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CHARLES FRÉGER

LES FLEURS DU PARADIS - Villa Noailles

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LETTRE À PIERRE-ANDRÉ<br />

Cher ami,<br />

Permets-moi de revenir vers toi au sujet de mes images d’Hyères. Conscient de ma conduite<br />

photographique hors de mes balises habituelles, j’ai bien compris que c’était un piège de te prier d’écrire<br />

sur « Les Fleurs du paradis ».<br />

Point d’uniforme là-dedans. Un espace sériel diffus ou impalpable, peu de portraits et en tout cas aucun<br />

de mes classiques « Portraits photographiques et uniformes »…<br />

Rien de systématique dans le cadrage ni dans l’éclairage. Tu pourrais me dire que ce travail ne convoque<br />

pas la même rigueur, voire pas de rigueur du tout et je ne saurais te contredire.<br />

« On dirait des vacances », tu me l’as dit.<br />

Donc, le mécanisme de ces photographies consistait à débrayer tous les axes de ma pratique<br />

photographique « stricte », à laisser filer un peu mes réflexes endormis. Et pour cela, il fallait une<br />

commande, un contexte, qui, défini au départ, offrait un cadre au projet et le sécurisait.<br />

Ceci m’évitait d'avoir à choisir et de m’y jeter avec ma seule rage. Le territoire de la commande<br />

photographique, pour moi, est comme conquis d’avance puisque le commanditaire se projette dans mon<br />

iconographie en invoquant un résultat qui pourrait être similaire à mes séries antérieures.<br />

Le désir vient alors de chez Noailles, de son rocher, de la maison du haut, devenue Villa Noailles<br />

et centre d’art. C’est important d’y penser parce qu’à mon avis, Hyères fonctionne depuis que le premier<br />

mulet a acheminé les lourdes pierres de cette villa, sur une paisible dialectique : ceux du bas trimant au<br />

sel, aux légumes, aux fleurs et aux poissons… Ceux du haut, oisifs regardant vers le bas. Pour ce projet,<br />

dans mes visites, j’ai photographié des descendants de jardiniers de la villa, des femmes de chambre, les<br />

petits-enfants des cuisinières de la famille de Noailles. Un gouffre.<br />

Cette commande est aujourd'hui une chance de leur rendre un hommage. Ce fut pour moi l’occasion de<br />

prendre le temps – ce que je ne savais pas vraiment faire – et de regarder. Jean-Pierre Blanc me<br />

demanda de faire les portraits des maraîchers d’Hyères parce que je pense qu’il admire leur travail, leur<br />

force de caractère et leur tempérament. Les photographier, c’est les honorer.<br />

Je suis venu quatre fois en résidence pour ce projet. Il faut dire que j’avais déjà réalisé plusieurs séries à<br />

Hyères et dans les environs, au festival des Arts de la mode en 2001 et pour celui de 2003 autour de<br />

portraits de jeunes athlètes du club de trampoline de la Seyne-sur-Mer. J’avais déjà tout visité de long en<br />

large.<br />

J’ai commencé la recherche en juillet 2005, sur rendez-vous, pour photographier des maraîchers. Je me<br />

rendais chez les producteurs, concentré sur ma quête de portraits, et reproduisais mon protocole<br />

habituel. Après force discussions et interrogations, j’ai commencé à regarder les fleurs, à aimer les<br />

couleurs, la lumière douce du crépuscule. Je me suis vu trop loin du pollen, à des années-lumière de ce<br />

que j’avais à raconter avec mes seuls portraits. Implicitement, le reste a pris sa place ; le portrait<br />

submergé par la nature, comme au jardin le lierre s'enroule à vue d’œil sur le buste d’Apollon. J’ai donc<br />

laissé faire, sans résister cette fois. En t’écrivant, j’ai repensé au peintre Mondrian et à sa position<br />

presque mystique quant à la couleur verte, qu’il boudait dans sa peinture. Dans ses échanges avec Claire<br />

Parnet, Gilles Deleuze disait en parlant du peintre hollandais : « C’est aussi intéressant de se demander,<br />

d’interroger, de questionner un peintre en fonction des couleurs qui lui manquent qu’en fonction des<br />

couleurs qu’il utilise ».<br />

… / …

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