Le Souverain - Aksanti
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Societe <strong>Le</strong> <strong>Souverain</strong> | Novembre-Décembre 2012<br />
Après Chebeya<br />
Si Mukwege mourrait ?<br />
J’admire le docteur Denis Mukwege. Cette admiration<br />
s’inscrit dans le cadre de son action salvatrice à l’égard<br />
des femmes en difficulté ou rencontrant des problèmes<br />
de santé, qu’elles aient été violées ou pas. Gynécologue<br />
et pasteur d’église en même temps, il sait remettre ses<br />
patientes dans une attitude de confiance en elles-mêmes<br />
et de foi en leur Créateur avant toute intervention.<br />
Vivant à Bukavu, née et<br />
grandie comme les garçons<br />
et filles BK entendez<br />
«les vrais natifs» de Bukavu<br />
; je suis parmi ces rares femmes de<br />
cette ville qui n’ont jamais été consultées<br />
auprès du Dr Denis Mukwege. Je<br />
l’observe bien de loin, j’entends des témoignages<br />
sur lui, sur ses prouesses, je<br />
suis ses déclarations de plus près, c’est<br />
une vraie Excellence…<br />
A qui profiterait son assassinat<br />
?<br />
<strong>Le</strong>s hypothèses sont légion. A Bukavu,<br />
ils sont nombreux à accuser<br />
de mutins du M23 qui en profiterait<br />
pour démontrer que le gouvernement<br />
congolais ne protège pas ses citoyens.<br />
Mais oserait-il une pareille opération<br />
aisément dans le quartier «huppé» de<br />
Muhumba à 19h00 et cela à quelques<br />
centaines de mètres du quartier général<br />
de la Monusco ?<br />
D’autres parlent du gouvernement<br />
qui serait dérangé par les discours de<br />
Mukwege. Mais quel intérêt aurait le<br />
gouvernement de créer un Chebeya 2<br />
alors que ce cas et tant d’autres sont<br />
déjà difficiles à gérer.<br />
Pour beaucoup, la mort par assassinat<br />
de cette sommité sociale ajouterait<br />
une goutte qui ferait déborder le vase<br />
après les assassinats des évêques, prêtres,<br />
religieuses, journalistes, hommes<br />
d’affaires, avocats et autres défenseurs<br />
des droits de l’homme sans oublier des<br />
paisibles citoyens.<br />
S’il s’avérait vrai que le gouvernement<br />
agirait comme «Hérodiade»,<br />
dans la Bible en demandant la tête de<br />
Mukwege, on assisterait à une traitrise<br />
sans nom de la part des dirigeants.<br />
<strong>Le</strong> Rwanda n’est pas en reste. Pour<br />
beaucoup de résistants et dénonciateurs<br />
des velléités du Rwanda, ce dernier<br />
n’hésiterait pas à cibler cet homme apprécié<br />
sur toutes les tribunes où il prend<br />
langue. Mais comment ses bourreaux<br />
arriveraient-ils à traverser la frontière<br />
au moment où tous les signaux sont au<br />
rouge à Bukavu tout comme à Goma?<br />
Si toutes les preuves mettaient en clair<br />
la responsabilité du Rwanda, le monde<br />
assisterait à un film de vengeance où le<br />
dernier combat se passe dans le camp<br />
de l’ennemi (le Rwanda). On assisterait<br />
à un état sauvage avec comme conséquences,<br />
le déclic psychologique et<br />
morale. Cet homme congolais qu’on a<br />
toujours présenté comme craignant du<br />
sang s’en abreuverait à satiété. Il faut<br />
savoir jauger l’état d’âme. Celui des Kivutiens<br />
est au rouge. Il suffit d’un rien<br />
pour que le volcan explose.<br />
D’autres hypothèses font état des<br />
«Finders», ces bandits de Bukavu, qui<br />
seraient utilisés par des ennemis professionnels<br />
de Mukwege et qui lui reprocheraient<br />
de leur voler la vedette.<br />
<strong>Le</strong>s finders ou hommes armés non<br />
autrement identifiés, se seraient faits<br />
démasquer ce jour là. <strong>Le</strong> sang d’un<br />
innocent très populaire à l’étranger<br />
comme à Bukavu en toute simplicité,<br />
crierait vengeance. Ce serait le jour de<br />
la remise de l’ordre dans la ville par ses<br />
propres habitants.<br />
Quelques personnes parlent également<br />
d’un montage propre à Mukwege.<br />
N’importe quoi !<br />
Imaginons Bukavu la matinée du<br />
26 octobre 2012 si l’assassinat de<br />
Mukwege y advenait. La solidarité entre<br />
«femmes» serait au zénith car pour<br />
beaucoup, Denis Mukwege est un véritable<br />
ami des femmes qui serait mort<br />
en martyr.<br />
Qui peut oser mesurer l’ampleur des<br />
dégâts et leurs limites ? <strong>Le</strong> pire a été<br />
évité par la providence. Si l’imprévisible<br />
arrivait ce jour là, la communauté<br />
internationale se complairait à citer<br />
et à analyser les effets collatéraux. Un<br />
point c’est tout. Elle répondra devant<br />
l’histoire du silence sur nombreux forfait<br />
à l’Est de la Rdc.<br />
