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Le temps du changement

A5 report - Anti-Slavery International

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<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>:Agissons sans délai pour mettre fin à la mendicité forcée desenfants talibés au Sénégal


RemerciementsCe texte n’aurait pu être rédigé sans les commentaires, les réflexions et le concours de laPlateforme d’ONG pour la Protection et la Promotion des Droits Humains (PPPDH). Nous nesaurions trop insister sur le rôle important joué par ses membres, grâce à leur connaissanceapprofondie de la problématique et à leur volonté de mettre fin à l’exploitation des talibés. <strong>Le</strong>soutien apporté par le CAINT (Cadre d’Appui à l’Initiative Nationale en faveur des Talibés) doitêtre reconnu en particulier. Au moment de la rédaction, le CAINT est la structure qui assure lesecrétariat de la Plateforme. Il joue un rôle important d’intermédiaire entre les membres de laPlateforme et les divers partenaires, notamment dans le cadre de cette publication.Nous sommes très reconnaissants à Emilie Régnier qui nous a autorisés à utiliser les photos detalibés forcés à mendier prises à Dakar en 2009 (photo en couverture, photos des pages 4 à 13et page 15). Nous aimerions également remercier Aliou Mbaye qui a photographié des daarasmodernes dans la région de Dakar pour nous aider à comprendre ce que pourrait apporter unprogramme gouvernemental de modernisation des daaras (photos pages 14 et 16). Nosremerciements vont surtout à l’équipe et aux enfants <strong>du</strong> Daara de Serigne Gaye qui ont accueillile CAINT et le photographe dans leur école et ont accepté de partager leur expérience.Merci aussi à l’équipe de Tostan, dont le travail de collecte de données au Sénégal a alimentéle rapport Begging for Change (Quémander le <strong>changement</strong>) en 2009. Ce rapport contient denombreuses informations largement utilisées dans le présent ouvrage. Parmi les membres <strong>du</strong>personnel et les bénévoles concernés, citons Khady Diarra, Arona Bathily, Birahim Diakhaté,Malick Diagne et Amy Farris. Rendons aussi hommage au rôle essentiel joué par Emily Delap,auteur de Begging for Change, qui a conçu et analysé les travaux effectués. Nous tenonssurtout à remercier les nombreuses personnes au Sénégal, enfants et a<strong>du</strong>ltes, qui, au coursdes recherches, nous ont accordé leur <strong>temps</strong> précieux pour nous parler de la mendicité desenfants.Nous remercions le Ministère Britannique <strong>du</strong> DéveloppementInternational, par l’intermédiaire de son ‘Civil Society Challenge Fund,’qui a généreusement soutenu par son financement le projet dont faitpartie la présente publication.Anti-Slavery International 2011ISBN: 978-0-900918-78-0


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Table des matièresIntro<strong>du</strong>ction...................................................................................... 21. La mendicité forcée des enfants est l’une des pires formesde travail des enfants.................................................................... 32. Mendicité forcée des talibés: les causes........................................ 5Pauvreté...................................................................................... 5Religion....................................................................................... 6Enseignement public................................................................... 63. Cadre juridique international et africain ........................................ 8Cadre international...................................................................... 8Esclavage, servitude et pratiques assimilables à l’esclavage........................ 8Travail forcé ................................................................................................ 8Travail et exploitation des enfants ............................................................... 9Traite des enfants......................................................................... 10Cadre africain.............................................................................. 104. L’Action <strong>du</strong> gouvernement............................................................. 11Cadre juridique............................................................................ 11La Loi no. 2005-6 relative à la lutte contre la traite des personnes etpratiques assimilées et à la protection des victimes..................................... 11<strong>Le</strong> Code pénal.............................................................................................. 11Application de la loi..................................................................... 12Politique gouvernementale.......................................................... 125. Conclusions et recommandations ................................................. 15Annexe: Informations générales sur le Sénégal / Tableau de ratification... 181


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Intro<strong>du</strong>ction<strong>Le</strong>s enfants talibés se rencontrent souventdans les centres urbains <strong>du</strong> Sénégal,certains sont âgés de cinq ans seulement.Pieds nus, vêtus de haillons, ils mendientaux alentours des sites touristiques, dessites religieux et dans les nombreuxembouteillages des villes où ils se faufilententre les voitures.Contrairement à d’autres enfants des rues,les talibés sont presque exclusivement desgarçons. Ils reçoivent un enseignementdans des écoles coraniques (daaras) sousl’autorité de maîtres coraniques oumarabouts. La plupart des maîtrescoraniques ne font pas payer les cours, lanourriture ou le logis à leurs élèves. Encontrepartie, pour financer leur couvert etleur logis, ils forcent les enfants à mendierdans la rue, en moyenne cinq heures parjour, en plus des heures passées àmémoriser le Coran.Il n’existe pas de statistiques fiablesconcernant le nombre de talibés auSénégal, mais ils sont sans aucun doutedes dizaines de milliers. Selon l’UNICEF, il yaurait 100.000 enfants vivant et travaillantdans les rues au Sénégal, dont la majoritéserait des talibés. 1 <strong>Le</strong>s statistiques les plusrécentes proviennent de Human RightsWatch, qui fait état d’au moins 50.000talibés soumis à des conditions analoguesà l’esclavage dans des daaras au Sénégal. 2n’étaient pas originaires de Dakar. Plus dela moitié venait d’autres régions <strong>du</strong> pays, etle reste des pays suivants: la Guinée-Bissau, la Guinée, le Mali et la Gambie. 3La pauvreté, ses causes et sesconséquences fournissent une partie del’explication de cette situation. <strong>Le</strong>s travauxmenés montrent également l’importanceattachée par les parents à unenseignement <strong>du</strong> Coran; or celui-ci estactuellement dispensé en grande partiedans un cadre d’enseignement informel, cequi signifie qu’il n’est pas financé, géré ouréglementé par l’Etat en ce qui concerne leprogramme scolaire ou les conditionsd’enseignement. De plus, l’enseignementpublic reste inaccessible à beaucoupd’enfants. Dans bien des cas, il semble queles valeurs coraniques de charité etd’humilité, ainsi que l’absence présuméed’autres sources de financement, sontinterprétées par certains enseignantscomme une autorisation de contraindre lesenfants, souvent par la violence, à mendierdans les rues.La mendicité forcée des enfants constitueune grave violation de leurs droits. Du faitde l’ampleur flagrante <strong>du</strong> phénomène auSénégal, le problème des talibés devraitfaire l’objet une fois pour toute d’unepriorité absolue pour le gouvernement.Une étude entreprise en 2007conjointement par plusieurs organisationscomptait 7.600 enfants mendiants à Dakar,dont 90 pour cent étaient talibés. De plus,elle relevait que 95 pour cent des enfants21Voir par exemple, Au Sénégal, l’UNICEF et ses partenaires travaillent pour mettre fin à la pratique des enfants mendiants,UNICEF, http://www.unicef.org/protection/senegal_34961.html.2Human Rights Watch, Sur le Dos des Enfants: Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l’encontre des talibés auSénégal, USA, 2010, page 2.3Organisation internationale <strong>du</strong> Travail, UNICEF, Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar,Comprendre le travail des enfants, 2007.


