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Le Souverain - Aksanti

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20 Portrait<br />

Mwalimu Pascal,<br />

enseignant jusqu’au bout<br />

Meilleurs vœux<br />

A l’ occasion de la nouvelle<br />

année qui commence, le<br />

personnel et les journalistes<br />

du journal <strong>Le</strong> <strong>Souverain</strong> vous<br />

souhaitent une bonne et heureuse<br />

année 2013.<br />

Que la nouvelle année nous<br />

apporte à tous et à chacun la<br />

paix et la concorde.<br />

Solange Lusiku Nsimire<br />

Editrice-Responsable<br />

<strong>Le</strong> <strong>Souverain</strong><br />

Autorisation de parution<br />

041/SGC/0001/93<br />

Tel : (+243) 818568480<br />

souverainjournal@yahoo.fr<br />

Editrice responsable<br />

Solange Lusiku Nsimire<br />

Rédacteur en chef<br />

Baudry Aluma<br />

Barbe de trois jours,<br />

regard pétillant ,<br />

Pascal vient de quitter<br />

l’enseignement<br />

en mars 2012. À 82 ans ! « J’ai<br />

commencé ma carrière en février<br />

1952, à Kabare, en 4ème.»<br />

Pascal est né au début des années<br />

trente à Kinjuba dans la<br />

groupement de Bushwira en territoire<br />

de Kabare. Sans pouvoir<br />

être plus précis. « Quand j’ai demandé<br />

mon âge à l’enseignant<br />

blanc de l’époque, il m’a dit que<br />

j’étais né en même temps que la<br />

première invasion de sauterelles<br />

et qu’elle avait duré quatre<br />

ans, mais je n’en sais pas plus.<br />

C’était juste comme ça qu’on faisait<br />

pour retenir, plus ou moins,<br />

l’année de notre naissance.»<br />

Rapidement, Pascal fait ses<br />

premières armes comme gardien<br />

du troupeau de ses parents<br />

et compte bien continuer dans<br />

cette voie. Mais le mwami de<br />

l’époque en a décidé autrement.<br />

Il est venu chercher de force<br />

Journalistes<br />

Sylvain-Dominique Akilimali<br />

Justin Kyanga<br />

Eulalie Zawadi<br />

Quentin Noirfalisse<br />

Florent Marot<br />

Administration<br />

François-Xavier Kasilembo<br />

les jeunes enfants qui pouvaient<br />

encore être scolarisés. De ses<br />

quatre frères et deux sœurs, Pascal<br />

sera le seul qui étudiera sans<br />

que son papa n’en soit content.<br />

Il est d’ailleurs resté seul, ses<br />

sœurs et frères sont tous morts.<br />

Un peu plus tard, il entamera la<br />

pédagogie à Mugeri (« la seule<br />

alternative possible à la prêtrise,<br />

à l’époque »). Il en sort D4<br />

(diplôme de quatre ans post primaire)<br />

le 15 décembre 1951.<br />

Après 12 ans passé à Kabare,<br />

Pascal Muderhwa part pour<br />

Bagira, à cause d’une maladie<br />

« qu’il ne pouvait pas cacher»<br />

et qui l’obligea à déménager.<br />

«Quand je suis arrivé ici, je n’ai<br />

pris aucun médicament et j’ai<br />

guéri ! » Il récupère la même<br />

classe, la quatrième, à l’école<br />

primaire Bulenga (anciennement<br />

appelé Christ Roi ou centrale<br />

des garçons). Sa carrière a<br />

continué, comme celle de milliers<br />

d’enseignants congolais,<br />

dans l’ombre, au gré des coupes<br />

Caricaturiste<br />

Séraphin Kajibwami<br />

Photographies<br />

Djafari Amza<br />

Quentin Noirfalisse<br />

Mise en page<br />

David Keeka et Quentin<br />

Impression<br />

Imprilac Bujumbura<br />

budgétaires et des salaires nonpayés.<br />

Depuis six ans, Pascal<br />

était enseignant de relève. Celui<br />

qui donnait cours à sa place a été<br />

subitement nommé directeuradjoint.<br />

Symptôme absolu du<br />

manque de relève jeune dans le<br />

secteur de l’enseignement, c’est<br />

Pascal qu’on est venu chercher<br />

à la rescousse. « On m’a donné<br />

tous les documents nécessaires<br />

et on m’a dit: Tu rentres dans ta<br />

classe. J’ai répondu : est-ce que<br />

tu crois que je peux encore donner<br />

cours? Est-ce que tu crois<br />

que je saurai tenir debout toute<br />

une journée devant 64 élèves ?<br />

Ma tension commençait à monter,<br />

il fallait bien que j’expose<br />

mes problèmes de santé. »<br />

Et Pascal se rappelle. Il avait<br />

un vélo, du temps des Belges. <strong>Le</strong><br />

métier était reconnu. Pascal rit.<br />

« Mais je ne l’ai utilisé que pendant<br />

une année. On me blâmait<br />

parce que roulais trop vite. Il<br />

ne me fallait que trente minutes<br />

