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version électronique (PDF) - Cégep de Granby — Haute-Yamaska

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Présentation……….……………………………………p. 5<br />

Myosis………………………………………………….p. 6<br />

Contre-jour………………….………………………….p. 54<br />

Étincelles……………………………………………….p. 84<br />

L’équipe………………………………………………..p. 98<br />

Remerciements……………………………………...…p. 99<br />

Mot du professeur ……………………………………..p. 99


MOT DE LA RÉDACTRICE EN CHEF<br />

Au fond, nous n’écrivons que pour nous faire amants <strong>de</strong> la routine.<br />

L’inspirer en nous pour en savourer les détails puis la ressortir, un<br />

peu moins elle, un peu plus nous. L’espace d’un instant, pour toutes les<br />

mauvaises raisons, si ce n’est que rester en vie. Car j’ose espérer que<br />

ces textes ne seront pas écrits en vain.<br />

L’après-midi au parc (la pause toujours trop courte), la rosée aux<br />

brindilles (le café indispensable), la révolte qui s’érige en forteresse (la<br />

sonnerie du téléphone), la pluie en éclats <strong>de</strong> rire (la routine qui s’encrasse),<br />

les yeux qui flânent aux boutiques (le diagnostic <strong>de</strong>structeur),<br />

l’orangé du ciel matinal (la torpeur <strong>de</strong>s snoozes incessants)… les journées<br />

se succè<strong>de</strong>nt et s’accumulent dans une série <strong>de</strong> petits évènements<br />

qu’il est bon <strong>de</strong> savoir capter.<br />

Les Diurnes. Le 8 à 5, le métro-boulot sans le dodo, la routine,<br />

mais aussi le moment <strong>de</strong> l’action. C’est le jour que les décisions sont<br />

prises, que les tâches sont accomplies. Ici, il ne s’agit pas d’écrire la<br />

tête dans les nuages, mais plutôt d’y porter sa plume, les pieds sur<br />

terre. Sur tous les tons <strong>de</strong> l’impatience <strong>de</strong> vivre.<br />

Les auteurs ont donc puisé dans le réel pour écrire ce qu’ils savaient,<br />

mais surtout ce qu’ils en percevaient. Trois sections portent un<br />

regard différent sur cette idée <strong>de</strong> réel. D’abord Myosis, qui abor<strong>de</strong> la<br />

réalité sous tous ses angles, puis, Contre-jour, qui questionne cette<br />

même réalité, la critique. Étincelles clôt la section avec <strong>de</strong>s textes<br />

courts et <strong>de</strong> petites perles réchappées.<br />

Laurence Vinet


MOT DU CHEF DE PUPITRE<br />

« Le myosis caractérise une diminution du diamètre <strong>de</strong> la pupille par<br />

contraction <strong>de</strong> l'iris, à l'opposé <strong>de</strong> la mydriase. Cette réaction physiologique<br />

se produit à la lumière, et est réversible dans l'obscurité. Physiologiquement,<br />

il est provoqué par la contraction <strong>de</strong>s muscles annulaires<br />

et ciliaires dans le but <strong>de</strong> favoriser l'accommodation. »<br />

Se réveiller. Manger. Partir travailler. Revenir. Puis tout recommencer.<br />

La vie s’articule sous le même ciel, jour après jour, diaporama prévisible,<br />

attendu. Les yeux ne voient plus, ils ne prennent plus le temps <strong>de</strong><br />

voir, une routine cataracte.<br />

Puis, à travers le monochrome, un éclat, une lueur, qui illumine l’iris,<br />

l’esprit.<br />

Tout chamboule, le temps d’un clignement.<br />

Et qui sait? Peut-être pour <strong>de</strong> bon.<br />

Alexandra Bourque<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

Paradoxalement, les mesures que j’avais prises pour réaliser mes<br />

rêves avaient l’effet contraire. Enfin! l’heure <strong>de</strong> la libération sonna. Je<br />

tentais <strong>de</strong> me faire petite, discrète, dans les tranchées <strong>de</strong>s bureaux. Il me<br />

fallait éviter mon patron et ses probables <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnière minute.<br />

Je courais à couvert, la peur au ventre, penchée, guettant la voix d’obus<br />

du chef <strong>de</strong> bureau. Je me jetais dans les portes encore béantes <strong>de</strong><br />

l’ascenseur bondé. Entassée avec les autres fantassins du capitalisme, je<br />

repris mon souffle lorsque la cloche annonçant la fermeture <strong>de</strong>s portes<br />

retentit à mes oreilles. Cette cloche sonnait mon mariage avec le rêve,<br />

le temps d’une fin <strong>de</strong> journée, la seule que j’avais <strong>de</strong> libre entre mes<br />

<strong>de</strong>ux boulots. Il fallait donc en profiter un maximum, quitte à se faire<br />

violence. Dans le hall, je marchais d’un pas rapi<strong>de</strong>, mais sans courir; je<br />

ne voulais pas passer pour une cinglée non plus. Une fois <strong>de</strong>hors, je me<br />

suis précipitée au pas <strong>de</strong> charge vers l’esplana<strong>de</strong>. J’étais libérée <strong>de</strong> l’atmosphère<br />

suffocante <strong>de</strong> mon open space. Toute cette journée n’avait<br />

été qu’un cache-cache avec le regard inquisiteur <strong>de</strong> mon voisin d’en<br />

face. Aucun <strong>de</strong> mes coups d’œil évadés vers la tour d’en face, qui réfléchissait<br />

la nôtre et le ciel en un azur pixellisé, ne lui avait échappé. À<br />

tout moment, mon Big Brother personnel me rappelait à l’ordre. Pourrait-on<br />

être simplement payé pour rêver? Chacune <strong>de</strong> mes enjambées en<br />

direction <strong>de</strong> la station Gran<strong>de</strong> Arche faisait claquer les dalles <strong>de</strong> béton;<br />

je coulais <strong>de</strong> trop pénibles heures, je roulais <strong>de</strong>s jours trop lourds, à<br />

l’étroit. Au pied <strong>de</strong> l’Arche, je <strong>de</strong>scendis l’escalier et, rendue sous terre,<br />

je me suis dirigée vers l’escalier mécanique qui me mènerait au tourniquet,<br />

puis du tourniquet au quai, puis du quai au boa métallique du<br />

train, engouffrant vivants <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> salarymen, image d’un<br />

peuple d’esclaves pour qui lundi était copié collé sur mardi, mardi sur<br />

mercredi, mercredi sur jeudi, et ainsi <strong>de</strong> suite, quarante-huit semaines<br />

par an. Moi-même, j’étais <strong>de</strong>venue le Sisyphe <strong>de</strong> mes semaines. Pour<br />

vivre un rêve, il faut être en mesure <strong>de</strong> l’assumer. Il ne me restait que<br />

les instants <strong>de</strong> délivrance du vendredi, que je n’utilisais pas, trop fatiguée<br />

pour bouger. Je faisais tourner une machine immon<strong>de</strong> et je me<br />

trahissais chaque jour, je perpétrais mille fois le meurtre <strong>de</strong> mes désirs...


Le wagon se mit à suivre les autres. De là, ce serait le voyage au centre<br />

<strong>de</strong> la Terre <strong>de</strong> la zone 3 à la 1 : Esplana<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Défense, Pont <strong>de</strong><br />

Neuilly, Les Sablons, Porte Maillot, Argentine, Charles <strong>de</strong> Gaule -<br />

Étoile... Les stations se succè<strong>de</strong>raient dans l’ordre inverse du matin<br />

jusqu’à la zone 1 : mon chez-moi cher payé, la part d’un passé dont je<br />

suis l’esclave. Je m’achetais <strong>de</strong> la poésie que je ne pouvais lire que le<br />

vendredi. J’étais poète maudit, exploratrice urbaine, Doisneau à mes<br />

heures, le vendredi soir. For my eyes only. Dépassée la station Georges<br />

V, il me vint une idée <strong>de</strong>s plus romantiques, et qui agrémenterait ma<br />

promena<strong>de</strong>. Je sortis à la station suivante et me mis à remonter les<br />

Champs-Élysées vers la boutique <strong>de</strong> la maison Ladurée. Je ne mis pas<br />

longtemps à trouver la teinte pistache <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> Art nouveau du magasin.<br />

À l’intérieur, je fus arrêtée brusquement : une interminable file<br />

<strong>de</strong> touristes me séparait du comptoir. Je dus patienter une vingtaine <strong>de</strong><br />

minutes avant <strong>de</strong> pouvoir passer ma comman<strong>de</strong> : un assortiment <strong>de</strong><br />

seize macarons que je fis mettre dans une jolie boîte-ca<strong>de</strong>au. Une fois à<br />

l’extérieur, je continuai ma remontée <strong>de</strong>s Champs. Je commencerais<br />

mon jeu ici. Je mangeai donc le macaron Pistache Belle Époque en<br />

l’honneur <strong>de</strong> la boutique du confiseur, mais aussi peut-être à cause <strong>de</strong><br />

la fraîcheur verte <strong>de</strong>s rangs <strong>de</strong> platanes. Je repris mon rythme effréné et<br />

arrivée station Georges V, j’étais presque à bout <strong>de</strong> souffle.<br />

L’enfila<strong>de</strong> <strong>de</strong>s stations se poursuivit : Franklin D. Roosevelt,<br />

Champs-Élysées - Clémenceau, Concor<strong>de</strong>, Tuileries, Palais Royal -<br />

Musée du Louvre, Louvre - Rivoli, Châtelet... Moment d’hésitation :<br />

prendre ma correspondance immédiatement ou perdre mon temps et<br />

faire la gamine sur le trottoir mécanique <strong>de</strong> la station Hôtel <strong>de</strong> Ville?<br />

J’optai pour la secon<strong>de</strong>, plus amusante. Le message habituel « attention<br />

à la marche en <strong>de</strong>scendant du train » accueillit l’ouverture <strong>de</strong>s portes.<br />

Avec le troupeau, je marchai vers le tunnel qui connecte Hôtel <strong>de</strong> Ville<br />

à Châtelet - Les Halles, et son amusant trottoir défilant. Ma vie prenait<br />

un tour cinématographique. Dans un lent travelling latéral, je croisais<br />

<strong>de</strong>s regards que je ne connaissais pas, que je ne reverrais jamais, noyés<br />

dans la foule, et qui m’inspiraient. J’inventai l’histoire <strong>de</strong> ce drôle <strong>de</strong><br />

type aux cheveux plaqués en arrière, luisants comme un meuble laqué<br />

(il serait l’antihéros mafieux d’une histoire <strong>de</strong> justicier... ou non, plutôt<br />

ce tombeur qui fait la tournée <strong>de</strong>s dancings et finit seul toutes ses soirées).<br />

J’imaginai celle <strong>de</strong> cette fille louche qui ne portait rien sous son<br />

imper (elle posait pour un peintre raté, défoncé aux benzodiazépines...).<br />

Mystère <strong>de</strong>s tunnels d’un blanc d’émail dans lesquels je me<br />

perds; à force <strong>de</strong> rêver, je faillis manquer mon couloir. Je pris la ligne<br />

11 direction Mairie <strong>de</strong>s Lilas et sortis à Rambuteau, dans le dos <strong>de</strong><br />

Beaubourg, mon joli monstre coloré.<br />

Mon appartement se trouve rue <strong>de</strong> Montmorency, un <strong>de</strong>uxpièces,<br />

raison <strong>de</strong> mon esclavage. On n’est plus rentier comme par le<br />

passé, et vivre intra-muros ce n’est pas du gâteau. Je me coupai une<br />

part <strong>de</strong> brioche en guise <strong>de</strong> collation et je pensai au duc <strong>de</strong> Guise et à<br />

La reine Margot que je venais <strong>de</strong> terminer. Je décidai <strong>de</strong> commencer<br />

par me faire un roman-parcours. Je re<strong>de</strong>scendis les marches d’un pas<br />

rêveur, ma boîte <strong>de</strong> macarons sous le bras. La cour arborée étant déserte,<br />

je récupérai mon vélo, fidèle <strong>de</strong>strier. Les macarons dans le panier,<br />

j’étais prête pour le rêve, pour mon retour dans le passé, pour les<br />

contes et les poètes, pour les rois, reines et autres figures statufiées. Un<br />

instant plus tard, je me retrouvais <strong>de</strong>vant le centre Georges-Pompidou,<br />

regardant les flâneurs, les crâneurs, guitare à la main. Devant la fontaine<br />

Stravinsky, je gobai le macaron Incroyable Fraise Bonbon,<br />

comme une hallucination, le nom semblait tout indiqué pour ce lieu<br />

surréaliste.<br />

Rue Saint-Martin, <strong>de</strong>s Lombards, boulevard <strong>de</strong> Sébastopol; les<br />

noms s’enchaînaient jusqu’à celle fatale <strong>de</strong> la Ferronnerie. « En ce lieu<br />

le roi Henri IV fut assassiné par Ravaillac le 14 mai 1610 », disait la<br />

plaque, et j’étais émue, je marchais dans l’Histoire. Mon histoire s’imbriquait<br />

dans l’autre, je sentais que je faisais corps avec le mon<strong>de</strong>, l’humanité,<br />

pour la simple raison que je déambulais là. Là où « ça » s’était<br />

passé. Remarquez, j’aurais pu être à Dallas, sur Dealey Plaza que c’eût<br />

été pareil. Je mangeai mon macaron Jus <strong>de</strong> Framboise Saignante, en<br />

mémoire du sang versé et poursuivis mon chemin. Place Marguerite <strong>de</strong><br />

Navarre, justement, puis rue Saint-Honoré; du Pont-Neuf, <strong>de</strong> Rivoli, du<br />

Louvre.<br />

Je me plantai <strong>de</strong>vant le clocher <strong>de</strong> Saint-Germain-l’Auxerrois.<br />

Du sang, encore, celui <strong>de</strong> la nuit <strong>de</strong> la Saint-Barthélemy. Un macaron<br />

Réglisse Nuit <strong>de</strong> Poix pour oublier la noirceur; et si on changeait <strong>de</strong><br />

roman? Pas encore, il me reste la statue équestre. Traversons le Pont-<br />

Neuf; ce que je fis. Et diantre, ensuite je choisis plus court! D’Henri IV<br />

vivant, à cheval, je recule d’un siècle : Notre-Dame d’Hugo. Plus court<br />

dans mon périple; en nombre <strong>de</strong> pages, je ne sais pas. C’est plus, non?


Devant la cathédrale archiphotographiée, je levai à peine les<br />

yeux, attirée par le vieux bonhomme couvert <strong>de</strong> pigeons, qui ne semblait<br />

pas vivre en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ses nombreux compagnons. Je pédalais lentement<br />

pour ne pas heurter la sensibilité <strong>de</strong> la foule <strong>de</strong> petits moines gris<br />

picorant leur dîner. Mon périple <strong>de</strong> la journée était bien entamé, mais je<br />

décidai tout à coup que s’imposait un pèlerinage symbolique : mes<br />

roues se frotteraient sur la pierre scellée du kilomètre « zéro ». Ayant<br />

rempli mon office, j’élevai vers ma bouche un autre divin macaron...<br />

Vanille Immaculée, car je suis une bonne fille.<br />

Je pris par la rue du Cloître Notre-Dame et traversai sur l’île<br />

Saint-Louis. Une ou <strong>de</strong>ux idées romantiques venaient <strong>de</strong> me foudroyer<br />

dans mon erratique escapa<strong>de</strong>. Les vapeurs du haschisch et <strong>de</strong> l’opium<br />

me parviendraient, encore vivaces, au travers <strong>de</strong>s siècles. Devant l’hôtel<br />

<strong>de</strong> Lauzun, j’attendis que Gautier ou Bau<strong>de</strong>laire m’ouvrent et m’invitent<br />

à un périple vers <strong>de</strong>s ailleurs extravagants et inquiétants. Je n’avais<br />

pour me stupéfier (là j’avoue m’être trouvée drôle) qu’un macaron couleur<br />

purée <strong>de</strong> haschisch : Gigantesque Pomme Verte Sidérale. Les hallucinations<br />

ne viendraient pas d’elles-mêmes, elles seraient artificielles;<br />

je les imaginerais.<br />

Ma secon<strong>de</strong> idée romantique était plus gothique. Le mélange <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux pourrait être douteux, mais pas dans le lieu où j’allais. Je pris le<br />

boulevard Henri IV (décidément, il me hantait... ou le macaron faisait<br />

vraiment effet) jusqu’à la Place <strong>de</strong> la Bastille. Là, je manquai d’être<br />

heurtée par divers véhicules et piétons alors que l’idée idiote <strong>de</strong> suivre<br />

le tracé au sol <strong>de</strong>s anciennes murailles m’apparaissait comme irrésistible.<br />

On aurait dû m’embastiller, mais bon, ce sont <strong>de</strong>s mœurs d’une<br />

autre époque... Je remontai la rue <strong>de</strong> la Roquette vers ma <strong>de</strong>stination,<br />

espérant arriver avant la fermeture. J’attachai mon vélo aux chaînes <strong>de</strong><br />

l’entrée, et pénétrai dans la vaste sépulture. Là, les rési<strong>de</strong>nts ne se limitent<br />

pas à Jim Morrison; je pensais à Balzac, Chopin, Apollinaire, Delacroix,<br />

Musset, Ingres, Proust, Nerval... et tant d’autres. Il reste <strong>de</strong> la<br />

place, peut-être un jour lointain me coucherai-je en leur compagnie. Je<br />

marchai vers l’est, en direction du mur <strong>de</strong>s Fédérés. 1871, et Rimbaud<br />

qui écrivait si bien. Le cimetière avait quelque chose <strong>de</strong> délicieusement<br />

sinistre, d’une mélancolie cajoleuse : ses anges noircis, les tombes<br />

éventrées par les racines <strong>de</strong>s arbres, la mousse qui détruit la pierre, cette<br />

idée d’écroulement, <strong>de</strong> corruption <strong>de</strong>s corps sous <strong>de</strong>s caveaux pompeux<br />

aux dorures calcinées. Les corbeaux feraient croire à une mise en scène.<br />

J’avais l’idée d’un automne perpétuel : le macaron Fumée <strong>de</strong><br />

Marrons Brûlés se retrouva dans mon estomac. Au sortir du cimetière,<br />

après toute cette solitu<strong>de</strong> et cette désolation, je voulus voir <strong>de</strong>s foules et<br />

du faste.<br />

Je <strong>de</strong>scendis l’avenue <strong>de</strong> la République, direction les Grands<br />

Boulevards. Je circulai alors sur les fondations <strong>de</strong>s anciens remparts en<br />

direction <strong>de</strong>s Grands Magasins sans aucune intention <strong>de</strong> dépenser quoi<br />

que ce soit. Quand bien même l’eussè-je voulu, je n’avais pas un rond.<br />

J’ai pris la pose un moment, comme un mannequin <strong>de</strong> vitrine. Je surveillai<br />

les élégants mo<strong>de</strong>rnes et leurs courtisanes, ce qu’il fallait ou ne<br />

fallait pas porter. Je courbais sous le far<strong>de</strong>au du bon goût. Je pris mon<br />

remontant du jour : Chocolat Pure Origine Brésil... un nom qui manquait<br />

<strong>de</strong> poésie, mais pas <strong>de</strong> calories. Au diable jolies jupes, je me retournai<br />

sans remords. De toute façon, ma bala<strong>de</strong> en vélo compenserait...<br />

Mon Apollon n’était pas loin, tenant sa lyre dorée. Je pensai au<br />

Fantôme, à Christine, Raoul, La Carlotta... et aux sombres profon<strong>de</strong>urs<br />

sous l’Opéra. Des abîmes <strong>de</strong> nuit sous tant <strong>de</strong> soie et <strong>de</strong> dorures. Je dévorai<br />

mon macaron Or Pur Citron. La place <strong>de</strong> l’Opéra était, contrairement<br />

aux sons harmonieux provenant du bâtiment, une spirale cacophonique.<br />

Je me sentais étourdie, engourdie, j’avais besoin, je ne savais<br />

trop pourquoi, d’un peu <strong>de</strong> paix et je pris la rue du même nom, direction<br />

Napoléon et sa colonne victorieuse, Place Vendôme.<br />

Ce n’est pas le Soleil d’Austerlitz qui accompagnait ma route,<br />

mais <strong>de</strong>s magnificences hors <strong>de</strong> toute atteinte : les grands bijoutiers étalaient<br />

dans un brillant bal <strong>de</strong> vitrines quelques cailloux étincelants susceptibles<br />

<strong>de</strong> me faire adopter une trajectoire non désirée. J’allai saluer<br />

la plaque <strong>de</strong> Chopin, au numéro 12 <strong>de</strong> la place et mangeai ma douceur<br />

Longue Soirée au Thé à la Rose, avec dans la tête le son apaisant d’un<br />

piano. Les rayons du soleil n’accédaient plus au fond <strong>de</strong>s canyons<br />

beiges <strong>de</strong>s rues.<br />

Avec un soupir, je renonçai à Montmartre, trop loin, trop haut,<br />

inaccessible et légendaire. Comment aurais-je pu m’y diriger, moi qui<br />

ne savais pas créer? Je me refusais à y mettre les pieds <strong>de</strong> toute façon,<br />

<strong>de</strong>puis mon arrivée en ville. La tentation du faux prétexte, du macaron<br />

thématique avait manqué <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> me faire craquer. Je criai (oui, vraiment!)<br />

en pleine rue : « Pas avant d’être Dalí, Picasso, Vian ou encore


Dalida! ». Un chien traître, <strong>de</strong> peur, mordit son maître et <strong>de</strong>s passants se<br />

sauvèrent en courant. J’étais timbrée et jusqu’à la fin <strong>de</strong> la soirée je <strong>de</strong>vais<br />

trembler aux sons <strong>de</strong>s sirènes <strong>de</strong>s véhicules du S.A.M.U. Et si on<br />

voulait m’embarquer <strong>de</strong> force? Un instant déprimée <strong>de</strong> ne pouvoir<br />

m’élever vers les cieux <strong>de</strong> Montmartre, je pris un petit remontant en<br />

pensant à la faune qui l’habitait dans les années trente : macaron Gueule<br />

-<strong>de</strong>-Bois au Cognac. Pour l’élévation restait le Montparnasse, mais avec<br />

la tour, ça tuait un peu la poésie. Coup <strong>de</strong> Jarnac! Je commençais à être<br />

lasse. Allais-je abandonner la guerre? Je tremblais <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir une Sandoz<br />

