Marianne : Le Vrai Sarkozy - Free

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N o 521 Du 14 au 20 avril 2007
www.marianne-en-ligne.fr
2,5 e
Philo
Enquête sur
le système
Michel onfray
Ce que
les grands
médias
n’osent pas
ou ne veulent
pas dévoiler
lE vrai
sarkozy

Marianne. 32, rue René-Boulanger, 75484 Paris Cedex 10
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En couverture : jean-pierre muller / afp
s o m m a i r e
n o 521. du 14 Au 23 Avril 2007
4 notre opinion. Par François Darras
6 coups de projecteur.
10 Tu l’as dit, bouffi !
Ça va mieux en le disant. Par Guy Konopnicki
ÉVÉNEMENT
14 le vrai sarkozy. ce que les médias n’osent pas ou ne veulent pas
dévoiler. Par Jean-François Kahn, avec Serge Maury, Philippe Cohen,
Laurence Dequay et le service France
26 ils l’ont fait.
34 Forum.
38 coups de cœur.
FRANCE
40 Privatisation des autoroutes. et voilà le résultat !
Par Jean-Claude Jaillette
42 repères France.
MONDE
46 le modèle suédois. est-ce si formidable que cela ?
Par notre envoyé spécial Alain Léauthier
49 l’éthanol déchire la gauche latino.
Par notre correspondante au Brésil Lamia Oualalou
50 repères monde.
COURRIER DES LECTEURS
54 quand lire votre journal était un délit d’opinion, ou presque…
Par Bakounin
MAGAzINE
58 les derniers « samaritains ». Portrait de salariés
dont le capitalisme d’aujourd’hui ne veut plus. Par Olivia Colo
CULTURE
66 le meilleur de la semaine.
68 idées. ne crachons pas sur la iv e république. Par Jean-Pierre Rioux
72 Michel onfray pour les nuls. Par Marie-Dominique Lelièvre
76 repères culture.
82 savoir vivre. le printemps des pierres. les bastides.
Par Michel Gardère
86 que des caprices. la panoplie du bon petit militant.
Par Géraldine Ulmann
88 Gourmandises. Par Périco Légasse
89 Mots croisés et scrabble ® . Par Benjamin Hannuna
90 Faut voir. Par Alain Rémond
14 au 20 avril 2007 / marianne

Où sont les indécis ? Pas chez Le Pen et peu chez
Sarkozy. Les folies et le laxisme intellectuel de la
gauche petite-bourgeoise, immigrationniste et libertaire
ont, en effet, eu cet effet que plus de 40 % des
Français, aujourd’hui, sont prêts, sur les ruines du
gaullisme, à se livrer pieds et poings liés à l’extrême droite
et à la droite dure.
Il y a donc les accros. Ceux qui le sont à
Sarkozy ne changeront pas de cheval, même
s’ils apprenaient que leur héros avait assassiné
et découpé en tranches sa grand-mère. Entre eux
et lui, il y a fusion. Ils l’aiment, pour ses qualités,
réelles, mais aussi pour ses pires défauts !
Mais les autres ?
Les orphelins, par exemple, du vrai gaullisme,
du vrai libéralisme ou du vrai socialisme ?
Les 60 % d’électeurs et plus de 90 % des lecteurs
de Marianne qui ne veulent pas d’une présidence
Sarkozy ?
Ce sont ceux-là, ou la plupart de ceux-là, qui, jusqu’à la
dernière minute, hésiteront.
– Voter ailleurs, parce qu’on ne croit plus à rien ?
Ou parce que la radicalité est le dernier refuge ?
N O T R E O P I N I O N
Hésitations
Par François darras
La France ne
pourra affronter
ces défis que
si les citoyens
reprennent leur
destin en main.
Marianne / 14 au 20 avril 2007
– Voter Ségolène Royal parce qu’on ne peut pas, qu’on
ne veut pas imaginer que la gauche, pour la troisième fois, et
la deuxième fois de suite, soit exclue de la confrontation finale ?
– Voter François Bayrou, autant pour s’assurer qu’un barrage
efficace serait ainsi opposé à Nicolas Sarkozy au deuxième tour
que pour favoriser l’émergence d’une troisième force ?
– Donner toute sa chance (enfin !) à une femme présidente ?
– Favoriser, avec François Bayrou, une explosion
du système avant recomposition ?
– Donner à tout le monde, par désespérance,
un nouvel avertissement. Mais avec frais ?
– Privilégier ses haines et ses rejets – d’un centre
qui serait la droite ou d’une gauche qui aurait
trahi – plutôt que l’efficacité ?
De toute façon, au-delà du choix que chacun
de nous fera, qui n’est conscient de cette évidence :
la France ne pourra affronter les défis qui l’attendent
que si la gauche se remet en cause et si la droite se
libère de ses démons ; que si les clivages obsolètes sont redéfinis
et redessinés ; que si, au-delà du vote, les citoyens reprennent
leur destin en main, redeviennent les acteurs principaux de leur
devenir et préparent la révolution humaniste qui s’impose.
Pour voter en connaissance de cause
(et de conséquences)
Les Français, et nos lecteurs en
particulier, voteront comme ils
voudront. Mais ils doivent « savoir ».
Pour se prononcer les yeux ouverts.
C’est pourquoi nous avons tenu
à les mettre en face d’une réalité que
la plupart des médias occultent*.
Si, profondément convaincus
que nous sommes du danger que
nous évoquons plus loin (p. 14),
nous n’en informions pas nos
lecteurs et, au-delà, ceux qui
voudrons bien nous lire, nous
trahirions notre fonction, nous
bafouerions les valeurs autour
desquelles a été créé ce journal,
nous aurions donc un peu honte
de nous-mêmes. A votre tour de faire
en sorte que le plus d’électeurs
votent en connaissance de cause
et de conséquences. Après, le sort en
sera jeté. Aidez-nous donc à ce que
soient diffusés le plus d’exemplaires
possibles de ce numéro de Marianne.
Après, chacun s’exprimera comme il
l’entend, librement et consciemment.
En sachant ce qu’il fait.
* Evidemment, la semaine prochaine, nous nous poserons
également la question à propos de Ségolène Royal
ou de François Bayrou : qui est-elle ? ou qui est-il vraiment ?
Le prochain « Marianne » en vente le mardi 24 avril
Attention, le prochain numéro de « Marianne », intégrant le résultat du premier tour de l’élection présidentielle
et ses conséquences, paraîtra le mardi 24 avril, et non le samedi 21.

Révélations
Noël Forgeard.
Et maintenant,
la retraite chapeau !
Noël Forgeard, l’ex-coprésident
d’EADS, est en passe
de détrôner Serge Tchuruk
(Alcatel-Lucent) dans la catégorie
patron catastrophique
et gracieusement remercié.
Marianne est en mesure de révéler
qu’outre 8,3 millions d’indemnités
de départ l’ex-patron d’EADS a droit à
une retraite chapeau qui lui rapportera,
dans sa vieillesse, 50 % de son salaire
annuel, soit une pension de 100 000 e
mensuels. Niveau confirmé par un de
ses proches. A raison d’une espérance
de vie de vingt-cinq ans, le montant
total qu’il devrait recevoir avoisine les
27 millions d’euros.
Comme Marianne l’exposait la
semaine dernière, Noël Forgeard a en
outre obtenu, à la suite d’une décision
de l’entreprise en totale contradiction
avec l’usage, le droit de conserver
297 000 stock-options, qui pourraient
s’avérer très profitables
en cas de réussite du plan
c o u p s d E p r o j E c t E u r
Power 8 en cours chez Airbus (10 000 suppressions
d’emplois). Voilà le prix d’un
départ négocié entre amis : Arnaud Lagardère
n’a pas voulu fâcher un vieux serviteur
de son entreprise, patronné de plus
par Jacques Chirac. La négociation a eu
lieu sous l’égide de Maurice Lévy, patron
de Publicis. Mais aujourd’hui cet accord
entre gens du même (petit) monde met
à mal l’entreprise. Comment faire peser
sur les salariés, et les sous-traitants, tout
le poids des erreurs d’un management
qui ne fait que se distribuer l’argent et
les stock-options ? Toute la matière d’une
explosion sociale est réunie. Car, grâce
à Forgeard, mais aussi à Serge Tchuruk
(5,7 millions d’euros d’indemnités pour
un faux départ d’Alcatel-Lucent) et à
Jean-François Roverato (195 000 actions
gratuites chez Eiffage), la polémique sur
la rémunération des grands patrons est
relancée, mettant les candidats en
demeure de se prononcer, à quelques
jours de la présidentielle.
Emmanuel Lévy
L aurent
Les médias sont
indépendants,
disent-ils
Mauduit, ex-responsable
économique du journal le Monde, a
publié un livre sur le système capitaliste
français de connivence symbolisé par le
rôle d’Alain Minc. Marianne en a publié
les bonnes feuilles.
Les Inrocks en ont dit un mot, comme
l’émission de France Inter « J’ai mes
sources ». Mais refus d’en rendre compte
dans le Figaro, le Monde, Libération,
l’Express, le Point, sur RTL, etc.
Les médias français sont totalement
indépendants. Qui en doutait ?.P.M.O.
L orsqu’on
Effet 2002.
Il n’est pire aveugle…
leur a annoncé que la
mort d’un policier à la foire du
Trône, à Paris, semblait accidentelle,
les hiérarques du ministère de
l’Intérieur ont lâché un « ouf » de
soulagement : l’assassinat d’un
fonctionnaire, à la veille du premier
tour de l’élection, eût été une
bien mauvaise nouvelle. De quoi
enflammer ce sentiment sécuritaire
qui, à doses modérées, sert leur
champion (Sarkozy), mais dont
l’exacerbation finit par booster le
candidat du Front national.
Quelques jours plus tôt, les mêmes
avaient minimisé la vidéo d’un
passage à tabac par des policiers
de la région rouennaise. Pour les
mêmes motifs. (Mais, cette fois, c’est
la candidate PS qui aurait pu être
favorisée.) La gauche n’a rien fait pour
briser cette forme d’omerta : elle qui a
toujours dénoncé sans ménagement
les dérapages de la police est
aujourd’hui réduite au silence,
tétanisée par un Sarkozy qui n’a de
cesse de l’assimiler aux « voyous ».
Pourtant, même si les images
sont floues, il s’est bien
passé quelque chose
à Rouen. Quant au
dramatique accident
de la foire du Trône,
il ne faudrait pas que
volonté d’apaisement
rime avec occultation
des faits : on a vu ce que
ce genre d’attitude avait
donné en 2002.
Frédéric Ploquin
rillon / neco / sipa

La démocratie,
ce n’est pas du folklore
La campagne officielle dans
l’audiovisuel public a donné
lieu à quelques commentaires
désabusés qui en disent long
sur les modèles qui taraudent
l’élite. Ainsi, selon la politologue Nicole
Bacharan, qui a pour les Etats-Unis
les yeux de Chimène pour Rodrigue,
la mise sur un pied d’égalité des candidats
a « des effets pervers ». Et Nicole
Bacharan de déclarer au Parisien que,
vue de New York, cette répartition du
temps de parole est vécue comme « un
folklore typiquement français ».
On peut, certes, considérer que le
défilé audiovisuel des candidats n’est
pas le dernier cri de la communication
politique, encore que les uns et les autres
aient fait des efforts louables pour sortir
du ronronnement habituel. Mais, si l’on
L a
Mahomet privé de
manuels scolaires
relaxe de Charlie Hebdo
semblait avoir clos la polémique
sur les caricatures de Mahomet, et
l’interdiction, revendiquée par certains
islamistes, de représenter le Prophète.
Mais l’école, une fois de plus, fera partie
des victimes collatérales. Les éditions
Belin ont décidé de réimprimer leur
manuel d’histoire-géographie de 5e dans lequel on voit, pour illustrer le
chapitre sur la naissance de l’islam, une
miniature du XIIIe siècle représentant
Mahomet en prêche. Dans la nouvelle
édition, le visage du Prophète a été
gommé, après que certains professeurs
ont fait part de leurs craintes d’une
éventuelle réaction de la part d’élèves
de confession musulmane. « Belin
ne cède pas à une pression religieuse,
plaide Floryse Grimaud, directrice
de la communication de la maison
d’édition, mais entend, au contraire,
éviter d’attiser les haines et les tensions
entre les communautés. » Outre qu’il
n’est pas précisé quelles sont « les »
communautés en question, on pourra
s’interroger sur le rôle et la mission
d’une école et de professeurs pour
lesquels nier la réalité historique permet
d’acheter la paix dans les classes. La très
grande majorité de musulmans non
pratiquants et tolérants apprécieront
l’image que leur renvoie l’école
de la République.Pierre Choisnet
c o u p s d E p r o j E c t E u r
devait traquer la « perversité » de certaines
dérives, mieux vaudrait dénoncer la
tendance des médias à ne privilégier que
les candidats dominants, ou prétendus
tels. En s’appuyant sur des sondages
passablement instrumentalisés, certains
passent par-dessus le premier tour pour
organiser le second, avant même que
les électeurs n’aient fait le déplacement
au bureau de vote.
Quant aux critiques en provenance
des Etats-Unis, c’est l’hôpital qui se
fout de la charité. En effet, s’il est un
domaine où le modèle américain brille
par sa capacité à brûler ses propres
idéaux démocratiques, c’est bien celui
de l’expression du suffrage universel,
régulièrement bafoué par la loi de l’argent.
La France n’en est pas (encore) là.
Faut-il s’en plaindre ?.Jack Dion
un chevalier blanc
nommé Paul Wolfowitz
paul Wolfowitz, ancien secrétaire
adjoint américain à la Défense,
tendance « néocon » pur et dur,
préside la Banque mondiale
depuis deux ans. A la tête de
cette vénérable
institution, qui
fait la pluie et le
beau temps dans
le tiers-monde
(surtout la pluie),
il a voulu se tailler
une réputation
de petit Robespierre,
en guerre
ouverte contre
la corruption. La
chose serait seulement
plaisante
si Wolfowitz ne
se retrouvait pas
dans le rôle ingrat du gamin pris le doigt
dans le pot de confiture.
En effet, le chevalier blanc de la gestion
a dû reconnaître qu’il avait accordé
un statut très particulier à Shaha Riza, qui
a la double particularité d’être sa petite
amie et la responsable de la communication
du département Moyen-Orient
Marianne / 14 au 20 avril 2007
« Le Figaro » tacle Bayrou
raymond Barre, confronté à Jacques Chirac
en 1988, compara le Figaro à la Pravda.
François Bayrou pourrait reprendre cette
image à son compte. Le quotidien libéral,
après avoir maintenu un certain équilibre,
a été apparemment sommé par Sarkozy,
via Dassault, de tacler systématiquement le
candidat centriste, sans trop effaroucher les
lecteurs modérés. Ainsi notre confrère, qui
avait soutenu avec un certain enthousiasme
la constitution d’un gouvernement de « grande
coalition » en Allemagne, a-t-il, soudain,
entrepris de brûler ce qu’il adorait hier, pour
démontrer l’inanité d’une coalition allant de
gauche à droite comme le préconise François
Bayrou. La France doit être gouvernée à droite,
rien qu’à droite et totalement à droite !
Le paradoxe, c’est que, du coup, le Figaro
fait preuve d’une certaine objectivité
à l’égard de la candidate Ségolène Royal,
qu’il descendait en flammes il y a encore
quelques mois, avec une rare mauvaise
foi. Et la rédaction du Figaro, où se
situe-t-elle ? Depuis quand ce genre
de question est-il pertinent ?.Serge Maury
de la banque. Grand seigneur, Wolfowitz
lui a d’abord accordé une augmentation
de salaire de 50 % (net d’impôt). Le
comité d’éthique de la Banque mondiale
ayant fait remarquer que ce statut posait
quelques problèmes,
Wolfowitz a
recasé sa petite
amie au Département
d’Etat, où
elle a continué
d’être (grassement)
rétribuée
par la Banque
m o n d i a l e , a u
point que l’affaire
tourne au
scandale.
Dans cette
pitoyable histoire,
Paul Wolfowitz
affirme n’avoir commis aucune
faute déontologique et se dit être en paix
avec sa conscience. Tant mieux pour lui.
Mais, lorsque le président de la Banque
mondiale ira expliquer les secrets de
la « bonne gouvernance » aux élites de
n’importe quel pays, il traînera derrière
lui un boulet nommé Shaha Riza.J.D.
joël saget / afp

Tu L’as
DiT,
bouffi !
Elle n’a jamais
vu la fin
du film
A propos de l’enlèvement
de deux Français
en Afghanistan, Ségolène
Royal a déclaré qu’il
fallait « faire pression sur
le régime des talibans ».
Le problème, c’est que
les talibans ont été renversé
en 2001. Pourquoi
ne pas faire également
pression sur le régime
soviétique ?.
Connerie
spatiale
C h a r l e s S i m o n y i ,
devenu richissime en
concevant Word et Excel
pour Microsoft, a payé
20 millions de dollars
aux Russes pour séjourner
dans la Station spatiale
internationale.
Pour ce prix, il entend
apporter ses propres
menus lyophilisés,
jugeant la ration de base
trop basique. Sa femme
aimerait, quant à elle,
« moderniser la décoration
» et accrocher des
rideaux. Dans l’espace,
c’est utile, les rideaux,
à cause des voisins.
Journalistes
décorés
Les journalistes Philippe
Goulliaud et Véronique
Saint Olive viennent
d’obtenir (promotion
de Pâques) la Légion
d’honneur. En quoi
ont-ils apporté quelque
chose à leur pays
ou à leur profession ?
On l’ignore, vu qu’on
n’en a jamais entendu
parler. Peut-être est-ce
leur discrétion qui a été
récompensée ?.
l’immigration inversée
Sur des affiches montrant un charter qui décolle,
on peut lire : « Immigration basta ! Le nationalisme
est la solution. » Le slogan ne vise pas les femmes
de ménage portugaises et leurs maçons de maris. Il
est placardé dans les rues de Lisbonne par le Parti
national rénovateur. Terre d’émigration sous la dictature,
le Portugal attire désormais des immigrés. Ce
qui n’empêche pas les Portugais de regretter le bon
vieux temps : un concours télévisé a placé Salazar
en tête des « grands Portugais ». Mais il est vrai qu’à
pareil jeu les Français seraient bien capables de
plébisciter Louis XIV et Napoléon !.
sondage
stupide
L’élection présidentielle est
un filon inépuisable pour
les instituts de sondage
qui ne se contentent pas
de déterminer le résultat.
L’Ifop a demandé aux
célibataires s’ils préféraient
que « le (la) président(e)
soit marié(e) ou en couple
» ; 62 % des esseulés
ont répondu que le (la)
président(e) devait avoir
un(e) conjoint(e). A quand
un sondage pour savoir si les
électeurs ne possédant pas
d’animaux domestiques
souhaiteraient que le (la)
président(e) entre à l’Elysée
plutôt accompagné(e)
d’un chien ou d’un chat,
et s’il serait convenable
d’emporter son bocal à
poisson rouge ?.
La Chine chante
L a
Chine se modernise. La preuve :
une chaîne de télévision Hunan TV lance
un concours de chant. L’administration
d’Etat de la radio et de la télévision
a toutefois recommandé aux candidats
de « ne pas rechercher l’extravagance
et l’originalité ». Autrement dit, pas d’épate
en Chine, sinon on vous brouille l’écoute !.
Tout se vend
chez Blair
Tony Blair est totalement rallié à l’idéologie
néolibérale. La preuve : c’est lui qui a
donné son feu vert pour que les 15 marins
britanniques faits prisonniers par les Iraniens
et qui, loin de résister, se sont lâchement
couchés devant leurs geôliers vendent
leurs histoires (fausses) à la presse.
Glissements de l’axe du mal
Bush vient d’autoriser la Corée du Nord à vendre des armes à l’Ethiopie.
Officiellement, le régime nord-coréen est honni par Washington et se trouve
sous le coup de sanctions des Nations unies. Mais l’Ethiopie combat les
islamistes en Somalie et héberge les bases secrètes de la CIA dans la Corne
de l’Afrique. La Corée du Nord est toujours une effroyable dictature, le
régime sacrifie son peuple sur l’autel de la course aux armements. Mais
il sera beaucoup pardonné aux armes du mal quand elles passeront du
côté du bien selon Bush.
Fanatisme
Si un religieux chiite iranien
paralytique affirme
avoir guéri parce qu’il a
pensé à « l’Imam caché »
et que la presse iranienne,
crédule, en fasse ses gros
titres. On imagine alors
les commentaires sur
cette nouvelle preuve
de fanatisme.
Connerie
Pour Bernard Tapie,
la gauche a « fait une
énorme connerie » en
choisissant de présenter
Ségolène Royal à l’élection
présidentielle. La
gauche n’est pas à une
connerie près, elle qui
tenta de faire de Bernard
Tapie un ministre.
tapie dérive
Bernard Tapie a d’abord,
quand elle était en
vogue, manifesté de
l’intérêt pour Ségolène
Royal. Laquelle ne lui a
fait, hélas, aucun signe.
Puis il a pensé se rallier à
François Bayrou qui, lui,
n’y tenait absolument
pas. Restait Sarkozy et…
Besancenot. Quand on
a le fisc aux fesses, on
préfère évidemment
Sarkozy.
Ecologie
américaine
Candidat démocrate
battu par George W.
Bush, John Kerry a décidé
de se consacrer à l’écologie.
Ce qu’avait fait,
avant lui, Al Gore, ancien
candidat démocrate également
battu par George
W. Bush. C’est bien de
leur part. Il reste cependant
à espérer qu’après
la prochaine élection
présidentielle américaine
la sauvegarde de
la planète soit l’affaire
du vainqueur plutôt que
celle du vaincu.
Les vases communicants
Aux dernières nouvelles, l’Inde serait menacée
par une pénurie d’ingénieurs et d’informaticiens.
En revanche, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne
continuent d’organiser l’expatriation massive
des cerveaux indiens. C’est ce qu’on appelle
l’immigration choisie.
Roulette russe
et roulette
belge
Pour l’évêque de Namur
( B e l g i q u e ) A n d r é -
Mutien Léonard, réac
de chez réac, le préservatif
est à déconseiller
absolument, car il s’agit
d’une « roulette russe ».
Sans doute conseillet-il
à ses ouailles de
recourir à la roulette
belge, qui consiste à
glisser six balles dans
le barillet.
L’argent iranien
de Dick Cheney
ç a v a m i E u x E n l E d i s a n t
Lancée dans une chasse aux
fantômes du passé communiste,
la droite polonaise s’en
prend aux derniers survivants
de la guerre d’Espagne.
Avec une incomparable élégance, un
député propose de retirer les pensions
des quelques nonagénaires
dont le crime est d’avoir combattu
Franco. Ces communistes sont
d’autant plus condamnables que le
Caudillo agissait avec la bénédiction
de l’Eglise catholique ! Il importe
donc d’imposer une nouvelle écriture
de l’histoire, reflet inversé de
celle des staliniens. D’un côté la
bonne Eglise, garante des libertés,
de l’autre les effroyables systèmes
totalitaires ! Les évêques espagnols
de 1936 préféraient Franco au gouvernement
élu, ils approuvaient un
coup d’Etat militaire, soutenu par
Hitler et Mussolini. Les volontaires
« rouges » venus de Pologne sont
donc de grands coupables. Ils pensaient,
comme Malraux et Hemingway,
que le fascisme menacerait
bientôt toute l’Europe s’il triomphait
en Espagne. Ces Polonais internationalistes
agissaient aussi en patriotes,
ils avaient donné à leur bataillon le
nom de Dabrowski, indépendantiste
polonais mort en défendant
la Commune de Paris. Ils savaient,
ces militants, qu’Adolf Hitler se jetterait
sur leur pays si les démocraties
lui laissaient les mains libres en
Espagne. Mais ils étaient de grands
coupables, puisqu’ils étaient communistes.
Ils méritent donc d’être
immolés sur l’autel de la nouvelle
conscience nationale polonaise.
En vérité, les combattants des Brigades
internationales furent toujours les
victimes expiatoires de l’histoire. Ils
sont intervenus en Espagne parce
que Léon Blum, cédant aux pressions
britanniques, avait décidé de
ne pas s’opposer militairement à
Franco et de ne pas fournir d’armes
à l’armée républicaine.
Sur place, les brigadistes ne virent
jamais arriver le matériel promis
par Staline. Après la défaite, réfugiés
en France, ils furent parqués dans
des camps indignes. Et ceux qui,
10 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 11
H alliburton,
Bhoutan train
Le petit royaume himalayen
du Bhoutan a
décidé de passer de la
monarchie absolue à
la démocratie, mais en
2008. Avant de voter
pour de vrai, les électeurs
sont appelés à
participer à un scrutin
expérimental, les 21 avril
et 28 mai. Il s’agira de
départager quatre partis
fictifs, le bleu, le vert,
le rouge et le jaune ! Le
vote pour rire mettra la
démocratie sur les rails
au Bhoutan train.
firme liée à la Maison-Blanche,
reconnaît, dans un communiqué, avoir
travaillé avec l’Iran, via les îles Caïmans. Mais
Halliburton s’est désengagée, une fois les
contrats pétroliers achevés. Du coup, la firme
estime que son travail en Iran « est l’objet d’une
attention disproportionnée ». Circulez : l’ancien
président d’Halliburton n’est autre que Dick
Cheney, vice-président des Etats-Unis !.
Par Guy konoPniCki
les héros maudits
en 1939, voulurent s’engager dans
l’armée polonaise se virent refuser
cet honneur, parce qu’ils étaient
communistes et, pour nombre d’entre
eux, juifs. Mais ce n’était rien
encore. Héros d’Espagne ou non, les
dirigeants du PC polonais « invités »
à se rendre en URSS furent assassinés
sur ordre de Staline. Les plus
chanceux des brigadistes étaient
restés en France, où ils participèrent
à la Résistance. Il y eut, bien sûr, des
fusillés et des déportés. Les rescapés,
Polonais, Tchèques et Hongrois,
rentrèrent, non sans enthousiasme,
pour bâtir le communisme dans
leurs pays libérés par l’armée Rouge.
Partout, Staline s’acharna sur eux.
Les procès de Budapest et de Prague
visaient essentiellement des
dirigeants communistes qui avaient
combattu en Espagne et en France.
Ils furent pendus ou, au mieux,
torturés et emprisonnés, comme
Artur London. En Pologne, les
anciens d’Espagne que Staline
n’avait pas assassinés dès 1939
furent exclus du Parti, emprisonnés
ou exilés, par vagues successives,
de 1952 à 1968.
Pendant ce temps, le régime communiste
polonais de Gomulka renoua,
lui, des relations avec Franco. L’Eglise
catholique n’a pas alors manifesté
son opposition à ce retournement
indigne. Elle n’a pas protesté quand
la Pologne communiste a livré du
charbon à l’Espagne, permettant à
Franco de briser, par deux fois, les
grèves des mineurs des Asturies. Il se
trouve que l’histoire n’a pas opposé
les bons catholiques polonais aux
méchants communistes. Des prêtres
collaboraient avec le régime
stalinien, pendant que d’anciens
militants communistes soutenaient
Solidarnosc. Les volontaires des
Brigades internationales ont été,
parfois à leur insu, des précurseurs.
Fidèles à leur engagement antifasciste,
ils ont mené le combat antitotalitaire
au sein même du mouvement
communiste. C’est bien ce
qu’une droite, entrée en résistance
après la chute du régime, ne saurait
leur pardonner.

tu l’as
dit,
bouffi !
Se gausser
ou pas
Personne n’a rien compris
– nous non plus
– au « contrat première
chance » que Ségolène
a soudain sorti de son
chapeau. Les médias se
sont gaussés. Ils ont eu
raison. Mais personne
n’a rien compris non
plus à la « TVA sociale »
sortie de ses escarpins
par Nicolas Sarkozy.
Or, les médias ne se
sont pas gaussés. Ils
ont eu tort. Pourquoi
une confusion serait
p l u s p o i l a n t e q u e
l’autre ? Deux poils, deux
mesures ?.
Vacherie
E ntendu
Chiche !
Evoquant les affres du journalisme
politique en période de campagne
électorale, Bertrand de Saint-Vincent écrit
dans le Figaro : « Le magazine Marianne
a livré, dans le détail, les choix de ses
rédacteurs ; on n’a pas vraiment été surpris. »
Confidence pour confidence, on aimerait
bien que ceux du Figaro en fassent autant,
rien que pour savoir si les choix éditoriaux
de la direction sont représentatifs, ou non,
du pluralisme de la rédaction. Chiche ?.
une défaite
exemplaire
Après la fin de la grève
chez Aulnay Citroën,
où les salariés n’ont
rien obtenu, l’Humanité
a titré : « Une grève
exemplaire ». En cas de
victoire, que titrerait
l’Huma ?.
dans la bouche de l’avocat
chiraquien Francis Szpiner sur iTélévision :
« Ségolène Royal est la seule énarque dont
les Français se demandent si elle a le bac. »
Au grand concours des vacheries,
Szpiner mérite assurément son diplôme.
« Le Figaro »
devient païen
Le Figaro caresse les
catholiques les plus
« tradis » dans le sens du
poil et tacle toute pensée
païenne. Sauf quand il
s’agit de Sarkozy qui,
apparemment, pour
notre confrère, est un
dieu au-dessus de Dieu.
Ainsi n’a-t-il consacré
que 15 lignes, neutres,
à la sortie du candidat
UMP sur la nature génétique
de la pédophilie et
du suicide d’adolescent.
Donc, un candidat à la
présidentielle amnistie
le péché en estimant
qu’il est génétique,
abolit le Créateur en lui
supprimant tout droit au
pardon, et le Figaro ne
bronche pas !.
Hésitation
Lors de sa rencontre avec
« les professionnels » de
la culture, Sarkozy a eu la
surprise d’entendre un
producteur de disques
lui confier qu’il hésitait
entre lui et Besancenot.
Besancenot devrait
s’interroger.
sociale-
écologie
Furieuse de voir Ségolène
Royal faire campagne
sur l’écologie,
Dominique Voynet ne
cesse de répéter : « Il n’y
aura pas d’écologie sans
les écologistes. » C’est un
peu comme si les socialistes
se croyaient obligés
de faire du social.
Les riches et les pauvres
P our
La corruption
évolue
La Tribune titre, à propos
de l’évolution de
la jurisprudence sur
la corruption : « Nouveaux
déboires pour
la pratique du potde-vin
». Ecrirait-on :
« Nouveaux déboires
pour la pratique du vol
à l’arraché » ?.
justifier les rémunérations en or de leurs dirigeants, les
multinationales expliquent que c’est le seul moyen d’empêcher
leur départ vers des concurrents encore plus attrayants. Pour
expliquer les délocalisations, les mêmes arguent que l’on peut trouver
de la main-d’œuvre moins chère sous d’autres cieux. C’est toute
la différence entre les riches et les pauvres : les uns espèrent trouver
mieux ailleurs, et les autres craignent de trouver pis ailleurs.
si c’est le FMI qui le dit…
Dans son dernier rapport, le Fonds monétaire
international (FMI) explique que les fruits de la
mondialisation sont mal distribués, que ce sont les
revenus du travail qui en pâtissent. Curieusement,
quand les altermondialistes font le même constat,
certains les traitent de démagogues. Pourquoi n’en
disent-ils pas autant du FMI ?.
Des voyous
L’ex-ministre de l’Intérieur
ne se rend pas dans
les banlieues « parce que,
a expliqué son conseiller
politique Patrick Devedjian,
grâce à lui, la police
rentre dans les quartiers
et les voyous n’aiment
pas ça ! » Ceux qui,
dans les cités, n’aiment
pas Sarkozy sont des
voyous ? .
Mauvaise idée
Finalement, le candidat
UMP ne réformera pas la
loi de 1905 sur la séparation
de l’Eglise et de l’Etat.
Bravo ! Mais si c’était
une si mauvaise idée,
pourquoi l’avoir eue ? Et
pourquoi son parti l’a-t-il
soutenue ?.
Il y renonce
Sarkozy ne propose plus
ni une baisse de 4 points
de l’impôt sur le revenu,
ni un bouclier fiscal de
50 % et devient très flou
sur la diminution du
nombre de fonctionnaires.
Pourquoi ? Parce
que son entourage l’a
convaincu que c’était
impossible. Or, aucun
de ses soutiens médiatiques
ne s’en était apparemment
aperçu.
soutien
surprise
Nicolas Sarkozy bénéficie
du soutien intellectuel
de… Jean d’Ormesson.
Cela méritait
d’être dit.
Jeu de main
Interrogé par le magazine
Elle, Le Pen s’est dit
hostile à la distribution
des préservatifs dans
les lycées. Il a donné sa
solution personnelle :
« Pour ceux que ça travaille,
je conseille le
manu militari, ce sont
des méthodes plus simples.
» On comprend
mieux pourquoi Le
Pen a toujours aimé les
hommes de main.
Cachez ces HLM
que je ne saurais voir
Expulsion
pas ordinaire
Les sans-papiers qui
occupaient la bourse du
travail du IX e arrondissement
de Paris, depuis le
début du mois de février,
ont été expulsés par les
syndicats CGT, CFDT,
et FO, qui ne pouvaient
plus utiliser leurs locaux.
Les gauchistes, qui
soupçonnent de dérive
totalitaire quiconque
ne se prononce pas
pour la régularisation
automatique de tous
les clandestins, vont-ils
accuser les syndicats de
fascisme ?.
12 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 13
L e
préfet de la région Auvergne, Dominique Schmitt,
a créé la sensation en faisant savoir au maire de Clermont-Ferrand,
Serge Godard (PS), que son programme de construction de HLM
était « exagéré ». C’est le genre de mésaventure qui ne risque pas
d’arriver au maire de Neuilly.
Pour des raisons
identitaires
A la
Quand un vicomte…
Croix, Sarkozy a expliqué qu’il allait
parfois à l’église. Pour des raisons
spirituelles ? Non. Pour des « raisons
identitaires ». Mais, ajoute-t-il, il est
parfois « déçu par la qualité des homélies ».
D’une façon générale, il est toujours déçu
par les autres homélies que les siennes.
Le ci-devant Villiers, Philippe de, s’est étranglé parce
qu’une journaliste de La Chaîne parlementaire entendait
le gratifier de son titre de vicomte. Le rappel de
ses origines nobles relève, selon lui, d’un racisme
antiaristocrate. Pourtant, il entonne, à la fin de ses
meetings, un hymne qui appelle à répandre le « sang
impur » des aristocrates.
Candidate inconnue
Nicolas Hulot a décidé d’appeler à « voter pour la planète
». Bonne idée. Mais comment peut-on voter pour
la planète alors qu’elle n’est pas candidate ?.
Marie-George
sait plus causer
En meeting à la faculté
de Nanterre, Marie-
George Buffet a appelé
les étudiants à ne pas
se résigner « au moins
pire pour éliminer le
plus pire ». Le pire, c’est
qu’elle s’adressait à des
étudiants en lettres.
Un penseur
méconnu
D ans
un éditorial consacré à l’emploi
et la croissance, l’éditorialiste du Figaro
Stéphane Marchand s’est permis de citer un
économiste dont personne, jusqu’ici, n’avait
cerné la puissance de l’analyse : Doc Gynéco.
Et Christian Clavier, il n’a encore rien dit sur
le pouvoir d’achat ?.
Fillon tacle la méthode sarko
Le Pen se rend sur la dalle d’Argenteuil. Il dit aux
quelques jeunes présents qu’il ne les considère
pas comme de « la racaille ». Réaction de François
Fillon, futur Premier ministre, dit-on, de
Nicolas Sarkozy : « Voilà qui illustre tout ce qu’il
faut rejeter. On ne parle pas du fond, on fait des
images, on fait le plus de provocation possible. » Il
est évident que Sarkozy, quand il se rendit sur la
même dalle d’Argenteuil, entouré d’une armada
de CRS, et traita les jeunes de « racaille», parlait
du fond, ne faisait pas des images et ne se livrait
à aucune provocation.
Imprudence bayrouiste
« Un patron mis en examen devrait démissionner »…
Déclaration quelque peu imprudente de François
Bayrou, puisqu’elle fait fi de la présomption d’innocence.
Du coup, le Figaro, qui ne l’attaquait que par le
biais, l’attaque désormais de front. Si Dassault devait
démissionner quand il est mis en examen….
Effet de perspective
Les protestants, selon un sondage Ifop, ne sont plus
que 43 % à voter à droite… contre 55 % en 2002.
Les journaux ont cependant titré : « Les protestants
virent à droite » !.
il existe
toujours
Depuis le début de la
campagne, Dominique
de Villepin semblait avoir
disparu. On l’a revu, le
9 avril, en compagnie
d’Elisabeth II, commémorant
la bataille de
Vimy. Une première dans
l’histoire de la République
: en attendant l’élection,
le Premier ministre
inaugure les chrysanthèmes,
en présence de
son homologue, la reine
d’Angleterre.
Ça ne se dit
pas
Un haut responsable de
l’UMP a déclaré, à l’AFP,
que les sarkozystes n’ont
pas attaqué Ségolène
Royal sur le « contrat première
chance » pour ne
pas l’affaiblir, parce qu’ils
veulent absolument
qu’elle soit au second
tour par peur d’affronter
Bayrou qui aurait toutes
les chances de battre
Sarkozy ! D’habitude, ces
choses-là se font, mais ne
se disent pas….

Election
présidentielle
2007
é v é n e M e n t
Ce que
les grands
médias n’osent
pas ou ne
veulent pas
dévoiler
le vrai
sarkozy
14 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Paris, le 31 janvier 2007.
Par jean-François Kahn, avec serge maury
PhiliPPe cohen, laurence dequay
et le service France de « marianne ».
corentin fohlen / fedephoto
Glaçant ! Il a dit glaçant.
Mais s’il ne l’avait
pas dit ?
Car enfin, sept
jours avant que François
Bayrou ne laisse
tomber ce glacial jugement,
le généticien
Axel Kahn avait déjà,
dans Marianne, agité
le grelot. Ainsi Nicolas Sarkozy, qui, déjà
(ceci explique cela), voulait faire repérer
chez les marmots de 2 ans les bourgeons
de la délinquance, avait pu, dans Philosophie
Magazine, déclarer que, selon lui,
la pédophilie et le suicide des adolescents
étaient d’origine génétique, qu’on était en
quelque sorte biologiquement programmé
pour la déviance ou l’autodestruction, que
l’action éducative ou sociale n’y pouvait
rien, le rachat ou la miséricorde divine
non plus – retour terrifiant du concept
eugéniste du gène du crime – sans que,
pendant dix jours, aucun journal quotidien
ou hebdomadaire, aucune radio ou
télévision réagisse. Ainsi, pour ne prendre
qu’un exemple, avant la riposte bayrouiste,
notre confrère le Monde, que des dérapages
de Le Pen qui allaient beaucoup moins
loin faisaient immédiatement monter
au créneau, n’avait même pas consacré
10 lignes réprobatrices à cette stupéfiante
rémanence de l’idéologie socio-biologique
de l’extrême droite païenne. Comme s’il
était beaucoup plus dangereux de tacler
le patron de l’UMP que de stigmatiser le
leader du Front national.
Comme si Sarkozy faisait peur.
Or cette sortie intervenait après l’annonce
de la création, en cas de victoire de
la droite, d’un « ministère de l’intégration
et de l’identité nationale », annonce qui
avait littéralement sidéré, et pour cause, la
presse allemande, et dont même l’extrême
droite autrichienne de Jörg Haider avait
tenu à dénoncer les « nauséeux relents ». Et,
surtout, après la série de furieuses philippiques,
telles qu’on n’en avait plus entendu
depuis quarante ans, inimaginables dans
quelque pays européen civilisé que ce
soit, relents de propagande stalinienne
des années 50 et de rhétorique fascisante
d’avant-guerre, qui revenaient à décrire les
concurrents du leader UMP, qu’ils fussent
centristes ou sociaux-démocrates, comme
les candidats protégeant les délinquants, le
vol et la fraude, donc du crime, les suppôts
des voyous, les représentants du parti des
malhonnêtes gens et de la dégénérescence
morale, l’anti-France enfin, c’est-à-dire
14 au 20 avril 2007 / Marianne 15
l’incarnation de la haute trahison. Or, cela
n’avait nullement empêché que Jean-Louis
Borloo, même malheureux comme les
pierres, s’aplatisse ; que Simone Veil, fût-ce
de la plus mauvaise grâce possible, assure
la claque et, dans un premier temps au
moins, que les médias, presque tous les
grands médias, s’écrasent.
Tant le personnage fait peur.
SeS MotS pour le dire
Pourquoi ? Parce que ses entreprises de
séduction envoûtent. Parce qu’il dispose,
partout, et surtout dans les médias,
d’amis dans la place et très haut placés ?
Ou parce qu’on redoute la brutalité de
ses réactions ?
La preuve par l’affaire Azouz Begag.
La scène se passe en 2006 : le ministre
délégué à l’Egalité des chances, interpellé
à propos de quelques fortes saillies du
ministre de l’Intérieur, s’excuse : « Je ne
m’appelle pas Azouz Sarkozy. » En guise
d’agression, on a connu plus destructeur !
Aussitôt, explosion de fureur de Sarkozy
qui menace « de casser la gueule de l’insolent
» et lui hurle, par saccades rageusement
répétitives, qu’il est « un connard,
un salaud, qu’il ne veut plus jamais le voir
sur son chemin ». On imagine, un instant,
Malek Boutih racontant, dans un livre,
que Ségolène Royal lui a aboyé à la figure
que François Hollande allait « lui casser
la gueule » parce qu’il aurait osé murmurer
: « Je ne m’appelle pas Malek Royal. »
Aussitôt, invitation sur tous les médias à
raconter l’histoire, comme l’ex-socialiste
Eric Besson. Là, service minimum. C’est
Sarkozy qui a obtenu, comme toujours,
le temps de parole. Pour expliquer que ce
n’était là qu’infâme menterie. D’ailleurs,
a-t-il expliqué sur i Télé, il « croi[t] n’avoir
jamais rencontré Azouz Begag ». Surréaliste
! Depuis deux ans, ils font partie du
même gouvernement. On imagine ce que
signifierait le fait qu’effectivement, bien
que siégeant sur les mêmes bancs et participant
aux mêmes conseils, Sarkozy ait
refusé de voir Begag !
Pour une fois, cependant, le démenti
sarkozyen fait flop. Tout le monde sait, en
effet, que les mots que rapporte Azouz
Begag sont les siens et pas les pires ; que
ces derniers jours, par exemple, il n’a
cessé de traiter de « connards » ses propres
conseillers et animateurs de campagne,
accusés d’être responsables de la moindre
difficulté de campagne. Un article qui le
é v é n e m e n t

défrise dans Libération ? Il téléphone
au propriétaire, qui est un ami : « Vous êtes
un journal de merde ! Avec des journalistes
de merde ! » Il refuse, contrairement à Royal
et à Bayrou, pourtant très maltraité par
Libé, de se rendre dans ce journal pour
un entretien avec la rédaction : « Libé n’a
qu’à se déplacer ! ». Il considère qu’il n’a
pas été reçu à France 3 national avec les
honneurs qui lui sont dus. A l’adresse de
la direction il hurle : « Si je suis élu, je vous
ferai tous virer ! »
inSulteS…
C’est d’« enculés » que se font traiter les
confrères d’une radio qui lui ont apparemment
tapé sur les nerfs… qu’il a sensibles. Il
soupçonne un journaliste d’être favorable à
François Bayrou. « Ils couchent ensemble »,
commente-t-il. Evoquant certains de ses
adversaires, il prévient, carnassier : « Je vais
tous les niquer. Les niquer ! » Plus macho, tu
ouvres un harem. Parlant de Michèle Alliot-
Marie, qu’il soupçonnait, à tort, d’avoir
joué un rôle trouble dans l’affaire Clearstream,
ne l’appelle-t-il pas « la salope » ?
L’économiste et expert financier Patrick
Artus critique certaines propositions du
candidat UMP. Il reçoit aussitôt un mail
de son chef de cabinet « On s’en souviendra
! » Même expérience rapportée par un
industriel qui eut le malheur de déplaire :
« On se retrouvera. On est pour moi ou
contre moi ! » « Je n’ai jamais été confronté,
raconte ce patron, à un entourage aussi
agressif, aussi belliqueux. » Pourquoi le
préfet Dubois, responsable des relations
presse de la Préfecture de police, est-il
débarqué du jour au lendemain : parce
qu’il aurait ricané des ennuis conjugaux
du ministre !
Une enquête télé avait été réalisée
dans les Hauts-de-Seine. Elle montrait
l’incroyable pesanteur des pressions
(avec carotte et bâton, promesses et
chantage) qui se sont exercées sur les
élus UDF de ce « Sarkoland » pour qu’ils
lâchent Bayrou. L’enquête en question a
été « trappée », comme on dit, sur ordre
de la direction. Elle aurait déplu ! Sur une
radio, interdiction a été faite à un confrère
de rappeler, statistiques à l’appui, que le
bilan du ministre en matière de sécurité
n’est pas bon. Ça eût dérangé !
il n’a pluS beSoin
d’intervenir
Or, comme on ne prête qu’aux riches, on
soupçonne systématiquement Sarkozy
d’être intervenu. Mais, le plus souvent,
ce n’est pas le cas. Ce n’est pas la peine.
Il n’a même pas besoin. Quand Paris
Match avait publié un reportage sur
les amours new-yorkaises de Cécilia et
de son chevalier servant, il avait, effec-
tivement, proclamé à la cantonade qu’il
aurait la peau du directeur de la rédaction,
Alain Genestar. Mais il en resta là. Mieux :
il obligea Arnaud Lagardère à attendre plusieurs
mois avant de le virer. Au Journal du
dimanche, mieux encore : parce qu’il avait
appris qu’on s’apprêtait à virer le directeur
de la rédaction du journal, soi-disant
pour lui complaire, il n’intervint cette fois,
après avoir reçu et sans doute retourné
le confrère, que pour exiger qu’il reste en
place. Il a même tenu à donner son avis
sur la journaliste politique que devrait
embaucher une radio et sur le directeur
que ne devrait pas engager Libération !
Ne prend-il pas un malin plaisir à lancer
aux journalistes qui lui font cortège : « Je
connais très bien votre patron. Je sais ce
qui se passe dans votre rédaction. »
On s’interroge donc : outre ses très
fortes accointances avec les grands
patrons des groupes de médias, estce
la crainte qu’il suscite, la peur des
représailles s’il est élu, qui expliquent
cette relative impunité dont bénéficie
Sarkozy quand il tient des propos ou
16 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Election
présidentielle
2007
é v é n e M e n t
prend des initiatives qui, venant de
Le Pen ou de Ségolène Royal, provoqueraient
une irruption réprobatrice
dans le landernau ?
Pourquoi toutes ces angoisses affichées
en privé, peut-être excessives, mais
qui ne s’expriment jamais en public :
cette star de la télévision évoque, en cas
de victoire du candidat UMP, « un risque
de contrôle quasi totalitaire des médias » ;
cette consœur de LCI se dit « terrorisée à
l’idée d’une présidence sarkozyste » ; cette
journaliste du Figaro, qui connaît bien le
candidat, et livre une description effectivement
assez dantesque de son caractère.
Mais pas question de se dévoiler. Il
fait peur. « Ma rupture avec lui, confie
Jean-François Probst, ex-secrétaire général
adjoint du RPR des Hauts-de-Seine
et collaborateur de Charles Pasqua, c’est
le gaullisme. Je voulais, j’espérais qu’il
serait l’homme de rassemblement. Or, il
ne cesse de semer la division. Et j’ai passé
l’âge de me laisser impressionner par un
Hortefeux hystérique. »
Mais les autres ?
leS confrèreS
étranGerS oSent, eux !
Les confrères étrangers, eux, n’ont évidemment
pas ces pudeurs. Le correspondant à
Paris d’une radio suédoise interroge tout
de go : « Sarkozy ne représente-t-il pas un
risque de dictature ? » Un journaliste de la
télévision croate qui a suivi le candidat dans
ses pérégrinations en dresse un portrait,
d’ailleurs exagéré, à faire dresser les cheveux
sur la tête. Le Süddeutsche Zeitung de
Munich dépeint « un macho sans scrupule
et brutal qui joue avec la peur des gens ». Le
Frankfurter Allgemeine Zeitung lui décerne
le prix de « l’homme politique le plus ambitieux
et plus impitoyable d’Europe qui n’a
pas de vraie conviction, mais s’aligne sur
l’humeur du peuple ». Le quotidien espagnol
El Pais voit en lui un héritier populiste des
« régénérationnistes de la droite espagnole
de la fin du XIX e siècle ». Le Tageszeitung
de Berlin (de gauche, il est vrai) décrit un
George Bush tricolore qui veut imposer en
France l’idéologie de la droite néoconser-
Paris, le 30 mars 2007.
vatrice américaine. La presse italienne
insiste sur sa proximité avec la droite postfasciste
de la péninsule (qui s’est, avec
Gianfranco Fini, ouverte à la modernité).
Si la presse conservatrice britannique
identifie volontiers, avec admiration,
Sarkozy à Mme Thatcher, la plupart des
journaux européens, en particulier scandinaves,
l’assimilent plutôt à un aventurier
néobonapartiste qui représenterait une
grave menace pour la démocratie.
la peur de la trappe
En France, en revanche, tout se passe
comme si ce type d’analyse était indicible.
On n’ose pas. On a peur. De quoi ? Des
représailles si Petit César l’emporte ? De
la trappe qui s’ouvrira aussitôt ?
Celle qui s’est ouverte, par exemple,
sous les pieds de la députée UMP Nadine
Morano. Elue de Lorraine, fervente sarkozyste,
talentueuse femme de tempérament,
n’ayant pas froid aux yeux, elle faisait partie
de la task force du candidat. Et, soudain,
à la trappe ! Officiellement, parce qu’un
françois mori / ap / sipa
14 au 20 avril 2007 / Marianne 17
reportage diffusé sur France 3 lui a attribué
un rôle un peu ridicule. Mais il se trouve
qu’étant l’une des rares à oser s’adresser
avec franchise à son héros elle lui avait
fait remarquer que, entouré d’une nuée
de courtisans qui passaient leur temps à
chanter ses louanges et sa gloire, il était
devenu allergique à la moindre remarque
critique. Elle s’était en outre inquiétée de
sa tendance à s’immerger compulsivement
dans les sondages qui lui renvoyaient
constamment sa propre image. Résultat :
out ! « Cramée », disent les « bonnes camarades
» de la pécheresse. Il fait peur.
Eh bien, il est temps de soulever
cette chape de plomb. De braver cette
conspiration du silence.
catherine nay
entre leS liGneS
Il y a quelques mois, Guillaume Durand
consacrait deux heures de son émission
« Esprits libres », au livre plutôt hagiographique
de Catherine Nay consacré à Nicolas
Sarkozy. Les livres hostiles au candidat
UMP, assez nombreux, n’ont jamais eu
cette chance. Or la lecture de cet ouvrage,
honnête malgré tout, laisse une impression
étrange. Certes il est censé vanter les
qualités du « grand homme » ; mais, en
même temps, et au second degré, il en
dresse un portrait psychologique extraordinairement
préoccupant : celui d’un
homme dont l’unique véritable sujet de
préoccupation est lui-même, sa propre
saga et sa quête obsessionnelle du pouvoir.
L’histoire qui le fascine, c’est la sienne ;
de l’humanité, il ne retient que sa part ;
son ascension, à quoi se réduit son seul
idéal, débouche sur l’arrivée au sommet
qui constitue son seul rêve. Il ne lit qu’un
livre, celui dont son ambition constitue la
trame. N’écoute qu’une seule musique,
celle qui lui permet sans répit de chanter
son épopée. Aucune ouverture sur une autre
perspective que celle dont sa personne
dessine l’horizon, sur un autre monde que
celui dont il occupe le centre.
Analyse-t-il les changements qui se
produisent autour de lui, dans la société ?
Non… Mais, sans cesse, il revient sur le seul
changement qui l’obsède et rythme ses discours
: son propre changement, dont il fait
comme un ressort. « C’est vrai, explique-t-il
à Catherine Nay, j’étais égoïste, dépourvu
de toute humanité, inattentif aux autres,
dur, brutal… Mais j’ai changé ! » Sans cesse
ensuite, au grand désarroi de ceux qui
l’idolâtraient quand il était, à l’en croire,
si mauvais, il fera l’aveu de tout ce que lui
reprochent ses adversaires pour mieux
magnifier l’ampleur des métamorphoses
par quoi il se transcende. Quitte à se révéler,
à l’usage, plus égotique et plus brutal
encore. Au philosophe Michel Onfray il
déclare, dans Philosophie Magazine :
é v é n e M e n t

