27.09.2012 Views

Elle vit dans sa tête, mais quelle Quand j'ai connu Béatrice, elle

Elle vit dans sa tête, mais quelle Quand j'ai connu Béatrice, elle

Elle vit dans sa tête, mais quelle Quand j'ai connu Béatrice, elle

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

14<br />

EVENEMENT<br />

23 JUIN 2011<br />

UN DESTIN<br />

<strong>Elle</strong> <strong>vit</strong> <strong>dans</strong> <strong>sa</strong> <strong>tête</strong>, <strong>mais</strong> <strong>qu<strong>elle</strong></strong><br />

Depuis 40 ans, <strong>Béatrice</strong> Renz<br />

affronte la sclérose en plaques. Son<br />

corps ne répond plus, <strong>mais</strong> <strong>elle</strong> poursuit<br />

son combat. Aidée par son fauteuil<br />

magique et le regard émerveillé<br />

qu’<strong>elle</strong> porte sur la vie.<br />

<strong>Béatrice</strong> Renz<br />

avec «James», le<br />

robot-ordinateur<br />

installé <strong>dans</strong> <strong>sa</strong><br />

chaise magique.<br />

<strong>Quand</strong> j’ai <strong>connu</strong> <strong>Béatrice</strong>, <strong>elle</strong><br />

condui<strong>sa</strong>it <strong>sa</strong> chaise roulante<br />

d’une main habile, gratifiant d’un<br />

sourire les pas<strong>sa</strong>nts qu’<strong>elle</strong> doublait à<br />

toute allure <strong>dans</strong> les rues de Fribourg.<br />

Je l’ai revue récemment: ses deux<br />

mains repo<strong>sa</strong>ient <strong>sa</strong>gement sur ses<br />

genoux, <strong>mais</strong> la chaise filait toujours<br />

aussi <strong>vit</strong>e. <strong>Béatrice</strong> la pilotait avec le<br />

menton!<br />

La sclérose en plaques l’a privée de<br />

l’u<strong>sa</strong>ge d’une jambe, puis de l’autre, et<br />

maintenant des deux bras: qu’importe,<br />

<strong>Béatrice</strong> fait tout de la <strong>tête</strong>, y<br />

compris répondre au téléphone, ouvrir<br />

<strong>sa</strong> porte ou rédiger les histoires<br />

d’une vie où rien ne s’est déroulé<br />

Patrice Favre<br />

comme <strong>elle</strong> l’avait pensé. Mais <strong>elle</strong> n’a<br />

pas perdu son sourire éblouis<strong>sa</strong>nt et<br />

contagieux. Au point que, quand <strong>elle</strong><br />

se dit heureuse, on est obligé de la<br />

croire.<br />

UN RÊVE DE GLACE<br />

«Jusqu’à dix-sept ans, ma vie était un<br />

conte de fées», dit <strong>Béatrice</strong> Renz en<br />

évoquant son enfance en Engadine:<br />

ses parents géraient un grand hôtel et,<br />

dès l’âge de cinq ans, <strong>Béatrice</strong> dessinait<br />

des arabesques sur la glace de<br />

Saint-Moritz. Son avenir semble tout<br />

tracé <strong>dans</strong> l’élite du patinage artistique<br />

helvétique. Mais son corps la trahit.<br />

«Les médecins m’ont dit que le<br />

patinage, c’était fini.» <strong>Elle</strong> plonge<br />

alors <strong>dans</strong> un long tunnel, «lugubre,<br />

noir et impressionnant».<br />

Ce tunnel, <strong>elle</strong> va l’illuminer à <strong>sa</strong> manière:<br />

«J’ai fait un grand feu <strong>dans</strong> la<br />

cave en pierre de l’hôtel et j’ai tout<br />

brûlé: mes robes de patineuse, les<br />

photos et les diplômes, et même les<br />

nounours en peluche qu’on m’avait<br />

jetés sur la glace. Après, j’avais une lumière<br />

<strong>dans</strong> le ventre et tant de projets<br />

<strong>dans</strong> la <strong>tête</strong>. Il y a eu beaucoup de<br />

tunnels <strong>dans</strong> ma vie, <strong>mais</strong> j’en suis<br />

toujours sortie avec plus de force et<br />

de confiance».<br />

Après <strong>sa</strong> maturité, la voici à Genève.<br />

<strong>Elle</strong> travaille <strong>dans</strong> un hôtel et les mé-


<strong>tête</strong>!<br />

decins lui conseillent d’é<strong>vit</strong>er tout<br />

stress. Ils croient encore à des troubles<br />

psychosomatiques. «Moi, je sentais<br />

bien que je ne m’inventais pas la<br />

maladie. Et j’en avais assez qu’on me<br />

dise ce que j’avais à faire: je suis donc<br />

devenue hygiéniste-dentaire.»<br />

JUGE DE PATINAGE<br />

La volonté est une des caractéristiques<br />

de ce tempérament hors du<br />

commun: <strong>Béatrice</strong> décide un jour de<br />

devenir juge de patinage artistique.<br />

«Je leur ai fait remarquer que les juges<br />

étaient souvent à quatre pattes pour<br />

apprécier un exercice. Sur ma chaise,<br />

j’étais à la bonne hauteur.» Et <strong>sa</strong> de-<br />

mande fut acceptée au niveau national!<br />

Mystère d’une résistance au malheur<br />

que <strong>Béatrice</strong> <strong>elle</strong>-même ne s’explique<br />

pas: «C’est comme ça! Depuis toute<br />

petite, je suis douée pour le bonheur.<br />

Je suis amoureuse de la vie et des<br />

gens». Un amour que son mari Thomas<br />

lui rend bien comme tous ceux<br />

qui assurent son autonomie.<br />

LES MIRACLES DE JAMES<br />

C’est un autre combat qui lui est cher:<br />

<strong>Béatrice</strong> <strong>vit</strong> chez <strong>elle</strong> avec l’aide de six<br />

