tout<br />

simplement, par honnêteté intellectuelle, dû retirer ce<br />

chapitre de son manuscrit ! Mais amputer le livre du<br />

cinquième de son contenu, cela eût drôlement réduit la<br />

rentabilité de l’entreprise. Et si tout cela est malgré tout<br />

de bonne foi, c’est-à-dire s’il ne connaît pas Antiquity,<br />

je lui signalerai qu’on peut s’y abonner pour quatre<br />

livres sterling, à adresser à Antiquity Publications,<br />

Kings Hedges road, Cambridge CB42PQ. Et finalement,<br />

s’il ne lit pas l’anglais, je lui conseillerai, en désespoir<br />

de cause, d’essayer d’assister à l’une ou l’autre<br />

conférence de M. Henri Delporte, conservateuradjoint<br />

au Musée des Antiquités Nationales de Saint-<br />

Germain-en-Laye. Celle qu’il donna à Bruxelles le 23<br />

mai dernier, dans le cadre de l’exposition « Hommes<br />

de la Préhistoire », était suivie d’un débat. A son corps<br />

défendant, car ce n’était pas l’objet de son exposé,<br />

Henri Delporte se vit obligé de soutenir un feu croisé<br />

de questions concernant Glozel, auxquelles il répondit<br />

en substance qu’il ne s’agit pas d’être pour ou contre,<br />

que la science c’est autre chose, et que d’autres analyses<br />

devraient être faites, non pour prouver que Glozel<br />

est vrai ou faux, mais pour en préciser la nature. Jean-<br />

Pierre Adam y aurait appris beaucoup de choses. (1)<br />

L’affaire est entendue. Si Glozel poursuit sur sa lancée,<br />

gageons que M. Adam suivra une courbe inverse.<br />

Mais la conclusion, nous la laisserons à Henri François,<br />

chef du service de dosimétrie physique au Centre<br />

d’Etudes Nucléaires de Fontenay-aux-Roses, qui travaille<br />

précisément à la datation de Glozel. Dans une<br />

lettre datée du 7 avril dernier — qu’Emile Fradin aurait<br />

volontiers soumise à Jean-Pierre Adam s’il s’était fait la<br />

peine de se déplacer jusqu’en Auvergne… —, voici ce<br />

qu’il écrit audit Fradin : « De retour du congrès d’Oxford,<br />

je m’empresse de vous écrire car cette fois toute


la polémique a cessé ! Les explications, les preuves<br />

physiques, les résultats des vérifications que nous<br />

avons présentés ont eu raison des plus entêtés et j’ai<br />

compris que tout allait mieux lorsque nos collègues<br />

britanniques sont intervenus pour discuter sérieusement<br />

l’origine de l’écriture de Glozel sans provoquer en fin de<br />

congrès le moindre remous dans la salle. L’ambiance<br />

était bien différente de ce qu’elle fut l’an dernier. Je<br />

veux vous féliciter et vous dire ma joie. Seuls quelques<br />

attardés mal informés pourront encore prétendre que<br />

vous êtes un faussaire. Les recoupements des mesures<br />

faites indépendamment dans chaque laboratoire sont<br />

parfaits et indiscutables. Toutes les précautions ont été<br />

prises. ».<br />

Parmi ces « quelques attardés mal informés», Jean-<br />

Pierre Adam figure en bonne position. Pauvre Tartuffe,<br />

le voilà revenu à Gozel !<br />

Le Ministère de la Culture abusé par Emile Fradin (ici<br />

devant sa ferme-musée), malgré les mises en garde de<br />

M. Adam ? Vous savez bien, cet « archéologue » français<br />

qui s’attaque à Glozel sans jamais y avoir mis les<br />

pieds...<br />

Enfin, le 4 février dernier, le même Henri François nous<br />

écrivait une longue lettre, dont j’extrais ces quelques<br />

passages : « Dans l’état actuel de la question, on peut<br />

conclure de la façon suivante :<br />

1. Les céramiques et poteries de Glozel ne sont pas<br />

des faux.<br />

2. Elles datent de — 2500 à — 2000 ans à partir de nos<br />

jours.<br />

(1) Remarquons que, pas plus pour Stonehenge que<br />

pour Glozel, Jean-Pierre Adam ne semble se préoccuper<br />

de suivre l’actualité de près. Ainsi, sa seule<br />

référence concernant les travaux de Hawkins à Stonehenge,<br />

renvoie à un article paru dans la « Revue<br />

archéologique » début 1965, alors que la polémique<br />

n’a été (provisoirement) close dans Nature qu’en<br />