1.La mendicité forcée des enfants est l’une des pires formesde travail des enfants« <strong>Le</strong> maître coranique nous battra si nous ne mendions pas » 4L’histoire d’un talibéSeydou* a quinze ans. Il vit dans le daara depuis sept ans. Récemment l’un de ses frèrescadets est venu aussi vivre au daara. Seydou se réveille habituellement à six heures <strong>du</strong> matinet passe une heure à apprendre le Coran. Ensuite, armé d’une boîte de conserves vide, il va demaison en maison, demandant à manger pour son petit déjeuner. Il rentre au daara à neufheures. C’est le début des cours. A treize heures, il se rend dans les maisons voisines, où ildemande à manger pour son déjeuner, puis il rentre au daara où il dispose d’environ uneheure pour se reposer et manger. <strong>Le</strong>s cours reprennent à quinze heures l’après-midi. Tous lesjours autour de 17 heures, il va en compagnie d’autres talibés chercher de l’eau pour le daara.Il passe ensuite trois heures à étudier le Coran, puis sort mendier son dîner aux alentours devingt heures. Il rentre au daara pour étudier encore le Coran et va se coucher autour de vingtdeuxheures. Il dort dans une petite cabane avec un toit de chaume avec sept autres enfants.Seydou dit que s’il ne mendie pas, il n’a rien à manger, et s’il ne rapporte pas suffisammentd’argent à deux ou trois reprises, le maître coranique le bat. Ses parents lui manquent; ilaimerait mieux être avec eux à la maison qu’au daara. Il dit aimer apprendre le Coran, maisaimerait bien aussi connaître un peu le français pour pouvoir lire les panneaux indicateurs.*Il ne s’agit pas de son vrai nom.<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong><strong>Le</strong>s violations fréquemment subies par lesenfants talibés sont bien connues: les talibésreçoivent un enseignement médiocre et sontmal préparés à la vie future en société. Laplupart sont originaires de régions ruralesreculées <strong>du</strong> Sénégal ou de pays limitrophes,comme le Mali ou la Guinée-Bissau, ayant étévictimes de traite. Ces enfants sontextrêmement vulnérables car ils sontcomplètement à la merci <strong>du</strong> daara et de leurmaître coranique ou marabout. Coupés deleurs parents et de leur village, ils vivent dansdes conditions insalubres, dans la pauvreté,sont malades, mangent mal, font l’objet desévices physiques et psychologiques si lepro<strong>du</strong>it de leur mendicité n’atteint pas le«quota» fixé. Ils risquent également d’êtrevictimes d’accidents de la route, d’êtrehumiliés et de souffrir de devoir mendier. <strong>Le</strong>senfants qui s’échappent des daaras aprèsavoir subi des sévices corporels se retrouventsouvent à la rue. 6« Moi, je ne veux pas mendier, je veux seulement apprendre… C’est très humiliant.» 74Talibé de 10 ans cité dans Emily Delap: Begging for Change: Research findings and recommendations on forced childbegging in Albania/Greece, India and Senegal [Quémander le <strong>changement</strong>: Conclusions et recommandations concernant lamendicité forcée des enfants en Albanie, en Grèce, en Inde et au Sénégal], Anti-Slavery International, Londres, 2009, page 10.5Ibid, page, 11.6Voir par exemple aussi ibid, Human Rights Watch, supra note 3, les rapports de la Commission d’experts de l’OIT pourl’application des conventions et des recommandations (2009-2011), le Comité de l’ONU sur les droits de l’enfant, Observationsfinales sur le deuxième rapport périodique <strong>du</strong> Sénégal, octobre 2006 (CRC/C/SEN/CO/2); rapport <strong>du</strong> Rapporteur spécial de l’ONUsur la vente d’enfants, la prostitution enfantine et la pornographie mettant en scène des enfants, Najat Maalla M’jid, mission auSénégal, 28 décembre 2010 (A/HRC/16/57/Add.3); Bureau <strong>du</strong> Département d’Etat des Etats-Unis de contrôle et de lutte contre latraite des personnes, Trafficking in Persons Reports [Rapport sur la traite des personnes] (2008-2011); Bureau des Etats-Unis surla démocratie, les droits de l’homme et l’emploi, Human Rights Reports [Rapports des droits de l’homme] (2007-2009).7Talibé de dix ans interrogé dans le cadre des travaux menés par Begging for Change, supra note 5.3


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Photo: Emilie RégnierVoici quelques exemples de violence et de sévices infligés par les maitrescoraniques aux talibés, qui ont entraîné des poursuites devant les tribunaux:• Octobre 2009: Un enseignant religieux sénégalais est en instance de jugement pouravoir infligé des sévices à des garçons victimes de traite aux fins de mendicitéforcée. Il avait été arrêté avec un autre maître religieux.• Juin 2009: Un Sénégalais est condamné par le tribunal régional de Diourbel à unepeine maximum de dix ans d’emprisonnement pour viols et crimes de pédophiliesur 25 victimes, dont des élèves de l’école coranique qu’il dirigeait à Touba.• Mai 2009: Un Sénégalais est arrêté et en attente de jugement pour traite degarçons originaires de Guinée-Bissau, sévices physiques et mendicité forcéeles concernant.• Décembre 2008: Un maître coranique de Gambie est arrêté pour torture et mauvaistraitements sur un talibé de sept ans.• Novembre 2008: Un maître coranique est condamné à cinq ans d’emprisonnement(et ordonné de purger un minimum de trois ans) et à une amende de 300.000 francsCFA (soit 627 $) 8 pour mauvais traitements sur un garçon de huit ans à Kaolack. 98Taux de change entre le franc CFA et le dollar des Etats-Unis $ utilisé: taux de change en vigueur au 12 octobre 2011.9Comme le disent le rapport Trafficking in Persons Report [Rapport sur la traite des personnes] <strong>du</strong> Bureau <strong>du</strong> Départementd’Etat de contrôle et de lutte contre la traite des personnes et les Human Rights Reports [Rapports des droits de l’homme]<strong>du</strong> Bureau des Etats-Unis de démocratie, des droits de l’homme et de l’emploi (2008-10).4