personnes – à tour de rôle et avec des<br />

horaires variables – qui assurent les<br />

soins, le ménage et<br />

la cuisine, qui<br />

conduisent la voiture<br />

ou lui servent<br />

d’assistants. <strong>Elle</strong><br />

participe à un projet<br />

pilote de la<br />

Confédération appelé<br />

«contribution<br />

d’assistance»: <strong>elle</strong><br />

gère un budget pour financer le personnel<br />

dont <strong>elle</strong> a besoin. «En home,<br />

je coûterais encore plus cher et ma vie<br />

ne m’appartiendrait plus.»<br />

<strong>Quand</strong> ses bras l’abandonnèrent, <strong>elle</strong><br />

aurait pu jeter l’éponge. Mais il y avait<br />

«James», le robot ordinateur fixé<br />

<strong>dans</strong> l’appuie-<strong>tête</strong> de <strong>sa</strong> chaise roulante.<br />

En cares<strong>sa</strong>nt un bouton avec<br />

l’oreille droite, <strong>Béatrice</strong> peut tout<br />

faire: ouvrir et fermer les portes de<br />

l’immeuble et son appartement,<br />

monter ou baisser les stores, commander<br />

la télé, la radio ou ses chers<br />

livres audio. Et même écrire: un clavier<br />

apparaît sur l’écran et <strong>elle</strong> choisit<br />

les lettres avec une rapidité stupéfiante.<br />

«C’est géniaaaal!», dit-<strong>elle</strong> avec<br />

l’enthousiasme d’un enfant: «C’est<br />

mon jouet magique!».<br />

En cares<strong>sa</strong>nt<br />

le bouton de «James»<br />

avec l’oreille droite,<br />

<strong>Béatrice</strong> peut tout<br />

faire.<br />

LA VISITE DE L’ONCLE<br />

De l’oreille gauche, <strong>elle</strong> commande les<br />

fonctions de la chaise roulante. Et un<br />

collier porte une sorte de champignon<br />

qui lui permet de la piloter du<br />

menton. Nous voilà d’ailleurs partis<br />

pour la terrasse où mûrissent des citrons<br />

et des mandarines.<br />

Infatigable, <strong>Béatrice</strong> dévide ses souvenirs<br />

en préci<strong>sa</strong>nt bien que tout n’est<br />

pas simple ni rose. «J’ai fait deux septicémies;<br />

la dernière, l’été passé, a<br />

failli me tuer. J’ai vécu ce que racontent<br />

certains mourants: j’étais comme<br />

en dehors de mon corps et je voyais<br />

les médecins qui m’interrogeaient,<br />

<strong>sa</strong>ns pouvoir leur répondre. J’ai<br />

même vu un oncle belge décédé qui<br />

venait vers moi en robe de chambre<br />

avec une bouteille<br />

de champagne!»<br />

Et Dieu <strong>dans</strong> tout<br />

ça? «Ah, c’est spécial.<br />

J’ai eu une éducation<br />

très catholique,<br />

<strong>mais</strong> je trouve<br />

que Dieu a bon dos.<br />

On lui fait porter<br />

trop de choses. Si<br />

tout va bien, je devrais le remercier?<br />

Et quand ça va mal, ce serait un <strong>sa</strong>le<br />

type? Qu’il y ait quelque chose de<br />

bon après la mort, j’en suis sûre, <strong>mais</strong><br />

ici-bas? Peut-être que Dieu me regarde<br />

en cachette et qu’il me fait des<br />

clins d’oeil...»<br />

FLÛTE ET CHAMPAGNE<br />

D’autres sont frappés par la sclérose<br />

en plaques et <strong>Béatrice</strong> Renz a toujours<br />

une oreille attentive pour eux.<br />

«Mais vous ne pouvez pas dire à une<br />

personne malade de la sclérose ‘demain<br />

ça ira mieux’, car demain n’ira<br />

pas mieux. Parfois je ne peux<br />

qu’écouter, <strong>mais</strong> je le fais à 200%.»<br />

Au moment de se quitter, <strong>elle</strong> répète<br />

que <strong>sa</strong> vie est «super»: «Flûte et<br />

champagne! Mon corps me lâche<br />

peu à peu, <strong>mais</strong> c’est comme si je<br />

grandis<strong>sa</strong>is <strong>dans</strong> ma <strong>tête</strong>. Bientôt, je<br />

vais voler...» ■<br />

Patrice Favre<br />

15

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!