ludovic / rea
« Je vais peut-être vous consterner, mais
je suis en train de comprendre la gravité
des choix que j’ai faits. Jusqu’à présent, je
n’avais pas mesuré. »
il n’a paS le droit
de le dire
Finalement, le livre de Catherine Nay,
bien que non suspect de malveillance,
ne révèle-t-il pas une certaine folie et des
pulsions autocratiques chez cet homme
qu’elle qualifie elle-même de « bonapartiste
» ? L’hypothèse formulée suscite,
aussitôt, une levée de boucliers indignée
sur le plateau de l’émission. On n’a pas le
droit de dire ça ! Verboten ! Le directeur
du Point, Franz-Olivier Giesbert, siffle le
hors-jeu. Lequel Giesbert, pourtant, ne se
gêne nullement pour déclarer Dominique
de Villepin passible de l’asile d’aliénés. Un
talentueux éditorialiste de droite convient,
en coulisse, qu’il y a « un vrai problème ! ».
Halte là ! On n’a pas le droit de dire ça !
C’est tabou !
Pourtant, sur toutes les ondes. Eric
Besson, l’ex-responsable socialiste, a pu
expliquer que Ségolène Royal, Bécassine
dangereusement allumée, déjà comparée
par Brice Hortefeux à Pol Pot, au fasciste
Doriot et à Staline, représente un mixte
du maréchal Pétain et du général Franco.
Concernant Chirac, Villepin, Le Pen ou
José Bové, on peut également tout oser. Ce
n’est qu’à propos de Nicolas Sarkozy qu’on
n’aurait « pas le droit de dire ça ! ». Mais
qu’en revanche il serait loisible, comme
Paris Match la semaine dernière, de lui
consacrer, sur des pages et des pages,
des dithyrambes grotesques dignes de
Ceausescu, certains journalistes de ce
magazine dussent-ils nous avouer qu’ils
en auraient « pleuré de honte », mais
qu’on ne peut rien contre un ordre d’en
haut ! (L’Express a même fait, sur deux
pages, ce titre ubuesque : « Sarkozy : il
gardera son calme. »)
et, pourtant, en privé,
ilS le diSent
Tous les journalistes politiques savent,
même s’ils s’interdisent (ou si on leur interdit)
d’en faire état, qu’au sein même du
camp dont Sarkozy se réclame on ne cesse
de murmurer, de décliner, de conjuguer.
Quoi ? Ça ! Lui confier le pouvoir, c’est,
déclara Jacques Chirac à ses proches,
« comme organiser une barbecue partie
en plein été dans l’Estérel ». Claude Chirac
a, elle, lâché cette phrase : « J’aurais préféré
Juppé. Lui, au moins, c’est un homme
d’Etat. » Le ministre libéral François Goulard
ne le dissimule pas : « Son égotisme,
18 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Election
présidentielle
2007
é v é n e M e n t
Paris, le 8 mai 2006. mulhouse, le 24 novembre 2006.
son obsession du moi lui tient lieu de pensée.
La critique équivaut pour lui à une déclaration
de guerre qui ne peut se terminer
que par la reddition, l’achat ou la mort de
l’adversaire. » Sa principale faiblesse ? Son
manque total d’humanisme. « Chirac, lui,
a le souci des autres, de l’homme. Sarkozy
écrase tout sur son passage. Si les Français
savaient vraiment qui il est, il n’y en a pas
5 % qui voteraient pour lui. »
Un des plus importants hiérarques de
l’UMP, officiellement soutien fervent du
candidat (comment faire autrement ?),
renchérit : « Sarkozy, c’est le contraire de
l’apaisement. Chirac, vous verrez, on le
regrettera. Lui, il n’a jamais eu de mots violents.
» « Attention, met en garde le ministre
de l’Agriculture, Dominique Bussereau,
on va très vite à la révolte aujourd’hui. »
« La France, c’est du cristal », dit, inquiet,
Jean-Pierre Raffarin.
Dominique de Villepin a mis sa langue
dans sa poche. Il n’en pense pas moins…
que Sarko « a loupé sa cristallisation » ; que
« sa violence intérieure, son déséquilibre
personnel, l’empêchent d’atteindre à la
hauteur de la présidence ». Les chiraquiens
du premier cercle, Henri Cuq (ministre
délégué aux Relations avec le Parlement),
ou Jérôme Monod, le conseiller, ne veulent
pas déroger à la consigne du silence. Mais,
en petit comité, les mêmes mots reviennent
: « Ce garçon n’est pas mûr. Il n’est pas
fini. Il a un compte à régler avec la vie qui
le pousse à créer de l’affrontement partout,
et non à rassembler. » D’autres brodent :
« C’est un enfant qui n’atteindra jamais
l’âge adulte. » A quoi Roselyne Bachelot
réplique : « Mais tous les hommes sont
immatures ! » On ne parle plus, on n’ose
plus parler, comme hier – du moins tout
fort –, de « malfrat » ou de « petit voyou »
(pourtant, ce qu’on l’a entendu !). Mais,
dans les coulisses de l’Elysée, on laisse
simplement tomber : « On fait confiance
au peuple français ! » Et, justement, il y
a encore trois semaines, on se communiquait,
en jubilant, les sondages qui
indiquaient une montée en puissance de
François Bayrou. Non point qu’on l’aime,
celui-là, ce « démocrate-chrétien jésuitique
» mais, enfin, on ne va pas « laisser la
France tomber entre les mains de Catilina »,
dangereux aventurier populiste romain
dénoncé par Cicéron.
coMMe une bande
deS « citéS »
Un député UMP spécialiste des problèmes
juridiques, eut le malheur de s’opposer
au ministre de l’Intérieur à propos des
« peines plancher ». Il est, et reste, sarkozyste.
Pourtant, il fait part de son effarement.
Cette simple prise de distance lui
valut d’être désigné du doigt, menacé de
représailles, ostracisé par le clan avec une
violence « digne d’une bande des cités ».
C’est d’ailleurs un ex-haut responsable
du RPR qui raconte : « En septembre 1994,
aux journées parlementaires de Colmar,
alors que Balladur était donné gagnant
par tous les sondages, on eut affaire à la
garde rapprochée de Sarkozy. Elle respirait
l’arrogance, elle y allait de toutes les menaces.
On disait aux députés restés fidèles à
Chirac qu’il allait “leur en cuire”. » L’ancien
vice-président du RPR des Hauts-de-Seine
Jean-François Probst confirme : « Sarkozy
croit toujours, comme en 1995, qu’il peut
intimider les gens. Quand je l’ai rencontré,
dans les années 80, il avait déjà ses qualités
– énergie, ténacité –, et ses défauts,
dont j’imaginais qu’il les corrigerait. Je
pensais, notamment, qu’il comblerait son
inculture. Bernique ! Il n’a fait que courir
d’une lumière l’autre. Il est fasciné par ce
qui brille, les nouveaux riches, le show
off, les copains à gourmettes même s’ils
trichotent avec les règles communes, Tom
Cruise qu’il reçoit à Bercy, ébloui, et fait
raccompagner en vaporetto. »
Bien sûr, si les chiraquiens maintenus,
les derniers villepinistes, les ultimes vrais
gaullistes, quelques libéraux ou ex-centristes
ralliés à l’UMP confient, à qui veut
les entendre (mais les journalistes qui
les entendent n’en rapportent rien), que
14 au 20 avril 2007 / Marianne 19
l’hypothèse d’une présidence Sarkozy les
terrifie ; qu’il y a « de la graine de dictateur
chez cet homme-là » ; que, constamment,
« il pète les plombs », de très nombreux élus
UMP, les plus nombreux, sont devenus des
groupies enthousiastes de l’homme qui
seul peut les faire gagner et dont personne
ne nie les formidables qualités de battant.
Et le courage. Mais même eux n’étouffent
pas totalement leur inquiétude et soulignent
volontiers sa violence. « Oui, c’est
vrai, reconnaît l’un deux, il antagonise, il
clive, il joue les uns contre les autres avec la
plus extrême cruauté. » « Il n’est vraiment
totalement humain, confie un autre, que
quand il s’agit de lui-même. » « Il a un
problème de nerfs, de paranoïa, admettent-ils
tous, mais il s’arrange, il mûrit, il
se densifie. » Voire…
un lourd Secret
Donc, il y aurait, s’agissant du caractère de
Sarkozy et de son rapport à la démocratie,
comme un lourd secret qui, au mieux,
préoccupe ses amis, au pis, angoisse ou
affole ceux qui savent, un terrible non-dit
dont bruissent les milieux politico-journalistiques,
mais que les médias s’interdisent,
ou se voient interdire, de dévoiler.
Il fait peur !
La gauche elle-même participe de cette
occultation. Sans doute s’attaque-t-elle à
christian hartmann / sipa
é v é n e M e n t

Sarkozy, parfois même avec outrance et
mauvaise foi. Mais que lui reproche-t-elle ?
D’être de droite, ou même, stigmatisation
suprême, une sorte de « néoconservateur
américain à passeport français », comme le
clamait Eric Besson avant de retourner sa
veste. Est-ce un crime ? La diabolisation de
la différence est aussi contestable venant
d’un bord que de l’autre. Le débat démocratique
implique qu’il y ait une gauche, un
centre, une droite, cette dernière n’étant
pas moins légitime que ses concurrents.
De même qu’une partie de l’opinion reproche
au PS d’avoir trahi l’idéal socialiste ;
de même une autre partie, importante,
estime que Jacques Chirac a blousé son
électorat en menant une vague politique
de « centre gauche » et exige un fort coup
de barre à droite.
C’est cette aspiration « à droite toute »
que Sarkozy incarne avec énergie et talent.
Le combattre n’exige nullement qu’on
criminalise a priori cette incarnation.
il eSt de droite,
et aprèS ?
Oui, Sarkozy, en son tréfonds – et même
si on l’a convaincu de ne plus rien en laisser
paraître –, est « atlantiste » et entend
rompre avec la politique gaulliste d’« orgueilleuse
» prise de distance à l’égard des
Etats-Unis. Oui, il se réclama de George
Bush à l’époque où celui-ci triomphait ;
oui, il est le candidat quasi unanimement
soutenu par le CAC 40, le pouvoir
financier et la très haute bourgeoisie ; oui,
ses convictions en matière économique
et sociale en font plus le disciple de
Mme Thatcher que de Philippe Séguin ;
oui, il se sent beaucoup plus proche du
modèle néolibéral anglo-saxon que du
modèle français mixte tel que l’ont façonné
les gaullistes, les sociaux-démocrates et
les démocrates-chrétiens. Le publicitaire
Thierry Saussez, qui lui est tout acquis,
explique que « sa manière de faire de la
politique renvoie à ce que les patrons et
les salariés vivent dans leurs entreprises ».
Tout est business.
Mais, finalement, en tout cela, il ne se
distingue guère des droites européennes
qui, comme lui, veulent démanteler l’Etatprovidence
et approuvèrent la guerre de
George Bush en Irak.
Au demeurant, son pragmatisme, son
cynisme même, son « populisme » de tonalité
bonapartiste, son intelligence instinctive,
ne permettent nullement de le décrire
en ultralibéral ou en idéologue illuminé.
Enfin, même si sa proximité avec la droite
néofranquiste espagnole ou berlusconienne
italienne n’en fait effectivement
pas un « modéré », loin de là, et même si
la rhétorique agressivement extrémiste
qu’il déroule, depuis quelques semaines,
le déporte loin du centre, le qualifier de
jean-claude coutausse / fedephoto pour « le monde »
angers, le 1 er décembre 2006.
« facho » ou de « raciste », comme s’y risque
l’extrême gauche, est une stupidité.
Pourquoi faudrait-il (à condition de
ne pas abuser des camouflages logomachiques
comme le fait le champion UMP
quand il cite Jean Jaurès ou multiplie les
envolées « ouvriéristes ») que se situer
à droite constitue, en soi, un délit ? On
accuse également Sarkozy, ici de soutenir
« l’Eglise de Scientologie », et là d’avoir
promis à Chirac une amnistie contre son
soutien. Mais il n’existe aucune preuve.
Donc, on ne retient pas.
cette vérité
interdite
Le problème Sarkozy, vérité interdite, est
ailleurs. Ce que même la gauche étouffe,
pour rester sagement confinée dans la
confortable bipolarité d’un débat hémiplégique,
c’est ce constat indicible : cet
homme, quelque part, est fou ! Et aussi
fragile. Et la nature même de sa folie est de
20 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Election
présidentielle
2007
é v é n e M e n t
celle qui servit de carburant, dans le passé,
à bien des apprentis dictateurs.
Oh, évidemment, cela se murmure, au
point même de faire déjà, au sein de la couche
supérieure de la France qui sait, et au
fond des souterrains de la France qui s’en
doute, un boucan d’enfer. Les médiateurs
savent, les décideurs le pressentent. Mais
les uns et les autres ont comme signé un
engagement : on ne doit pas, on ne doit
sous aucun prétexte, le dire.
Etrange atmosphère que celle qui fait
que, dans cette campagne électorale, ce
qui se dit obsède peu, mais ce qui obsède
énormément ne se dit pas ; que ce dont
on parle au sein des médias et chez
les politiques, les médias, précisément, et
les politiques n’en parlent pas !
« Fou », entendons-nous : cela ne
rature ni l’intelligence, ni l’intuition, ni
l’énergie, ni les talents du personnage.
« Fou » au sens, où, peut-être, de considérables
personnages historiques le furent
ou le sont, pour le meilleur mais, le plus
souvent, pour le pire. Ecoutons ce que
nous confie ce député UMP, issu de l’UDF,
officiellement intégré à la meute « de
Sarkozy » : « On dit qu’il est narcissique,
égotiste. Les mots sont faibles. Jamais je
n’ai rencontré une telle capacité à effacer
spontanément du paysage tout, absolument
tout, ce qui ne renvoie pas à luimême.
Sarko est une sorte d’aveugle au
monde extérieur dont le seul regard possible
serait tourné vers son monde intérieur.
Il se voit, il se voit même constamment,
mais il ne voit plus que ça. »
pluS fort que lui…
Au fond, où est le mystère ? Sarkozy, c’est
peut-être une qualité, est transparent. Aux
autres et à lui-même. Moins il regarde, plus
il se montre, s’affiche, se livre. D’autant,
comme le reconnaît un publicitaire qui a
travaillé pour lui, qu’il ne sait pas se réfréner,
se contraindre. « Il est tellement fort,
ajoute-t-il drôlement, qu’il est plus fort que
lui. » La raison ne parvient jamais à censurer
son tempérament. Prompt à interdire,
il ne sait pas s’interdire. Quelque chose
en lui, d’irrépressible, toujours, l’entraîne
au-delà. « Sur un vélo, rapporte Michel
Drucker qui a souvent pédalé à ses côtés,
même quand il s’agit d’une promenade, il
se défonce comme s’il devait constamment
battre un record. »
Tous ses proches emploient spontanément
la même expression : « Il ne peut pas
s’empêcher. » Par exemple, de dire du mal
de Chirac, même quand la prudence exigerait
qu’il s’en abstienne. Ainsi, en 1994,
cette salve : « L’électroencéphalogramme de
la Chiraquie est plat. Ce n’est plus l’Hôtel
de Ville, c’est l’antichambre de la morgue.
Chirac est mort, il ne manque plus que les
trois dernières pelletées de terre. » Il ne peut
pas s’empêcher, non plus, de se livrer à un
jubilatoire jeu de massacre en direction de
ceux, de son propre camp, qui ne sont pas
de sa bande ou de sa tribu. « Jamais, peutêtre,
un leader politique n’avait aussi systématiquement
pris son pied – dixit une de
ses victimes au sein de l’UMP – à assassiner,
les unes après les autres, les personnalités
14 au 20 avril 2007 / Marianne 21
de son propre camp pour, après le carnage,
rester seul entouré de ses chaouches. » Après
la défaite de 1995, ne s’est-il pas livré, dans
le journal les Echos, sous pseudonyme, à
une descente en flammes de ses propres
comparses : François Fillon ? « Un nul qui
n’a aucune idée. » Michel Barnier ? « Le vide
fait homme. » Philippe Douste-Blazy ? « La
lâcheté faite politicien. » Alain Juppé ? « Un
dogmatique rigide. Fabius en pire. » Quant
à Villepin, il s’est plu, si l’on en croit Franz-
Olivier Giesbert, à lui promettre de finir
« pendu au croc d’un boucher ». Vis-à-vis
des autres, fussent-ils des amis politiques,
aucune tendresse ! Jamais !
il Suffit de l’écouter
Sarkozy, il suffit, au demeurant, de le lire
ou de l’écouter. De quoi parle-t-il ? De
lui. Toujours. Compulsivement. Psychanalytiquement.
Que raconte-t-il ? Lui !
Qui prend-il comme témoin ? Lui ! Qui
donne-t-il en exemple ? Lui ! Il est, jusqu’au
délire parfois, sa propre préférence. Jamais
hors « je ». Ce « je » qui, à l’entendre, est
forcément « le seul qui », « le premier à »,
« l’unique capable de », « le meilleur pour ».
Comme si l’univers tout entier était devenu
un miroir qui ne lui renvoie plus que son
reflet, quitte à entretenir constamment
chez lui l’angoisse que le miroir lui dise
un jour, comme à la marâtre de Blanche-
Neige, qu’il n’est « plus la plus belle ».
C’est pourquoi, d’ailleurs – et même
ses proches s’en effarent –, il vit constamment
immergé dans les enquêtes d’opinion,
qui, plusieurs fois par jour, ont
pour objet de le rassurer sur l’évolution
de son image. Un argument ne passe
pas ? On y renonce. Un mot fait tilt ? On
le répète à satiété. Une peur s’exprime ?
On la caresse dans le sens du poil. Le
public veut des expressions de gauche ?
On lui en servira. Une musique d’extrême
droite ? On la lui jouera. Il a même
été jusqu’à faire l’éloge de la violence
sociale… des marins pêcheurs.
Il commande tellement de sondages
qu’il est devenu le meilleur client de certains
instituts, qui, du coup, ont quelques
scrupules à ne pas satisfaire son
contentement de soi. Il a même réussi à
inspirer à l’Ifop des sondages, publiés dans
le Figaro, dont les questions quasiment
rédigées par son entourage (sur l’affaire
de Cachan ou la polémique avec les juges)
ne permettaient pas d’autres réponses
que celles qui le plébiscitaient.
il eSt « le Seul qui… »
Etrangement, si, constamment confronté
à son reflet, il ne cesse d’intervenir pour en
corriger les ombres, sa capacité d’écoute
(ou de lecture) est extrêmement faible.
Invite-t-il des intellectuels médiatiques
à déjeuner au ministère de l’Intérieur
é v é n e M e n t

que l’un d’eux, Pascal Bruckner (qui
pourtant le soutient), explique que, loin
de s’imprégner de leurs analyses, il a pratiquement
parlé tout seul. Reçue par lui,
la démographe Michèle Tribalat lui écrit :
« J’ai pu apprécier votre conception du
débat. Vous n’imaginez pas qu’un autre
point de vue (que le vôtre) présente un quelconque
intérêt. » D’ailleurs, il refuse les
débats. Lors de ses prestations télévisées,
on s’arrange pour qu’il n’ait jamais de vrais
contradicteurs pouvant exercer un droit de
suite. Le plus souvent, il choisit, d’ailleurs,
lui-même les autres intervenants.
Cette abyssale hypertrophie du moi, à
l’évidence, entretient chez Sarkozy cette
hargne de conquête, de contrôle, cette
boulimie de pouvoir exclusif, le conduit à
éradiquer toutes les concurrences potentielles
et à neutraliser, à étouffer contestations
et critiques. Il suffit, d’ailleurs, de
l’écouter, mais aussi de le regarder « être »
et « faire ». Jamais il ne se résout à n’être
qu’un membre, fût-ce le premier, d’un collectif.
Forcément l’unique, le soleil autour
duquel tournent des affidés. D’où sa prédilection
pour un entourage de groupies
de grandes qualités et de grands talents, à
la vie à la mort, « une garde rapprochée »
comme on dit, mais aussi de porte-serviettes
et de porte-flingues, de personnages
troubles encombrés de casseroles et de
transfuges. Avec eux, peu de risques !
double diScourS
Il y a, chez Sarkozy, une incroyable dichotomie
du discours (ou plutôt du double
discours). Seul peut l’expliquer le fait
que le rapport à lui-même est, chez lui,
à ce point central que cette centralité de
l’ego épuise en elle-même, et donc en
lui-même, toute contradiction. Ainsi, au
lendemain de ses brutales tentatives de
criminalisation de ses concurrents, Bayrou
l’ayant épinglé sur l’affaire du déterminisme
génétique, il déclare benoîtement :
« Un candidat devrait s’abstenir de toute
attaque contre ses adversaires ! » Le jour
même où il décide de jouer à fond, contre
les candidats qui lui sont opposés – et avec
quelle violence ! –, la stratégie guerrière de
l’affrontement manichéen, il présente un
opuscule dans lequel il explique (sous la
rubrique « J’ai changé ») qu’il eut, certes,
sa phase brutale, mais qu’il est désormais
totalement zen et apaisé. Azouz Begag,
dans son récit, rapporte que, lorsqu’il osa
critiquer l’emploi du mot « racaille », le
ministre de l’Intérieur hurla qu’il s’agissait
d’un scandaleux manque de solidarité
gouvernementale, qu’il était inconcevable
qu’un ministre critique un collègue.
Or, depuis des mois, il avait lui-même
déclenché un tir nourri contre Chirac et
Villepin, son président de la République
et son Premier ministre.
D’une façon générale, il en appelle
christophe ena / ap / sipa
volontiers à une solidarité sans faille des
siens, tout son camp devant se mettre à
sa disposition, mais, pendant la crise du
CPE, alors qu’il avait lui-même, le premier,
préconisé ce type de contrat de travail, non
seulement il en pointa soudain l’inanité et
exigea son retrait, mais, en outre, il incita
l’un des leaders de la révolte estudiantine
à « tenir bon ». Il s’agissait, évidemment,
d’achever Villepin.
coMMe on aSSaSSine
touS leS concurrentS…
A entendre les chiraquiens, même ceux
qui se sont ralliés à son panache, c’est lui,
Sarkozy, qui, ministre du Budget de Balladur,
lança la justice sur la piste du scandale
des HLM de Paris après que, dans l’espoir
d’un étouffement, l’industriel Poullain, le
22 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Election
présidentielle
2007
villebon-sur-yvette, le 20 mars 2007.
é v é n e M e n t
patron d’une société de revêtement, eut
emmené le dossier à son lieutenant, Brice
Hortefeux. Objectif ? Abattre Chirac ! C’est
lui encore, prétendent-ils, qui aurait fait
révéler, au Canard enchaîné, l’affaire de
l’appartement d’Hervé Gaymard, en qui il
voyait un adversaire. C’est lui encore qui
fit distiller, dans la presse, de quoi faire
continuellement rebondir le feuilleton
du scandale Clearstream transformé en
machine à broyer et achever Dominique
de Villepin. Quand, dans un grand meeting
parisien, il lança que la victoire du
oui au référendum européen permettrait
de sortir, enfin, du modèle social français,
n’était-il pas conscient qu’il favorisait de la
sorte le camp du non et, par voie de conséquence,
plombait le pauvre Jean-Pierre
Raffarin ? Autrement dit, soyez avec moi,
moi qui ai profité de toutes les occasions
pour être contre vous. En fait Sarkozy vit
ses contradictions comme une cohérente
unicité de parcours dès lors que c’est lui,
l’unique, le point central, qui porte et justifie
cette cohérence. Ainsi, lorsqu’il accuse ses
concurrents, de gauche ou centristes, d’être
les candidats de la fraude, de la voyoucratie
et de la dégénérescence morale, c’est le
jour où Tapie, l’un des rares affairistes qui
lui manquait encore, se rallie à lui.
faillite Morale, dit-il
Quelle capacité d’auto-amnistie cela
révèle !
Car, enfin, se faire, fût-ce en partie,
offrir un luxueux appartement aménagé
par le promoteur qu’on a systématiquement
favorisé en tant que maire, et dans
l’espace dont on a, toujours comme maire,
financé l’aménagement, est-ce un exemple
d’attitude hautement morale ? Permettre,
après qu’on fut devenu ministre, à son
ancien cabinet d’avocats, en partie spécialisé
dans les expulsions de locataires
après vente à la découpe, de continuer à
porter son nom – société Arnault Claude-
Nicolas Sarkozy –, ce qui s’avère d’autant
plus intéressant qu’on continue à détenir
un gros paquet d’actions et à toucher des
dividendes –, est-ce le modèle même du
comportement impitoyablement moral ?
Publier un livre consacré à l’ancien ministre
Georges Mandel qui se révèle, pour
partie au moins, être un plagiat coupécollé
de la thèse universitaire de Bertrand
Favreau, certaines erreurs comprises, estce
la quintessence du moralisme intégral
? Est-ce une moralité sans faille qui
permit à Thierry Gaubert d’organiser son
vaste système de gestion arnaqueuse du
1 % logement dans les Hauts-de-Seine à
l’ombre des réseaux sarkozystes dont il
14 au 20 avril 2007 / Marianne 23
fut, un temps, l’un des principaux rouages
? Est-ce sous le drapeau de la moralité
qu’on envoya de gros clients très évasifs
au banquier suisse Jacques Heyer qui,
d’ailleurs, consuma leur fortune (celle de
Didier Schuller en particulier) ? Les rapports
d’affaires (ou de tentatives d’affaires)
avec l’intermédiaire saoudien Takieddine
étaient-ils placés sous le signe de l’intégrisme
moral ? Le soutien constant apporté
aux intérêts du groupe Barrière dans les
casinos et les machines à sous ne fut-il
dicté que par des considérations moralistes
? Pourquoi, enfin, avoir promis de
rendre public son patrimoine et être le
seul à s’en être abstenu ?
un SyStèMe clanique
Sarkozy n’est pas du tout un malhonnête
homme. Simplement il est, fût-ce à son
corps défendant, le pur produit d’un système,
celui du RPR des Hauts-de-Seine,
dont Florence d’Harcourt, l’ex-députée
gaulliste de Neuilly, a crûment décrit l’irrépressible
mafiosisation, renforcée par le
déferlement des flux financiers immobiliers
générés par le développement du quartier
de la Défense, dont Sarkozy tint d’ailleurs à
présider l’établissement public.
Son suppléant, en tant que parlementaire,
fut d’ailleurs le maire de Puteaux,
Charles Ceccaldi-Raynaud, puis sa fille qui,
bien qu’adjointe à la mairie de Puteaux,
bénéficia en même temps d’un emploi fictif
à la mairie de Neuilly. Quand Sarkozy voulu
récupérer son siège de député, hop !, on la
nomma au Conseil économique et social.
Devenu, à tort ou à raison, le symbole d’une
certaine « ripouïsation » d’un demi-monde
de politiciens locaux, Ceccaldi-Raynaud,
petit dirigeant socialiste en Algérie française,
dû regagner précipitamment la métropole
à la suite des graves accusations dont il était
l’objet, y compris d’avoir toléré des mauvais
traitements dans un camp de prisonniers
dont il était responsable. En France, élu de
la gauche SFIO à Puteaux, il passa à droite
et, lors de l’une de ses premières campagnes
électorales, ses gros bras tuèrent un
militant socialiste et en blessèrent d’autres.
Ensuite, il traîna derrière lui tellement de
casseroles (dernière affaire : il est mis en
examen dans une affaire de marché truqué
de chauffage urbain) qu’il devint une sorte
de mythe. Sarkozy, ce qui plaide peut-être
en faveur de son sens de la fidélité, ne l’a
jamais lâché, même quand, ministre des
Finances, il aurait pu ou dû. Quand la fille
Ceccaldi-Raynaud, députée-maire à son
tour, mécontente des critiques d’un journaliste
blogueur, laisse publier sur le site de
la mairie une lettre laissant supposer une
inclinaison infamante, Sarkozy ne moufte
toujours pas.
Il resta pareillement fidèle à son grand
ami le député-maire de Levallois Patrick
Balkany. Quand ce dernier, archétype
é v é n e M e n t

patrick kouarik / afp
lui aussi du roi de la magouille affairisto-municipale,
employeur à son seul
profit du personnel de la mairie, accablé
par la justice et accusé, en prime, de
se livrer à des fellations sur menace de
revolver, écarté du RPR, est défié par
un gaulliste clean, Olivier de Chazeaux,
qui soutint Sarkozy ? Patrick Balkany.
C’est-à-dire le délinquant. Notons que
les Levalloisiens, par suite d’une gestion
que soutient Sarkozy, supportent une
dette de 4 000 à 6 000 € par habitant.
C’est, d’ailleurs, le cabinet d’avocats
Sarkozy qui défend, en autres, la mairie
de Levallois, laquelle accumule les
contentieux.
qui Sont SeS SoutienS ?
Faut-il rappeler que ses principaux et
premiers supporteurs dans le monde
politique ne furent et ne sont pas spécialement
vêtus de probité candide :
Alain Carignon, Gérard Longuet, Thierry
Mariani, Manuel Aeschlimann (150 procédures,
600 000 € de frais d’avocats par
an) et même Christian Estrosi n’ont pas
précisément défrayé la chronique à cause
de la blancheur immaculée de leur curriculum
vitae. Il paraît même que Pierre
Bédier en pince désormais pour lui.
Quant à son fan-club, qui prétendra
qu’il n’est constitué que de parangons
de vertu : Doc Gyneco, chargé comme
un sherpa, Johnny Hallyday qui répudie
la France pour ne plus payer d’impôts,
comme Jean-Michel Goudard, l’un de
ses principaux conseillers en communication,
Antoine Zacharias, le Napoléon
des stock-options ?
Certes, à l’image de Simone Veil ou de
l’écrivain Yasmina Reza, de très nombreuses
personnalités de grande qualité, représentant
tous les milieux et toutes les professions,
soutiennent également Sarkozy,
y compris certaines en provenance d’une
haute intelligentsia réputée de gauche,
mais droitisée par leur soutien à la guerre
d’Irak. Reste que le profil de ses partisans
les plus enthousiastes et les plus engagés,
y compris les plus faisandés des expetits
marquis mitterrandolâtres, ne font
pas nécessairement de Sarkozy (dont il
n’est pas question de mettre en doute
l’intégrité ou l’allergie à la déviance) le
mieux placé pour dépeindre l’ensemble
de ses adversaires en défenseurs
de la fraude, de la délinquance et de la
décadence morale.
« l’identité nationale »,
parlonS-en…
Est-il, en revanche, fondé à se proclamer
seul défenseur de « l’identité nationale » ?
24 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Election
présidentielle
2007
é v é n e M e n t
Mais qui se déclarait « fier d’être surnommé
Sarkozy l’Américain » ?
Qui affirma, aux Etats-Unis, qu’il se
sentait souvent « un étranger dans son
propre pays » ?
Qui regretta que la France ait brandi
son droit de veto pour s’opposer à la
guerre d’Irak ?
Qui stigmatisa, depuis l’Amérique,
« l’arrogance » dont aurait fait preuve
Dominique de Villepin lors de son
fameux discours devant le Conseil de
sécurité de l’ONU ?
Qui, avant de confier au chiracoséguiniste
Henri Guaino le soin de rédiger
ses interventions, opposa sans cesse
le ringardisme du « modèle français » à la
modernité du modèle anglo-saxon ?
Nicolas Sarkozy pourrait d’ailleurs
largement figurer dans la rubrique « Ils
ont osé le dire », tant ses propos, depuis
quinze ans, illustrent éloquemment tout
ce qui précède, c’est-à-dire une dichotomie
rhétorique qui se cristallise dans
l’unicité de son exaltation du moi !
Citons, presque au hasard : « Il y en a
combien qui peuvent se permettre d’aller
à La Courneuve ? Je suis le seul [toujours
le seul !] à être toléré dans ces quartiers. Je
suis le seul ! » « J’irai systématiquement,
toutes les semaines, dans les quartiers
les plus difficiles et j’y resterai le temps
nécessaire » (2005).
alfred / sipa
Paris, le 8 mai 2006. Paris, le 18 mars 2007.
« Kärcher en septembre, 200 000 adhérents
[à l’UMP] en novembre. » « Racaille,
le vocable était sans doute un peu faible.
»
« Vous savez pourquoi je suis tellement
populaire ? Parce que je parle comme les
gens » (avril 2004).
« Maintenant, dans les réunions
publiques, c’est moi qui fais les questions
et les réponses et, à la sortie, les gens ont
l’impression qu’on s’est vraiment parlé »
(le Figaro, mai 2005).
« Les gens qui habitent Neuilly sont
ceux qui se sont battus pour prendre plus
de responsabilités, pour travailler plus
que les autres. »
« Si je ne faisais pas attention, tous les
jours je serais à la télévision jusqu’à ce
que les téléspectateurs en aient la nausée
» (1995).
« Le rôle du politique est de tout faire
pour ne pas exacerber les tensions. Plus
la société est fragile, moins le discours
doit être brutal. La meilleure façon de
faire avancer la société, c’est de la rassurer,
non de l’inquiéter. La réforme doit
être comprise comme un ciment, non
comme une rupture » (juillet 2006 dans
Témoignages).
« Je n’aime pas étaler ce qui, finalement,
appartient à ma vie privée. »
« La France souffre de l’égalitarisme
et d’un état de nivellement. »
« Dans un monde où la déloyauté est
la règle, vous me permettrez d’afficher, de
manière peut-être provocante, ma loyauté
envers Jacques Chirac » (juin 1992).
« Je refuse tout ce qui est artifice pour
façonner à tout prix une image, les photos
avec femme et enfants, la success-story,
vouloir se faire aimer, poser en tenue
décontractée. »
On nous dira, ensuite : il faut lui faire
confiance, il faut le croire. Mais où est
le filet de sécurité ?
le vrai danGer
On évoque obsessionnellement le danger
Le Pen. Il existe un risque, en effet. Un
terrible risque que, comme en 2002, le
leader de l’extrême droite déjoue tout
les pronostics et porte ainsi un nouveau
coup à notre système démocratique.
Mais tout le monde sait que Le Pen, lui,
ne sera pas élu président de la République.
Heureusement, il ne dispose, lui,
contrairement à son adversaire – concurrent
de droite (à l’égard duquel il fait
preuve d’une certaine indulgence), ni
du pouvoir médiatique, ni du pouvoir
économique, ni du pouvoir financier.
Pouvoirs qui, en revanche, si Sarkozy
était élu – et il peut l’être –, ainsi que
le pouvoir policier et militaire, seraient
concentrés, en même temps que les
14 au 20 avril 2007 / Marianne 25
pouvoirs exécutif et législatif, entre les
mêmes mains, lesquelles disposeront, en
outre, d’une majorité au Conseil constitutionnel,
au CSA et au sein de la plupart
des institutions du pays.
Hier, le journal la Tribune trappait un
sondage parce qu’il n’était pas favorable
à Sarkozy ; une publicité pour Télérama
était interdite dans le métro parce qu’elle
était ironique à l’égard de Sarkozy ; un
livre était envoyé au rebut, le patron
d’un grand magazine également, parce
qu’ils avaient importuné Sarkozy ; Yannick
Noah était censuré, parce que ses
propos déplaisaient à Sarkozy. Aucun
journal, fût-il officiellement de gauche,
n’a échappé aux efficaces pressions de
Sarkozy.
Voter Sarkozy n’est pas un crime.
C’est même un droit. Nous ne dirons
pas, nous, que ce candidat représente
la fraude, la délinquance, l’anti-France
et la faillite morale.
Nous voudrions simplement qu’on
se souvienne plus tard – quitte, ensuite,
à nous en demander compte – que nous
avons écrit qu’il représente pour la
conception que nous nous faisons de
la démocratie et de la République un
formidable danger.
S ’ i l e s t é l u , n o u s s a v o n s q u e
n o u s p o u r r i o n s e n p a y e r l e p r i x .
Nous l’acceptons !.
é v é n e M e n t

qui perd gagne...
Et maintenant
le « loto
électoral » !
Lors de ce tirage
au sort, la semaine
dernière à Tirana, la
capitale de l’Albanie,
l’équipement était
standard : une grosse
boule de plastique
transparent montée
sur pivot et tournée
par un moteur.
A l’intérieur, deux
petites boules, dont
l’une contenait un
papier marqué « élu »
et l’autre, « battu ».
Le but de cette loterie
d’un genre un peu
particulier, en effet,
était de désigner
le vainqueur d’une
élection au conseil
municipal, entre
Mira Veizi, le sortant
socialiste, et Gerti
Bogdani, un jeune
loup formé aux
Etats-Unis. Les deux
hommes avaient
obtenu chacun 4 336
voix lors du scrutin, le
18 février dernier. Veizi
a tiré la bonne boule,
mais, comme Bogdani
n’a pas manqué de le
faire remarquer, Veizi
avait refusé par avance
le verdict de la loterie.
« Il ne peut donc pas
en profiter », affirme
Bogdani. Faudra-t-il
recourir aux pistolets
à 10 pas ?.
à la force des poings. Elle gagne sa
libération sur un ring
En prison, elle a appris la boxe. Ses efforts lui
ont ouvert les portes de sa geôle et du monde.
En 2000, Samson Sor Siriporn
a été condamnée à une peine
de dix ans de détention pour
trafic de drogue, et incarcérée
à la prison de Klong Prem, à
Bangkok. Pour se défendre contre
des codétenues
violentes, Siriporn
a appris la boxe
thaïe. Devenue
experte en coups
de poing et coups
de pied, la jeune
femme de 24 ans
vient de remporter
le titre de
championne du
monde de la catégorie
mi-mouche,
après avoir battu
a u x p o i n t s l a
Japonaise Ayaka
Miyano dans un
combat organisé
dans une cour de
la prison. Mais elle
va gagner quelque
chose de plus
précieux encore
que la ceinture
de championne
du monde : sa
liberté. « Nous
allons immédiatement
entamer
une procédure de
tout fout le camp ! six ministres
et un ascenseur… en panne
C ela
fait longtemps que les fonctionnaires
qui travaillent à Dublin
dans les government buildings, siège du
gouvernement irlandais, se plaignent
du délabrement des lieux. Depuis la
semaine dernière, ils ont des chances
d’être entendus : six ministres, dont
ceux des Affaires étrangères, des Finances,
de la Santé, de l’Agriculture et des
Communications, se sont retrouvés pri-
libération anticipée, a annoncé le
directeur de Klong Prem. Nous lui
avons donné sa chance, et elle l’a
saisie. C’est une femme transformée,
et bientôt elle pourra défendre son
titre à travers le monde. ».
Samson Sor Siriporn, championne du monde catégorie mi-mouche.
sonniers pendant une demi-heure dans
un ascenseur en panne. « La cabine
était vraiment petite, a raconté Dermot
Ahern, le ministre des Affaires étrangères.
Nous pouvions à peine bouger. » Le
Conseil des ministres s’était prolongé
jusqu’à l’heure du déjeuner, aussi leurs
appels au secours sont restés vains,
jusqu’à ce qu’un ministre sorte son
portable et appelle… l’armée.
26 Marianne / 14 au 20 avril 2007
i L s L ’ o n t f a i t
rungroj yongrit / epa / sipa
riche comme crésus.
Un magot…
sous les
machines
à sous
L e
Sands avait été l’un
des premiers casinos
à ouvrir à Atlantic City,
dans le New Jersey. En
novembre, après vingtsix
ans d’activité, le
propriétaire décida de
le démolir pour bâtir
un nouveau complexe.
La semaine dernière,
lors du déménagement
des 2 350 machines
à sous, les ouvriers
ont découvert… 17 193
dollars et 34 cents en
pièces de monnaie et
jetons qui avaient roulé
sous les machines. Et
dire qu’il n’y avait qu’à
se baisser….
cocue ?
Un miracle
qui laisse
s(c)eptique
Une habitante de Nanjing
(Chine), mettait
son linge à sécher, la
semaine dernière, sur
son balcon, au sixième
étage d’un immeuble.
Hélas, elle a basculé dans
le vide. Elle n’a subi que
des blessures mineures,
la fosse septique de
l’immeuble était en train
d’être récurée.
au frais.
Mon royaume pour une bière
Profitant d’une permission, un marin russe
assoiffé s’est rendu en canot pneumatique
au Japon pour acheter de la bière. Sergeï
Mikhailovitch Vachkevitch, qui habite l’île russe
de Sakhaline, avait acheté pour 10 000 yens
(63 €) de bière à Hokkaido. Il a été arrêté et
inculpé pour « entrée illégale sur le territoire
japonais », au large des îles Kouriles, dont Tokyo
et Moscou se disputent la souveraineté. Celui
qui voulait se rafraîchir a été mis au frais….
bien fait. Comment deux lycéennes
ont fait plier un laboratoire
Leur expérience de chimie a mis une multinationale
sur la paillasse : condamnée pour publicité mensongère.
GlaxoSmithKline (GSK),
l a m u l t i n a t i o n a l e
pharmaceutique qui
fabrique le Ribena,
une boisson à base
de fruits très populaire dans
le monde anglo-saxon, a été
humilié par deux lycéennes
néo-zélandaises. Pour leur cours
de chimie, Anna Devathasan
et Jenny Suo avaient décidé de
vérifier le slogan publicitaire du
Ribena, « Quatre fois la vitamine
C du jus d’orange ! ». Au bout de
quelques analyses, les jeunes
filles ont prouvé que le Ribena
ne contient que de faibles traces
de vitamine C. Elles ont donc
écrit à GSK pour leur faire part
de leur découverte, mais la com-
pagnie leur a répondu par le
mépris. Les lycéennes ont donc
alerté les pouvoirs publics, et
14 au 20 avril 2007 / Marianne 27
GSK vient d’être condamné à
une amende de 122 000 € pour
publicité mensongère.
mauvais samaritain. L’abbé joue à la guerre du golf
Michael Babin, un prêtre californien,
a deux passions :
l’évangélisation et… le golf. Après
tout, que cet homme de Dieu
aime swinguer sur les parcours
de golf est assez sympathique.
Ce qui l’est nettement moins,
c’est son comportement envers
les autres joueurs. Ainsi, il y a
sur l’air de la jalousie.
L’espion qui lisait mes sMs
tous les Britanniques ne sont pas au service
secret de Sa Majesté, mais ils ne cachent
pas leur penchant pour l’espionnage.
Dans une enquête réalisée pour une exposition
sur la science de l’espionnage à Londres, 53 %
d’entre eux reconnaissent lire en cachette les
messages de l’être aimé, afin de s’assurer de sa
fidélité. L’inspection des SMS apparaît comme
la méthode privilégiée de surveillance par
les couples d’outre-Manche, devant la lecture
des courriels (42 %) et la traditionnelle fouille
des vêtements (39 %). Des pratiques qui ont
fait leurs preuves, même si on est loin
des gadgets sophistiqués de James Bond.
Jenny Suo et Anna Devathasan ont eu l’art et la manière d’arriver à leurs fins.
deux mois, tandis qu’il cherchait
sa balle, accompagné de
son fils, il crut voir au loin un
homme la lui dérober. Aussitôt,
il fonça sur le joueur et lui asséna
un violent coup de poing. Une
fois l’homme à terre, le fils du
prêtre menaça de lui casser le
bras s’il ne s’excusait pas. Jugé en
audience préliminaire la semaine
dernière, le prêtre (qui encourt
quatre ans de prison) a nié les
faits malgré de nombreux témoignages
l’accablant. Violences
sur son prochain, mensonge…
on se demande bien ce que ce
prêtre peut raconter aux gens
qu’il évangélise….
« big brother ». Ramassez vos
ordures, vous êtes filmé !
Le ministère de l’Intérieur
britannique
vient de budgéter près
de 750 000 € pour doter
une vingtaine des zones
urbaines « sensibles »
de caméras de surveillance…
qui parlent.
Ainsi, lorsque le personnel
de contrôle aperçoit
quelqu’un qui jette un
emballage vide sur le
trottoir, celui-ci s’entend
dire sans ménagement
sandra mu / afp
qu’il doit le ramasser.
« Les essais ont montré
que ce système est très
efficace contre l’ivresse
publique, les comportements
antisociaux,
les dépôts d’ordures et
les attroupements de
jeunes délinquants », a
affirmé le ministre John
Reid. Mais de nombreux
citoyens s’inquiètent de
la multiplication des
caméras de surveillance
si on peut
plus rigoler.
Un poisson
d’avril de
mauvais goût
Le 1er avril, un
Chinois du nom
de Lin rentre chez
lui, à Shanghai, après
un voyage d’affaires.
Quand il ouvre la
porte, il aperçoit « un
objet sombre qui se
balançait en l’air ».
Il allume la lumière
et découvre…
le corps pendu
de sa femme, Han.
Il appelle la police
et demande à des
voisins de l’aider à
descendre le corps.
« Soudain, a-t-il
raconté, furibard,
au quotidien local
Evening Post, elle
a éclaté de rire et
m’a crié : “Poisson
d’avril !” Elle n’arrête
pas de me faire des
blagues, cachant
les assiettes ou
changeant la serrure
sans me prévenir.
Mais là, c’est trop !
J’ai l’impression
d’être assis sur une
bombe à retardement.
Je divorce ! » S’il est
cardiaque, on peut
comprendre.
dans les rues, au nombre
de 4,2 millions, et craignent
que la Grande-
Bretagne ne finisse par
ressembler au régime
totalitaire de Big Brother,
décrit par George Orwell
dans son roman 1984.
A ce propos, dans un
rayon de 200 m autour
de la maison où habitait
Orwell à Londres,
il y a… 32 caméras de
surveillance.

les voies
du seigneur.
les
cambrioleurs
de l’église
touchés
par la grâce
l a
révérende Julia
Bolling, pasteur de
l’église méthodiste
de Guyandotte, dans
l’Etat de Virginie-
Occidentale, n’en
revient pas. « Dans la
nuit de lundi dernier,
des cambrioleurs
ont fracturé la porte
de l’église et ont
emporté du matériel
informatique
et audiovisuel
d’une valeur
de 5 000 dollars,
a-t-elle raconté
au quotidien local
Herald Dispatch.
Le lendemain, j’ai
demandé aux fidèles
de s’inspirer de
l’exemple du Christ,
et de prier pour les
voleurs. Mercredi,
quand je suis arrivée
à l’église, la porte
avait été encore
fracturée.
Je me suis précipitée
à l’intérieur et j’ai vu
que tout ce qui nous
avait été volé était
revenu à sa place.
Je ne peux
que remercier
le Seigneur. » Amen.
i l s l ’ o n t f a i t
« Welcome ». soudain, le commandant
de bord… vous insulte !
Maître de son appareil mais pas de son comportement, le
pilote a été débarqué, au grand soulagement des passagers.
Vous avez aimé
Jean-Luc Delarue
en avion ? Alors
vous allez adorer
le commandant
de bord du vol 1190 de Northwest
Airlines qui devait
relier Las Vegas à Detroit
la semaine dernière. Tout
a commencé lors de l’embarquement
des passagers.
Au lieu de vérifier les commandes
de son appareil, le
commandant s’est réfugié dans
les toilettes où, au bout de quelques
instants, il se mit à proférer
des injures. Il était visiblement
au téléphone, mais les passagers
qui entraient dans l’avion furent
légèrement refroidis. Lorsque
enfin le commandant sortit
des wc, un passager lui
fit remarquer qu’une telle
attitude n’était pas digne
d’un chef de vol. Au lieu
de s’excuser et de dire qu’il
réglait un problème personnel,
le commandant se
mit alors à injurier le passager
! Sur ces entrefaites,
la police arriva et trouva
plus sage d’annuler le vol.
Le commandant a été renvoyé
sur sa base de Detroit,
quant aux passagers privés
de pilote, l’histoire ne dit pas
s’ils se sont mis à insulter la
compagnie….
drôle de bobine. Un film pour enfants ? non, un
film gore interdit aux moins de 17 ans !
Dimanche dernier, à
Holtsville, dans l’Etat
de New York, bon nombre
de parents avaient
emmené leurs enfants
voir le film Mimzy, le
messager du futur. Il
s’agit d’un long-métrage
tout à fait charmant dans
lequel un petit garçon
et sa sœur développent
de superpouvoirs
après avoir découvert
passe-droit. Pas besoin d’amnistie
pour les PV en Bulgarie
Quelque peu embarrassé, le
gouvernement bulgare a
reconnu que quasiment aucun
citoyen ne payait ses amendes
routières… parce qu’il n’y a
pas d’organisme pour les percevoir.
Bien que la police ne se
prive pas de distribuer à tirelarigot
des procès-verbaux,
pour stationnement interdit
ou pour des infractions de
conduite, seulement 6 % des
amendes sont payées. Ainsi,
sur plus de 16 millions d’euros
d’amendes infligées l’année
dernière, l’Etat n’a perçu que
1 million d’euros… principalement
de la part de touristes
étrangers, pas au courant du
laxisme local.
une mystérieuse boîte
à jouets. Bonbons, caramels,
esquimaux et chocolats,
l’ambiance était à
la fête dans la salle lorsque
la lumière s’éteignit.
Or, dès les premières
minutes du film, au lieu
de voir le petit garçon
et sa sœur, les spectateurs
découvrirent avec
effroi… une femme en
gros plan accouchant
28 Marianne / 14 au 20 avril 2007
d’un monstre mutant !
Puis, dans la foulée, ce
fut une cascade de têtes
coupées, de cris d’épouvante
et d’hémoglobine.
En fait, le machiniste
s’était trompé de bobine
et projetait aux enfants
La colline a des yeux 2,
un film d’horreur interdit
aux moins de 17 ans. Il
paraît que cet incident
a traumatisé pas mal de
bambins. « Ma femme est
enceinte de huit mois et
mon fils n’arrête pas de
demander si elle aussi
va avoir un mutant »,
raconte un témoin.
« Tous les gamins sont
sortis de là en pleurant »,
affirme un autre. Certes
l’incident est à déplorer
mais ç’aurait pu être pire.
Le machiniste aurait pu
projeter un porno….
miss marple. Détective à… 95 ans !
Une Allemande de 95 ans, pensionnaire d’une maison
de retraite à Saalfeld, a décidé d’élucider une série de vols
mystérieux qui pourrissaient l’ambiance de la résidence. Elle
laissa donc traîner des billets de banque dans sa chambre,
puis se cacha dans les toilettes, laissant la porte légèrement
entrouverte. Quelques heures plus tard, elle aperçut
une femme de ménage empocher prestement les billets.
La mamie appuya alors sur le bouton d’alerte dont sont
équipées les maisons de retraite, et le personnel mit la main
au collet de la voleuse. « Elle nous a avoué qu’elle adorait lire
des romans d’Agatha Christie », a souri le porte-parole de la
police locale. Un stratagème digne de Miss Marple, en effet.