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>2. Mendicité forcée des talibés: les causesÉvidemment, il n’y a pas de lien intrinsèqueentre d’une part l'enseignement coraniqueet d’autre part la mendicité forcée desenfants et des conditions de viemisérables. Lorsque les daaras ont étécréés il y a de cela des siècles, la mendiciténe jouait qu’un rôle modeste dans lefinancement de leur gestion et dansl’enseignement de l’humilité aux enfants.Ce n’est qu’avec le transfert des daarasvers les villes, dans les années 70, que lamendicité se mit à occuperconsidérablement l'emploi <strong>du</strong> <strong>temps</strong> desenfants. <strong>Le</strong>s daaras <strong>du</strong>rent alors quitter lesrégions rurales à la suite d’une série desécheresses et de la baisse des prix despro<strong>du</strong>its de base et il devint beaucoup plusdifficile pour les maîtres coraniques deretirer un revenu suffisant descontributions parentales ou de la terre.Ainsi, aujourd’hui, les causes de lamendicité forcée des enfants talibés auSénégal sont nombreuses et complexes.Pauvreté<strong>Le</strong> niveau élevé de pauvreté signifie que lesparents, en particulier dans les régionsrurales et les pays limitrophes, sontrarement en mesure de rétribuerfinancièrement les maîtres coraniques pourl’enseignement <strong>du</strong> Coran que ceux-cidispensent à leurs fils.« On fait partir nos enfants pour lesprotéger contre la crise chez nous…C’est une façon d’atténuer notrepauvreté. » 10De plus, la pauvreté est souvent l'argumentinvoqué par les maîtres coraniques pour sejustifier de forcer les talibés à mendier.« S’ils ne mendient pas, ils n’ont rien àmanger et ne me rapportent rien. » 11Cependant la pauvreté, si elle est de touteévidence un facteur, ne saurait suffire àexpliquer à elle seule l’exploitationpratiquée par les maîtres coraniques.D’après les éléments connus, il semble quecertains d’entre eux gagnent des sommeslargement supérieures aux revenusnécessaires au fonctionnement <strong>du</strong> daara,leur assurant un ‘salaire’ modeste grâce àla mendicité des enfants. Ainsi, d’après lesestimations de Human Rights Watch, lesrevenus annuels potentiels de quatredaaras « représentatifs » dans différentesrégions <strong>du</strong> pays peuvent aller de sommesmodestes, comme 1.820.000 francs CFA(3,806 $) à des sommes colossales, parPhoto: Emilie Régnier10Père de talibé, Emily Delap, op cit., page 14.11Marabout à Thiès, interrogé dans le cadre des travaux de Begging for Change, supra note 5.5


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>exemple 53.430.000 francs CFA (111,736$) dans un daara de Guédiawaye comptantplus de 150 talibés. En guise decomparaison, au Sénégal, un instituteurgagne en moyenne 125.000 francs CFA (ou261 $) par mois. 12ReligionLa décision des parents d’envoyer leursenfants dans des daaras estessentiellement motivée par le souhait devoir leurs enfants apprendre le Coran. Ilsconsidèrent que l’apprentissage <strong>du</strong> Coranest très important et les daaras sontprofondément ancrés dans la sociétésénégalaise. <strong>Le</strong>s maîtres coraniques sontdes personnages très respectés et exercentune influence sur la vie quotidienne et lapolitique.« Tout le monde doit apprendre leCoran; c’est le Coran qui permet dese rapprocher de Dieu. » 13De plus, la mendicité permet à lapopulation sénégalaise dans son ensemblede s’acquitter de son obligation culturelleet traditionnelle d’aumône – la zakat 14 :« Notre religion nous le dit sansambiguïté: nous devons donner àtous ceux qui en ont besoin. <strong>Le</strong>stalibés correspondent à cettedéfinition. » 15Il y a de nombreuses raisons pour expliquerpourquoi on donne plus aux talibés qu’àd’autres mendiants. Par exemple, lestalibés sont toujours là et c’est donc facilede leur donner; les talibés étant desenfants, ils sont vus comme plus prochesde Dieu; on considère que c’est un moyende soutenir les maîtres coraniques etd’aider les talibés à s’instruire. 16Photo: Emilie RégnierEnseignement public<strong>Le</strong>s écoles publiques locales sont dans lesfaits inaccessibles à de nombreux enfants:elles sont souvent éloignées de plusieurskilomètres et représentent des coûtsbeaucoup trop élevés pour les famillesmodestes. Même lorsque les écolespubliques sont accessibles, elles nedispensent pas pour la plupart un12Human Rights Watch, op cit., pages 68-9.13Mère de talibé interrogée dans le cadre des travaux de Begging for Change, supra note 5.14La zakat (aumône) est l’obligation selon l’Islam de faire don d’une partie de sa richesse aux musulmans les plusnécessiteux. <strong>Le</strong>s talibés sont considérés comme correspondant à cette définition. <strong>Le</strong> mot zakat vient <strong>du</strong> mot Zakaa quisignifie « augmenter, purifier, bénir ».15Homme à Thiès qui donne aux talibés, interrogé pour Begging for Change, supra note 5.16Indivi<strong>du</strong>s qui donnent aux talibés, interrogés dans le cadre des travaux pour Begging for Change, supra note 5.6


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>enseignement coranique. 17 De plus,comme les daaras ne font pas partie <strong>du</strong>secteur de l’enseignement « formel », iln’existe pour l’instant aucuneréglementation protégeant les enfantsconcernés contre l’exploitation ou lessévices, fixant et contrôlant l’enseignementafin qu’il corresponde à des programmesscolaires plus larges.Pourtant, de nombreux parents et enfantsaimeraient avoir la possibilité d’allierl’enseignement <strong>du</strong> Coran à un enseignementdans des matières variées, afin d’améliorerleurs perspectives professionnelles et d’êtremieux préparés à l’avenir.« Il faut que nous apprenions lefrançais à nos enfants… les choses ontbeaucoup changé par rapport à nostraditions et à notre mode de vie. Si onne connaît pas le français, cela poseproblème quand on va en ville. » 18Mère de talibéGaladio* habite dans un village de la région de St Louis/ Fouta. Elle a un fils de dixseptans, Alassane,* qui habite dans un daara à Thiès et un autre de dix ans, Baïdy,*qui garde le bétail et vit encore au village avec sa famille. Quand sa plus jeune fillesera assez grande pour s’occuper <strong>du</strong> bétail, Galadio a l’intention d’envoyer aussiBaïdy au daara. Ils sont pauvres et parfois ils doivent se passer de repas le matin oule soir parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de manger trois fois par jour.<strong>Le</strong> mari de Galadio a décidé d’envoyer Alassane au daara quand celui-ci avait septans. Elle fut attristée de le voir partir, mais se dit que c’était pour le mieux, pourAlassane et pour la famille.Galadio n’est jamais allé voir Alassane pendant les dix années qu’il a passées audaara et son mari n’y est allé qu’une seule fois. Elle savait que les talibés allaientmendier, mais elle l’acceptait, étant donné qu’ils ne donnaient rien au maîtrecoranique pour l’entretien de leur fils et parce que « c’est la tradition <strong>du</strong> daara demendier. » Elle ne se faisait pas de souci pour Alassane parce que « le maîtrecoranique s’en occupait » et qu’il apprenait le Coran. Toutefois, s’il y avait un daaraau village, son fils aurait appris le Coran en restant au village, avec sa famille.* Il ne s’agit pas de son vrai nom.17<strong>Le</strong>s écoles publiques sénégalaises (écoles françaises) sont laïques. Il existe également des écoles appelées francoarabes,où les enfants reçoivent l’enseignement <strong>du</strong> Coran ainsi que celui d’autres matières. Ces écoles peuvent êtrepubliques ou privées, mais sont toutes reconnues par l’Etat. <strong>Le</strong>s enfants y apprennent le Coran en arabe, et suiventégalement le programme formel; ils n’ont pas à passer <strong>du</strong> <strong>temps</strong> à aller mendier. A l’heure actuelle, les écoles francoarabessont relativement peu nombreuses: en 2009, on prévoyait qu’il y en aurait 179 en 2010 dans le secteur public, enplus des 233 gérées par le secteur privé, mais reconnues par l’Etat. Il est également intéressant de noter que les enfantsfréquentant actuellement ces écoles sont généralement issus de familles plus aisées, habitent souvent à proximité de leurécole, et rentrent donc chez eux après leur journée d’école, contrairement à la plupart des enfants talibés, qui sontgénéralement envoyés dans des daaras en ville loin de leur village d’origine.18Entretien avec une mère de talibé dans le cadre des travaux pour Emily Delap, supra note 5.19Ibid.7


