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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

Pour comble de provocation, le véritable héros <strong>du</strong> récit, ce<br />

n’est même pas un être humain, mais une machine : sa voiture<br />

C.-G.-V. (Charron-Girardot-Voigt)! C’est elle, en effet, qui, en<br />

permettant la découverte <strong>du</strong> monde en toute liberté, bouleverse,<br />

on l’a vu, la perception <strong>du</strong> monde qu’en a le narrateur, et par<br />

conséquent la nôtre, et qui nous aide <strong>du</strong> même coup à nous<br />

débarrasser de nos œillères et de nos préjugés : de fait, la voiture<br />

rapproche les peuples et les cultures antagonistes, facilite leur<br />

compréhension réciproque, et contribue de la sorte à la réconciliation<br />

franco-allemande, dont <strong>Mirbeau</strong> se réjouissait si vivement<br />

pendant l’été 1905… Il est clair que cette apologie d’une<br />

machine dotée de toutes les vertus vaut condamnation sans<br />

rémission de l’espèce humaine.<br />

De surcroît, <strong>Mirbeau</strong> supprime de son livre toutes les péripéties<br />

romanesques, sans lesquelles il ne saurait pourtant y avoir de<br />

roman digne de ce nom, et conséquemment tout nœud dramatique<br />

et tout dénouement : le récit pourrait être poursuivi sans<br />

dommage au-delà <strong>du</strong> franchissement de la frontière franco-allemande<br />

par la C.-G.-V. <strong>du</strong> romancier. Et surtout, comble de<br />

transgression <strong>du</strong> pacte romanesque, d’entrée de jeu est éveillée la<br />

suspicion <strong>du</strong> lecteur sur le récit qui va suivre : « Est-ce bien un<br />

journal? Est-ce même un voyage? / N’est-ce pas plutôt des rêves,<br />

des rêveries, des souvenirs, des impressions, des récits, qui, le<br />

plus souvent, n’ont aucun rapport, aucun lien visible avec les<br />

pays visités, et que font naître ou renaître en moi, tout simplement,<br />

une figure rencontrée, un paysage entrevu, une voix que<br />

j’ai cru entendre chanter ou pleurer dans le vent? / Mais est-il<br />

certain que j’aie réellement enten<strong>du</strong> cette voix, que cette figure,<br />

qui me rappela tant de choses joyeuses ou mélancoliques, je l’aie<br />

vraiment rencontrée quelque part; et que j’aie vu, ici ou là, de<br />

mes yeux vu, ce paysage, à qui je dois telles pages d’un si brusque<br />

lyrisme, et qui, tout à coup — par suite de quelles associations<br />

d’idées? —, me fit songer au botanisme académique de<br />

M. André Theuriet? » Ce faisant, <strong>Mirbeau</strong> porte un nouveau<br />

coup à la préten<strong>du</strong>e objectivité scientifique <strong>du</strong> roman balzacien<br />

et zolien, et fait un nouveau pas vers l’idéalisme subjectif à la<br />

Marcel Proust, comme l’a justement noté Claude Pichois. Le<br />

monde extérieur a-t-il une existence indépendante de la perception<br />

subjective que nous en avons, et qui fluctue en fonction de<br />

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