<strong>de</strong> Zola au féminin. Fermant les yeux sur les possibles, les rêves<br />

tenus en échec, je redémarrai ma promena<strong>de</strong> avec un peu moins d’entrain.<br />

Je me sentais étrangement seule dans mon histoire. Seule avec<br />

mes doutes et mes peurs, avec mon incompréhension.<br />

Je traversai la rue <strong>de</strong> Rivoli, le Jardin <strong>de</strong>s Tuileries et évitai soigneusement,<br />

pour ne pas penser, ne pas pleurer, le pont <strong>de</strong>s Arts. Je pris<br />

vers la Concor<strong>de</strong> en retrouvant mes idées encyclopédiques. Mis à part<br />

Louis XVI et Marie-Antoinette, je pensai aux 1117 autres guillotinés <strong>de</strong><br />

la place, parfois <strong>de</strong>s morts oubliés par l’histoire, et mangeai le Spécial<br />

Marie-Antoinette, à la robe bleutée. Je continuai par les quais, traversai<br />

la Seine par le pont Alexandre III, et commençai à me sentir vraiment<br />

mal. J’avais soit froid, soit très chaud. Je laissai tomber l’idée <strong>de</strong> me<br />

rendre plus à l’ouest et décidai <strong>de</strong> revenir sur mes pas, par la rive<br />

gauche. À peu près à la hauteur du palais Bourbon, mes idées s’embrouillèrent.<br />

Il me semblait manquer quelque chose, comme si ma vie se<br />

passait ailleurs, alors que moi je me trouvais ici, sur mon vélo. Comme<br />

une impression fugace d’absence, ou celle troublante <strong>de</strong> ne pas vivre.<br />

Je me mis à accélérer, boulevard Saint-Germain, dans l’espoir<br />

déjà déçu <strong>de</strong> retrouver mon élan. Arrivée à la place aux célèbres cafés,<br />

l’angoisse assiégeait mon esprit, et le macaron Splendi<strong>de</strong> Café Nuit<br />

Blanche ne m’aida en rien. Les fantômes <strong>de</strong>s pages et <strong>de</strong>s idées partagées<br />

ici m’assaillaient. J’éclusais mon amertume. Je pris à gauche rue<br />

<strong>de</strong> l’Ancienne Comédie, puis bifurquai rue Dauphine; maintenant, je<br />

voulais rentrer.<br />

En roulant sur les quais je passai <strong>de</strong>vant le La Pérouse, je pensai à<br />

mes explorations du jour en me disant que si je savais, je ne sentais pas.<br />

Je mangeai le macaron Noix <strong>de</strong> Coco <strong>de</strong>s Mers du Sud en pensant aux<br />

îles du Pacifique vues par le célèbre navigateur.<br />

L’absurdité <strong>de</strong> ma déambulation me conduisit <strong>de</strong>vant le théâtre<br />

<strong>de</strong> la Huchette, où pour le coup, la blague, la rime et l’apparente disparité,<br />

j’en finissais avec le Caramel à la Fleur <strong>de</strong> Sel. Je me sentais à<br />

l’étroit dans moi, dans ma vie, dans cet horaire acharné à me cloîtrer en<br />

marge <strong>de</strong> mes aspirations. Je tournai rue du Chat-qui-pêche, claustrophobe.<br />

Il ne me restait qu’un macaron. La nuit était définitivement tombée<br />

sur la ville et sur mon être. Je n’avais qu’une envie, rentrer au plus<br />

vite, comme dans l’urgence. La ville vivante me faisait <strong>de</strong>venir spectre.<br />

Je traversai par le pont au Double, repassai <strong>de</strong>vant Notre-Dame où, plus<br />

tôt, je m’étais sentie conquérante. Je rentrais la tête basse. Devant l’Hôtel<br />

<strong>de</strong> Ville, je ne ralentis pas. Je m’engouffrai aussitôt rue du Renard,<br />

qui plus loin s’appellerait Beaubourg. Je tournai sur <strong>de</strong> Montmorency,<br />

j’entrai dans la cour déserte et, désemparée, je larguai mon vélo parmi<br />

les buissons.<br />

En pénétrant dans ma cuisine, convertie en atelier <strong>de</strong> frimeuse,<br />

j’avais les larmes aux yeux. Je ne vivais rien. Je regardai mes manuscrits,<br />

éparpillés comme ma journée, comme ma vie. J’avais été plus<br />

terrible qu’une touriste: ce n’est pas ainsi que se vivait cette ville. Pas<br />

un mot, je n’avais rien dit aux gens, lié aucun contact. J’avais parcouru<br />

un livre d’histoire, transformé <strong>de</strong>s quartiers entiers en musée et <strong>de</strong>s<br />

gens par centaines en statues <strong>de</strong> cire. Les vrais détails m’étaient restés<br />

invisibles. Je gaspillais un rêve, j’en faisais une spirale disgracieuse,<br />

<strong>de</strong>scente vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sens. J’aurais pu ressentir l’unicité <strong>de</strong>s atmosphères; je<br />

n’avais fait que collectionner <strong>de</strong>s données. J’avais peut-être encore travaillé?<br />

(comme... comme au bureau?). Demain déjà, je re<strong>de</strong>viendrais<br />

une noyée au cœur du métro bondé. Peut-on vivre <strong>de</strong> rêves seulement?<br />

À peine fut-il dans ma bouche que je vomis le macaron au Chocolat<br />

d’Hiers Amers, dans une flaque multicolore.<br />

Penchée au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la cuvette <strong>de</strong>s toilettes, je suis laminée. La<br />

fièvre ajoute <strong>de</strong>s perles sur mon front à celles que la honte fait couler<br />

sur mes joues. Je contemple au fond du réceptacle le résultat <strong>de</strong> ma<br />

journée et peut-être <strong>de</strong> ma vie. Ces couleurs sont ce qu’il en reste.<br />

Vivre ici et être emplie d’une telle vacuité, est-ce possible? Voilà le<br />

choc <strong>de</strong> me l’être tant jouée... J’atteins mon point Godwin : je me vois<br />

artiste ratée dictatrice <strong>de</strong> bureau... je tremble dans une autre salve<br />

amère. Un ramassis <strong>de</strong> dates, <strong>de</strong> lieux, est-ce vraiment cela, la Ville<br />

Lumière? Pourtant, c’est bien ainsi que je l’avais résumé l’espace d’une<br />

soirée. Il ne suffit pas d’habiter une ville pour y vivre. Il faut savoir


prendre son temps, perdre son temps, doucement pour la goûter si on<br />

veut pleinement en connaître toutes les saveurs. Et <strong>de</strong>main?<br />

Demain je prendrai congé. Demain je déjeunerai dans un café <strong>de</strong><br />

mon quartier, je me créerai une habitu<strong>de</strong>, je discuterai avec mon voisin<br />

<strong>de</strong> table. Je marcherai, pas trop loin, tout le matin. Je caresserai le chien<br />

<strong>de</strong>vant Beaubourg et parlerai à son propriétaire. Je ne renoncerai pas à<br />

l’art; j’irai sur le terrain, dans les tranchées <strong>de</strong>s ateliers du Faubourg<br />

Saint-Antoine, là où le futur se crée, puis je prendrai un abonnement<br />

pour <strong>de</strong>s soirées muséales. J’écouterai, je serai humble. Demain, si par<br />

faiblesse je pousse plus loin, je m’assiérai au Luxembourg, ou au parc<br />

<strong>de</strong> Belleville et je regar<strong>de</strong>rai la course du soleil dans le ciel. J’entamerai<br />

une discussion avec ce jeune homme qui lira nonchalamment le journal.<br />

En rentrant, j’ai<strong>de</strong>rai ce couple <strong>de</strong> Japonais, perdu avec leur anglais<br />

rudimentaire, dans les menus français. Et là, le cœur calme, je prendrai<br />

place à une table pour regar<strong>de</strong>r défiler les passants. Sur une feuille,<br />

j’écrirai, comme une tentative, leur histoire en une phrase toute simple,<br />

sans prétention. Je me lèverai et, dans les rues, je soutiendrai les regards,<br />

un sourire dans les yeux...<br />

Casa straniera<br />

AMÉLIE DEMERS<br />

Sogno colimaçon<br />

Où coquelicot en bouche<br />

Tomate à la narine<br />

Abreuvent la botte italienne<br />

Mama pimentée<br />

Caresse les cal<strong>de</strong>rones<br />

Qui fument la tendresse<br />

Sur poêle prezzemolo<br />

Langue incollare<br />

Colle au duvet hérissé<br />

Des sources du Tibre<br />

Gelées dans la polvere nordique<br />

Fierté grille au front<br />

Bandiera tricolore<br />

Savoure<br />

La familia fleur <strong>de</strong> lys


Draisienne mo<strong>de</strong>rne<br />

Torna<strong>de</strong> tricotée sans fils<br />

Dans le palais orangé <strong>de</strong> smog<br />

Qui vibre <strong>de</strong> vapeur sèche<br />

Bicyclette pulpe le sol<br />

Gorgée <strong>de</strong> sève bétonnière<br />

Où le guidon cherche la voie lactée<br />

La pédale horloge<br />

Gravite sous les aiguilles urbaines<br />

Des racines du chrono sanguin<br />

L’accélération tressée<br />

De la chaîne ferrée<br />

Propulse grain <strong>de</strong> sel<br />

À nager dans la poivrière<br />

Promena<strong>de</strong> spatiale<br />

Où fille <strong>de</strong> joie<br />

Enfourche la ville soleil<br />

CLOÉ DECELLES<br />

Malgré son retard, elle avait refusé les offres <strong>de</strong> se faire conduire<br />

à <strong>de</strong>stination, jugeant la chaleur artificielle <strong>de</strong>s voitures trop étouffante.<br />

Le froid hivernal avait l'avantage <strong>de</strong> la tenir éveillée et <strong>de</strong> lui gar<strong>de</strong>r les<br />

idées claires.<br />

Et puis, elle aimait la neige.<br />

Elle s'était donc emmitouflée dans son manteau, un épais foulard<br />

<strong>de</strong> laine rouge autour <strong>de</strong> son cou, ses mains bien au chaud dans ses<br />

poches, et était partie à pied.<br />

La neige blanche et le vent glacial lui faisaient plaisir. Cette température<br />

lui donnait envie <strong>de</strong> prendre son temps. Malgré sa hâte, malgré<br />

son désir gourmand à la pensée <strong>de</strong>s <strong>de</strong>sserts qui l'attendaient, elle ne<br />

pouvait s'empêcher <strong>de</strong> marcher avec nonchalance, le visage tourné vers<br />

le ciel pour que s'y posent quelques flocons. Elle savoura leur fraîcheur<br />

comme on savoure les rayons du soleil lors d'une journée <strong>de</strong> printemps.<br />

La lueur <strong>de</strong> la lune, flouée par quelques nuages qui passaient par là,<br />

attira son regard vers le ciel. Au travers du léger brouillard gris, elle<br />

pouvait apercevoir quelques étoiles qui luisaient doucement. Elle se<br />

surprit à ralentir le pas, contemplant avec envie ces lumières qui décoraient<br />

joliment le ciel.<br />

Au loin se <strong>de</strong>ssinaient déjà les silhouettes <strong>de</strong>s maisons, leurs fenêtres<br />

éclairant la nuit telles <strong>de</strong>s phares en plein désert. Ses yeux se détournèrent<br />

<strong>de</strong> ces lumières faussement invitantes pour balayer le sol<br />

scintillant <strong>de</strong> mille flocons givrés. Ses pas la conduisirent sur un chemin,<br />

inhabité, inexploré. La lueur <strong>de</strong>s étoiles se reflétant sur la lan<strong>de</strong> lui<br />

suffisait comme gui<strong>de</strong>. Suivant cette tempête <strong>de</strong> flocons qui la dirigeait<br />

tendrement à travers les bosquets, elle rêva un instant <strong>de</strong> cet univers<br />

intemporel qu'elle ne voulait plus quitter. Telle une biche à pas légers,<br />

elle s'aventura un peu plus loin, entre les conifères, ces arbres-gardiens<br />

qu'elle caressa amoureusement du regard. Ce qu'elle aurait donné pour<br />

appartenir à ce mon<strong>de</strong>, pour qu’il la fige dans le temps comme elle<br />

l'avait fait, momentanément, avec la vie.


Le tendre froid <strong>de</strong> la brise sur sa joue lui donna <strong>de</strong>s frissons: elle<br />

ne se lassait pas <strong>de</strong> ces sensations. Le cœur lourd à l'idée <strong>de</strong> quitter la<br />

nuit froi<strong>de</strong> au profit <strong>de</strong> la chaleur démesurée <strong>de</strong>s siens, elle décida <strong>de</strong><br />

prendre un moment afin <strong>de</strong> profiter du ciel qui s'éclaircissait peu à peu.<br />

D'un mouvement, elle se laissa tomber sur l'épaisse couche moelleuse et<br />

s'étendit <strong>de</strong> tout son long dans la neige. Peu lui importait que le froid<br />

s'incruste par son collet, elle était déjà ailleurs.<br />

Elle s'imagina virevolter avec les bourrasques, nager dans le ciel<br />

en compagnie <strong>de</strong>s flocons, rejoindre la lune et observer la terre du haut<br />

<strong>de</strong>s étoiles. Elle caressa du bout <strong>de</strong>s doigts le firmament étoilé, son cœur<br />

chaleureux appelant à lui la froi<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s astres.<br />

Elle ferma les yeux, ivre <strong>de</strong> cette sérénité, mêlée à une excitation<br />

sans bornes, qui disparaissaient au même rythme que la chaleur <strong>de</strong> son<br />

corps. Elle ferma les yeux.<br />

MAXIME LEMIRE<br />

Jocelyn Bernard est une créature d'habitu<strong>de</strong>s. Au café, où il vit<br />

presque <strong>de</strong>puis les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années, il comman<strong>de</strong> toujours la<br />

même chose, son breuvage favori, un cococcino au lait <strong>de</strong> soya. Mais<br />

aujourd'hui, c'est dimanche et quelque chose ne va pas. La nouvelle serveuse<br />

en poste a oublié le lait <strong>de</strong> soya. Ce n'est pas qu'il n'aime pas le<br />

lait <strong>de</strong> vache; celui <strong>de</strong> soya est juste meilleur au goût et pour la santé.<br />

C'est toujours la même chose. D'abord, il arrive, dépose son porte<br />

-documents sur une table libre, et va ensuite à la caisse. Il n’a habituellement<br />

même pas besoin <strong>de</strong> passer sa comman<strong>de</strong>. Les serveuses, qu'il<br />

connaît toutes par leur prénom, savent déjà <strong>de</strong>puis longtemps qu'il boit<br />

toujours la même chose. Jocelyn se contente donc <strong>de</strong> sortir les six dollars<br />

que coûte, pourboire inclus, le cococcino. Il n’oublie jamais, non<br />

plus, <strong>de</strong> donner sa carte <strong>de</strong> points qui lui vaudront éventuellement un<br />

breuvage gratuit, quand il aura sept estampes. Jocelyn les accumule plus<br />

par pure habitu<strong>de</strong> que dans le but <strong>de</strong> sauver six dollars. Pour lui, recevoir<br />

ces étampes est simplement une partie du rituel. Le plus souvent, il<br />

oublie d’encaisser ses breuvages gratuits et finit par simplement perdre<br />

ses cartes. En attendant que sa boisson soit prête, il discute <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong><br />

rien avec la serveuse. Son cococcino en main, il retourne finalement<br />

s'asseoir et pratique une <strong>de</strong>s trois activités suivantes: écouter un film sur<br />

son portable, lire un livre, ou, s'il se sent l'esprit créateur, ajouter<br />

quelques lignes à son projet littéraire qui s'étire <strong>de</strong>puis maintenant trop<br />

longtemps.<br />

Mais aujourd'hui, c'est dimanche et quelque chose ne va pas. La<br />

nouvelle en poste ce soir a oublié le lait <strong>de</strong> soya. Normalement, Jocelyn<br />

serait agacé, mais la vérité c'est qu'il la trouve plutôt attirante. Il s’agit<br />

d’une rareté pour lui <strong>de</strong> tomber sous le charme d'une employée d'un lieu<br />

qu'il fréquente couramment. Sa routine est bien trop importante pour<br />

qu'il la mette en danger en y incluant <strong>de</strong> la romance. Le désir est<br />

égoïste. Il se moque <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s gens. Il n'a pas <strong>de</strong> place pour autre<br />

chose que lui-même. Jocelyn a tenté <strong>de</strong> lui adresser la parole à quelques<br />

reprises, mais leurs discussions n'ont jamais dépassé les limites <strong>de</strong> la<br />

cordialité.


En fait, ce soir, il a décidé d'abandonner le projet. L'anxiété, causée<br />

par ce désir <strong>de</strong> romance inassouvi, nuit à son rythme <strong>de</strong> vie et c'est<br />

quelque chose qu'il ne peut tolérer. Jocelyn est tiré <strong>de</strong> ses pensées par<br />

une musique <strong>de</strong> générique. Diverti par ses pensées, il en a oublié le film<br />

qu'il écoutait à moitié. Il en profite pour regar<strong>de</strong>r autour <strong>de</strong> lui. Le café<br />

est plutôt vi<strong>de</strong> ce soir. C'est souvent le cas le dimanche. Il ne se souvient<br />

plus si c'est pour cette raison que le café ferme à neuf heures et<br />

non à dix comme le reste <strong>de</strong> la semaine. C'est peut-être aussi l'inverse.<br />

Les clients sont moins nombreux, car, justement, le café ferme plus tôt.<br />

Peu importe. Ils ne sont présentement que trois: la caissière, lui-même<br />

et un autre client. Il n'avait pas encore pris la peine <strong>de</strong> bien regar<strong>de</strong>r<br />

celui-ci. Il se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> maintenant comment il a fait pour ne pas le remarquer<br />

avant.<br />

L'homme en question aurait été plus à sa place dans un bar vers<br />

l'heure du dîner, que dans un café un dimanche soir. Il a le teint foncé<br />

<strong>de</strong> ces gens qui, n'ayant pas <strong>de</strong> foyer, passent beaucoup trop <strong>de</strong> temps<br />

au soleil. Malgré la chaleur qu'il fait à l'intérieur du café, il porte encore<br />

son manteau et gar<strong>de</strong> son capuchon relevé. Il a aussi ce regard froid<br />

qu'ont souvent les gens malheureux. Ce regard qui impose <strong>de</strong> baisser les<br />

yeux lorsqu'on le croise. Cet étranger semble rendre la caissière mal à<br />

l’aise, et avec raison. Depuis que Jocelyn a remarqué sa présence,<br />

l’étranger n'a pas cessé <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r la caisse enregistreuse. Quand les<br />

yeux <strong>de</strong> Jocelyn croisent ceux <strong>de</strong> la serveuse, il peut clairement y voir<br />

<strong>de</strong> la détresse. Silencieusement, elle l'appelle à l'ai<strong>de</strong>.<br />

Il regar<strong>de</strong> avec un peu <strong>de</strong> dégoût ce qui reste <strong>de</strong> son cococcino<br />

sans lait <strong>de</strong> soya, et se lève pour se diriger vers la caisse et remplir son<br />

verre d'eau. Une fois à proximité, il lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à voix basse si elle<br />

aimerait qu'il reste jusqu'à la fermeture. Visiblement rassurée, elle accepte<br />

tout <strong>de</strong> suite. Elle sourit. Elle est si belle. Jocelyn se félicite intérieurement.<br />

Il tente d'établir la conversation, mais est trop nerveux. Décidément,<br />

tout va <strong>de</strong> travers aujourd’hui.<br />

L'autre n'a pas bougé. Il a un journal à portée <strong>de</strong> main, mais n'y a<br />

pas encore touché. Il est huit heures, la soirée est presque terminée. Jocelyn<br />

envisage <strong>de</strong> commencer un autre film, mais rejette l'idée: il n'aurait<br />

pas le temps <strong>de</strong> le terminer en une heure. Il laisse donc, contrairement<br />

à ses habitu<strong>de</strong>s, libre cours à son imagination et visionne différents<br />

scénarios possibles. Il imagine ce qu'il ferait si l'homme sortait<br />

une arme à feu, se voit sortir victorieux d’un combat contre ce mala<strong>de</strong><br />

armé d'un couteau, s'imagine gravement blessé, couché sur les cuisses<br />

<strong>de</strong> la jolie jeune femme alors qu'elle tente <strong>de</strong> le rassurer, lui dit qu'il va<br />

s'en sortir. Ce serait une mort poétique. Il fantasme <strong>de</strong> se retrouver dans<br />

une chambre d'hôpital alors que ses proches le traitent en héros et que<br />

la caissière, <strong>de</strong>venue éperdument amoureuse <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>meure constamment<br />

à son chevet. Il rêve <strong>de</strong> mariage et d'enfants.<br />

Les minutes passent lentement. Il se laisse aller à ses songes romantiques<br />

à s'en faire vomir. L'anticipation commence à se mélanger<br />

peu à peu à l'appréhension. Le romantique en lui désire ar<strong>de</strong>mment que<br />

l'étranger tente quelque chose, alors que la partie logique <strong>de</strong> son esprit<br />

est absolument terrifiée à cette perspective. À huit heures trente, il a<br />

presque un arrêt cardiaque, quand l'étranger se lève pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un<br />

<strong>de</strong>uxième café. Il passe près <strong>de</strong> se lever lui aussi, juste pour se donner<br />

un meilleur temps <strong>de</strong> réaction. Il peut voir la serveuse tenter <strong>de</strong> dissimuler<br />

son angoisse alors qu'il s'approche du comptoir. Les quelques<br />

minutes que prend l'échange semblent durer une éternité. Finalement,<br />

l’homme retourne s'asseoir sans qu'il n'y ait eu d'inci<strong>de</strong>nt. Jocelyn peut<br />

clairement voir la jeune femme pousser un soupir <strong>de</strong> soulagement. Luimême<br />

avait inconsciemment contracté tous ses muscles. Il se calme; ce<br />

n'est pas son genre d'être tendu <strong>de</strong> la sorte. Il met fin à ses rêveries, il ne<br />

peut se permettre <strong>de</strong> perdre son calme, s'il veut que les choses prennent<br />

la tournure qu'il désire. Il feint d'ouvrir le cahier où il dépose habituellement<br />

ses écrits. Il trouve une page blanche et fait mine <strong>de</strong> réfléchir à<br />

quelque chose à y écrire. À sa plus gran<strong>de</strong> surprise, l’inspiration lui<br />

vient. Pour la première fois <strong>de</strong>puis longtemps, il se voit capable d’enligner<br />

les phrases <strong>de</strong> façon ininterrompue. Non, vraiment rien n’est<br />

comme d’habitu<strong>de</strong>…<br />

Il termine son verre d'eau et regar<strong>de</strong> ce qu'il reste <strong>de</strong> son cococcino<br />

sans soya. Il doit maintenant être froid, et pourtant, il ne peut se convaincre<br />

<strong>de</strong> le jeter. Il attrape la tasse et fait tourner le liqui<strong>de</strong>. Il en<br />

prend une gorgée et fait une grimace au goût du lait normal maintenant<br />

tiè<strong>de</strong>. La serveuse le voit. Elle lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si quelque chose ne va pas<br />

avec son café. Il ment. Il lui répond qu'il est juste froid, alors que,<br />

même froid, il aime le goût d'un cococcino bien fait. À quoi bon lui dire<br />

la vérité maintenant, le mal est déjà fait. Il finit lentement son breuvage.<br />

Chaque gorgée est plus amère que la précé<strong>de</strong>nte.