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>3. Cadre juridique international et africain<strong>Le</strong>s textes de loi internationaux et africains,tout comme la législation nationale, nesuffisent pas à eux seuls à prévenir lesmauvais traitements ou à y mettre fin.Cependant, ils sont essentiels car ils fixentdes normes que les Etats doivent intégrer àleur législation et à leur pratiquenationales.<strong>Le</strong>s enfants en situation de mendicitéforcée sont protégés par différents traitésinternationaux ou africains, tous ratifiés parle Gouvernement <strong>du</strong> Sénégal (voir annexe).La difficulté est de faire en sorte que cetÉtat respecte ses obligationsinternationales en tra<strong>du</strong>isant ces textesdans la réalité.Cadre internationalEsclavage, servitude et pratiquesassimilables à l’esclavageLa Convention supplémentaire des NationsUnies relative à l’abolition de l’esclavage,de la traite des esclaves et des institutionset pratiques analogues à l’esclavage (1956)définit le servage des enfants de la façonsuivante:Cette disposition s’applique également auxenfants exploités au sein d’institutionscomme les écoles coraniques en Afrique del’Ouest. 20Travail forcé<strong>Le</strong> travail forcé est étroitement lié àl’esclavage, avec lequel il partage uncertain nombre de caractéristiques. Il estdéfini dans la Convention no. 29 del’Organisation Internationale <strong>du</strong> Travail(OIT) relative au travail forcé ou obligatoire(1930) de la façon suivante:« … tout travail ou service exigé d'unindivi<strong>du</strong> sous la menace d'une peinequelconque et pour lequel ledit indivi<strong>du</strong> nes'est pas offert de plein gré. » (article 2 (1)).« Toute institution ou pratique en vertude laquelle un enfant ou un adolescentde moins de dix-huit ans est remis, soitpar ses parents ou par l'un d'eux, soitpar son tuteur, à un tiers, contrepaiement ou non, en vue del'exploitation de la personne, ou <strong>du</strong>travail <strong>du</strong>dit enfant ou adolescent. »(article 1(d) et 7(b)).Photo: Emilie Régnier20L’OIT considère que le fait pour les enfants de vivre avec leur maître coranique au Niger est assimilable à une relation depropriété: « <strong>Le</strong>s enfants ont un rapport analogue à celui de l’esclave avec son maître; ils n’ont pas la liberté de prendre leurvie en main, et font de ce fait un travail pour lequel ils ne se sont pas proposés de leur plein gré ». Rapports de laCommission d’experts pour l’application des conventions et des recommandations, Conférence Internationale <strong>du</strong> Travail,Rapport III (Partie 1A) Rapport général et observations concernant certains pays, Genève, 2004, page 154; 2003, page155; 2002, page 156.8


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Photo: Emilie Régnier<strong>Le</strong> travail en question n’a pas besoin d’êtreofficiellement considéré comme «activitééconomique» pour tomber sous ladéfinition de « travail forcé » et l’OITconsidère que tout enfant ou a<strong>du</strong>lte forcéde mendier relève <strong>du</strong> « travail forcé. » 21L’expression « sous la menace d’une peinequelconque » est interprétée au sens large,à savoir la violence, la dénonciation à lapolice ou aux autorités, les menacesd’ordre économique, ou la perte de droitsou de privilèges. 22 Un indivi<strong>du</strong> peutégalement entamer une activité de sonplein gré, mais être considéré comme forcéà travailler si des « menaces de peines »sont proférées par la suite à son encontre.Travail et exploitation des enfantsLa Convention no. 182 de l’OIT concernantl'interdiction des pires formes de travail desenfants et l'action immédiate en vue de leurélimination (1999) définit les pratiques detravail des enfants contre lesquelles ilimporte de lutter en priorité. Tous les enfantscontraints à mendier relèvent sans nul doutede cette catégorie, qu’ils mendient <strong>du</strong> fait deleur condition d’esclave, de travailleur forcé,à la suite de traite, ou simplement en vertu<strong>du</strong> fait que la mendicité est une activitéillicite et que l’Etat concerné considère lamendicité ou la mendicité forcée comme uneforme « dangereuse » de travail:« toutes les formes d'esclavage oupratiques analogues, telles que la vente etla traite des enfants, la servitude pourdettes et le servage ainsi que le travailforcé ou obligatoire. » (article 3(a));« l'utilisation, le recrutement ou l'offred'un enfant aux fins d'activités illicites. »(article 3(c));21Bureau International <strong>du</strong> Travail, Alliance mondiale contre le travail forcé: Rapport mondial dans le cadre <strong>du</strong> suivi à laDéclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, OIT, Genève, page 6.22Ibid., pages 5- 6.9