1967. Ignorant délibérément les résultats de la dendrochronologie,<br />

il en attribue encore la construction<br />

aux Mycéniens. Mais ce qui est plus grave, pour<br />

minimiser le problème du transport des pierres depuis<br />

leur carrière, il en donne la distance... à vol<br />

d’oiseau ! Alors que par voie de mer, il faudrait trois<br />

fois plus, et en trajet combiné terre-mer, le double.<br />

3. Les inscriptions sont réellement contemporaines des<br />

tablettes et des objets en céramique qui les portent,<br />

et n’ont pas été gravées après que les tablettes aient<br />

été cuites.<br />

4. On attend la confirmation des résultats déjà obtenus<br />

sur des ossements. Les travaux sont en cours.<br />

5. Les résultats obtenus par Madame le Docteur Lemercier<br />

du Centre d’Etudes Nucléaires de Grenoble,<br />

qui a tracé des courbes isomagnétiques sur le<br />

Champ des Morts et sur des terrains voisins, font<br />

apparaître des « anomalies ». Ceci implique l’ouverture<br />

de nouvelles fouilles ou sondages aux emplacements<br />

détectés magnétométriquement.<br />

6. Les signes de Glozel sont actuellement étudiés en<br />

Angleterre par le Professeur Isserlin.<br />

7. Le laboratoire américain dirigé par le Professeur<br />

Zimmerman a montré que les objets de Glozel n’avaient<br />

pas pu recevoir d’irradiation parasite, éventuellement<br />

faite par un faussaire bien équipé ou très<br />

compétent, en vue de tromper les dosimétristes nucléaires.<br />

Il convient donc d’être patient. La vérité à l’habitude<br />

d’attendre... et il semble qu’en archéologie elle doive<br />

attendre encore plus longtemps. Glozel n’est donc pas<br />

un faux. De nombreux problèmes restent cependant<br />

posés, mais on peut être certain qu’on leur trouvera un<br />

jour une solution. Le mérite de la méthode nucléaire a<br />

été de permettre la réouverture du dossier sur des bases<br />

saines. Nous sommes persuadés que les accusations<br />

passionnées, les hypothèses pseudo-scientifiques,<br />

les expertises scientifiquement dépassées et avancées<br />

lors de la « guerre des briques » feront un peu sourire.<br />

La patience et la sérénité conduisent inéluctablement à<br />

la vérité. Et encore : J’ai lu avec intérêt le livre de Monsieur<br />

Adam, intitulé « L’archéologie devant l’imposture »<br />

et étant, comme vous l’avez été, indigné par les passages<br />

consacrés à Glozel, je lui ai écrit. Monsieur Adam<br />

m’a répondu ; sa bonne foi est entière mais il manquait<br />

d’informations car sa bibliographie a été arrêtée en<br />

1973. Monsieur Adam va venir visiter nos services, mais<br />

le mal est fait : il a envoyé de l’eau au moulin antiglozélien,<br />

ce qui n’était pas nécessaire. L’article lamentable<br />

d’Historia avait fait assez de dégâts, car la mise au point<br />

est passée inaperçue. Monsieur Adam, qui possède des<br />

titres importants, qui bénéficie de la télévision et, en<br />

outre, d’un article sur quatre colonnes dans le Figaro du<br />

31 janvier dernier, aura fait sans le vouloir, beaucoup de<br />

tort. Les expériences de Bayle sur la « solubilité » des<br />

briques feraient rire, si leurs conclusions n’avaient pas<br />

de conséquences dramatiques et anti-scientifiques. Il<br />

est probable que les lecteurs de Monsieur Adam s’émerveillent,<br />

et disent qu’ « il est bon de savoir tant de<br />

choses ». (Fin de citation).<br />

Nous ne pouvions dès lors que sourire, lorsque J.P.<br />

Adam nous confia : « Quand vous saurez la réalité sur<br />

Glozel, vous rirez aux éclats. Je la connais déjà, mais je<br />

n’ai pas le droit de la publier ».<br />

Voilà un air connu chez les archéomanes, qui se disent<br />

grands initiés. Que M. Adam s’attaque à Robert Charroux,<br />

grand bien leur en fasse à tous les deux, mais ne<br />

substituons pas une fausse-monnaie à une autre ! Ou<br />

alors, qu’il lui écrive une lettre ouverte quelconque.<br />

Parce que tout le livre est à l’avenant, et que l’auteur n’a<br />

mis les pieds pratiquement sur aucun site dont il parle,<br />