À neuf heures, la serveuse va voir l'étranger pour lui dire que le<br />

café ferme ses portes. Jocelyn se lève et fait mine <strong>de</strong> ramasser ses possessions.<br />

Au plus grand soulagement <strong>de</strong> la caissière, l'homme ne rouspète<br />

pas et quitte simplement le café en lui souhaitant une bonne soirée.<br />

Elle verrouille la porte <strong>de</strong>rrière lui. Elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ensuite à Jocelyn s'il<br />

veut bien l'accompagner jusqu'à sa voiture: elle craint qu'il ne l'atten<strong>de</strong><br />

dans le stationnement arrière où sa voiture est garée. Il sourit et accepte.<br />

Il sort en premier pour vérifier qu'il n'y a personne <strong>de</strong>hors.<br />

Comme il s'en doutait, il n'y a pas âme qui vive. Jocelyn l'attend ensuite<br />

dans le vestibule arrière alors qu’elle enclenche l'alarme. Elle le remercie<br />

encore <strong>de</strong> lui avoir tenu compagnie. Il se contente <strong>de</strong> sourire, <strong>de</strong> lui<br />

dire que ce n'est rien, qu'il est content d'avoir pu la rassurer. Elle le dépasse<br />

pour déverrouiller la porte <strong>de</strong> sa voiture. Il admire la séduisante<br />

courbe <strong>de</strong> sa nuque, prend le temps d'apprécier sa beauté. Elle ouvre sa<br />

porte. Commence à se retourner. Il ne lui en laisse pas le temps. Si seulement<br />

elle n'avait pas oublié le soya.<br />

vermines grouillantes<br />

en <strong>de</strong>s veines usées<br />

fuyantes<br />

six pieds sous chair<br />

monticules seins<br />

Mont<br />

Royal<br />

aux allures <strong>de</strong> sexe<br />

luxuriant<br />

Saint Érection,<br />

levé cime bras croisés<br />

tes jambes<br />

cuisses cuisantes<br />

ouvertes toujours<br />

ALEXANDRA BOURQUE<br />

Le pavé ridé<br />

<strong>de</strong> ton visage<br />

marbre terni<br />

lèvres gercées,<br />

crevasses béantes <strong>de</strong>


pour ce<br />

vers<br />

Laurent.<br />

Au coin <strong>de</strong>s ailes se heurtent<br />

tout ça pour quelques miettes.<br />

Les hommes atten<strong>de</strong>nt<br />

patiemment<br />

à ton banc<br />

et toi,<br />

sale sur le sol<br />

à picorer <strong>de</strong>s yeux doux<br />

roucouler tes avances<br />

flanc découvert<br />

C’est ça Catherine<br />

poitrine ron<strong>de</strong> et fière<br />

Pour ne jamais t’envoler.<br />

Avale ta pitance.<br />

Abaisse-toi<br />

s’arrachent, se meurent<br />

Toujours<br />

minable Catherine<br />

L’infrangible ritournelle<br />

<strong>de</strong> la ville aux camélias<br />

sans trop savoir pourquoi<br />

épousent.<br />

Un éclat akène,<br />

porté à souffle cigarette,<br />

que tous<br />

germe<br />

une rose en plein asphalte.<br />

malgré<br />

tout


ALEXANDRA TURMEL<br />

Colin était en train <strong>de</strong> nourrir Pouliche avec quelques quartiers<br />

d'orange (ses fruits préférés) quand une voiture arriva près du kiosque,<br />

créant un énorme nuage <strong>de</strong> poussière. La journée avait été chau<strong>de</strong> et<br />

sèche, mais au moins elle tirait à sa fin. Pouliche se mit à japper sans<br />

retenue, s'élançant vers ce qui la dérangeait, le monsieur <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong><br />

son pick-up. Il avait une grosse moustache grise avec le bord jauni par<br />

la cigarette et <strong>de</strong>s bottes <strong>de</strong> cowboy usées. « Pouliche! » cria Colin en<br />

l'attrapant par le collier trop lousse qu'elle portait. L'homme continuait<br />

d'avancer vers le grand kiosque <strong>de</strong> fruits et légumes, ses pas lourds et<br />

longs. Le chien, un joli mélange entre un labrador et un rottweiler, continua<br />

<strong>de</strong> japper à quelques reprises jusqu'à ce que Colin ferme la porte<br />

du kiosque <strong>de</strong>rrière lui et lui dise encore <strong>de</strong> se taire. Elle répondit avec<br />

un léger grognement; elle avait décidé qu'elle n'aimait pas ce client.<br />

- Est-ce que vous avez <strong>de</strong>s fruits du dragon? C'est un fruit qui vient<br />

d'une sorte <strong>de</strong> cactus...<br />

- Oui, je sais ce que sont <strong>de</strong>s pitayas. Mais non, on n'en a pas, ce n'est<br />

pas la bonne saison.<br />

- Oh, OK, pas grave. Ma fille en voulait, mais on va faire sans.<br />

Colin acquiesça et Pouliche brisa le court silence en continuant <strong>de</strong><br />

grogner. L'homme regarda le chien longuement, le fixant dans les yeux.<br />

Pouliche n'est pas mauvaise, habituellement. Elle est douce avec tout le<br />

mon<strong>de</strong>, mais très excitée. Certaines personnes en ont peur à cause <strong>de</strong> la<br />

réputation que les chiens rottweiler ont aujourd'hui.<br />

- Mais on a d'autres fruits et légumes, si vous voulez! Des abricots, <strong>de</strong>s<br />

mûres, <strong>de</strong>s fèves, <strong>de</strong>s quetsches, <strong>de</strong>s figues, <strong>de</strong>s groseilles, <strong>de</strong>s poires,<br />

prunes, pêches, framboises, <strong>de</strong>s tomates aussi, ou <strong>de</strong>s aubergines, du<br />

basilic, <strong>de</strong> la betterave, du chou <strong>de</strong> Bruxelles, du fenouil, du panais, du<br />

cresson... On a reçu le fenouil la semaine passée pour la première fois.<br />

C'est un incontournable avec le poisson, vous savez.<br />

- Du calme, petit! Tu as une passion pour les légumes, toi. Je vais seulement<br />

prendre quelques tomates et concombres. Peut-être un bulbe <strong>de</strong><br />

fenouil, aussi.<br />

Il est vrai que Colin avait un certain penchant pour les fruits et<br />

légumes. Ayant grandi sur une ferme agricole, il a vu pousser toutes<br />

sortes <strong>de</strong> nourriture. Colin s'est rapi<strong>de</strong>ment fasciné pour ceux-ci, et dès<br />

qu'il a eu l'âge <strong>de</strong> pouvoir tenir <strong>de</strong> l'argent et une caisse, il s'est fait un<br />

plaisir d'offrir son ai<strong>de</strong> à ses parents pour le kiosque. D'ailleurs, il se<br />

rend au marché Jean-Talon à Montréal chaque semaine pour aller chercher<br />

certains produits qui ne poussent pas sur la ferme familiale. Sentir<br />

l'o<strong>de</strong>ur fraîche <strong>de</strong>s fruits et légumes et découvrir <strong>de</strong> nouvelles choses,<br />

<strong>de</strong> nouveaux produits à chaque visite sont pour lui <strong>de</strong>s activités bien<br />

plus excitantes que <strong>de</strong> jouer à Call of Duty à longueur <strong>de</strong> journée,<br />

comme la plupart <strong>de</strong>s garçons <strong>de</strong> quinze ans. Bien sûr, s'ajoute à cette<br />

liste sa chienne, Pouliche, qu'il a eue il y a presque sept ans déjà. Colin<br />

ne cesse <strong>de</strong> raconter aux gens qu'elle a été nommée par sa petite soeur,<br />

mais ses parents ne manquent jamais <strong>de</strong> lui rappeler qu'il en est l'auteur.<br />

Apparemment, Colin aimait jouer avec les jouets <strong>de</strong> sa soeur lorsqu'il<br />

était petit. En particulier avec les chevaux et pouliches <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière.<br />

Colin exécuta la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du client, déposa les quelques légumes<br />

dans <strong>de</strong>s sacs <strong>de</strong> papier recyclé bruns et le fit payer. Il sentait ses joues,<br />

creuses <strong>de</strong> nature, <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> plus en plus rouges. Il s'était emporté avec<br />

ses fruits et légumes, une fois <strong>de</strong> plus. Il ne pouvait pas comprendre<br />

pourquoi certaines personnes se foutaient <strong>de</strong>s fruits et légumes, alors<br />

que ce sont <strong>de</strong>s aliments si importants pour l'humain. Pouliche grognait<br />

encore <strong>de</strong> temps à autre, jusqu'à ce que le monsieur avec sa barbe jaunie<br />

fut embarqué <strong>de</strong>rrière son volant. Et prêt à décoller.<br />

* * *


Colin ferma les paravents du kiosque en soupirant, car la journée<br />

n’allait pas être très rentable pour ses parents. Il était aussi fâché contre<br />

Pouliche. En plus d'avoir volé quelques produits sur le bord <strong>de</strong>s comptoirs<br />

du kiosque, elle avait fait peur à une petite fille en sautant et jappant.<br />

Elle voulait jouer, évi<strong>de</strong>mment. Elle a beau être âgée <strong>de</strong> sept ans,<br />

cette chienne a encore le cœur d'un chiot. La mère <strong>de</strong> Colin vint le rejoindre,<br />

la mine basse.<br />

- Colin... Ton chien a encore fait peur à quelqu'un. Les parents <strong>de</strong> la<br />

jeune fille étaient très fâchés.<br />

- Je sais. Mais Pouliche ne voulait que jouer!<br />

- Les parents voulaient presque nous poursuivre! Ils pourraient faire<br />

fermer le kiosque. Et tu sais que ce n'est pas la première fois que ça arrive.<br />

- Maman, Pouliche n'est pas un mauvais chien.<br />

- Et elle n'a pas sa place ici, sur les terres agricoles. Je pense qu'elle serait<br />

mieux dans une place plus tranquille, plus réservée. Elle vieillit et<br />

aura moins <strong>de</strong> patience, bientôt.<br />

- Qu'est-ce que tu veux dire?<br />

- Ton père et moi avons trouvé quelqu'un pour accueillir Pouliche chez<br />

lui. Il veut un chien et je sais que...<br />

- Non! Maman, pas ça! Tu ne peux pas envoyer Pouliche.<br />

- C'est un ami <strong>de</strong> ton cousin David qui va la prendre. Elle va être bien là<br />

et tu vas pouvoir aller la visiter.<br />

* * *<br />

Bien évi<strong>de</strong>mment, Colin n'a pas été voir Pouliche bien souvent à<br />

sa nouvelle maison qui était bien trop loin pour y marcher. Il avait hâte<br />

d'avoir son permis <strong>de</strong> conduire pour s'y rendre lui-même. Sa mère avait<br />

beau s'excuser, lui dire qu'elle manquait <strong>de</strong> temps et qu'elle aurait voulu<br />

que ça se passe autrement, Colin allait toujours l'avoir sur le cœur. Lui<br />

qui n'avait jamais eu vraiment d'amis, Pouliche était bien la seule qui<br />

l'avait accepté dès le départ. Il aimait partager <strong>de</strong>s oranges avec elle.<br />

Quel autre chien pouvait baver <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s fruits, il se le <strong>de</strong>mandait<br />

bien. Les quelques chats sur la ferme étaient bien aussi, mais il ne les<br />

appréciait pas autant que sa chienne. Suite à ça, Colin laissa un peu<br />

tomber sa passion pour les fruits et légumes. Il n'allait plus au marché<br />

Jean-Talon et ne travaillait au kiosque que lorsqu'il était obligé. Call of<br />

Duty n'était pas si mal, finalement.<br />

Quelques mois avaient passé <strong>de</strong>puis le départ <strong>de</strong> Pouliche, et Colin<br />

commençait à l'accepter un peu plus. Jusqu'à ce que sa mère lui apprenne<br />

qu'elle n'était plus chez Francis, l'ami <strong>de</strong> son cousin. « Il est arrivé<br />

quelque chose avec Pouliche, Colin » lui avait-elle dit, doucement.<br />

Elle lui raconta qu'elle avait fait peur à un enfant, encore, et que son<br />

nouveau maître (il avait détesté cette expression) s'était fâché contre<br />

elle et l'avait envoyée quelque part. Sa mère ne lui avait pas précisé les<br />

détails, mais cela insinuait que Pouliche était maintenant seule, probablement<br />

morte. Colin, qui avait refusé <strong>de</strong> pleurer <strong>de</strong>puis son départ, ne<br />

put s'empêcher d'aller se cacher dans sa chambre quelques jours. Il savait<br />

ce que les autres diraient: c'est seulement un chien, c'est bébé <strong>de</strong><br />

pleurer pour ça, les garçons <strong>de</strong> seize ans ne pleurent pas pour un<br />

chien... Mais il était impossible <strong>de</strong> faire autrement pour <strong>de</strong>ux ou trois<br />

jours. Après tout, il avait grandi avec ce chien.<br />

C'est seulement plus tard qu'il apprit la vérité sur l'inci<strong>de</strong>nt avec<br />

Pouliche. David était venu s'excuser auprès <strong>de</strong> Colin et sa famille. Ce<br />

qui s'est réellement passé, c'est que ce gars, ce nouveau maître, qui <strong>de</strong>vait<br />

s'occuper <strong>de</strong> sa chienne, s'était absenté plusieurs jours, laissant<br />

Pouliche seule au bout d'une laisse. Elle était d'ailleurs rarement libre<br />

<strong>de</strong>puis qu'elle était là-bas. La mère <strong>de</strong> Colin ne voulait pas l'avouer,<br />

mais elle n'avait pas choisi la bonne personne. Elle aurait dû prendre<br />

plus <strong>de</strong> temps pour y penser et s'en voulait aujourd'hui. Pouliche avait<br />

été laissée seule pendant presque quatre jours, attachée à un arbre près<br />

<strong>de</strong> la maison dans un coin tranquille. Au bout <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux premiers jours,<br />

son bol d'eau était complètement sec, son bol <strong>de</strong> moulée vi<strong>de</strong>, mais personne<br />

ne vint la nourrir. L'expression vivre une vraie vie <strong>de</strong> chien avait<br />

pris tout son sens. Soit Francis avait oublié <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à quelqu'un <strong>de</strong><br />

s'en occuper pendant son absence, soit il s'en foutait. Colin avait opté<br />

pour la <strong>de</strong>uxième idée. Pouliche était fatiguée et avait faim la journée<br />

où un groupe <strong>de</strong> jeunes d'environ dix à douze ans passait dans le coin<br />

avec leurs vélos et skateboards.


Les jeunes avaient vu la chienne, qui semblait bien tranquille, et<br />

avaient chuchoté plusieurs choses avant <strong>de</strong> s'assurer qu'il n'y avait personne<br />

pour les voir faire. Ils avaient ramassé <strong>de</strong>s bâtons sur le bord <strong>de</strong> la<br />

rue et s'étaient approchés <strong>de</strong> Pouliche en ricanant, mais elle avait tout <strong>de</strong><br />

suite montré les <strong>de</strong>nts. Pouliche était une chienne intelligente et détestait<br />

voir quelqu'un lui montrer un bâton, à moins que ce n'était pour<br />

jouer. Une fois, la mère <strong>de</strong> Colin avait perdu patience, car Pouliche<br />

avait fait pipi dans la maison. Elle voulait lui faire peur avec le balai,<br />

mais ça a été la seule et unique fois. Depuis ce temps, Pouliche s'est<br />

toujours méfiée <strong>de</strong>s bâtons. Les enfants, mal élevés et emmerdés,<br />

s'étaient trop approchés du chien et la menaçaient, pour aucune raison<br />

valable. Quel passe-temps absur<strong>de</strong>. Elle s'était élancée en grognant, la<br />

queue droite <strong>de</strong>rrière elle. Elle n'est pas une mauvaise chienne, mais ses<br />

instincts <strong>de</strong> protection avaient pris le <strong>de</strong>ssus. Les enfants avaient crié<br />

alors qu'un d'eux ricanait en disant qu'il n'avait pas peur d'un chien au<br />

bout d'une laisse. C'est à ce moment que Pouliche courut jusqu'au bout<br />

<strong>de</strong> sa cor<strong>de</strong> et alla attraper le bas <strong>de</strong> pantalon du garçon encore en train<br />

<strong>de</strong> rire. Elle ne l'avait pas mordu, seulement sacré la frousse. Ils s'étaient<br />

tous enfuis rapi<strong>de</strong>ment, laissant même une planche à roulettes <strong>de</strong>rrière<br />

eux.<br />

Francis revint quelques heures plus tard avec une belle surprise :<br />

les parents <strong>de</strong>s enfants l'attendaient pour l'insulter. Il ne frappa pas une<br />

seule fois Pouliche, qui était couchée en petite boule <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong><br />

l'inci<strong>de</strong>nt, mais fit un seul appel. La nuit suivante, son ami et lui embarquèrent<br />

Pouliche dans la boîte <strong>de</strong> son petit camion Ford. Francis était<br />

dans la boîte avec le chien alors que son ami conduisait un peu trop rapi<strong>de</strong>ment<br />

pour les zones rési<strong>de</strong>ntielles. Ils se sont rendus dans un rang,<br />

loin <strong>de</strong>s témoins et <strong>de</strong>s voisins. Francis ordonna à son ami d'appuyer sur<br />

la pédale à gaz tandis qu'il poussa Pouliche en bas <strong>de</strong> la voiture, qui roulait<br />

maintenant à presque 90 km/h. « Elle a roulé une couple <strong>de</strong> fois sur<br />

elle-même avant <strong>de</strong> se relever! Elle est faite forte cette chienne-là! »<br />

Avait dit Francis à David en riant, fier <strong>de</strong> son coup. David se souvient<br />

<strong>de</strong> s'être gran<strong>de</strong>ment retenu pour ne pas frapper son ami. Cependant,<br />

leur amitié s'est arrêtée là.<br />

Colin jura qu'il ne <strong>de</strong>vait pas rencontrer ce Francis, sinon il pourrait<br />

faire quelque chose <strong>de</strong> bien pire qu'envoyer un coup <strong>de</strong> poing dans<br />

son visage. Il est difficile <strong>de</strong> s'imaginer comment <strong>de</strong>s gens peuvent être<br />

aussi cruels. Oui, elle avait presque mordu en enfant, mais n'importe<br />

quel chien affamé au bout d'une chaîne se serait fâché contre un enfant<br />

fatigant et têtu.<br />

* * *<br />

Colin était retourné travailler au kiosque <strong>de</strong> son plein gré en apprenant<br />

cette nouvelle. Savoir que Pouliche s'était relevée lui donnait<br />

espoir, mais ses parents ne voulaient pas voir leur fils avec <strong>de</strong> faux espoirs.<br />

Ils ne voyaient pas <strong>de</strong> fin heureuse à cette histoire. Colin se faisait<br />

tranquillement à l'idée que Pouliche était bel et bien partie. Il avait<br />

mis une photo d'elle sur son bureau et ne pouvait s’empêcher <strong>de</strong> penser<br />

à sa meilleure amie d'enfance en mangeant <strong>de</strong>s oranges. Cela ne faisait<br />

qu'une semaine qu'il savait la vérité, mais il avait l'impression que<br />

c'était arrivé il y a <strong>de</strong>s années.<br />

Colin revint du marché Jean-Talon avec sa mère; ils étaient partis<br />

chercher <strong>de</strong>s pitayas. La journée passa vite et Colin se <strong>de</strong>manda même<br />

si le monsieur avec la moustache jaune allait revenir pour acheter ses<br />

fruits du dragon. La pensée le fit sourire et il alla se coucher, déjà reposé<br />

avant <strong>de</strong> s'endormir. Il fut réveillé peu <strong>de</strong> temps après par sa mère<br />

qui lui disait d'aller nourrir ses chats qui grattaient la porte. Ces chats-là<br />

avaient l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> gratter jusqu'à ce qu'on aille leur ouvrir, il était<br />

impossible <strong>de</strong> dormir dans un tel vacarme. Colin soupira et alla chercher<br />

la poche <strong>de</strong> moulée pour chats. C'est vrai qu'il était quand même<br />

tôt pour aller se coucher, après tout il n'était que 22 h<br />

Colin ouvrit la porte, prêt à mettre son pied <strong>de</strong>vant l'entrée pour<br />

empêcher les chats <strong>de</strong> passer, quand il vit son amie, assise <strong>de</strong>vant lui.<br />

Pouliche était assise sur le balcon et le regardait en faisant aller sa<br />

queue. Un chat entra dans la maison, mais Colin n'en fit pas <strong>de</strong> cas. Il se<br />

<strong>de</strong>manda s'il était en train <strong>de</strong> rêver. Les yeux brillants, il s'élança sur<br />

son chien, mettant ses bras autour <strong>de</strong> son cou en criant son nom. On<br />

entendit sa mère soupirer; elle avait compris.<br />

Pouliche ne jappa plus jamais après un seul client du kiosque.