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>comme victimes de traite, que les enfantsaient donné leur accord ou non (article 3(c)).Photo: Emilie Régnieret les travaux susceptibles de « nuire à lasanté, à la sécurité ou à la moralité del’enfant. » (article 3(d)).Toutes les formes de mendicité violent lesdroits des enfants tels qu’énoncés dans laConvention des Nations Unies relative auxdroits de l’enfant (1989). <strong>Le</strong>s droits affectéspar la mendicité sont les suivants: le droitde ne pas être victime d’exploitationéconomique ou d’avoir à faire tout travaildangereux nuisant à l’é<strong>du</strong>cation de l’enfantou à son développement (article 32); ledroit d’être protégé contre toute autreforme d’exploitation (article 36).Traite des enfantsLa mendicité forcée des enfants peut êtreliée à la traite. Selon les dispositions <strong>du</strong>Protocole des Nations Unies visant àprévenir, réprimer et punir la traite despersonnes, en particulier des femmes et desenfants (2000), les enfants (de moins de dixhuitans) transférés d’un endroit à un autre àdes fins d’exploitation sont considérésCadre législatif africainLa Charte africaine des droits de l’homme etdes peuples (1981) comprend le devoir del’État d’assurer la protection des droits desenfants (article 18.3). La Charte africainedes droits et <strong>du</strong> bien-être de l’enfant (1990)contient un certain nombre de dispositionspertinentes pour la mendicité forcée desenfants. Elle interdit toute formed’exploitation des enfants, et comme laConvention des Nations Unies relative auxdroits de l’enfant et la Convention 182 del’OIT sur les pires formes de travail desenfants, oblige les Etats à protéger lesenfants contre tout travail susceptibled’être dangereux ou d’entraver ledéveloppement de l’enfant. De plus, laCharte africaine des droits et <strong>du</strong> bien-êtrede l’enfant interdit explicitement «l’utilisation des enfants dans la mendicité »(article 29). Il est important de relever quecet article encourage à poursuivre lespersonnes exploitant les enfants dans lamendicité et non les enfants mendiants.La Charte africaine des droits et <strong>du</strong> bienêtrede l’enfant contient également d’autresdispositions qui pourraient s’appliquer enparticulier aux enfants mendiants pour lecompte de leur maître coranique.Notamment, elle appelle les Etats parties à:« … prendre toutes les mesuresappropriées pour abolir les coutumes et lespratiques négatives, culturelles et socialesqui sont au détriment <strong>du</strong> Bien-être, de ladignité, de la croissance et <strong>du</strong>développement normal de l’enfant, enparticulier les coutumes et pratiquespréjudiciables à la santé, voire à la vie del’enfant. » (article 21).10


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>4. L’Action <strong>du</strong> gouvernementCadre juridique<strong>Le</strong> gouvernement a intro<strong>du</strong>it une loi quipourrait grandement contribuer à luttercontre ce problème:La Loi no. 2005-6 relative à la luttecontre la traite des personnes etpratiques assimilées et à la protectiondes victimes (2005)<strong>Le</strong> texte criminalise explicitement lamendicité forcée des enfants et ne fait pasde distinction entre la mendicité « tolérable» et la mendicité « interdite » comme le faitle Code pénal (voir explication ci-dessous).« Quiconque organise la mendicité d’autruien vue d’en tirer profit, embauche, entraîneou détourne une personne en vue de lalivrer à la mendicité ou d’exercer sur elleune pression pour qu’elle mendie… estpuni d’un emprisonnement de deux à cinqans et d’une amende de 500.000 francs à2.000.000 francs CFA (1,046 – 4,185 $). »Cette loi déclare également la traitepassible de peines d’emprisonnement decinq à dix ans et d’une amende de cinq àvingt millions de francs CFA (entre 10,460et 41,850 $), la peine maximale étantprononcée dans le cas où l’infraction estcommise, entre autres, à l’égard d’unmineur ou par une personne ayant autoritésur sa victime. 23<strong>Le</strong> Code pénalLa section II concerne la violencecorporelle, le meurtre et autres infractions.« Quiconque aura volontairement fait desblessures ou porté des coups à un enfantau-dessous de l'âge de quinze ansaccomplis ou qui l'aura volontairementprivé d'aliments ou de soins au point decompromettre sa santé ou qui aura commisà son encontre toute autre violence ou voiede fait, à l'exclusion des violences légères,sera puni d'un emprisonnement d'un à cinqans et d'une amende de 25.000 à 200.000francs CFA (52 - 418 $). » L’emprisonnementpeut aller jusqu’à dix ans si les coupablessont les père et mère ou autres ascendants,ou toutes autres personnes ayant autoritésur l'enfant ou ayant sa garde (article 298).La section V, paragraphe III criminalise lamendicité: « Tout acte de mendicité estpassible d'un emprisonnement de troismois à six mois. Seront punis de la mêmepeine ceux qui laisseront mendier lesmineurs de moins de vingt et un anssoumis à leur autorité. » 24 Cependant letexte autorise la mendicité dans des lieuxet dans des conditions consacrées par lestraditions religieuses (article 245).La Loi no. 2005-6 relative à la lutte contrela traite des personnes et pratiquesassimilées et à la protection des victimespeut être interprétée raisonnablementcomme s’appliquant à la mendicité danstous les lieux et à toutes fins et a d’ailleursété interprétée de la sorte, notamment parl’OIT. 25 Néanmoins, un amendement dansce sens <strong>du</strong> Code pénal éliminerait toutdoute et rendrait le texte en conformitéavec les engagements <strong>du</strong> Sénégal,notamment au titre de la Convention no.182 de l’OIT sur les pires formes de travaildes enfants, et de la Convention no. 29 surle travail forcé, ainsi que de la Charteafricaine sur les droits et le bien-être del’enfant (article 21).23Articles 1 et 2, Section I, Chapitre I.11