aux anges.
la drogue
était cachée
dans le
vibromasseur
les douaniers de
l’aéroport de Kiev,
en Ukraine, avaient
été prévenus qu’il
y avait de la drogue
à bord d’un vol en
provenance de New
Delhi. Dans les
bagages de Svetlana
Ivanyshka, 26 ans,
ils ont trouvé un
paquet de haschisch,
dissimulé dans…
le compartiment
à batteries de son
vibromasseur. « Elle
nous a avoué qu’elle
avait caché la drogue
là parce qu’elle ne
pensait pas que l’on
oserait examiner
un objet aussi
intime », a raconté
le chef des douanes.
une chance
sur deux.
Distrait, le
chirurgien
se trompe
de testicule
B enjamin
Houghton,
un Américain de
47 ans, devait subir
l’ablation de son
testicule gauche
atteint d’un cancer.
Hélas, le chirurgien
du West Los Angeles
Medical Center lui a
enlevé le testicule…
droit. « Au réveil, j’ai
cru à une blague, a
raconté Houghton
au LA Times. Ensuite
j’étais en état de
choc. » Il réclame
200 000 dollars de
compensation, et
hésite à se faire
enlever le testicule
malade.
i l s l ’ o n t f a i t
étude de marché. le porno sort du ghetto
Fini les godemichés tristounets et les magazines aux
couvertures anatomiques, l’érotisme se met au marketing.
le sexe fait vendre,
paraît-il. Pourtant,
le groupe
allemand Beate
Uhse, numéro
un des sex-shops en
Europe, est au bord
de la faillite. A l’heure
du téléchargement sur
Internet, la vente de
films X ou de gadgets
traditionnels et les
projections particulières
ne font plus recette.
Pour que le succès perdure,
l’entreprise veut
déployer de nouveaux
charmes en sortant les
sex-shops des quartiers
glauques des gares, pour
les respectables centresvilles.
Pour éviter la
panne, Beate Uhse mise
su Ping, une Chinoise de 25 ans,
avait été terriblement déçue
quand son fiancé, qui travaille
dans une ville éloignée, n’était pas
venu la rejoindre pour les fêtes du
nouvel an chinois, contrairement
à ce qu’il avait promis. « J’étais tellement
fâchée que je lui ai écrit une
lettre de rupture, a raconté Su Ping
au Qingdao Morning Post, que j’ai
postée sur-le-champ. Mais, le soir
même, je me suis rendu compte que
Dans les sex-shops européens de Beate Uhse, on fait tout pour sauver le groupe de la faillite.
sur l’« érotisme haut
de gamme », afin de
séduire une clientèle
de couples huppés.
confusion des sentiments. Que faire pour
L’idée : remplacer les
godemichés tristounets
et les magazines hard
par des sex-toys colorés
rattraper une lettre de rupture ?
je l’aimais trop pour le quitter, et je
suis donc retournée à la poste pour
récupérer la lettre. Hélas, le préposé
m’a dit que la lettre était déjà partie.
» Du coup, Su Ping a sauté dans
le premier avion en partance pour
Lamilan, où vit son fiancé. « Non
seulement je suis arrivée à temps
pour intercepter la lettre, préciset-elle,
mais en plus ça m’a permis
de passer le week-end avec lui. »
Ah, les mystères de l’amour !.
le voir pour le croire. Un voyeur condamné
à… être vu dans l’obscurité
stephen Cooper, 24 ans, a été surpris
par un policier après s’être
glissé dans le jardin d’une voisine,
à Southend, en Angleterre, une nuit
de janvier, pour l’épier à travers
ses fenêtres. C’était la seconde fois
que Cooper était interpellé pour
voyeurisme, et du coup, lors de
son procès, la semaine dernière,
le juge Dedham a voulu prendre
une décision sur mesure. Le jeune
homme fera l’objet d’une expertise
psychiatrique avant sa condamnation,
mais, en attendant, à chaque
fois qu’il sortira de chez lui la nuit,
il devra impérativement revêtir
un… gilet fluorescent orange.
« C’est comme si on lui collait une
affiche “pervers sexuel” sur le dos »,
s’est insurgé l’avocat de Cooper.
Les cyclistes et les cantonniers
apprécieront.
30 Marianne / 14 au 20 avril 2007
et les sous-vêtements
suggestifs. Pas de quoi
élever le débat au-dessus
de la ceinture….
alibi massif.
Un mari violent
qui a 106
circonstances
atténuantes
aJakarta, un homme
de 74 ans vient d’être
condamné à la prison
pour violence conjugale.
Il a reconnu avoir frappé
son épouse, mais il a
affirmé que cela ne lui était
jamais arrivé auparavant.
Pour s’en assurer, la police
a cherché des témoins.
Et le moins que l’on puisse
dire est qu’elle en a trouvé
puisque cet homme vit
avec… ses 107 femmes !
Avec les 106 autres, tout se
passe plutôt bien. L’unique
chose que doive espérer
ce mari devenu violent sur
le tard est que cet incident
ne donne pas l’envie à
ses épouses de demander
le divorce : on imagine
le montant des pensions
alimentaires….
bodmer / babirad picture / sipa

inconsolables.
Jamais sans
mon chien !
C
. N. Madanraj, un
ancien militaire
de 87 ans, et sa
femme, Tarabai,
63 ans, vivaient
modestement
dans la région
d’Hyderabad, en
Inde. Sans enfant,
leur unique joie était
leur chien, Puppy.
Hélas, les toutous ne
sont pas éternels : à
l’âge fort respectable
de 13 ans, Puppy
est mort, le mois
dernier. Les
époux lui firent
des funérailles
grandioses, invitant
des dizaines d’amis
à partager un
repas après que la
dépouille de Puppy
a été incinérée selon
les rites hindous.
Le dernier invité
parti, les Madanraj
sont allés dans
leur chambre et
se sont pendus.
gobe-clients.
Un poisson
à 56 000 €
l es
Chinois
sont vraiment
superstitieux. Un
restaurant a payé
580 000 yuans (plus
de 56 000 €) pour un
poisson. Certes, la
bête mesure 1,75 m,
pèse 48 kg, et a les
écailles dorées.
Mais à cause de son
nom en chinois,
« poisson tigre doré
magot », on croit
que manger sa chair
apporte la fortune.
Le restaurant,
en tout cas, ne fera
pas fortune… tout
de suite, le prix
dans l’assiette étant
beaucoup plus doux.
L’idée était de se faire
un coup de pub.
i l s l ’ o n t f a i t
sauvé des eaux. l’amazone à la nage
malgré piranhas et crocodiles
Parti du Pérou, au pied des Andes, un Slovène a rallié
l’océan Atlantique après un voyage de plus de deux mois.
Des milliers de
personnes
sont venues
a c c u e i l l i r
M a r t i n
Strel, le avril, à Belem
au Brésil, à l’arrivée
de son extraordinaire
descente de
l’Amazone à la nage.
Après avoir parcouru
le Yangtze chinois
(4 004 km), le Mississippi
(3 798 km) et le
Danube (3 004 km),
ce Slovène a établi
un nouveau record de natation
en franchissant la barre des
5 268 km. Il avait commencé son
voyage le 1 er février dans la ville
32 Marianne / 14 au 20 avril 2007
péruvienne d’Atalaya,
où des seaux de sang
d’animaux avaient dû
être jetés à l’eau pour
empêcher les piranhas
de s’attaquer à
lui. Au cours de son
périple, bouclé quatre
jours avant la date
initialement prévue,
Strel a non seulement
bravé les crocodiles,
mais aussi les nausées,
la diarrhée, l’insolation,
les vertiges
et la crise cardiaque.
Il a été hospitalisé dès sa sortie
de l’eau.
saint-bernard. le chien, meilleur ami de la femme
C
’est l’histoire – vraie –
de Debbie Parkhurst,
une Américaine de
47 ans. Elle est en train
de manger une pomme
lorsqu’elle avale de travers.
Elle s’étouffe, cherche
l’air sans le trouver,
ne peut pas tousser, elle
va tomber dans les pommes
(sans mauvais jeu
de mots), lorsque entre
en scène Toby, son golden
retriever de 2 ans.
Le chien se met sur ses
pattes arrière et appuie si
fortement sur les épaules
de sa maîtresse que
pas si carnivore ! Un soda
frais pour le coyote !
Bina Patel, le directeur
d’un fast-food de
Chicago, a ressenti une
véritable humiliation,
la semaine dernière. En
effet, à l’heure du déjeuner,
un coyote sauvage a
fait irruption dans son restaurant.
Ce jeune animal
de 18 mois ne représentait
pas de danger, mais,
comme il est de coutume,
la police fut prévenue afin
de capturer l’indésirable
et de le ramener dans
son milieu naturel. Mais,
A peine sorti de l’eau et déjà aux mains du personnel médical. paulo santos / reuters
en attendant, Bina Patel
voyait déjà le nouveau slogan
de son établissement :
« Ma viande est si bonne
que même les coyotes font
des kilomètres pour venir
la goûter. » Hélas, le coyote
passa près du gril où cuisait
une côte de bœuf et… s’en
détourna avec mépris ! Il
préféra aller se coucher sur
la glacière contenant les
sodas. Si le réchauffement
climatique a aussi changé
les habitudes alimentaires
des coyotes….
celle-ci tombe à terre.
Le chien se met alors à
sauter et à sauter encore
sur la poitrine de Debbie,
tant et si bien que
le morceau de pomme
reflue dans sa gorge,
avant qu’elle ne le recrache.
Toby, sans le savoir,
avait pratiqué un substitut
ce que les humains
appellent la « manœuvre
d’Heimlich », à ne pas
confondre avec l’habituelle
méthode employée
par les chiens, nommée
« il me lèche la figure et
j’aime pas ça ».
il est passé par ici…
Un python en cavale
chez Google
lorsque la disparition d’un python a été
signalée dans les bureaux de la société
Google à New York, certains ont d’abord
cru à un poisson d’avril. Mais non, il ne
s’agit pas du langage de programmation
« python » adopté par le moteur de
recherche. En chair et en peau, l’animal
en question, baptisé Kaiser, mesure 1 m
de long. Il a rampé pendant plus d’une
journée dans les quelque 28 000 m2 de
bureaux du géant d’Internet avant d’être
repéré. C’est un employé de la société,
venu travailler avec son animal de
compagnie, qui l’avait laissé s’échapper.
Plus dangereux qu’un virus !.
cuit à point. Grillades au feu de bois…
avec les planches de Deauville
Cinq jeunes en goguette ont improvisé à leur façon
un barbecue sur le front de mer de la célèbre station balnéaire.
Deauville, dans le Calvados, est réputée
pour son casino et surtout pour sa promenade
de front de mer baptisée « les
P l a n c h e s » .
Composée de
longues lattes de bois,
cette promenade était à
l’origine (en 1923) destinée
aux dames qui ne
voulaient pas salir leurs
longues robes sur le
sable. Autant dire que la
municipalité tient à ses
« planches » comme à la
prunelle de ses yeux. Or,
la semaine dernière, cinq
jeunes venus du Havre
c’est signé !
l’enquête
la plus facile
d’alsace
les policiers de
Lutterbach, en
Alsace, en rient
encore. Un ado de
14 ans avait tenté la
semaine dernière
de voler une voiture
en glissant sa carte
d’identité dans la
portière pour faire
jouer la serrure.
En vain. Il tenta
alors d’enfoncer
la portière, sans
résultat. Dépité,
il rentra chez lui
en oubliant sa
carte d’identité !
Lorsque les policiers
l’interpellèrent,
ils n’eurent pas
à demander au
suspect « vos
papiers ! », mais
à les lui rendre…
assortis d’une
convocation devant
le juge des enfants.
décidèrent de faire un barbecue sur la plage.
Qui dit barbecue dit bois de combustion.
Vous devinez la suite. Sans se rendre compte du
sacrilège, ils arrachèrent
quelques « planches »
pour faire cuire leur bidoche
! Aussitôt interpellés,
ils finirent la soirée
au poste en attendant,
pour les trois majeurs du
groupe, d’être convoqués
par la justice. Heureusement
qu’ils n’avaient
pas, en plus, décidé de
se servir du râteau d’un
croupier pour attiser les
cendres….
mauvais calcul. Elle viole une femme…
« pour brouiller les pistes » !
En février 2005, une commerçante
vivant à Epinal, dans les Vosges,
porte plainte pour viol suivi de vol
par un individu encagoulé et ganté est
entré chez elle de nuit. L’enquête a permis
de retrouver l’auteur de ce crime.
Il s’agit… d’une femme de 33 ans ! Une
femme se déguisant en homme pour
commettre un viol, on pourrait penser
qu’il s’agit d’une perverse sexuelle. Pas
Pages réalisées par Philippe Chatenay et Simon Marty,
avec Solenne Marion, Cindy Bonnaud, Gilles Carvoyeur et Anny Goudet.
14 au 20 avril 2007 / Marianne 33
du tout, aux dires de l’accusée : « Je ne
comprends pas pourquoi j’ai fait ça…
je ne suis pas attirée par les femmes. »
En fait, elle pensait qu’en agissant
ainsi elle brouillerait les pistes. Non
seulement elle n’a rien brouillé du
tout, mais, en plus, elle a écopé de
treize ans de prison, soit beaucoup
plus que si elle s’était « contentée »
d’un simple vol….
pas cher payé. Grosse déception pour les perceurs de coffre
Des malfrats bourguignons avait
soigneusement mis au point
le cambriolage d’une entreprise
d’une zone industrielle de Dijon.
Pour atteindre le coffre-fort, ils ont
à vot’bon cœur. Devenez testeur de capote !
nous n’avons pu nous empêcher
de reproduire le texte de
la nouvelle campagne des préservatifs
Durex qui recherchent
20 000 testeurs. « Durex recrute :
d’abord fracturé la porte d’une
société voisine de leur cible, puis
ont percé le mur mitoyen, afin de
ne pas déclencher d’alarme. Puis
les bandits se sont attaqués au
jeune h/f pour tester préservatif.
Quelques heures par jour ou plus
si affinités. Travail de nuit possible.
A domicile ou en extérieur. Pas
de salaire, que du plaisir. » Vous
coup d’essai.
Qui a tiré
chez mémé ?
Coup de feu sur un
immeuble, dans le
XIXe arrondissement
de Paris. La police
met vingt-quatre
heures à arriver
sur les lieux. Car,
en fait, personne
n’a entendu la
détonation. L’alerte
a été donnée par
une femme de
ménage intriguée
par un impact
dans le volet et la
fenêtre. La locataire,
une dame aveugle
âgée de 85 ans, ne
s’est aperçue de
rien ! Après une
enquête balistique,
les policiers ont
déterminé l’origine
du tir : la tour d’en
face. Un revolver
de calibre 6,35
avec ses munitions
est finalement
retrouvé dans un
appartement du
cinquième étage.
Un jeune homme de
17 ans avoue avoir
utilisé l’arme. Placé
en garde à vue, il
affirme avoir trouvé
le revolver dans un
parking et précise
avoir simplement
voulu le tester.
coffre-fort à l’aide d’une meuleuse
industrielle. Hélas pour eux,
il ne contenait que… 42 €. Ils les
ont quand même emportés…
Il n’y a pas de petit profit.
avez jusqu’au 30 avril pour vous
faire connaître. Et comme nous
sommes sympas et que l’on ne
répétera jamais assez qu’il faut
« sortir couvert ».

Quel est l’enjeu essentiel, prioritaire
auquel doit répondre cette élection
? Réarmer moralement et économiquement
la France dans un
monde qui change et qui bouge !
C’est à cette aune qu’il faut apprécier les
projets des candidats. Notre pays est à un
moment charnière ; le droit à l’erreur ne lui
est plus permis. Sapé par une crise civique,
sociale et électorale à répétition, il doute.
Après cinq ans de gouvernement de droite,
le déficit de son commerce extérieur, la destruction
massive de ses emplois industriels
montrent qu’il n’est pas préparé aux défis
de la mondialisation. Ségolène Royal l’a
bien compris, qui s’est fixé pour objectif,
balayant les tabous, secouant les tables de
la loi, de réconcilier compétitivité économique
et solidarité ; et pour programme
d’investir dans l’innovation, de soutenir les
petites entreprises, de s’attaquer à la rente,
d’inventer de nouvelles formes de sécurité.
Ses chances de réussir sont proportionnelles
à l’efficacité de sa méthode : non
pas opposer, désunir, exclure, mais bâtir le
dynamisme économique sur une cohésion
Chers lecteurs de Marianne, Vous
n’aimez pas le politiquement correct.
Vous détestez la pensée unique.
Vous vous interrogez encore
sur le bulletin que vous allez mettre
dans l’urne. Nous avons moins de
40 ans. Comme vous sans doute, nous
n’avons pas le sentiment qu’en trente
ans l’avenir se soit franchement éclairci
pour notre cher pays. Venant de territoires
différents, avec des parcours hétéroclites
et des origines diverses, nous nous retrouvons
tous dans une idée : 2007 doit être
une rupture. A notre avis, au moment
de voter, il y a trois questions à se poser.
Qui dit la vérité ? Nous avons grandi
avec l’image de la politique désenchantée
devenue le domaine du cynisme et
de la posture. Une des forces de Nicolas
Sarkozy c’est de ne pas se laisser dicter ses
discours par la bien-pensance. Oui, il dit
clairement que l’on ne peut laisser régner
les bandes organisées dans les quartiers.
Oui, il rappelle les valeurs républicaines,
en soutenant qu’il n’y a pas d’intégration
Ségolène Royal balaie les tabous,
secoue les tables de la loi, réconcilie
compétitivité économique et solidarité.
retrouvée et surtout sur un dialogue social
et une démocratie régénérés. Elle a en tête
l’économie et la société de demain pour
préparer la France de demain.
Qu’en est-il de Nicolas Sarkozy ? Peutil
espérer, avec les idées d’une droite d’hier,
préparer la France au changement ? Son
discours a pu séduire une partie de ceux qui
aspirent sincèrement à une droite nouvelle
et modernisatrice. Il faut les détromper. Tout
en Nicolas Sarkozy, sa méthode, son projet,
sa vision, est d’un vrai conservateur.
Au nom de la rupture, il a plutôt
effectué un retour vers une droite
possible sans respect de l’égalité hommefemme,
des limites du port du voile ou
de la lutte contre l’excision. Oui, il trouve
contre-productif que les transports soient
gratuits pour le RMiste. Oui, il refuse d’endosser
ce discours absurde selon lequel le
travail serait une denrée rare qu’il faudrait
partager comme la misère sur le monde.
Parfois cela suppose du courage. Il a clairement
dit que l’on ne pouvait continuer
à financer le fonctionnement quotidien
de notre Etat sur le dos de nos enfants par
des dettes. Il en tire les conséquences en
refusant de remplacer tous les fonctionnaires
partant à la retraite. Il a su aussi
Par Nouvelle voix*
identitaire, amalgame d’une culture
d’autorité en matière culturelle et politique
et d’une tentation libérale en matière économique,
qui prend cependant grand soin
de ménager les corporatismes d’affaires. A
tel point qu’il s’est éloigné de la position
centrale occupée jusqu’alors par le gaullisme,
qui avait su corseter la droite dans une
approche où le rôle de l’Etat, la référence à
l’intérêt général, le refus de l’alignement en
matière internationale tenaient une place
essentielle. A l’écouter, c’en est désormais
fini de ces accommodements rituels.
En contrepartie, il ne propose pas
à la droite une régénération mais un
Nicolas Sarkozy est le candidat
du politiquement incorrect,
il peut être le président de l’avenir.
Par Nouvelle vague*
f o r u M
Club de gauche g contre club de droite
Réarmer la France
poser la question des régimes spéciaux
de retraite.
Et puis, pardonnez-nous de le dire,
mais un candidat qui dit ce qu’il pense, ce
n’est pas tous les jours dimanche. Ségolène
Royal, sur des sujets aussi décisifs que
le contrat première chance, l’autonomie
des universités ou encore l’adoption d’enfants
par des couples homosexuels, a pu
radicalement changer d’avis en quelques
jours. Quant à François Bayrou, après
avoir passé toute sa vie avec des majorités
de droite, il découvre brutalement à quelques
semaines de l’élection les charmes
de Besancenot. Sincères ? Pas sûr !
retour à ses valeurs les plus traditionnelles.
Prenons l’exemple du travail : vouloir en
augmenter la durée pour en faire le gage
d’une hausse du pouvoir d’achat, c’est
raisonner comme on pouvait le faire au
XIX e siècle. Ce qui fait aujourd’hui l’efficacité
du travail, ce n’est plus le nombre
d’heures effectuées mais leur qualité, la
quantité de savoir-faire qu’elles intègrent !
Sur ce sujet, comme sur l’ensemble des
questions sociales, il ne fait que réactualiser
le discours conservateur. Fustigeant les
responsabilités d’une société d’assistance,
il promet de n’aider que ceux qui peuvent
s’aider tout seul ; clamant sa confiance dans
l’individu, il invite celui-ci à trouver par ses
seules ressources les solutions au défi de
la promotion sociale ; faisant l’impasse sur
les relations collectives, il ramène le droit
du travail à celui du contrat, réinventant
l’illusion d’un face-à-face entre les personnes
(le salarié et l’employeur) supposées à
égalité de droits et de devoirs.
Prenons ensuite l’exemple de la
fiscalité : comment peut-il d’un même
Qui a l’étoffe de la fonction ? Un
président de la République, ce n’est pas
rien. La question de la compétence est
fondamentale : faire face à la mondialisation
avec la Chine, remettre de la
justice dans notre protection sociale,
veiller à l’autorité républicaine…
On ne peut pas se payer le luxe de l’approximation.
Il faut être sûr que votre
bulletin aille à quelqu’un qui ait la stature
du poste.
Nicolas Sarkozy l’a sans conteste.
Pendant les émeutes, il a géré nuit
et jour cette crise avec sang-froid
et sans qu’il y ait la moindre victime.
Il sait allier l’autorité à l’humanisme.
Flash-back. François Bayrou
a été très longtemps ministre
de l’Education nationale. Nous sommes
incapables de citer une réforme qu’il ait
menée à bien. A l’inverse, Nicolas Sarkozy
n’accepte pas que l’on se contente de
dire : c’est impossible. Prenez Alstom.
Il s’est battu aux côtés des salariés pour
sauver l’entreprise. Aujourd’hui elle est
redevenue compétitive.
mouvement prétendre revaloriser le travail
et soutenir fiscalement la rente en
proposant de supprimer les droits de succession
auxquels échappent déjà 80 % des
ménages ? On aurait pu s’attendre à des
mesures spectaculaires pour récompenser
l’initiative de l’entrepreneur-créateur
d’emplois ou bien du chercheur transformant
sa réussite scientifique en projet
économique, plutôt que de proposer un
bouclier fiscal qui masque la suppression
de l’ISF. Il n’en est rien, preuve que son
raisonnement, loin de révolutionner la
droite, sacrifie en réalité à ses poncifs.
Arrêtons-nous enfin un instant sur
sa méthode. Attaché qu’il est aux formes
traditionnelles d’exercice du pouvoir, il
répond aux exigences de participation des
citoyens par une rhétorique du roi thaumaturge
datée et dépassée. Sa façon de
gouverner n’est ni moderne, ni pertinente.
Au contraire, l’impatience et la nervosité
qu’elle traduit préparent un gouvernement
par la crise dont on sait qu’il n’aboutit qu’à
l’échec et à la paralysie.
Qui apporte des idées nouvelles ?
Cette dernière question est pour nous
la plus déterminante.Il y a chez Nicolas
Sarkozy un vrai attachement aux propositions.
Le débat s’est organisé autour de
ses idées : travailler plus pour gagner plus,
TVA sociale, contrat de travail unique,
ministère de l’identité nationale… Il prend
à bras-le-corps les problèmes et y apporte
des solutions : tutorat pour les enfants,
exonération des droits de succession,
accession à la propriété... Etes-vous en
revanche capables de citer trois propositions
concrètes de François Bayrou ?
Nicolas Sarkozy a su aussi poser la
question des contre-pouvoirs aux excès
du capitalisme financier : politique de
l’euro, préférence communautaire, éthique
des fonds de pension, justification des
golden parachutes excessifs... Ce courage
nous séduit. Il est à rebours des idéologies
reçues. De la même manière, dans
le domaine social, il a fait de la question
du vieillissement le défi majeur : il veut
qu’Alzheimer soit le grand chantier de
recherche des dix prochaines années.
34 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 35
Au total, et à ne prendre que ces
trois exemples, l’élection de Nicolas
Sarkozy signifierait la fin de la parenthèse
gaulliste dans l’histoire de la droite française
et, seule contribution à la modernisation
politique, une recomposition du paysage.
La droite d’hier avec lui s’affirmant
sans complexe, le balancier des alliances
ne pourra que se déplacer du centre
vers l’extrême.
Il s’agira là moins d’une attraction
réciproque des personnes que d’un rapprochement
idéologique sans équivoque
des projets, à travers un durcissement de
la droite républicaine, perceptible dans le
discours de Nicolas Sarkozy, et un amollissement
de la droite extrême, prévisible à
travers la succession de son vieux chef.
Pas de quoi mobiliser ceux qui, quelles
que soient leurs convictions, veulent faire
du redressement économique du pays
et de son réveil civique leurs premières
raisons de voter.
* Club de réflexion du PS (Gaëtan Gorce, député de la Nièvre,
Patrick Bloche, député de Paris, Christophe Masse, député
des Bouches-du-Rhône, Christophe Caresche, député de Paris).
Ultimes recomman dations avant isoloir
On pourrait aussi citer ses positions pour
l’environnement, où il est le seul à militer
aussi activement pour une fiscalité écologique,
ou encore son appel à une Union
méditerranéenne.
A ces trois questions, la réponse est
claire. Au risque de surprendre, Nicolas
Sarkozy est le candidat du politiquement
incorrect, il peut être le président
de l’avenir.
* Club de jeunes responsables de l’UMP (Laurent Wauquiez,
député de Haute-Loire, Vincent Roger, porte-parole de
Françoise de Panafieu, Jérôme Peyrat, directeur général de
l’UMP, Valérie Rosso-Debord, Edouard Courtial, député de
l’Oise, Frédéric Soulier, député de Corrèze, Roxane Decorte,
Lynda Asmani, François Pinte, Sébastien Huyghe, député du
Nord, Marie-Constance Berthelon, Laurent Henart, député
de Meurthe-et-Moselle, Vincent Descoeur, président du
conseil général du Cantal, Nassimah Dindar, présidente du
conseil général de la Réunion, Jeannette Bougrab, Fabien
de Sans Nicolas, Albéric de Montgolfier, président du conseil
général d’Eure-et-Loir, Juliana Rimane, députée de Guyane).
Les polémiques, analyses et éditoriaux
publiés dans ces pages n’engagent
que leurs auteurs.

Pourquoi je vote Bayrou
Il est rare que je tournoie sur moimême,
que l’incertitude me peuple,
que les grosses mouches vertes se
frottent les pattes sur mon nez.
Ne vous emballez pas : mes atermoiements
ne feront pas changer
la situation de la France. Si un peu.
Un vote, ça compte.
En bonne Négresse, j’ai toujours
voté à gauche. Oui, à gauche, et j’ai subi
les quatorze années du mitterrandisme
durant lesquelles les Afro-Français regardaient
passer le train républicain dans
lequel il n’y avait jamais de place pour eux,
ni en première classe ni dans les wagons
pour bestiaux. Nous le voyions passer
assis sur les quais – l’important, c’est la
rose, nous disait-on – et nous regardions
s’étioler les pétales de la rose que l’on
nous promettait sans que nous en ayons
humé les senteurs.
Cette expérience laissa dans ma bouche
le goût amer d’une mangue sauvage.
Et lorsqu’un certain Nicolas Sarkozy arriva
sur notre scène politique la hotte du Père
Noël pendue à son épaule, je crus que ma
voûte palatale retrouvait sa sensibilité. Il
offrait à chacun ce qu’il attendait de la
République : « Vous voulez des diam’s,
madame ? Et vous, monsieur, une berline
à réacteur atomique, ça vous dirait ? Mais
qu’est-ce qui ferait donc plaisir à toi, mon
petit ? Un petit voyage sur Mars dans une
barquette de chocolat ? » Il battait des
mains, en parfait harangueur : « C’est
gratuit, quoi ! djô ! T’as rien à payer, gars !
Je vous sers, mes amis. »
Chacun y allait de ses désirs, il
n’y avait qu’à enfoncer la main dans la
hotte. Des infirmières remplissaient des
brancards entiers de propositions pour
améliorer leurs conditions de travail ;
des paysans s’en allaient causer avec
leurs vaches, car bientôt, ils n’auraient
plus besoin d’elles pour vivre tant leurs
tracteurs étaient emplis de merveilleux
cadeaux-sarko à venir ; les minarets ne
résonnaient qu’en Sarko-prière. Il faut
comprendre, bientôt il y aura des mosquées
au bas de chaque immeuble. Tout
était joie et bonheur, car le 6 mai, avec
l’arrivée à la magistrature de tonton Sarko,
tous nos problèmes seront résolus. Plus
de violence urbaine, d’ailleurs ma vieille
cousine Betty se promet qu’à partir du
7 mai elle ira danser tous les soirs malgré
ses 80 ans. Plus de chômage, nous aurons
du travail en seau, en brouette, que dis-je
par container entier. Et chacun est heureux,
non de ces bonheurs collectifs qui
unissent les peuples autour d’un même
idéal, d’un même rêve, comme gagner
la Coupe du monde de football, mais
d’une joie petitement personnelle, égoïstement
nombriliste. Chaque groupe
socioprofessionnel, chaque ethnie, chaque
confession, chaque je-ne-sais-plusquoi
avait sa petite enveloppe cadeau.
Chacun pour soi et tant pis pour ceux
qui ne croient en rien.
Et moi qui vous écris ces mots, je
suis fière de cette attitude prosaïque et
pragmatique. J’en suis d’autant plus fière
que, durant des années, j’ai vu les miens
être cantonnés à des métiers subalternes,
saluant bas ceux qui rendaient chaque
jour leur humanité plus chétive.
Mes rêves les plus dingues se
concrétisaient enfin, grâce à Sarko, et
ce, d’une battée des mains. Je ramassais
la discrimination positive qu’il proposait
afin de lutter contre les inégalités
dont sont victimes les minorités et la
cachais sous mes aisselles ; je dissimulais
sous mes pagnes les exonérations
d’impôts aux immigrés qui investiront
dans leur pays d’origine. Bien sûr que
j’apercevais quelques serpents minutes
qui tournoyaient autour des joyaux du
Père Noël, tels que ses propositions pour
lutter contre l’immigration. Je me réconfortais
en me disant : « C’est pas bien
grave, personne n’est parfait, n’est-ce
pas ? » Mais encore : « Voter pour un candidat,
c’est comme aller faire ses courses
lorsqu’on est pauvre. On n’achète que le
strict nécessaire. » J’allais voter à droite
enfin débarrassée de mes stéréotypes
éculés.
Mais, lorsque je l’entendis parler de
la création d’un ministère d’identité et de
36 Marianne / 14 au 20 avril 2007
f o r u M
Voter pour un candidat, c’est
comme aller faire ses courses
quand on est pauvre. On n’achète
que le strict nécessaire.
Par Calixthe Beyala
écrivain
l’immigration, tous les serpents contenus
dans sa hotte du père Sarkozy se sont
mis à tournoyer sous mes yeux. La peur
m’étreignit si violemment qu’elle m’interrogea
: « Que fais-tu pauvre idiote ? »
Un silence que l’émotion n’arrivait pas à
combler s’installa dans mon ventre.
Je m’aperçus que j’en avais assez de
voir nos responsables politiques recenser
et comptabiliser les discriminations dont
sont victimes les minorités visibles, que
je souhaitais vivement qu’on adoptât la
discrimination positive, mais pas au prix
d’une dislocation de la communauté
nationale.
Je m’aperçus que j’étais triste pour
cette Afrique de mon enfance, cette Afrique
mère, que je voulais qu’on l’aidât,
mais pas en échange d’une France verrouillée,
excluant.
Je m’aperçus que l’absence de cette
France de Senghor et de Césaire, dans
les manuels scolaires, m’agaçait, que je
voulais qu’on les intégrât dans le socle
pédagogique, mais pas en échange d’une
France où seuls les plus forts réussiraient.
Parce que, in fine, j’aime la vision de
la France généreuse, ouverte à l’autre,
cette France de Rousseau ou de Diderot,
cette France où, bon an mal an, il fait bon
vivre ensemble.
Parce que j’aime cette France de
toujours, je ne voterai pas Sarkozy.
Non, si Sarko était élu, je ne me mettrais
pas dans les bagages de Yannick
Noah pour quitter la France. D’ailleurs
je n’en ai pas les moyens. Ceci explique
que j’appelle à voter Bayrou.
Dernier livre paru :
L’homme qui m’offrait le ciel, Albin Michel.
Les polémiques, analyses et éditoriaux
publiés dans ces pages n’engagent que
leurs auteurs.

photos : dr
C L U B A C T I O N « M A R I A N N E »
Invitations, rencontres, spectacles et débats proposés par Lydia Sitbon.
ThéâTRE à PARIs
LE MONTE-PLATS
D’Harold Pinter
Mise en scène :
Mitch Hooper
Avec Anatole de
Bodinat, Alexis Victor
MErCrEDi 25, jEuDi 26,
ET VEnDrEDi 27
AVril, à 20 HEurES
Théâtre de l’Essaïon
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sPECTACLE MUsICAL à PARIs
LA MUSE GUEULE
l’Opéra gourmand
D’Aude Sardier
Avec Elisabeth
Conquet, Pierre
Espiaut, Bernard
imbert, Aude Sardier
jEuDi 19, VEnDrEDi 20 ET
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Retournez ce bulletin à : MARIANNE ABONNEMENTS, 18-24, quai de la Marne, 75 164 Paris Cedex 19.
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ThéâTRE à PARIs
LE PRéSIDENT
De Thomas Bernhard
Mise en scène : Blandine
Savetier. Avec Charlotte Clamens,
Dominique Valadié, Philippe
Grand’Henry, Eric Guérin
SAMEDi 21, MErCrEDi 25
jEuDi 26 AVril, à 20 H 30 ;
DiMAnCHE 22 AVril, à 15 H 30
Théâtre de la Colline
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3 derniers chiffres du n o figurant au dos de votre carte
ThéâTRE à PARIs
L’AUTEURE
D’Anne Fabien
Mise en scène :
Bruno Balp.
Avec laure Dedieu,
Dominique Delaroche
MErCrEDi 18, jEuDi 19
ET MErCrEDi 25
AVril, à 19 HEurES
la Comedia
ThéâTRE à PARIs
LES CHAISES
D’Eugène ionesco
Mise en scène : Annie Degay
Avec jean-Marc Albert,
Annie Degay
jEuDi 19 ET VEnDrEDi 20 AVril,
à 21 HEurES. Théâtre de nesle
Pour adhérer ou renouveler votre adhésion au Club Action “Marianne” (validité 1 an), il vous suffit d’adresser votre demande ainsi qu’un chèque de 10
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à l’accueil des théâtres ou salles de concerts afin d’y retirer vos places. Pour les invitations, appeler au 08 26 30 56 57 du mardi au vendredi de 10 h à 16 h.
Choisissez la durée
1 an = 78
soit 511,65 F
2 ans = 149
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Offre valable en France métropolitaine jusqu’au 31 décembre 2007. Pour l’étranger, renseignements au 01 44 84 85 20 ou 22, ou par fax au 01 42 00 56 92.
0691 0610 0611

Pour la justice.
L’honneur
retrouvé
de la famille
Hodique-Maillot
C o u P s D e C œ u r
rodolphe escher / fedephoto
Alain et Marie-Thérèse Hodique-
Maillot reviennent de loin.
« Nous avons perdu six ans,
disent-ils, victimes de dénonciations
calomnieuses, et de
l’aveuglement du système judiciaire. » Leur
affaire rappelle Outreau et ses injustices.
Marie-Thérèse était directrice d’une
petite école à Bucquoy, près d’Arras. Alain
occupait un poste de cadre commercial
chez Total. Un soir d’août 2001, une amie
les appelle : « Faites attention… Il y a des
bruits qui courent… On dit qu’Alain a
touché des petits… » Trois jours plus tard,
Marie-Thérèse reçoit une lettre de l’Education
nationale : elle est suspendue, sans
explication. Alain, excédé par les rumeurs
qui semblent avoir coûté son poste à sa
femme, décide de porter plainte. Au commissariat,
les policiers le mettent immédiatement
en examen. On l’accuse d’avoir
violé six élèves de maternelle. Après deux
jours de garde à vue, il est incarcéré à la
prison d’Arras, d’où il ne sortira que trois
cent quatre-vingts jours plus tard…
L’affaire d’Outreau vient d’éclater, et
les médias s’emparent de l’histoire d’Alain.
Le ministre de l’Education nationale écrit
alors une lettre aux parents d’élèves de
l’école dénonçant les « actes odieux »
commis par le « mari de la directrice ».
La présomption d’innocence s’efface
devant l’horreur suscitée par ces crimes
imaginaires. En prison, Alain perd 50 kg.
Il rencontre David Delplanque, un accusé
d’Outreau, avec qui il sympathise, persuadé
de partager le même sort. Il lui est
interdit de voir sa femme. De son côté,
Marie-Thérèse abuse des antidépresseurs,
fuit le village tous les matins et
passe ses journées dans sa voiture. « Une
prison à l’extérieur », nous raconte-t-elle.
Suspendue, ne touchant qu’un demitraitement,
elle affronte seule la vindicte,
les pneus crevés et les insultes écrites sur
les murs de sa maison.
Le couple se retrouve enfin en janvier
2003. « Une joie immense. On a commencé
à remonter la pente, marche par
marche. On repartait de zéro. » Avec leurs
avocats, ils organisent la contre-attaque
judiciaire et médiatique. Première victoire
en décembre 2005 : la cour d’appel de
Douais rend un non-lieu, contre l’avis du
magistrat instructeur. Celui-ci, avec le soutien
des familles des « victimes », décide de
se pourvoir en cassation. Mais, le 23 février
dernier, la cour tranche enfin : Alain est
innocent. Complètement. « On a réussi à
tenir parce qu’on était ensemble, mais aussi
grâce aux amis. Maintenant, je réclame
justice pour mon épouse. Gilles de Robien
a déjà fait un geste en la réhabilitant.
Nous continuerons… ».
Pour la télévision.
Yves Calvi,
une lueur
dans le PAF
Les lecteurs qui écrivent
à Marianne sont presque
unanimes à dénoncer
la « manipulation » de l’opinion
à laquelle se livreraient,
selon eux, les principales chaînes
de télé. Il y a, cependant,
des exceptions. En particulier
l’émission quotidienne « C dans l’air »,
sur France 5, qui s’impose
(avec « Ripostes ») comme l’un
des rares espaces d’indépendance
et d’intelligence du PAF.
Yves Calvi, qui anime aussi
« Mots croisés », sur France 2,
et fit les belles heures des matinales
d’Europe 1, y officie avec talent.
Il n’a pas son pareil pour soutirer
habilement à des interlocuteurs
très différents et en phase avec
l’actualité le meilleur d’eux-mêmes,
et, surtout, pour aborder sans fauxsemblant
les problèmes que
la plupart des grands médias occultent.
Ainsi fut-il le premier, sinon
le seul, à traiter du fossé entre pouvoir
médiatique et opinion, des ratés
du pluralisme, de la bipolarisation,
des ambiguïtés du débat sur l’identité
nationale. Un courage qui paye.
« C dans l’air » est en passe de devenir
la référence en matière de libre
confrontation. On ne s’y étripe pas,
on y réfléchit ensemble.Serge Maury
Alexandre Margot-Duclot lydie / sipa
Pour les Puces.
Mohamed
Azzaz, libraire
en colère
A71 ans, Mohamed
Azzaz est une figure
du marché de Saint-
Ouen, où il vend ses
livres d’art depuis plus
de vingt ans. Seulement
voilà, depuis deux ans,
il doit se battre contre
la hausse démesurée
de son loyer, qui a plus
que doublé entre 1997
et 2005. Ce mois-ci
encore, il est passé de
1 137 € à plus de 1 600 €.
Une augmentation
brutale qui se répète
chaque année,
et qui est vite devenue
insoutenable. Après
le rejet de sa première
requête par le juge du
tribunal de Bobigny, qui
l’a condamné à quitter
les lieux, le pucier fait
aujourd’hui appel, fort
de l’appui de ses voisins.
« Nous ne voulons pas
qu’il parte ! Il rend
service à tout le monde
et valorise le marché »,
clame l’un. « Le prix
de son loyer est beaucoup
plus élevé que ceux
des autres boutiques »,
s’insurge l’autre. Au total,
115 vendeurs des Puces
ont signé une pétition de
soutien à ce passionné,
qui lutte pour continuer
à faire vivre les plus
grandes collections de
livres d’art sur son petit
étal.Cyrielle Blaerdi
38 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 39
hannah
Pour le combat.
Baby Halder, la
mère Courage
indienne
Difficile, en voyant ses
yeux vifs et son sourire
timide, d’imaginer les
épreuves traversées par
Baby Halder. A 30 ans,
elle a déjà eu plusieurs
vies. Mariée à 12 ans à un
homme qu’elle n’avait
jamais vu, elle s’est
retrouvée mère de famille
à 14 ans et femme battue
à 16. A peine majeure, elle
a fui le domicile conjugal.
Avec ses trois enfants,
elle a vécu dans les rues
de New Delhi, la capitale
indienne. Son destin
bascule quand elle trouve
un emploi de femme de
ménage chez un prof à la
retraite. Encouragée à lire,
elle décidera de raconter
elle-même sa vie dans un
ouvrage bouleversant,
devenu un best-seller en
Inde*. « Je ne comprends
pas pourquoi le récit de
ma vie fait sensation. Elle
est tellement ordinaire »,
confie-t-elle. C’est exact :
en Inde, des millions de
femmes connaissent
le même sort, mais ce
qui rend son histoire
extraordinaire, c’est
le courage dont Baby
Halder a fait preuve pour
s’en sortir. « Sauvée par
les livres », elle milite
aujourd’hui en faveur
d’un meilleur accès
à l’éducation pour les
filles….Anna Topaloff
* Une vie moins ordinaire,
éd. Philippe Picquier, 228 p., 18,50 €.
rillon / neco / sipa
dr
Pour l’économie.
Thomas Piketty
retourne
au labo
Thomas Piketty
a démissionné
de la direction de l’Ecole
d’économie de Paris.
« Je n’ai que 35 ans,
je retourne à la
recherche », explique
l’économiste à Marianne.
Le tout nouveau
campus de recherche
en économie est
pourtant le bébé de
l’auteur des Hauts
Revenus en France (2001),
un ouvrage qui a marqué
la réflexion politique.
Mais, en passant la main
à François Bourguignon,
vice-président de la
Banque mondiale,
Thomas Piketty retrouve
ses travaux (il publiera
bientôt une étude sur
les revenus dans 20 pays
développés) et, surtout,
sa « liberté politique ».
Il peut ainsi appuyer la
candidature de Ségolène
Royal, sans mettre
en cause la réputation
et la neutralité
de son institution.
Hervé Nathan

PRIVATISATION DES AUTO ROUTES
et voiLà Le résuLtat ! que
comme il est loin le temps où
Thierry Breton, ministre des
Finances, pouvait, sans déclencher
l’hilarité générale, prétendre
que la privatisation des
autoroutes n’entraînerait aucun
dérapage des prix des péages.
C’était au début du mois d’août 2005. « Ne
craignez rien, rassurait-il des Français occupés,
en cette saison, à déposer leur obole
aux pieds des dieux autoroutiers. C’est l’Etat
qui fixe les prix, pas les sociétés d’autoroutes.
» A la même époque, Marianne avait tiré
la sonnette d’alarme et pointé ce risque :
que le système tarifaire mis en place par
le réseau privé Cofiroute (A10, A11, A81,
etc.) essaime vers les sociétés nouvellement
privatisées. D’autant qu’il se révélait
diaboliquement juteux : début 2005, les
tarifs de Cofiroute étaient de 28 % à 33 %
supérieurs à ceux d’ASF (A7, A89, A63…)
ou de la Sanef (A4, A26, A29…).
Logique financière
Sur le papier, le ministre avait raison. Tous
les quatre ans (en 2004 notamment), dans
le cadre d’un contrat de Plan, l’Etat, après
négociation avec les sociétés d’autoroutes,
fixe les augmentations de tarifs. La
réalité du bitume est bien différente. Car
l’engagement vaut pour l’ensemble de
chaque réseau. Tronçon par tronçon, le
concessionnaire calcule ses tarifs comme
il l’entend, pourvu que la moyenne des
augmentations respecte le contrat. En
bonne logique financière, les parcours les
plus empruntés subissent les plus fortes
augmentations, et inversement. C’est
ainsi qu’au début 2005, par exemple, le
prix du kilomètre sur le parcours Tours-
Poitiers coûtait 9,8 centimes d’euros,
contre 6,4 centimes entre La Motte-
Beuvron et Salbris.
Dix-huit mois plus tard, nos craintes
se confirment. Alors que, de février 2005
à février 2007, les tarifs les plus élevés de
Cofiroute (ils frisaient déjà les 10 centimes
du kilomètre) ont subi une augmentation
modérée, entre 2,5 % et 3,7 %, ceux des
réseaux récemment privatisés s’envolent
(voir carte ci-contre). Si un trajet Lyon-
Aix-en-Provence (réseau ASF désormais
contrôlé par le groupe Vinci) n’a augmenté
fred dufour / afp
f r a n c e
On le pressentait : l’Etat, qui devait
garantir les tarifs des péages,
a bel et bien été débordé par les
actionnaires du réseau autoroutier.
Et s’il n’y avait que ça…
Par Jean-Claude Jaillette
40 Marianne / 14 au 20 avril 2007
de 5,23 %, un Bordeaux-Toulouse
(détenu par le même concessionnaire)
progresse de 6,1 %. Pourquoi s’en émouvoir
puisque l’Etat a fixé un maximum de
+ 5,3 % ? Sur la même période, l’inflation
(hors tabac) n’est que de 2,9 %. Du coup,
un Paris-Caen (SAPN) ou un Bourges-
Clermont-Ferrand (APRR), pour lesquels il
faut débourser 11,5 % de plus, apparaissent
comme des destinations extravagantes.
« Nous sommes encore loin de nos
concurrents », argumente Daniel Dechaux,
directeur commercial du réseau APRR.
Entendez, ses 7,26 centimes du kilomètre
comparés aux 10 centimes de Cofiroute
font figure d’hypermarché à côté d’une épicerie
de luxe. En clair, les usagers risquent
de connaître des lendemains qui déchantent.
Mais, au fait, comment expliquer de
tels écarts de tarifs avec le cadre imposé
par le ministre des Finances ? Et, qui plus
est, des écarts entre tronçons d’un même
réseau ? Reconnaissons qu’une autoroute
de montagne qui réclame toute la gamme
des ouvrages d’art, ponts, viaducs, tunnels,
coûte plus cher. Mais Bourges-Clermont ?
« L’A71 qui relie ces deux destinations était
notoirement sous-tarifée. » Pourquoi ? Le
responsable de la mise au point des tarifs
de son groupe est gêné. A-t-il oublié que la
concession avait été accordée en contrepartie
d’une modération des tarifs ? Voilà
aussi comment la privatisation fait exploser
toutes les contraintes
d’intérêt général. Et
voilà comment ces
groupes gonflent
leurs résultats. En
un an, les bénéfices
d’APRR ont fait un
bond de 35 %, ceux
de Sanef de 27 % et
ceux d’ASF de 10 %.
Bref, contrairement à ce que prétendait
Thierry Breton, l’usager – dites désormais
le client – n’est plus protégé de la valse des
tarifs. Et ce n’est pas tout. Avec le retrait de
l’Etat, la concurrence entre parcours s’est
amplifiée. « Pour relier un point à un autre,
explique Daniel Dechaux, le trajet le plus
court est le plus cher. » Si Paris-Lyon est
plus coûteux par l’A6 que par l’A5, c’est
tout simplement qu’on arrive plus vite à
Paris-Bourges
Cofiroute,
A10-A71
+9,2 %
Allaines-
Artenay
A10
+13 %
Vaiges-
Laval-Ouest
A81
+22 %
Ste-Maure-
Châtellerault
Sud
A10
+25 %
50 km
Tout est bon pour
pousser les automobilistes
à utiliser cartes bancaires
et portiques automatiques.
TRONÇONS AUTOROUTIERS : LES PÉAGES S'ENFLAMMENT
Augmentations de février 2005 à février 2007
Paris-Caen
SAPN, A13
+11,5 %
A16
A25
Lille
A2
A1
Paris-Reims
Sanef, A4
+5,14 %
A34
A26
Caen Rouen A16
Reims A4
A84
Rennes
Laval
A28
A11
Allaines
A81 Artenay
Vaiges A10
Paris
Orléans
Châlons-en-
Champagne
A26
A5
A31
Metz
A11
A85 A85 A71
A77 A6
Dijon
A31
A36
Nantes
A83
A87 Ste-Maure Bourges
A10
Châtellerault
A71
A39
A20
A40
A10
A89
Limoges
A89
Clermont-
Ferrand
A72
Lyon
A43
A49
A41
Bordeaux
A7
A63
Biarritz
Bordeaux-
Toulouse
ASF, A62
+6,1 %
A63
A62
Toulouse
A64
A66
destination avec le premier. Un TGV d’un
côté, un train Corail de l’autre. Verra-t-on
bientôt une modulation tarifaire selon les
heures, comme à la SNCF ? L’expérience
a déjà été tentée… par Cofiroute, toujours.
Mais mieux vaudrait que chacun
connaisse toutes les règles tarifaires avant
d’embarquer.
Du côté des salariés des sociétés d’autoroutes,
l’ambiance n’est guère plus rose.
Çà et là, des préavis de grève sont déposés.
En cause, les réductions d’effectifs.
Une fois encore, le
modèle Cofiroute a
valeur de référence.
Une seule solution,
l’automatisation.
Celle qui assure de
meilleurs profits aux
actionnaires. Donc
tout est bon pour
contraindre les automobilistes
à utiliser d’eux-mêmes leur carte
bancaire ou les portiques automatiques,
moyennant un abonnement spécial. Tant
pis pour ceux qui restent accrochés à la
monnaie. L’arme suprême, c’est la file d’attente.
« Certaines directions créent artificiellement
des bouchons aux abords des
barrières de péage en réduisant le nombre de
guichets au minimum, affirme Jean-Pierre
Campanoto, délégué Sud Autoroutes. Après
14 au 20 avril 2007 / Marianne 41
A20
A61
A9
A75
Montpellier
Bourges-
Clermont
APRR, A71
+11,6 %
A51
Aix-en-
Provence
A8
Marseille
Paris-Lyon
APRR, A6
+7,3 %
Ajaccio
A35
Strasbourg
Lyon-Aix
ASF, A7
+5,23 %
Aix-Nice
Escota, A8
+5,8 %
Nice
une heure de queue, les usagers n’ont qu’une
seule envie, s’abonner à Liber-t, le péage
automatique. Evidemment, la sécurité est
mise à mal. » Stupéfiant !
A côté de ces révélations, la diminution
du nombre des patrouilles – ces petits
camions circulant en permanence à la
recherche de débris dangereux – paraît
secondaire. « Sur le réseau APRR, poursuit
le responsable syndical, les secteurs ont
été doublés. Et là où la patrouille passait
toutes les deux heures, elle ne passe plus que
toutes les quatre heures. » Les caméras les
ont remplacées.
Voilà pour les effets les plus immédiatement
visibles de la privatisation. Il y en a
d’autres, plus inquiétants peut-être. « En
nous excluant du conseil d’administration,
la SAPN a privé les élus des moyens de
peser sur les décisions d’utilité publique »,
proteste Michel Barrier, vice-président
(PCF) du conseil général de Seine-Maritime.
Oublié, l’abonnement à tarif réduit
pour les trajets quotidiens domicile-travail.
Disparu, le projet, souhaité par le département,
de gratuité du contournement
du Grand Havre : « Du coup, tous les poids
lourds empruntent la départementale 6015,
créant nuisances et insécurité », poursuit
l’élu. Dire que Thierry Breton expliquait
que ce grand chambardement était une
bonne affaire pour la France….
f r a n c e