Bitume<br />

LAURENCE VINET<br />

Dans les flaques d’eau l’huile brouille mon visage et je me sens bien <strong>de</strong><br />

savoir que les apparences sont préservées j’imagine tes pas si forts sur<br />

le trottoir que c’est l’avalanche tombée du ciel grumeaux goudronneux<br />

qui collent aux pieds qui nous cloueraient au sol pour nous forcer à regar<strong>de</strong>r<br />

autour<br />

Rayons dans le gravier incrusté<br />

Se déposent sur la glace souillée<br />

Voilent les frissons<br />

Sculptent le bitume<br />

J’en vole<br />

Une goutte,<br />

Or timi<strong>de</strong>,<br />

Imprimée sur mes yeux<br />

Plastique<br />

I.<br />

Intrépi<strong>de</strong> personnage,<br />

Allumette noyée<br />

Pour le passant<br />

trop grand trop vieux trop tard<br />

Dégaine ta flamboyante épée<br />

Bois putri<strong>de</strong><br />

Gonfle les voiles<br />

Cellophane usagé<br />

De ta majestueuse flotte,<br />

Fais-toi draveur d’une cargaison <strong>de</strong> billots<br />

Cadavre <strong>de</strong> cigarette<br />

Puis casca<strong>de</strong>ur au parachute<br />

Toile plastique<br />

Minimaliste<br />

À l’heure <strong>de</strong> rentrer accroche-toi<br />

Agrippe la belle plume<br />

Plume <strong>de</strong> Quiscale<br />

Rêveur aux fenêtres <strong>de</strong>s songes volatiles.


Béton<br />

II.<br />

Neige funeste enclave<br />

Périme les jouets<br />

Décime leur sens<br />

Les empile en carcasses<br />

Ronge les couleurs<br />

Sabor<strong>de</strong> l’heure du jeu<br />

Le printemps a <strong>de</strong>s airs <strong>de</strong> sabotage<br />

Le facteur<br />

Qui délivre la chaîne <strong>de</strong>s mains<br />

Jusqu’aux boîtes<br />

Dépose <strong>de</strong>s cœurs<br />

Au fond d’oubliettes<br />

Le pavé béton claque<br />

Les secon<strong>de</strong>s en sursis<br />

La rue a licencié le dépanneur<br />

Avant le facteur obsolète<br />

Vitre<br />

Ta peau psyché me harasse<br />

Exaspère les apparences<br />

Lamine mes intérieurs<br />

Comme les tiens<br />

Me consume avec toi<br />

Me décarcasse en poussière<br />

De la gangrène toi<br />

Te fracasser<br />

Par temps <strong>de</strong> révolte<br />

Tu nous rappelles<br />

Qu’on ne sera jamais<br />

Mieux


VICKY LAPLANTE-BOTT<br />

Tes caresses en catimini<br />

Lorsque tu t’en veux d’être parti<br />

Au pas <strong>de</strong> presse, pas <strong>de</strong> presse<br />

Sur ma peau tendue<br />

Sur ma peau tortue<br />

Rabougrie<br />

Par le froid <strong>de</strong> ton attitu<strong>de</strong><br />

L’altitu<strong>de</strong><br />

D’un égo<br />

En altitu<strong>de</strong>, c’est l’écho<br />

Qui renvoie tes auriculaires<br />

Sur mes cheveux.<br />

Caresses<br />

Un polatouche<br />

Pas <strong>de</strong> touche<br />

Tu retenteras<br />

Le coup<br />

De main<br />

On ne m’y prendra pas trois fois.<br />

Jamais <strong>de</strong>ux.<br />

Sans toi.<br />

DAPHNÉE SAINT-MARTIN BROSSEAU<br />

C'est sûr que ça te gruge à l'intérieur. À l'extérieur, tout semble<br />

normal, peut-être à part tes yeux, trop grands ouverts. Même quand tu<br />

nous regar<strong>de</strong>s, le vert-gris <strong>de</strong> ton iris est ailleurs. Il réfléchit et s'embrouille.<br />

C'est le chaos dans ton esprit. Tu n'es plus le même. Une petite<br />

snife <strong>de</strong> « coke », puis on continue. Les médicaments ne font plus effet.<br />

Bonjour, c'est la psychose. Elle dit <strong>de</strong>s choses étranges. Elle agit <strong>de</strong><br />

façon inhabituelle et te met à dos <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>, t'isole. Cette folie<br />

continue d'empiéter sur notre lien. Elle t'enivre dans ce mon<strong>de</strong> que toi<br />

seul connais. Tous les discours sont possibles, car elle te contrôle complètement.<br />

Tu ne manges pas. Tu ne dors pas. Les gens t'observent, te<br />

veulent du mal. Tu ne parles plus, les autres pensent que tu es dérangé,<br />

mala<strong>de</strong>. Tu sais, cette maladie, la meilleure amie <strong>de</strong> la psychose. La<br />

cause <strong>de</strong> ta perte, qui se fait lentement, à petit feu. Ce délire qui ne peut<br />

s'empêcher <strong>de</strong> me faire souffrir, car tu n'es plus ce que tu étais. Ce mal<br />

avec qui j'adorerais me battre. Mais tout ça, c'est du vent. Si elle cognait<br />

à ma porte comme elle l'a fait dans ta tête,<br />

Je la saisirais. Je l'étranglerais. Je l'égorgerais.<br />

C'est la vie, nous dira-t-on.<br />

On doit faire avec.<br />

Faire avec la maladie, qui nous a formé une carapace. Avec laquelle<br />

on parle comme si c'était normal qu'elle soit ta moitié, ton âme<br />

sœur. Elle est la cause du regard <strong>de</strong>s gens sur toi. Ce n'est pas celui <strong>de</strong><br />

la pitié, mais plutôt celui du jugement. Ces salauds ne comprennent pas<br />

que ce n'est pas ta faute. Bien que l'ignorance soit leur seule excuse,<br />

dans ton cœur grandissant, tu me diras <strong>de</strong> leur pardonner. Mais leur<br />

méchanceté me tue. Elle me fait mal parce que tu ne t'en rends pas<br />

compte.<br />

Mais on doit faire avec.<br />

Avec elle.<br />

La schizophrénie


SARAH SOREL<br />

Puis, il y a cet individu dans ce café qui est peut-être maintenant<br />

quelqu’un d’autre, ou juste la même personne, qui tente d’être cet inconnu<br />

qui danse dangereusement avec la Mort. Je crois ? Je ne sais plus.<br />

Voyez-vous, il y a tout un questionnement que je me pose lorsque vient<br />

le moment d’écrire: c’est-à-dire commencer par se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si je préfère<br />

réfléchir ou créer. Il faut avouer que parfois l’un s’enchaîne dans<br />

l’autre. Je m’étourdis moi-même <strong>de</strong> toutes les possibilités qui s’offrent à<br />

moi, j’ai un pouvoir inconditionnel, je fais ce que je veux. Je <strong>de</strong>viens<br />

Dieu, Bouddha, Allah, je <strong>de</strong>viens quelqu’un d’autre, je m’élève, monte<br />

et grimpe les échelons <strong>de</strong> la société. Parfois, je tombe et je souffre, parfois<br />

je pleure, je ris, et il arrive même que j’oublie tout pour recommencer<br />

à zéro.<br />

Puis, vient le moment où je dois déci<strong>de</strong>r du sujet que j’abor<strong>de</strong>rai,<br />

<strong>de</strong> la façon que j’écrirai, si je préfère la première personne du singulier,<br />

ou bien la troisième, parfois même certains préféreront la <strong>de</strong>uxième.<br />

J’ouvre les portes <strong>de</strong> la perception, je laisse le mon<strong>de</strong> m’inspirer.<br />

Je déconstruis le réel, merci Kandinsky, au revoir Renoir. Je pars et<br />

j’écris cette femme au loin. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce que fait cette inconnue<br />

du haut <strong>de</strong> ses cinq pieds huit, bien sûr je dis un chiffre comme ça, mais<br />

elle pourrait tout aussi bien mesurer quatre pieds neufs, ou six pieds<br />

sept. En fait, je ne sais pas réellement si c’est une femme ou bien un<br />

homme, mais je sais qu’il adore le café, un vrai balzacien, il vient ici<br />

chaque jour. Il possè<strong>de</strong> la même routine, toujours le même mocha-javaextra-crème-fouettée,<br />

cela ajoute un peu <strong>de</strong> sucré dans sa vie monotone.<br />

Puis, vient le moment où je m’interroge sur ce que je suis en<br />

train <strong>de</strong> faire. Je dois avouer que je ne crée généralement pas pour raconter<br />

la vérité, mais il arrive régulièrement que la vérité me mente. Je<br />

ne dis pas ici que je crée pour mentir: au contraire, il arrive que je ne<br />

puisse vous dire moi-même si ce que je dis, ou ce que j’écris est réellement<br />

faux ou inexactement vrai. Cela est assez fâcheux et incommodant,<br />

néanmoins je dois dire qu’il arrive que ce ne le soit pas. Pas toujours.<br />

Puis, il arrive que je réfléchisse trop, comme lorsque je méditais<br />

sur cette personne et que j’en ai perdu le fil tant je pensais à ce<br />

qu’elle pouvait bien réfléchir. Par moments, cette inadvertance me rend<br />

très productive, mais il m’est déjà arrivé d’en venir à <strong>de</strong>s conclusions<br />

pas très concluantes. Bref, il était là et il buvait son café. Toujours avec<br />

la main droite, entre la table plus à gauche, et celle plus à droite. Il aime<br />

la routine, mais par chance, il a sa crème fouettée pour se surprendre lui<br />

-même. Mais reste qu’il a sa table, et son café, dans son petit village<br />

dans le nord <strong>de</strong> Trois-Rivières. En fait, il aime bien ce qu’il lui arrive<br />

chaque jour, il se sent bien. Non. Il se sentait bien. Maintenant, il lui<br />

arrive <strong>de</strong> déprimer, lorsque novembre arrive avec ses vents glaciaux et<br />

son ciel nu. Il réfléchit intensément sur sa vie <strong>de</strong> capitaliste mo<strong>de</strong>rne, à<br />

sa monotonie, à sa routine. Il regar<strong>de</strong> le visage <strong>de</strong>s gens et se dit qu’il<br />

n’est pas seul dans sa déprime, que Dieu, ou Bouddha ou Allah, ne leur<br />

ont laissé aucune chance. Il n’existe aucune échappatoire à cette vie,<br />

puisque j’en ai décidé ainsi.<br />

Puis, il y eut ce jour où il décida que la crème fouettée ne lui<br />

suffisait plus, ni la porno sur internet, et définitivement pas ces femmes<br />

à sept heures du matin sur Sainte-Cécile. Il y eut ce jour où il oublia <strong>de</strong><br />

se lever puisqu’il avait un peu trop écouté Taxi Driver la veille, et que<br />

j’ai arrêté <strong>de</strong> le voir dans son café, assis à la même table, buvant son<br />

mocha-java-extra-on-s’en-fou. Puisqu’il avait décidé que son existence<br />

<strong>de</strong>vait passer à un autre niveau et qu’il était maintenant temps <strong>de</strong> danser<br />

un peu plus avec la Mort. J’en avais le pouvoir.


DAPHNÉE ST-MARTIN BROSSEAU<br />

Sale chienne<br />

va te laver<br />

souris un peu<br />

ça te ferait pas <strong>de</strong> mal<br />

marche marche<br />

ça donne mal au cœur<br />

mais<br />

marche<br />

trop<br />

trop <strong>de</strong> visages<br />

<strong>de</strong> regards<br />

trop<br />

<strong>de</strong> temps<br />

tu pues<br />

anyway t'es lai<strong>de</strong><br />

en <strong>de</strong>dans en <strong>de</strong>hors<br />

marche marche<br />

ça donne mal au cœur<br />

mais<br />

marche<br />

Pause<br />

attend non<br />

Recule<br />

Avance juste<br />

un peu pour<br />

voir<br />

Tes yeux<br />

tes yeux <strong>de</strong> chienne <strong>de</strong><br />

sarcome<br />

le temps<br />

Arrête<br />

je peux plus<br />

arrête<br />

STOP


délices<br />

déboires<br />

love is all around?<br />

rapidité<br />

slow<br />

entre <strong>de</strong>ux<br />

shit<br />

ou<br />

paradise<br />

Bof, j'sais pas trop.<br />

ALEXANDRA BOURQUE<br />

« Ce que j’aimerais leur crever les yeux… » Déjà <strong>de</strong>ux interminables<br />

semaines à soutenir le regard, l’expression figée, statique, <strong>de</strong> ces<br />

créatures inertes, empêtrées <strong>de</strong> coquetteries et <strong>de</strong> parures et à la posture<br />

irréprochable, ferme et droite. De véritables ladies…<br />

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours détesté la collection<br />

privée <strong>de</strong> ma mère; elle m’effrayait, véritablement. Non pas à<br />

cause <strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s, ni même du célébrissime Chucky, mais plutôt, car<br />

j’y voyais une sorte <strong>de</strong> culte malsain, <strong>de</strong> fétichisme cadavérique. C’est<br />

que les poupées <strong>de</strong> porcelaine m’ont toujours donné l’impression <strong>de</strong><br />

dépouilles fardées <strong>de</strong>s salons funéraires, <strong>de</strong> ces morts palliés pour éviter<br />

d’affronter la vérité, la mort, belle, sans tous ces artifices grossiers.<br />

Mais ces blafar<strong>de</strong>s <strong>de</strong>moiselles, quant à elles, <strong>de</strong>meurent éternellement<br />

dans les maisons, exposées, à nous chuchoter insidieusement qu’à notre<br />

<strong>de</strong>rnier trépas, nous leur ressemblerons aussi. Évi<strong>de</strong>mment, étant fille<br />

unique, ma chambre semblait pour mes parents l’endroit tout désigné<br />

pour y étaler leur idolâtrie douteuse, et c’est <strong>de</strong>puis mon jeune âge<br />

qu’elles hantent les étagères <strong>de</strong> la commo<strong>de</strong> et du bureau. Maintes fois<br />

j’ai supplié, imploré ma mère <strong>de</strong> les relocaliser, dans le sous-sol ou le<br />

salon même, pourvu qu’elles aient été loin <strong>de</strong> moi. J’obtenais, pour<br />

seule réponse, un long serment m’expliquant que ma peur n’était pas<br />

justifiée et l’habituelle rengaine sur les gran<strong>de</strong>s filles qui, elles, n’ont<br />

pas la frousse <strong>de</strong>s poupées. En vieillissant, j’ai compris que rien ne les<br />

délogerait, que dans cette chambre, c’était plutôt moi la locataire, je<br />

<strong>de</strong>vais me soumettre à ces petits cadavres <strong>de</strong> fillettes.<br />

Plus tard, j’ai commencé à les mépriser également pour leur allure<br />

distinguée et hautaine. J’imaginais, ou délirais plutôt, qu’elles<br />

épiaient le moindre <strong>de</strong> mes gestes, jugeaient mon vocabulaire, mes manières,<br />

ma physionomie, selon l’étiquette <strong>de</strong>s duchesses anglaises. Les<br />

poupées <strong>de</strong> porcelaine passent leur vie à prendre le thé, à soigner leur<br />

teint <strong>de</strong> lait, à coiffer leurs boudins parfaits, à courtiser les milords, à<br />

recevoir <strong>de</strong>s baisemains. Moi, je me bourrais à en dégobiller, étais accro<br />

à mon tube d’autobronzant, teignais et décolorais successivement<br />

mes cheveux et me déshabillais <strong>de</strong>vant chaque type <strong>de</strong> dix-huit ans qui<br />

possédait une voiture. La première fois où j’ai ramené un garçon chez


moi, nous sommes tranquillement entrés dans ma chambre, et avons<br />

commencé à nous caresser et à nous déshabiller maladroitement. Couchée<br />

sur le dos, balancée au rythme du bassin du jeune homme, mes<br />

yeux se promenaient dans la pièce, ennuyés par ces ébats pitoyables.<br />

C’est alors que mon regard a croisé celui <strong>de</strong> la tribune <strong>de</strong>s bourgeoises<br />

<strong>de</strong> céramique, juchées sur les meubles défraichis; elles étaient là, les<br />

yeux grands ouverts, à m’injurier, à me traiter d’infâme, d’odieuse,<br />

elles gloussaient et me pointaient hypocritement du doigt, elles me<br />

fixaient et leurs yeux <strong>de</strong> vitre transperçaient mon esprit, me fragmentaient.<br />

Elles me provoquaient. Pour leur en mettre plein la gueule, j’ai<br />

sauvagement repoussé mon partenaire et me suis retournée, lui exhibant<br />

ma chute <strong>de</strong> reins, leur plantant mon regard en plein dans le leur. Je me<br />

déhanchais frénétiquement, me caressais la poitrine à pleines mains,<br />

criais, hurlais, gémissais, baisais comme une tigresse, comme une salope,<br />

une putain, sans jamais me détourner <strong>de</strong> mes détractrices. J’avais<br />

le sourire aux lèvres, c’était <strong>de</strong> l’arrogance pure et dure, une manière <strong>de</strong><br />

les envoyer se faire foutre une bonne fois pour toutes. À la vôtre, mes<br />

ladies…<br />

Puis j’ai finalement quitté la maison pour l’université. En emportant<br />

le <strong>de</strong>rnier carton <strong>de</strong> ma chambre, je n’ai pu m’empêcher <strong>de</strong> leur<br />

hocher sarcastiquement la tête, <strong>de</strong> leur faire savoir que dorénavant, elles<br />

n’avaient plus aucun sujet sur lequel régner; elles <strong>de</strong>meuraient <strong>de</strong>s petites<br />

emmer<strong>de</strong>uses bourgeoises, mais à quoi bon les titres hiérarchiques<br />

dans un royaume vi<strong>de</strong>? Elles n’étaient plus que <strong>de</strong> simples poupées,<br />

ridicules dans leurs habits bouffants et leur stature pincée.<br />

Montréal m’attirait <strong>de</strong>puis toujours; sa désinvolture, son allure, sa<br />

vivacité, sa dominance... Tout, absolument tout chez elle m’interpellait.<br />

Mon petit appartement était minable et mal meublé, loué à un vieux<br />

militaire désaxé qui, sans même une once <strong>de</strong> subtilité, tentait <strong>de</strong> flirter<br />

avec moi. Mais ça en valait la peine. Je débutais mes étu<strong>de</strong>s en création<br />

littéraire à l’UQAM, les professeurs disaient mon écriture prometteuse<br />

et originale, et m’encourageaient même dans mon projet <strong>de</strong> roman.<br />

J’étais fébrile et confiante, mon existence semblait prendre un sens, une<br />

voie que j’appréciais. Le soir, moi et mes copines sortions dans les bars,<br />

les pubs, les lounges, toujours à la recherche d’un bon coup. Un soir,<br />

nous sommes allées dans une rave, que l’on annonçait la soirée du<br />

siècle. Nous avons toutes gobé un speed puis nos traditionnels gummy<br />

bears à la vodka. Là-bas, la chaleur était insoutenable, brûlante, si bien<br />

que la plupart <strong>de</strong>s gens dansaient torse nu ou en sous-vêtements, com-<br />

plètement défoncés, électrisés. Mon corps pulsait au son du bass drum,<br />

se mêlait à celui <strong>de</strong>s autres, reluisait, couvert <strong>de</strong>s effluves <strong>de</strong> la foule<br />

bestiale, je sentais <strong>de</strong>s mains se bala<strong>de</strong>r sur mes cuisses, remonter doucement<br />

vers la courbe <strong>de</strong> mes fesses, <strong>de</strong>s mains s’emmêler et tirer sauvagement<br />

ma chevelure, <strong>de</strong>s mains me déshabiller, laissant découvrir<br />

mes seins, on me pelotait, on m’entourait, m’enfermait, m’emprisonnait,<br />

je croulais sous la masse, incapable <strong>de</strong> reprendre mon souffle, je<br />

suffoquais, paniquais.<br />

J’ai finalement pu sortir, hors <strong>de</strong> ces animaux enragés. L’air <strong>de</strong>hors<br />

était froid, mordant et me frigorifiait. Définitivement, je réagissais<br />

mal aux amphétamines, et retourner chez moi me semblait l’idée la plus<br />

sage et raisonnable. Les filles ne m’en voudraient pas, elles comprendraient.<br />

J’ai sorti mes clés <strong>de</strong> mon portefeuille, et me suis dirigée vers<br />

ma vieille Tercel bleue, héritage désolant <strong>de</strong> mes parents. Heureusement<br />

la route était belle, et il n’y avait plus un chat dans les rues. J’admirais<br />

ma belle ville adoptive, son Farine Five Roses qui s’allumait au<br />

loin, ses lampadaires qui défilaient à vive allure, le faisceau lumineux<br />

<strong>de</strong> la place Ville-Marie qui surgissait à travers les nuages <strong>de</strong> la nuit,<br />

mes yeux étaient ivres <strong>de</strong> lumières, ils voulaient tout capter, retenir, ne<br />

rien manquer. Du haut <strong>de</strong> l’échangeur Turcot, je dominais et observais<br />

attentivement la cité, ma cité, qui se trouvait tout en bas, tout en bas, en<br />

bas...<br />

Lorsque je me suis réveillée, les néons au plafond faisaient ruisseler<br />

<strong>de</strong>s larmes <strong>de</strong> mes yeux. Mes bras ecchymosés étaient transpercés<br />

par une multitu<strong>de</strong> d’intraveineuses, un collet cervical retenait ma tête<br />

contre un oreiller puant le désinfectant et le sang séché. J’ai tenté <strong>de</strong> me<br />

lever, pour aller chercher <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>, pour m’enfuir, mais mon corps ne<br />

répondait plus, rien ne fonctionnait, jamais rien ne fonctionnerait plus.<br />

Mes parents, dans leur bonne volonté, avaient apporté quelques effets<br />

dans la chambre, pour la rendre plus agréable. Du coin <strong>de</strong> l’œil, je pouvais<br />

apercevoir mes vieilles ennemies. Elles me dévisageaient, rigolaient<br />

<strong>de</strong> plus belle, comme si <strong>de</strong>puis toujours, elles anticipaient ce moment.<br />

Bien assises, elles étaient aux premières loges <strong>de</strong> ma déchéance,<br />

et je ne pourrais plus jamais détourner mon regard du leur. « Ce que<br />

j’aimerais leur crever les yeux… ».<br />

Je me souviens <strong>de</strong> ma chute; comme elles, je n’ai pu fermer les yeux,<br />

j’ai tout vu, même le sol qui s’approchait, fatalement. J’aurais aimé être<br />

une poupée <strong>de</strong> porcelaine pour me fracasser.