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Application de la loiSeuls quelques cas isolés ont fait l’objet depoursuites au titre <strong>du</strong> Code pénal au cours desdernières années, tels ceux cités ci-dessus. Ilfallut attendre l’indignation populaire suscitéepar la publication <strong>du</strong> rapport de Human RightsWatch en avril 2010 pour voir un maîtrecoranique arrêté, poursuivi ou condamnéexplicitement pour avoir forcé des talibés àmendier. 26 Une série d’événements se déroulaselon la chronologie suivante:• En août 2010, le premier ministre,Souleymane Ndéné Ndiaye, proclameun décret interdisant la mendicité dansles lieux publics.• En septembre 2010, sept maîtrescoraniques sont arrêtés et condamnés àsix mois d’emprisonnement ferme etjusqu’à cinq ans avec sursis, à titre d’« avertissement », ainsi qu’à desamendes de 100.000 francs CFA (209 $)conformément à la Loi no. 2005-6.Cependant ces peines ne furent jamaiseffectivement appliquées. 27• Selon le Département d’Etat américain,deux autres maîtres coraniques furentcondamnés au cours de la mêmepériode et passèrent un mois en prisonavant d’être libérés. 28En septembre 2010, des associations demaîtres coraniques dans des centresreligieux condamnèrent l’application de lalégislation, menaçant de retirer leursoutien au président Abdoulaye Wade lorsdes élections suivantes, prévues pourfévrier 2012. 29 Dès octobre 2010, leprésident Wade révoqua l’interdictioninvoquant, selon les médias, le faitqu’interdire complètement etsoudainement la mendicité allait àl’encontre de coutumes ancestrales auSénégal concernant l’aumône. 30Politique gouvernementaleMême s’il n’existe à l’heure actuelle niréglementation ni code de con<strong>du</strong>ite desdaaras au Sénégal, le gouvernementsemble favorable à un système harmoniséd’enseignement <strong>du</strong> Coran géré ouréglementé par l’Etat. Au moment où nousécrivons ces lignes, le gouvernement avaitpris les mesures suivantes dans ce sens:<strong>Le</strong> gouvernement a mis en place un serviced’Inspection des daaras au sein <strong>du</strong> Ministèrede l’E<strong>du</strong>cation, chargé de piloter leprogramme de modernisation des daaras etd’intégrer des daaras modernes au systèmepublic. Ce service est devenu effectif en 2008,24Article 245, Loi no. 75-77, Code pénal, 9 juillet 1975.25Tous les rapports de la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations (2009 -2011) appellent le gouvernement sénégalais à appliquer la loi relative à la traite contre les personnes et pratiquesassimilées et à la protection des victimes (2005) sans évoquer de limites éventuelles à son application.26D’après le rapport <strong>du</strong> Bureau <strong>du</strong> Département d’Etat des Etats-Unis de surveillance et de lutte contre la traite des personnes,Trafficking in Persons Report (2007)[Rapport sur la traite des personnes], deux enseignants religieux avaient été condamnés « envertu de la législation anti-traite » pendant la période concernée, chacun ayant été condamné à deux ans d’emprisonnement. Lapeine prononcée correspond également aux dispositions sur la mendicité forcée des enfants de la Loi anti-traite de 2005 (article3). Cependant de nombreux observateurs, notamment Human Rights Watch (supra note 3, page 100) affirmaient qu’il avait falluattendre 2010 avant que la législation anti-traite ne soit appliquée à des maîtres coraniques ayant infligé des mauvais traitementsà des talibés. Quoi qu’il en soit, le nombre de poursuites (ou de non-lieux) est insuffisant au regard de l’ampleur de l’exploitation.27Voir par exemple, le rapport <strong>du</strong> Bureau <strong>du</strong> Département d’Etat des Etats-Unis de surveillance et de lutte contre la traitedes personnes, Trafficking in Persons Report [Rapport sur la traite des personnes] (2011).28Ibid.29Voir par exemple: « <strong>Le</strong>s Imams Ratib <strong>du</strong> Fouta Publient une “Fatwa” contre L’Interdiction de la Mendicité: C’est uncomplot par des ONGs occidentaux contre les traditions islamiques, » <strong>Le</strong> Populaire, 4 septembre 2010,http://www.popxibaar.com; « Touba-Marabouts et maitres coraniques font bloc contre la Loi 06-2005. Wade est avertipour 2012, » Seneweb News, 7 septembre 2010, http://www.seneweb.com.30Voir par exemple « Sénégal: le Président Wade conteste l’interdiction de la mendicité dans les lieux publics » RFI, 9octobre 2010; http://www.rfi.fr; « Interdiction de la mendicité: Wade se dédit et désavoue son gouvernement », <strong>Le</strong>Populaire, 8 octobre 2010, http://www.popxibaar.com.12


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Photo: Emilie Régniermais ses structures administratives sontencore en cours d’établissement. Elles serontdécentralisées, conformément au souhait dedéployer le programme dans l’ensemble <strong>du</strong>pays. Un certain nombre de textes de loi ontdéjà été rédigés et sont en cours de lecture auParlement. En attendant la finalisation de cestextes, un accord-cadre provisoire pourra êtresigné par des associations de maîtrescoraniques qui s’engageront à respecter desnormes précises concernant lefonctionnement de leurs daaras, dontl’abolition de la pratique de la mendicité.Un certain nombre de curricula pour daarasmodernes ont été élaborés, en dehors <strong>du</strong>secteur public, et sont déjà utilisés. 31Cependant, en janvier 2010, le Ministère del’E<strong>du</strong>cation a signé un accord avec lePartenariat pour le Retrait et la Réinsertion desEnfants de la Rue (PARRER), afin d’élaborer unprogramme harmonisé destiné aux écolescoraniques (financé par le PARRER). <strong>Le</strong> PARRERa publié ses programmes scolaires pour desdaaras modernes gérés par l’Etat en janvier2011. <strong>Le</strong> programme officiel <strong>du</strong> PARRERs’inspire d’autres programmes scolaires etcouvre un nombre plus grand de matières,comme les langues nationales ou la formationprofessionnelle, conformément à la législationet à la pratique existantes. 32 En mai 2011, lePARRER a lancé un document définissant lesnormes et les standards de qualité pour lesécoles coraniques, 33 soumis à la consultationd’un vaste groupe de parties prenantes,entamée avec une réunion en juillet 2011.Il existe en moyenne six, au maximum huit,inspecteurs des écoles par département. Dèsl’an 2000, l’Etat s’est mis à recruter desinspecteurs spécialisés franco-arabes, quiseront chargés d’inspecter les daarasmodernes. L’objectif est de disposer enmoyenne de deux inspecteurssupplémentaires par département, selon lataille <strong>du</strong> département.31Notamment ceux élaborés et utilisés par ENDA Jeunesse Action et USAid afin de soutenir leur travail existant auprès des daaras.32Par exemple, la Loi d’orientation de l’é<strong>du</strong>cation nationale 91-22 (11 février 1991), et le Programme Décennal del’E<strong>du</strong>cation et de la Formation (PDEF).33Abdoul Diallo, « Normes et standards de qualité pour l’école coranique, » PARRER, Dakar, mai 2011.13


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Photo: Aliou MbayeEtude de cas: daara moderne<strong>Le</strong> Daara de Serigne Gaye est un exemple <strong>du</strong> petit nombre de daaras modernes quiexistent actuellement au Sénégal. Situé à Dakar, et à l’instar de nombreux daarasmodernes qui ont été créés avant le programme gouvernemental, il est financé enpremier lieu par les dons et les frais de scolarité payés par les parents. Il a été créé en2001 et offre aux filles comme aux garçons des cours de religion (Coran) ainsi que descours de langue (arabe/français). Il y a actuellement 64 enfants au daara âgés de six à13 ans. Environ la moitié d’entre eux sont pensionnaires tandis que les autres repartentà la maison chaque soir. <strong>Le</strong>s enfants en pension voient leur famille tous les 15 jours.L’école fournit trois repas par jour. Aucun des enfants n’est envoyé mendier.Souleymane* est un garçon de huit ans qui a déjà passé trois ans au daara. Il s’y plaîtbien. Ce qu’il préfère, ce sont les leçons sur le Coran. Par dessus tout, il aime l’ambiance« familiale ». Il entretient également une bonne relation avec les enseignants: « ils sontcompréhensifs, respectueux et ils nous aident à comprendre les leçons. » Demba* a 13ans et retourne chez lui après la classe. Ce qu’il préfère au daara, ce sont tous les amisqu’il s’y est fait. Il aime les enseignants également « parce qu’ils nous respectent. » <strong>Le</strong>sdeux enfants veulent devenir policiers quand ils seront grands. 34* Il ne s’agit pas de son vrai nom.34Souleymane et Demba ont été interviewés au cours d’une visite <strong>du</strong> Daara de Serigne Gaye, le 30 septembre 2011.14