pour faire Kabare-Bukavu.<br />

Tu vas mourir en vélo, qu’on me<br />

criait. Je l’ai vendu à un collègue.»<br />

Mais aujourd’hui, les profs<br />

auraient bien des difficultés à se<br />

payer un vélo.<br />

«Auparavant, le salaire qu’on<br />

recevait suffisait à nourrir notre<br />

famille pendant tout un mois,<br />

sans difficultés. J’ai commencé<br />

avec 700 francs congolais qui<br />

valait le même niveau que le<br />

franc belge. J’ai été augmenté<br />

l’année d’après de 150 francs<br />

après une bonne évaluation. Je<br />

me suis marié, on m’a donné 60<br />

francs en plus pour indemnité de<br />

la femme. Ça faisait 910 francs,<br />

c’était beaucoup. Mais les cho-<br />

« Auparavant, le salaire<br />

qu’on recevait suffisait<br />

à nourrir notre famille<br />

pendant tout un mois,<br />

sans difficultés. J’ai<br />

commencé avec 700<br />

francs congolais qui<br />

valait le même niveau<br />

que le franc belge. »<br />

ses ont commencé à se détériorer<br />

en 1975 » A l’époque, le Zaïre<br />

connaît depuis deux ans une<br />

crise économique de grande ampleur,<br />

qui ne manquera d’avoir<br />

un impact sur le système éducatif.<br />

<strong>Le</strong>s mesures prises dans le<br />

cadre de la zaïrianisation prônée<br />

par Mobutu ne permettront pas<br />

de redresser la situation.<br />

Pascal lève son regard. Est-ce<br />

que ses anciens élèves viennent<br />

le voir ? « Pas un seul, même pas<br />

mes élèves prêtres ». Mais il a<br />

Ce journal est réalisé avec le soutien de:<br />

<strong>Le</strong> <strong>Souverain</strong> | Novembre-Décembre 2012<br />

travaillé pour « celui-là », le crucifix<br />

qui pend sur un des murs<br />

du salon. Il croit mordicus que<br />

Jésus fera ses miracles. Un aveu<br />

d’échec ? « Non, pas du tout.<br />

J’aime mon métier mais la vie<br />

a changé. Je ne veux pas décourager<br />

mes collègues mais, moi,<br />

on m’a dit qu’on allait encore<br />

me payer 6 mois. Mais après, je<br />

vais devoir attendre la pension.<br />

Va-t-elle seulement venir ? Je ne<br />

sais pas. »<br />

Affectueusement appelé «Mwalimu<br />

Pascal» ou Maître Pascal,<br />

ses élèves l’appelaient également<br />

«monsieur 5 heures», vieux<br />

Mujos, tous m’aimaient. Parce<br />

qu’il ne brandissait pas le fouet<br />

comme punition, mais plutôt des<br />

heures de retenues. «Je leur donnais<br />

de nombreuses questions.<br />

Ils y répondaient mais dès que<br />

17h arrivait, je les laissais partir»,<br />

s’amuse-t-il. Aujourd’hui, il<br />

part à la pêche, chercher de quoi<br />

se nourrir. Une vieille habitude :<br />

enfant, il fut tout à tour gardien<br />

de vaches et berger, à 8 ans,<br />

avant de commencer l’école primaire<br />

deux ans plus tard. C’est<br />

à cet âge qu’il apprit à taquiner<br />

le poisson dans la rivière Murhundu.<br />

Arrivé à Bagira, il a découvert<br />

les berges du Lac Kivu.<br />

« Je nage bien, au point de faire<br />

des kilomètres. Pour le moment<br />

je suis devenu lourd et j’ai peur<br />

d’attraper des crampes. Je pêche<br />

de petit poisson pendant la<br />

saison de pluie. « Malheureusement<br />

ma femme ne mange pas<br />

les poissons frais.» Il est aussi<br />

catéchumène. « J’ai commencé<br />

à Kabare. J’aime beaucoup cette<br />

occupation qui me rapproche<br />

de mon Dieu. Aujourd’hui<br />

on m’a dit de me reposer mais<br />

cela ne m’empêche pas d’aller<br />

à la messe tous les matins ».<br />

Comme pour mieux retrouver<br />

ses souvenirs d’avant, et occuper<br />

un temps où sa valeur d’enseignant<br />

n’est plus reconnue à<br />

sa juste valeur, dans une société<br />

où, pourtant, près de 6 millions<br />

d’enfants Congolais ne sont pas<br />

scolarisés et où la part de l’éducation<br />

et de la formation dans le<br />

budget tutoie à peine les 6%.<br />

Pourtant, si un de ses treize<br />

enfants désirait réorienter sa<br />

vie et devenir professeur, Pascal<br />

ne le découragerait pas. « Je ne<br />

peux pas l’en empêcher. Mais il<br />

ne faut pas qu’il le fasse aussi<br />

longtemps que moi. Sinon, comment<br />

vivra-t-il sa retraite ? Que<br />

lui laissera-t-on quand il aura<br />

effacé pour la dernière fois son<br />

tableau ?»<br />

Quentin Noirfalisse<br />

Baudry Aluma

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