LAURENCE VINET<br />

Juillet 2013. Pour peu, la carabine à plomb que tu avais à la main<br />

aurait pu frôler le sol. Tes longs bras décharnés pen<strong>de</strong>nt à ses côtés,<br />

inutiles dans ton désarroi. Face à la <strong>de</strong>vanture du restaurant, tu ne te<br />

confonds plus dans la masse. On te contourne, te pointe du doigt. La<br />

police viendra peut-être te chercher. Tu sors du lot, enfin. À l’écart <strong>de</strong><br />

toute cette agitation, c’est pourtant l’étourneau sansonnet qui captive<br />

ton regard égaré.<br />

Août 2000. L’histoire <strong>de</strong>vient drôlement plus intéressante lorsqu’elle<br />

justifie le massacre que tu as perpétré. Depuis un an, tu as quitté<br />

les champs et boisés <strong>de</strong> Sainte-Julie pour le bitume et les gratte-ciels <strong>de</strong><br />

Montréal. Les étourneaux sansonnets qui y pullulent sont encore autant<br />

<strong>de</strong> cibles potentielles pour toi, bien qu’il te soit impossible <strong>de</strong> sortir ta<br />

Sylvania. C’est pourquoi lorsque ton professeur a qualifié les étourneaux<br />

sansonnets <strong>de</strong> désastre écologique romantique, tu es resté interdit.<br />

Et tu as écouté le professeur te raconter qu’un passionné <strong>de</strong> l’œuvre<br />

<strong>de</strong> Shakespeare aurait voulu introduire tous les oiseaux mentionnés<br />

dans ses pièces <strong>de</strong> théâtre dans Central Park. Ils investiront ensuite<br />

l’Amérique du Nord au complet, au détriment <strong>de</strong> ton espèce favorite, le<br />

merlebleu. Tu gobes ces informations avi<strong>de</strong>ment, du moins jusqu’à ce<br />

qu’il reprenne la monotone énumération <strong>de</strong>s données qui te touchent<br />

moins.<br />

Septembre 1993. Enfant, l’instinct t’avais doté d’une bien curieuse<br />

notion du bien et du mal. Dans les terrains vagues et les petits<br />

boisés du village <strong>de</strong> Sainte-Julie n'étaient abattus que <strong>de</strong>s oiseaux à la<br />

parure absente, au plumage terne et au chant discordant. Tu as toujours<br />

évité <strong>de</strong> cribler <strong>de</strong> petits plombs les oiseaux au chant rare. Tu privilégiais<br />

plutôt ceux qui <strong>de</strong> leur chant faisaient discor<strong>de</strong>r la sobre harmonie<br />

<strong>de</strong>s sons <strong>de</strong> la nature. Ta cruelle naïveté viendrait à bout du moineau<br />

domestique, <strong>de</strong> l’étourneau sansonnet, du quiscale, du carouge à épaulettes,<br />

mais jamais du merlebleu <strong>de</strong> l’Est, jamais <strong>de</strong> l’oriole du Nord.<br />

Octobre 2007. Du boulevard <strong>de</strong> l’Acadie, tu longes la longue<br />

clôture qui sépare Parc-Extension <strong>de</strong> Ville Mont-Royal sans jamais<br />

l’enjamber, sans jamais franchir une <strong>de</strong>s ouvertures dans la clôture, pra-<br />

tiquées comme une invitation hypocrite d’un voisin qui ne voudra jamais<br />

<strong>de</strong> vous. Tu n’as pas protesté avec les tiens, lorsque pour l’Halloween<br />

les habitants <strong>de</strong> Ville Mont-Royal ont fermés leurs clôtures aux<br />

enfants <strong>de</strong> Parc-Extension en quête <strong>de</strong> friandises. Tu laisserais ton quartier<br />

<strong>de</strong>venir un ghetto sans broncher. Ta vie est pavée <strong>de</strong> clôtures invisibles,<br />

dont tu t’accommo<strong>de</strong>s sans jamais les comprendre tout à fait.<br />

Novembre 2012. Couché, le mon<strong>de</strong> te parvient par petites gouttes<br />

diffuses, qui enferment la réalité dans un brouillard opaque. Les<br />

chiffres du cadran lumineux qui te vrillent <strong>de</strong> leur supplique insistante<br />

te confirment que tu vis au ras <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong>s autres hommes. Au<br />

fond d’une boîte sous ton lit, ta Sylviania s’érige en bien faible rempart<br />

contre le cafard quotidien.<br />

Décembre 1992. Ta carabine à plomb Sylvania, calibre .177 venue<br />

tout droit <strong>de</strong> Tchécoslovaquie t’attend dans une boîte bien emballée.<br />

Dans sept jours, tu pourras prétendre que tu détiens la <strong>de</strong>rnière relique<br />

d’un pays morcelé. Ensuite, ce sera la suite <strong>de</strong>s saisons où les<br />

champs <strong>de</strong> blés se plieront à tes caprices d’enfant. Le printemps <strong>de</strong> la<br />

détonation à l’oreille, l’été du cillement à ton lobe droit persistant <strong>de</strong>s<br />

après-midis fructueux, l’automne du plomb dans la peau éclaté <strong>de</strong>s oiseaux,<br />

victimes innocentes.<br />

Janvier 2013. Tu es un homme fait <strong>de</strong> morceaux mal recollés.<br />

Assis sur le divan gris <strong>de</strong> velours râpé par les années, la neige sur ton<br />

écran <strong>de</strong> télévision se substitue à celle du <strong>de</strong>hors. Depuis quelques<br />

temps, tu ne sens plus la force d’aller vers l’avant sans rien à prouver.<br />

Pourtant, il le faudrait. Affleurer <strong>de</strong>s couvertures, transir ton pied sur le<br />

bois gelé, pousser la porte <strong>de</strong> ta chambre, longer les amas <strong>de</strong> casseroles<br />

et d’assiettes empilés <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois, <strong>de</strong> détritus <strong>de</strong>s repas commandés<br />

jonchés dans les enclaves du salon. Puis ouvrir la porte, un interstice<br />

pour ne laisser passer qu’un œil. Jauger la température, t’habiller en<br />

conséquence, faire un sac <strong>de</strong> ce dont tu n’as pas besoin et, <strong>de</strong>vant la<br />

maigre somme <strong>de</strong> tes possessions, te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il ne vaudrait pas la<br />

peine d’amener ta Sylvania, au cas où. La plier en <strong>de</strong>ux jusqu’à ce que<br />

le déclic du ressort se fasse entendre.<br />

Février 2007. Parfois, tu te rends jusqu’à la rue Ontario, dans<br />

Centre-Sud. Tu ne différencies pas les prostituées et les drogués <strong>de</strong>s<br />

autres passants, mais tu ne peux ignorer les seringues souillées qui s’effritent<br />

sous tes chaussures. C’est souvent à ce moment que tu croises


une douce incongruité dans la cruauté <strong>de</strong> l’aurore. Un coureur matinal<br />

ou bien un cardinal rouge, éclatant sur le béton souillé.<br />

Mars 2000. Tu te convaincs que l’amour <strong>de</strong> Shiefflin pour les<br />

étourneaux ne peut être motivé que par la prononciation du nom <strong>de</strong><br />

l’oiseau. Starling. Un mot à faire rêver, qui évoque par sa sonorité mélodieuse<br />

une ancienne chanteuse étoile. Il te donne <strong>de</strong>s envies <strong>de</strong> fouler<br />

la terre <strong>de</strong> tes pieds. L’envie tarau<strong>de</strong> ton ventre vi<strong>de</strong>, puis vient appuyer<br />

sur le bout <strong>de</strong> tes orteils, jusqu’au bout du mon<strong>de</strong>. Ces jours-là, le matin<br />

n’existe plus.<br />

Avril 2007. Comme un rituel, tu vas contempler le sta<strong>de</strong> Olympique<br />

à quelques kilomètres; <strong>de</strong> face, on aurait dit un extra-terrestre qui<br />

crache. Tu es tout seul à le voir et tout seul à en rire.<br />

Mai 2007. Tous les corps morts célébrés par <strong>de</strong>s stèles <strong>de</strong> marbre<br />

du cimetière Côte-<strong>de</strong>s-neiges t’apaisent. Sur les bancs, <strong>de</strong>s flâneurs<br />

comme toi semblent y être pour la sérénité <strong>de</strong>s lieux. Malgré tout, ces<br />

promena<strong>de</strong>s ne ressembleront jamais à la douce errance <strong>de</strong> l’enfance.<br />

En ville, les pigeons ne suffisent pas à recréer l’illusion <strong>de</strong> la nature.<br />

Jamais plus, tu ne pourrais retrouver un rôle à la mesure du pouvoir <strong>de</strong>s<br />

plombs percutant la nature dans l’équilibre <strong>de</strong>s choses.<br />

Juin 2013. Un jour, tu vas réassembler ta Sylvania. Morceau par<br />

morceau, tu vas la polir pour qu’elle retrouve son lustre d’antan, la<br />

gloire <strong>de</strong> sa jeunesse. Tu gaveras sa culasse <strong>de</strong> petits plombs parachute,<br />

un à un. Tu mettras le reste dans tes poches, comme une réserve <strong>de</strong> nostalgie<br />

achevée. Tu veux voir si tuer <strong>de</strong>s Starlings produit le même effet<br />

que <strong>de</strong> tuer <strong>de</strong>s étourneaux. Peut-être confondras-tu les Starlings avec<br />

<strong>de</strong>s passantes? Peut-être investiras-tu le premier restaurant et crieras-tu<br />

haut-les-mains en butant sur chacun <strong>de</strong>s mots, fonçant tête baissée pour<br />

ne pas avoir à affronter les regards? Tu n’avais jamais réalisé que<br />

l’homme est plus fragile que l’oiseau, précisément parce que tu es toimême<br />

fragile et que tu crains que les petits plombs parachute puissent<br />

faire éclater ta peau aussi.<br />

La saga <strong>de</strong> Vinland<br />

Dans les fjords planent les silences <strong>de</strong> lumière<br />

Le front se glace<br />

Comme un excès <strong>de</strong> vodka<br />

Le capitaine rugit :<br />

-Trente-cinq ans sur le navire<br />

Dans son délire<br />

Les pas dans une bouteille sonnent<br />

La flaque humaine<br />

Les yeux vitreux <strong>de</strong>s fenêtres s’ignorent<br />

Ma peur s’installe aux abords <strong>de</strong>s tempêtes<br />

Les voiles en vieux draps tachés <strong>de</strong> drames<br />

Se (lacèrent) à l’abri <strong>de</strong>s regards<br />

Dans le cri <strong>de</strong>s impasses<br />

Le capitaine ne se laisse pas démonter<br />

Il croit voir É<strong>de</strong>n, Avalon ou Ásgard<br />

Un arbre <strong>de</strong> vie sur un toit<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

Qu’il confond, dans ses relents éthyliques


Le sculpteur rêve <strong>de</strong> l’abattre<br />

Je fuis par les passages resserrés<br />

Des îlots aux falaises <strong>de</strong> briques<br />

Une lanterne, un mur jaune annoncent la Norvège<br />

Cachée dans son écrin comme une honte<br />

Surgit aux chants <strong>de</strong>s ruines<br />

Et du zinc taché<br />

La clarté inoxydable d’une volonté <strong>de</strong> retour<br />

L’appel du muezzin<br />

Un rhinocéros donne au troc<br />

Un café un biscuit aux dattes<br />

Pour me perdre dans les heures et les mois<br />

Pour perdre mes pas plus longtemps<br />

J’ouvre un mystère <strong>de</strong> tapis volants<br />

Comme on frappe à une porte d’acier<br />

En arrière-boutique les poussahs hantent et prolifèrent<br />

La ruelle dénu<strong>de</strong> sa peau <strong>de</strong> bronze<br />

Lave le fard <strong>de</strong> ses joues<br />

Elle n’a plus le faste <strong>de</strong> Saba<br />

L’espace d’une illusion<br />

Le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient trop grand sous le porche<br />

Dans la stérilité du sol<br />

La végétation ne prend qu’en hauteur<br />

Dans les vapeurs <strong>de</strong>s sécheuses<br />

Et la graisse <strong>de</strong>s cuissons<br />

Le voyeur attend, caché dans l’ombre<br />

Le coup d’œil sur l’intimité pillée indéfendable<br />

Chacun est otage <strong>de</strong> son voisin<br />

Et pour moi, l’intrus, je suis la cible facile<br />

Un Yémen aux parois ocre<br />

Dans l’alliage <strong>de</strong> la rouille et du lierre séché<br />

L’encens a l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s ordures<br />

Et <strong>de</strong> la putréfaction <strong>de</strong>s feuilles


North of the North America<br />

Derrière les remblais pompeux<br />

Le petit peuple bas toujours<br />

Mais il ne tremble plus<br />

Sous l’ombre <strong>de</strong>s clochers<br />

Il élève le petit drapeau<br />

Troué et moisi<br />

Les toits sont inclinés<br />

Les plafonds sont bas<br />

Comme les fronts<br />

Les yeux ne carillonnent plus<br />

Ils sonnent la honte et l’humiliation<br />

À peine masquées par l’escroquerie<br />

Des couleurs <strong>de</strong> briques peintes<br />

Le retour sur Saint-Laurent<br />

Percute mes pensées<br />

Dans le carambolage<br />

Des mouvements et <strong>de</strong>s sons<br />

J’émerge d’où je ne voulais revenir.


MOT DU CHEF DE PUPITRE<br />

Il est <strong>de</strong>s choses bien singulières<br />

Qui donnent aux yeux ladite mémoire<br />

Du faire-valoir <strong>de</strong> la contumace<br />

En la maison du beau et du gentil<br />

Car l’art réduit à la variété<br />

Lorsque exposée, en cachette<br />

Semble trésor, précieux<br />

Infiniment trop, perdu<br />

S’échafau<strong>de</strong> le complot <strong>de</strong>s sens<br />

Pour enterrer le beau<br />

Et le gentil<br />

Comme toute chose en ce bas mon<strong>de</strong>, il est <strong>de</strong> coutume <strong>de</strong> simplifier la<br />

rhétorique particulière à l’image pour mieux appréhen<strong>de</strong>r son rapport<br />

au réel. L’idée étant qu’on vit pour dire ce que l’on pense, nous pensons<br />

avoir couché sur papier, l'essentiel du plaisir et du déplaisir d'un<br />

univers qui vous regar<strong>de</strong>, et pense à vous. C'est peut-être cela, la littérature.<br />

L'idée qu'on ne sera plus le seul à vieillir, à rire et à maudire les<br />

jours qui nous ennuient. Un mot, pose un problème qui se mute en<br />

énigme. L’écriture est un sphinx. Nous-mêmes sommes question <strong>de</strong> la<br />

réponse. Je vous convie donc à oublier les mots au profit <strong>de</strong> l’écriture,<br />

pour réfléchir les hautes tours <strong>de</strong> nos possibles.<br />

Félix Bourgeois<br />

La vieille pute<br />

MAXIME LEMIRE<br />

Je marche avec elle<br />

Ma vieille<br />

Tordue<br />

Battue<br />

Je la regar<strong>de</strong><br />

L’âge la rattrape<br />

Ses plis<br />

Ses cassures<br />

Elle essaye la chirurgie<br />

Le maquillage<br />

Elle veut paraître plus jeune<br />

Ses tares n’en sont que plus évi<strong>de</strong>ntes<br />

Ses tatouages se contredisent<br />

Une phrase philosophique asiatique<br />

À côté d’une figure christique<br />

Elle essaye le fitness<br />

Mange du McDo<br />

Elle n’est pas raciste ma vieille pute.<br />

Elle prend ses clients d’un peu partout<br />

Ma vieille pute s’appelait Marie<br />

Mais s’est rebaptisée Montréal


P’tit Chinois dans gros char<br />

Cinq pieds d’asiatique dans douze pieds <strong>de</strong> tôle<br />

Qui roule à 75<br />

Dans une zone <strong>de</strong> 50<br />

Dans le sens inverse d’un one-way<br />

Sur une p’tite île supportant une grosse cité<br />

Avec ses églises pis ses bars <strong>de</strong> danseuses.<br />

Ses musulmans pis ses bouddhistes<br />

Cette grosse métropole<br />

Où les hassidiques côtoient les putes<br />

Où les parcs pour enfants sont voisins <strong>de</strong>s magasins érotiques<br />

Ses musées pis ses ghettos<br />

Un p’tit Chinois dans un gros char<br />

Parce que même si tu fais cinq pieds<br />

t’as quand même besoin d’une place<br />

L’épopée <strong>de</strong>s déchets<br />

Squelette démembré <strong>de</strong> ventilateur<br />

Tu vas avoir l’air intelligent en criss c’t’été<br />

Ventilateur Fusion, 14,96 chez Walmart<br />

Cadavre violé d’une bicyclette<br />

Faut-tu être BS pour voler un becycle!<br />

44% <strong>de</strong>s Montréalais voyagent en vélo<br />

Cimetière <strong>de</strong> paquets <strong>de</strong> cigarettes<br />

Esti d’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mar<strong>de</strong><br />

Avec 41,57$ <strong>de</strong> taxes sur le tabac, le Québec reste l’en<br />

droit où fumer coûte le moins cher au Canada.<br />

Carcasse vi<strong>de</strong> d’un tonneau <strong>de</strong> bière<br />

Sûrement encore <strong>de</strong>s câliss d’étudiants<br />

À Montréal, 64.3% <strong>de</strong> la population consomme régulière<br />

ment <strong>de</strong> l’alcool<br />

Fée sur bouchon <strong>de</strong> bière dans la terre d’un parc<br />

Qu’est-ce tu faisais à boire dans l’parc tabarnak <strong>de</strong> sans-<strong>de</strong>s<br />

sein?<br />

Le nombre <strong>de</strong> sans-abris à Montréal s’étend à environ<br />

30 000


Tout est abandonné la maison brûle<br />

alors alors<br />

alors on fait <strong>de</strong>s boîtes, vi<strong>de</strong>s<br />

et <strong>de</strong> la forme pour la forme formellement<br />

<strong>de</strong>s papiers peints sur les manuscrits pour être plus commo<strong>de</strong>s<br />

un silence à énoncer <strong>de</strong>s clous, les têtes qui dépassent défoncées<br />

formatez, formatés, pour le peuple pour le Prime Minister pour le roi<br />

pour le pape<br />

en silence, muet c'est plus sûr pour la paix <strong>de</strong>s consciences<br />

enjolivez, enluminez et ne faire que cela, du décorum<br />

parce que tout, paraît-il a déjà été dit ne reste qu'à emballer, même <strong>de</strong>main<br />

et ses misères<br />

allez en rang au pas à pas à pas <strong>de</strong> loup et frappez tout les trop-grands -<br />

rompez<br />

encadrez, vous êtes libres dans les chaînes <strong>de</strong>s tripots<br />

bip biiip bip et tiiit le télégramme s'affaisse<br />

dans un silence obtus où les maux et les mots font un carnaval<br />

dissipés dispersés sous les fumigènes <strong>de</strong>s frimeurs<br />

Art terne absent abcès<br />

tout semble plus simple pour les sourds et les aveugles<br />

les théoriciens en vaines palabres <strong>de</strong> laisses et <strong>de</strong> boulets<br />

je rêve d’une voix <strong>de</strong> fouet <strong>de</strong> les chasser du temple<br />

je rêve d’un mot canon qui cracherait le vrai<br />

à la hauteur <strong>de</strong>s élites<br />

le caisson sonne l’écho <strong>de</strong>s vi<strong>de</strong>s sidéraux<br />

l’ordre est intimé au porte-voix <strong>de</strong> se noyer<br />

<strong>de</strong> bétonner son gosier en figuration<br />

oraison funèbre : la liberté est arraisonnée<br />

et pourtant la liberté est à raisonner<br />

je veux <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong> pistolet-mitrailleur<br />

<strong>de</strong> barrica<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fer <strong>de</strong> révolte <strong>de</strong> pierre<br />

<strong>de</strong> papiers lancés sur les murs d’inconsciences <strong>de</strong> balivernes d’égoïsme<br />

intifada à l’encre d’aci<strong>de</strong><br />

car si le poète se tait, qui parlera?<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

C’est mettre une télé à son chevet,<br />

pour reléguer<br />

ALEXANDRA BOURQUE<br />

Proust, Jardin, Bau<strong>de</strong>laire,<br />

Camus, Dumas, Breton,<br />

Miron, Kun<strong>de</strong>ra,<br />

Tolstoï, Bergson,<br />

García-Marquez<br />

À quelques vieux lions.<br />

Ils ont convaincu<br />

Que les mots sont muets<br />

Valait mieux<br />

Des images sottes qui gueulent<br />

Le temps <strong>de</strong>s caresses linguistiques<br />

Au profit d’une baise cacophonique<br />

Bien sûr c’est le vacarme dans une orgie,<br />

Mais <strong>de</strong> là à appeler ça <strong>de</strong> la communication.<br />

Hand on mouth!<br />

Tais-toi, ça commence,<br />

la dérision.