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>5. Conclusions et recommandationsPhoto: Emilie Régnier<strong>Le</strong>s talibés sont très visibles et leur triste sortbien connu, grâce aux nombreux rapports etaux multiples campagnes menées à leur sujetau fil des ans. Et pourtant, ils sont toujoursvictimes de maltraitance. Ils sont toujoursforcés à mendier pendant de longues heures,font l’objet de violences physiques et d’autresformes de menace ou de contrainte. <strong>Le</strong>urrémunération est faible, voire inexistante et ilssont coupés de leur famille pendant delongues périodes, condamnés à vivre dansdes conditions de surpeuplement etd’insalubrité.La pauvreté est un facteur essentield’explication de la mendicité forcée desenfants. S’y s’ajoutent d’autres causes: ladifficulté d’avoir accès à unenseignement public de qualité à un coûtabordable et le souhait des parents devoir leurs enfants apprendre le Coran. Oril n’est généralement pas possible desuivre des cours <strong>du</strong> Coran dansl’enseignement public et formel.Personne n’évoque des motivationsreligieuses pour justifier la mendicitéforcée et il semble qu’elle soit le refletdes conditions économiques prévalantes,plutôt qu’une conséquence inévitable etindissociablement liée à l’enseignement<strong>du</strong> Coran au Sénégal.La mendicité forcée des enfants relève despires formes de travail des enfants; c’estpourquoi le gouvernement se doit d’agir detoute urgence en la matière. <strong>Le</strong>gouvernement a pris un certain nombre demesures pour lutter contre ce problème,notamment en adoptant des lois et enlançant un programme de daaras modernesgérés ou réglementés par l’Etat. Il importenéanmoins que des progrès soient réalisésrapidement en la matière, le gouvernementn’ayant toujours pas pris de mesuresadéquates pour appliquer les loisprotégeant les talibés.15


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Il est intolérable que cette situation continue. Nous demandonsdonc au gouvernement <strong>du</strong> Sénégal, de toute urgence de:16Photo: Aliou Mbaye1. Amender la législation actuelleconcernant la mendicité forcée desenfantsIl existe au Sénégal une législation nationalevisant à protéger les enfants de la mendicitéforcée des enfants et d’autres formes demaltraitance, mais il serait utile d’amender leCode pénal afin qu’il ne subsiste aucun doutesur le fait que forcer un enfant à mendier estun acte criminel en tout lieu et dans toutes lescirconstances, ce qui mettrait ce texte enconformité avec les engagements <strong>du</strong> Sénégal,notamment au titre des Conventions no. 82 etno.29 et de la Charte africaine des droits et <strong>du</strong>bien-être de l’enfant.2. Appliquer strictement les loisexistantes concernant la mendicitéforcée des enfantsLa législation existante n’est pas suffisammentappliquée à l’heure actuelle. C’est enparticulier le cas de la Loi no. 2005-6 relative àla lutte contre la traite des personnes etpratiques assimilées et à la protection desvictimes (2005). Cette loi doit être utilisée pourpunir les maîtres coraniques qui exploitent lesenfants de cette façon. <strong>Le</strong>s peines prononcéesdoivent être proportionnelles à l’infraction etappliquées strictement, de façon à avoir unréel effet de dissuasion.3. Accélérer les efforts demodernisation des daaras, notammentavec l’intro<strong>du</strong>ction de normesminimales de soin des enfants,l’élaboration d’un curriculum nationalet l’inclusion des daaras dans lesétablissements réglementés par l’Etat<strong>Le</strong> gouvernement s’est attaqué auproblème de la mendicité forcée desenfants à sa racine, avec le programme demodernisation des daaras. Cependant, ceprocessus doit avancer sans délai, avecune consultation aussi large que possibledes organisations de la société civile et desmarabouts et maîtres coraniques. Il fautaffecter les ressources publiques etidentifier des sources de financementsupplémentaires nécessaires pour déployerle programme à l’échelle nationale,notamment dans les régions rurales dontsont originaires la plupart des talibés;définir un programme de formation desmaîtres coraniques intéressés; lancer à titreexpérimental un curriculum; finaliser lamise en place et la réalisation pratiqued’un système de réglementation à l’échellenationale, en recrutant davantaged’inspecteurs.Photo: Aliou Mbaye


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>4. Satisfaire la demande à laquellerépond la mendicité des talibés ausein de la populationLa population doit être pleinement informéedes effets nuisibles de la mendicité forcée desenfants et surtout <strong>du</strong> fait que des dons faitsaux talibés, même s’ils partent d’une bonneintention, risquent de contribuer au problèmequ’ils tentent d’alléger. <strong>Le</strong> gouvernementpourrait mettre en place d’autres façons pourles personnes intéressées d’aider les talibés.On pourrait par exemple mettre en pratiquel’initiative annoncée par le premier ministre,Souleymane Ndéné Ndiaye, en octobre 2010,de mettre en place des points centraux decollecte des aumônes et décider de larépartition des sommes reçues pour lestalibés en consultation avec desreprésentants religieux éminents et des ONG.5. Former la police et les autresreprésentants <strong>du</strong> gouvernement auxlois pertinentes et à la protection desenfantsLa police et les autres représentants <strong>du</strong>gouvernement entrant en contact avec lesenfants mendiants, dont les talibés, ontbesoin d’être formés aux lois nationalesconcernant la mendicité forcée des enfantset aux questions de protection des enfants.6. Sauver, réinsérer et réintégrer lestalibés dans leurs lieux d’origine<strong>Le</strong>s talibés forcés à mendier ou à subird’autres formes de maltraitance doiventêtre retirés de cette situation et se voirproposer les soins de réinsertioncorrespondant à leurs besoins. Des effortsconsidérables doivent être déployés afin delocaliser leur famille, de les y ramener et deles aider à se réintégrer dans leur milieud’origine.7. Prévenir la mendicité forcée desenfants en luttant contre les causesprofondes, notamment la pauvretéParallèlement à la mise en œuvre d’unprogramme de daaras modernes gérés ouréglementés par l’Etat, une série destratégies coordonnées doivent être misesen place afin de lutter contre les causesprofondes <strong>du</strong> phénomène, notammentavec des mesures de ré<strong>du</strong>ction de lapauvreté. Des mesures comme les microcréditss’imposent, afin d’améliorer la viedans les milieux d’origine et d’aider lesfamilles modestes à garder leurs enfantschez eux. <strong>Le</strong> gouvernement devraitconcentrer les aides publiques sur leslocalités connues pour leur vulnérabilité àce problème, notamment les régionsrurales fréquemment victimes desécheresse. De même, le gouvernementdevrait intensifier les autres activités deprévention au sein des communautés etfaire circuler l'information sur les risques àcourt et à long terme pour les enfantsforcés à mendier.8. Travailler en étroite coopérationavec les gouvernements et lesprincipaux acteurs des pays d’originelimitrophesDe nombreux talibés envoyés dans lesdaaras des agglomérations <strong>du</strong> Sénégalviennent d’autres pays d’Afrique del’Ouest, comme la Guinée-Bissau, laGuinée, le Mali ou la Gambie. <strong>Le</strong>gouvernement sénégalais doit développerses liens bilatéraux et multilatéraux avecces pays, afin de prévenir la traite aux finsde mendicité forcée des enfants enprovenance de ces pays.17


