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Le CIAM-Alger, Albert Camus et Le Corbusier : modernité et identité

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4. Voir l’une des dernières<br />

synthèses sur le thème<br />

de la Méditerranée : Paolo<br />

Portoghesi <strong>et</strong> Rolando Scarano<br />

(a cura di), L’Archit<strong>et</strong>tura del<br />

Mediterraneo. Conservazione,<br />

trasformazione, innovazione,<br />

Rome, Gangemi Editore, 2003 ;<br />

Maria Lluïsa Borràs, « <strong>Le</strong>s<br />

réalismes en Catalogne »,<br />

in Jean Clair (dir), <strong>Le</strong>s<br />

Réalismes, 1919-1939, catalogue<br />

d’exposition, Paris, Centre<br />

Georges-Pompidou, 1980.<br />

5. Voir <strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong>, <strong>Le</strong> Voyage<br />

d’Orient, Paris, Forces vives,<br />

1966 (le manuscrit est achevé<br />

en 1911), rééd. Marseille,<br />

Parenthèses, 1987.<br />

6. Sur l’Algérie de <strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong>,<br />

voir le film de Manuelle Roche,<br />

Pour une vie, pour une ville :<br />

<strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong>, 26 novembre<br />

1972, Institut national de<br />

l’audiovisuel (INA) ; Alex Gerber,<br />

L’Algérie de <strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong> : les<br />

voyages de 1931, Lausanne,<br />

Presses polytechniques <strong>et</strong><br />

universitaires romandes<br />

(thèse de doctorat à l’École<br />

polytechnique fédérale de<br />

Lausanne), 1993.<br />

française de la <strong>modernité</strong> méditerranéenne. Pour les architectes<br />

du <strong>CIAM</strong>-<strong>Alger</strong>, d’autre part, l’association est un<br />

cadre collectif qui leur perm<strong>et</strong>tra d’affirmer l’accent algérianiste<br />

de leur <strong>modernité</strong>. évoquons, l’un après l’autre, les<br />

contextes dans lesquels se développent ces stratégies.<br />

Au moment même où <strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong> entreprend l’esquisse<br />

de ce qui deviendra le Plan-Obus, au début des années 1930,<br />

de forts courants méditerranéistes se développent dans les<br />

milieux professionnels de l’architecture italiens <strong>et</strong> catalans,<br />

avec lesquels il entr<strong>et</strong>ient de fortes relations d’échange.<br />

Différents dans leurs formulations, chacun d’eux trouve<br />

cependant une forme « légitime » d’articulation avec la tradition<br />

nationale. Une nécessité qui découle d’un double<br />

enjeu : construire un rapport renouvelé entre <strong>modernité</strong> <strong>et</strong><br />

tradition, capter les programmes de la commande d’état 4 .<br />

En Italie, les différents courants de l’architecture moderne<br />

(<strong>et</strong> aussi ceux plus ancrés dans une filiation avec la tradition<br />

classique) reconstruisent <strong>et</strong> théorisent les mythes de la latinité<br />

<strong>et</strong> de la romanité <strong>et</strong> revendiquent l’héritage du courant nostalgique<br />

« Novecento ». Symétriquement, en Catalogne, les<br />

fouilles archéologiques d’Empúries réactivent le mythe de la<br />

grécité, dont se saisit le mouvement « noucentiste ». Ici comme<br />

en Italie, l’architecture vernaculaire anonyme <strong>et</strong> répétitive<br />

des îles méditerranéennes sert de parangon au moderne, plus<br />

encore que l’évidente fonctionnalité de l’architecture rurale<br />

traditionnelle. Et les « Andalousies perdues » perm<strong>et</strong>tent de<br />

flirter avec le thème de la rencontre Orient-Occident.<br />

On sait que <strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong>, lui-même farouche défenseur<br />

de la sensibilité méditerranéenne, a été très tôt préoccupé<br />

par ce rapport Orient-Occident 5 . La côte méditerranéenne<br />

française est trop marquée par la culture du<br />

néo-régionalisme provençal ; l’Algérie, en revanche, offrira<br />

à <strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong> un point d’application commode pour instruire<br />

le thème des leçons à tirer des cultures classiques <strong>et</strong><br />

d’Orient. C’est principalement d’ailleurs sur ce deuxième<br />

aspect, la culture <strong>et</strong> l’héritage oriental, que <strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong><br />