LAURENCE VINET<br />

Nous avons passé notre enfance à voler les magazines <strong>de</strong><br />

science-fiction <strong>de</strong> notre frère aîné.<br />

Établir un contact visuel. Dire bonjour avec le sourire. Sourire<br />

<strong>de</strong> la cliente : procédures d’usage enclenchées. Passer méticuleusement<br />

tous les articles <strong>de</strong> la cliente sous la lumière rouge<br />

jusqu’à l’émission du bip caractéristique. Appuyer sur entrée. Articuler<br />

le montant <strong>de</strong> manière claire et intelligible. Ajouter un s’ilvous-plaît<br />

<strong>de</strong> politesse. Acquiescement <strong>de</strong> la cliente. Répondre à<br />

son sourire par un hochement <strong>de</strong> tête complice. Deman<strong>de</strong>r la modalité<br />

<strong>de</strong> paiement. Carte <strong>de</strong> débit. Insérer la carte dans la machine.<br />

Appuyer <strong>de</strong>ux fois sur le bouton vert, puis une fois sur OK.<br />

Tendre la machine à la cliente. Offrir un sac <strong>de</strong> plastique avec un<br />

regard appuyé, pour rappeler sa nocivité pour la nature. Réponse<br />

par l’affirmative. Émettre un commentaire sur la météo afin <strong>de</strong><br />

déculpabiliser le client. Déchirer la facture à sa sortie <strong>de</strong> la machine<br />

enregistreuse, puis offrir <strong>de</strong> la mettre dans son sac. Oui, ça<br />

va comme ça. Souhaiter une bonne journée à la cliente. Établir un<br />

contact visuel…<br />

Nous attendons cinq heures comme un chien attend sa pitance,<br />

fidèle et soumis. La sueur <strong>de</strong> notre labeur <strong>de</strong>vient le crachat<br />

<strong>de</strong>s opprimés. Méprisé. Sous-estimé. L’esclavagisme ne réussit<br />

son cruel <strong>de</strong>ssein que lorsqu’il <strong>de</strong>vient la norme. Il ne nous reste<br />

que les détails auxquels nous accrocher. Notre vie est gouvernée<br />

par <strong>de</strong>ux pôles aux forces inégales. Il y a celui <strong>de</strong> l’imagination,<br />

source inépuisable <strong>de</strong> rêveries impossibles. Il y a celui <strong>de</strong> la vie<br />

normale, qui ne revêtirait jamais que le manteau gris et inconfortable<br />

<strong>de</strong> notre impuissance. Nous délirons à propos <strong>de</strong>s robots, car<br />

ils sont notre porte <strong>de</strong> sortie, remplaçants attendus.<br />

Dire bonjour avec le sourire. Absence <strong>de</strong> réaction du client :<br />

procédures spéciales enclenchées. Passer méticuleusement tous<br />

les articles du client sous la lumière rouge jusqu’à l’émission du<br />

bip caractéristique. Émettre un commentaire sur la météo <strong>de</strong> manière<br />

à détendre l’atmosphère. Réponse marmonnée. Appuyer sur<br />

entrée. Articuler le montant <strong>de</strong> manière claire et intelligible.<br />

Ajouter un s’il-vous-plaît <strong>de</strong> politesse. Acquiescement agacé du<br />

client. Répondre par un hochement <strong>de</strong> tête complice. Stratagème<br />

gagnant. Deman<strong>de</strong>r la modalité <strong>de</strong> paiement. Comptant. Entrer le<br />

montant sur la caisse. Vérifier les billets <strong>de</strong>ux fois, puis la monnaie.<br />

Appuyer sur entrée. Offrir un sac <strong>de</strong> plastique avec un regard<br />

entendu, rappelant poliment sa nocivité pour la nature. Déchirer<br />

la facture à sa sortie <strong>de</strong> la machine enregistreuse, puis offrir<br />

<strong>de</strong> la mettre dans son sac. Oui, ça va comme ça. Souhaiter une<br />

bonne journée au client.<br />

Au mur, l’aiguille <strong>de</strong>s secon<strong>de</strong>s sur l’horloge impose sa dictature<br />

à coups <strong>de</strong> marteau dans notre tête. Notre condition est<br />

celle <strong>de</strong> l’individu privé <strong>de</strong> sa liberté, qui <strong>de</strong>vient la propriété,<br />

exploitable et négociable comme un bien matériel. Deux minutes<br />

ou cent vingt coups <strong>de</strong> marteau nous séparent <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> ma<br />

pause au travail. Nous n’y voyons que l’engrenage <strong>de</strong>stiné à faire<br />

marcher l’androï<strong>de</strong> fantasmé. Fantasmé, disons-nous, car nous<br />

avons passé tout notre temps à le chercher en vain, ce robot porteur<br />

<strong>de</strong> l’étendard <strong>de</strong> cette mo<strong>de</strong>rnité chère aux tenants du progrès.<br />

Le remplaçant. Nous progressons, tant et si bien que nous<br />

trouvons l’énergie <strong>de</strong> continuer, essuyant la sueur <strong>de</strong> nos fronts,<br />

prêts à accomplir l’ingrate besogne du rouage insignifiant.<br />

Établir un contact visuel. Dire bonjour avec le sourire. Se<br />

reprendre. Dire bonsoir avec le sourire. Réactions du client non<br />

enregistrées. Passer les articles sous la lumière rouge. Articuler le<br />

montant à payer. Le répéter jusqu’à ce qu’il soit compris par le<br />

client. Deman<strong>de</strong>r la modalité <strong>de</strong> paiement. Crédit. Deman<strong>de</strong>r la<br />

modalité <strong>de</strong> paiement. Crédit. Se reprendre. Insérer la carte. Appuyer<br />

sur entrée. Recommencer. Appuyer <strong>de</strong>ux fois sur le bouton<br />

vert et une fois sur OK. Déchirer la facture, la donner au client.<br />

Suivant.


Mais que recèle ce cinq heures que nous attendons, soumis,<br />

jusqu’au prochain sept heures, dix heures, quinze heures sonnant<br />

la fin <strong>de</strong> notre assujettissement? Sonnerait-il le glas <strong>de</strong> la libération<br />

que nous <strong>de</strong>vrions nous l’approprier, enfin libres, arpentant le<br />

mon<strong>de</strong> qui nous appartiendrait? Nous sommes le peuple et pourtant<br />

nous sommes lâches. Nous arborons les preuves <strong>de</strong> notre asservissement<br />

comme <strong>de</strong>s médailles. D’ailleurs, notre emploi brille<br />

comme astiqué par notre zèle <strong>de</strong> fierté.<br />

Dire bonjour. Ne pas prendre la peine <strong>de</strong> se corriger même<br />

si c’est le soir. Passer les articles sous la lumière rouge. Dire le<br />

montant à voix haute. Deman<strong>de</strong>r si le sac <strong>de</strong> plastique est nécessaire.<br />

Deman<strong>de</strong>r la modalité <strong>de</strong> paiement. Offrir un sac <strong>de</strong> plastique.<br />

S’excuser machinalement <strong>de</strong> sa distraction. Deman<strong>de</strong>r la<br />

modalité <strong>de</strong> paiement. Regar<strong>de</strong>r par la fenêtre. La liberté. Dire<br />

bonsoir. Établir un contact visuel. Offrir un sac <strong>de</strong> plastique. La<br />

liberté. Émettre un commentaire sur la météo. Offrir un sac <strong>de</strong><br />

plastique. Offrir un sac <strong>de</strong> plastique.<br />

Nous nous répétons à l’infini, répétitions en masse d’une<br />

besogne au service <strong>de</strong> nos propriétaires en forme <strong>de</strong> systèmes.<br />

Mais un jour, le disque s’enraye et bientôt, le sens s’ôte <strong>de</strong>s mots,<br />

échappant, un instant, à la répétition perpétuelle <strong>de</strong> nos existences.<br />

Issu <strong>de</strong>s langues slaves, le terme robot est formé à partir<br />

du radical rabot, qui signifie travail, que l'on retrouve dans le mot<br />

Rab, esclave en russe. L’omniprésence <strong>de</strong> l’androï<strong>de</strong> nous a fait<br />

perdre sa trace et nous les cherchons. Avec l’ar<strong>de</strong>ur d’un aveugle<br />

décomposant les formes sous ses doigts en couleurs. Notre infini<br />

est rayé. Comme un disque abîmé, notre symphonie se répètera<br />

dans un perpétuel capharnaüm indicible.<br />

Nous, robots, ne le saisirons jamais.<br />

Bleus <strong>de</strong> rage, d’ignorance<br />

et <strong>de</strong> dégoût vous<br />

écumez, rainettes enragées<br />

aux cuissots délicieusement<br />

convoités.<br />

Comment vous défendre<br />

face à cette épidémie,<br />

vous pensez. Peut-être<br />

pourriez-vous les guérir<br />

à coups <strong>de</strong> je vous salue<br />

Marie pleine <strong>de</strong> graisse,<br />

graver sur leurs cervelles<br />

multicolores vos lettres<br />

sacrées couleur cendrée,<br />

leur asséner votre livre<br />

moisi en plein cœur.<br />

Trois six zéro, sept pour<br />

cent <strong>de</strong> tous vos frères<br />

sont atteints. De haut<br />

nous vous observons,<br />

fourmis rassemblées<br />

dans les rues dépavées<br />

nos paris s’accor<strong>de</strong>nt nos<br />

pairs ne sont plus rainettes<br />

mais escargots, la<br />

mentalité avance par àcoups,<br />

laisse une traînée<br />

gluante sur son passage<br />

et se réfugie sous sa<br />

carapace.<br />

NOÉMIE BERNARD<br />

Blanche ignorance<br />

<strong>de</strong> vos arguments<br />

vous citez Eichmann<br />

pour laver vos<br />

paumes souillées<br />

par les âmes sacrifiées<br />

<strong>de</strong> vos mauxi<br />

l l u s i o n s t o u t<br />

comme celui que<br />

vous croyez être<br />

votre porte <strong>de</strong> salut.<br />

Mais sachez mes<br />

patriarches que tout<br />

vient à point qui sait<br />

se taire car votre<br />

Saint-Esprit a la tête<br />

bien monochrome<br />

pour un ectoplasme<br />

qui se veut polyamor.<br />

L’œuvre d’une<br />

vie tournée en hécatombe<br />

manifeste,<br />

vous vous regar<strong>de</strong>z<br />

consternés «mais<br />

qui aurait pu faire<br />

une chose pareille?»<br />

un peuple qui aura<br />

connu mœurs et<br />

coutumes plus<br />

farfelues que celle à<br />

laquelle vous vous<br />

opposez.<br />

Rouge pomme vous<br />

êtes tombés sous la tentation<br />

<strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r au jugement<br />

facile. Quittez vos<br />

canapés et voyez <strong>de</strong><br />

quoi le pays est fait, <strong>de</strong><br />

quel air il s’échauffe et<br />

se construit. Per<strong>de</strong>zvous<br />

dans les dédales<br />

<strong>de</strong> sa conscience, tentez<br />

<strong>de</strong> saisir les fon<strong>de</strong>ments<br />

<strong>de</strong> cette tare contre nature<br />

et ten<strong>de</strong>z vos mains<br />

spasmodiques vers ceux<br />

que vous avez offensés.<br />

Vous ne serez guère<br />

délivrés du mal que<br />

vous leur avez causé<br />

mais vos cônes s’illumineront<br />

d’une ribambelle<br />

polychromique,<br />

qui ne s’arrêtera pas à<br />

votre drapeau tricolore.<br />

Et là, enfin, vous pourrez<br />

scan<strong>de</strong>r Liberté,<br />

Égalité, Fraternité.


VICKY LAPLANTE-BOTT<br />

Pendant que <strong>de</strong>s larmes coulent <strong>de</strong>s armes, que les bombes bombar<strong>de</strong>nt<br />

Boston comme <strong>de</strong>s beignes fourrés malicieusement à la costar<strong>de</strong><br />

empoisonnée, vous accostez les terroristes à coups d’avions <strong>de</strong><br />

poignées <strong>de</strong> belles mains et d’ailes, drones pour le trône. King Obama<br />

ne permettra pas les coups bas.<br />

La coupole romaine, elle, souffre s’essouffle du pape mobile qui<br />

prône <strong>de</strong> s’aimer les uns les autres, mais que l’autre. C’est sale, l’anal.<br />

Écoutez plutôt ces dieux qui nous ressemblent, qui s’assemblent à coups<br />

<strong>de</strong> visages à six faces. J’aurais envie <strong>de</strong> disparaître, le paraître <strong>de</strong> votre<br />

infamie lorsque vous vous promettez <strong>de</strong> violer la femme qui croqua la<br />

première la pomme d’Adam, condamnée à goûter l’amertume infinie<br />

d’une société qui préfère défendre <strong>de</strong>s violeurs qu’être violée.<br />

Qu’être souillée à son tour, comme <strong>de</strong>s Hitler-éclairs, détruisant<br />

sur son passage les animaux qui ayant pris <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong>viennent politiciens<br />

et rois. Comme quoi quatre-vingts chevreuils d’argent valent<br />

autant <strong>de</strong> bois qu’une reine qui a dépassé l’âge d’être sénile princesse et<br />

appréciée. Sans rancune darling, les couronnes ne m’intéressent pas,<br />

que sur mes <strong>de</strong>nts pourries <strong>de</strong> cette violette violence qui se tatoue sur<br />

toutes les peaux. Réparez-moi ces prothèses afin que je puisse à nouveau<br />

manger congelé pour m’engourdir la gueule, pour m’empêcher <strong>de</strong><br />

crier, vomir, fuir, jouir <strong>de</strong>vant la fureur-führer <strong>de</strong> ces tortures tortues<br />

qu’accumulent ces sexes sous-payés peu respectés et pourtant, qui vous<br />

ont déjà au départ portés durant neuf mois.<br />

Vous entretenez un endroit où les gens victimisés vitaminés sont<br />

<strong>de</strong>s tueurs, <strong>de</strong>s violeurs, <strong>de</strong>s batteurs d’instruments <strong>de</strong> tortures dégénérées.<br />

Où les gang bangs ou viols collectifs déguisés sous un aspect pornographique<br />

juvénile puéril se propagent sur les réseaux sots. Un<br />

mon<strong>de</strong> d’aveugles où les borgnes n’existent pas.<br />

Moi socécité, je fixe mon avenir <strong>de</strong> mes yeux déjà <strong>de</strong> vitre, tâte<br />

mes jambes <strong>de</strong> bois <strong>de</strong> mes mains-prothèses et espère qu’ils ne viendront<br />

pas me transplanter un cœur <strong>de</strong> lapin. Parce que le jour où plus<br />

personne ne voudra me sacrifier d’organes, je re<strong>de</strong>viendrai animal. Y’a<br />

pas <strong>de</strong> mal.<br />

UNO<br />

Société qui ne sait plus où donner<br />

la tête,<br />

<strong>de</strong>vons-nous pleurer ou saigner<br />

face à<br />

cette beauté <strong>de</strong>vrait naître maintenant<br />

mais<br />

bor<strong>de</strong>l nous <strong>de</strong>mandons grâce et<br />

le<br />

ciel notre Dieu pourquoi répondre<br />

en disant<br />

FUCK THAT SHIT I’M GOD<br />

Oh<br />

pauvre peuple nous plantons<br />

sans jamais<br />

recevoir en retour est un espoir<br />

vain et<br />

pourtant la gran<strong>de</strong> ville est<br />

pleine <strong>de</strong><br />

grandioses fleurs en béton si<br />

belles si pleines <strong>de</strong><br />

soleils courez les chemins <strong>de</strong><br />

terre <strong>de</strong> boue <strong>de</strong><br />

asphalte pourquoi tant <strong>de</strong> ri<strong>de</strong>s<br />

sur ton corps<br />

noir le ciel noir le temps nous<br />

répond en disant<br />

FUCK THAT SHIT YOU LIT-<br />

TLE INSECTS<br />

y la primavera es en el otro<br />

mundo.<br />

SARAH SOREL<br />

DUE<br />

Société qui ne sait plus où donner<br />

la tête,<br />

n’oublions pas <strong>de</strong> célébrer sous<br />

le<br />

sol vert sur les nuages mauves<br />

car<br />

nous sommes dans un instant<br />

dans une<br />

plaine pleine d’arbres aussi<br />

rares que<br />

l’horloge n’impose plus sa dictature<br />

et<br />

nous dansons comme <strong>de</strong>s philanthropes<br />

qui<br />

cherchent toujours il y a quelqu’un<br />

pour une<br />

cigarette un peu <strong>de</strong> chaleur embouteillée<br />

le<br />

fond du tunnel la lumière n’est<br />

pas NON elle est<br />

trop occupée à célébrer la vie<br />

dis-tu avec<br />

toi arrêtes <strong>de</strong> pleurer le ciel<br />

s’en occupe<br />

déjà cette heure je dois dormir<br />

et pourtant<br />

TEARS ARE DESERTS ARE<br />

CLOUDS ARE NOT MINE<br />

Continua corriendo el verano<br />

ya es allí.


TRE<br />

Société qui ne sait plus où donner<br />

la tête,<br />

admirez le travail <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong><br />

pluie <strong>de</strong><br />

boue <strong>de</strong> terre qui cadavrent les<br />

rues qui<br />

chassez le néant mais le silence<br />

tue le temps<br />

passe trop lentement et pourtant<br />

il nous échappe le temps nous<br />

tue encore<br />

là pauvre toi le froid arrive te<br />

rattrape<br />

RUN LITTLE JUNKY RUN<br />

BECAUSE<br />

la gran<strong>de</strong> ville nous tient dans<br />

ses barreaux<br />

bor<strong>de</strong>lés cimentés bétonnés<br />

sont les gens mais<br />

les cadavres <strong>de</strong> feuilles tremblent<br />

les couleurs<br />

chau<strong>de</strong>s espérances emportez<br />

nos âmes alors<br />

nous suicidons le présent à<br />

coups <strong>de</strong> cœur<br />

pour certains à coups <strong>de</strong> couteaux<br />

à double<br />

tranchant le corps <strong>de</strong>s arbres<br />

coupant le<br />

mon<strong>de</strong> se cache fuit la réalité<br />

mais bor<strong>de</strong>l<br />

el otoño está allí no hay que<br />

negar.<br />

QUATTRO<br />

Société qui ne sait plus où donner<br />

la tête,<br />

ne vous cachez pas les enfants<br />

ont compris<br />

le temps est notre existence qui<br />

hurle à<br />

la lune est notre soleil le froid a<br />

atterri sur<br />

la tête <strong>de</strong>s gens il pleut <strong>de</strong>s cadavres<br />

<strong>de</strong><br />

neige folle neige noire sale qui<br />

pourrait savoir à quel point le<br />

chocolat<br />

réchauffe nos cœurs rassure nos<br />

cheminées gèlent nos maisons<br />

sont couvertes d’un manteau qui<br />

protège-toi petit lutin papa doit<br />

aller<br />

travailler <strong>de</strong>vient notre seul espoir<br />

<strong>de</strong><br />

survie où te caches-tu pourquoi<br />

quittes-<br />

tu es ma chaleur mon avion qui<br />

vole pas trop haut tombe pas<br />

trop<br />

vite il faut courir nos jambes refusent<br />

la<br />

PERCEPTION: SEE YOU LA-<br />

TER<br />

la terre tourne pourtant nous ne<br />

bougeons pas nous sommes encrés<br />

dans<br />

le ciel nous domine nous<br />

sommes perdus<br />

pueblo no ignoremos el invierno.<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

Face A : Un vieil homme et un trait d’union<br />

Mostar. Bosnie-Herzégovine. 9 novembre 1993. Les balles fusaient<br />

<strong>de</strong> toutes parts. Dans le matin enfumé, le son <strong>de</strong>s fusilsmitrailleurs<br />

déchirait l’air. Un coup <strong>de</strong> tonnerre réveilla Almir Balić<br />

instantanément, comme si son corps vieux <strong>de</strong> huit décennies avait été<br />

monté sur ressorts. Il sut immédiatement ce qui venait <strong>de</strong> se produire;<br />

sur son visage buriné par le temps, une douleur indéfinissable se fixa.<br />

Un instant, il regarda la table qui lui avait servi d’oreiller, la bouteille<br />

<strong>de</strong> rouge vi<strong>de</strong>, vestige <strong>de</strong> son désespoir. Dans un soupir et un craquement,<br />

il se redressa; une violente douleur le saisit à la poitrine. Il se figea<br />

un instant. Un second coup <strong>de</strong> tonnerre retentit, remettant Almir en<br />

fonction. Sans plus attendre, il prit un vieux manteau et sortit du<br />

sombre appartement. Partout dans la grisaille morne <strong>de</strong> la cage d’escalier<br />

mal éclairée, une épaisse poussière empâtait l’air et <strong>de</strong>s gravats encombraient<br />

les marches. Dans la rue, la terreur était palpable, accentuée<br />

par le saccage rythmé <strong>de</strong>s AK-47. L’air était froid, humi<strong>de</strong>; une o<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong> sang fusillait les narines. Une vieille dame retenait d’une main son<br />

châle dans l’ombre d’un ri<strong>de</strong>au sale en observant Balić qui marchait<br />

dans le fracas <strong>de</strong> la guerre. Tonnerre. Almir prit à gauche sur la Braće<br />

Fejića et se mit à dévaler la rue en direction <strong>de</strong> la rivière. La rocaille et<br />

les débris tombés <strong>de</strong>s constellations <strong>de</strong> cratères sur les murs crissaient<br />

sous la semelle <strong>de</strong> ses bottes. Tonnerre. Les larmes et la rage défiguraient<br />

son visage ridé et l’empêchaient <strong>de</strong> voir tant la route que la <strong>de</strong>struction<br />

<strong>de</strong> ses années <strong>de</strong> labeur. Dans le vieux centre, longtemps il<br />

avait œuvré à la restauration <strong>de</strong> bâtiments qui, aujourd’hui, étaient pulvérisés.<br />

L’écho <strong>de</strong> la fusilla<strong>de</strong> se poursuivait <strong>de</strong> loin en loin entre les<br />

<strong>de</strong>ux falaises, et emplissait la vallée d’appréhension. Almir continua<br />

d'avancer, insouciant du danger. Tonnerre. Cachés <strong>de</strong>rrière un mur à<br />

<strong>de</strong>mi effondré, un groupe d’hommes armés le regardèrent passer avec<br />

étonnement. L’un <strong>de</strong>s Bosniaques le reconnut, mais lorsqu’il s’avança<br />

pour le retenir, Balić était déjà hors <strong>de</strong> vue. Le décor était <strong>de</strong> plus en<br />

plus ravagé, effondré, torturé. Almir semblait marcher seul dans une<br />

cité ruinée. Tonnerre. Il n’avait d’yeux que pour le ravin <strong>de</strong> la rivière,


fissure, faille séparant <strong>de</strong>ux peuples balkaniques ennemis jadis frères.<br />