L e d e s s o u s d e s c a r t e s
Par Nicolas DomeNach
rumeurs, tacles et
indécision
en début de campagne, on ne parlait
que de candidats qui « renversaient
la table », au point qu’on se demandait
comment il se fit que certains
puissent encore impunément s’attabler
dans ce pays ! Puis, il ne fut question
que des « tacles » que s’infligeaient, de
manière le plus souvent déloyale – l’expression
est d’origine anglaise –, lesdits
concurrents ou leurs partisans, qui s’ingéniaient
parfois, surtout au PS, à tacler leur
propre champion. Nous en voilà désormais
réduits, si l’on ose, à la « cristallisation »,
ce processus chimique et amoureux, sucre
et sel, de concrétisation des penchants ou
des répulsions populaires. Processus qui
s’est fait bigrement attendre.
Dominique de Villepin, expert international
ès élections présidentielles, du
moins pour les autres, avait annoncé pour
la fin mars cette opération intime et moléculaire
résultant d’une décantation, d’une
sublimation, voire d’une dissolution…
Or, aucun des principaux impétrants n’a
réussi cette sublimation qui le mettrait à
l’abri de toute désillusion. Au point que les
rumeurs brûlaient le pavé parisien comme
feu sur la savane sèche. « Connaissez-vous
le dernier sondage des RG » (lesquels, en
théorie, n’en font plus) ? Puisque les instituts
classiques ne donnaient pas d’écarts
décisifs, beaucoup s’en remettaient à ces
plus incertaines estimations. Quelquesunes
reprenaient les tendances classiques,
avec cette variante non négligeable :
Bayrou s’écroulait in fine, pour
laisser la place au duo classico
Sarko-Ségo, Le Pen effectuant
une vaine poussée finale. Mais
d’autres bouches des ombres
reprenaient en boucle : « Selon
les RG, Le Pen est qualifié »,
« Le Pen vire en tête au premier
tour ». Ça, c’était la prétendue
cristallisation souterraine !
Cette manœuvre peu cristalline
en entraînait d’autres plus
publiques : au profit de Sarkozy
d’abord, qui appelait ses généraux
à la mobilisation, en leur
assurant que « rien [n’était]
joué » ; au bénéfice de Royal
ensuite, qui criait « à l’intox »,
protestant qu’elle était « sousévaluée
par les instituts ». Ce
qui n’est pas impossible. Mais
il s’agissait aussi d’éviter que
le vote utile de gauche file vers Bayrou,
enragé à force de s’époumoner contre « les
illusions et les manipulations sondagières ».
Le présidentiable centriste ne se félicitait
pas moins de… la non-cristallisation.
« L’indécision des électeurs est la preuve,
voulait-il espérer, de ce qu’ils se sont émancipés
du vote obligatoire gauche-droite. »
La liberté est un fluide qui se cristalliserait
dans les urnes de décantation. Une première
fois ce dimanche 22 avril, puis au
second tour. Car une cristallisation peut
en cacher une autre….
i L a o s é L e d i r e
Gérard daucourt, évêque de nanterre.
« S’abstenir de voter est un péché. »
Le Parisien, le 6 avril 2007.
r e p è r e s f r a n c e
e n d e u x m o t s
michel onfray*
« sarkozy voit le monde
en noir et blanc »
marianne : Philosophie Magazine
a publié un entretien croisé entre vous
et Nicolas Sarkozy. Vous y abordez
la question de la génétique et de
la détermination biologique des
comportements. Nicolas Sarkozy déclare
que « la part de l’inné est immense ».
Vous contestez cette position. Au vu de
l’échange publié, certains craignent
que le ministre de l’Intérieur n’ait eu le
dernier mot. Que leur répondez-vous ?
michel onfray : Il n’a pas eu le dernier mot,
car j’ai exprimé clairement mon désaccord.
J’ai fait valoir qu’un individu ne naît pas
homosexuel, ni hétérosexuel, ni pédophile,
mais qu’il le devient, sous l’influence de
l’environnement, des conditions familiales
et socio-historiques dans lesquelles il évolue.
Nicolas Sarkozy a exprimé le point de
vue opposé. Certes, il a distingué plus clairement
l’homosexualité et la pédophilie que
dans la version publiée. Mais sa thèse était
sans ambiguïté : une prédisposition génétique
expliquerait les orientations sexuelles
ou comportementales d’un individu. Ce
différend entre nous est irréductible. Je suis
sur des positions de gauche, car je vois avant
tout les individus comme le produit d’une
histoire. Une différence majeure avec mon
interlocuteur. Pour lui, les déterminismes
biologiques sont extrêmement puissants.
C’est là une très vieille antienne…
Avez-vous été surpris de voir le ministre
de l’Intérieur prendre ces positions ?
m.o. : D’une certaine façon, non. Le mérite
de cet entretien, c’est de clarifier les choses.
Cet échange a agi comme un révélateur
et permis d’entrer dans le cerveau
d’un homme de droite.
Que trouve-t-on dans ce que
vous appelez « le cerveau d’un homme
de droite » ?
m.o. : Le primat du déterminisme génétique
et de la fatalité naturelle. Nicolas
Sarkozy, en déclarant que « la part de
l’inné est immense », fait l’aveu qu’il voit
le monde en noir et blanc. Je suis inquiet
de la droitisation des esprits que révèle
une telle prise de position. Il n’est pas sûr
qu’au cours de précédentes présidentielles
un candidat représentant l’un des principaux
partis politiques aurait pu tenir un
tel discours. L’un des échecs historiques
de la gauche est d’avoir laissé les repères
idéologiques se brouiller. On peut se
demander si, sur ce sujet, elle n’est pas
en train de perdre la bataille des idées.
Propos recueillis par Alexis Lacroix
* Philosophe (lire aussi « Michel Onfray pour les nuls », p. 72).
t o p s e c r e t
Thuram joue
en double
Lilian Thuram est devenu
la bête noire de Nicolas
Sarkozy, qui l’accuse de
ne plus aller dans les banlieues
qu’en Ferrari. Le footballeur
a démenti et, s’il combat le présidentiable
de l’UMP, il n’en soutient pas moins
Jeannette Bougrab, la candidate de ce parti
dans le XVIIIe arrondissement de Paris,
contre le socialiste Christophe Caresche.
Peut-être que, s’il venait en Ferrari,
elle aurait une chance !.
ségolénité
V oici
le type de SMS que Ségolène Royal
fait parvenir à ses soutiens : « Ça se gagne
sur le terrain. Avec vous, porte à porte,
au contact de chacun. Volonté, sérénité,
solidité. Amitiés ». Et ségolénité !.
frêche couronné
L es
embardées de Georges Frêche
l’avaient conduit en correctionnelle
et au ban du PS. Le président de la
communauté d’agglomérations
de Montpellier a trouvé sa revanche
à Seattle (Etats-Unis), où son incubateur
d’entreprises a été salué comme
le plus performant de
la planète en 2007.
robien décoiffe…
G illes
de Robien, ministre
de l’Education, ancien
porte-parole de François
Bayrou en 2002 et rallié à
Nicolas Sarkozy, explique tout
le mal qu’il faut penser de…
Bayrou, « candidat pour la gauche,
candidat antitout, candidat de l’ambiguïté ».
Soyons juste, Robien avance
une « suggestion », afin « de faire exister
les valeurs centristes » : « un ministère
de l’immigration, de l’identité nationale
et de l’intégration républicaine ».
Voilà que « Régécolor » décoiffe !.
Le Maire rame
c andidat
à la succession de Jean-Louis
Debré dans l’Eure, le directeur de cabinet
de Dominique de Villepin, Bruno Le Maire,
se heurte à Louis Petiet, conseiller général
et président de la fédération UMP de l’Eure,
qui l’attaque : « Enarque, parisien, ardent
défenseur du CPE, diplomate, jamais élu
et parachuté, il souffre de lourds handicaps
dans un département rural. ».
42 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 43
afp
afp
Que les futur(e)s
ministres lèvent le doigt !
nicolas sarkozy, claude Goasguen, françoise de panafieu, pierre Lellouche et Jean tiberi.
c’est une truculente scène de
genre. D’un genre ante présidentielle.
Attablée dans un
chic restaurant parisien, la
femme compte, décompte et
recompte sur ses doigts. L’œil coquin
de l’enfant qui profère des méchancetés
sur les autres, la bouche tordue
par l’anxiété de l’adulte qui joue gros.
« Nicolas a promis un gouvernement
paritaire de 15 ministres, ça fait au
moins sept femmes, voire huit s’il veut
vraiment marquer le coup. » Elle sourit.
Elle a toutes ses chances, pense-t-elle.
Elle voudrait en être tout à fait sûre,
néanmoins. Alors… Alors elle ferme
son poing. Le pouce se lève. Elle commence
d’égrener les noms des rivales.
Et de scanner les vertus, disséquer les
tares, soupeser les chances de chacune.
Minutieuse, elle prend le temps (la
moitié du repas, pardi !) de leur refaire
à toutes le portrait, avec la dextérité
de qui a consacré au sujet de longues
heures de réflexion.
Evidemment, au terme de cet
impitoyable examen, elle n’en a pas
trouvé six qui pourraient la supplanter.
Enjouée, elle récapitule
donc et noie son nom au milieu
de celui des autres : « Rachida
Dati, Valérie Pécresse, Nathalie
Kosciusko-Morizet, Emmanuelle
Mignon, Roselyne Bachelot, Christine
Lagarde, Françoise de Panafieu... »
L’instant d’après, ses yeux paniqués
implorent. « Qu’en dites-vous ? Vous
les journalistes, vous savez ces choseslà
mieux que nous. »
Ne vous avisez pas de détourner
la conversation. Ni de vous moquer.
L’affaire est trop sérieuse. A quelques
jours du premier tour, plus que les
dernières polémiques de campagne,
fussent-elles ardentes, plus, même,
que les ultimes sondages, pourtant
cruciaux, c’est « le » sujet qui passionne
les troupes d’élite du candidat.
Le lendemain, en effet, le couvert
est remis, avec un député proche du
présidentiable, cette fois. La même
chose en pire. Car, sur un cheptel de
ministrables sensiblement plus fourni
en hommes qu’en femmes, il y aura
autant d’heureux élus de chaque sexe.
Tremblez, messieurs ! Et ils tremblent.
Même les plus fidèles compagnons
de Nicolas Sarkozy. Eux aussi lèvent
leurs doigts pour compter. « François
Fillon, Brice Hortefeux, Patrick Devedjian,
Christian Estrosi, Xavier Bertrand,
Eric Woerth, Laurent Wauquiez, Laurent
Hénart, Yves Jego, Dominique Paillé… »
Et ça fait plus que sept ! Quand tous
ces hommes, toutes ces femmes, et les
autres, se retrouvent dans les coulisses
des émissions de leur champion, c’est
la guerre. La guerre à la place dans le
champ de la caméra derrière « Nicolas
». Se placer, donc. Mais, surtout,
regarder où sont placés les autres. Et
les compter !.Anna Bitton
L e c h i f f r e d e L a s e m a i n e
39
%C’est la baisse du nombre de hold-up dans les agences
bancaires, l’an dernier. En 2006, 271 vols à main armée
ont été recensés, contre 445 en 2005. Depuis six ans, ces
agressions sont en constante diminution et enregistrent une baisse totale
de 72 %, ce qui représente 700 délits de moins.
jacques demarthon / afp

marta nascimento / rea
L e p o u r q u o i d u c o m m e n t
Le contrat
« pas de chance »
de Ségolène Royal
Le « contrat première chance » sera
enseigné dans les instituts de sciences
politiques comme l’exemple de
ce qu’il faut éviter dans une campagne
électorale.
1. La précipitation. Coincée dans un débat sur
la sécurité, l’ordre et l’immigration, après
les incidents de la gare du Nord, Ségolène
Royal veut revenir sur le terrain social. Elle
demande à son équipe, en l’occurrence la
sociologue Dominique Méda, une « mesure
ciblée sur les jeunes sans qualification ».
Mais elle prend à peine le temps d’écouter
son staff avant de livrer son nouveau bébé
à la presse, le 30 mars : « Un contrat d’un
an, pris en charge par les régions, qui peut
déboucher sur un CDI. » Trop flou.
2. Le manque de dialogue. Avant de se lancer,
Ségolène Royal n’a contacté aucun syndicaliste,
pas même ceux qui auraient pu être
ouverts au dispositif. Elle ne le fera pas non
plus après, même lorsque la droite tirera à
vue en daubant, comme l’UMP Dominique
Paillé, sur son « prêt de main-d’œuvre
gratuite ». Le président de l’Unef, Bruno
Julliard, dit avoir « attendu cinq jours, en
vain, des éclaircissements » sur le contrat
première chance.
3. La concurrence. Excédé, Bruno Julliard
lâche à la presse l’expression « CPE de
PaR HeRvé NatHaN
Formation à l’entretien téléphonique de demandeurs d’emploi.
gauche », injure suprême. Aussitôt
toute la gauche de la gauche, de Buffet
à Laguiller, reprend en cœur l’expression,
avec des variantes : « CPE new-look »,
s’exclame Besancenot. Pour les Verts,
Cécile Duflot pontifie : « Ce n’est pas un
nouveau contrat dont la jeunesse a besoin,
mais de toute sa place. » Toute la gauche
de la gauche oublie son engagement
de départ : « permettre la victoire sur la
droite au second tour ». Au sein du PS,
c’est presque pis : il y a plusieurs versions
du « CPC », celle de Dominique Méda,
celle de Gaëtan Gorce, celle de Dominique
Strauss-Kahn, celle du président
de la région Bourgogne…
4. il aura fallu dix jours et les efforts et explications
de dominique méda pour sortir du
piège du cpe. Le contrat première chance,
s’il coûte cher (1 milliard d’euros par an),
ne créerait pas un nouveau statut, mais
procurerait une chance de trouver un
emploi aux 190 000 jeunes sans aucune
qualification. Du moins est-ce l’avis de
François Chérèque (CFDT) et de Jean
Grosset (Unsa). La CGT demeure réservée,
mais ne veut pas polémiquer avec le PS.
Bruno Julliard, lui, est « satisfait des clarifications
». L’extrême gauche s’est tue.
L’alerte est passée. Mais le débat social
est toujours au point mort.
44 Marianne / 14 au 20 avril 2007
r e p è r e s f r a n c e
Le livre
indispensable pour
comprendre Royal
rien de plus périlleux
que d’écrire sur le
livre d’un confrère. Rien
de plus acrobatique que
de rendre compte d’un
ouvrage écrit par un journaliste-maison.
Dans le
cas de Daniel Bernard,
journaliste au service
France de Marianne,
aucun problème : Madame Royal* est,
de l’avis général, l’un des meilleurs livres
politiques de la saison 2006-2007. Pour
commencer à comprendre la candidate
socialiste, une seule solution : lire Bernard.
Pour décrypter ce qui pourrait se passer
à l’Elysée au cas où, une obligation : lire
et relire Bernard. Pourquoi ?
Les raisons sont à l’évidence multiples : la
qualité de l’enquête puisque les scoops,
les révélations, foisonnent ; le brio de
l’écriture, à la fois précise et par instants
étincelante. Mais, par-dessus tout, l’auteur
ne se perd pas dans la fascination ou la
détestation, deux faiblesses de la même
espèce. Il nous fait comprendre qui est
vraiment Ségolène Royal, ses ressorts,
politiques et personnels. Une lecture
indispensable.M.S.
* Ed. Jacob-Duvernet, 270 p., 19,90 €.
Mégret
au prochain tour ?
Le « félon », Bruno Mégret, n’a pas baissé
les armes. Un échec de Le Pen (mais
qu’est-ce qu’un échec de Le Pen ?) pourrait
relancer les rêves que caressent certains
d’un « congrès d’Epinay » de la droite
nationale… sans Marine Le Pen, dont ses
adversaires prétendent qu’elle n’a pas le
rapport de force pour garder le contrôle
du FN. Peut-être… Mais en 1999, quand
Mégret a quitté avec cadres et fracas le
FN, tous les médias et les « observateurs
avertis » avaient déjà prédit la chute de la
maison Le Pen. Puis, il y a eu 2002….
i L a o S é L e d i r e
François Hollande, pS.
« Le charisme vient
avec l’élection. »
Le Monde, 11 avril 2007.
remy de la mauvinière / ap / sipa
Les médias en campagne
pour qui votent
les journalistes ?
L’Equipe Magazine l’avait fait
pour les joueurs de football de
1 re et de 2 e divisions. Marianne
a voulu le faire pour les journalistes
: les interroger, de
façon anonyme bien sûr, sur leurs
intentions de vote. Après tout, nous
avons bien publié les résultats de
notre propre scrutin interne (lire
Marianne n° 516). Las ! Notre opération
s’est révélée un fiasco complet.
Moins d’une dizaine de réponses…
Nos confrères sont-ils débordés ? Ou
considèrent-ils que leur profession
doit se cantonner dans une stricte
neutralité ?
Par ailleurs, fort peu de rédactions
ont eu la curiosité d’organiser
« elle » l’a mise en une mais n’a pas fait sa campagne.
un vote interne. Seuls le Nouvel
Observateur et les Echos se sont
livrés à l’exercice. A l’Obs, 63 % des
journalistes se sont prononcés pour
Ségolène Royal, François Bayrou ne
recueillant que 10 % des suffrages.
Derrière, on trouvait Dominique Voynet
(8 %) et quelques rares voix pour
Sarkozy. Ce dernier n’a obtenu que
21,5 % aux Echos, comme François
Bayrou, Ségolène Royal triomphant
avec 47,3 % de voix. Ce résultat peut
étonner de la part d’un quotidien aux
options néolibérales, mais la gauche
y était déjà en tête en 2002. Enfin, le
vote de la rédaction de l’Expansion
ne sera clos que dans les jours suivant
la parution de Marianne.Ph.C.
14 au 20 avril 2007 / Marianne 45
Page coordonnée par Philippe Cohen
Le flop de la netcampagne
Election
présidentielle
2007
contrairement à ce que proclame, entre
autres, Télérama (« Comment Internet
bouscule la campagne »), la révolution
Internet n’a pas eu lieu. Sauf à considérer que
le limogeage d’Alain Duhamel, « l’un des rares
effets concrets de la netcampagne », constitue
« un bouleversement politique », ironise André
Gunther. Ce chercheur à l’Ecole des hautes
études en sciences sociales (EHESS) note que
« les clips les plus regardés affichent des taux
de visite situés entre 3 000 et 5 000 clics par
jour »*, soit beaucoup moins que n’importe
quelle émission de radio. Pis, à ne relayer
que les coups bas de cette netcampagne, les
journalistes se sont pris les pieds dans la Toile.
Ainsi ont-ils ignoré le seul vrai carton du Net :
la vidéo « le Vrai Sarkozy », regardée deux
millions et demi de fois depuis juillet 2006.
Un clip anonymeau message simple : « Sarkozy
fait peur. » « A la mesure du Web » : un candidat
qui véhicule une telle image « n’a aucune
chance d’être élu », pronostique le chercheur.
Octave Bonnaud
www.arhv.lhivic.org
L’« effet Ségo »
a fait long feu
dans les féminins
ségolène Royal a-t-elle été
boycottée par les journaux
féminins, comme le suggère une
lectrice de Libération ? Autant la
candidate socialiste a suscité des
articles dans la presse féminine
avant le début de la campagne
interne au PS, autant, depuis,
elle n’a guère déclenché d’empressement,
quand elle n’a pas
été carrément boudée ! Pour
Sophie de Heredia, rédactrice
en chef adjointe de Cosmopolitan,
« la politique politicienne
n’a pas sa place dans un féminin
». Chez Marie-Claire ou
Glamour, on invoque les délais
de bouclage. « Nous sommes un
mensuel, nous travaillons avec
plusieurs mois d’avance », affirme
Aude Goullioud, rédactrice en
chef à Glamour.
Quand ils choisissent malgré
tout de traiter le « sujet Ségo »,
les féminins agissent avec une
« extrême prudence », pour
reprendre les termes de Gilles
Denis, de Jasmin. « Se réjouir
de la montée de Ségolène Royal
simplement parce qu’elle est
une femme est une forme de
machisme. Du coup, chaque
papier sur Royal a donné lieu
à d’intenses débats interne »,
raconte-t-il. En revanche, la
campagne, le programme et la
personnalité de Ségolène Royal
ont été largement couverts dans
Femme actuelle. « Nous sommes
apolitiques, il n’a jamais été question
d’encourager les lectrices à
voter pour elle ! », précise toutefois
la rédactrice en chef adjointe,
Caroline Tancrède. Même prudence
à Elle, qui a mis Ségolène
Royal en une, tout en prenant
soin de publier des articles sur
les autres femmes de la campagne
: « Ce n’est pas parce que la
nature l’a faite femme que le journal
doit faire campagne “pour”
elle », souligne Valérie Toranian,
la directrice de la publication.
Anna Topaloff

marta nascimento / rea
L e p o u r q u o i d u c o m m e n t
Le contrat
« pas de chance »
de Ségolène Royal
Le « contrat première chance » sera
enseigné dans les instituts de sciences
politiques comme l’exemple
de ce qu’il faut éviter dans une
campagne électorale.
1. La précipitation. Coincée dans un débat
sur la sécurité, l’ordre et l’immigration,
après les incidents de la gare du Nord,
Ségolène Royal veut revenir sur le terrain
social. Elle demande à son équipe, en
l’occurrence la sociologue Dominique
Méda, une « mesure ciblée sur les jeunes
sans qualification ». Mais elle prend à
peine le temps d’écouter son staff avant
de livrer son nouveau bébé à la presse,
le 30 mars : « Un contrat d’un an, pris en
charge par les régions, qui peut déboucher
sur un CDI. » Trop flou.
2. Le manque de dialogue. Avant de se lancer,
Ségolène Royal n’a contacté aucun
syndicaliste, pas même ceux qui auraient
pu être ouverts au dispositif. Elle ne le
fera pas non plus après, même lorsque
la droite tirera à vue en daubant, comme
l’UMP Dominique Paillé, sur son « prêt de
main-d’œuvre gratuite ». Le président de
l’Unef, Bruno Julliard, dit avoir « attendu
cinq jours, en vain, des éclaircissements »
sur le contrat première chance.
3. La concurrence. Excédé, Bruno Julliard
PaR HeRvé NatHaN
Formation à l’entretien téléphonique de demandeurs d’emploi.
lâche à la presse l’expression « CPE de gauche
», injure suprême. Aussitôt toute la
gauche de la gauche, de Buffet à Laguiller,
reprend en cœur l’expression, avec des
variantes : « CPE new-look », s’exclame
Besancenot. Pour les Verts, Cécile Duflot
pontifie : « Ce n’est pas un nouveau contrat
dont la jeunesse a besoin, mais de toute
sa place. » Toute la gauche de la gauche
oublie son engagement de départ : « permettre
la victoire sur la droite au second
tour ». Au sein du PS, c’est presque pis : il
y a plusieurs versions du « CPC », celle de
Dominique Méda, celle de Gaëtan Gorce,
celle de Dominique Strauss-Kahn, celle du
président de la région Bourgogne…
4. il aura fallu dix jours et les efforts et explications
de dominique méda pour sortir du
piège du cpe. Le contrat première chance,
s’il coûte cher (1 milliard d’euros par an), ne
créerait pas un nouveau statut, mais procurerait
une chance de trouver un emploi aux
190 000 jeunes sans aucune qualification.
Du moins est-ce l’avis de François Chérèque
(CFDT) et de Jean Grosset (Unsa). La CGT
demeure réservée, mais ne veut pas polémiquer
avec le PS. Bruno Julliard, lui, est
« satisfait des clarifications ». Le « contrat »
est devenu « parcours ». L’extrême gauche
s’est tue. L’alerte est passée. Le débat social,
lui, est toujours au point mort.
44 Marianne / 14 au 20 avril 2007
r e p è r e s f r a n c e
Le livre
indispensable pour
comprendre Royal
rien de plus périlleux
que d’écrire sur le
livre d’un confrère. Rien
de plus acrobatique que
de rendre compte d’un
ouvrage écrit par un journaliste-maison.
Dans le
cas de Daniel Bernard,
journaliste au service
France de Marianne,
aucun problème : Madame Royal* est,
de l’avis général, l’un des meilleurs livres
politiques de la saison 2006-2007. Pour
commencer à comprendre la candidate
socialiste, une seule solution : lire Bernard.
Pour décrypter ce qui pourrait se passer
à l’Elysée au cas où, une obligation : lire
et relire Bernard. Pourquoi ?
Les raisons sont à l’évidence multiples : la
qualité de l’enquête puisque les scoops,
les révélations, foisonnent ; le brio de
l’écriture, à la fois précise et par instants
étincelante. Mais, par-dessus tout, l’auteur
ne se perd pas dans la fascination ou la
détestation, deux faiblesses de la même
espèce. Il nous fait comprendre qui est
vraiment Ségolène Royal, ses ressorts,
politiques et personnels. Une lecture
indispensable.M.S.
* Ed. Jacob-Duvernet, 270 p., 19,90 €.
Mégret
au prochain tour ?
Le « félon », Bruno Mégret, n’a pas baissé
les armes. Un échec de Le Pen (mais
qu’est-ce qu’un échec de Le Pen ?) pourrait
relancer les rêves que caressent certains
d’un « congrès d’Epinay » de la droite
nationale… sans Marine Le Pen, dont ses
adversaires prétendent qu’elle n’a pas le
rapport de force pour garder le contrôle
du FN. Peut-être… Mais en 1999, quand
Mégret a quitté avec cadres et fracas le
FN, tous les médias et les « observateurs
avertis » avaient déjà prédit la chute de la
maison Le Pen. Puis, il y a eu 2002….
i L a o S é L e d i r e
François Hollande, pS.
« Le charisme vient
avec l’élection. »
Le Monde, 11 avril 2007.

Au pays du consensus,
du chômage heureux
et de la croissance,
tout n’est pas si rose :
un gouvernement
de centre droit,
l’Alliance bourgeoise,
privatise et taille dans
la dépense publique.
De notre envoyé spécial alain léauthier
m o n d e
Ségolène Royal s’en réclame, il fait rêver d’autres candidats
Le modè Le suédois
est-ce si form idable qUe cela ?
Carl et silvia, le couple
royal de suède,
en visite dans l’usine de
production de la vodka
Absolut. Afin de réduire
la dette publique,
l’entreprise nationale
va être privatisée.
nous sommes le parti des gens
qui travaillent. » Cela vous
rappelle quelqu’un ? Nicolas
Sarkozy ? Oui, mais, avant
lui et lors d’une autre campagne,
c’est Fredrik Reinfeldt,
aujourd’hui Premier
ministre suédois de centre droit, qui en
avait fait son slogan. Agé d’à peine 41 ans,
l’homme a été élu en septembre 2006 sur un
programme promettant le retour au pleinemploi
et, beaucoup plus discrètement, une
baisse sensible des impôts. Du Reagan à la
sauce nordique ? Pas du tout, protestent les
dirigeants de l’Alliance bourgeoise désormais
au pouvoir, juste une restauration du
« vrai modèle suédois ». Soit, selon eux, la
générosité mais pas l’assistanat que des
décennies de « laxisme » social-démocrate
auraient encouragé.
Labellisé ou pas « 100 % d’origine », cet
« inoxydable modèle suédois »* a transformé
Stockholm en antichambre de la présidentielle
française. Sur place, la mission
économique de l’ambassade de France a
œcuméniquement guidé les pas des experts
mandatés par les partis. Ou ceux des candidats,
telle Ségolène Royal, venue au mois
de juillet, et dont le (faussement) candide
« le pays où les patrons n’ont pas peur des
syndicats » a régalé les caricaturistes.
Aujourd’hui, parmi les douze lancés
dans la course à l’Elysée, personne ne
maîtrise mieux qu’elle le sabir inventé par
les sociaux-démocrates du Grand Nord :
« flexicurité » (concept danois en fait…),
démocratie participative, valorisation des
acquis, on en passe et des plus technos. Si
l’aspect mode du phénomène peut agacer,
l’existence d’une « troisième voie » entre le
libéralisme anglo-saxon et les Etats-providences
continentaux que l’on dit à bout
de souffle explique l’affluence tricolore.
« Seulement, que viennent-ils chercher au
46 marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / marianne 47
smith / scanpix / sipa
juste ? s’interroge Nils Karlson, le président
de Ratio, un institut économique indépendant.
Le modèle suédois, tout le monde
l’adore, sauf qu’il n’est pas défini une bonne
fois pour toutes et a beaucoup changé au
fil du temps. » A l’image de l’Irlande avant
sa récente prospérité, la Suède a d’abord
pointé dans l’arrière-garde des nations
de la grande Europe. « Au XIX e siècle, elle
comptait même parmi les plus pauvres »,
souligne Pär Nuder, ministre des Finances
du précédent gouvernement de centre
gauche de Göran Persson.
Pär Nuder est un des piliers du Parti
social-démocrate, le Sveriges Socialdemo-
« Nous défendons les
travailleurs, pas les emplois.
C’est ce qui nous différencie. »
Pär Nuder, Parti social-démocrate
kratiska Arbetareparti (SAP), qui a gouverné
quasiment sans interruption depuis 1928.
Il aime aussi se présenter comme un partisan
décomplexé du marché libre. « C’est
parce que nous en avons adopté les règles
tout en en corrigeant les excès que ce pays a
décollé. Capitalisme et taxes élevées, industries
concurrentielles et syndicats puissants,
secteur privé rentable et secteur public de
grande qualité. Efficacité économique et
redistribution juste. Voilà notre recette du
succès », aime-t-il répéter dans les conférences
qu’il donne dans le monde entier.
Pour ses compatriotes, le secret du
« modèle » vient de l’association « librement
consentie » entre travail et capital.
Cet ingrédient de base date de l’avantguerre,
plus précisément de 1931. La
scène fondatrice de ce qui allait devenir le
paritarisme à la suédoise, et le début du
long règne des sociaux-démocrates, se tient
cette année-là à Adalen, à 500 km au nord
de la capitale. A l’issue d’une grève dure
de plus de cent jours, l’armée tire sur un
défilé organisé contre des « jaunes » et tue
cinq manifestants.
« C’est une date butoir dans l’imaginaire
collectif des Suédois. La plupart des responsables
se sont dit qu’ils ne voulaient plus
jamais voir ça », explique Michel Wlodarczyk,
le directeur de la Folkuniversitetet de
Stockholm. En 1938, il en sortira l’accord dit
de Saltsjöbaden, table de la loi de la concertation
directe entre syndicats et patronat,
l’Etat n’intervenant qu’en cas de réel blocage
d’un conflit. Du donnant-donnant,
ou « gagnant-gagnant » en somme, pour
reprendre le jargon de la candidate socialiste.
Grâce à un taux de syndicalisation
de plus de 80 %, les premiers garantissent
une paix sociale durable, un engagement
en faveur de la flexibilité et de la mobilité.
Mais les syndicats obtiennent en échange
une amélioration régulière de la situation
de leurs adhérents.
Un système qui bat de l’aile
Lors de sa visite chez Ericsson en juillet dernier,
Ségolène Royal a pu constater avec un
certain étonnement que la formule tenait
toujours le cap. Interrogé sur les dizaines
de milliers d’emplois supprimés en 2000
par le géant de la téléphonie, Bengt Fogelberg,
le délégué de Landsorganisationen i
Sverige (LO), l’unique confédération syndicale,
lui a tranquillement expliqué que
rien ne servait de lancer des grèves contre
des délocalisations inéluctables. La priorité
consistait plutôt à obtenir le reclassement
des licenciés. Ce qui semble avoir été le cas
pour 90 % d’entre eux chez Ericsson.
« Nous défendons les travailleurs, pas les
emplois, surtout à l’heure de la mondialisation
où ils évoluent sans cesse. C’est ce qui
nous différencie des combats menés dans
des nations comme la France », souligne Pär
Nuder. Selon lui, ce pragmatisme solidement
ancré dans les mentalités scandinaves
a permis de surmonter les différentes crises
du « modèle ». De « très capitaliste avec
une faible imposition des revenus dans les
années 50-60 », le pays a évolué vers une
forte protection sociale financée par des
impôts élevés, estime Nils Karlson.
Membres reconnus des élites de la
société suédoise, les économistes de LO ont
pris une part décisive dans cette mutation.
Et d’abord dans la définition des « fondamentaux
» auxquels ses dirigeants font
encore référence. « On ne peut protéger les
salariés sans un marché du travail très actif,
une forte productivité des entreprises et une
faible inflation », résume Lena Westerberg,
une des économistes de LO.
La population a longtemps adhéré sans
barguigner à cette conception du progrès,
qui détermine l’approche de la question
m o n d e

ertil ericson / scanpix / afp
emblématique du chômage. Véritable
hantise en France, il est vécu par beaucoup
de Suédois comme une simple étape
dans leur parcours professionnel. « Grâce
à la qualité de leur formation initiale et
continue, grâce aux passerelles permettant
le retour à l’université, les gens sont tellement
sûrs de retrouver du travail, même
dans une autre activité, qu’ils n’hésitent pas
à démissionner si le job ne leur convient
pas », explique Alain Lefebvre, conseiller
à l’ambassade de France pour les affaires
économiques et sociales.
chômage et démographie
En cas de difficultés, la sécurité est maximale,
au moins jusqu’à une date récente
(lire l’encadré ci-dessous). Si les indemnités
de licenciement ne sont pas obligatoires,
l’indemnisation du chômage représente
de 80 à 90 % du salaire pendant les trois
cents premiers jours puis encore 70 % les
Privatisations et baisses d’impôts
Hier, c’était
la suppression
de l’impôt sur la fortune,
demain ce sera celle
de l’impôt foncier.
Le gouvernement
de Fredrik Reinfeldt
est passé à la vitesse
supérieure. Lors de
la campagne électorale,
l’Alliance bourgeoise,
qui réunit les quatre
principaux partis
conservateurs, était
restée assez prudente
sur son projet. Celui-ci se
dessine plus clairement,
notamment dans
manifestation contre la
réforme de l’assurance
chômage à stockholm,
en décembre 2006.
le domaine fiscal.
Outre les deux mesures
citées, Reinfeldt veut
diminuer les charges des
entreprises embauchant
des chômeurs, jeunes et
seniors. Côté protection,
le triplement des
cotisations sociales fait
hurler le syndicat LO,
car celles-ci sont
le plus souvent payées
en même temps que
la cotisation syndicale.
Par ailleurs, il faudra
travailler plus longtemps
pour bénéficier d’une
allocation chômage
cent jours suivants. En outre, l’Agence de
sécurité sociale peut prendre en charge
100 % du loyer ou des mensualités d’un
prêt immobilier.
Ségolène Royal s’inspire de ce système
quand elle dit vouloir « sécuriser les plus fragiles
». De même, elle a retenu du dispositif
le suivi personnalisé offert, voire imposé,
aux chômeurs de longue durée. « C’est le
processus dit d’activation, poursuit Alain
Lefebvre. Ici, pointer à l’ ANPE signifie être
vraiment en recherche d’emploi, aidé par
un “coach”, avec des heures de cours ou des
stages de remise à niveau, obligatoires. »
Tout cela a un coût que le pays n’a
pas toujours eu les moyens d’assurer. Au
milieu des années 90, il a ainsi traversé
une récession sans précédent depuis le
début des années 30, avec une explosion
du chômage, une dette publique dans
le rouge vif et le plus important déficit
budgétaire de la zone OCDE. « Au point
sensiblement réduite.
Enfin, le gouvernement
veut faire maigrir
l’Etat-providence.
Une campagne
de privatisation
d’entreprises où l’Etat
est encore majoritaire
va être lancée. Objectif
pour les trois ans
à venir : un gain
de 16 milliards d’euros
destinés en priorité à
réduire la dette publique.
Parmi les entreprises
cibles figurent la vodka
Absolut ou le groupe de
téléphonie TeliaSonera.
48 marianne / 14 au 20 avril 2007
m o n d e
qu’on s’est demandé si ce fameux modèle
n’était pas une illusion complète », relève
Michel Wlodarczyk.
La réponse des sociaux-démocrates,
mis au pied du mur, ne fut pas de celles
qui assurent forcément une popularité
en France. « Nous avons dans le même
temps augmenté les impôts, coupé dans les
dépenses publiques et libéré l’économie »,
explique Pär Nuder. Selon lui, le retour à
l’équilibre s’est effectué en moins de quatre
ans alors que la croissance se stabilisait
durablement autour de 2,6 % par an entre
1995 et 2004. « De mon point de vue, martèle-t-il,
un authentique social-démocrate
est quelqu’un qui se préoccupe d’abord de
l’état des finances publiques. »
Avant d’être battu en septembre, son
gouvernement a lancé ou approfondi
des réformes allant toutes dans le même
sens : cure d’amaigrissement de l’Etat,
mais investissement significatif (4 % du
« L’actuel modèle présente
des failles grandissantes :
l’école ou la santé. »
Michel Wlodarczyk, universitaire
PIB) dans le développement et la recherche
pour bâtir la fameuse « économie de
l’intelligence » souhaitée lors du sommet
européen de Lisbonne en 2000.
L’usure et le manque de charisme de
Göran Persson ont incité les électeurs
à tenter une autre carte. Pour un autre
modèle ? « L’actuel présente des failles
grandissantes, estime Michel Wlodarczyk.
L’école ou la santé donnent moins
satisfaction qu’avant. Certains parlent
même de déclin. » Au rayon des inquiétudes
figure également la part croissante
des 15-65 ans hors du marché du travail,
même si le taux d’emploi (entre 70 et
80 %, contre 60 % en France) reste un des
meilleurs d’Europe. Sans parler de l’évolution
inquiétante de la démographie. Or,
estime Alain Lefebvre, « un tel système de
solidarité ne peut durer qu’avec une force
de travail très importante ».
Pour y parvenir, le nouveau Premier
ministre, Fredrik Reinfeldt, veut baisser les
charges, alléger les impôts et tailler encore
dans les dépenses publiques. « Là, il ne
s’agit plus de sauver le modèle mais de le
casser, alors qu’après la crise de 1990 nous
avons montré qu’on pouvait trouver un
point d’équilibre », estime Joakim Palme,
fils de l’emblématique Premier ministre
social-démocrate assassiné en 1986. LO
a prévenu : s’ils vont trop loin, les conservateurs
devront affronter la plus puissante
force syndicale européenne.A.L.
* D’après le titre d’une étude réalisée par Stéphane Boujnah,
un ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn.

L’éthanoL
Déchire
De notre corresponDante au Brésil lamia oualalou
La gauche Latino
George Bush n’osait pas
en rêver. Depuis des
années, son administration
tente de
diviser les gouvernements
de gauche latinoaméricains,
et surtout fâcher
le Vénézuélien Hugo Chavez et
le Brésilien Luiz Inacio Lula da
Silva. En vain. Les deux hommes
ont beau avoir des styles
et des convictions éloignés, ils
multiplient les rencontres, avec
sourires et accolades à désespérer
la Maison-Blanche.
Hugo Chavez vient de rompre
la tradition en s’attaquant
à la politique brésilienne de
promotion de l’éthanol. Avec
la transformation de la canne à
sucre cultivée sur des millions
d’hectares en biocarburant,
le Brésil de Lula veut devenir
l’« Arabie saoudite verte » et
détrôner le pétrole, jugé trop
cher et polluant. Un pur scandale,
estime Hugo Chavez : « On
produit des aliments, mais ce
n’est pas pour les gens, c’est pour
les voitures des riches. » Et voilà
que son mentor Fidel Castro
enfonce le clou la semaine
dernière avec deux tribunes,
publiées par le journal officiel
Granma. « Si on finance les
pays pauvres pour produire de
l’éthanol à partir de maïs ou
d’un autre aliment, prévient le
Cubain, il ne restera plus un seul
arbre pour protéger l’humanité
du changement climatique. »
Brasilia n’a pas apprécié.
Entendre Fidel Castro, longtemps
champion de la monoculture
sucrière, et Hugo Chavez,
président du cinquième
pays producteur de pétrole,
donner des leçons d’environnement
est un peu fort. « Nous
avions compris jusqu’à récemment
que le Venezuela aussi
était intéressé par la production
d’éthanol et de biocarburants »,
s’est irrité Marco Aurelio Garcia,
le conseiller de Lula pour
les affaires internationales.
Effectivement, en août 2006,
la compagnie d’hydrocarbures
vénézuélienne PDVSA a signé
un accord avec son homologue
brésilienne Petrobras pour
construire 15 usines de transformation
de canne à sucre en
éthanol au Venezuela.
« Tout a changé avec le
voyage de George Bush en Amérique
latine », analyse Gilberto
Dupas, directeur de l’Institut
des études économiques internationales
à Sao Paulo. Le président
américain a profité de cette
tournée en mars pour signer
avec le Brésil un accord de
coopération sur l’éthanol. Les
deux pays concentrent 70 % de
la production mondiale, même
si, aux Etats-Unis, il est dérivé
14 au 20 avril 2007 / Marianne 49
Les biocarburants affameront-ils
les pauvres ? C’est ce qu’affirment
Chavez et Castro, alors que
le Brésilien Lula veut
développer leur production.
du maïs. L’accord signé pourrait
bien menacer la fameuse diplomatie
pétrolière d’Hugo Chavez
qui consiste à vendre du brut
aux pays sans ressource énergétique
à des conditions commerciales
exceptionnelles.
Des risques réels
Pourtant, même teintées de
mauvaise foi, les alertes lancées
par Castro et Chavez ne sont pas
fantaisistes. L’influent magazine
américain Foreign Affairs a
publié un article de deux économistes
de l’université du Minnesota
intitulé « Comment les
biocarburants peuvent affamer
les pauvres ». Subventionnés,
les agriculteurs du Midwest
américain se sont lancés à corps
perdu dans la production de ce
« pétrole vert ». La spéculation
a fait le reste : aux Etats-Unis,
les cours du maïs ont d’atteint
george Bush a profité de sa
tournée en amérique latine
le mois dernier pour signer
un accord avec le Brésilien
inacio Lula da Silva.
leur record de la décennie. Tant
pis pour les miséreux pour qui
le maïs constitue l’aliment de
base. Le Brésil assure que sa
production, à base de canne à
sucre, ne pose pas ces problèmes.
L’immensité de ses terres
permettrait de cultiver sans
dommage 6 millions d’hectares
supplémentaires pour arriver à
tripler la production d’éthanol.
Francisco Pierri, consultant au
sein du ministère brésilien de
la Réforme agraire, conteste
l’argument, estimant que « les
surfaces sont beaucoup plus
réduites » et les risques écologiques,
réels.
Le débat ne fait que commencer.
Lula et Chavez se
retrouvent cette semaine dans
l’île vénézuélienne de Margarita
pour un sommet énergétique
latino-américain. Ils ont promis
d’aplanir leurs différends.
ricardo stuckert / epa / sipaM o n D e

a t t e n d e z - v o u s à a p p r e n d r e
Algérie.
Ce ne sont pas seulement des hommes
et des femmes qui ont péri
déchiquetés mercredi 11 avril dans
les attentats d’Alger, mais, peutêtre,
à un mois du premier tour
des législatives, le processus de « concorde
civile » lancé en 2000 par le président Boutlefika.
Certes, en dépit de la loi d’amnistie,
les embuscades et les attentats meurtriers
n’ont jamais cessé dans un pays prétendument
pacifié. En Kabylie mais aussi dans
la proche banlieue de la capitale, comme
le 5 juillet 2002, quand l’explosion d’une
bombe fit 38 morts et
80 blessés sur le marché
de Larbâa.
Jamais pourtant,
depuis l’époque où le
GIA commettait ses
pires atrocités, le cœur d’Alger n’avait été
directement frappé. Jamais une voiture
piégée n’avait été lancée contre le palais
du gouvernement qui abrite le Premier
ministre, Abdelaziz Belkhadem. Le mode
opératoire, la quasi-simultanéité des attaques
rappellent à s’y méprendre les attentats
de 2003 au Maroc et de Mombasa au
Kenya, ou encore les grosses opérations
menées quotidiennement à Bagdad et dans
d’autres villes irakiennes.
C’est pourquoi la signature Al-Qaida est
si crédible. Au début de l’année, les services
occidentaux estimaient que l’organisation
avait retrouvé ses capacités d’action et de
coordination. Al-Jazira, la télévision pan-
PAr AlAIn léAuthIEr
evacuation d’une victime des attentats d’alger, le 11 avril 2007.
La signature Al-Qaida
Le mode opératoire
évoque les attentats de 2003
au Maroc et au Kenya.
arabique, affirme avoir reçu la revendication
de sa branche régionale, l’Organisation
Al-Qaida au Maghreb islamique, nouvelle
« étiquette » du Groupe salafiste pour la
prédication et le combat (GSPC). Seul mouvement
clandestin à n’avoir jamais officiellement
rendu les armes, ce dernier semble
revigoré depuis son intégration proclamée
au sein de la nébuleuse terroriste.
En décembre 2006, il a revendiqué l’attaque
d’un bus transportant les employés
d’une filiale de la compagnie publique algérienne
Sonatrach et de la société américaine
Halliburton, connue
pour ses liens avec le
clan Bush.
A un mois des
élections législatives,
la tuerie d’Alger donne
une résonance étrange aux déclarations
menaçantes de certains islamistes radicaux,
libérés dans le cadre de la loi d’amnistie.
Tels, en mars dernier, Abdelhak
Layada, cofondateur du GIA, anciennement
condamné à mort, ou Ali Benhadjar,
ex-dirigeant de la Ligue pour Daâwa et
Jihad. Les deux promettent une nouvelle
vague de violence faute d’un gouvernement
appliquant strictement la loi islamique,
voulue, paraît-il, par le peuple. Alors que
l’abstention était à la hausse lors des derniers
scrutins, les Algériens vont peut-être
conjurer le danger dans les urnes. A moins
que le désenchantement, partout perceptible,
n’allume à nouveau la mèche.
50 Marianne / 14 au 20 avril 2007
R E p è R E s M o N d E
Maroc. Génération
kamikaze
louafi larbi / reuters
«J
e les ai vus sauter à tour de rôle avec
leur ceinture explosive ! » Dans le
pauvre quartier de Hay el-Farah, littéralement
« la joie » en arabe, le commissaire
de police en est encore abasourdi. Le raid
monté à l’aube du mardi 10 avril visait à
cueillir dans leur planque des salafistes.
Aucun d’eux n’a voulu se laisser prendre
vivant. Bilan : quatre morts (les kamikazes)
et plusieurs blessés.
Les policiers ont pu mesurer la détermination
de leurs adversaires structurés en
cellules autonomes au cœur des quartiers
populaires et des bidonvilles comme celui
de Sidi Moumen, d’où étaient partis, le
16 mai 2003, les 13 kamikazes qui avaient
semé la mort à Casablanca. Cette dernière
génération de terroristes marocains est à
l’image de l’un de leurs « martyrs ». Abdelfettah
Raydi et sa famille faisaient partie
des laissés-pour-compte du royaume.
Arrêté à 19 ans dans la grande rafle antiterroriste
qui a suivi les attentats de 2003,
il est condamné à cinq ans de prison et
grâcié deux ans plus tard, juste le temps de
parfaire sa formation islamiste. Sa brève
carrière s’est achevée à 23 ans en kamikaze,
le 11 mars dernier, dans un cybercafé
de la ville. Comme son frère Ayoub, qui
figure parmi les morts de Hay el-Farah, il
ne voulait pas être pris par la police.
« Chaque interpellation risque désormais
de tourner au carnage », constate l’un des
hommes de la Sûreté nationale. En effet,
les salafistes traqués préfèrent se faire
sauter. « Ils ne veulent plus revivre l’enfer
de Témara, le centre d’interrogatoire des
services secrets où l’on torture », affirment
leurs amis, qui font parvenir des lettres
aux journalistes par l’intermédiaire d’une
ONG proche des islamistes. Les autorités
se veulent rassurantes en excluant
tout lien avec Al-Qaida du Maghreb. Le
lendemain, Casablanca, encore sous le
choc, apprenait l’hécatombe d’Alger.
Alex Panzani, à Casablanca
i l a o s é l e d i r e
saleh al-lahidan, président du
Haut Conseil juridique saoudien.
« Selon l’islam, il
faut se méfier des
voyages à l’étranger.
Le tourisme n’est
convenable qu’à des
fins de prédication. »
n o u v e l l e s d u f r o n t
Ethiopie.
Le trou noir de la CIA
L
’Ethiopie a officiellement admis détenir
« 41 terroristes présumés » capturés en
Somalie ou expulsés du Kenya. Quelques jours
auparavant, une enquête d’Associated Press
faisait état de centaines de personnes raflées
par les services américains dans plusieurs
pays de la Corne d’Afrique et emmenées pour
interrogatoires dans les prisons secrètes de la
CIA construites avec l’accord d’Addis-Abeba.
Guantanamo.
Nourris de force
T reize
détenus de Guantanamo sont nourris
de force, dont deux sont en grève de la faim
depuis… août 2005. Critiquée par des magistrats
et des ONG, l’armée américaine se défend :
le détenu est assis, ligoté, et des tuyaux enfoncés
dans le nez atteignent l’estomac. « C’est la
procédure normale, a expliqué le commandant
Robert Durand. D’ailleurs, les détenus sont
en bonne santé. » L’armée est contente des
résultats : à un moment, 131 détenus étaient en
grève de la faim. Ils refusent les nouvelles cellules
de Guantanamo, non plus des cages mais un
cube métallique individuel et sans fenêtre.
Irak.
Maudite Croix-Rouge
L ’administration
Bush l’explique depuis trois
semaines. Son plan de sécurisation de Bagdad
fonctionne, les violences baissent… Le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR), dans
un rapport du 11 avril, note, au contraire, que la
situation se dégrade, que l’hécatombe frappe les
populations, que les infrastructures de base et
le système de santé sont en voie de destruction.
Mais le CICR reconnaît pouvoir se tromper : se
déplacer est aujourd’hui si dangereux « que le
CICR n’a pas d’image globale au jour le jour de
tout ce qui se passe ».
Iran.
Et en plus c’est vrai !
L e
président Ahmadinejad a peu apprécié
les doutes exprimés en Occident après son
flamboyant discours annonçant que Téhéran
était en capacité de produire de l’uranium
enrichi à l’échelle industrielle. Du coup, deux
inspecteurs de l’Agence internationale de
l’énergie atomique vont être autorisés à visiter
les installations nucléaires du site de Natanz.
Dès le début février, Téhéran annonçait
l’installation de 3 000 centrifugeuses destinées
à enrichir l’uranium. Ce qui donne quelque
crédit au dernier discours présidentiel.
L ’Otan,
l e d e s s i n d e l a s e m a i n e
dessin de Bennet, paru dans « Christian science monitor », le 11 avril 2007.
14 au 20 avril 2007 / Marianne 51
Afghanistan. Les otages
d’un chaos généralisé
qui a déployé 30 000 hommes
en Afghanistan, l’avait
annoncé il y a deux mois. Les talibans,
réorganisés et réarmés par
l’argent de l’opium, allaient engager
une vaste offensive ce printemps.
Mais rien ne se passe comme prévu
par les stratèges de l’Isaf, la force dite
de stabilisation de l’Afghanistan. Les
talibans ont opté pour une guérilla
à l’irakienne, avec attentats-suicides,
voitures piégées (sept soldats
canadiens tués dimanche 8 avril)
et prises d’otages.
Le sort des deux Français de l’ONG
Terre d’enfance, capturés avec trois
collaborateurs afghans le 3 avril
dans le sud du pays, n’en est que
plus inquiétant. A Paris, les autorités
françaises et l’association se réfugient
dans le silence, tant les fils de
la négociation sont fragiles. La libération
du journaliste italien Daniele
Mastrogiacomo, contre 2 millions de
dollars et cinq chefs talibans, s’est
accompagnée des assassinats et
décapitations de son chauffeur puis
de son interprète. Hamid Karzaï ne
veut plus entendre parler d’échange
« otages contre prisonniers ». Dans ce
chaos grandissant qui souligne l’absence
de mandat précis des forces de
l’Otan comme l’extrême faiblesse du
pouvoir de Kaboul, les rares humanitaires
encore présents sont des cibles
toutes désignées.
Grande-Bretagne. La libération
des marins, c’est le pompon !
La joie, puis le grand guignol. La libération des 15 marins britanniques par
le régime iranien aura fait sombrer le gouvernement de Tony Blair dans le
ridicule. Après avoir autorisé les « otages » à vendre leurs souvenirs aux médias,
le ministère de la Défense a dû faire marche arrière. Trop tard. Faye Turney
monnayait sa confession au Sun et à ITV pour environ 120 000 €, tandis qu’Arthur
Batchelor faisait affaire avec le Daily Mirror. Ont-ils été aussi maltraités que
raconté ? Turney a expliqué qu’un gardien avait pris ses mesures pour lui préparer
un cercueil et le plus jeune des prisonniers – surnommé « Mr Bean » par ses
gardiens – a reconnu avoir « crié comme un bébé ». Aussitôt, les Iraniens se sont
fait un plaisir de rendre publiques des photos où l’on voit les marins jouer au
ping-pong et regarder la télé. Téhéran a gagné la guerre de la communication.
Tony Blair, lui, n’a pas gagné un point dans les sondages.F.B.