<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>Annexe: Informations générales sur le Sénégal / Tableau deratification.Indicateurs de développementPopulation: 12.860.717Revenu national brut par habitant: 1,050 $ dollars des Etats-UnisAccès à une source d’eau améliorée: 52 % de la population rurale.Espérance de vie à la naissance: 56 ans.Mortalité infantile: 93 enfants de moins de cinq ans pour 1.000 naissances vivantes.Taux d’achèvement de l’enseignement primaire: 49% par classe d’âge. 35Texte internationalRatifiéConvention supplémentaire des Nations Unies relative à l’abolition de1979l’esclavage, de la traite des esclaves, et des institutions et pratiques analoguesà l’esclavage, 1956Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, 1989 1990Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des 2003personnes, en particulier des femmes et des enfants complétant la Conventionsur la criminalité organisée transnationale, 2000Convention 29 de l’OIT sur le travail forcé ou obligatoire, 1930 1960Convention 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants, 1999 2000Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 1981 1982Charte africaine des droits et <strong>du</strong> bien-être de l’enfant, 1990 199835Nous avons utilisé les statistiques disponibles les plus récentes, provenant essentiellement de la base de données desindicateurs de développement de la Banque mondiale (2009-10). Voir http://data.worldbank.org/country/senegal.18


La Plateforme est un groupe d’ONG, pour la plupart basées au Sénégal, quipartagent le même souci d’agir par rapport à la problématique des talibés.Elles se sont mises à travailler ensemble en avril 2010 et ont depuis lors forméune coalition officielle.Celle-ci compte à l’heure actuelle 47 membres: Action Enfance Sénégal, Action Humanitaire pour laSolidarité et l’Entraide et des Populations (AHSEP), Action pour le Développement l’E<strong>du</strong>cation et laRéinsertion (ADERE), Aide et Action Sénégal, Amnesty Sénégal, And Défar Cees, Association desComédiens <strong>du</strong> Sénégal (ARCOS), Association des Femmes Juristes (AFJ), Association des Jeunes<strong>Le</strong>aders (AJL), Association des journalistes contre les Violences Faites aux Enfants, AssociationKememeroise d’Aide pour la Protection de l’Enfance (ASKEPE), Association Mbouroise d’Assistance àla Femme et à l’Enfant (AMAFE), Association Siggil Talibé, Cadre d’Action de la Société Civile (CASC),Cadre d’Appui à l’Initiative Nationale en faveur des Talibés (CAINT), Centre d’Information et deSensibilisation sur les Drogues (CISD), Coalition E<strong>du</strong>cation pour Tous, Coalition Nationale desAssociation en Faveur des Enfants (CONAFE), Cœur Unis, Collectif pour la Synergie et La Défense desEcoles publiques (COSYDEP), Collectif E<strong>du</strong>catif Alternatif (CEA), Collectif pour la modernisation desDaara (COMOD), Comité Intersyndical de Lutte contre les Pires Formes de Travail des Enfants(CILPFTE), Dem Galam, Enda Graf Sahel, Enda Jeunesse Action, Espace de Concertation etd’Orientation de Pikine Nord (ECO/PN), Fissabililah, Gra RADEP, Human Rights Watch, Intermondes,Jeunesse Culture Loisir et Technologies (JCLTIS), Maison de la Gare, Mouvement des Entreprises <strong>du</strong>Sénégal (MEDS), Parlement des Enfants, Réseau des Acteurs à l'Initiative Locale (RAIL), Réseau desJournalistes pour la Protection des Droits de l’Enfant, Réseau des Journalistes pour la Protection desEnfants, Réseau des Organisation de Lutte contre l’Emigration (ROLE), Réseau PopulationDéveloppement, Réseau pour la Protection des Enfants (RESPE), Save the Children Sweden,Sentinelles, Suer pour Servir, Tostan, Vivre Ensemble Madesahel, World Vision Sénégal.Toute organisation de la société civile qui adhère à la lutte contre la mendicité forcée desenfants peut être membre de la Plateforme. <strong>Le</strong>s organisations internationales et les structuresgouvernementales peuvent être membres observateurs. Pour devenir membre de la Plateforme,il faut en faire la demande auprès <strong>du</strong> comité de pilotage par l’intermédiaire <strong>du</strong> secrétariat ets'engager à respecter la mission, les objectifs et les stratégies de la Plateforme. Pour plusd’informations, veuillez contacter le CAINT qui assure le secrétariat :<strong>Le</strong> CAINT, Liberté 6 Extension villa N° 112, Dakar, Sénégal, téléphone : ++ 221 33 827 47 92e-mail : caingroups@gmail.com / plateformedroitshumains@yahoo.fr.Anti-Slavery International est une organisation fondée en 1839, dont le butest d’éliminer toute forme d’esclavage de par le monde. L’esclavage, laservitude, le travail forcé, sont des violations des libertés indivi<strong>du</strong>elles etprivent des millions de personnes dans le monde de leur dignité et de leursdroits fondamentaux. Anti-Slavery International agit afin de mettre fin à ces violations en dénonçantles cas d’esclavage contemporain, en faisant campagne pour son élimination, en soutenant lesinitiatives d’associations locales à cette fin et en appelant à une meilleure mise en œuvre des textesinternationaux contre l’esclavage. Pour plus d’informations, veuillez vous rendre à l’adresse suivante:www.antislavery.org.Association au statut déposé au Royaume-Uni sous le numéro suivant : 1049160<strong>Le</strong> <strong>temps</strong> <strong>du</strong> <strong>changement</strong>: Agissons sans délai pour mettre fin à la mendicité forcée des enfants talibés au SénégalAnti-Slavery International, 2011

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