Une tentative d’assassinat comme<br />
celle-ci doit amener chaque personnalité<br />
à préparer la relève. La société doit<br />
s’interroger sur la disparition lente et<br />
sûre du dialogue qui a toujours caractérisé<br />
l’homme africain. Où est donc<br />
passé l’arbre à palabre ? Pourquoi recourir<br />
désormais aux armes ?<br />
Ecce homo: Docteur Mukwege<br />
Denis Mukwege a-t-il volé cette<br />
gloire ?<br />
Sauveur des femmes déchirées par<br />
la méchanceté des détenteurs d’armes<br />
qui «utilisent les corps des femmes<br />
comme un champ de bataille» comme<br />
il ne cesse de le dire lui-même, réparateur<br />
des fistules, il redonne la joie de<br />
vivre à plusieurs d’entre elles. L’une<br />
s’enthousiasmait en ces termes: «Au<br />
moment où je commençais à puer<br />
quand bien même je pouvais me laver<br />
dix fois par jour, je remarquais que de<br />
plus en plus les gens s’éloignaient de<br />
moi…Mukwege, lui, s’est rapproché de<br />
moi, il m’a rassuré, il m’a opérée trois<br />
fois, maintenant, je suis redevenue une<br />
femme, capable de me tenir debout<br />
près d’autres femmes, sans complexe,<br />
je suis partie de mon village où j’avais<br />
été violée pour l’hôpital de Panzi… »<br />
A cette fierté retrouvée s’ajoute la satisfaction<br />
de reprendre goût à la vie.<br />
«Aujourd’hui, j’ai un chez-moi à Mulengeza<br />
non loin de l’hôpital… je fais<br />
un petit commerce et je nourris ma famille…<br />
Moi qui étais morte, je suis vivante<br />
» <strong>Le</strong>s larmes coulent de ses yeux.<br />
Elle s’arrête un peu pour se concentrer<br />
puis reprend le souffle et s’écrie d’une<br />
voix forte comme si le médecin était<br />
devant elle : «Mukwege, olame nka<br />
nyanja» Ce qui signifie, Mukwege, vit<br />
longtemps comme une mer.<br />
Dr Denis Mukwege, spécialiste en<br />
gynéco-obstétrique, est cet homme<br />
qui se retrouve au chevet des femmes<br />
violées au moment où leur nombre<br />
s’accroit avec la guerre qui sévit à l’Est<br />
du Congo. Formé en tant que tel pour<br />
réparer les dégâts survenus au niveau<br />
de l’appareil génital de la femme après<br />
soit un accouchement non assisté soit<br />
un rapport sexuel violent, le plus souvent,<br />
il se verra en train de réparer des<br />
vrais problèmes gynécologiques survenus<br />
après viol, ces relations sexuelles<br />
qui se font sur des femmes sans leur<br />
consentement, les prédisposant ainsi à<br />
des déchirures féroces.<br />
Photo: Crédit libre<br />
Réparateur des fistules ?<br />
Selon un reportage suivi sur une<br />
chaine locale de Bukavu il y a deux<br />
ans, Mukwege n’a jamais été heureux<br />
de toujours réparer des fistules liées<br />
au viol. Ce n’est pas cela son job mais<br />
sa formation l’y prédisposait. <strong>Le</strong> temps<br />
et les circonstances ont concouru à ce<br />
qu’il soit présent à l’Est du Congo au<br />
moment où ce désastre s’abat sur les<br />
femmes majoritairement rurales.<br />
Un homme qui s’interroge et<br />
qui interpelle<br />
Devant le Vice premier ministre et<br />
ministre des affaires étrangères Belge,<br />
Didier Reynders en visite à l’hôpital de<br />
Panzi en septembre dernier, il s’est irrité<br />
: «Combien d’années devrons-nous<br />
encore supporter ce supplice ? »<br />
A la tribune des Nations unies le<br />
25 septembre dernier, Mukwege s’est<br />
exprimé fortement : «J’aurais voulu<br />
dire ‘j’ai l’honneur de représenter mon<br />
pays’, mais je ne peux pas non plus. En<br />
effet, comment être fier d’appartenir<br />
à une nation sans défense ; livrée à<br />
elle-même; pillée de toute part et impuissante<br />
devant cinq cents mille de<br />
ses filles violées ; 6 millions de morts<br />
de ses fils et filles pendant 16 ans sans<br />
qu’il y aucune perspective de solution<br />
durable. Non, je n’ai ni l’honneur ni le<br />
privilège d’être là ce jour. Mon cœur<br />
est lourd.»<br />
«Mon honneur, c’est d’accompagner<br />
ces femmes victimes de violence; ces<br />
femmes qui résistent, ces femmes qui<br />
malgré tout restent débout»<br />
Mukwege est ce médecin congolais<br />
qui sait profiter des événements qui<br />
sont organisés en son honneur pour<br />
répercuter le désarroi des victimes de<br />
violences. Encensé par plusieurs distinctions<br />
à son doctorat Honoris causa<br />
en passant par des nombreux prix<br />
au niveau international dont celui de<br />
la Fondation Roi Baudouin en 2011,<br />
le prix Olof Palme, le prix Jean Rey,<br />
le prix …., le prix…., son nom est cité<br />
aujourd’hui pour les potentiels prix<br />
Nobel.<br />
Solange Lusiku