l E d E s s o U s d E s C a r t E s
Par François Bonnet
Etats-Unis. Bush,
la débandade
Il est le dernier en date à sauter du
navire en y laissant quelques grenades
dégoupillées. Il s’appelle Matthew
Dowd et fut, en 2004, l’un des
principaux artisans de la réélection
de George Bush. Membre du premier
cercle de l’administration présidentielle,
racontant volontiers comment il est tombé
quasiment « amoureux » du président dès
1999, Matthew Dowd claque la porte et
cela fait du bruit à Washington.
Que dit-il ?
Que George
B u s h f r a c -
ture la société
a m é r i c a i n e,
qu’il préside
dans un terrible
isolement
et sous l’influencecroissante
du viceprésident
Dick
Cheney. Que la
guerre en Irak
est une faillite
politique et
morale. Et que
lui, Matthew
Dowd, est d’accord
avec John
Kerry, le candidat
démocrate à
la présidentielle
de 2004 qu’il
s’acharna – avec
succès – à détruire, lorsque ce dernier
demande un retour rapide des troupes
américaines.
Rien de bien nouveau, dira-t-on,
dans ce constat d’obstination furieuse
et d’aveuglement idéologique qui caractérise
la Maison-Blanche. Mais l’intérêt
est ailleurs. Dowd est le premier du petit
groupe de conseillers politiques du président
à rompre de façon si brutale. Du
coup, cette rupture – « un geste émotionnel
», a commenté Bush – vient souligner
les problèmes d’équipe que connaît le
président à vingt mois de la fin de son
mandat. Si l’on fait la liste des partants ou
des responsables mis de côté parce que
plombés par les scandales, la solitude de
George Bush constitue pour les républicains
un grave problème politique.
Il y eut la première vague, celle de responsables
en désaccord avec la façon dont
Bush s’engageait dans « la guerre contre la
terreur » : exit Paul O’Neill, secrétaire au
Trésor, ainsi que Dick Clarke, le « M. Sécurité
». Puis une deuxième vague, liée à la
réélection : George Tenet, patron de la CIA,
essoré puis lâché par la Maison-Blanche ;
Colin Powell, secrétaire d’Etat, qui attendit
quelques mois
avant de mettre
sur la place
publique ses
désaccords ;
P a u l W o l -
fowitz, adjoint
au m inistre
de la Défense,
écarté par une
promotion à la
tête de la Banque
mondiale.
Depuis six
mois, une troisième
vague
de départs est
liée aux revers
et affaires qui
frappent l’administration.
Donald Rumsfeld,
ministre
de la Défense
sacrifié après les
élections perdues de novembre dernier ;
John Bolton, ancien ambassadeur aux
Nations unies, désavoué par le Congrès ;
Karl Rove « l’architecte », écarté par le
scandale Abramovitch ; Lewis Libby, lâché
par son patron Cheney dans le scandale
Plame. Le ministre de la Justice Alberto
Gonzales est, lui, sur un siège éjectable
après avoir limogé plusieurs procureurs
fédéraux pour des raisons politiques.
Avec eux, c’est une bonne partie de l’armature
idéologique et de la « technologie
» politique de l’administration Bush
qui disparaît. Au moment où le Congrès,
dominé par les démocrates, passe ouvertement
à l’offensive, le président cherche
ses troupes. Il est pratiquement seul.
Matthew dowd à la Convention
républicaine de new York, en 2004.
La solitude du président américain
constitue un grave problème politique
pour les républicains.
charles dharapak / ap / sipa
r E P è r E s M o n d E
Boris doubine* :
« Les étudiants
russes
se réveillent »
Marianne : Les grèves d’étudiants sont
rarissimes en Russie. Que réclament les
élèves en sociologie de l’université d’Etat
Lomonossov à Moscou ?
Boris doubine : Ce mouvement a commencé
par des revendications matérielles,
puis il s’est élargi aux conditions d’études,
contre la corruption des enseignants, les
diplômes achetés et le contenu même des
enseignements. Les meilleurs professeurs
ont souvent été écartés, au profit d’enseignants
empreints d’idéologie soviétique
et recyclés au service de la ligne actuelle
de l’Etat. Aujourd’hui, l’accent est mis
sur la religion orthodoxe et la défense
des intérêts nationaux ! Les étudiants
grévistes demandent simplement qu’on
leur enseigne la sociologie telle qu’elle est
enseignée dans le reste du monde.
Les autorités russes dénoncent une
manipulation étrangère des grévistes…
B.d. : Les initiateurs de la grève ont reçu
un soutien important de sociologues de
renom, en Russie et à l’étranger. Il est
évident que le pouvoir politique, en cette
année d’élections, a trouvé très désagréable
l’écho de cette contestation. Le seul
fait d’avoir réussi à provoquer un débat est
une victoire. Les étudiants se réveillent !
La corruption à l’université est-elle pire
qu’à l’époque soviétique ?
B.d. : Les mentalités sont restées les mêmes.
La situation a évidemment changé, des
services qui étaient gratuits sont désormais
payants. Aujourd’hui, on a le choix entre
un enseignement médiocre et gratuit ou
une école payante et un peu meilleure.
Mais nos dirigeants n’ont ni l’envie ni les
moyens d’y changer quoi que ce soit.
Propos recueillis par Anne Dastakian
* Sociologue russe au Centre Levada.
C ’est
E n d E U x M o t s
l E C h I f f r E
3 %
le taux de chômage enregistré au
mois de mars en Suisse. Le nombre de
chômeurs inscrits s’élevait à la fin du mois
à 117 915, près de 9 000 de moins qu’en
février. Il faut remonter à octobre 2002
pour trouver un taux inférieur.
nE n o UB vr E Elfl E s d U f r o n t
Gaz. Palestine.
Pulsion Moscou de pousse mortses
pions
VL ’Opep illepin
du a-t-il gaz détruit n’a pas un eu document lieu. Mais officiel, la ce
simple qui serait idée grave, que certains en l’occurrence pays producteurs une note
de – menés la DST par révélant la Russie, que le le Venezuela corbeau de et l’affaire
Clearstream l’Algérie – aient était envisagé Jean-Louis la création Gergorin d’un (ce qui
était, cartel d’ailleurs, gazier lors de d’une notoriété récente publique) réunion au
Qatar a donné des sueurs froides aux pays
consommateurs. La Russie a eu beau jurer
ses grands Etats-Unis.
dieux qu’elle n’entendait pas « se
liguer contre quiconque », les récents coups
de Pulsion de mort Vforce de Gazprom envers ses clients
ex-soviétiques illepin a-t-il permettent détruit un document d’en douter. officiel, ce
qui serait grave, en l’occurrence une note
de la DST révélant que le corbeau de l’affaire
Clearstream oMC. était Jean-Louis Gergorin (ce qui
était, d’ailleurs, de notoriété publique)
Guéguerre
Pékin-Washington
A u
moment même où la Chine annonçait
que son excédent commercial avait
doublé au premier trimestre sur un an
(46,5 milliards de dollars), Washington
portait plainte contre elle devant l’OMC.
La raison ? « Le plagiat et la contrefaçon
restent à des niveaux inacceptables en
Chine », dénonce l’administration Bush
aiguillonnée par le Congrès. Pékin ne
conteste pas les faits mais s’indigne
et prédit une « dégradation de ses relations »
avec les Etats-Unis.
Inde.
Fièvres nationalistes
A
mi-mandat, le Parti du Congrès
enchaîne les revers électoraux face aux
nationalistes hindous de l’ex-Coalition
safran. Après avoir remporté des élections
locales dans les Etats du Pendjab, de
l’Uttarakhand et à Bombay, le Bharatiya
Janata Party (BJP, Parti du peuple indien)
et ses alliés ont écrasé le parti de Sonia
Gandhi aux municipales dans le Grand
Delhi. Un sévère désaveu pour le Premier
ministre congressiste Manmohan Singh.
Bosnie.
Enfin la justice serbe !
P our
la première fois depuis la fin de l’ex-
Yougoslavie, la justice serbe a condamné
à des peines allant jusqu’à vingt ans de
prison quatre ex-paramilitaires, qui avaient
poussé le vice jusqu’à se filmer en train
d’exécuter six musulmans en Bosnie, en
marge du massacre de Srebrenica, en 1995.
Membres d’une unité baptisée les Scorpions,
les condamnés ont « combattu » en Croatie,
en Bosnie, puis au Kosovo.
I ls
Chine. Un nouveau scandale
des « esclaves du sang »
a croissance chinoise est fondée
«Lsur le sang des paysans », affirmait
récemment le responsable d’une ONG
chinoise. Un nouveau scandale de collecte
de sang est, cette semaine, venu
renforcer la métaphore. Cette fois, il
s’agit de la province du Guangdong,
où arrivent des millions de ruraux qui
cherchent à s’embaucher dans les
industries manufacturières. Le 10 avril,
la police a lancé une enquête dans les
21 villes. Des centaines de migrants
ont été transformés en « esclaves du
sang » par des gangs criminels qui
organisaient les collectes à une échelle
quasi industrielle.
L’affaire a démarré dans la ville de
Jieyang. En Chine, la vente de sang est
52 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 53
autorisée mais réglementée, chaque
« don » est payé 20 €. L’administration
sanitaire de la province a parlé,
dans un premier temps, de 200 « donneurs
payés » organisés par les gangs
Têtes de sang. En fait, des centaines
de personnes seraient concernées. A
raison de six ou sept prélèvements
par mois, ces donneurs reversaient
32 € à leurs « employeurs ». Ce trafic
durait depuis des années. Jieyang rappelle
le scandale du sang contaminé
dans le Henan. Jusqu’au début des
années 2000, des centaines de milliers
de paysans de cette province ont été
infectés par le virus du sida lors de
collectes encouragées par les autorités
provinciales.Luc Richard, à Pékin
l a p h o t o d E l a s E M a I n E
les tulipes sont fanées. dix mille manifestants se sont installés, avec yourtes
et piquets, au centre de Bishkek, la capitale kirghize, bien décidés à obtenir le départ du
président Kourmanbek Bakiev. deux ans après la « révolution des tulipes », qui avait porté
Bakiev au pouvoir, les manifestants lui reprochent ses promesses non tenues.
Côte-d’ivoire. Les soldats français
partent sur la pointe des pieds
vont partir, pas tout de suite et pas de toute la Côte-d’Ivoire. Mais, sauf
grosse rechute du conflit ivoirien, les 3 500 soldats français de l’opération
« Licorne » et les 7 800 Casques bleus de l’Onuci vont peu à peu se retirer de
la « zone de confiance » qui sépare depuis quatre ans les ex-rebelles du Nord
(Forces nouvelles) et les partisans du président Laurent Gbagbo au Sud. Car,
cette fois, l’accord de paix signé le 4 mars dernier à Ouagadougou semble
solide, plus solide que les précédents. Nouveau Premier ministre de son exennemi
Gbagbo, Guillaume Soro, le chef des rebelles, aura d’ailleurs comme
tâche prioritaire de gérer le départ des « forces impartiales » auxquelles doivent
se substituer des patrouilles mixtes composées par ses propres hommes et
par ceux des Forces armées nationales de Côte-d’Ivoire, les Fanci. L’opération
« Licorne » coûte 250 millions d’euros par an à la France.A.L.
vladimir pirogov / reuters

É D i t o
Dix ans,
ça ne suffit
pas !
Dix ans, c’est l’âge
de Marianne…
Pas mal, pour
un journal parti
avec un aussi
modeste capital !
Dans l’ensemble,
vos lettres sont
élogieuses pour
ceux qui ont conçu
et animé ce journal
tout au long de cette
décade. A la suite
de la lettre ouverte
de JFK à nos
lecteurs, l’un d’entre
vous s’autoproclame
même « lecteur idéal
de Marianne ». Nous
lui pardonnons
volontiers ce brin
de forfanterie, tout
en lui rappelant que
d’autres, nombreux,
pourraient
prétendre à ce titre.
C’est peut-être
une idée de jeuconcours
pour l’été,
avec abonnement
gratuit à la clé ! Un
autre nous raconte
comment, à cause
de – ou grâce à
– Marianne, il est
devenu syndicaliste.
Et, comme nos
lecteurs ne seraient
pas nos lecteurs
sans quelques-uns
qui râlent, l’un de
vous nous reproche
la « presque
indécence » de notre
fête. Une fois tous
les dix ans, on vous
demande un peu
d’indulgence…
Et, oui, certaines
personnalités qu’il
nous est arrivé
d’éreinter dans nos
colonnes étaient
présentes à cette
fête. Preuve de
notre pluralisme.
Merci à tous
et à dans dix ans !.
Christian Duplan
J o U R N A L D E S L E C t E U R S
Quand lire votre journal était
un délit d’opinion, ou presque…
Il y a dix ans, un industriel pour lequel je travaillais m’a
reproché mes lectures « révolutionnaires» ! Mal lui en a pris.
Acette époque, je
bossais dans l’industrie,
je lisais
b e a u c o u p l a
presse, bien plus
qu’aujourd’hui. J’avais
suivi la saga Kahn à l’Evénement
du jeudi et, sans
trouver le bonhomme forcément
attrayant, j’aimais
bien son désir d’indépendance.
Quand Marianne
est sorti, j’ai acheté le premier
numéro. Bossant en poste et souvent de
nuit, où l’activité consiste surtout à surveiller des
réactions chimiques, je lisais entre deux manips
ou la rédaction de notes de synthèse, normal. J’ai
donc lu Marianne et, après ma nuit, je l’ai oublié
sur mon bureau. Le lendemain, je reviens bosser,
mais plus tôt dans la journée, pour reprendre un
Peut-être suis-je un peu étroit d’esprit…
Depuis hier, je piaffais
d’impatience de vous
écrire. Pour vous exprimer ma
surprise et mon agacement
à la lecture du 519e numéro
qui a fêté, bravo, votre
10e anniversaire au Cirque
d’Hiver, en présence de milliers
d’invités, dont 300 abonnés
de la première heure.
Mais j’ai attendu le passage
au 2 avril pour éviter, moi,
la confusion qui aurait pu
laisser penser à un éventuel
canular… Bon anniversaire
à Marianne ! Je ne faisais pas
partie des invités, n’ayant
découvert cet hebdomadaire
admirable qu’il y a quelques
années. Cependant, je n’ai pas
tout compris – excusez mon
étroitesse intellectuelle – en
regardant le beau reportage
photo réalisé par l’agence
Magnum (bon anniversaire
aussi à cette vénérable
institution médiatique !),
et il m’arrangerait que vous
m’expliquiez les choses.
Voir Paul Lederman,
actionnaire et soutien a priori
sans faille de Marianne, Jean-
François Dereck ou Gérard
Miller, bien sûr, mais aussi
d’autres illustres connu(e)s et
inconnu(e)s, habitué(e)s des
cocktails parisiens « s’en mettre
plein la lampe » aux frais de la
princesse, grâce au talent de
nos meilleurs chefs cuisiniers
n’a, de nos jours, plus rien de
bien choquant (la notoriété
truc chronométré, mis en
branle la nuit d’avant. Je
m’installe à ma paillasse
et commence à bosser.
Quand mon grand chef
arrive avec « le » Marianne,
« mon » Marianne à la
main. Il me le met sous le
nez, je lève la tête, enlève
mes surlunettes de sécurité,
le regarde surpris et,
là, le type me lâche texto :
« Vous pensez continuer
à avoir de la promotion chez nous en lisant des
journaux révolutionnaires ? » J’étais tellement
abasourdi que je n’ai rien répondu, mais, dès la
semaine suivante j’ai pris ma carte à un syndicat et
je me suis pointé au boulot avec Charlie, le Canard
et Marianne sous le bras. Alors joyeux anniversaire,
Marianne, et longue vie !.Bakounin
« Marianne » va bien, tant mieux ! Mais…
Avec peu de moyens
mais néanmoins
soucieux d’avoir accès
à une information de
qualité, nous avons, un
ami et moi, décidé de
nous abonner à deux à
Marianne, d’où notre
modeste contribution à
l’augmentation de votre
lectorat abonné.
Marianne se porte bien,
tant mieux, et cela se
voit, surtout par les
pleines pages de publicité
qui, semaine après
semaine, se font plus
nombreuses ! Comme
votre confrère le Canard
enchaîné (qui, lui, sait
rester vierge de cette
forme de pollution),
c’est aussi pour cela que
je vous ai choisi.
Alors, attention, il ne
faudrait surtout pas que
vous deveniez comme
les autres et qu’insidieusement
vous rejoigniez
l’establishment….
@ Dominique Mounier,
Mornac
d’un média passe aussi par là).
Mais découvrir tout
sourire, verre à la main, des
personnalités que vous ne
cessez d’étriller dans vos
articles, tel l’ultralibéral Nicolas
Baverez, avouez qu’il y a de
quoi être perplexe ! Ainsi donc,
au-delà du débat d’idées et
de la polémique si utiles à la
démocratie, certaines de vos
prises de position et de vos
oppositions ne seraient que de
la poudre aux yeux destinée
à faire vendre ? Ne pas être
reconnu par ses pairs (présents
eux aussi ?), comme l’explique
P.M.O. dans son édito, ne serait
qu’une posture médiatique
bien confortable ? .
Claude Lesschave, Salomé
Je suis le lecteur idéal
Fidèle je vous suis, fidèle je vous resterai…
même si vos prises de position m’horripilent parfois.
Ne cherchez
p l u s , v o u s
l’avez trouvé !
Si j’avais su,
je vous aurais
écrit plus tôt ! Oui, cher
Jean-François Kahn, c’est
moi, le lecteur idéal que
vous décrivez (Marianne
n o 519). Et j’espère parvenir
à vous convaincre
que je ne suis pas forcément
sinistre…
Abonné à Marianne
depuis un peu plus
d’un an, j’en suis un lecteur
régulier depuis de
nombreuses années. Et
ce, même si je n’adhère
pas toujours aux positions
défendues par le
journal ou par vousmême.
D’ailleurs, notre
dernier désaccord n’est
pas vieux (désaccord que
je m’apprêtais à passer
sous silence, comme
L’hebdo
de référence,
c’est vous…
J e vous dis bravo. Bravo de ne pas
faire partie de ces journaux
qui se regardent le nombril
(si un journal n’a pas d’âme, il
a peut-être un nombril ?) et ne
parlent jamais des autres. Bravo
de dénoncer ces surenchères
verbales qui ne font que
désorienter un peu plus
l’opinion de ceux qui hésitent
encore sur leur vote. Bravo
de défendre la République, la
démocratie et la laïcité. Bravo
de dénoncer tous ceux qui
tentent d’y porter atteinte.
Chaque semaine, j’attends
avec impatience Marianne,
dont j’apprécie de plus en plus
l’objectivité, la clarté des analyses
et le respect des opinions. Existe-
t-il un autre journal où l’expression
des lecteurs est aussi libre ? […]
L’hebdomadaire de référence,
c’est Marianne.pierre, Lyon
d’habitude, n’eût été
votre article) : il concerne
l’escapade en territoire
national et identitaire de
Ségolène Royal. Vous la
suivez, moi pas.
Ce n’est pas la première
fois que nos avis divergent.
Au fil du temps,
une foule de sujets nous
ont opposés.
Exemple : je me souviens
d’un édito consacré à
l’immigration qui m’avait
hérissé le poil […]. Autre
exemple, plus décisif car
récurrent et lié à mes opinions
politiques : cette
manie que vous avez de
flinguer la gauche libertaire
et altermondialiste
dont je suis.
Ah ! Marianne, tu me fais
parfois tant souffrir !
Pourtant, cher Jean-
François, jamais, pas une
Vive la photo !
Il n’y a pas de sang impur !
Je suis un homme de gauche.
Né en 1921, dans une famille
d’instituteurs, j’ai été éduqué
dans la laïcité et l’amour de mon
prochain.
La Marseillaise est un chant
guerrier, haineux, sanguinaire,
en contradiction avec toutes
les valeurs de gauche. C’est
pourquoi, malgré mon désir
de m’opposer à la candidature
de Nicolas Sarkozy, il me sera
« viscéralement » impossible de
voter pour Ségolène Royal, la
candidate de gauche (!) qui vient
de soutenir qu’« un sang impur
abreuve nos sillons ».
Il n’y a pas de sang impur. Le sang
de tous les hommes contient
la même molécule d’hémoglobine,
laquelle est complémentaire
de la chlorophylle, symbole
du règne végétal.
[…]. Nous sommes tous les descendants
du big bang. D’où la
vanité des oppositions quelles
qu’elles soient.
Qu’attendez-vous pour changer
les paroles de la Marseillaise ?.
Yves Gourbeault, Vourles
Envoyez vos lettres signées à Marianne,
“Journal des lecteurs”,
32, rue René-Boulanger,
75484 Paris Cedex 10.
54 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 55
seconde, je n’ai songé à
arrêter de vous lire !
Maso ? Pas du tout. Seulement,
je crois salutaire
d’entendre toutes les opinions
et de se confronter
aux arguments avancés
par les autres. Cette
pluralité d’expression,
je suis très heureux de
la rencontrer dans vos
colonnes, et très déçu de
ne pas la trouver dans
des titres au contenu
pourtant plus proche
de mes idées.
Je pense que la raison
pour laquelle je me
sens bien dans mon
Marianne tient à la façon
dont vous envisagez la
presse : transparente,
indépendante et libre.
Trois mots autour desquels
j’aime vous retrouver
chaque semaine.
Denis Robert, Baron
Je suis abonné et je veux vous féliciter aujourd’hui pour
l’iconographie de votre dernier numéro. Enfin l’image parle,
elle n’est plus le papier kraft du verbe. Une paire de jambes m’en
dit plus qu’un sourire électoral. Merci.Jean-Louis prochasson
R É p o N D E U R
Pourquoi le drapeau
tricolore devraitil
rester en berne ?
Les Américains font
fièrement claquer
leur bannière étoilée
au moindre exploit
– fût-il douteux – et
les Anglais se drapent
sans complexes
dans l’Union Jack !
Il n’y a pas que des
aspects négatifs
dans la colorisation
de nos monuments
aux morts.
Jean-Marie Baurens,
Montpellier
Détacher les paroles
de la Marseillaise
de leur contexte
historique, c’est
oublier d’où viennent
la république et la
démocratie, et ne pas
mesurer le chemin
parcouru depuis le
XVIIIe siècle par le
peuple pour conquérir
le suffrage universel
et l’égalité des droits.
Souvenons-nous que
la nation, en France,
est née à gauche, sous
la menace des forces
de Coblence !.
Roger Rossi, Longjumeau
De Paul Valéry
(Regards sur le
monde actuel, 1931) :
« A cause des sangs
très disparates qu’elle
a reçus, et dont elle a
composé, en quelques
siècles, une personnalité
européenne si nette et si
complète, productrice
d’une culture et d’un
esprit caractéristique,
la nation française fait
songer à un arbre greffé
plusieurs fois, de qui
la qualité et la saveur
de ses fruits résultent
d’une heureuse alliance
de sucs et de sèves très
divers concourant
à une même et
indivisible existence. »
Quelle autre réponse
donner à l’une des
questions que notre
temps se pose ?.
Gilbert François, Lyon

R É p o N D E U R
Grâce à Marianne
(no 519), une partie
de la France connaît
le « facteur au grand
cœur » qui rendait
gratuitement service
aux personnes isolées.
D’autres identités
auraient mérité d’être
connues : celle
du crétin « contrôleur »
qui a relevé ces
« fautes graves »
et celle du responsable
hiérarchique qui
a ordonné
ces contrôles.
Louis Camblan, Blain
En publiant l’article
« La vieille obsession
de la nouvelle droite »,
d’Axel Kahn, Marianne
témoigne de son souci
de traiter les problèmes
dans un esprit
scientifique. Pourquoi,
dans d’autres
pages, renier cette
ligne de conduite ?
Ainsi l’article sur le
camembert intitulé
« Les traîtres sont
passés à l’acte ».
On y apprend que
la « microfiltration du
lait dans l’élaboration
du camembert élimine
tout ce qui fait un
fromage de terroir ».
Le lait et les fromages
sont des milieux
suffisamment connus
pour qu’on informe
et argumente au lieu
d’asséner des formules
à l’emporte-pièce !.
F. Grosclaude,
Voisins-le-Bretonneux
L
’assistanat n’est
pas dans la culture
africaine. Beaucoup
d’Africains stigmatisent
ceux qui abandonnent
leur pays et leur famille
pour aller vivre en
France, attirés par les
prestations sociales.
C’est si vrai que,
proportionnellement,
assez peu choisissent
d’émigrer – souvent
ceux qui n’ont pas
réussi dans leur pays.
@ thierry Huz
J o U R N A L D E S L E C t E U R S
Un beau pavé dans la mare
Enfin un journal « modéré » qui ose attaquer de front
ce néocapitalisme destructeur ! Je vous félicite, « Marianne » !
En lisant l’éditorial de JFK
sur le sujet tabou de la
campagne, je me suis
dit : enfin ! Ce néocapitalisme
qui remet en cause
tous les acquis
de la civilisation
humaniste est la
seule et unique raison
pour laquelle
j’ai voté non au
traité constitutionnel
européen
en mai 2005.
En effet, il faut
d’urgence penser
à un protectionnisme
européen et
réguler au niveau
mondial ces flux
gigantesques d’argent
réfugiés dans
de nombreux paradis
fiscaux. Militant
d’Attac, mouvement d’éducation
populaire, j’ai appris en
lisant les publications de ce
mouvement et de nombreux
ouvrages d’économistes que le
monde court à sa perte si nous
ne réagissons pas rapidement.
Ce capitalisme sauvage précipite
de plus en plus de gens
désespérés dans les bras du FN,
car ils ont l’impression de ne pas
être entendus. Votre article sur
Lannion titré « On va tout perdre,
c’est inhumain » rejoint, des
années après, ce que dénonçait
Laure Manaudou, le sport
et la course au profit
Certes, nous pouvons
être fiers d’avoir
en Laure Manaudou
une très grande championne,
qui, sans doute,
est appelée à donner à
la France une médaille
olympique aux prochains
Jeux. Elle est, de
plus, sympathique, avec
sa déclaration d’amour
écrite dans le creux de la
main, à moins que ce ne
soit une trouvaille d’un
spécialiste en communication
? Ce qui est dommage,
c’est que le sport
soit devenu essentiellement
un spectacle très
rentable qui lie étroitement
les athlètes au
monde des patrons et
des chefs d’entreprise,
et cela sans que leurs
salariés puissent avoir le
sentiment de participer
à ces promotions. C’est
même sans doute le
contraire, car sportifs
et salariés figurent d’un
même côté du compte
d’exploitation en dépenses
et ce qui va à la publicité,
au mécénat et à la
communication ne va
pas aux salariés ; inversement,
une entreprise
qui accepterait de bien
payer ses salariés, quitte
à se contenter de résultats
modestes, n’aurait
peut-être pas les moyens
de s’offrir des dépenses
fabuleuses pour glorifier
son image de marque, ni
des spots publicitaires
trop coûteux.
Laure Manaudou bénéficie
d’une collection à son
nom des maillots de bain
56 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Arena, une entreprise
qui vient de licencier
plusieurs centaines de
salariés en fermant son
usine de Libourne afin
de délocaliser la totalité
de sa production !
Bien sûr, Arena appartient
à un fonds de placement
et l’on sait que
les financiers n’ont pas
d’âme et ne se préoccupent
que de la rentabilité
immédiate et
maximale.
Quant à Laure Manaudou,
elle vient d’engranger
un nouveau
contrat avec le groupe
Pinault qui s’ajoute à
plusieurs autres et la
place désormais à un
rang très élevé – tout à
fait mérité, d’ailleurs –
parmi les sportifs fran-
Viviane Forrester dans son livre
l’Horreur économique…
Si les candidats dits « grands » ne
parlent pas de ce problème, Buffet,
Besancenot, Bové, qui sont
si souvent raillés
par les médias,
attirent l’attention
sur cette folie économique.
Q u’ u n j o u r n a l
modéré comme
Marianne ose lancer
ce pavé dans la
mare de la campagne
électorale
permettra peutêtre
une prise de
conscience nécessaire
et urgente,
car je crains que
Le Pen ne s’invite
de nouveau
au second tour en
récoltant les voix de tous ceux
que ce système étrangle et qui
attendent des solutions…Continuez
!.
Jean-Louis Desenfants, Vertou
çais les mieux payés.
Sait-elle seulement que
ce sont désormais des
salariés étrangers qui
fabriqueront la collection
de maillots qui porte
son nom ? Est-elle ou
non sensibilisée à cette
question ?
On aimerait que ne soit
pas abandonné à des
syndicats très minoritaires
le droit d’évoquer le
sort douloureux de tant
de salariés du secteur
privé, souvent bien mal
récompensés de leurs
efforts de productivité
! Mais les médias
ne savent que magnifier
les succès financiers
en oubliant le plus souvent
leur coût humain.
p. Védrenne-Lacombe,
Creyssensac-et-pissot
La même chose, mais en pire !
Le 21 avril 2002 n’a rien changé. Se profile dès lors la menace
d’un « vote sanction », avec les conséquences que l’on devine.
Le machiavélisme seraitil
contagieux ? Alors que
nous le pensions réservé
à la classe politique, voilà
qu’une partie du l’électorat
semble s’être emparé de cette
arme dangereuse. On voit ainsi
d’anciens électeurs de tout bord
décidés à voter Le Pen non pas
par attirance pour ce candidat
dont ils ne souhaitent pas l’élection,
mais plutôt
pour envoyer
un message à la
classe politique,
quelque chose
e n t r e l ’ a p p e l
au secours et le
bras d’honneur.
C’était déjà un
des « messages »
du 21 avril 2002,
mais, cinq ans
plus tard, pouvons-nousaffirmer
qu’il a été
entendu ? En cette
époque troublée
s’ajoutent à ces
citoyens désorientés
des électeurs
de gauche
décidés à voter Bayrou, c’est-àdire
à voter au centre pour bien
expliquer au PS et à sa candidate
qu’ils ne sont pas assez à gauche.
Etrange raisonnement… S’exprimera
également toute une classe
d’électeurs menacés d’être kärchérisés
et qui se disent décidés
à voter pour notre ex-ministre de
l’Intérieur, voire pour le candidat
de l’extrême droite, afin que l’in-
Martine Gozlan,
depuis longtemps
j’apprécie vos articles
dans Marianne. Votre
« Je me souviens
de la rue Mutanabbi »
m’a profondément
touchée. Voyez-vous,
j’ai 82 ans bientôt, une
surrection commence au lendemain
du second tour (sauront-ils
attendre jusque-là ?). Confondant
débat d’idées et conquête
du pouvoir, les électeurs nonistes
de 2005 iront-ils encore expliquer
au PS combien il est mou et
décevant en votant pour des candidats
dont ils savent qu’ils n’ont
aucune chance d’être présents au
second tour ? Pis que tout, afin de
faire barrage à Nicolas Sarkozy, et
soudain fort confiants ou crédules
vis-à-vis des sondages, certains
n’abandonneront-ils pas la candidate
socialiste au profit de Bayrou,
seul candidat sondagièrement
capable de vaincre l’infâme prédateur
au second tour ? Face à tant
de « stratégies » – les mêmes qu’en
2002 mais en pire –, il est temps de
rappeler qu’il s’agit ici de ne pas
vie ordinaire, effacée,
et je comprends
votre douleur si bien
exprimée à la vue de
ces destructions de
livres, de la culture…
D’aussi loin que je me
souvienne, ce sont
les livres, la lecture,
dont je me suis
nourrie toute ma vie,
qui ont fait la trame
de mon existence
banale et néanmoins
avide de contenu,
bien sûr, mais je vous
comprends, et je
souffre avec vous…
Enregistrez votre message au 01 42 49 11 39 ou envoyez-nous un courriel à
lecteurs@journal-marianne.com
14 au 20 avril 2007 / Marianne 57
nous diviser, même si nos candidats
préférés ont été incapables
de s’unir. Votons pour Ségolène
Royal avec raison si ce n’est avec
cœur. A moins de connaître un
autre candidat de gauche capable
d’emporter l’élection présidentielle,
c’est le seul choix responsable.
Nous pourrons parler
drapeau, hymne, carte scolaire,
travail des enseignants, 35 heures,revalorisation
des salaires,
environnement,
autorité, défense
nationale dès le
6 mai. Et avec
toute l’énergie et
la détermination
nécessaires. Pour
l’heure, il s’agit
de ne pas livrer la
France aux prédateurs,
à la finance
internationale,
au racisme et à
la répression, il
s’agit de libérer la
France de cette
chape de plomb
qui s’installe insidieusement,censure,
silence, collaboration forcée…
Au lendemain du premier
tour, il faudra pouvoir se regarder
dans le miroir sans se dire : « Si
j’avais su… » Il faut reprendre le
pouvoir ! Il suffit de regarder le
travail de sape effectué par une
droite omnipotente au cours des
cinq dernières années pour comprendre
l’absolue nécessité de
cette victoire !.@ Willyboy54
Quand les livres survivent à la barbarie
Je tiens à vous le faire
savoir, chère Martine,
nous sommes du
même cœur, grâce aux
livres, ces livres qui,
je l’espère, survivront
à la barbarie..
Simone Vacher,
Bethemont-la-Forêt
R É p o N D E U R
Je me demande
si dévoiler vos
intentions de vote
était une bonne
idée. A quoi sert
donc l’enveloppe
que l’on glisse
anonymement
dans l’urne ?
Je continue
néanmoins de lire
Marianne, armé
de mon esprit critique
et des informations…
que l’on veut bien
nous transmettre. Car
on sait l’importance,
en politique, de la
partie immergée
– la plus dangereuse –
de l’iceberg, et c’est
sans trop d’illusions
que l’on accomplit
son devoir
de citoyen.
Jean-François Hagnéré,
Creutzwald
Nous avons
apprécié votre
article « Antillais,
Guyanais,
Réunionnais ».
Etudiants parisiens,
nous confirmons
que nos conditions de
vie dans l’Hexagone
sont précaires.
Trouver un logement
est un sport, car les
propriétaires refusent
d’avoir des cautions
hors du territoire.
Aujourd’hui,
nous comprenons
le poids électoral
que nous possédons.
@ Véronique Lacrosse

É D i t o
Dix ans,
ça ne suffit
pas !
Dix ans, c’est l’âge
de Marianne…
Pas mal, pour
un journal parti
avec un aussi
modeste capital !
Dans l’ensemble,
vos lettres sont
élogieuses pour
ceux qui ont conçu
et animé ce journal
tout au long de cette
décade. A la suite
de la lettre ouverte
de JFK à nos
lecteurs, l’un d’entre
vous s’autoproclame
même « lecteur idéal
de Marianne ». Nous
lui pardonnons
volontiers ce brin
de forfanterie, tout
en lui rappelant que
d’autres, nombreux,
pourraient
prétendre à ce titre.
C’est peut-être
une idée de jeuconcours
pour l’été,
avec abonnement
gratuit à la clé ! Un
autre nous raconte
comment, à cause
de – ou grâce à
– Marianne, il est
devenu syndicaliste.
Et, comme nos
lecteurs ne seraient
pas nos lecteurs
sans quelques-uns
qui râlent, l’un de
vous nous reproche
la « presque
indécence » de notre
fête. Une fois tous
les dix ans, on vous
demande un peu
d’indulgence…
Et, oui, certaines
personnalités qu’il
nous est arrivé
d’éreinter dans nos
colonnes étaient
présentes à cette
fête. Preuve de
notre pluralisme.
Merci à tous
et à dans dix ans !.
Christian Duplan
J o U R N A L D E S L E C t E U R S
Quand lire votre journal était
un délit d’opinion, ou presque…
Il y a dix ans, un industriel pour lequel je travaillais m’a
reproché mes lectures « révolutionnaires» ! Mal lui en a pris.
Acette époque, je
bossais dans l’industrie,
je lisais
b e a u c o u p l a
presse, bien plus
qu’aujourd’hui. J’avais
suivi la saga Kahn à l’Evénement
du jeudi et, sans
trouver le bonhomme forcément
attrayant, j’aimais
bien son désir d’indépendance.
Quand Marianne
est sorti, j’ai acheté le premier
numéro. Bossant en poste et souvent de
nuit, où l’activité consiste surtout à surveiller des
réactions chimiques, je lisais entre deux manips
ou la rédaction de notes de synthèse, normal. J’ai
donc lu Marianne et, après ma nuit, je l’ai oublié
sur mon bureau. Le lendemain, je reviens bosser,
mais plus tôt dans la journée, pour reprendre un
Peut-être suis-je un peu étroit d’esprit…
Depuis hier, je piaffais
d’impatience de vous
écrire. Pour vous exprimer ma
surprise et mon agacement
à la lecture du 519e numéro
qui a fêté, bravo, votre
10e anniversaire au Cirque
d’Hiver, en présence de milliers
d’invités, dont 300 abonnés
de la première heure.
Mais j’ai attendu le passage
au 2 avril pour éviter, moi,
la confusion qui aurait pu
laisser penser à un éventuel
canular… Bon anniversaire
à Marianne ! Je ne faisais pas
partie des invités, n’ayant
découvert cet hebdomadaire
admirable qu’il y a quelques
années. Cependant, je n’ai pas
tout compris – excusez mon
étroitesse intellectuelle – en
regardant le beau reportage
photo réalisé par l’agence
Magnum (bon anniversaire
aussi à cette vénérable
institution médiatique !),
et il m’arrangerait que vous
m’expliquiez les choses.
Voir Paul Lederman,
actionnaire et soutien a priori
sans faille de Marianne, Jean-
François Dereck ou Gérard
Miller, bien sûr, mais aussi
d’autres illustres connu(e)s et
inconnu(e)s, habitué(e)s des
cocktails parisiens « s’en mettre
plein la lampe » aux frais de la
princesse, grâce au talent de
nos meilleurs chefs cuisiniers
n’a, de nos jours, plus rien de
bien choquant (la notoriété
truc chronométré, mis en
branle la nuit d’avant. Je
m’installe à ma paillasse
et commence à bosser.
Quand mon grand chef
arrive avec « le » Marianne,
« mon » Marianne à la
main. Il me le met sous le
nez, je lève la tête, enlève
mes surlunettes de sécurité,
le regarde surpris et,
là, le type me lâche texto :
« Vous pensez continuer
à avoir de la promotion chez nous en lisant des
journaux révolutionnaires ? » J’étais tellement
abasourdi que je n’ai rien répondu, mais, dès la
semaine suivante j’ai pris ma carte à un syndicat et
je me suis pointé au boulot avec Charlie, le Canard
et Marianne sous le bras. Alors joyeux anniversaire,
Marianne, et longue vie !.Bakounin
« Marianne » va bien, tant mieux ! Mais…
Avec peu de moyens
mais néanmoins
soucieux d’avoir accès
à une information de
qualité, nous avons, un
ami et moi, décidé de
nous abonner à deux à
Marianne, d’où notre
modeste contribution à
l’augmentation de votre
lectorat abonné.
Marianne se porte bien,
tant mieux, et cela se
voit, surtout par les
pleines pages de publicité
qui, semaine après
54 Marianne / 14 au 20 avril 2007
semaine, se font plus
nombreuses ! Comme
votre confrère le Canard
enchaîné (qui, lui, sait
rester vierge de cette
forme de pollution),
c’est aussi pour cela que
je vous ai choisi.
Alors, attention, il ne
faudrait surtout pas que
vous deveniez comme
les autres et qu’insidieusement
vous rejoigniez
l’establishment….
@ Dominique Mounier,
Mornac
d’un média passe aussi par là).
Mais découvrir tout
sourire, verre à la main, des
personnalités que vous ne
cessez d’étriller dans vos
articles, tel l’ultralibéral Nicolas
Baverez, avouez qu’il y a de
quoi être perplexe ! Ainsi donc,
au-delà du débat d’idées et
de la polémique si utiles à la
démocratie, certaines de vos
prises de position et de vos
oppositions ne seraient que de
la poudre aux yeux destinée
à faire vendre ? Ne pas être
reconnu par ses pairs (présents
eux aussi ?), comme l’explique
P.M.O. dans son édito, ne serait
qu’une posture médiatique
bien confortable ? .
Claude Lesschave, Salomé

M a g a z i n e
Portraits de salariés dont le capitalisme
d’aujourd’hui ne veut plus
Les derniers des
« samaritains »
En 2005, LVMH fermait la Samaritaine,
l’un des plus vieux grands magasins
parisiens, laissant ses employés
désemparés. Ils le sont toujours.
Par Olivia cOlO. rePOrtage PhOtOgraPhique de SOPhie BrandStröm
Rappelez-vous, c’était il y a
peine deux ans, le 15 juin
2005, 1 475 employés quittaient
pour la dernière fois la
Samaritaine, un des grands
magasins de Paris, face au
Pont-Neuf, le plus vieux
pont de la capitale. Les syndicalistes les
saluaient par une haie d’honneur. Comme
lors d’une reddition où l’on honore le
« courage malheureux » du vaincu. Beaucoup
de larmes ont coulé ce soir-là. Pendant
quelques jours, ces obstinés avaient
tenté de résister à la décision
du groupe LVMH, propriétaire
du lieu, de fermer. La Préfecture
de police exigeait des travaux
en raison de la vétusté des
bâtiments. La direction préféra,
justifiant de cette demande,
arrêter l’activité. La première
entreprise mondiale de luxe
semblait sauter sur l’occasion
pour se débarrasser d’une
filiale peu profitable et de
salariés remuants. Médias en
tout genre s’étaient alors
emparés de l’affaire. Cruauté
des rites de l’actualité, ces
hommes et ces femmes ont
aujourd’hui sombré dans
l’oubli. Pas pour nous.
Le 30 avril prochain prend
fin la période pendant laquelle
la « charte d’évolution professionnelle »
permettait le reclassement de ces salariés
désormais inoccupés. Les quelques syndicalistes
qui occupent encore les lieux
vont être chassés et les 48 000 m 2 seront
transformés. Pour y réaliser, peut-être,
un nouveau centre commercial « dédié
à l’art de vivre »
Plus de la moitié des « 1 475 » étaient
des « démonstrateurs » employés des marques.
Aux 725 salariés restants, et qui sont
bien les siens, LVMH avaient promis au
moins deux propositions de reclassement,
58 Marianne / 14 au 20 avril 2007
dans le groupe ou ailleurs. Aujourd’hui,
selon le groupe de luxe, une « solution »
aurait été trouvée pour les 750 démonstrateurs.
Pour les salariés de la Samaritaine,
245 seraient en retraite ou en préretraite,
125 reclassés dans le groupe et 285 auraient
soit trouvé des employeurs, soit seraient en
formation ou auraient créé une entreprise.
Il en resterait 37 toujours salariés de LVMH,
jusqu’à qu’une solution advienne.
La CGT conteste ces chiffres, et ne
trouve, elle, que 182 retraités, 225 reclassés
et 160 payés sans reclassement…
Au-delà de toute polémique, comme on
est loin de l’esprit des fondateurs de cette
vieille maison ! Ernest Cognacq, vendeur
de calicots dans un grand parapluie rouge
vers 1860 sur le Pont-Neuf, ouvre, neuf ans
plus tard, une boutique, la Samaritaine,
et épouse Marie-Louise Jaÿ, ancienne
vendeuse du Bon Marché. Ensemble, ils
transforment l’échoppe en grand bazar. En
1916, le couple crée la fondation Cognacq-
Jaÿ pour veiller sur les logements sociaux,
crèches, maisons de retraite, écoles dont
profitent leurs salariés. La famille Renand
prend la suite jusqu’à la vente à LVMH en
2001. A cette date, l’esprit paternaliste des
créateurs a, depuis longtemps, vécu, place
au management.
Les 12 « samaritains » dont nous vous
racontons l’histoire, tout au long des
pages suivantes, sont les témoins de
ce passage d’un monde du travail à un
autre, d’une vie consacrée tout entière
à la même entreprise qui, parfois, avait
employé vos parents et aurait employé
vos enfants, à une vie où trouver un travail
est parfois une loterie, le garder, toujours
un combat. Nostalgie oblige, certains
pensent qu’autrefois ces patrons-là
protégeaient. Bien sûr pour s’assurer
une main-d’œuvre bon marché. Mais,
aujourd’hui, ils la jettent.
Annie DONNET, 52 ans
vendeuSe rayOn ménage, 31 anS de Samaritaine
« Se repositionner à mon âge,
cela relève du miracle »
Quand elle est arrivée
de sa Bretagne natale,
la Samaritaine, « c’était
l’Amérique ». Anne venait
de passer cinq ans avec son
mari dans une petite usine
de biscuits. Ils travaillaient
en couple de 20 heures
à 8 heures, toute la nuit.
La tante de son mari est
salariée dans le grand
magasin. Elle connaît les
horaires, les difficultés
de son neveu et de sa
femme. Pour les aider, elle
décroche une place de
standardiste, qu’Anne
va occuper pendant dix
ans. Hélas, son supérieur
lui en fait voir de toutes
les couleurs. « Pour
me punir, il m’a mutée
à la caisse. » Elle s’échappe.
De vendeuse au rayon
alimentation, elle
est « parachutée aux
casseroles ». Elle est
moins bien payée
que dans les bureaux.
Sur place, elle fait la
connaissance de son
deuxième mari. Il est
14 au 20 avril 2007 / Marianne 59
tunisien : « Il s’est fait
virer par racisme. » Après
trois ans de procédure, il
gagne aux prud’hommes
contre la direction. Mais,
au travail, l’ambiance ne
cesse de se dégrader. « J’en
arrivais à me dire que
j’étais mieux à l’usine »,
confie Anne. Pendant ce
temps, la Samaritaine perd
de l’argent ; L’entreprise
est vendue. Le groupe de
luxe LVMH s’empare du
navire et prend la barre.
« C’est devenu pire », juge-
t-elle. Depuis la fermeture,
elle essaye de tourner la
page. Sans trop d’illusions :
« Se repositionner à mon
âge, ça relève du miracle. »
Dégoûtée par le commerce,
elle veut changer
de secteur et suit une
formation professionnelle
pour venir en aide
aux personnes âgées
ou handicapées.
Désormais, elle fera
dans le social : « Au moins,
j’aurai l’impression de
servir à quelque chose. ».
M a g a z i n e