Arrivé aux abords <strong>de</strong> la Neretva, il longea celle-ci vers le sud, déterminé<br />

à atteindre le nuage <strong>de</strong> poussière en suspension au centre <strong>de</strong> la rivière.<br />

Nouveau coup <strong>de</strong> tonnerre, nouveau nuage <strong>de</strong> poussière; le pont tressaillit<br />

sous l’impact. Son pont! Almir <strong>de</strong>vint fou <strong>de</strong> rage et <strong>de</strong> désespoir.<br />

Il avait passé sa vie à restaurer, à entretenir le Stari Most, il connaissait<br />

tous les jeux <strong>de</strong> la lumière sur sa surface, chaque aspérité <strong>de</strong> la pierre<br />

avait laissé sa marque sur ses mains usées. Tonnerre. Un nouvel obus<br />

venait <strong>de</strong> percuter le dos d’âne du pont. Almir se précipita avec l’idée<br />

d’arrêter le massacre <strong>de</strong>s artilleurs. Il surgit sur le pont et se tint en son<br />

centre dans un enchevêtrement <strong>de</strong> débris. Le choc <strong>de</strong> l’obus suivant le<br />

projeta par terre. Hébété, choqué, il farfouilla dans ses poches à la recherche<br />

<strong>de</strong> son mouchoir, qu’il agita vigoureusement en signe <strong>de</strong> paix,<br />

espérant mettre un terme à cette inutile <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la mémoire d’un<br />

peuple ayant déjà trop souffert. Le Stari Most, trait d’union entre orient<br />

et occi<strong>de</strong>nt, symbole d’un peuple qui maintenant se niait, se déchirait,<br />

s’annihilait. Seul avec son dérisoire mouchoir, il suppliait pour que<br />

cesse cette folie. La poussière collait sur ses larmes, morceaux <strong>de</strong> la<br />

chair du pont contre sa peau. Il y eut un autre vrombissement qui vint<br />

frapper le pont, lui arrachant quelques pierres au milieu <strong>de</strong>s claquements<br />

sourds <strong>de</strong>s kalachnikovs. Almir fut projeté violemment contre le<br />

parapet du pont. Il n’entendait plus rien, le temps se figeait dans la<br />

poussière en suspension; il avait perdu son mouchoir <strong>de</strong> paix. Une douleur<br />

aigüe lui tenaillait la poitrine, son cœur allait le lâcher. Il se releva,<br />

hurla en faisant <strong>de</strong> grands gestes. L’air siffla, comme surchauffé, et Almir<br />

tomba à la renverse. Son cœur le lâchait, crise cardiaque au milieu<br />

du pont. Lorsqu’il écarta sa main, le sang jaillissait à profusion du point<br />

d’entrée <strong>de</strong> la balle. La tête lui tournait, le tonnerre se fit entendre encore,<br />

puis il sentit clairement le mon<strong>de</strong> s’évanouir autour <strong>de</strong> lui. Il se<br />

sentit s’enfoncer dans la mort, emporté dans le mon<strong>de</strong> flou, incertain,<br />

d’une apesanteur cinétique. Il ferma les yeux et ne sentit plus rien, sinon<br />

le contact d’un froid mortel au creux <strong>de</strong> l’abîme liqui<strong>de</strong>. Il mourut frappé<br />

au cœur, comme son Stari Most, et leurs corps furent emportés ensemble<br />

dans les profon<strong>de</strong>urs tourbillonnantes <strong>de</strong> la Neretva.<br />

Face B : Le mon<strong>de</strong> circulaire<br />

Avec précaution, il se redressa, prenant bien gar<strong>de</strong> à ce que sa<br />

tête ne dépasse pas l’arête du mur effondré. Il avait un peu froid, après<br />

cette nuit passée à la belle étoile dans une chambre sans toit. Après<br />

quelques étirements, il se ramassa sur lui-même, tirant une couverture<br />

noircie et trouée dont il se couvrit. Il s’alluma une cigarette dans l’espoir<br />

<strong>de</strong> se réchauffer, et jeta un regard circulaire sur la pièce vi<strong>de</strong>. Par<br />

terre, tout près <strong>de</strong> lui, gisait une peluche, la tête à moitié détachée du<br />

corps. D’un geste brusque, il en sépara la tête, un sourire vi<strong>de</strong> et froid<br />

aux lèvres. Aleksa Matvejević ne se considérait plus comme un enfant;<br />

à dix-neuf ans, il était un homme, un patriote, un prédateur. Il sortit <strong>de</strong><br />

sa poche une flasque <strong>de</strong> mauvaise vodka, désirant un réveil percutant,<br />

mais aussi un début d’oubli, <strong>de</strong> détachement. Après une <strong>de</strong>uxième, puis<br />

une troisième cigarette, il rampa jusqu’à une trouée dans le mur et jeta<br />

un bref coup d’œil à la ville qui s’étendait sous lui. Juste à côté, appuyé<br />

contre le mur, se trouvait le métal froid, mat, <strong>de</strong> son jouet à donner la<br />

mort. En contrebas, rien ne bougeait; seul le son régulier et apaisant <strong>de</strong><br />

la Neretva lui parvenait. Appuyé le dos au mur, il songea un instant à<br />

son avenir : que ferait-il après la guerre? Après la guerre, il n’envisageait<br />

pas d’avenir, il ne fallait pas que la guerre cesse alors... Au point<br />

du jour, un coup <strong>de</strong> tonnerre retentit, qui fit sursauter Aleksa. Il jeta un<br />

coup d’œil par l’ouverture à sa gauche et ne vit, au début, qu’un nuage<br />

<strong>de</strong> poussière suspendu au-<strong>de</strong>ssus du Stari Most. Au second coup <strong>de</strong> tonnerre,<br />

il comprit: le vieux pont allait être détruit. Il avait été conservé,<br />

préservé <strong>de</strong> toute <strong>de</strong>struction en tant que symbole <strong>de</strong> la ville, mais dans<br />

cette guerre totale, plus rien ne <strong>de</strong>vait subsister. Un instinct <strong>de</strong> mort, <strong>de</strong><br />

perdition absolue; tout anéantir, quitte à se perdre soi-même. Aleksa se<br />

retrouvait dans cette idéologie nihiliste. Les combats reprenaient, il <strong>de</strong>vait<br />

en faire <strong>de</strong> même. Il tendit le bras et ramassa son fusil. Il rampa<br />

jusqu’à une secon<strong>de</strong> ouverture située face au pont et, avec précaution,<br />

regarda par la large fente. Ce serait parfait d’ici. Le canon <strong>de</strong> son fusil<br />

pointé sur la ville se retrouva hors <strong>de</strong> sa cachette. Pour Aleksa, le<br />

mon<strong>de</strong> re<strong>de</strong>vint, comme chaque jour, circulaire. L’œil gauche dans le<br />

viseur, l’in<strong>de</strong>x droit sur la gâchette, il reprit la position couchée dans<br />

laquelle il se sentait tout-puissant. Il avait pouvoir <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> mort, il<br />

était un dieu. Le pont recevait les obus croates sans broncher, les uns<br />

après les autres; seul le nuage poussiéreux indiquait la blessure. Aleksa<br />

contemplait la <strong>de</strong>struction dans son cercle <strong>de</strong> vision; il s’y sentait proté-


gé, comme si le mon<strong>de</strong> se limitait en fait à ce cercle et que, dès lors,<br />

rien ne pouvait lui arriver qu’il n’ait vu venir. Après un moment, lassé<br />

<strong>de</strong> voir que le pont tenait bon, il se mit à parcourir, <strong>de</strong> la pointe <strong>de</strong> son<br />

arme, les rues <strong>de</strong> la ville. Il entendait <strong>de</strong>s tirs, mais ne trouvait personne<br />

à frapper <strong>de</strong> son jugement. Il commençait à s’ennuyer lorsqu’ayant parcouru<br />

la rive opposée, son attention se reporta sur le pont pour y découvrir<br />

un homme qui faisait <strong>de</strong> grands gestes, un mouchoir blanc à la<br />

main. Aleksa, un sourire au coin <strong>de</strong> la bouche, regardait le vieil homme<br />

s’agiter; il le détaillait, prenait son temps, savourait l’instant. Son instant<br />

où il se faisait dieu, avec le pouvoir sur cet homme. Son visage ne<br />

lui était pas inconnu... Le pont fut secoué d’une nouvelle secousse et,<br />

lorsque le nuage se dissipa, l’homme, tombé à la renverse, cherchait<br />

partout son mouchoir. Il le vit se relever et hurler. À cet instant, Aleksa<br />

pressa la détente, puis tout se passa très vite. Retirant brutalement son<br />

œil du viseur, il reconnut, comme surgissant d’un lointain passé, les<br />

traits <strong>de</strong> l’homme qui tombait à la renverse : une vieille connaissance<br />

qui l’amenait, enfant, jouer dans les vieux bâtiments qu’il restaurait, lui<br />

expliquant une foule <strong>de</strong> choses sur l’histoire <strong>de</strong> la ville. Immédiatement<br />

après, un ultime obus atteignit le pont en son centre. Dans le grand fracas<br />

et le tourbillon <strong>de</strong> poussière qui s’ensuivit, le pont disparut, emportant<br />

avec lui le vieil homme dans les flots <strong>de</strong> la Neretva. Un moment,<br />

Aleksa sentit comme une pointe <strong>de</strong> regret pour ce qui venait <strong>de</strong> se produire.<br />

Il n’aurait su dire si c’était au sujet du vieux ou du pont, mais ce<br />

sentiment ne dura qu’un bref instant. Le mon<strong>de</strong> re<strong>de</strong>vint circulaire, il ne<br />

<strong>de</strong>vait pas s’en faire outre mesure; c’était la guerre, il était soldat, il <strong>de</strong>vait<br />

se chercher une nouvelle victime.<br />

LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

Un sombre orage surprit la douce et paisible forêt où vivaient le<br />

lièvre et la tortue.<br />

La tortue s’écria : Mais mon Dieu il pleut!<br />

Et le lièvre lui répondit : Mais non, pauvre sot. On nous pisse <strong>de</strong>ssus!<br />

La tortue, dans toute sa lenteur, alla se cacher et, comme à son<br />

habitu<strong>de</strong>, suivit sans contester le gré du vent. Alors que le lièvre, toujours<br />

prêt à bondir, sauta vers l’arbre pour y boucher la cruche d’où<br />

s’échappait la pisse.<br />

Malheureusement pour lui, un chasseur <strong>de</strong> petit gibier était également<br />

caché dans l’arbre.<br />

Le chasseur : Petit lièvre, petit lièvre, dans ton saut tu ne tomberas que<br />

<strong>de</strong> plus haut.<br />

Le coup <strong>de</strong> feu dérangea un nid d’abeilles se trouvant dans les<br />

branches supérieures.<br />

Les abeilles : Mon dieu, nous sommes perturbées par la boucane émanant<br />

<strong>de</strong> cette arme! Allons butiner ailleurs où le temps sera plus calme.<br />

Le vol <strong>de</strong>s abeilles survolât le troupeau <strong>de</strong> poules qui picossait et<br />

comme toujours, elles continuèrent sans broncher à picosser.<br />

Les poules : Pia pia pic pia pia.<br />

Les becs <strong>de</strong>s poules dérangèrent un ver <strong>de</strong> terre qui essayait sournoisement<br />

<strong>de</strong> se frayer un chemin vers la lumière du jour, mais sous la<br />

pression du mon<strong>de</strong> extérieur décida d’aller au contraire plus profondément.<br />

Le ver : …<br />

Les mouvements sinueux du ver firent ressortir une pousse <strong>de</strong><br />

verdure à la surface qui fut immédiatement bouffée par un mouton.


Le mouton : Béhêeeehèeai. Je suis repu. Béhêeeehèeai.<br />

Le mouton continuait <strong>de</strong> surveiller la venue d'autres pousses,<br />

mais lui-même était épié goulument par le loup. Le loup lui-même filé<br />

par l’ours suivi <strong>de</strong> près par un chasseur <strong>de</strong> gros gibier.<br />

Un oiseau qui survolait cette forêt regardait avec dédain tous ces<br />

animaux s’agiter vainement.<br />

L’oiseau : Quel mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> fous!<br />

Sur ces paroles, l’oiseau se fit frapper par un avion d’Air Canada.<br />

L’avion : Get out of my way.<br />

LAURENCE VINET<br />

Charpente charpie <strong>de</strong> porcelaine<br />

Chaos invisible pointé<br />

D’un peuple infirme <strong>de</strong> toi<br />

Te disparaît<br />

T’écrase le petit feu sacré<br />

T’éclate tête<br />

En airs <strong>de</strong> patrie<br />

Sous elle<br />

Ta musique en note d’État<br />

Se piétine se nargue s’enjambe<br />

Dans la partition escalier<br />

Toi fausse note<br />

Ton regard <strong>de</strong> braises éteintes<br />

Passive supplique<br />

Étreinte<br />

Vi<strong>de</strong> et pleine <strong>de</strong> nous<br />

Faille<br />

Pour nos yeux occupés<br />

À regar<strong>de</strong>r le téléphone<br />

Gaspiller le paysage<br />

Ironie <strong>de</strong> se voir<br />

Sombrer dans ta flute paria<br />

Le sel <strong>de</strong> nos larmes<br />

Absente eau trouble<br />

Le Star Sprangled Banner<br />

Ton pays fredonné complice<br />

Oh, say, can’t we see<br />

Un jour<br />

Nos larmes étioleront


Les digues frontières<br />

La digne patrie le poids <strong>de</strong> l’échec<br />

Tangueront épaules frêles épaules<br />

Les souvenirs assailliront<br />

Le peuple <strong>de</strong> pensées délabrement<br />

Trop peu trop tard<br />

Sur elle<br />

L’avenir en cicatrices<br />

Invisibles maux<br />

Paysage interface<br />

Sous le masque<br />

L’oreille fine entendra tinter<br />

Ta douleur réverbérée<br />

LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

Les gouttes <strong>de</strong> pluie coulaient sur la vitre <strong>de</strong> la limousine et<br />

créaient l’illusion d’un fleuve <strong>de</strong> larmes sur son reflet à l’allure superficielle<br />

d’émotions figées. Ce reflet qu’elle regardait avec dédain, amertume<br />

et une profon<strong>de</strong> tristesse. Ses émotions étaient comme toujours<br />

refoulées <strong>de</strong>rrière un visage placi<strong>de</strong>. Un reflet qui ne pouvait être le<br />

sien, car il lui rappelait un cadavre. Son corps tout entier lui évoquait<br />

une charogne. Un cadavre, qu’elle voyait en guise <strong>de</strong> reflet, et la limousine<br />

où elle se trouvait n’était autre qu’une tombe luxueuse.<br />

Cependant, la mort n’était pas encore venue la chercher sous son<br />

aile bienfaitrice et cette journée du 21 avril 2013 venait lui rappeler<br />

sournoisement. Cette vieille femme vivait le calvaire <strong>de</strong> fêter ses 87 ans<br />

et elle était lasse <strong>de</strong> sa vie. Elle pouvait lire sur chacun <strong>de</strong>s visages qui<br />

la côtoyait une haine et une profon<strong>de</strong> répugnance envers sa personne.<br />

Elle savait que ces visages l’attendaient au manoir afin <strong>de</strong> la fêter. Par<br />

contre, elle n’était pas dupe et savait que c’était plutôt pour fêter un pas<br />

<strong>de</strong> plus vers sa mort, un pas <strong>de</strong> plus dans la décrépitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’âge. Ellemême<br />

se dégoûtait, son corps était roi<strong>de</strong>, sa vision floue, la pensée<br />

fuyante et le visage ravagé par le temps.<br />

En arrivant au manoir, elle avait dit à son chauffeur <strong>de</strong> la laisser<br />

<strong>de</strong>rrière pour ne pas voir ses invités. Par une section abandonnée <strong>de</strong><br />

cette bâtisse, elle pourrait faire un simple détour, puis aller directement<br />

à sa chambre pendant qu’eux la fêtaient, buvaient à sa dite santé. Ces<br />

êtres avi<strong>de</strong>s n’attendaient qu’elle meure pour la remplacer d’une jeunesse<br />

plus vive, plus belle, avec <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> renouveau et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur.<br />

Ils attendaient qu’elle meure quand elle se sentait déjà morte, du moins,<br />

son corps l’était. Ils rongeaient sa fortune à petit feu et profitaient<br />

d’elle. Ils étaient <strong>de</strong>s parasites, tous prêts à sucer jusqu’à la <strong>de</strong>rnière<br />

goutte <strong>de</strong> sa vie et sa couronne. La respiration haletante, ses jambes<br />

chancelantes et son dos voûté sous le simple effort <strong>de</strong> monter à l’étage.<br />

Les marches craquaient sous son poids, car la maison, comme ses os,<br />

était usée par le temps. Chaque marche était couverte par une couche <strong>de</strong><br />

poussière noire <strong>de</strong>venue dure et craquelée. On l’aurait dit parsemée <strong>de</strong>


cicatrices causées par la lèpre. Cette poussière lui rappelait sa propre<br />

peau. Cette peau qu’elle arracherait <strong>de</strong> ses os, qu’elle découperait <strong>de</strong> sa<br />

chair, qu’elle saignerait à blanc afin <strong>de</strong> se libérer <strong>de</strong> sa lour<strong>de</strong> pesanteur.<br />

Est-ce un manoir, ou une salle d’attente pour la mort? La réponse<br />

était sans importance, car <strong>de</strong> toute façon, cette baraque, comme la<br />

vieille, était condamnée à mourir, et cette mort, en plus d’être inévitable,<br />

semblait imminente.<br />

Après s’être assurée qu’elle était bien seule, la résignée se contenta<br />

d’assouvir son <strong>de</strong>rnier désir. Dans la tranquillité <strong>de</strong> sa chambre,<br />

elle planifia son ren<strong>de</strong>z-vous avec la mort. Ce fut bref et irréversible;<br />

elle fit volte-face afin d’effacer une triste vie <strong>de</strong> vieillesse. Recommencer<br />

à nouveau était son but. Si la réincarnation n’existait pas, et bien<br />

tant pis, elle avait tout, mais rien à perdre. Elle partit sur-le-champ, à<br />

bord d’un corbillard <strong>de</strong> limousine, en espérant un meilleur len<strong>de</strong>main.<br />

Le len<strong>de</strong>main, on déplora la mort <strong>de</strong> la reine Élisabeth II. Morte<br />

le 21 avril 2013, à minuit, sur une table d’opération, succombant à <strong>de</strong><br />

trop nombreuses chirurgies plastiques.<br />

DAPHNÉE ST-MARTIN BROSSEAU<br />

sous le casque<br />

<strong>de</strong> la vie<br />

tu l'as reçue<br />

En plein<br />

dans les poumons<br />

éclatés<br />

comme un chien<br />

couché<br />

loyal<br />

docile, tu restes<br />

et <strong>de</strong> l'eau salée coule<br />

partout, partout<br />

tu as été utile<br />

ouais, pour la cartouche<br />

qui a explosé ton respect pour le drapeau<br />

ton honneur


ton humilité<br />

ton service<br />

les gens continueront à dormir<br />

à manger, à rire<br />

ces bêtes s'en foutent<br />

ça coule, la mer entière<br />

partout, partout<br />

alors,<br />

l'utilité?<br />

MARIE-CHRISTINE BERTEAU<br />

ces briques me martèlent <strong>de</strong>s maux<br />

peut-être un château?<br />

<strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong>ssinées<br />

entrelacées d’araignées erronées<br />

une autre ligne <strong>de</strong>hors<br />

tombe sans but<br />

entre l’esprit du vent et <strong>de</strong> l’argent<br />

acheter marcher<br />

payer manifester<br />

La tempête m’attend<br />

<strong>de</strong>s larmes d’encre coulent <strong>de</strong>s briques<br />

le mur se brise sur les blocs <strong>de</strong> verre<br />

les murs sont chez nous<br />

<strong>de</strong> leurs yeux amers ils se désagrègent<br />

Si seulement ces fautes voulaient bien s’effacer


FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

Le brouillard <strong>de</strong> ma mémoire défaillante se dissipe<br />

Il a <strong>de</strong>s goûts <strong>de</strong> plage <strong>de</strong> bout du mon<strong>de</strong><br />

Et <strong>de</strong>s relents <strong>de</strong> nostalgie<br />

Je suis un dilué d'humanité<br />

Aux tentacules en connexion<br />

Au-<strong>de</strong>là du Pacifique tout change<br />

Ma vue tord d'imaginaire la distance<br />

Pour voir Hong-Kong et le naufrage <strong>de</strong>s coloniaux britanniques<br />

L'îlot hérissé <strong>de</strong> pointes <strong>de</strong> verre et prospère<br />

Jouet entre les pattes du dragon chinois<br />

Kai Tak Chep Lap Kok Kowloon<br />

Mong Kok Tsim Sha Tsui Tai Mo Shan<br />

Des sons d'ailleurs<br />

Étrange diversité en culture <strong>de</strong> profits<br />

Qu'attend <strong>de</strong>main pour révéler sa nature<br />

Entre la forêt d'argent et celle <strong>de</strong> ja<strong>de</strong><br />

Patiente une ville entière retient son souffle s'essouffle<br />

Au milieu <strong>de</strong>s jonques la fumée <strong>de</strong>s tripots en tria<strong>de</strong>s<br />

Résume l'ascension, résumé <strong>de</strong> mon<strong>de</strong><br />

D'en haut c'est une petite terre<br />

Encore libre en échoppe colorée au néon<br />

Si loin <strong>de</strong> mystères et <strong>de</strong> curiosités<br />

Dans un souffle <strong>de</strong> changement...<br />

Et moi qui ne suis, cheveux au vent<br />

Qu'un point sur une plage.<br />

Arrivée<br />

Étouffée étranglée morte asphyxiée<br />

par le poison<br />

Zodiaque St-Dominique<br />

qu'on respire<br />

par les arbres<br />

CLOÉ DECELLES<br />

comme les faux arbres <strong>de</strong> décoration coin St-<br />

Poumons qui éclatent<br />

cœur qui explose<br />

enfermés comme les chiens<br />

dans leurs tours<br />

<strong>de</strong> béton incassable.<br />

Malaise inconnu<br />

dans les rues<br />

fermées<br />

en cage<br />

qui marchent autour


Espoir<br />

Vingt-trois pigeons<br />

Dix-huit écureuils<br />

Neuf chats<br />

Six jardins improvisés<br />

Trois arbres sains<br />

Deux hiron<strong>de</strong>lles<br />

Une montagne renaissante<br />

La terre ici ne goûte plus rien<br />

Mais elle vit toujours.