insiste, se faisant laudateur de la Casbah d’<strong>Alger</strong> <strong>et</strong> de l’architecture<br />

du Mzab 6 .<br />

Terre d’Orient intégrée à l’Empire français, l’Algérie donne<br />

une sorte de légitimité au fait d’inscrire la France dans la tendance<br />

méditerranéenne des <strong>CIAM</strong>. Dès les années 1930, <strong>et</strong><br />

sans attendre sa naissance officielle en 1954, le <strong>CIAM</strong>-<strong>Alger</strong><br />

apparaîtra comme le pendant nécessaire du <strong>CIAM</strong>-Paris.<br />

222<br />

Mais la culture des architectes modernes français d’Algérie<br />

va se construire, en plus du référent corbuséen <strong>et</strong> métropolitain,<br />

dans la dynamique locale d’un groupe d’artistes<br />

<strong>et</strong> d’intellectuels que domine la figure d’<strong>Albert</strong> <strong>Camus</strong>. Un<br />

groupe dans lequel la question de l’« algérianité » émerge<br />

comme un sentiment très fort, un proj<strong>et</strong> de construction<br />

identitaire. Amorcé sous les auspices de l’orientalisme avec<br />

la « dynastie » des Guiauchain <strong>et</strong> Léon Claro, il se renouvelle<br />

en s’élargissant à l’héritage du monde antique au tournant<br />

des années 1920 <strong>et</strong> 1930. La pensée <strong>et</strong> l’œuvre d’<strong>Albert</strong><br />

<strong>Camus</strong> illustrent cela, marquées par l’opposition <strong>et</strong> le<br />

dualisme entre les thèmes apolliniens <strong>et</strong> dionysiaques (que<br />

Ni<strong>et</strong>zsche tient pour une caractéristique de l’esprit grec)<br />

<strong>et</strong> leur complémentarité comme gage de l’harmonie. Une<br />

sensibilité qui, par bien des aspects, est proche de celle de<br />

<strong>Le</strong> <strong>Corbusier</strong>. À la différence près, d’importance, qu’il n’y a<br />

pas de vision téléologique de l’histoire chez <strong>Camus</strong>.<br />

Absent dans les revues professionnelles métropolitaines,<br />

le thème de la quête d’une architecture méditerranéenne<br />

apparaît dans les colonnes de la revue <strong>Le</strong>s Chantiers nordafricains.<br />

Et significative de c<strong>et</strong> écart revendiqué de sensibilité<br />

avec la métropole est la démarche de Louis Miquel<br />

au moment de la fin des <strong>CIAM</strong>, lors d’une ultime tentative<br />

de réorganisation pour maintenir une fédération internationale.<br />

Dans une l<strong>et</strong>tre envoyée à Jaap Bakema dans le<br />

cadre de la préparation du congrès d’Otterlo, Louis Miquel<br />

distingue clairement la France, qu’il classe dans la « Zone<br />

Europe », de l’Algérie, qu’il situe dans la « Zone méditerranéenne<br />

». Sans ambiguïté, le propos est assorti du commentaire<br />

suivant : « C<strong>et</strong>te division aurait l’avantage de correspondre<br />

grossièrement à des similitudes de genre de vie, de<br />

degré de civilisation technique <strong>et</strong> de climat, donc de grouper<br />

des pays ayant des problèmes très semblables 7 . »<br />

Significatif également de la revendication d’une <strong>identité</strong><br />

propre est l’attachement du <strong>CIAM</strong>-<strong>Alger</strong> à l’histoire. Non<br />

pas seulement celle, abstraite, des mythes <strong>et</strong> d’une tradition<br />

du construire sans cesse réinventée, mais une histoire<br />

concrète, spécifique <strong>et</strong> locale, susceptible de nourrir le proj<strong>et</strong><br />

contemporain. On trouve la trace de c<strong>et</strong>te préoccupation<br />

à la fin du procès-verbal de l’assemblée constitutive<br />

du <strong>CIAM</strong>-<strong>Alger</strong> : « <strong>Le</strong>s membres présents sont unanimes à<br />

maintenir le thème proposé à M. André Bloc, directeur de<br />

la revue (L’Architecture d’aujourd’hui), soit “L’évolution de<br />

223<br />

7. Fonds Louis Miquel (cf.<br />

note 3), participation aux<br />

groupes <strong>CIAM</strong>-<strong>Alger</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>CIAM</strong>-International.<br />

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