cet ouvrage d’humeur ne mérite qu’une cote d’humeur.<br />

Ivan Verheyden.<br />

Cote — K<br />

(= brouille les pistes et sème la confusion).<br />

39


40<br />

STONEHENGE<br />

(Ed. Robert Laffont, 1974)<br />

Fernand NIEL<br />

KADATH n° 4 : Spécial Stonehenge.<br />

Je croyais lire un ouvrage d’un autre temps. Paru en<br />

1960, il eût été d’actualité ; aujourd’hui, il ne l’est plus.<br />

On pense à Inigo Jones qui se serait égaré au XX e siècle.<br />

Tout compte fait, voilà la version française du livre<br />

de Mr. Atkinson. Et encore ! Atkinson, poussé par les<br />

nouvelles datations, a été contraint d’amender sa chronologie<br />

; Fernand Niel, lui, s’en tient à la première version.<br />

A le lire, le monde s’est arrêté, à Stonehenge, en<br />

1956. Et Gerald Hawkins, dont les travaux ont suscité<br />

quatre ans de polémiques entre Nature et Antiquity, est<br />

relégué en appendice d’à peine cinq pages. D’ailleurs,<br />

rien que le cycle métonique, auquel Diodore de Sicile fait<br />

pourtant allusion, Niel n’a pas l’air d’en avoir entendu<br />

parler. Et pourtant l’auteur semble avoir l’intuition de<br />

l’aspect fantastique du monument. Mais cela ne l’émeut<br />

guère et ne l’incite pas plus à se poser trop de questions.<br />

En fin de compte, cette intuition relève-t-elle d’autre<br />

chose que d’une certaine poésie un peu surannée ?<br />

En filigrane, on décèle néanmoins la plupart des mystères<br />

de Stonehenge, mais aussi l’indigence des explications<br />

fournies. Voici d’ailleurs quelques-uns de ces défis<br />

et ce que Niel est bien obligé de constater à leur sujet.<br />

Les bords de l’Avenue, sans être toujours visibles depuis<br />

leur point de départ, sont parallèles et rectilignes sur 665<br />

mètres, ce qui prouve que les topographes connaissaient<br />

leur métier ; le système des joints en V pour les-<br />

linteaux relève du travail de charpente et non de la pierre<br />

; aucune table de dolmen connu ne se trouve à plus<br />

de quatre mètres de haut, sauf à Stonehenge, où les<br />

linteaux des trilithes sont tous plus haut que cela et atteignent<br />

même les 6 m 50 ; quel que soit le nombre des<br />

linteaux, ils devaient, une fois mis bout à bout, dessiner<br />

une courbe régulière, ce qui est le cas, et encore bien<br />

avec une longueur identique pour tous les linteaux : or,<br />

se fixer à l’avance la longueur d’une circonférence implique,<br />

qu’on le veuille ou non, la connaissance d’une valeur<br />

de π. (Et combien de paysans, de nos jours, sauraient<br />

diviser une circonférence en trente parties égales<br />

?). Signalons aussi que Pythagore est souvent présent<br />

dans le livre de Fernand Niel, mais j’y vois plutôt<br />

une concession à l’harmonie grecque : Mycènes, n’estce<br />

pas, et son cortège de mirages de l’Orient !<br />

Devant cette avalanche d’impossibilités, un traditionaliste<br />

comme Fernand Niel ne peut qu’appliquer la politique de<br />

l’autruche. Concernant le tracé du site : « On devrait<br />

admettre qu’étant donné une droite, un diamètre quelconque<br />

par exemple, on savait élever une perpendiculaire<br />

à cette droite en son milieu. Il s’agit de notions de<br />

géométrie élémentaire, mais cela supposerait qu’un<br />

« saut » vers la science pure et l’abstraction avait été fait<br />

à cette époque et en ce lieu. Cela nous paraît peu vraisemblable<br />

de la part des hommes du néolithique secondaire<br />

» (p. 204). Concernant l’astronomie mégalithique<br />

: « Cependant, nous n’osons guère songer (c’est<br />

moi qui souligne) qu’il en fut ainsi, car Stonehenge eût<br />

été alors le plus précis des observatoires solaires du<br />

monde ancien. Nous ne connaissons rien d’équivalent<br />

» (p. 258). Il faut lire ce qu’il envisage rien que pour<br />

la construction d’un « henge monument » en terre : c’est<br />

à peine si le terrassement n’est pas déjà au-dessus des<br />

forces de ces peuplades armées de bois de cerfs et<br />

d’omoplates. Quant au monument en pierre... Surtout<br />