Dominique D’HENRI, 50 ans
Service encaiSSement,
32 anS de Samaritaine
« Un CaP aujourd’hui,
ça ne vaut plus rien »
ala fin de son CAP de comptabilité, sa boulangère lui
apprend que la Samaritaine embauche. Nous sommes
en 1974, elle a 18 ans et commence sa carrière au contrôle.
« Nous étions 200 alignées sur des petits bureaux de bois. »
Relever les rouleaux de caisse, calculer la TVA, avant de
les archiver dans des placards pour des années. Elle sera
la dernière dans ce service, fermé en 2004. Pendant toutes
ces années, elle n’a eu droit qu’à un seul stage, « pour
le passage à l’euro ». Pourtant, Dominique n’a jamais
voulu quitter le magasin. La fermeture ne lui laisse plus le
choix. Depuis un an et demi, elle cherche du travail dans la
comptabilité. Et ne trouve pas. « Toute l’expérience acquise
pendant des années, ils n’en tiennent pas compte, c’est dur. »
Elle se souvient du temps où lorsqu’on frappait aux portes
des entreprises on pouvait commencer un boulot dès
le lendemain. « Maintenant, faut faire des CV, des lettres
de motivation, enchaîner les entretiens », lâche-t-elle,
lassée. Depuis la fermeture, elle n’en a passé qu’un,
chez Franck & Fils, une enseigne du groupe LVMH. Elle n’a
pas été retenue. « Ils voulaient du bac + 2, un bon niveau
en informatique et en anglais. Surtout, ils ne voulaient pas
de moi ; un CAP aujourd’hui, ça ne vaut plus rien, je n’étais
pas opérationnelle tout de suite. Mais comment on va s’en
sortir si on ne nous forme pas, si personne ne nous laisse un
peu de temps pour nous adapter à un nouveau poste ? ».
60 Marianne / 14 au 20 avril 2007
M a g a z i n e
Service encaiSSement,
22 anS de Samaritaine
« D’abord, ils ont viré notre
clientèle populaire »
elle a toujours connu la
Samaritaine, où sa mère a
passé trente-deux ans comme
vendeuse au rayon salle de
bains. Enfant, elle venait au
spectacle de Noël. A 18 ans,
CAP de dactylo en poche, elle
fait un remplacement d’été
à la caisse. Quelques mois
après, Sylvie est titularisée
au service encaissement. Son
travail alterne entre la caisse,
le service clientèle coffre et la
comptabilité. « On apprenait
chaque matin notre affectation
pour la journée. »
Pour rien au monde elle
n’aurait quitté le grand
magasin. « Je ne gagnais que
1 026 € net par mois, mais
qu’est-ce que je rigolais ! »
Un peu moins pendant les
années LVMH. « D’abord, ils
ont viré notre clientèle populaire.
» Ils ont aussi changé
l’âme de leur magasin. Et
même les noms. « Les caissières
sont devenues le “front
office” ; les bureaux, le “back
office” ; le personnel, c’était
le “staff”. » LVMH impose un
nouveau logo et un nouveau
Sylvie MARTINEZ, 40 ans
slogan – « Magasin évolutif
». « Moi, j’ai tout de suite
dit : “Vous allez voir, nous
allons évoluer dans nos maisons.”
C’était une boutade,
mais ça n’a pas loupé. » La
fermeture du magasin, elle
ne leur pardonne toujours
pas. Alors elle a préféré couper
les ponts. « Pourquoi se
battre pour être reclassé dans
un groupe qui ne voulait
plus de nous ? » Elle a donc
pris ses 23 000 € et préfère
chercher du travail par ses
propres moyens.
Elle s’est inscrite dans des
agences d’intérim. « Je ne
suis pas encore complètement
au point pour me vendre,
mais je progresse. » Elle
a passé cinq entretiens et a
travaillé un mois dans un
cabinet d’expert-comptable.
Elle a refusé deux propositions
fermes, car elle
aurait dû faire trois heures
de transport par jour. Elle
n’a pas encore trouvé de
travail, mais elle garde le
sourire. Surtout, elle ne
regrette pas son choix.
Yvon THUILLIER, 57 ans
Service encaiSSement, 40 anS de Samaritaine
« J’ai rêvé d’évolution
de carrière,
de marches à gravir »
enfant, il venait souvent à la Samaritaine avec ses parents
pour acheter des poussins et les élever dans leur petit
jardin de Palaiseau. « On n’était pas très bons. Une année,
on n’a pris que des coqs. » C’est donc tout naturellement,
à la fin de son CAP d’aide comptable, qu’il se présente
au service du personnel, sans rendez-vous. Deux jours
plus tard, Yvon commence au « service des décomptes ».
Il a 18 ans, et un bon salaire pour l’époque – « plus que
dans la fonction publique ». Le montant sur son dernier
bulletin de paie est de 1 050 € net. « Aujourd’hui, vaut
mieux être dans la fonction publique », conclut-il.
A partir de 1985, son service est restructuré, le boulot
se fait rare. « En 1993, il n’y avait même plus rien à faire. »
On lui donne des factures à agrafer, « un coup en haut,
un coup en bas ». Il range des rouleaux de caisse dans
des cartons. Pendant dix ans. Mais il ne quitte pas le navire.
« J’avais 40 ans, je voyais le chômage dehors. » En 2002,
muté au service encaissement, il reprend goût au travail.
Mais, aujourd’hui, Yvon pense qu’il a fait une erreur
en restant aussi longtemps. « Je suis entré en rêvant
d’une évolution de carrière, de marches à gravir. »
Pas assez formé, dépassé par une nouvelle génération
plus diplômée, il s’est « senti prisonnier ».
Il n’aime pas parler de la fermeture, « ça [l]’angoisse
encore ». Lui s’est retrouvé en préretraite, mais
beaucoup de ses collègues cherchent encore un travail.
« Mais qu’est-ce qu’ils vont devenir ? » Il sera serein quand
les derniers « samaritains » seront reclassés. Ce jour-là,
il s’occupera enfin de sa maison de 80 m2 , celle où il vit
depuis qu’il a 10 ans. « J’ai tellement de bazar à ranger. ».
14 au 20 avril 2007 / Marianne 61
vendeuSe et caiSSière,
38 anS de Samaritaine
« On se sentait utiles,
on faisait partie d’une
grande famille »
Diplômée d’un CAP de
vendeuse étalagiste en
chaussures, elle a 17 ans
quand son père l’accompagne
rue de Rivoli chercher
un emploi dans les grands
magasins. Elle est prise à la
Samaritaine, rayon confection.
« J’étais grande, c’était
plus pratique pour habiller
les mannequins. » La tenue
des salariés doit être stricte.
Les hommes portent la cravate,
les manches courtes et
les pantalons sont interdits
pour les femmes. On s’habille
en noir, bleu marine
ou marron. Le grand patron
d’alors, « M. Renand père »,
vient tous les samedis et
n’oublie pas de serrer la
main aux vendeuses. « On
avait l’impression d’être
connue, on se sentait utile,
on faisait partie d’une grande
famille. » Quand LVMH
arrive, tout s’inverse. Le
« grand patron », Nicole ne
l’a jamais vu, « sauf dans les
médias ». Par contre, « les
Nicole CHAMPION, 56 ans
robes pouvaient être courtes,
les bras nus. Il faut que
les vendeurs soient branchés
pour une clientèle branchée ».
Le magasin est « relooké ».
Les murs : « repeints en fuchsia,
pour la clientèle bo-bo
du Marais ». Les vendeuses
: « On avait des réunions
de relooking deux fois par
an. » Mais la clientèle visée
ne vient pas. Des fidèles
passent quand même. « Ils
nous demandaient : “Mais
pourquoi on ne trouve plus
rien ? Pourquoi il y a du
fuchsia partout ?” » A la fermeture,
elle s’est retrouvée
en préretraite, « une chance,
vu le marché du travail ». Le
contrecoup, elle l’a reçu avec
sa lettre officielle lui annonçant
qu’elle ne faisait plus
partie de la Samaritaine et
qu’un assureur allait la payer
jusqu’à ses 60 ans. « Pas de
remerciements, pas de pot de
départ. En deux lignes, tout
était fini, trente-huit ans de
Samaritaine balayés. ».
M a g a z i n e

Monique PIERRE, 50 ans
caiSSière, 32 anS de Samaritaine
« Tu n’es pas plus riche
à la fin que lors
de ton entrée »
Depuis toujours, les grands magasins la faisaient
rêver. Alors quand elle lit l’offre d’emploi
dans le Parisien libéré, elle fonce sans hésitation.
Monique va rester dix ans au deuxième sous-sol
de la Samaritaine, au carnet d’achat, « je faisais
les paquets ». Elle passe ensuite au rayon outillage,
fait de la manutention, de l’étiquetage, du marquage.
Elle trouve la clientèle « un peu trop macho ». Peu
lui importe, elle en profite pour apprendre la vente.
Elle en fera pendant dix-sept ans. En 2001, elle se pose
en caisse. Lorsque la fermeture est annoncée, elle y est
toujours. La Samaritaine, c’était sa deuxième famille,
sa deuxième maison. Elle adorait l’ambiance bon
enfant « par ici, ma poule, tiens, tu t’es mise en jupe ».
C’est pour ça qu’elle est restée, pas pour le salaire.
« Tu n’es pas plus riche à la fin que lors de ton entrée. »
Le rachat par LVMH ne l’a pas inquiété. La Samaritaine
allait mal : « C’était peut-être nos sauveeurs. »
La fermeture : « C’était une grande claque bien
retournée. » Elle en a toujours « gros sur le cœur ».
Jamais Monique n’avait imaginé être expulsée de sa
maison de cette façon-là. Elle a quand même souhaité
être reclassée dans le groupe, « même si [elle se] disai[t]
[qu’elle] ne devai[t] pas être assez belle et jeune ».
Elle a attendu pendant un an et demi une proposition.
« Je venais presque tous les jours voir les partenaires
sociaux à la Samaritaine, pour éviter de rester
isolée chez moi. » Une offre vient enfin de tomber,
une place de caissière à l’essai au Bon Marché.
Elle a commencé le 15 février. Son sourire est revenu.
Service intérieur, 37 anS de Samaritaine
« Ma carrière est
à l’image de mon salaire,
en chute libre »
Sa passion, c’était la fourrure.
Il rejoint à 18 ans la
vingtaine de salariés de l’atelier
artisanal de fourrure, au
septième étage de la Samaritaine.
« Le sur mesure, les
réparations, les transformations
de manteaux, le travail
ne manquait pas, les cabines
d’essayage ne désemplissaient
pas, et les clientes n’étaient pas
les plus vilaines. » Pendant
seize ans, Patrick vit une sorte
de rêve. Il fait ce qu’il aime.
En 1985, l’atelier ferme. Il envisage
d’ouvrir son propre atelier,
achète un peu de matériel.
Mais, pour des raisons familiales,
il abandonne : « J’ai préféré
jouer la sécurité. » Il ne s’installera
jamais à son compte.
« C’est le début de l’enfer pour
moi », note-t-il. Muté au rayon
fourrure, quelques étages plus
bas, il commence par l’étiquetage
et finit par la manutention.
C’est le seul homme
Patrick BEAU, 55 ans
M a g a z i n e
au milieu d’une armada de
femmes. Il ne supporte pas
l’ambiance. « En face, elles se
disent : “Bonjour, ma cocotte”,
et par-derrière : “T’as vu cette
connasse.” » En revanche, il
garde un bon souvenir de ses
clientes : « On parlait d’opéra. »
Patrick finira dans les soussols,
au service entretien.
« Ma carrière ici est à l’image
de mon salaire, en chute libre.
Je gagne aujourd’hui 1 080 €
net par mois. »
Il a vu ce magasin qu’il aimait
sombrer. « Comme plein d’entreprises
et d’usines françaises
qui dans les années 70 n’ont
pas pris à temps le virage de
la modernisation, la Samaritaine
a fini dans le mur. Les
victimes, ce sont les salariés »,
juge-t-il, écœuré. « Famille
Renand ou LVMH, c’est sûr, la
gestion était différente. Mais le
résultat est le même, ils nous
ont démolis. ».
Bernard JOUBERT, 60 ans
caiSSier, 42 anS de Samaritaine
« en tout, les membres
de ma famille y ont travaillé
197 années »
Son père y était
manutentionnaire,
sa belle-mère et sa femme,
caissières, la mère de
sa belle-sœur, comptable,
son frère et certaines de ses
tantes, vendeurs. Quelques
neveux y ont fait des
remplacements l’été.
Le clan Joubert a donné cent
quatre-vingt-dix-sept années
de vie au grand magasin.
Lui y aura passé quarantedeux
ans, un an de moins
que son père, le record de la
famille. Dernier d’une tribu
de neuf enfants, il entre
à 14 ans à la Samaritaine
comme « groom ». Il apprend
l’emplacement de tous les
rayons et guide les clients
pendant deux ans. Il devient
ensuite « aspirant vendeur »,
rayon nautique et cordage.
Un client veut acheter une
corde de 1 m, non de 2, en
fait plutôt 1. Exaspéré, le
jeune aspirant propose à
l’indécis des ciseaux pour
couper lui-même la corde.
« J’y ai pas fait de vieux
os. » Nouvel essai comme
aspirant caissier. Là, il passe
titulaire, entre au bureau
62 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 63
des réclamations, avant
d’atterrir au service clientèle.
Entre-temps, il rencontre
sa future femme sur
l’escalier mécanique qui les
accompagne à la cantine.
Il faisait bon travailler
à la Samaritaine. Du moins
jusqu’aux dernières années.
« Dès 1999, avant même
l’arrivée de LVMH, on
sentait qu’ils voulaient se
débarrasser de nous. »
Il reçoit un nouveau contrat
prévoyant une période
d’essai pour un travail
qu’il faisait depuis des
années. « Au bout de trois
mois, je ne faisais plus
l’affaire. Je suis reparti à la
caisse. » Il y restera jusqu’à
sa retraite, en mai 2004.
« Quand je suis entré ici,
comme pour beaucoup, je
ne pensais pas y rester. Et
puis voilà… » Il a récolté
plein de médailles du travail,
« même celle en or ». Lorsqu’il
a appris la fermeture, il
est revenu manifester
pour soutenir ses anciens
collègues. « C’est terrible, ditil.
Ils n’ont plus rien, même
plus la force. ».
M a g a z i n e

Philippe BIGNAUD, 30 ans
cariSte, 6 anS de Samaritaine
il a encore droit à une offre
au sein du groupe
L
’école l’avait orienté vers un BEP de tourneur-fraiseur,
ce qui ne l’intéressait pas vraiment. Lui s’est donc
réorienté… vers la Samaritaine. A 25 ans, il décroche un
CDI. « Je dois être dans les derniers à avoir été titularisés,
après c’était la politique du CDD. » Arrivé à l’époque de
LVMH, après 2001, il n’a pas connu la famille Renand mais
travaille avec beaucoup « d’anciens ». Ces derniers lui
racontent l’ancien temps, le bon temps, celui de la foule
et de la bonne ambiance. Lui n’a jamais connu le magasin
bondé, mais se laisse « bercer par leurs histoires ». Très vite,
il se sent chez lui. Sa jeunesse lui permet de courir dans tout
le magasin. « Je n’avais pas encore le dos cassé comme mes
collègues. » Il tourne sur plusieurs postes, réceptionne les
marchandises, déménage des rayons, déplace des meubles,
parfois fait un peu de réception. La fermeture, c’était
surtout dur pour les autres, les vieux, « moi, je suis jeune ».
Tout de suite, Philippe a reçu une offre de reclassement au
Bon Marché. « Premier à partir, premier à revenir. Comme je
venais de la Samaritaine, ils me prenaient pour un fainéant.
Ils ne voulaient pas de nous là-bas, c’est sûr. » C’est raté, mais
il a encore droit à une offre au sein du groupe. « Ça serait
trop bête de ne pas tenter sa chance, mais c’est pas encore
gagné. Les consultants qui sont là pour nous aider nous
poussent à trouver du travail ailleurs », révèle-t-il. Il tient
bon. Pour l’instant, le chèque de départ ne l’intéresse pas.
« Je préfère miser sur la sécurité de l’emploi. ».
M a g a z i n e
cOmité d’entrePriSe,
36 anS de Samaritaine
« Le chômage, c’est la
dernière solution,
celle de la détresse »
Le grand-père, le fils, le
petit-fils. Elle a connu
les trois générations de la
famille Renand, les propriétaires
avant 2001. Elle se
rêvait institutrice. Mais elle
doit trouver du travail pour
aider sa famille. Elle entre à
18 ans à la Samaritaine. Elle
est secrétaire au service du
personnel. L’ambiance est
stricte, mais cela lui convient.
Jusqu’à ce qu’un petit chef
la pousse à bout. Elle démissionne
en 1973, et élève ses
deux enfants.
En 1978, dans l’obligation de
travailler, elle revient, mais
dans un autre service. Elle est
nommée secrétaire au comité
d’entreprise. « C’était pas
facile de travailler au contact
des syndicats. » Pourtant, elle
finit par rejoindre la CFTC
en 1986. Là, elle se révolte :
« C’était plus possible de voir
autant d’injustices au sein
de cette entreprise. » Pour
Monique DANIEL, 59 ans
ses supérieurs, elle fait aussitôt
figure de « vilain petit
canard ». Le changement de
direction en 2001 ne résout
rien. « C’était une autre
culture, d’autres outils mis à
notre disposition, mais pas
d’amélioration des conditions
de travail », estime-t-elle.
Monique, elle aussi, a vécu la
fermeture comme une véritable
agression. Tout comme
la proposition de départ
volontaire en échange d’un
chèque, « le meilleur chemin
pour aller pointer au
chômage ». Depuis, elle se
bat pour que les salariés ne
se retrouvent pas à la rue. Le
7 février, à la date anniversaire
du premier plan social,
elle était de ceux qui ont signé
un nouvel accord avec la
direction. « Il fallait arrêter
l’hémorragie des départs
volontaires. Le chômage, c’est
la dernière solution, c’est celle
de la détresse. ».
Mathé PODEVIN, 60 ans
aSSiStance SOciale,
34 anS à la Samaritaine
grâce à elle, la Samaritaine est
un monument historique
Si la Samaritaine est un site classé, c’est grâce à elle. Dans
les années 80, elle découvre que Georges Renand avait
pour projet de refaire le bâtiment, version moderne. Fini
les escaliers, les ascenseurs et les décorations art moderne
ou Arts déco d’origine. « Inconcevable ! » se dit-elle. Aidée par
une association de défense des riverains de l’île Saint-Louis,
au cours de l’été 1989, elle réussit à faire classer la Samaritaine
comme monument historique. Georges Renand, le patron
d’alors, est fou de rage. Il se venge. « Il m’a mené
une vie infernale pendant des années. Ils m’ont placardisée,
ils ont cru que je craquerais, mais j’ai survécu », raconte Mathé.
Malgré la suppression du service social de l’entreprise en
1992, elle parvient à garder son bureau d’assistante sociale.
Jusqu’au bout. Son métier, elle l’adore. « Les salariés défilaient
toujours, c’était un endroit de liberté. » Son bureau devient un
défouloir pour le personnel. Beaucoup sont très déprimés,
d’autres étaient « fous ». « C’était ça, le paternalisme, tu
pouvais absorber des gens pas comme les autres. » Elle voit bien
que le magasin n’a plus le même succès. Elle constate que le
rapport au travail des salariés se dégrade. Et que leur moral
en prend un coup. Elle voit bien, aussi, que combler les failles
individuelles ne peut suffire. Alors, très vite, elle se syndique
pour agir au niveau collectif. Elle choisit la CGT, prend
part à toutes les batailles quel que soit le patron. Elle fait
son propre bilan : « J’ai réussi à protéger le bâtiment, j’ai
essayé de faire de mon mieux pour protéger les salariés. ».
64 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 65
vendeuSe de vêtementS de SPOrt,
38 anS de Samaritaine
elle a rejoint la CgT pour
ne plus se battre seule
Coiffeuse de formation,
elle aurait dû reprendre le
salon de ses parents dans la
Seine-Saint-Denis. « Mais je
n’en avais rien à cirer. » Après
un passage éclair en usine,
« me voilà entrée à la Samaritaine
comme démonstratrice
de fontaines d’appartement
». Six mois après, le
grand magasin l’embauche.
Elle apprend sur le tas à vendre
des tuyaux d’arrosage
et découvre la culture de la
maison. « Le système de la
guelte rendait les relations
entre vendeurs féroces, les
heures sup n’étaient pas
payées, les collègues n’osaient
jamais se plaindre… » Toutes
les occasions sont bonnes
pour défendre les salariés
dans le bureau de ses supérieurs.
En 1971, elle rejoint la
CGT pour ne plus se battre
seule. « C’était un peu une
vocation, on savait que l’on
sacrifiait notre carrière. »
Fréquemment mutée – « ils
espéraient m’user » –, elle se
Madeleine CHARTON, 57 ans
retrouve au rayon bâtiment
à vendre du ciment, du carrelage,
du plâtre. « Ils m’ont
mise au sous-sol, là où les
vendeurs gagnaient moins
bien leur vie. » Mais elle n’est
pas du genre à se décourager.
Depuis la fermeture de la
Samaritaine, elle se bat pour
défendre les « samaritains ».
Elle a hâte de profiter de
sa retraite, mais ne quittera
pas les locaux tant que
les derniers salariés en âge
de travailler ne seront pas
reclassés. « Pas question de
les abandonner. » Tout ce qui
a été arraché à LVMH, c’est
en partie grâce à elle. « J’ai
bien vu que les gens de LVMH
ne comprenaient rien à notre
combat. Lors des dernières
négociations, ils m’ont dit :
“Mais qu’est-ce que vous voulez
de plus ? On vous paye, on
vous accorde des préretraites
à 50 ans…” Mais nous, c’est
pas de l’argent que l’on veut,
c’est du travail. Et ça, ça les
dépasse ».
M a g a z i n e

Annie DONNET, 52 ans
vendeuse rayon ménage, 31 ans de samaritaine
« Se repositionner à mon âge,
cela relève du miracle »
Quand elle est arrivée
de sa Bretagne natale,
la Samaritaine, « c’était
l’Amérique ». Anne venait
de passer cinq ans avec son
mari dans une petite usine
de biscuits. Ils travaillaient
en couple de 20 heures
à 8 heures, toute la nuit.
La tante de son mari est
salariée dans le grand
magasin. Elle connaît les
horaires, les difficultés
de son neveu et de sa
femme. Pour les aider, elle
décroche une place de
standardiste, qu’Anne
va occuper pendant dix
ans. Hélas, son supérieur
lui en fait voir de toutes
les couleurs. « Pour
me punir, il m’a mutée
à la caisse. » Elle s’échappe.
De vendeuse au rayon
alimentation, elle
est « parachutée aux
casseroles ». Elle est
moins bien payée
que dans les bureaux.
Sur place, elle fait la
connaissance de son
deuxième mari. Il est
14 au 20 avril 2007 / Marianne 59
tunisien : « Il s’est fait
virer par racisme. » Après
trois ans de procédure, il
gagne aux prud’hommes
contre la direction. Mais,
au travail, l’ambiance ne
cesse de se dégrader. « J’en
arrivais à me dire que
j’étais mieux à l’usine »,
confie Anne. Pendant ce
temps, la Samaritaine perd
de l’argent ; L’entreprise
est vendue. Le groupe de
luxe LVMH s’empare du
navire et prend la barre.
« C’est devenu pire », juge-
t-elle. Depuis la fermeture,
elle essaye de tourner la
page. Sans trop d’illusions :
« Se repositionner à mon
âge, ça relève du miracle. »
Dégoûtée par le commerce,
elle veut changer
de secteur et suit une
formation professionnelle
pour venir en aide
aux personnes âgées
ou handicapées.
Désormais, elle fera
dans le social : « Au moins,
j’aurai l’impression de
servir à quelque chose. ».
M A G A Z I N E

L e m e i l l e u r d e l a s e m a i n e
Malraux
mort et remords
Par JosePh Macé-scaron
Nous l’avons déjà souligné, mais
le fait est assez rare pour être à
nouveau relevé : la culture est bien le
parent pauvre de cette présidentielle.
On objectera que, du réchauffement
climatique à la nouvelle barbarie économique,
les grands sujets ne manquent pas. Mais on
peut aussi rappeler que la culture est le premier
des liens sociaux. Encore faut-il s’entendre sur
le sens que nous donnons au mot « culture ».
Ce dernier est devenu envahissant et tout ce
qui est envahissant, comme l’a rappelé Marc
Fumaroli, inquiète. A force d’avoir vu des
occupants de la Rue de Valois sauter sur leur
strapontin ministériel en criant « Culture,
culture ! », le terme se range dans la catégorie
des mots slogans dont l’usage machinal
prévient la réflexion. Ce serait un paradoxe, car,
étymologiquement, ce mot magnifique oriente
du côté de la liberté et du bonheur : en latin,
la cultura animi est l’équivalent spirituel de
l’agricultura. C’est ce qui fait croître et achève
la nature, c’est ce qui la conduit à fleurir et
fructifier. Son chef-d’œuvre, c’est une humanité
accomplie.
Car la culture, c’est aussi, au passage, ce qui
permet à nos sociétés de limiter les dogmes,
le racisme, l’essentialisme, la violence, les
incivilités. C’est ce qui incite par le goût des
études et la passion du savoir au goût des autres.
Malraux, qui apparaît, aujourd’hui, encore
comme « l’horizon indépassable » de tout
discours sur ce sujet, aimait à répéter qu’il était
« en art » comme d’autres sont « en religion ».
Un grand écrivain, doublé d’un grand homme,
devrait faire davantage attention à ce qu’il dit.
Un mot d’après banquet républicain prononcé
dans l’échauffement et hop ! on empoisonne
des générations d’énarques et de normaliens.
On imagine la scène : ceux-ci doivent faire un
texte pour un candidat à la présidentielle. Ce
dernier ou cette dernière leur ont accordé deux
heures. Ils ont à portée de main le dictionnaire
des citations. Et ils se disent : « Mmmh, voyons
ce qu’écrivait Malraux… » Et bingo ! Une
génuflexion convenue. On continue à vivre
dans cette illusion tragique que la culture ne
s’enseigne pas, ne s’apprend pas, ne se transmet
pas, est une affaire d’émotions. Et si nos
candidats s’interrogeaient, ne serait-ce qu’une
nanoseconde, sur les conséquences en chaîne
de ce furieux préjugé ?.
dr
Valeria
Golino
• Dans A Casa nostra, de Francesca
Comencini. Sortie le 18 avril.
personnage
S on
1 ACtriCe
est un roc. Dans
A Casa nostra, Valeria
Golino incarne Rita,
jeune femme flic
greffée à son talkiewalkie,
obsédée
par des hommes
d’affaires milanais
qui s’adonnent à des
trafics illicites. Elle les
traque, les piste, les
écoute. Dans sa vie
privée, c’est pareil :
elle traque, piste et
écoute un beau jeune
homme qui refuse
de s’installer avec
elle. Alors l’armure se
fendille et l’airain cède
à l’émotion. Au fond,
Rita est comme tout le
monde : elle cherche
une petite victoire
pour se sentir
moins mortelle.
La galerie de
personnages qui
gravitent autour
d’elle nourrissent les
mêmes aspirations,
que l’on soit top
model, employé
de supermarché,
infirmière ou banquier
véreux. A Casa nostra
tourne un peu à
vide, mais se rattrape
quand le regard bleu
de Valeria Golino
quémande un peu
de bonheur.
Clara Dupont-Monod
C U L T U R E
2 émissions
Faut-il avoir
peur de
Google ?
• Arte, le 20 avril, à 22 h 15.
En moins de huit ans,
Google est devenu le
moteur de recherche le
plus utilisé au monde.
Il est désormais
presque inconcevable
d’imaginer le
moindre « surf » sur
la Toile sans cet outil
omniprésent. Et ce
monopole bien réel du
monde virtuel plonge
dans la perplexité
les détracteurs de
cette ancienne startup
devenue star du
Nasdaq. Comment
ne pas s’inquiéter des
dérives potentielles
de la pieuvre du
Web ? Ou être certain
qu’elle ne présente
pas un danger pour les
libertés individuelles
ou la propriété
intellectuelle ? Son
arrivée en Chine a joué
le rôle de révélateur :
sous couvert de
libéralisation de la
Toile chinoise, Google
a accepté de se
soumettre au carcan
étatique, sacrifiant la
liberté d’expression sur
l’autel du business.
Isabelle Saporta
« la traviata »
sur france 3.
La Traviata
• De Giuseppe Verdi, France 3,
samedi 14 avril, vers 22 h 30.
élitiste, l’opéra
J ugé
est encore trop
souvent boudé par
un public qui craint
de ne pas avoir les clés
pour l’aborder et qui
préfère, par là même,
renoncer à la musique
classique plutôt que
de devoir se confronter
à des œuvres
complexes. Décidé
à faire évoluer les
mentalités, France 3
s’attelle à démocratiser
l’opéra en offrant à son
public un décryptage
limpide de la Traviata
de Giuseppe Verdi.
Alain Duault, entouré
du ténor Rolando
Villazon, de la soprano
Natalie Dessay,
du chef d’orchestre
et compositeur
Jean-Claude Casadesus
et de la metteuse en
scène Irina Brook,
parvient à nous donner
à voir la richesse
de la composition
de l’opéra de Verdi
en commentant,
simplement,
des extraits de
l’enregistrement de
Salzbourg.
Une émission
pédagogique et
ludique qui convertira
les plus réfractaires
aux plaisirs de la
« grande musique ».
I.S.
ali schafler
1 Cd
The
Adventures Of
Ghosthorse…
• De Coco Rosie, Touch And Go/Pias.
Le duo de Coco
Rosie, composée
des sœurs Cassidy,
Sierra et Bianca,
est sorti de nulle
Coco rosie.
part – ou plutôt des
milieux indépendants
américains. Leur folk
expérimental, plein de
bruits d’animaux et de
jouets, représentait à
merveille un monde
candide sur lequel
planait la mélancolie
d’un éden perdu,
l’enfance. Mais les
ballades renfermaient
leur comptant de
rêves douloureux. Sur
leur dernier album,
The Adventures Of
Ghosthorse And
Stillborn, enregistré
à Reykjavik avec
le producteur de
Björk, leurs voix de
fées dissonantes
restent aériennes et
inattendues, même
si les comptines ont
évolué vers l’électro.
Ces poétesses recèlent
cette grâce fragile que
l’on croyait perdue.
Myriam Perfetti
dr
1 polAr
Psycho
• De Richard Montanari,
Le Cherche-Midi, 480 p., 22 €.
Un bon polar et un
bon vieux film, cela
reste la recette la plus
classique du cocktail
d’un week-end réussi.
Pour le prix d’un livre,
Richard Montanari,
l’auteur de Déviances,
vous offre ce
plaisir : un assassin
cinéphile pousse
le vice à s’inspirer
des classiques du
cinéma, pour mettre
en scène et tourner
ses crimes avant de
les insérer dans le
film original. Psychose
ou Scarface sont au
générique de sa folie.
Dans ce thriller où les
intrigues se mêlent
pendant que des flics,
touchants d’humanité,
s’emmêlent les pieds
dans leur vie et
pataugent dans leur
enquête. Et comme
dirait Hitchcock,
la fin de Psycho
fait l’effet d’une vraie
douche froide sur
le lecteur. Logique,
après qu’on vous
a laissé haletant
pendant près
de 500 pages….
Olivier Maison
1 essAi
Chirac, le
premier
président…
• « Chirac, le premier président
d’un monde nouveau »
De Dominique Reynié,
Plon 154 p., 16,90 e.
hagiographie
N i
dominique
reynié.
ni réquisitoire,
l’essai du politologue
Dominique Reynié
consiste à revisiter
les douze années de
mandat chiraquien
comme le théâtre d’une
présidence par gros
temps. Le monde de
l’après-guerre froide,
suggère Reynié, n’a pas
tenu ses promesses.
On attendait une
chute du niveau de
tension planétaire
et un basculement
progressif des régions
non démocratiques
dans un libéralisme
politique sous égide
américaine. Une
illusion collective ? Une
erreur d’appréciation
des Occidentaux,
en tout cas, dont
Chirac dut assumer
les conséquences.
Et Reynié de
répliquer aux
idéologues du
masochisme
national : « Ce
n’est pas la
France qui
décline, mais
l’Occident tout
entier qui paraît
figé. ». Alexis Lacroix
66 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 67
hugues dubois
dr
1 expo
« Nouvelle-
Irlande : arts
du Pacifique
Sud »
• Jusqu’au 8 juillet, au musée
du Quai-Branly, Paris VIIe .
Renseignements : 01 56 61 70 70
ou www.quaibranly.fr
sont ceux
R ares
qui connaissent
l’existence de la
Nouvelle-Irlande. C’est
pourtant sur cette
petite île du Pacifique
qu’ont été créés les
masques colorés et
mystérieux qui ont fait
la renommée de l’art
océanien. A travers une
exposition, le musée du
Quai-Branly rappelle
que, parmi tous les
arts dits « primitifs »,
seules les sculptures
de Nouvelle-Irlande
ont atteint un tel
degré de finesse et de
complexité. Conçus
à l’occasion des
cérémonies funéraires,
les masques malagan
représentent l’âme du
défunt, sa personnalité
et son destin au moyen
de symboles et de
jeu de couleurs et de
formes. Traditionnellement,
ces
sculptures sont
censées capter
les forces
de vie du
disparu avant
qu’elles ne
se dissipent.
C’est peutêtre
pour
cela qu’elles
dégagent
une telle
puissance….
Anna
Topaloff
Le Printemps
de Bourges
• Du 17 au 22 avril
à Bourges (18). Renseignements
et réservations : 08 92 69 76 87
ou www.printemps-bourges.com
avoir
A près
1 festivAl
dignement fêté ses
30 ans l’an dernier,
Le Printemps de
Bourges aborde cette
nouvelle édition avec
un enthousiasme
intact. Du 17 au
22 avril, 130 artistes
se succéderont sur
les scènes du festival.
Fidèle à sa tradition, la
programmation fait la
part belle aux jeunes
pousses. Il faut dire
qu’entre Anaïs, Jeanne
Cherhal ou Paris
Combo, Le Printemps
a toujours su dénicher
les talents de demain !
Parmi les têtes
d’affiche, Olivia Ruiz et
Abd al-Malik, les deux
révélations de l’année,
mais aussi des artistes
aussi différents que le
rappeur Joey Starr ou
le violoniste Laurent
Korcia ! Le 22 avril,
jour du premier
tour de l’élection
présidentielle, un
concert gratuit réunira
les artistes les plus
engagés, histoire de
ne pas oublier d’aller
voter….A.T.
C U L T U R E

i d é e s
Ne crachons pas sur
la IV e République
Pas de fleurs, ni de couronnes.
Pas de crachats non plus. La
IV e République, cinquante
ans après sa fin peu glorieuse,
ne mérite ni excès d’honneur
ni indignité.
Car, ne nous y trompons
pas, les vieux débris du chiraquisme et
les bien-pensants de gauche enfiévrés
par leur Jeanne d’Arc qui nous font des
leçons d’histoire, d’instruction civique et
de morale, en arguant du triste exemple
de la IV e , s’exemptent pour eux-mêmes
de tout reproche sur leur passé et n’ont
en fait qu’un souci, qu’un but : déquiller
ce Bayrou qui fait désordre et empêche
de saliver en paix devant le gâteau présidentiel,
loin des cris de tous ceux qui, las
des « duels » téléguidés et des impuissances
alternées ou cohabitantes, songent à
réagir vertement.
La IV e République, donc, ne serait pas
morte, disent-ils, puisqu’elle a un avatar,
ou une fausse couche, François Bayrou.
Le premier mensonge historique de la
campagne – le centre, c’est la droite – n’a
pas convaincu, puisque l’avatar, haussé à
20 % des intentions de vote, a prouvé que
le centre survivait et même récidivait. Il
a donc fallu en inventer un deuxième :
Bayrou ne serait qu’un zombie de la IV e , un
glossaire
Sirius
Pseudonyme de Hubert-Beuve Méry.
Journaliste français (1902-1989).
Correspondant du Temps à Prague
(1934), en opposition avec son journal
à la suite des accords de Munich, il
démissionna. Résistant durant la
Seconde Guerre mondiale, il fonda en
décembre 1944 le quotidien le Monde.
Loin d’être la
mère de tous les
maux, la première
constitution
de l’après-guerre
nous a légué
de remarquables
réalisations.
N’en déplaise
aux défenseurs
de la V e République.
Par JEaN-PIErrE rIOUX*
sous-marin de la démocratie chrétienne,
un faux cul de l’Europe noire, un sicaire de
troisième force. L’horreur, en somme. Qu’il
ait fallu inventer ces fredaines montre
l’inquiétude qui tourneboule les décatis
du droite-gauche.
Que faire, face à tant d’inconscience
et de mauvaise foi ? Rien d’autre que faire
confiance à l’intelligence de l’électrice
et de l’électeur, en rappelant tranquillement
la splendeur et la misère de la
IV e République. Et, surtout, en tentant de
faire qu’user de tels arguments d’autorité
rétrospective n’ait rien de bien probant
et soit très inutile.
Mouvement de Poujade
Pierre Poujade (1920-2003), dont le
nom a été adjectivé en « poujadiste »,
fonda en 1953 l’Union de défense
des commerçants et des artisans
de France. Il était hostile aux
contrôles fiscaux et était un ardent
défenseur de l’Algérie française.
Il fut élu député en 1956.
68 Marianne / 14 au 20 avril 2007
On connaît l’antienne : la IV e n’aurait
vécu qu’en attendant l’agonie. Elle est
morte, disait Sirius dans son oraison funèbre
du Monde, le 29 mai 1958, « moins des
coups qui lui sont portés que de son inaptitude
à vivre ». Condamnée à sa naissance,
dès 1946, ont dit les gaullistes puisque,
mollement acceptée par les Français, elle
a refusé le secours providentiel de papa
de Gaulle, elle a trop fait confiance aux
trois partis, les communistes, les socialistes
et les républicains populaires (c’est-à-dire
le MRP, les démocrates-chrétiens), qui
pourtant raflaient les trois quarts des suffrages
à eux seuls et exprimaient donc bien
un élan massif et populaire, mais qui ont
cru que cette suprématie suffirait à donner
force et vie à un vrai régime d’assemblée.
Puis, ajoutent les communistes alors si
puissants et si menaçants (de 20 % à 25 %
des suffrages à toutes les élections), elle est
devenue hystérique et perverse dès 1947,
au temps de la guerre froide, quand la SFIO
et le MRP se sont alliés à la droite modérée
au sein d’une « troisième force » pour sauver
le régime doublement menacé par les
staliniens surexcités par Moscou et par les
gaullistes du RPF qui voulaient à tout prix
le retour de leur Général. Puis, invectivée
et à deux doigts d’être très tabassée par
les populistes musclés du mouvement
Jean Monnet
Economiste (1888-1979), secrétaire
général adjoint de la SDN de 1919
à 1923. Président du Comité de
coordination de l’effort de guerre allié,
pendant la guerre. A l’origine de la
déclaration du 9 mai 1950 qui jeta
les bases de la Communauté
européenne du charbon et de l’acier.
de Poujade, ralliés chemin
faisant à la cause de l’Algérie
française (Jean-Marie Le Pen,
on le sait, inaugura sa carrière
politique chez Poujade
et dans l’Algérie des paras).
Mal-aimée, déchirée,
traînant les séquelles des années noires,
ravagée par la guerre froide, menacée de
toutes les subversions, la IV e eut aussi, au
même moment, à subir les effets ravageurs
de la décolonisation : défaite en Indochine
en 1954, à Diên Biên Phu, sauvant les
meubles en Tunisie et au Maroc, n’hypothéquant
pas trop l’avenir en Afrique
noire et dans les DOM-TOM, elle mourra,
par contre, du cancer algérien. De son
incapacité à empêcher la débâcle finale,
après le lancement de la guerre d’indépendance
là-bas, à la Toussaint 1954, la droite
modérée, les centristes et les socialistes
au pouvoir sous Pinay, Mendès France,
Edgar Faure ou Guy Mollet, avec le soutien
d’un célèbre homme à tout faire du
centre, François Mitterrand, ont tous été
coresponsables.
Accuser aujourd’hui le seul Bayrou
d’être l’héritier fidèle d’un MRP destructeur,
c’est un peu comme accuser tout
socialiste de descendre d’un Mitterrand
Voir dans le seul
Bayrou l’héritier
d’un MRP
destructeur, c’est
comme accuser
tout socialiste
de descendre
d’un Mitterrand
centro-vichyste.
centro-vichyste ou d’un Guy
Mollet couvrant la torture
en Algérie, tout communiste
de n’être un éternel
pourvoyeur de goulag, tout
chiraco-sarkozyste d’avoir
comploté en mai 1958, tout
postier trotskiste d’avoir fait fusiller les
mutins de Cronstadt.
Que la IV e ait dérivé vers un régime
d’assemblée incontrôlable et hagard,
c’est incontestable. Ses partis, toujours
pris par l’urgence et dépassés par les événements,
n’ont pas su aller au-devant
des aspirations nouvelles de la société,
ont périclité quand le corps social prospérait,
ont conservé leurs organisations
archaïques et leurs idéologies datées, ont
été incapables de composer des majorités
stables et, de crise ministérielle en
crise ministérielle (348 jours au total, de
1946 à 1958 !), n’ont jamais su proposer
des choix clairs ni souder des majorités
durables, dès lors aussi que le scrutin à
la proportionnelle intégrale, avec ou sans
« apparentements » entre les candidats
des partis frères ennemis, n’arrangeait
rien. Quand, en 1956, à l’heure du Front
républicain, la clarté paraissait s’imposer
(pour ou contre la poursuite de la guerre
14 au 20 avril 2007 / Marianne 69
la sécurité sociale – ici
au cours d’un congrès
l’organisant en 1947 – fut
une des grandes créations
de la iV e république.
en Algérie), les députés et les états-majors
partisans ont dépouillé les citoyens de
leur choix en faisant préférer Guy Mollet
à Mendès France. La IVe a donc institué
une politique à la sauvette, aussi inefficace
qu’immorale. A l’exception d’un Pinay et
d’un Mendès, la médiocrité des hommes
a fait le reste : l’événement, impitoyable, a
démasqué et livré à la plume féroce d’un
Mauriac ou d’un Aron, d’un Camus ou
d’un Sartre nombre de petits marquis du
MRP, de potentats sonores de la SFIO, de
gaullistes méchamment activistes, de serviteurs
très dociles des lobbies, de ripoux
et de faux nez. Cette République-là, c’est
clair, a été trop affaiblie et démonétisée
par leurs divisions et leurs faiblesses pour
que quiconque ait pu songer à la défendre
vraiment en mai 1958.
Mais il faut aussi rappeler que ces
mêmes hommes ont eu l’intelligence
d’accepter avec gratitude l’aide américaine
du plan Marshall ; de ne pas entraver
aussi l’action modernisatrice d’une haute
administration de l’Etat qui fut alors la
meilleure du monde. Impuissante et troublée,
cette République si mal-aimée n’a
pas été stérile. Elle a légué à la Ve des réalisations
et des propositions sociales d’un
progressisme tout à fait remarquable :
afp
i d é e s

la protection et la sécurité sociales, les
aides à la famille, la fixation des enjeux
éducatifs sur l’école moyenne, les aspirations
au partage de la culture (le TNP
date d’avant Malraux). Elle a contribué à
installer durablement dans les idéaux et
dans les faits toute la panoplie de l’Etatprovidence
: la planification incitative,
l’aménagement du territoire, la rénovation
des équipements, la mise à
niveau des transports, l’indépendance
énergétique
et industrielle lourde par le
charbon, l’acier, l’électricité,
l’automobile et la chimie, la
promesse de relance de tous
dalmas / sipa
les services. Ses politiques économiques
empiriques n’ont certes pas maîtrisé l’inflation,
alors tenue pour délétère, mais
elles ont préservé la liberté des chances
et son secteur public n’a pas désavantagé,
loin de là, le secteur privé.
Surtout, avec Jean Monnet et Maurice
Schuman, elle a lancé l’Europe, et il faut
vraiment s’étonner du silence de 2007
chez les deux principaux candidats à la
présidentielle à l’heure des célébrations,
si ferventes partout ailleurs en Europe,
du cinquantième anniversaire du traité
de Rome. Aussi important pour l’avenir :
elle a entrevu l’impératif de la recherche
et développement, surtout au temps de
Mendès France, et lancé la recherche sur
l’énergie atomique. Au total, il faut lui
faire gloire de n’avoir rien entravé, ni la
Le problème n’est
plus la IV e
et son bilan ,
mais la V e atone
et déjà largement
désaffectée. C’est
de la VI e et non
de la IV e qu’il
faut parler.
modernisation du pays en profondeur, ni
son impatience à rajeunir, ni l’amélioration
des conditions de vie des Français et
leur première conquête d’un mieux-être
de consommation et de culture moins
mal partagées.
Bien sûr, les mécanismes de l’inégalité,
de l’exploitation et de l’exclusion
n’ont pas été enrayés : trop de paysans,
de commerçants, d’ouvriers,
de vieux sont restés « économiquement
faibles » ou
ont été paupérisés. La gangrène
en Algérie a attenté
au moral de la nation, à son
« identité » même, dirait-on
aujourd’hui : la torture ayant été tolérée,
et même par la gauche de gouvernement,
la France républicaine issue de la Résistance
a terni alors les droits de l’homme
aux yeux du monde. Le pays a titubé sur
la scène internationale, ne sachant plus
s’il était la plus petite des grandes puissances
ou la plus grande des petites. En
1958, les Français ont donc, logiquement,
délégué à de Gaulle le soin de leur proposer
une démocratie mieux adaptée à l’élan si
moderne du pays, de renouer le dialogue
interrompu entre gouvernants et gouvernés,
de réconcilier la défense des intérêts
et l’ambition nationale.
La IV e est passée à la trappe pour
défaillance d’autorité et, du coup, pour
incapacité à refermer la « boîte à chagrin »
de la guerre d’Algérie. De Gaulle, lui, y
70 Marianne / 14 au 20 avril 2007
i d é e s
parviendra, difficilement, douloureusement,
et saisira l’occasion, en 1958 puis
en 1962, pour se faire tailler sur mesure un
costume constitutionnel qui, il faut bien
aujourd’hui le reconnaître, n’est jamais
très bien « tombé » sur ses successeurs.
Point à la ligne. Amen. Le problème,
aujourd’hui, n’est plus du tout la IV e République
et son bilan, mais la V e atone et
déjà largement désaffectée. C’est de VI e
et non de IV e qu’il faut parler.
Il reste aussi à admettre aujourd’hui
qu’un régime faible et méprisé peut ne pas
tout à fait démériter ; que les partis valent
toujours ce que valent leurs dirigeants,
leurs militants et leurs électeurs ; qu’après
le 8 janvier 1959, passation de pouvoir
entre rené Coty et Charles de gaulle.
la iV e république disparassait.
tout gouverner peu n’empêche pas toujours
d’afficher des hardiesses imprévues
et d’accomplir de grandes choses. Comme
si l’impossible ou le pire n’étaient jamais
au rendez-vous dans l’histoire d’un peuple
comme le nôtre. Nos actuels partisans du
duopole PS-UMP si hostiles au troisième
homme en sont-ils vraiment persuadés ?
Décidément, « la IV e République a bon
dos », comme le rappelait excellemment le
constitutionnaliste Dominique Chagnollaud
dans le Figaro du 29 mars. Mais les
imprécateurs, vraiment, feraient mieux
de garder des forces pour balayer devant
leur porte.J.-P.R.
* Historien, auteur de la France de la iV e république
(Points-Histoire, 2 vol.). Vient de publier la France
perd la mémoire (Perrin), les Populismes (Perrin)
et Tableaux de la France (Omnibus).