que la solution par les remblais de terre ne tient pas, il le<br />

reconnaît : « Tous les trous n’ont pas une telle rampe ;<br />

c’est le cas pour les montants du trilithe 57-58... Pour le<br />

dressement de ces monolithes, il nous est impossible<br />

d’imaginer quoi que ce soit. Les difficultés à vaincre<br />

durent être si grandes, que nous considérons l’opération<br />

comme un véritable tour de force » (p. 236). Et il ne reste<br />

à Fernand Niel qu’une solution extrême : « Bien entendu,<br />

dit-il, ce peuple (des gobelets) aurait simplement<br />

fourni la main-d’œuvre, la confection du monument venant<br />

d’ailleurs » (p. 98). On s’en serait douté, et c’est<br />

très bien ainsi. Mais si c’est pour appeler Mycènes à la<br />

rescousse, non ! Comme deus ex machina, c’est aussi<br />

réussi que les extraterrestres... Si c’est çà la science<br />

officielle !...<br />

D’un conformisme désespérant donc en ce qui concerne<br />

les interprétations, ce livre est néanmoins remarquable<br />

de par la somme de renseignements fournis. En particulier,<br />

les 70 pages sur l’historique de Stonehenge, que<br />

nous avions dû réduire à trois, et qui se lisent comme un<br />

roman. Bref, un livre honnête, bien fait, gentil, et qui peut<br />

être mis entre toutes les mains. Nos maîtres d’école ne<br />

risquent pas de se voir poser des questions embarrassantes<br />

par des lycéens piqués au vif. Une source de<br />

contrariété aussi : la précision de mesures qui ne le sont<br />

pas en réalité. Je m’explique : en convertissant les pieds<br />

et les pouces anglais en mètres et centimètres, puis en<br />

faisant des moyennes à trois décimales, Fernand Niel<br />

arrive à des « 3,096 mètres pour la longueur d’un montant<br />

plus l’intervalle ». C’est du travail en chambre :<br />

tâchez de faire sur place des mesures à un centimètre<br />

près, et je vous promets bien du plaisir ! Rien que<br />

la rugosité des arêtes rend cela aléatoire. Et en tout<br />

état de cause, il est mathématiquement erroné d’aboutir<br />

à des précisions de l’ordre du millimètre, à<br />

partir de chiffres qui ne le sont qu’à un centimètre<br />

près. Etant donné que la bibliographie brille par son<br />

absence — hormis la brève allusion aux dépliants<br />

vendus un shilling aux touristes... — nous ne pourrons<br />

plus guère parler d’un ouvrage de référence au<br />

sens strict sauf, comme je l’ai dit, pour les descriptions<br />

techniques qui en font l’objet. S’il faut lire un<br />

autre ouvrage, prenez « Stonehenge decoded » de<br />

Gerald Hawkins (Fontana Books, n° 2315). Mais si<br />

vous voulez une analyse contradictoire des interprétations,<br />

de toutes les interprétations, achevez votre<br />

tour d’horizon en relisant le numéro 4 de KADATH,<br />

Spécial Stonehenge : il n’a pas vieilli.<br />

Ivan Verheyden<br />

Cote : 2K<br />

(= bon, à condition d’en lire d’autres).<br />

P.S. S’il vous arrive, à juste titre, de vous plaindre<br />

que les vandales sont dans nos murs, apprenez qu’à<br />

la fin de la Première Guerre, un aérodrome fut aménagé<br />

près d’Amesbury, et que les autorités militaires<br />

demandèrent la destruction du cromlech, sous prétexte<br />

qu’il constituait un danger pour les avions volant<br />

à basse altitude... Stonehenge l’a échappé belle !<br />

Source des illustrations : China Institute in America - Joan M. Hartman, p. 2 — Jean-Philippe Lauer,<br />

p. 7 — d’après Jean-Pierre Adam, p. 9 — Sprague de Camp, d’après Diels, p. 13 — American Philosophical<br />

Society - de Solla Price, p. 15-16 — Vadime Elisseeff, p. 18 — William Mac Quitty, p. 21 — National Geographic<br />

Society - Davis Meltzer, p. 22 — China Pictorial, p. 23-24 — © Albert Szafarz, p. 26 — National Museum of<br />

Korea, p. 28 — Le Million - Pierre-A. Pittet, p. 30 — Atlas - C. Lefèvre. p. 31 — © <strong>Eric</strong> <strong>Guerrier</strong>, p. 34 et d’après<br />

Griaule-Deterlen, p. 33 — Elie Rousseau, p. 39.

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