Splendeurs et misères du journalisme
Tout en exerçant épisodiquement
leur métier, Balzac méprisait les
journalistes, qu’il jugeait veules,
corrompus et exagérément
influents. Deux siècles plus tard,
la dictature médiatique tant redoutée est
devenue réalité ou plutôt un substitut de
réalité dont il devient urgent d’établir la
fiche d’identité critique. Pendant près de
deux ans, la journaliste, et collaboratrice
de Marianne Elisabeth Lévy eut la chance
d’y consacrer une émission hebdomadaire,
« Premier pouvoir », devenue une
des plus écoutées de France Culture. Pourtant,
peu après sa nomination en remplacement
de Laure Adler, David Kessler, le
nouveau patron de la « radio des élites
culturelles », a décidé d’y mettre un terme,
officiellement parce que peu convaincu
par son potentiel de longévité.
La « victime » ne croit guère à cette
explication et, tout en décortiquant avec
minutie le fonctionnement de la maison,
Par alain léauthier
en avance plusieurs autres, plus ou moins
déplaisantes pour son « bourreau ». La
pire étant que la nouvelle direction aurait
fait de la place afin de pouvoir recruter
certains de ses protégés.
La journaliste en cite deux
qui ont pour trait commun
d’avoir appartenu à l’aire
d’influence jospiniste, tout
comme Kessler. Or Elisabeth
Lévy, ex-chevènementiste
déçue, est très fâchée avec
toutes les gauches, dont
elle traque, souvent avec
pertinence mais aussi quelquefois
un esprit partisan,
mensonges, reniements et
dogmes figés. Même si elle
dit ne pas y croire, on comprend donc à
demi-mot que son éviction serait le fait
d’un prince de la gauche bien-pensante ne
supportant pas la présence d’un électron
libre et indépendant, malgré le soutien
14 au 20 avril 2007 / Marianne 71
d’intellectuels aussi différents que Milan
Kundera, Régis Debray ou Pierre Nora.
Au-delà de la blessure d’ego, notre
collaboratrice voit aussi dans son licenciement
« a posteriori […]
la difficulté intrinsèque à
l’entreprise consistant à
“penser les médias” […], y
compris d’ailleurs dans le
registre très en vogue de
la dénonciation du pouvoir
médiatique ». Lucide,
nourrie d’antimodernisme
Elisabeth
Lévy.
hannah
nerveux, elle esquisse une
analyse complète de la
médiasphère. Le travail pro-
met, si on considère avec
elle que la « scène médiatique
est la scène publique ». Il mérite probablement
d’être approfondi dans un
nouvel ouvrage.
Le Premier Pouvoir, d’Elisabeth Lévy,
éd. Climats, 165 p., 14,25 €.
i d é e s

c u l t u r e
Michel Onfray
pour les nuls
Portrait d’un ancien prof de lycée devenu un auteur prolifique
de best-sellers philosophiques et le créateur d’universités
du savoir et du goût qui rencontrent un énorme succès.
Apeine débarqué d’un train
Corail Intercités, Michel
Onfray a été incarcéré
dans un fauteuil club de
l’hôtel des Saints-Pères
par son attachée de presse,
Elodie Deglaire, énergique
sauterelle qui conduit ses opérations
de public relation comme un raid sur
Bagdad. Elle propose toutefois à Michel
Onfray une légère collation en vol, qu’il
décline, raide et vêtu de noir comme un
pasteur anglican. Normal, la philo, ça
nourrit son prof. La veille, il a donné sa
conférence à l’Université populaire, dite
« Lupé » dans le langage de la secte des
onfrayés. Thème : « Fourier
l’excentrique ». « Une performance
physique », dit-il.
Surtout qu’en sortant il a
découvert que deux pneus
de son auto avaient été lacérés,
ce qu’il a pris la peine de
relater sur son blog sous le
titre énervé « Crado, facho,
auto ». Parce qu’en plus des
cinq livres qu’il écrit par an,
de sa chronique mensuelle
sur son site, de ses cours,
Onfray tient un blog pendant
la campagne électorale. Du coup,
il n’a pas eu le temps de déjeuner.
La maison d’édition a prévenu : « Le
mec est colossal : c’est une machine à
paroles. » A peine appuyé sur « play », il
démarre, volubile, bouche mignonne de
poupée, mains sur les genoux. Sans un
En plus
de ses livres,
de sa chronique
mensuelle et de
ses cours, il tient
un blog pendant
la campagne
présidentielle.
Par Marie-doMinique lelièvre
regard à montures Mikli pour l’assiette
de biscuits qu’un serveur a apportée.
l’imprésario parisien
« Sa fécondité est incroyable, j’ai trois ou
quatre livres d’avance », dit Jean-Paul
Enthoven, son imprésario, pardon éditeur
chez Grasset, qui ne parvient pas à résorber
cette inflation, ce qui oblige Onfray
à écouler le surplus dans des maisons
adverses. Onfray est convaincu qu’il ne
vivra pas longtemps, d’où sa productivité.
Il a eu un infarctus à 28 ans – il ne boit pas
d’alcool et ne fume pas – et a commencé
à écrire pour célébrer sa résurrection.
Enthoven a publié son premier livre en
1989, alors que Michel Onfray
avait 30 ans. Le récit de leur
rencontre est aussi enluminé
qu’une légende. « Le manuscrit
était arrivé par la poste. Un
éditeur fait rarement bien son
travail, mais c’était un 15 août,
je rentrais de vacances plein de
bonnes résolutions, décidé à
tout lire. C’est tombé sur lui…
Je lui ai téléphoné pour qu’on
se rencontre, il m’a dit qu’il ne
venait jamais à Paris. J’ai proposé
de lui envoyer un contrat
par fax. Un fax, il ne savait même pas ce
que c’était. Il habitait Argentan… Pour moi,
c’était l’Afrique », dit Jean-Paul Enthoven,
qui ressemble un peu à Keith Richards.
L’Orne, c’est la Normandie ouvrière et
rurale, pas celle des hôtels Barrière et
des casinos. Ami de Bernard-Henri Lévy,
72 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Jean-Paul Enthoven dit d’Onfray qu’il est
l’homme qui lui ressemble le moins. « Sa
vision, ses opinions politiques, tout cela est
loin de moi. » Avec deux marques, Grasset
couvre le marché : le BHL pour la jet-set
tendance Malraux-Diane de Furstenberg ;
le Michel Onfray, pour les gens modestes
tendance Sartre-Besancenot. Le joli playboy
du Flore chaussé chez Loeb, le joli
ermite révolté de l’Orne chaussé par Doc
Martens. Qui invite à voter pour l’antilibéral
et altermondialiste José Bové, tout
en étant favorable aux biotechnologies
contemporaines, au nucléaire, aux OGM.
(Pour toute explication supplémentaire,
lui envoyer un mail.)
la machine à paroles
« J’ai commencé à enseigner à 21 ans, en
remplaçant un prof absent quatre mois
au pied levé. Je n’étais pas préparé. Le prof
principal a ouvert la porte, m’a présenté
aux élèves. “C’est votre nouveau professeur,
M. Onfray.” Une des élèves était plus
âgée que moi. Le principal a refermé la
porte. C’était parti et, depuis, ça ne s’est
jamais arrêté. »
Entre les sourcils, la ride du lion est
creusée profond dans la chair. Pas de
vacances, pas de week-ends : Michel
Onfray bosse. Trente-cinq livres en dixhuit
ans, plusieurs best-sellers. D’ailleurs,
à Argentan, où il habite toujours (il y est
né il y a quarante-huit ans), il n’y a pas
grand-chose d’autre à faire. Sauf la cuisine,
qu’il prépare lui-même. Il a été l’élève, à
l’université de Caen, d’un pédagogue
hannah
Michel Onfray sur le quai
de la gare d’Argentan,
la ville où il est né
et où il vit toujours.
c u l t u r e

lumineux : l’historien de la philosophie
Lucien Jerphagnon, que certains
considèrent comme un des plus grands
professeurs de philosophie du XXe
siècle.
« Un de ces êtres rares capables de renoncer
aux vanités des œuvres personnelles
pour former les têtes et forcer les âmes »,
selon François Busnel. Un esprit clair et
pétillant capable de rendre limpide la
démonstration la plus ardue. Il a permis
à Onfray de se construire, et de construire
sa trajectoire. « Michel Onfray a le tempérament
philosophique : la faculté, le
besoin de diffuser son savoir, et que son
savoir illumine les gens de l’intérieur. Il veut
changer le monde, changer la vie des gens.
Il veut leur faire plaisir, puisqu’il leur parle
de plaisir à longueur de pages », dit Lucien
Jerphagnon avec malice. Les deux hommes
sont un peu brouillés. Au
début, Jerphagnon a corrigé
les manuscrits d’Onfray. Jusqu’au
jour où il a eu la main
lourde, selon Onfray, en lui
rendant un manuscrit dont
il ne restait que 10 pages : il
aurait jeté le reste. « Jamais je
ne me permettrais une chose
pareille », rectifie Jerphagnon.
Les deux hommes sont à l’opposé
: si l’ombrageux Onfray,
anxieux et pragmatique, ne
croit qu’au quotidien, et au
plaisir du quotidien, son vieux maître,
chrétien, croit « à cette grosse surprise que
nous aurons peut-être dans l’au-delà ».
Dans ses livres, Onfray est le chantre
de l’hédonisme. Hors antenne, c’est
un ascète. L’écrivain Gérard Oberlé, fine
fourchette, l’invite un soir à festoyer.
Déception : « J’ai découvert un garçon
qui fait profession d’épicurisme… et qui se
couche à jeun », raconte-t-il. L’hédonisme
triste, donc.
la bande à Onfray
« Il a la bonne stratégie », soupire Philippe
Sollers, un expert. Le prof du lycée professionnel
Sainte-Ursule, 30, rue de la Miséricorde,
Caen, Calvados, est devenu en
quelques années le premier enseignant
de philo de France. Une vedette de télévision
et un gros vendeur de bouquins.
Ses livres se vendent comme des petits
pains (complets). Si les trois premiers
avaient marché modérément, la Sculpture
de soi s’est vendue à 8 000 exemplaires,
puis Politique du rebelle a dépassé les
30 000 exemplaires et Traité d’athéologie,
dans lequel il attaque les trois religions
monothéistes, a fait un malheur avec
280 000 exemplaires vendus. Ses conférences
s’arrachent. Tous les mardis soir,
de 18 h 30 à 20 h 30, son cours à l’Université
populaire de Caen fait amphithéâtre
comble : de 650 à 700 personnes en
moyenne. « A Lupé comme autrefois à
Sainte-Ursule, il traite les élèves comme
En 2002, il crée,
avec d’anciens
collègues,
l’Université
populaire
de Caen. Accès
libre, cours
gratuits…
des êtres humains. Il était très aimé de ses
élèves car il ne les ennuyait pas », dit son
amie Dorothée Schwartz. Le mardi soir,
elle tient le micro et passe les diapos à
Caen. Le reste de la semaine, elle est sa
collaboratrice : le site Internet, la communication,
les factures, c’est elle.
Professeur de communication et de
sciences médico-sociales au lycée Sainte-
Ursule, elle est aujourd’hui l’un des piliers
– bénévoles – de l’Université populaire.
« Au lycée professionnel, il démarrait toujours
le cours avec une question posée par
les élèves. “Qu’est-ce que vous pensez du
Loft ?”, par exemple. A partir de cette question,
Michel a construit tout son cours en
réinjectant rigoureusement le programme
de terminale. De cette façon, ce n’était pas
rebutant pour des élèves de technologie »,
se souvient la jeune femme. Et
les résultats au bac ? « Mauvais.
Comme ceux de tous les
profs de philo. »
En 2002, il a démissionné
de l’Education nationale,
pour passer à la vitesse supérieure.
Epaulé par d’anciens
collègues tous bénévoles, il
a créé l’Université populaire
de Caen. Accès libre, cours
gratuits, pas de diplômes.
Dans le public, l’infirmière, le
chef de service et la femme de
ménage du CHU. Des étudiants. Le pilote
d’Airbus qui se débrouille pour ne jamais
avoir de vols le mardi. Une brochette de
bénévoles ont suivi Dorothée Schwartz.
C’est elle qui met en ligne le synopsis
du cours d’Onfray, le samedi matin qui
précède le cours. En gros, Michel Onfray
a inventé la philo pour les nuls.
l’université du topinambour
Lancée le 11 décembre dernier, l’Université
populaire du goût d’Argentan fait
un tabac. Le premier cours, donné par
Jean-François Piège, le chef du Crillon, a
porté sur le… cardon. « Au départ, nous
pensions faire cela à la Maison du citoyen,
dit Pierre Pavis, le maire d’Argentan.
Quatre-vingts places, à tout casser. Nous
avons préféré nous installer dans la salle
des fêtes : 450 places, sans être certains de
remplir. Neuf cents personnes viennent
à chaque fois… » A l’origine, une idée
sociale de Michel Onfray, inspirée par
un de ses proches, Jean-Luc Tabesse,
ancien militant du Parti communiste,
à la tête d’une association d’insertion,
Jardins dans la ville. But : faire cultiver
des légumes à des RMistes en sérieuse
difficulté, sur un terrain prêté par la ville.
Ça marche très bien, sauf que les légumes
frais distribués par l’épicerie sociale
pourrissent sur place, faute de savoir les
préparer. D’où l’idée onfrayenne d’apprendre
à les préparer. « C’est un vrai
spectacle. Une dame fait un historique,
c u l t u r e
Lors de l’inauguration
de l’Université populaire
du goût, en compagnie
des chefs Marc de Champérard
(à g.), Jean-François Piège
(chemise rayée)
et Didier Elena (à d.)
le chef et son équipe nous montrent », dit
le maire d’Argentan. « On a commencé
par le cardon, je n’en avais jamais vu
ni mangé, dit Evelyne Bloch-Dano,
un auteur de biographies qui possède
une résidence secondaire dans le coin.
Mais faire un cours sur le cardon devant
800 personnes, c’est extraordinaire. Au
fait, pourriez-vous parler de mon livre qui
sort chez Grasset ? » Non. Pour écouter
Eric Frechon, le chef du Bristol, parler
du topinambour, ou Didier Elena, celui
des Crayères (Reims), parler du chou, on
vient de partout. « C’est amusant et on
se cultive. Mon épouse trouve ça génial,
elle fait de nouveaux plats », dit le maire
d’Argentan. Et les RMistes ? « Au début,
on a surtout vu arriver tous les notables
du coin, attirés par les grands chefs. » Puis
la Maison du citoyen a travaillé dans les
quartiers modestes et, petit à petit, le
public est devenu plus mélangé. Et les
légumes frais de l’épicerie sociale, sontils
consommés, à présent ? « Je ne suis
pas sûr. Mais Onfray a redonné le moral
à notre ville. Il y a trois ans, nous avons
plongé en perdant 700 emplois en six
mois… Maintenant, nous sommes redressés,
et nous y allons. L’attractivité d’une
ville, c’est important », dit le maire. Qui a
décidé de financer un abri de jardin dans
celui d’Onfray, destiné à l’Université du
goût. Une chouette cabane dessinée par
l’architecte Patrick Bouchain. Cinquante
mille euros, avec des matériaux collec-
tés auprès des entreprises. « Jack Lang
nous a mis en relation. Onfray a le sens
de l’intérêt général, ce qui me plaît chez
lui. Dans cette aventure, tout le monde
donne, et c’est le don dans ce qu’il a de
plus riche. » Bouchain a aussi dessiné un
kiosque à musique ambulant, destiné à
l’Université populaire.
la semaine de Michel Onfray
Le lundi, il travaille.
Le mardi, il travaille, pose son crayon
en fin d’après-midi et file à Caen donner
son cours à « Lupé ». Lequel a été écrit
l’été précédent : il est extrait de la Contrehistoire
de la philosophie, dont Onfray
publie les tomes un à un.
Le mercredi, il rentre de Caen, répond
au courrier.
Le jeudi et le vendredi, il est à Paris :
conférences, télé, rendez-vous chez son
éditeur.
Le samedi, il rédige le synopsis de son
cours du mardi.
Le dimanche, il travaille.
l’argent
Michel Onfray est un drôle d’homme.
Lorsqu’on lui demande combien il gagne,
il répond, par un mail de 4 135 signes
(trois pages environ), qu’il n’en sait rien.
« C’est mon comptable qui déclare et s’occupe
de mes impôts. J’ai une sainte horreur
des chiffres. Je ne sais pas combien je gagne,
pas combien je dépense, pas combien je
déclare, et je mesure combien c’est un
luxe de pouvoir vivre ainsi. Voyez avec le
cabinet comptable Fave à Argentan pour
les détails de chiffres. »
« C’est un drôle de type, dit Jean-Paul
Enthoven. Il a une haine de l’argent, ce
n’est pas ce qui me rassure le
plus… » Seul auteur Grasset
à percevoir une mensualité,
Michel Onfray ne touche pas
à ses droits d’auteur, qu’il
laisse chez son éditeur. « Des
centaines de milliers d’euros
l’attendent, il n’y touche pas.
De temps à autre, il demande
s’il peut avoir 6 000 € pour
s’acheter une voiture… » Combien,
la mensualité ? « Je ne
peux vous le dire… Modeste…
A peine plus qu’à ses débuts. »
Il recevait alors 2000 € par mois. Michel
Onfray a cessé d’enseigner en 2002.
c’est bien, les livres d’Onfray ?
Franchement, je ne sais pas. Je ne suis
pas arrivée à le lire. Un livre d’Onfray,
c’est dense et étouffant comme un cake
de Sophie. J’ai lu en entier Esthétique
du pôle Nord, un récit de voyage, mais
ne dépasse pas le premier chapitre des
autres : la partie autobiographique. Jean-
Paul Enthoven a eu une idée futée : chaque
livre d’Onfray débute sur un récit personnel.
Le cancer de sa compagne, son
expérience ouvrière à la laiterie Cham-
74 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 75
j.-y. desfoux / ouest france / pqr
Chacun de
ses ouvrages
débute par un
récit personnel.
Ces confidences
permettent
d’entrer dans le
livre sans effort.
bois, la biographie de sa mère, une enfant
de l’Assistance publique. Ces confidences
permettent d’entrer dans le livre sans
effort, bien qu’Onfray exhibe ses stigmates
avec un sérieux pesant, faute d’un
peu de levain humoristique. Il se plaît
dans le récit naturaliste de son enfance
de pauvre et de mal-aimé à la Jules Vallès,
que sauve la révélation de la philosophie.
« J’admire son parcours, dit sa collègue
Evelyne Bloch-Dano. Je sais d’où il vient. »
Ses aficionados connaissent chaque épisode
de son chemin de croix. Placé par
sa mère dans un orphelinat religieux
tenu par l’ordre des Salésiens à l’âge de
10 ans. Le père ouvrier agricole, la mère
femme de ménage. La famille quittée
très jeune – « Je suis autosuffisant depuis
l’âge de 17 ans » –, les études financées
par une bourse. La conversion de 1976
pendant le cours de Lucien Jerphagnon,
spécialiste de la philosophie antique, à la
fac de Caen. La rencontre avec sa compagne
actuelle, prof de lettres, à 19 ans.
L’infarctus, les deux accidents cérébraux
auxquels il a survécu. Dans le feuilleton
misérabiliste, Onfray enrôle son propre
frère, « toujours ouvrier d’entretien dans
une carrière », « sa femme au chômage
après avoir été employée de collectivité
dans une cantine de village qui a récemment
fermé », le neveu et la nièce dont
il voit « l’adolescence de fils et fille de
pauvres ». « Michel est un homme engagé.
Il est proche des gens qui sont dans la
misère, c’est du militantisme », dit son
ami Jean-Luc Tabesse. Ils se sont connus
il y a trente ans, en soutenant le même
candidat, un ouvrier communiste, au
conseil général.
Mais ses pages philosophiques,
impossible. Qu’en
pensent les experts ? « Ce
n’est pas toujours de la tarte,
dit Lucien Jerphagnon. C’est
dense et verbeux, mais ça
n’est pas difficile à lire. Il a
des trouvailles et des bonheurs
de plume. » Philippe
Sollers, qui l’a publié : « J’ai
lu des choses intéressantes.
Par exemple quand il raconte
qu’il a été à deux doigts de
mourir. » Et son éditeur ? « Michel Onfray
a un style, dit Jean-Paul Enthoven. Il écrit
bien. » C’est quoi, écrire bien, pour un
philosophe ? Etre lisible. « Contrairement
à beaucoup de philosophes français, il
écrit avec simplicité, sans concessions,
avec une vision du monde explicite, dit
Jean-Paul Enthoven. Il arrive à dire des
choses complexes simplement. C’est ça qui
marche à la télévision ou à l’Université
populaire de Caen. » Oui, Michel Onfray
est un excellent pédagogue. Si Onfray est
devenu le prof de philo le plus célèbre
de France, c’est qu’il sait enseigner.
M.-D.L.
c u l t u r e

lumineux : l’historien de la philosophie
Lucien Jerphagnon, que certains
considèrent comme un des plus grands
professeurs de philosophie du XXe
siècle.
« Un de ces êtres rares capables de renoncer
aux vanités des œuvres personnelles
pour former les têtes et forcer les âmes »,
selon François Busnel. Un esprit clair et
pétillant capable de rendre limpide la
démonstration la plus ardue. Il a permis
à Onfray de se construire, et de construire
sa trajectoire. « Michel Onfray a le tempérament
philosophique : la faculté, le
besoin de diffuser son savoir, et que son
savoir illumine les gens de l’intérieur. Il veut
changer le monde, changer la vie des gens.
Il veut leur faire plaisir, puisqu’il leur parle
de plaisir à longueur de pages », dit Lucien
Jerphagnon avec malice. Les deux hommes
sont un peu brouillés. Au
début, Jerphagnon a corrigé
les manuscrits d’Onfray. Jusqu’au
jour où il a eu la main
lourde, selon Onfray, en lui
rendant un manuscrit dont
il ne restait que 10 pages : il
aurait jeté le reste. « Jamais je
ne me permettrais une chose
pareille », rectifie Jerphagnon.
Les deux hommes sont à l’opposé
: si l’ombrageux Onfray,
anxieux et pragmatique, ne
croit qu’au quotidien, et au
plaisir du quotidien, son vieux maître,
chrétien, croit « à cette grosse surprise que
nous aurons peut-être dans l’au-delà ».
Dans ses livres, Onfray est le chantre
de l’hédonisme. Hors antenne, c’est
un ascète. L’écrivain Gérard Oberlé, fine
fourchette, l’invite un soir à festoyer.
Déception : « J’ai découvert un garçon
qui fait profession d’épicurisme… et qui se
couche à jeun », raconte-t-il. L’hédonisme
triste, donc.
La bande à Onfray
« Il a la bonne stratégie », soupire Philippe
Sollers, un expert. Le prof du lycée professionnel
Sainte-Ursule, 30, rue de la Miséricorde,
Caen, Calvados, est devenu en
quelques années le premier enseignant
de philo de France. Une vedette de télévision
et un gros vendeur de bouquins.
Ses livres se vendent comme des petits
pains (complets). Si les trois premiers
avaient marché modérément, la Sculpture
de soi s’est vendue à 8 000 exemplaires,
puis Politique du rebelle a dépassé les
30 000 exemplaires et Traité d’athéologie,
dans lequel il attaque les trois religions
monothéistes, a fait un malheur avec
280 000 exemplaires vendus. Ses conférences
s’arrachent. Tous les mardis soir,
de 18 h 30 à 20 h 30, son cours à l’Université
populaire de Caen fait amphithéâtre
comble : de 650 à 700 personnes en
moyenne. « A Lupé comme autrefois à
Sainte-Ursule, il traite les élèves comme
En 2002, il crée,
avec d’anciens
collègues,
l’Université
populaire
de Caen. Accès
libre, cours
gratuits…
des êtres humains. Il était très aimé de ses
élèves car il ne les ennuyait pas », dit son
amie Dorothée Schwartz. Le mardi soir,
elle tient le micro et passe les diapos à
Caen. Le reste de la semaine, elle est sa
collaboratrice : le site Internet, la communication,
les factures, c’est elle.
Professeur de communication et de
sciences médico-sociales au lycée Sainte-
Ursule, elle est aujourd’hui l’un des piliers
– bénévoles – de l’Université populaire.
« Au lycée professionnel, il démarrait toujours
le cours avec une question posée par
les élèves. “Qu’est-ce que vous pensez du
Loft ?”, par exemple. A partir de cette question,
Michel a construit tout son cours en
réinjectant rigoureusement le programme
de terminale. De cette façon, ce n’était pas
rebutant pour des élèves de technologie »,
se souvient la jeune femme. Et
les résultats au bac ? « Mauvais.
Comme ceux de tous les
profs de philo. »
En 2002, il a démissionné
de l’Education nationale,
pour passer à la vitesse supérieure.
Epaulé par d’anciens
collègues tous bénévoles, il
a créé l’Université populaire
de Caen. Accès libre, cours
gratuits, pas de diplômes.
Dans le public, l’infirmière, le
chef de service et la femme de
ménage du CHU. Des étudiants. Le pilote
d’Airbus qui se débrouille pour ne jamais
avoir de vols le mardi. Une brochette de
bénévoles ont suivi Dorothée Schwartz.
C’est elle qui met en ligne le synopsis
du cours d’Onfray, le samedi matin qui
précède le cours. En gros, Michel Onfray
a inventé la philo pour les nuls.
L’université du topinambour
Lancée le 11 décembre dernier, l’Université
populaire du goût d’Argentan fait
un tabac. Le premier cours, donné par
Jean-François Piège, le chef du Crillon, a
porté sur le… cardon. « Au départ, nous
pensions faire cela à la Maison du citoyen,
dit Pierre Pavis, le maire d’Argentan.
Quatre-vingts places, à tout casser. Nous
avons préféré nous installer dans la salle
des fêtes : 450 places, sans être certains de
remplir. Neuf cents personnes viennent
à chaque fois… » A l’origine, une idée
sociale de Michel Onfray, inspirée par
un de ses proches, Jean-Luc Tabesse,
ancien militant du Parti communiste,
à la tête d’une association d’insertion,
Jardins dans la ville. But : faire cultiver
des légumes à des RMistes en sérieuse
difficulté, sur un terrain prêté par la ville.
Ça marche très bien, sauf que les légumes
frais distribués par l’épicerie sociale
pourrissent sur place, faute de savoir les
préparer. D’où l’idée onfrayenne d’apprendre
à les préparer. « C’est un vrai
spectacle. Une dame fait un historique,
C U L T U R E
Lors de l’inauguration
de l’Université populaire
du goût, en compagnie
de personnalités de la
gastronomie dont le grand
chef Jean-François Piège
(chemise rayée).
le chef et son équipe nous montrent », dit
le maire d’Argentan. « On a commencé
par le cardon, je n’en avais jamais vu
ni mangé, dit Evelyne Bloch-Dano,
un auteur de biographies qui possède
une résidence secondaire dans le coin.
Mais faire un cours sur le cardon devant
800 personnes, c’est extraordinaire. Au
fait, pourriez-vous parler de mon livre qui
sort chez Grasset ? » Non. Pour écouter
Eric Frechon, le chef du Bristol, parler
du topinambour, ou Didier Elena, celui
des Crayères (Reims), parler du chou, on
vient de partout. « C’est amusant et on
se cultive. Mon épouse trouve ça génial,
elle fait de nouveaux plats », dit le maire
d’Argentan. Et les RMistes ? « Au début,
on a surtout vu arriver tous les notables
du coin, attirés par les grands chefs. » Puis
la Maison du citoyen a travaillé dans les
quartiers modestes et, petit à petit, le
public est devenu plus mélangé. Et les
légumes frais de l’épicerie sociale, sontils
consommés, à présent ? « Je ne suis
pas sûr. Mais Onfray a redonné le moral
à notre ville. Il y a trois ans, nous avons
plongé en perdant 700 emplois en six
mois… Maintenant, nous sommes redressés,
et nous y allons. L’attractivité d’une
ville, c’est important », dit le maire. Qui a
décidé de financer un abri de jardin dans
celui d’Onfray, destiné à l’Université du
goût. Une chouette cabane dessinée par
l’architecte Patrick Bouchain. Cinquante
mille euros, avec des matériaux collec-
tés auprès des entreprises. « Jack Lang
nous a mis en relation. Onfray a le sens
de l’intérêt général, ce qui me plaît chez
lui. Dans cette aventure, tout le monde
donne, et c’est le don dans ce qu’il a de
plus riche. » Bouchain a aussi dessiné un
kiosque à musique ambulant, destiné à
l’Université populaire.
La semaine de Michel Onfray
Le lundi, il travaille.
Le mardi, il travaille, pose son crayon
en fin d’après-midi et file à Caen donner
son cours à « Lupé ». Lequel a été écrit
l’été précédent : il est extrait de la Contrehistoire
de la philosophie, dont Onfray
publie les tomes un à un.
Le mercredi, il rentre de Caen, répond
au courrier.
Le jeudi et le vendredi, il est à Paris :
conférences, télé, rendez-vous chez son
éditeur.
Le samedi, il rédige le synopsis de son
cours du mardi.
Le dimanche, il travaille.
L’argent
Michel Onfray est un drôle d’homme.
Lorsqu’on lui demande combien il gagne,
il répond, par un mail de 4 135 signes
(trois pages environ), qu’il n’en sait rien.
« C’est mon comptable qui déclare et s’occupe
de mes impôts. J’ai une sainte horreur
des chiffres. Je ne sais pas combien je gagne,
pas combien je dépense, pas combien je
déclare, et je mesure combien c’est un
luxe de pouvoir vivre ainsi. Voyez avec le
cabinet comptable Fave à Argentan pour
les détails de chiffres. »
« C’est un drôle de type, dit Jean-Paul
Enthoven. Il a une haine de l’argent, ce
n’est pas ce qui me rassure le
plus… » Seul auteur Grasset
à percevoir une mensualité,
Michel Onfray ne touche pas
à ses droits d’auteur, qu’il
laisse chez son éditeur. « Des
centaines de milliers d’euros
l’attendent, il n’y touche pas.
De temps à autre, il demande
s’il peut avoir 6 000 € pour
s’acheter une voiture… » Combien,
la mensualité ? « Je ne
peux vous le dire… Modeste…
A peine plus qu’à ses débuts. »
Il recevait alors 2000 € par mois. Michel
Onfray a cessé d’enseigner en 2002.
C’est bien, les livres d’Onfray ?
Franchement, je ne sais pas. Je ne suis
pas arrivée à le lire. Un livre d’Onfray,
c’est dense et étouffant comme un cake
de Sophie. J’ai lu en entier Esthétique
du pôle Nord, un récit de voyage, mais
ne dépasse pas le premier chapitre des
autres : la partie autobiographique. Jean-
Paul Enthoven a eu une idée futée : chaque
livre d’Onfray débute sur un récit personnel.
Le cancer de sa compagne, son
expérience ouvrière à la laiterie Cham-
74 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 75
j.-y. desfoux / ouest france / pqr
Chacun de
ses ouvrages
débute par un
récit personnel.
Ces confidences
permettent
d’entrer dans le
livre sans effort.
bois, la biographie de sa mère, une enfant
de l’Assistance publique. Ces confidences
permettent d’entrer dans le livre sans
effort, bien qu’Onfray exhibe ses stigmates
avec un sérieux pesant, faute d’un
peu de levain humoristique. Il se plaît
dans le récit naturaliste de son enfance
de pauvre et de mal-aimé à la Jules Vallès,
que sauve la révélation de la philosophie.
« J’admire son parcours, dit sa collègue
Evelyne Bloch-Dano. Je sais d’où il vient. »
Ses aficionados connaissent chaque épisode
de son chemin de croix. Placé par
sa mère dans un orphelinat religieux
tenu par l’ordre des Salésiens à l’âge de
10 ans. Le père ouvrier agricole, la mère
femme de ménage. La famille quittée
très jeune – « Je suis autosuffisant depuis
l’âge de 17 ans » –, les études financées
par une bourse. La conversion de 1976
pendant le cours de Lucien Jerphagnon,
spécialiste de la philosophie antique, à la
fac de Caen. La rencontre avec sa compagne
actuelle, prof de lettres, à 19 ans.
L’infarctus, les deux accidents cérébraux
auxquels il a survécu. Dans le feuilleton
misérabiliste, Onfray enrôle son propre
frère, « toujours ouvrier d’entretien dans
une carrière », « sa femme au chômage
après avoir été employée de collectivité
dans une cantine de village qui a récemment
fermé », le neveu et la nièce dont
il voit « l’adolescence de fils et fille de
pauvres ». « Michel est un homme engagé.
Il est proche des gens qui sont dans la
misère, c’est du militantisme », dit son
ami Jean-Luc Tabesse. Ils se sont connus
il y a trente ans, en soutenant le même
candidat, un ouvrier communiste, au
conseil général.
Mais ses pages philosophiques,
impossible. Qu’en
pensent les experts ? « Ce
n’est pas toujours de la tarte,
dit Lucien Jerphagnon. C’est
dense et verbeux, mais ça
n’est pas difficile à lire. Il a
des trouvailles et des bonheurs
de plume. » Philippe
Sollers, qui l’a publié : « J’ai
lu des choses intéressantes.
Par exemple quand il raconte
qu’il a été à deux doigts de
mourir. » Et son éditeur ? « Michel Onfray
a un style, dit Jean-Paul Enthoven. Il écrit
bien. » C’est quoi, écrire bien, pour un
philosophe ? Etre lisible. « Contrairement
à beaucoup de philosophes français, il
écrit avec simplicité, sans concessions,
avec une vision du monde explicite, dit
Jean-Paul Enthoven. Il arrive à dire des
choses complexes simplement. C’est ça qui
marche à la télévision ou à l’Université
populaire de Caen. » Oui, Michel Onfray
est un excellent pédagogue. Si Onfray est
devenu le prof de philo le plus célèbre
de France, c’est qu’il sait enseigner.
M.-D.L.
C U L T U R E

e p è r e s c u l t u r e
L ’ a I - j e B I e n D é f e n D u ?
a t t e n D e z - V o u s à L I r e jusQu’où j Q Iront-ILs?
Olivier Barrot,
Par Patrick Besson
étonnant voyageur
Quelqu’un chez Gallimard aurait pu
dire à Olivier Barrot que Décalage
horaire est le titre du deuxième
film de Danièle Thompson. Qui
n’a jamais vu Olivier dans un
avion n’a jamais vu le bonheur. Mince et
de petite taille, il a toujours de
la place pour ses bras et pour
ses jambes. Il a emporté du
travail, car c’est son bureau.
En vol, il plane. Il picore avec
application dans un plateaurepas,
sa principale nourriture
depuis une vingtaine d’années.
Il ne regardera pas le film : il l’a
déjà vu. Sur un autre trajet. Il
préfère ouvrir un livre comme
on ouvre une boîte de bonbons.
Plus tard, il mettra un masque
pour dormir, car il ne veut pas
arriver fatigué à son lieu de destination,
étant donné qu’il devra
en repartir quelques heures plus
tard. Beaucoup d’artistes sont dans les
nuages ; Olivier est au-dessus. C’est un
coureur de 10 000 m d’altitude. Que ce soit
pour le magazine Senso de Thierry Taittinger
ou pour son émission de France 3,
il n’est pas près d’atterrir. La planète tient
dans sa main. C’est un Rubik’s Cube
rond qu’il tourne et retourne afin d’en
surprendre le mécanisme poétique.
Malgré sa vieille habitude des fuseaux
horaires, Barrot reste interloqué par les
caprices du temps : « J’atterrirai dimanche
à Tahiti en provenance de l’Australie
c ertaines
quittée lundi. » Devenu accro à cette jonglerie
avec les heures. Le voyage est une
drogue, il en faut toujours plus. Pour ça
que des hommes ou des femmes dont ce
n’est pas le métier se retrouvent dans la
navette spatiale. Olivier se déplace aussi
Les artistes
sont dans les
nuages ; Olivier
est au-dessus.
C’est un coureur
de 10 000 m
d’altitude.
pour lire. Comme je comprends ça ! Chez
soi, on est toujours dérangé dans sa lecture,
sauf quand on est célibataire ou
marié sans enfant. Ce qui n’est pas le cas
de l’auteur. Pour l’amateur de bouquins,
le paradis commence à l’aéroport, car
l’avion décolle souvent en retard. L’autre
jour, à Orly Sud, pour Rome : deux heures
et demie. Uneasy Jet. Je m’en foutais,
j’étais avec Marcel Aymé. Les autres passagers
faisaient la tête. Ils n’ont qu’à mieux
choisir leurs amis. Pour Tahiti, Olivier
emporte la correspondance de Darius
f I c t I o n o u p a s f I c t I o n ?
l’éclatement d’une bulle chic
catastrophes agissent comme
des révélateurs photographiques. En
plongeant le monde de l’après-guerre froide
dans l’effroi, les attentats du 11 septembre
2001 n’ont pas seulement arraché l’Amérique
à l’innocence, ils l’ont contrainte à un
autoexamen douloureux. Jay
McInerney, enfant terrible des
lettres new-yorkaises, a vécu
les années 80 et 90 en autarcie
dans une bulle chic et glamour,
réfractaire à toute remise en
question. Le couple qu’il met
en scène, Corrine et Russell
Calloway, partage aussi cet état
d’esprit. A 30 ans, ils ne doutent
de rien : c’est la marque de leur snobisme.
Quinze ans plus tard, même décor bo-bo,
mais, bouleversement du décor historique :
McInerney nous transporte à Manhattan, en
septembre 2001, où les gravats sont encore
fumants. Et le romancier de dépeindre non
la catastrophe mais son retentissement
auprès du couple.
Ainsi, Corrine, le temps d’une
passion amoureuse, s’échappera
de son milieu pour mieux
y revenir : l’american way of
life est-il plus fort que la lucidité
?.Alexis Lacroix
La Belle Vie, de Jay McInerney,
éditions de l’Olivier, 425 p., 22 €.
john foley / éd. l’olivier
76 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Milhaud. Six cents pages. Il avale ça à
toute berzingue. Il est tellement avide
de culture – littérature, cinéma, peinture,
musique – qu’on imagine parfois qu’il a
un trou par lequel filent ces gourmandises
intellectuelles. Du coup, il est tout le
temps obligé d’en reprendre.
didier triquet / france 3
Voici notre Tintin à Tahiti.
Le paragraphe le plus énervant
du livre : « Il fait près de 30° ;
j’entends le ressac du Pacifique
que je devine sans le voir. L’hôtel
est désert en cette nuit. Demain,
je plongerai dans l’océan bordé
de sable noir. » Je me demande
si les voyageurs ne voyagent pas
rien que pour rendre jaloux les
gens qui ne voyagent pas. Puis
Bora Bora, où Franny veut aller
dans One From The Heart, de
Francis Ford Coppola (1981),
revu l’autre jour à la Cinémathèque.
En fin de compte, elle reste
à Las Vegas. Le comble du malheur pour
Olivier Barrot ? Rater l’avion. C’est à Bora
Bora que se termine, nous rappelle-t-il,
le roman policier de Patrick Modiano
Rue des boutiques obscures. Olivier ira
aussi à Auckland. J’adore cette dernière
phrase : « Quoi de neuf au Turkménistan
depuis mon voyage de l’an dernier ? »
Beau portrait d’une ville australienne :
« Adélaïde s’anime à sa manière, qui
n’est pas frénétique. » Olivier Barrot
donne le tournis du monde.
Décalage horaire, d’Olivier Barrot, Folio-Senso, 108 p., 6 €.
ç a c h I f f r e
12 millions
c
’est le nombre d’exemplaires
du septième et dernier volet
de la saga d’Harry Potter qui seront
mis en place dans les librairies
anglaises et américaines. Harry Potter
And The Deathly Hallows vient donc
de battre un record… qu’il détenait
déjà ! C’est en effet le tirage
du sixième et avant-dernier volet
des aventures de l’apprenti sorcier
qui avait atteint le précedent
record(10,8 millions) Soucieuse
de protéger l’environnement,
la romancière a souhaité que
les 784 pages du livre soient éditées
sur du papier recyclé. Ouf !.
louis monier / gamma
Dominique de Roux,
(auto)portrait d’un guérillero des lettres
Au commencement était l’écriture. Les
lettres, plus exactement. Des centaines
de missives rédigées entre 1953 et 1977,
date de la mort de leur auteur. A l’arrivée
le passionnant (auto)portrait d’un écrivain
pas tout à fait comme les autres. Dominique
de Roux, écrivain, mais aussi éditeur
de talent, (re)découvreur de moult géants
de la littérature (Ezra Pound, Céline, Gombrowicz),
guérillero anticommuniste en
Angola, conseiller aussi (un temps) de l’un
des leaders de la révolution des capitaines
portugais, Otelo Saraiva de Carvalho.
Le voici tout jeune homme qui envoie
de superbes missives à sa tante. En
quelques phrases définitives
résumant sa philosophie de la
vie, il se dévoile. « Tout bien
vérifié travailler est moins
ennuyeux que s’amuser »
ou encore « Où mène la
foi rêveuse quand on n’a
plus de conviction ». Tout
est déjà là de ce que sera sa
vie. Le travail, car ce dandy
était un gros bosseur, le culte
N e
d’une certaine forme d’héroïsme, et un
certain désenchantement élégant qui sera
sa marque de fabrique. D’où cette étiquette
« extrême droite » qui lui colle à la peau.
Le jeune homme, certes, se choisira pour
maître un vichyste entré dans les ordres
après la guerre, Robert Vallery-Radot. Mais
le même tentera pendant de longues années
de jeter les bases d’un Cinquième empire,
lusitanien, réunissant outre le Portugal, le
Brésil et l’Afrique du Sud. Un empire qu’il
voulait métissé.
Mais laissons là la politique et venonsen
à l’autre passion de Dominique de Roux.
Des séries de lettres enflammées aux
trois femmes qu’il aima successivement
sans jamais renoncer
à la précédente. Des textes
magnifiques qui à eux seuls
vaudraient de se plonger
dans Il faut partir.
Alexis Liebaert
Il faut partir, de Dominique
de Roux, Fayard, 420 p., 25 €.
A lire aussi : Maison jaune,
Christian Bourgois éditeur, 188 p., 7 €.
V o u s n ’ a L L e z pa s p o u V o I r y é c h a p p e r
Amy Winehouse, âme soul(e)
à se rouler par terre
vous y trompez pas, Amy Winehouse est une tornade. Comme la pétulante Lily Allen
et son ska décalé, Amy Winehouse, 23 ans, insuffle une bouffée d’air salutaire dans la
production quelque peu clonée des chanteuses de soul ou de R’n’B. Sacrée meilleure artiste
féminine 2007 aux Brit Awards, la frondeuse Amy aux bras tatoués, à la moue boudeuse
et à la gouaille cockney, revendique son âme de bad girl distillant ses vues antipolitiquement
correctes à l’aide de son écriture autobiographique. Et le marketing n’y est pour
rien. Pour preuve, Rehab, le contagieux morceau d’ouverture de son deuxième album,
Back To Black, conte par le menu la pression subie de la part de ses parents qui voulaient
l’envoyer en cure de désintoxication. Or, à ce jour, Amy Winehouse, la bien nommée,
visite toujours plus les pubs que les cliniques. Idem pour sa musique, elle revendique
haut et fort sa passion pour les groupes de pop féminins noirs des années 60-70, aussi
son disque sonne comme une production de la Tamla Motown du meilleur cru. Alors que
Christina Aguilera tente de se ressourcer aux basiques de la musique noire en ne parvenant
qu’à ramer péniblement sur la plage de Los Angeles, l’excentrique Amy s’approche
d’Aretha Franklin et des Supremes, sans
forcer, sans honte ni déshonneur. Pas de
passéisme compassé dans ses productions,
juste un don étincelant, comme
il s’en produit une fois… par décennie.
Alors, si vous avez réussi à passer à côté
de ce phénomène, c’est que vous êtes
définitivement sourd !.Myriam Perfetti
Back to Black, d’Amy Winehouse, AZ.
dr
l e
Les Doors ont
rejoint les étoiles
destin est parfois farceur. Les professionnels
de la profession ont fêté, de manière
consensuelle, le quarantième anniversaire
de la création de l’une des formations les
plus marquantes de l’histoire du rock, les
Doors, via la sortie d’un imposant coffret,
Perception, regroupant l’intégralité de leur
œuvre sur 6 CD et 6 DVD, assorti de la promotion
d’un inévitable best of sournoisement
baptisé Very Best Of. Deux documentaires
seraient même en chantier. Mais la
ville de Los Angeles, plus de trente-cinq ans
après la mort de l’âme et leader du groupe,
Jim Morrison, a décidé, elle, d’élever les
Doors au statut de légende officielle. Ainsi, la
2352e étoile du mythique Hollywood Walk
Of Fame porte désormais le nom du célèbre
groupe contestataire des années 60-
70. Deux des membres de la formation,
le claviériste Ray Manzarek, 68 ans, et le
bassiste Robbie Krieger, 61 ans, ont dévoilé,
les larmes aux yeux, la plaque. Pour la petite
histoire, les Doors, qui vendent toujours
plus de 1 million d’albums par an, n’ont
pas survécu au décès, à Paris le 3 juillet
1971, de leur icône charismatique Jim Morrison.
Et les survivants sont à présent plus
connus pour leurs démêlés judiciaires que
pour leur contribution à l’histoire musicale.
Ainsi Ray Manzarek et Robbie Krieger
ont eu interdiction de se servir du nom du
groupe pour l’exploitation commerciale
du prestigieux héritage. A la suite d’une
procédure judiciaire intentée contre eux par
le troisième survivant, le batteur John Densmore,
Manzarek et Krieger ont dû se
rebaptiser Riders On The Storm, The
Doors Of The 21th Century. Par-delà
les étoiles, Jim Morrison, le roi Lézard,
doit bien se gausser : le commerce
continue, sa légende, elle, est désormais
coulée dans le béton.M.P.
perception, box-set de 6 CD et 6 DVD, Warner.
the Very Best of, The Doors, Warner.
c u l t u r e

Que reste-t-il de leurs amours, de
leurs brûlantes espérances ? Une
jeunesse chinoise (1), de Lou Ye,
est un film sur le désir. Violent,
légitime, inassouvi. Le désir d’une
autre vie, d’une liberté nouvelle brutalement
confisquée sur la place
Tian’anmen, durant ces semaines
de juin 1989. C’est la première
fois qu’un film chinois raconte
ce moment-là, et c’est à travers
une histoire intime, celle de Yu
Hong. Elle est belle et secrète,
quitte son village, près de la frontière
coréenne, pour aller étudier
à Pékin. Et tombe amoureuse
de Zhou Wei, étudiant lui aussi,
mais elle le trompera et le trompera
encore, parce que sa seule
façon de croire au bonheur, c’est
d’éprouver la souffrance de s’en
priver. Parce que la seule façon
de saisir le prix de la liberté, c’est
d’éprouver la jouissance d’avoir
pu furtivement y goûter. Ainsi,
dans Une jeunesse chinoise, dont
les pères, les maîtres, les guides
sont absents, on ne discourt que
très peu, mais on fait beaucoup
l’amour, et les tressaillements des corps
répondent aux soubresauts convulsifs de
l’histoire. Les scènes de la soudaine révolte
étudiante sont magnifiquement filmées,
pas de romantisme esthétisant, la fièvre
f a i s - n o u s t o n C i n é m a !
par Danièle Heymann
L’empire des gens
immédiate du reportage, la pulsation de la
vie, une foule heureuse passe brusquement
de la liesse à la peur, la nuit est confuse,
éruptive, des ombres menaçantes surgissent,
on entend des coups de feu, la pluie
délave les dazibaos, le sous-titre explique :
« Une jeunesse chinoise » est un film sur le désir.
Désir d’une autre vie, d’une liberté nouvelle
brutalement confisquée sur la place Tian’anmen.
« Les vacances sont avancées »… Que faire
pour dire que tout est fini mais que tout
aussi est changé ? Un garçon casse une
bouteille de bière et tombe en pleurant
dans les bras d’un ami.
l a d a u b e d e l a s e m a i n e
Bernard Werber, cinéaste amateur
Romancier à succès,
Bernard Werber s’est
mis en tête de réaliser
l’adaptation au cinéma
de son livre Nos amis
les Terriens. Mais on
ne s’improvise pas
cinéaste ! La lourdeur
et la banalité de la mise
en scène le prouvent.
« nos amis
les terriens ».
Plus grave, le film témoigne d’une
méconnaissance totale de la diversité des
modes de vie sur Terre. Présenté comme
un documentaire animalier sur l’espèce
humaine, idée amusante au demeurant,
le film aurait dû s’appeler « Nos amis les…
Parisiens ». Car, si l’on
en croit Werber, les
« Terriens » sont tous
des Blancs urbains qui
conduisent des 4 x 4 !
Or, c’est justement dans
la confrontation des
différences que réside
l’intérêt du sujet…
L’auteur verra sans
doute dans ces critiques une manifestation
de l’étroitesse d’esprit qu’il vilipende
chez les journalistes. Il aurait tort : c’est
quand on aime, justement, que l’on devient
exigeant !.Anna Topaloff
nos amis les terriens, de Bernard Werber. Sortie le 18 avril.
prod
78 Marianne / 14 au 20 avril 2007
R E p è R E s C U L T U R E
Comme en écho au beau film de Lou Ye,
vient de sortir le Vieux Jardin (2), du Coréen
Im Sang-soo. En 1980, à Séoul, il y eut une
révolte étudiante aussi. Réprimée dans le
sang aussi. Et l’évoquer passe par une histoire
intime aussi. Sous la forme élégiaque et
subtile d’un mélodrame, qui unit
puis sépare un couple. Il milite,
elle le recueille et le cache, il est
emprisonné pendant dix-sept
ans. Seule la mort empêchera la
fiancée d’attendre si longtemps.
Le douloureux mariage de la politique
et de l’amour s’accomplit
tragiquement dans chacun des
films, et c’est troublant. Dans l’un
comme dans l’autre, une jeune
fille meurt en se jetant dans le
vide, le vide qui suit la fin des
illusions. Une jeunesse chinoise
était arrivé en compétition à Cannes,
l’année dernière, presque en
prod
contrebande. Lou Ye a payé la
facture. Cinq ans d’interdiction
de tourner dans son pays et la
certitude que son film ne sortira
pas en Chine. Tout comme
le Vieux Jardin d’Im Sang-soo a
été contesté en Corée. Mais ces
films-là voyagent et rendent justice à travers
le monde à leurs amoureux sacrifiés, ces
utopistes qui ont cru pouvoir faire rimer
leur passion avec la révolution.
(1) Sortie le 18 avril. (2) En salles.
i l a o s é l e d i r e
« Si je n’avais pas
le sentiment
d’apprendre encore,
je crois que j’arrêterais. »
steven spielberg.
Gustave Flaubert le disait déjà,
ainsi que Béroul, un des auteurs
de Tristan et Yseut. Autrement dit,
les grands de ce monde ont l’humilité
des débutants.
D’ailleurs, Spielberg précise
qu’il considère le travail des autres
comme une source d’inspiration.
Quand la culture est une grande
chaîne de maillons forts…
attendez-vous à entendre parler de lui
Ridan, le barde banlieusard
deuxième album pour cet artisan
de vers désespérés.
Quand Ridan, révélation aux Victoires
de la musique il y a deux ans, parle de
tours, il s’agit de tours du monde. Quand
il parle de révolte ou de voitures brûlées,
ce sont celles du Moyen-Orient. Le monde
est sa rue. Cet admirateur de Brassens ne
parle pas vraiment de la douce France, celle
pourtant de son enfance, ni des charmes
de sa douce : l’amour du prochain ou le
prochain amour ont déserté les sillons de
ce deuxième album, plus sombre qu’un
coupe-gorge. L’image qu’il renvoie de lui
est aussi délabrée que la cage d’escalier
d’une cité. Ses larmes n’arrivent même
pas à couler ; sa voix fatiguée, presque
désabusée, exprime une colère contenue.
Ridan est l’autre fresque des banlieues : une
mosaïque de nuances, de couleurs en demiteinte.
Loin des fureurs du hip-hop ou du
vacarme du rap, ce jeune artiste convoque
dans son univers les musiques du monde,
occasion pour lui de l’élargir : reggae,
ska ou ritournelles à la guitare
sèche ou au piano alternent
pour dire que la Terre suffoque.
La température augmente et la
chaleur humaine diminue. Bien
sûr, le malaise des banlieues, le
racisme et l’intégration nourrissent
aussi ses chansons : Rentre
chez toi livre aussi son regard
sur cette génération égarée :
« J’aurais pu être blanc/ j’aurais
pu être noir/j’aurais pu être ce
qu’on veut/de toute façon ici chez
moi/Rentre chez toi. » Mais Ridan,
paladin désarmé face à un monde grisâtre,
n’est pas seulement le porte-parole des
banlieues et du mal-être social. Rappeler
que cet auteur est un enfant de l’immigration
ne le cantonne pas au rayon des
artistes aidés au titre de la discrimination
positive appliquée aux arts mineurs. C’est
simplement noter que Ridan, s’il ne sait pas
où il va, ne peut même pas regarder d’où il
vient. Il est d’ici. Ce qui ne l’empêche pas
de se chercher. Il cite Rimbaud et chante
du Bellay et son « Ulysse qui a fait un beau
voyage » pour s’apercevoir que le monde
n’est pas beau, et que la douceur angevine
n’est pas un baume permis à tout le
monde. Mais les poètes viennent consoler
cet artisan de vers désespérés. Les muses
aussi traînent leurs guêtres dans les rues
des cités, et elles font partie de la bande
à Ridan.Olivier Maison
l’ange de mon démon, de Ridan, Jive Epic.
Bourrage de crâne évangéliste
u secours ! Jésus revient ! » Cette
«A apostrophe sacrilège vous sort carrément
de la gorge à la vision du seul véritable
film d’horreur de la semaine, Jesus
Camp, signé par deux documentaristes
avisées, Heidi Ewing et Rachel Grady. Il
s’agit d’une plongée « objective », d’autant
plus glaçante,
dans un camp
d’été évangéliste
où sont parqués
des enfants au
bord de la transe.
Lavandière en
chef de ce lavage
de cerveau collectif,
une femme
pasteur pentecôtiste,
Becky Fischer,
abondante
benoît peverelli
matrone à la jovialité inflexible. Un petit
garçon en tenue camouflée mime une
danse guerrière, prêt à mourir au nom du
Christ, des gamines prosélytes embrassent
une effigie en carton de George
W. Bush comme une icône sacrée. « Si les
choses allaient dans le sens de la Bible »,
le sorcier Harry
Potter serait mis
à mort. Darwin
n ’ e s t q u ’ u n
voyou terroriste,
puisque « tout
« Jesus Camp »,
un documentaire
qui fait froid
dans le dos.
prod
14 au 20 avril 2007 / Marianne 79
vient de Dieu »…
Près de 100 millionsd’Américains
se disent
a u j o u r d ’ h u i
é v a n g é l i s t e s .
Edifiant.D.H.
Un plat qui se
mange mal
Les dictatures laissent dans leur sillage
des charniers, des pulsions de haine
et de vengeance, des amnisties contestées,
des bourreaux impunis, des victimes
inassouvies, un contentieux qu’on ne sait
comment purger.
Dans un pays d’Amérique latine qui
pourrait bien être le Chili, le gouvernement
est en train de mettre sur pied
une commission Justice et vérité, chargée
d’enquêter sur les crimes du régime
enfin déchu. La chose semble dérisoire
à Paulina. Mariée au président de ladite
commission, irréprochable militant de la
démocratie, elle ne s’est jamais remise de
ce qu’elle a subi
dans les geôles
de la tyrannie.
Un hasard lui
fait retrouver le
pire de ses tortionnaires
et le
met à sa merci.
C’est la situation
de Portier
de nuit, mais,
p l u s s i m p l e
que le personnage
joué par
Charlotte Rampling,
Paulina
t h é â t r e
ne songe qu’à
appliquer la loi
du talion à l’esthète sadique et raffiné
qui la torturait, la violait, l’avilissait aux
accents du plus célèbre quatuor de Schubert.
Mais comment châtier un bourreau
sans se ravaler au rang de celui-ci ? La
jeune femme, sous l’influence de son mari,
se contentera d’une confession complète
et de quelques mots de repentir prononcés
sous la menace et de mauvaise grâce.
Pièce à thèse assez habilement habillée
en thriller – le suspense est ménagé jusqu’au
bout –, l’œuvre d’Ariel Dorfman est
représentée partout à travers le monde
depuis quinze ans. Elle n’a rien perdu de son
efficacité, car la question qu’elle pose s’est
posée ou se pose encore un peu partout.
Sophie de la Rochefoucauld se donne à
fond dans le rôle de Paulina, qui exige une
impudeur et une passion proches de la folie.
Jean-Michel Noirey est parfait d’ambiguïté
et de dignité dans le rôle ambivalent du
tortionnaire torturé.Dominique Jamet
la Jeune fille et la mort, d’Ariel Dorfman,
texte français de Gabriel Auer, mise en scène
de Didier Long, au Théâtre 14 - Jean-Marie-Serreau,
Paris XIVe . Tél. : 01 45 45 89 77. Jusqu’au 5 mai.
lot
« la Jeune fille
et la mort ».
C U L T U R E

atget
L ’ I M A g E D é C r y P t é E
Atget, la réinvention de Paris
Il a photographié Paris des prémices de la Belle Epoque aux années 20. Eugène Atget, dont on célèbre
le 150e anniversaire de la naissance, illustre le pouvoir de la recréation de la photographie, lorsqu’elle
fixe les traits de la capitale au seuil de la modernité. Celui qui tenait son art pour une flânerie a saisi comme
autant d’instantanés les scènes du quotidien populaire. L’exposition réalisée par la BNF restitue ce regard
à la fois mélancolique et aiguisé, trait d’union entre les siècles.A.L.
Atget, une rétrospective. Site Richelieu, 58, rue de Richelieu, Paris IIe . Jusqu’au 1er juillet 2007.
lectures de présidentiables
le magazine des professionnels de l’édition,
Livres Hebdo, a eu l’excellente idée
de demander aux présidentiables les livres
qu’ils ont aimés. Le résultat est largement
révélateur : car aimer un livre, ce n’est pas
seulement apprécier une histoire. C’est
adhérer à un certain univers, à des valeurs.
Univers et valeurs que l’on retrouve jusque
dans le titre, dont certains résonnent
comme des programmes politiques. Donc,
si Nicolas Sarkozy a choisi le Dieu du carnage,
de Yasmina Reza, on a du souci à se
faire… Ségolène Royal, elle, mentionne
Douce France, de Karine Tuil, ce qui ne
promet guère de secousses. Dominique
Voynet ne détonne pas avec les Raisins
de la colère de John Steinbeck. Les écolos
prendront-ils les armes ? François Bayrou
privilégie Une exécution ordinaire de Marc
Dugain, en espérant que cette sentence
ne s’applique pas à lui. Quant à Philippe
de Villiers, avec Etre et parler français,
de Paul-Marie Coûteaux, il annonce la
couleur….Clara Dupont-Monod
r e p è r e s c u l t u r e
BD. Mais ou est
passé le tome II ?
enquêtes trimestrielles de Livres
l es
Hebdo/I+C le prouvent, le marché de
la bande dessinée ne cesse de progresser.
Et même si on assiste à une période de
stagnation et de tassement du chiffre d’affaires
du secteur, mangas et blockbusters
– les BD en séries d’auteurs cultes – s’en
tirent comme vainqueurs toutes catégories
des ventes. Quelque 85 séries ont ainsi
été publiées l’année dernière à plus de
50 000 exemplaires, contre 77 en 2005.
Comment s’explique alors l’attente de près
de deux ans pour que scénaristes, dessinateurs
et éditeurs délivrent la suite de leurs
séries phares ? Enki Bilal, pour publier sa
tétralogie le Sommeil du monstre, inspirée
par l’horreur de la guerre en ex-Yougoslavie,
a laissé passer près de cinq ans entre le
premier acte et le deuxième, 32 décembre.
Et c’est près de huit années qui ont séparé
la sortie du premier volume de la nouvelle
série à succès de Lacroix et Bourgeon, le
Cycle de Cyann, et le troisième, Aïeïa d’Aldaal.
Sans parler de la superbe série sur
la Rome de Néron, Murena, de Dufaux et
Delaby : deux ans entre chaque album de
la tétralogie, et un an supplémentaire pour
un cinquième inaugurant un nouveau
cycle. On pourrait évoquer également les
cinq années qui ont séparé la sortie de
certains tomes de la remarquable série
Peter Pan de Loisel. Pour créer un effet
d’attente ? Ou, plus simplement, parce
que ces auteurs, aussi demandés que des
stars d’Hollywood, entament simultanément
plusieurs séries pour des éditeurs
différents ? Les lecteurs, donc, attendent
et renâclent. Une enquête édifiante circule
sur le Net, à l’instigation de fanatiques
du 9e art : à la question de savoir si « le
temps d’attente entre
deux BD d’une même
série est trop long »,
15 % des internautes
ont répondu par l’affirmative
et 8 % pensent
que les auteurs
de bandes dessinées
n’ont aucun respect
pour leur public ; et
à la proposition « s’ils
ne commençaient pas
36 choses en même
temps, cela irait-il plus
vite ? », près 38,6 % ont répondu par l’affirmative.
Alors, messieurs les Artistes et les
Editeurs, un effort pour ne pas lasser les
aficionados de bande dessinée….M.P.
Le Cycle de Cyann : les Couleurs de Marcade,
tome IV, de Bourgeon et Lacroix, Vents d’ouest.
Peter Pan : Dans l’ombre de Peter Pan,
de Loisel, Hors-série, Vents d’ouest.
Quatre ?, d’Enki Bilal, Bilal/Casterman.
gaas / abaca press
hahn lionel / abaca press
L A s O C I é t é D U s P E C t A C L E
emmanuelle seigner
fait sa Juliette lewis
leo et Kate...
de nouveau
ensemble
Dix ans
après avoir
bouleversé
la planète
dans Titanic,
le couple
le plus
romantique
du 7e art
remet le
couvert. Dans
Revolutionary
Road, Leonardo
DiCaprio
tête
de Moore
A près
et Kate Winslet
incarneront
deux amoureux
partagés
entre désirs
et devoir.
Préparez vos
mouchoirs !.A.T.
s’être moqué
de ses contemporains,
le réalisateur américain
Michael Moore va
apprendre l’autodérision.
Un documentaire,
qui sortira en France
en juillet, entend révéler
le vrai visage du trublion.
On apprendra, par
exemple, que le président
de General Motors
a accepté de le rencontrer,
mais que le documentariste
a préféré mettre en scène
un faux refus dans Roger
And Me. Méthodes
douteuses, interviews
bidons et raccourcis
faciles :
telle est,
semblet-il,
la
recette
miracle
de
Michael
Moore.
A.T.
la nouvelle, il y a quelques mois, nous avait
laissés sans voix. L’actrice Emmanuelle Seigner
se laisse prendre par la chansonnette.
On se disait qu’on allait avoir droit au même
style de galette poussive et insipide que celles
qu’avaient tenté de nous fourguer ses consœurs
Sandrine Kiberlain ou Jeanne Balibar. Eh bien, non !
La tentative sonique de la blonde énigmatique est
loin d’être vaine. Décidé sur un coup de chance,
ce – bon – disque, réalisé avec le duo d’électrorock
français Ultra Orange – Gil Lesage et Pierre
Emery –, met en scène
avec intelligence un
univers proche du Velvet
Underground et de Lou
Reed, leur rock décadent
et arty et leur attitude
nonchalante qui colle
comme une seconde
peau à la compagne de
Roman Polanski. Bien
sûr, oser la comparaison
d’Emmanuelle Seigner
avec l’icône mode et rock
Ce bon disque met
en scène un univers
proche du Velvet
Underground et
de Lou Reed. Mais
de là à comparer
Emmanuelle
et Nico...
Nico… incongru. Mais la belle a de l’audace et du
caractère, et c’est plutôt vers l’actrice américaine
Juliette Lewis qu’il faudrait lorgner. Avec son groupe
The Licks (« Les Coups de langue »), la nymphette
déjantée de Natural Born Killers avait surpris son
monde en quittant les plateaux pour balancer son
rock hargneux plus proche des Stooges et des MC5
que de Bob Dylan. Mais Emmanuelle Seigner, qui
déclare à l’envi qu’être « chanteuse est [son] meilleur
rôle », ne mettra pas, elle, sa carrière d’actrice entre
parenthèses : bientôt héroïne du Scaphandre et
le papillon de Julian Schnabel, elle sillonnera les
planches de la France printanière. Finalement,
ce disque ovni et cette nouvelle et surprenante
Emmanuelle sont tout sauf un caprice de star.
Myriam Perfetti
Ultra Orange & Emmanuelle, Sony/BMG.
En concert, le 7 juin à La Boule noire, Paris XVIII e .
80 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 81
dr
c u l t u r e

La rue Saint-Pierre,
à Monflanquin.
s a v o i r v i v r e
Quand le bâtiment va, tout
va ! » Ce vieil adage a forcément
été inventé pour le
Moyen Age. Qu’on en juge :
entre le XI
Les bastides
82 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 83
e et le XIVe siècle,
les compagnons du Devoir
passant ont transporté,
transformé et utilisé plus de pierres, en
France, pour édifier les bastides que les
maîtres bâtisseurs de l’Egypte ancienne
pour les pyramides et les temples… en
plus de mille ans. Ces formidables travaux
ne donnent pourtant pas d’urticaire
– ni, hélas, d’idées – au personnel
politique contemporain, qui ne cherche
malheureusement pas à s’inspirer du
fantastique élan économique qu’a généré
cette boulimie bâtisseuse.
Pour le seul Sud-Ouest, ce sont près
de 400 bastides qui ont égayé le paysage
de leurs blanches pierres. Là où il n’y
avait rien, il y eut soudain la vie, le travail,
la paix, l’expansion démographique et
commerciale, le perfectionnement et,
parfois, la naissance de métiers pratiqués
plus ou moins empiriquement au
préalable. Tous les artisanats s’y développèrent.
La gastronomie prit aussi de
l’originalité en ces lieux de confort où
les temps n’étaient pas aussi belliqueux
que les livres d’histoire l’ont raconté.
Chaque bastide tentait avec plus ou
Le printemps des pierres
moins de succès de créer un produit de
bouche original. Il lui était propre et elle
était la seule à le proposer et à en faire
un symbole identitaire : les croquants
(biscuits) de Cordes-sur-Ciel sont un
exemple. C’est aussi le cas pour la gesse,
récoltée dans les cazals et les arpents de
Villeneuve-sur-Lot. Aujourd’hui, ce pois
carré quasi inconnu permet de réaliser
des veloutés d’exception et des purées
de rêve. Certaines de ces spécialités se
sont perdues, mais quelques-unes ont
survécu : l’estoufat de bœuf de Monflanquin,
que l’on appelle aussi « daube de la
Dans le Sud-Ouest, près Saint-André », fait partie de ces recettes
en voie de disparition que quelques ini-
de 400 bastides ont égayé tiés et quelques mamés de plus en plus
le paysage. Là où il n’y avait rares se refilent sous le manteau, comme
rien, il y eut soudain
on délivre un secret millénaire.
Mieux encore : les bastides furent le
la vie, le travail, la paix… lieu d’invention d’une forme de démocratie
que certains, plus tard, tentèrent
jean-sébastien canaux / office de tourisme de monflanquin
Ces cités fortifiées naquirent
au Moyen Age. On y vivait bien
alors, et l’on continue aujourd’hui
d’en apprécier les mille attraits,
esthétiques ou gastronomiques.
Par Michel Gardère
de faire disparaître. Chaque ville neuve
était administrée par une jurade, qui
est une assemblée de 12 jurats choisis
par la population. Le conseil municipal
moderne, en somme.
villes nouvelles, villes ouvertes
Les bastides sont nées d’une double
nécessité : fixer les populations plus ou
moins errantes en quête de liberté et de
sécurité et répondre à l’important essor
démographique dû à l’amélioration du
climat et des récoltes.
Dans le Sud-Ouest, la croisade contre
les Albigeois a jeté dans les campagnes
de pauvres hères. N’ayant plus ni feu ni
lieu, ils se livrent au brigandage. Bâtir
une ville nouvelle les fixe et les occupe.
Rois et Eglise profitèrent donc à la fois
d’un développement des populations et
d’une recherche de « libertas ». Ajoutons
à cela deux éléments indissociables : les
différents « pouvoirs » cherchent, chacun,
à se renforcer et à développer leur
emprise sur les peuplades errantes ; les
dissensions franco-anglaises (guerre de
Cent Ans) créèrent une forme de jalousie
bâtisseuse. Quand les Français élevaient
une bastide, les Anglais en dressaient
une autre à quelques lieues. Il en résulta
trois séries de bastides. Celles de Raymond
VII, comte de Toulouse et cathare.
Il recherche des positions stratégiques
naturellement défensives pour y installer
ses hérétiques dans des villes ouvertes,
des villes neuves : les bastides. Alphonse
de Poitiers, qui succède au comte de
Toulouse, sera le véritable promoteur
de l’essor des bastides. A sa mort, son
successeur, Eustache de Beaumarchais,
poursuit l’œuvre bâtisseuse. Mais il y a
aussi la lutte franco-anglaise. Ainsi, outre
leur vocation économique, les bastides
vont acquérir à cause de cette guerre
(guéguerre, en vérité) une dimension
militaire le long de la frontière (fluctuante,
entre la Garonne et le Dropt)
qui sépare Capétiens et Plantagenêts,
Guyenne et Gascogne. Ce sera à celui
qui édifiera la plus belle, la plus forte, la
plus riche ! Enfin, ici ou là, pour montrer
leur puissance, seigneurs, abbayes et
monastères construisirent aussi leurs
villes neuves. Il ne leur en coûtait que
s a v o i r v i v r e

le prix du terrain. Les futurs habi- – l’arpent dans le terroir à cultiver, sur les
tants construisaient eux-mêmes – pour
l’essentiel – les maisons ou ateliers qu’ils
allaient habiter. Ils disposaient même
d’un temps assez réduit pour le faire.
Lieux d’échanges
Le plan des bastides est en gros celui des
antiques camps romains lorsque les centurions
de Jules conquirent
la Gaule. L’idéal bastidien
retenu par Viollet-le-Duc est
la théorisation du plan de
Monpazier (Dordogne), où
nous irons faire promenade.
On y retrouve la conception
de la ville idéale selon Eiximentis
au XIV e siècle. Une
ville au plan orthogonal
pourvue d’un poumon central
: la place. Elle donne à la
bastide le sens de sa fonction
première, l’échange. Cette
conception de l’espace est
conforme au projet égalitaire
qui sous-tend le phénomène des bastides.
Ce désir d’égalité va jusqu’à prévoir
la dotation de trois catégories de parcelles
– plus une zone communautaire –, le tout
réparti de façon concentrique :
– l’ayral à bâtir, au centre, dans la bastide,
objet d’un parcellaire strict ;
– le cazal pour jardiner, sur le pourtour
immédiat de la bastide et relevant également
du parcellaire en pratique ;
étyMoLogie
La conception
de l’espace,
doté d’une zone
communautaire,
est conforme au
projet égalitaire
qui sous-tend
le phénomène
des bastides.
Le nom des bastides n’est jamais un hasard. Il
y eut une villeneuve (sur Lot, par exemple)
quand la ville (ancienne) voisine, Pujols, cité
cathare, fut rasée par Simon de Montfort.
Souvent construite en paréage (avec un parrain)
entre l’église et un seigneur, la bastide prenait
fréquemment le nom d’une autre cité où le
seigneur « parrain » avait des attaches. C’est
le cas, par exemple, de Beauvais (Tarn) pour le
nord de la France, Cadix (Tarn) en Andalousie,
Cordes (Tarn) pour Cordoue ; Damiatte (Tarn)
correspond à Damiette, que prit Louis IX en
Egypte ; Grenade (Haute-Garonne) rappelle
l’Espagne, Pampelonne (Tarn), Pampelune,
en Navarre. Espagne encore avec Valence-sur-
Baïse (Gers). Pavie (Gers) se tourne vers l’Italie,
tout comme Viterbe (Tarn), ville italienne,
etc. Mais le nom peut aussi être celui du parrain
fondateur : Lalinde (Dordogne) pour le sénéchal
de Lalinde, Labastide-d’Anjou (Aude) pour
Louis d’Anjou, Labastide-de-Lévis (Tarn) pour
Gui de Lévis, le maréchal de Simon de Montfort.
Labastide-l’Evêque (Aveyron) pour l’évêque
qui la fonda et Libourne (Gironde) pour
Leyburn, le nom du sénéchal du roi d’Angleterre
Edouard Ier . Les noms Villeneuve ou Villefranche
s’expliquent d’eux-mêmes.
terres arables, autour de la bastide.
Les padouencs, enfin, s’ajoutent à ces
trois catégories de parcelles, propriétés
indivises de la communauté. Ils servent
notamment à faire pacager le bétail.
Outre celle de fixer les hommes, les
bastides ont une fonction économique
essentielle. Basique ! L’implantation
sur des sols propices
aux travaux agricoles est
un des principes incontournables,
tout comme le
choix d’un lieu de passage,
qui favorise les échanges.
Le tracé de la bastide est également
« économique » : les
rues principales convergent
vers la place marchande et la
halle. Ces rues aboutissent
aux quatre angles afin que le
flux des personnes, des marchandises,
des transports ne
soit pas une gêne pour les
étalages installés sur la place
les jours de marché.
Pour visiter une bastide, il faut y
aller deux fois : le jour du marché, pour
comprendre le dynamisme qu’apportait
le commerce, et un jour sans marché,
pour voir la splendeur de la bourgade.
La tournée des bastides que nous vous
proposons ira en Dordogne, à Monpazier
(pays de l’omelette aux cèpes et aux
truffes), en Lot-et-Garonne, à Monflan-
Monpazier.
s a v o i r v i v r e
quin (estoufat de bœuf ) et à Villeréal
(tourin à l’ail), et dans le Gers, à Fourcès
(merveilles en mouillettes à la graisse de
foie gras), qui est la seule – mais ça se
discute – bastide ronde.
De Monpazier à villeréal
A tout seigneur, tout honneur. Monpazier
est un bonheur. Une sorte de rêve
en dur. La bastide fut créée en 1284 par le
roi d’Angleterre Edouard Ier . Ce n’est que
sous Charles V (1366-1380) qu’elle devint
française. Elle connut les affres de toutes
les guerres – en 1574, elle est livrée par
trahison au chef huguenot Geoffroi de
Vivans, et, à la fin du siècle (1594), elle est
l’un des lieux de la révolte des Croquants.
Elle est donc un livre d’histoire que l’on
feuillette au gré des maisons. Monpazier
est considérée comme la bastide modèle
sur laquelle théorisa Viollet-le-Duc. Son
plan rectangulaire parfait se développe
autour de la magnifique place des Cornières.
La sérénité oint les pierres et les
poutres. Vivre ici doit s’apparenter à un
séjour au paradis. On y mange divinement
bien, surtout l’omelette aux cèpes
et aux truffes que l’on propose quasiment
en même temps que l’on dit bonjour !
Il y a peu, une association locale créa
l’utilisation obligatoire de l’imparfait du
subjonctif. Elle a disparu, mais à l’heure
de la pastisade du soir on s’essaye encore
à la conjugaison subjonctive. Un régal.
Tout au nord du Lot-et-Garonne, tutoyant
le Périgord, le Haut-Agenais
couleuvre autour de
la riche vallée du Dropt.
Cette épatante rivière aux
flancs bordés de moulins
et de nombreuses bastides
fut longtemps frontière. Elle
séparait les terres anglaises,
sur la rive droite (où l’on
trouve Monpazier), des
terroirs français, sur la rive
gauche. C’est là que brille
Villeréal, la ville royale. En
1265, Gaston de Gontaud-
Biron est obligé de céder au
comte Alphonse de Poitiers
(frère de saint Louis) une
terre située dans sa forêt
de Montlabour, où allait
être édifiée, en seulement
quatre années, la bastide
de Villeréal. Huit rues principales
se coupent à angle
droit ; au centre, entourée
de cornières, une formidable
place héberge une superbe
et vaste halle, solide comme
un pack de rugby. L’église,
en légère rupture avec la
trame rigide du bourg, est
une véritable forteresse. Ici,
on parle bien plus l’anglais
que le français, le néerlan-
dr
dais que le gascon. Si l’on arrive à se faire
inviter chez l’habitant, toujours convivial,
on pourra goûter au tourin local, soupe
divine dans laquelle trempe parfois du pain
goussé d’ail et tomaté. Ce régal, qui selon
Guy Berny, le maire, « pourrait donner l’accent
du Sud aux titis de Ménilmuche », est
presque toujours suivi d’un casse-croûte au
foie gras, qui est une sorte de sport local.
Pourtant, si la bastide est d’une exceptionnelle
élégance, sa richesse vient d’ailleurs.
Dans ce haut pays, il faut absolument aller
voir les maisons à empilage, qui sont un
mystère. On ne sait pas d’où elles viennent,
qui les construisit ni pourquoi elles
sont concentrées dans la région. Elles sont
uniques au monde. Faites uniquement
de poutres empilées – d’où leur nom –,
elles perturbent pour longtemps l’humeur
de tous ceux qui les découvrent. A voir
impérativement, guidé, si possible, par
un papé du coin !
Dans Villeréal, des carreyras pittoresques
comme la rue des Escambios (la
rue des Echanges), devenue par erreur la
rue d’Escambis, content l’histoire locale.
Il suffit de remonter les ruelles de Lagnel,
du Bras-de-Fer ou de traverser la place
Jeanne-de-Toulouse pour sentir que toutes
parlent d’un passé riche ou douloureux
avec infiniment de puissance. De belles
restaurations ont sauvé des maisons
La bodega de villeréal.
ateliers. Rue Saint-
James, qui sent l’Angleterre
à plein nez,
un tonnelier exerçait
son métier il y a peu.
On croit l’entendre
encore dresser les
douelles. L’effet du
vin, peut-être ! La
bourgade n’a pas de
« grand » restaurant, mais on mange bien
partout. Pourquoi s’en priver ?
On ne se privera pas davantage du musée
des Bastides, qui, à Monflanquin, tout
proche, conte l’histoire tumultueuse des
bastides. Il s’est donné pour ambition
d’apporter à chacun le moyen d’appréhender
les conditions historiques dans
lesquelles ces villes nouvelles du Moyen
Age sont nées et se sont développées
dans toute la contrée. Outre ce pédagogique
outil, Monflanquin possède une
formidable rareté : la place du marché
est en pente. Elle ressemble au mythique
Tourmalet. Dans son angle le plus haut,
le Prince noir eut sa maison. Elle y est
encore. Magnifique !
Les vins du pays de l’Agenais, les pruneaux,
les produits bio, les tourtières, les
foies gras, les confits, la cuisine du cochon
sont au menu de toutes les bonnes tables
et des fermes de Monflanquin qui vendent
directement leurs produits. Les restaurants
n’y sont ni toqués ni étoilés, mais
on est dans le Sud-Ouest et manger est
un art cultivé avec élégance dans chaque
auberge. Chez l’habitant, on sert encore
l’estoufat, la daube de la Saint-André.
Jadis, ici, le jour du marché, on vendait
du bétail, mais on gardait le meilleur. Et
on le cuisinait magnifiquement. C’est
toujours le cas.
84 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 85
hubert boulitreau
Petit Lexique
carra.
Place centrale sur laquelle,
en principe (mais pas toujours)
se trouvent la halle et la jurade (mairie).
Moulons.
Blocs de maisons délimités
par le quadrillage des rues.
carreyras.
rues charretières où peuvent
se croiser deux charrettes.
La halle de villeréal.
Petites carreyras.
rues secondaires, pour le passage
d’une seule charrette.
carreyrots.
ruelles pour les piétons.
andronnes.
espaces entre deux maisons voisines
trop étroits pour la circulation.
cornières.
rues couvertes, généralement
autour de la place.
Quittons la Guyenne pour la Gascogne.
On a toutes les chances de rentrer dans
une « chacaillerie » que seuls les bérétayres
sont capables de conduire. Le formidable
village rond de Fourcès (Gers) prétend être
une bastide. Rien n’est moins sûr, même
si le bourg figure sur la liste officielle des
villes neuves. Beaucoup, qui ne sont pas
d’accord avec cette affirmation, prétendent
que Fourcès n’est qu’une « ancienne sauveté
qui aimerait bien être une bastide ».
On se bagarre sur ce thème depuis deux
ou trois siècles. Et ce n’est pas fini. Pour
trancher, il faut y aller et participer à la
chacaille. Le minuscule village rond mérite
en effet grandement le détour et la visite.
Le château du XV e , devenu hôtel et restaurant,
semble encore protéger cette unique
circulade de Gascogne. Inutile de dire que,
dans ce riche Gers, on trouvera plaisirs de
bouche à son palais et bonheur à ses yeux.
Il n’est pas que dans les prés. Il est aussi
sur les tables, où trônent toujours un pot
d’armagnac, des conserves de confits et
des poulardes dodues.
Toutes les bastides n’ont été élevées
que pour donner la paix, le plaisir de vivre
et celui de bien manger. Cette vocation
première se perpétue aimablement
aujourd’hui encore.M.G.
Pour tout Savoir, réServer,
recevoir de La docuMentation,
les offices de tourisme des quatre
bastides sont à l’écoute.
Monpazier. Tél. : 05 53 22 68 59.
Monflanquin. Tél. : 05 53 36 40 19.
Villeréal. Tél. : 05 53 36 09 65.
Fourcès. Tél. : 05 62 29 50 96.
dr
s a v o i r v i v r e

photos : dr
que
des
caprices
La panoplie du
bon petit militant
Militantes, militants, équipez-vous
! Les militants
sont des actifs, toujours
à l’assaut, des soldats
volontaires animés
de leurs convictions.
Habités par la foi en un
avenir meilleur, ils courent annoncer la
bonne nouvelle. Tels des combattants, les
militants s’équipent. Pour être un vrai bon
petit militant, un bon élève, il faut avoir la
panoplie ! Elle s’achète dans la boutique
(plus souvent virtuelle) du parti politique
auquel appartient le candidat.
Portés par leurs idées, les militants
ne reculent devant aucun accoutrement,
même s’ils doivent ressembler à
un homme-sandwich. Sans broncher, ils
porteront le tee-shirt imprimé, clignotant,
bariolé, le coupe-vent « à la Royal », le
tablier griffé « Sarko », ils boiront leur café
dans un mug décoré d’une fleur rose…
Prêt à tout pour son candidat, le bon petit
militant portera un tee-shirt double face :
« Avec moi, osez » devant, « Votez Bayrou »
derrière. A la manière des supporteurs
de foot, les militants s’affublent de tous
les accessoires possibles pour mieux
défiler, coller, distribuer… Il existe aussi
des militants en colère. Non pas pour,
mais contre, les « anti-Sarko » proposent
sur Internet « tout le matos de
campagne anti-Sarko ».
Leurs livres de chevet s’intitulent
Maintenant, Ensemble… tout
un programme… A connaître par
cœur ! Car il s’agit d’être capable de
défendre ses idées, d’avancer les bons
arguments. Pour appâter, le militant vulnérable
se servira des promesses, véritables
atouts de séduction.
Les militants dits « de base » forment
une famille. Ils partagent non seulement
leurs convictions, mais aussi leur temps
libre et leur poulet du dimanche. Corps
et âme, nuit et jour, ils appartiennent à
Militer, c’est bien. Le faire savoir,
c’est mieux. Du tee-shirt
au bracelet, tous les accessoires
du partisan qui s’assume.
par Géraldine Ulmann
une même famille de pensée, ils adorent le
même homme, la même femme, ils partagent
le même idéal… Les accessoires sont
leur signe de ralliement : tee-shirts, sacs,
bracelets et livres de chevet marquent
leur appartenance. Histoire de ne pas se
perdre en pleine campagne…
A la laverie, vous pourriez tomber sur
le tee-shirt d’un autre militant, qu’il soit
du même bord ou non. Vous pourriez alors
l’inviter à faire une partie de billard. Chevillotte
a sorti un jeu « Spécial présidentielle
» : sur chaque boule est imprimé le
visage d’un candidat….
militant
cherche
militante
aimant militer…
t réciproquement. Il faut
…ecroire que les meetings
ne suffisent plus pour faire
des rencontres. Le site Internet
www.sexycentriste.com est
un électron du site de François
Bayrou. On y trouve tous types
de militants… On y cause
propositions politiques, on y
gagne un profil politique….
Tendance « TSS »
L es « anti » sont toujours
les plus virulents. Ceux
qui s’opposent à Sarkozy
ont écrit des tracts intitulés
« 10 bonnes raisons
de voter contre Sarkozy »
divisés en plusieurs
parties : « le populiste »,
« le sécuritaire », « le libéral »,
« le démagogue »… Plus ciblés,
des tracts contre le projet
de loi sur l’immigration. Sous
la rubrique « Tout le matos
de campagne anti-Sarko »,
on peut acheter le tee-shirt,
le livre (Sarko dans le texte) et
les bracelets « Génération anti-
Sarko » pour 15 € .
www.antisarko.net
Métamorphose !
Le maquillage a quelque chose
du camouflage. Les militants
le prouvent, qui flirtent avec
la posture militaire. Pour ceux qui
se maquillent les joues aux couleurs de leur candidat, une créatrice bien
inspirée a conçu des trousses à maquillage de militant. De couleur bleu,
blanc, rouge, elles existent en deux versions : l’une estampillée
« Vive Ségo ! », l’autre « Vive Sarko ! » .
10 €. Petite Mendigote, 23, rue du Dragon, Paris VIe . Tél. : 01 42 84 20 07.
La sagesse de
la paresseuse
La paresseuse est
sympathique.
De bonne humeur,
elle prend la vie du
bon côté. Loin d’être
une feignasse, elle
participe à la vie de
la cité et, notamment,
elle vote ! Mais, légère
comme elle est, elle
ne sait pas très bien
comment ça marche :
qu’est-ce que le droit
de vote, l’Assemblée
nationale… ? Et
le président de la
République, au
fait ? Tout est dans
la Vie politique des
paresseuses.
5,90 €, éd. Marabout.
Double face
il y a ceux qui retournent leur
veste. Désormais, il y aura ceux
qui retourneront leur bracelet.
Réversible, en silicone, le bracelet conçu
par Caroline Lisfranc affiche « Ségolène »
en rose sur une face, « Nicolas » en bleu sur
l’autre face. Juste les prénoms, comme pour
les amoureux… En fonction des circonstances,
libre à vous de le retourner. Dommage,
il manque une troisième face ! .
5 €. Rens. : 01 40 07 15 40.
Bille en tête
Le bon petit militant a aussi le droit
de se détendre. Après une journée de
meetings, pique-nique de campagne
à la campagne, distribution de tracts,
etc., rien de tel qu’une partie de billard
politique. Chaque boule est un candidat.
Les uns après les autres, ils tombent
dans le trou. Un geste non maîtrisé et
hop le candidat est éliminé ! Petite
erreur de casting : Jacques Chirac a
sa boule, tout comme Dominique de
Villepin et Dominique Strauss-Kahn.
Il y a des coups de canne qui se
perdent….
Chevillotte, 245 €, tirage limité.
des élections à la carte
sur ce site Internet, vous choisissez le
visage de votre candidat, vous donnez
votre taille et rédigez le texte que vous
souhaitez voir imprimé au dos de votre
tee-shirt, et le tour est joué. Spreadshirt se
charge de le confectionner. Pour 18,90 €,
vous portez un vêtement fidèle à vos
convictions politiques.
www.spreadshirt.net
Habit citoyen
86 Marianne / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / Marianne 87
L es
tee-shirts conçus par Vox
Populi tournent légèrement
la campagne électorale
en dérision. Le modèle «
Sarkoland », par exemple. Ou
celui au titre trafiqué de «
SégOLEne », avec le visage de
la candidate, souriante, une
rose serrée entre les dents.
Environ 20 € le tee-shirt.
www.spreadshirt.net (visiter Vox Populi).
Tee-shirt d’électeur
Les militants ont des idées, eux
aussi. La socialiste Fanny
Gerdil a créé des tee-shirts contre
l’abstention (en vente sur le site
www.comboutique.com). Les
messages connaissent leur cible :
« Je suis contre l’abstinence »
(logo d’un préservatif) ; « Peace
and vote » ; « Black, Blanc, Beur,
électeur » ; « 21 avril, gommer
l’affront » avec la photo d’une
gomme ; version coquine, « Prendsmoi
dans ta main et glisse-moi
dans la fente ». Il existe 54 modèles,
à environ 15 € le tee-shirt. Sur le
même site, l’espace « Visitez la
boutique présidentielle 2007 »
présente des tee-shirts aux motifs
caricaturaux : « Sarkomic, le clown
de la politique », « La Hollande ?
Un goût royal »….

R E C E T T E S D E P L A T S C A N A I L L E S
Les saveurs
de la République
Cu r i e u x
p a r a -
doxe que
de désigner
par
le qualificatif de
« canaille » ce
qui symbolise
aujourd’hui, aux
yeux de la bienpensanceculinaire,
tout ce
qu’il peut y avoir
d’archaïque, de
conservateur et
de rétrograde
dans la gastronomie.
Pourtant, dans « canaille »,
il y a bien l’idée de voyou sympathique,
de coquin rebelle, de filou
marginal, autant de compliments
jetés à la face d’une certaine idée de
la cuisine française. « Canaille », une
étiquette à revendiquer, car elle est
celle de la cuisine du peuple et de la
bourgeoisie, d’une cuisine qui réunit
les Français autour de la table, qui
rassemble l’appétit national autour
d’une gourmandise commune. Autrement
dit, les plats canailles sont ceux
des saveurs républicaines. A l’heure
où le destin du pays va se jouer dans
les urnes, il est utile de rappeler l’épopée
de ces préparations aussi diverses
que variées qui ont façonné le goût de
la France. Noble tâche à laquelle s’est
attelée la journaliste Michèle Villemur
en publiant un superbe recueil contenant
74 recettes de plats canailles,
toutes tirées du répertoire des bistros
et brasseries de la capitale. Non
contente de rendre hommage aux
hommes de foi, aux lieux de mémoire
et aux produits qui ont régalé tant
de générations, notre consœur, sans
doute inspirée dans cette succulente
réflexion par François Rabelais, en
profite même pour faire l’éloge de
par périco Légasse
la tripe, car il ne
saurait y avoir
bonne canaillerie
de bouche sans
effusions tripières.
De quoi faire
fuir les mous du
goût, les blasés
de la papille et
les palais froids.
Un chef-d’œuvre
que cet ouvrage
où l’on salive de
page en page en
contemplant les
mises en scène
gourmandes du
photographe Jean-François Mallet
dont le talent a su combiner le reflet
des assiettes enchantées avec la patine
des vieux murs de Paris où elles sont
encore servies. De l’andouillette rôtie
au vin de Vouvray du Petit Riche (01
47 70 68 68) à la langue de bœuf sauce
madère purée à l’ancienne du Quincy
(01 46 28 46 76), en passant par la
tête de veau à la royale de Jacques
Le Divellec (01 45 51 91 96), le grasdouble
à la lyonnaise de Thoumieux
(01 47 05 49 75), le rognon minute
« croquignol » du Ribouldingue
(01 46 33 98 80), le piccata de ris de
veau coco chutney de fruits exotiques
du Train bleu (01 43 43 06 00)
ou les pieds de cochon croustillants
aux herbes et foie gras du Palais de
l’Elysée de Michèle Villemur (01 42
92 81 00), et tant d’autres adresses,
cet inventaire à la fois historique et
gustatif de l’un des fleurons de notre
patrimoine gastronomique mérite
d’être dégusté à la loupe. D’autant
que le lexique final propose un tour
de France éclairé des meilleurs artisans
tripiers. Un ouvrage d’envergure
patriotique et de salut public.
Plats canailles, ris, rognons, tripes et Cie,
Aubanel, 224 p., 35 €.
dr
88 Marianne / 14 au 20 avril 2007
g o u R M a N d i s E s
Le coup de grâce.
« Michelin » ferme
Meneau
Non content de
l’avoir totalement
exclu de
l’édition 2 0 0 7
du guide France,
la direction de
M i c h e l i n f a i t
désormais savoir
que le restaurant
de Marc Meneau,
à Saint-Père-sous-
V é z e l a y, d a n s
l’Yonne, est fermé. Il est vrai que le luxueux
hôtel du grand chef bourguignon est en dépôt
de bilan et que son sort dépend du tribunal de
commerce. Toutefois, Marc Meneau a bien rouvert
début mars et entend fermement redresser
sa situation au cours de l’année. Quelle ne fut
donc pas sa surprise de se voir brutalement
effacé du guide. Mais la déconvenue ne s’arrête
pas là. Répondant à un lecteur étonné de ne
plus y voir son restaurant préféré, la direction
du Michelin précise dans un courrier daté du
20 mars 2007 : « L’Espérance ne figure plus
dans notre ouvrage pour cause de fermeture. »
Curieuse méthode pour justifier sa bourde.
L’an dernier, l’établissement figurait encore
dans le Guide rouge avec la note suprême de
trois étoiles. Redoutant sans doute une liquidation
qui aurait pu mettre à mal l’aura d’une
consécration censée mettre à l’abri tous ceux
qui en bénéficient – un trois-étoiles ne fait
pas faillite –, Jean-Luc Naret et Jean-François
Mesplède ont donc prématurément enterré
la bête. Le hic, c’est que la bête se démène
encore hardiment. Un conseil au croque-mort
Bibendum, mieux vaut attendre que l’ours
soit bien mort avant de lui faire la peau.
« guide rouge 2007 ».
Terminus pour
le Train bleu
En feuilletant les pages
du Guide Michelin à hauteur du
XIIe arrondissement de Paris, nous avons
découvert avec stupeur la disparition
du Train bleu, l’une des plus belles
brasseries de France, où la cuisine,
sans prétention mais toujours régulière,
ne mérite pas une telle sanction,
ne serait-ce que pour l’incontournable
gigot d’agneau au chariot tranché
devant le client. Vive le Train bleu !.
Le Train bleu, buffet de la gare de Lyon, Paris XIIe .
Tél. : 01 43 43 06 00.
dr

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Avec les lettres ci-dessus, il y a 10 scrabble ® 1 2 3 possibles 4 5 sur 6cette 7grille. 8 Combien 9 10en trouverez-vous 11 12 13 ? 14 15
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l meCCanos, 11h, 74
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Horizontalement
l 1. En voilà un pour qui bon sang ne saurait mentir
l 2. Ont souvent une base en argile - Source
d’inquiétude nippone l 3. Pièce pour le tronc - Sigle
hospitalier l 4. Long à Nîmes - Est toujours encaissée
l 5. Se replie sur une position préparée à l’avance -
Conduit à un échange de balles l 6. Sont pour une
culture de proximité l 7. Personnel de droite - Le tiers
de la moitié - Régal des gourmands l 8. Le paradis
peut l’être mais pas le ciel l 9. Réagis comme un
O U R L E T S E T
pauvre hère - Couche seul ou vous réchauffe le lit
l 10. Vous l’avez dans le dos - Est très démonstratif.
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Verticalement
l I. Règle de composition du temps jadis
l II. Mouilleur de mines - S’est fait remarquer pendant
la guerre par sa bonne conduite l III. Est inusable
en musique - Perce sous la jalousie l IV. Prend
une doublure pour les scènes osées - Ne recoit
pas d’ouvrages légers l V. A moins d’envergure
qu’avant l VI. Carte d’état majeur - Se mire dans le
Dendre - Classé en 62 l VII. Prélude à une opération
commerciale - Vieux fer à repasser l VIII. Papier à
dessins l IX. En impose en société - Peut être mis
en question - Il n’y a aucune gloire à être le premier
l X. Signe particulier : néant - Constat du passé.
MOT
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14 au 20 avril 2007 / Marianne 89
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Mesdames et messieurs, bonsoir. Dans trente secondes,
il sera 20 heures et vous verrez apparaître
les visages des deux candidats arrivés en tête
au premier tour, qui se retrouveront face à face
le 6 mai. Attention : 5, 4, 3, 2, 1… Gérard Schivardi
et Frédéric Nihous sont les deux finalistes de l’élection
présidentielle ! C’est une énorme surprise, personne ne s’y
attendait, aucun institut de sondage ne l’avait pronostiqué !
Vous découvrez les chiffres en même temps que moi : Gérard
Schivardi 22 %, Frédéric Nihous 21,5 %. Loin derrière arrivent
Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy dans une parfaite égalité :
15 % l’un et l’autre. Puis François Bayrou 12 %, Jean-Marie
Le Pen 11 %. Et, enfin, tout en bas, Olivier Besancenot 5 %,
Marie-George Buffet 2,5 %, Arlette Laguiller 1,5 %, Dominique
Voynet 1 %, José Bové 0,5 % et Philippe de Villiers 0,0001 %.
Tout au long de cette soirée, nous allons tenter de comprendre
les raisons de ce véritable tremblement de terre, d’en mesurer
l’ampleur, d’en évaluer les conséquences. Mais,
d’abord, place aux réactions des deux vainqueurs
inattendus de ce premier tour.
On me dit que nous avons en ligne
Frédéric Nihous, directement sur son portable.
Allô, monsieur Nihous ? Vous êtes en direct
sur… – Hein ? Quoi ? Chut ! Vous allez me faire
manquer une touche ! – Euh… Désolé, monsieur
Nihous, mais vous êtes arrivé deuxième avec
21,5 % des voix et… – Si c’est pour me raconter
des conneries que vous dérangez la ruralité,
franchement je ne vous félicite pas. Je suis en
train de pêcher, j’ai autre chose à faire que de vous écouter,
alors s’il vous plaît laissez-moi tranquille… – Mais je vous
assure, monsieur Nihous, les chiffres sont formels, ce n’est pas
un poisson d’avril ! – C’est ça, c’est ça… Zut, j’ai loupé mon
coup ! Tout ça par votre faute ! La ruralité ne vous remercie
pas, monsieur ! Au revoir ! – Je… Eh bien nous essaierons une
nouvelle fois de joindre Frédéric Nihous… En attendant, voici
Gérard Schivardi qui pénètre dans le studio, laissons-lui le
temps de s’installer, voilà… Alors, monsieur Schivardi, votre
première réaction ? – Euh… Vous êtes sûrs de votre coup,
là ? – Tout à fait, absolument, vous êtes en tête du premier
tour, vous êtes en situation de devenir le prochain président
de la République ! – Attendez, je ne joue plus, moi ! Pouce !
Président de la République ! N’importe quoi ! Pourquoi pas
pape, tant qu’on y est ? Bon, je me suis bien amusé, j’ai eu
toutes les télés, toutes les radios, j’ai pu raconter tout ce que
je voulais, mais président de la République, vous plaisantez !
Je démissionne, moi ! J’abandonne la course ! Je donne tous
mes pouvoirs à l’autre, là, Frédéric Nihous ! – Mais il est à la
pêche… – Il a bien raison, tiens ! Je vais faire la même chose !
Allez, bien le bonjour chez vous, je rentre chez moi ! – Mais
vous ne pouvez pas partir comme ça, monsieur Schivardi ! Je
vous rappelle que vous avez… Eh bien ça y est, il est parti…
Bon. Bien. Très bien.
N O T R E f aOu PT I Nv IO O INR Et les deux finalistes sont...
Par alain rémond
… Gérard
Schivardi, à 22 %,
et Frédéric Nihous,
à 21,5 % ! Loin
derrière arrivent
Ségolène Royal et
Nicolas Sarkozy.
90 Marianne / 14 au 20 avril 2007
Nous avons sur le plateau Jean-Marie Jesaistout, directeur
de l’institut de sondage Ipsop, monsieur Jesaistout, bonsoir
! – Bonsoir ! – Comment expliquez-vous ce résultat en
contradiction totale avec tout ce que vous annoncez depuis
des mois ? N’est-ce pas une fois de plus la faillite des sondages,
sauf qu’il s’agit cette fois d’une erreur monumentale, je dirais
même historique ? – Pas du tout ! Je m’inscris en faux contre
vos allégations ! Nous avions parfaitement prédit ce scénario !
– Mais, enfin, monsieur Jesaistout, vous n’avez jamais placé
MM. Schivardi et Nihous en tête de la course ! – Je me permets
de vous rappeler que, jusqu’au bout, nous avons mesuré le
taux d’indécis à 43 %. Eh bien, ne cherchez pas : ce sont eux
qui se sont finalement décidés pour MM. Schivardi et Nihous.
Je vous rappelle les chiffres : 22 % plus 21,5 %. Soit, à quelques
décimales près, le pourcentage d’indécis. Les sondages avaient
raison. Les sondages ne se trompent jamais. – Excusez-moi de
vous interrompre, on nous annonce une intervention de Nicolas
Sarkozy, en direct de son QG de campagne, rue
d’Enghien. Monsieur Sarkozy, vous avez la parole !
– Françaises, Français, chers compatriotes ! Vous
aviez vocation à vous prononcer pour l’élection
présidentielle et vous l’avez fait. En ce qui me
concerne, je suis parfaitement calme et serein, je
viens tout juste de casser la gueule à ce connard
d’Azouz Begag, ça m’a permis de me passer les
nerfs, en attendant de faire leur fête à ces connards
de sondeurs et de journalistes qui n’avaient pas
vocation à me mener en bateau, je vous garantis
qu’il va y avoir du sang sur les murs, dans le calme
et la sérénité. Vive la République ! Vive Neuilly !
– Merci, monsieur Sarkozy. J’en profite pour saluer l’arrivée
de Jean-Marie Le Pen. Une première réaction, monsieur
Le Pen ? – Schivardi ! Un Italien ! Un immigré ! Un trotskiste !
Aaargh ! Au secours ! Au feu ! Aux armes ! A Bagdad ! – Buvez un
verre d’eau, monsieur Le Pen, ça va passer. Mais voici que Ségolène
Royal et François Bayrou font à leur tour une déclaration,
le seul problème c’est qu’ils la font en même temps, mais place
au direct, je vous laisse écouter ! – (Inaudible) – Apparemment
nous avons un petit problème technique, nous reviendrons
dans quelques instants à Mme Royal et M. Bayrou…
Mais on me communique à l’instant une précision qui… Une
précision que… J’aimerais être sûr d’avoir bien compris… On me
parle dans l’oreillette, ne quittez pas… Oui… Ah bon ? Vous êtes
sûrs ? Vraiment sûrs ? Eh bien, mesdames et messieurs, voici ce
que je viens d’apprendre : une gigantesque panne informatique
a mélangé tous les sondages sortie des urnes et les premiers
résultats. Tout ce que je vous ai annoncé est complètement
faux, à l’heure où je vous parle tout ce qu’on sait c’est qu’on ne
sait rien. Et, maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Non, c’est pas à
vous que je parle, c’est à la régie. On attend la fin de la panne ?
Bon, d’accord, on attend. Ne quittez surtout pas !
Et n’oubliez pas : tant qu’on ne sait rien, tout est possible.
Profitez-en !.