MOT DU CHEF DE PUPITRE<br />

Particules lumineuses qui jaillissent <strong>de</strong> l’encre.<br />

La beauté existe, peu importe où elle se trouve.<br />

Elle caresse notre âme.<br />

L’essence est un fragment<br />

qui s’engage à créer un lien.<br />

Un second souffle.<br />

Émerveillement.<br />

La seule règle :<br />

l’artifice.<br />

Mélyna Maher<br />

Matin <strong>de</strong> sève et <strong>de</strong> rosée<br />

Les cloches ouvrent<br />

Leurs yeux ensemble<br />

LAURENCE VINET<br />

Du haut d'une montagne, je me sens infiniment petite et si imposante à<br />

la fois. Je vois le mon<strong>de</strong> autrement. Je respire et m'inspire.<br />

Silhouette ombragée<br />

S’étend <strong>de</strong> sa splen<strong>de</strong>ur<br />

Une épinette<br />

Les pommes <strong>de</strong> pin tombent<br />

Telle une pluie<br />

De satellites<br />

AMÉLIE DEMERS<br />

ALEXANDRA TURMEL<br />

MARIE-CHRISTINE BERTEAU


Au travers <strong>de</strong>s bourgeons<br />

Ses yeux s’allument<br />

Lune orange du crépuscule<br />

Bourgeons <strong>de</strong> printemps<br />

Temps doux<br />

Renouveau<br />

La lune timi<strong>de</strong><br />

Derrière le ri<strong>de</strong>au d’arbres<br />

Brille solitaire<br />

Star Wars<br />

Croissant <strong>de</strong> lune<br />

Sous les étoiles acérées<br />

Brillent <strong>de</strong>s poignards cruels<br />

LAURENCE VINET<br />

MYRIAM ANGERS<br />

LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

J'entends son souffle rauque. J'entends ses pas. J'entends le whisky.<br />

BORDEL! Mort je vais te trouver, j'entends déjà les cloches sonner.<br />

SARAH SOREL<br />

Astre céleste<br />

Sur fond <strong>de</strong> velours noir<br />

Rire cristallin<br />

LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

Son regard fixé sur moi. Une larme roule sur sa joue. Il est trop tard,<br />

elle a fait cette terrible erreur. J'appuie sur la gâchette.<br />

Lenteur escargotique<br />

Chipie enrhumée<br />

Une superstar<br />

Lune rousse<br />

Avant les étoiles<br />

Réveil<br />

Doux minou<br />

Fourrure pique-pique<br />

Tactique d'attaque<br />

Aube bleue<br />

Sans étoiles<br />

Un autre jour<br />

AMÉLIE DEMERS<br />

ALEXANDRA TURMEL<br />

MYRIAM ANGERS<br />

ALEXANDRA TURMEL<br />

MYRIAM ANGERS


Larmes dans ma bière<br />

Loufoque sérénité<br />

Tristes plumes<br />

ALEXANDRA TURMEL<br />

J'entends le calme. J'entends l'appel à la tranquillité. J'entends le bienêtre.<br />

Mais d'autres bruits envahissent la douceur.<br />

La monstrueuse bête gît<br />

Parmi les livres tachés <strong>de</strong> sang<br />

Qui l’on vue naître<br />

Pas lourds, souliers usés<br />

Sur la neige sale le rire défait<br />

La pluie qui tombe<br />

CATHY CASTONGUAY<br />

MARIE-CHRISTINE BERTEAU<br />

LAURENCE VINET<br />

On croule sous la musique. Oublier l'espace autour <strong>de</strong> nous, en oublier<br />

la solitu<strong>de</strong>. Danser avec les sons.<br />

Les nuages voilent<br />

La face du ciel<br />

La mort lui crie <strong>de</strong> se montrer<br />

JESSIKA LAGIMONIÈRE<br />

MARIE-CHRISTINE BERTEAU<br />

Prisonnière <strong>de</strong>s branches<br />

Lumière<br />

Dessine ses barreaux<br />

Réconfort<br />

Et harmonie<br />

Dans la musique<br />

LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

MYRIAM ANGERS<br />

Une poignée <strong>de</strong> main, au futur insaisissable. Que coule l’abîme <strong>de</strong>s différences!<br />

Elles resteront ignorées par <strong>de</strong>là les frontières.<br />

Fissurer l’infini<br />

Ce soir fébrile<br />

Le météore frissonne<br />

Vitesse folle<br />

Chacun <strong>de</strong> son côté<br />

Vie urbaine<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

LAURENCE VINET<br />

MYRIAM ANGERS


Jambe brune lacérée<br />

Framboises sauvages<br />

Tentation douce-amère<br />

Assise sur cette terre froi<strong>de</strong> entourée <strong>de</strong> gens qui ne sont plus<br />

LAURENCE VINET<br />

eux-mêmes. Ton souvenir crée un fleuve qui glisse au creux <strong>de</strong> mes<br />

joues.<br />

Carcasse ombragée<br />

Tu pues<br />

La mer<strong>de</strong><br />

Troublante noirceur<br />

Infâme réalité<br />

Qu'est ton âme<br />

MÉLYNA MAHER<br />

ALEXANDRA TURMEL<br />

Un p'tit <strong>de</strong>ux dans la machine, pour faire <strong>de</strong> la place, un champ <strong>de</strong><br />

guerre.<br />

Va-nu-pieds<br />

[…]<br />

FÉLIX BOURGEOIS<br />

Ses vêtements étaient troués, chiffonnés, délavés. Un sans-abri, un vanu-pieds.<br />

La journée achevait.<br />

Bâton à la main, il s’arrêta près d’un arbre, regarda le soleil cé<strong>de</strong>r la<br />

place à la lune et soupira.<br />

Il marchait <strong>de</strong>puis si longtemps qu’il avait oublié la sensation <strong>de</strong> vivre.<br />

Il ne connaissait que sa propre présence.<br />

C’est l’homme soumis qui ne pense plus. […]<br />

JESSIKA LAGIMONIÈRE<br />

Elle a réglé les problèmes du mon<strong>de</strong>. Famine, pauvreté, abus, violence,<br />

esclavage, prostitution... Suffit, il faut se faire à l'idée.<br />

CLOÉ DECELLES


Liaison dangereuse, amoureuse. Rencontre soudaine au centre du<br />

mon<strong>de</strong>, au centre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux. Deux rives, ils vivent, chavirent. Adieu<br />

SUBMERGÉE<br />

JESSIKA LAGIMONIÈRE<br />

J’étais étendue là, laissée à moi-même, trempée. J’ai vu une silhouette<br />

filer près <strong>de</strong> la fenêtre d’une maison à vendre. Elle était vi<strong>de</strong>. Enfin<br />

presque. Une vieille dame était installée près <strong>de</strong> l’évier <strong>de</strong> la salle <strong>de</strong><br />

bain à l'étage. Il était rempli d’eau et inondait le plancher.<br />

- Pardon, je sais que je ne suis pas autorisée à entrer, mais j’ai aperçu<br />

quelqu’un alors que la maison semblait inhabitée.<br />

- Pourquoi pleurez-vous autant? Votre lavabo a débordé et a inondé<br />

toute la salle <strong>de</strong> bain. Vous ne sentez pas vos pieds mouillés?<br />

- Je suis blessée, dit la vieille femme. Tu <strong>de</strong>vrais me comprendre. Je<br />

regrette. Il me hante. Il ne me lâchera jamais. Tout ça, c’est <strong>de</strong> ta faute!<br />

C’est à ce moment qu’elle me prit par le bras. Elle me serra très fort.<br />

- Tu ne mérites pas <strong>de</strong> vivre. Ta souffrance n’est rien comparée à celle<br />

qui s’en vient. Coup <strong>de</strong> pied sur le tibia, coup <strong>de</strong> cou<strong>de</strong> dans le creux <strong>de</strong><br />

la gorge. Vite, avant qu’elle ne me rattrape. La porte d’en arrière. Le<br />

garage.<br />

La route. La pluie. Le brouillard.<br />

Je me suis mise à courir.<br />

Un bruit sourd.<br />

Le reste <strong>de</strong> l’histoire m’échappe.<br />

J’étais étendue là, trempée, et laissée à moi-même. […]<br />

MÉLYNA MAHER<br />

La chartreuse<br />

Pour les honnêtes gens, ce sera la prison, à aire ouverte. Installés dans<br />

<strong>de</strong>s tours à condos, au cœur <strong>de</strong>s villes; au détour <strong>de</strong> celles-ci dans les<br />

banlieues ou à l’abri <strong>de</strong> la vraie pauvreté dans nos HLM capitonnés, la<br />

peine est la même. Mêmes conditions, mêmes responsabilités. Condamner<br />

sur terre à perpétuité.<br />

Signé,<br />

La liberté d’hier et <strong>de</strong> <strong>de</strong>main<br />

P.S. : Pour jeu <strong>de</strong> patience, je vous laisse aujourd’hui.<br />

Saisir la vie I - Déclic<br />

Diaphragme, un regard<br />

Focus, un attrait<br />

Obturation, battement <strong>de</strong> cils<br />

Capturer la vie<br />

FÉLIX BOURGEOIS<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND


Sablonneuse solitu<strong>de</strong><br />

Le temps s’arrête, les yeux se ferment. La respiration saccadée,<br />

l’homme et la femme se regar<strong>de</strong>nt. Le sable couvre leurs corps humi<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> l’eau salée <strong>de</strong> l’océan. Le soleil brûle leur peau rayonnante. Chaleur,<br />

douceur, passion. On en oublie le reste, on profite <strong>de</strong> l’instant.<br />

Rouge<br />

Histoire en flacon<br />

D’ailleurs rêveurs<br />

Le goût du vin<br />

JESSIKA LAGIMONIÈRE<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

À la cendre <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>stin, je bâtis mon avenir <strong>de</strong> mes trois mains. Tel<br />

un pont en floraison, je me dévoile enfin au gré du vent.<br />

Un certain 22 mars<br />

Forêt humaine<br />

Debout en cœur tambour<br />

Je revendique le futur<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

MARIE-CHRISTINE BERTEAU<br />

Les écailles du temps<br />

Tache grise sur fond blanc<br />

C’est l’œuvre du renard argenté<br />

MARIE-CHRISTINE BERTEAU<br />

Quelque part traîne un escalier vers nulle part sinon une idée <strong>de</strong> départ,<br />

d'élévation capiteuse, dans l'effort d'un pas singulier<br />

Ma façon <strong>de</strong> voir les choses<br />

[…]<br />

Le mon<strong>de</strong> s’arrête <strong>de</strong>vant moi pour se regar<strong>de</strong>r.<br />

Pourquoi?<br />

On pose, sans se soucier du reste.<br />

C’est là, la vraie question à se poser.<br />

[…]<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

CATHY CASTONGUAY


Tic tac, tic tac, le temps tombe, l'horloge est pendue. Tic tac, où est le<br />

regard <strong>de</strong> l'homme? Il est figé dans l'ombre <strong>de</strong> la statue.<br />

LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

Je suis une écrivaine née du mauvais coté d'une frontière qu'il m'est interdit<br />

<strong>de</strong> nommer. Mes romans n'existent que pour moi.<br />

Écriture II<br />

Froissement <strong>de</strong> papier<br />

Tracé <strong>de</strong> plomb<br />

Le plaisir <strong>de</strong> créer<br />

LAURENCE VINET<br />

FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

Les Diurnes<br />

Rédactrice en chef : Laurence Vinet<br />

Contre-jour : Félix Bourgeois<br />

Myosis : Alexandra Bourque<br />

Étincelles : Mélyna Maher<br />

Correction : Noémie Bernard et Myriam Angers<br />

Mise en page et illustration : Cathy Castonguay et Sarah Sorel<br />

Les Nocturnes<br />

Rédacteur en chef : Frédérick Bertrand<br />

Lucioles : Vicky Laplante-Bott<br />

Nébuleuses : Langis Bélanger-Duplain<br />

Marchand <strong>de</strong> sable : Jessika Lagimonière<br />

Correction : Cloé Decelles et Marie-Christine Berteau<br />

Mise en page et illustration : Alexandra Turmel et Daphnée St-Martin<br />

Brosseau<br />

Coordonnateur : Maxime Lemire<br />

Diffusion : Amélie Demers


D’un côté, on erre dans la nuit, on s’accroche à la lumière, qui gui<strong>de</strong><br />

nos pas. De l’autre, dans la ville besogneuse d’un « jour ouvrable », on<br />

déambule en se laissant appeler par la faille, le caché. Entre ces <strong>de</strong>ux<br />

pôles, les déchirements sont nombreux, mais c’est précisément là que se<br />

trouve l’écriture.<br />

Les étudiants qui ont construit cette publication l’ont bien compris; la<br />

création littéraire est affaire <strong>de</strong> contrastes. Entre prose et poésie, entre<br />

engagement et formalisme, entre les chemins diurnes et nocturnes, les<br />

textes qu’ils proposent sont le résultat <strong>de</strong> leurs avancées dans le territoire<br />

<strong>de</strong> l’écriture.<br />

J’espère que vous aurez autant d’enthousiasme à les lire que j’en ai eu à<br />

les accompagner dans cette traversée, avant qu’ils ne s’engagent dans<br />

<strong>de</strong> nouveaux chemins!<br />

Dominic Marcil<br />

Professeur<br />

Cette publication a été réalisée dans le cadre du cours Processus <strong>de</strong><br />

création lettres II, offert au cégep <strong>de</strong> <strong>Granby</strong> à l’hiver 2013. Nous remercions<br />

les enseignants du programme d’Arts et lettres et le cégep <strong>de</strong><br />

nous avoir permis <strong>de</strong> mener à terme ce projet.<br />

Nous souhaitons également remercier pour leur soutien les entreprises<br />

Palmex et Agropur.


SVEN L’OUTRE-PASSÉ : Tout juste! Mes problèmes agriculturo-militairo<br />

-facultato-dégustatifs me semblent bien puérils maintenant!<br />

FERME-TA-GUEULE HECTOR VII : (dansant comme une autruche) Roudoudoudou.<br />

Rrrrroudoudoudou. Ah! lui assurément, mérite <strong>de</strong> se<br />

plaindre.<br />

DLXXVI : (ironique) Il vaut bien la peine <strong>de</strong> gagner son ciel...<br />

WILFRED L’ARTISTE SYNTHÉTIQUE : J’ai mal pour moi, lui est choyé.<br />

Vous ne luttez pas avec vos intestins, éparpillés et pillés d’un bout à<br />

l’autre <strong>de</strong> votre royaume! Ces sales poux me font perdre l’équilibre <strong>de</strong><br />

ma Moldavie bien plate à ma Patagonie bien nantie en passant par l’ennui<br />

<strong>de</strong> Matagami et les mites <strong>de</strong> l’Acadie!<br />

HA! HECTOR, INSUPPORTABLE ROUCOULEUR : (faisant le flamand rose<br />

<strong>de</strong> plastique) Roudoudoudou. Rrrrroudoudoudou. Ah! cessez <strong>de</strong> vous<br />

plaindre vous dis-je. Votre problème à vous se trouve dans les excès <strong>de</strong><br />

« i ». Supprimez-les et vos problèmes, mis à part les poux, seront réglés<br />

: plus <strong>de</strong> « i » plus <strong>de</strong> lutte intestine... le mot <strong>de</strong>venant imprononçable!<br />

DLXXVI: Il a raison! Essayez <strong>de</strong> dire ntestne...<br />

SVEN LE MACCHABÉ QUI S’ESTOUVERTLESVEINES II DE LAPONIE-<br />

SEPTENTRIONALE-AU-SEPTRE-D’OR-TRIOMPHALE (agacé) : Tout juste!<br />

Et du même coup, plus aucun pays, plus <strong>de</strong> Moldavie qui perd la vie<br />

sans son « i », plus <strong>de</strong> Patagonie qui meure sans pluie, plus <strong>de</strong> Matagami,<br />

intoxiqué par une grosse envie et plus d’Acadie qui s’enfuit! Donc<br />

plus personne pour vous enquiquiner!<br />

CLOU-LE-ROI-DE-FRANCE-AVEC-DES-VIS : Voilà tous vos ennuis solutionnés!<br />

Pour les poux, isolez-vous, allez, filez...<br />

Allez, sortez, ouste insipi<strong>de</strong> Wilfred, tête baissée, en vous grattant<br />

comme une bête sous le regard horrifié <strong>de</strong>s autres...<br />

TOUS EN CŒUR, SANS LE MAUVAIS CHANTEUR : Clou-vis s’en va en<br />

guerre, marmiton mange donc mes mitaines...


SVEN LA SOUFFRANCE SEPTENTRIONALE : Tout juste c’est votre problème<br />

injuste sire, et je me plains! Mes champs sont infertiles, ils ont<br />

soif d’hémoglobine.<br />

HENRI 576 : Rien <strong>de</strong> plus simple!<br />

CLOU-VIS : Chantez!!! Clovis s’en va en guerre, marmiton mange donc<br />

mes mitaines... peu nous importe!<br />

Tous reprenez en cœur!<br />

Tousse : Cof-cof-cof-argh-heu-cof<br />

TOUS : Clovis s’en va en guerre, marmiton mange donc mes mitaines...<br />

ENCORE HECTOR : Roudoudoudou. Rrrrroudoudoudou. Cesser <strong>de</strong> vous<br />

plaindre, faites la guerre!<br />

SVEN LE SANGUINOLENT : Tout juste les justes! Joyeuse bonne idée, et<br />

si je me plains que je m’ouvre l’aorte et que mes champs avortent!<br />

Scène 2<br />

Entre un astronaute côté jardin, il semble un peu toqué.<br />

CLOU-VIS : Tiens?<br />

HENRI DLXXVI : Donc!<br />

L’astronaute, vous le voyez bien, ne se soucie guère <strong>de</strong> ces bonnes<br />

gens et traversant la scène, ramasse la cuisse <strong>de</strong> poulet. Il tente d’en<br />

prendre une bouchée, mais sa visière l’empêche <strong>de</strong> manger. Déçu, il<br />

jette à terre son festin et ressort le dos courbé.<br />

Scène 3<br />

HENRI DLXXVI : Donc je disais, le pauvre homme.<br />

SAINT-CLOUD : Tiens, possé<strong>de</strong>r l’univers entier comme territoire et ne<br />

rien pouvoir se mettre sous la <strong>de</strong>nt.<br />

UN-DEMI-CLOU : Horreur!<br />

SVEN LA NÉVROSE LA NÉCROSE AUX POIGNETS : Tout juste l’injuste, je<br />

vous plains! Qui donc vous veut grand mal?<br />

HENRI 576 : Les fourmis!<br />

VAUX PAS UN CLOU-NI-UNE-VIS : Comment est-ce possible, <strong>de</strong> si petites<br />

insignifiances?<br />

WILFRED TAPE SUR LES NERFS III : Comme je vous plains... Voyez, je<br />

suis à genoux parmi les poux! Comme les fourmis, c’est la loi du<br />

nombre! Comme je suis malheureux!<br />

HENRI 576 : J’ai <strong>de</strong>s fourmis dans les jambes!<br />

CLOU-VIS : Diantre!<br />

HECTOR-CASANOVA DE TAIS-TOIE-DONC : Roudoudoudou. Rrrrroudoudoudou.<br />

Cesser <strong>de</strong> vous plaindre.<br />

CLOU-VIS : Chantre!<br />

SVEN FINI-S’EN DONC 2 FOIS DE LAPONIE : Tout juste l’injuste, je vous<br />

plains! Mais vos soucis n’ont pas l’ampleur <strong>de</strong>s miens...<br />

HENRI 576 : Quels sont-ils donc?<br />

CLOU ET VIS DE FRANCE : Contez ou chantez, peu nous importe!<br />

SVEN SOUVRE-ENFINLESVEINES : Tout juste l’injuste, je me plains! Mes<br />

champs tarissent d’éloges aux cultivateurs, ils ne ren<strong>de</strong>nt pas leur dû.<br />

HECTOR-CASANIER VEUX-TU TE TAIRE III : Roudoudoudou. Rrrrroudoudoudou.<br />

Cesser <strong>de</strong> vous plaindre.<br />

WILFRED LE CONTREPLAQUÉ : J’ai mal pour vous. Voyez, je suis à genoux<br />

parmi les poux! Famine, comme je suis mal quand je suis heureux...


lo Bic et <strong>de</strong>s bretelles encastrables?<br />

SVEN SOUVRELESVEINES II DE LAPON (COF-COF-COF-ARGH-HEU-<br />

COF) (ah! votre nom est trop long, on s’esquinte fort le gosier à le<br />

crier!) : Tout juste l’injuste!<br />

HENRI XXIV 2 : Et dont la papauté est surnommée la Mecque du « ver<br />

solitaire » ?<br />

SVEN SOUVRELESVEINES II DE (COF-COF-COF-ARGH-HEU-COF) : Tout<br />

juste l’injuste!<br />

Cof-cof-cof-argh-heu-cof ah, ah vous je vous rebâtardise tous!<br />

CLOU-VIS : (confondant tout) Le pape est un transgenre?<br />

SVEN LA NÉVROSE SOUVRELESVEINES II LE CHAPON : Tout juste<br />

l’injuste!<br />

WILFRED EN PRÉFABRIQUÉ : Comme je vous plains... Voyez, je suis à<br />

genoux parmi les poux! Comme je suis malheureux!<br />

HECTOR-CASANOVA-CASANIER VII DE TAIS-TOIE VOILÀ-TON-TROIE-<br />

SANS-LE-« R » : (en pas <strong>de</strong> canard) Roudoudoudou. Rrrrroudoudoudou.<br />

Cesser <strong>de</strong> vous plaindre.<br />

HENRI SQUARED : Un pape du transgenre?! En effet! Entre empereur<br />

intergalactique et macchabée farineux et résineux.<br />

TÊTE DE CLOU OU DE VIS : Vieille branche.<br />

WILFRED DE QUEBECOR M’ENNUIE-À-MORT III : J’ai mal à la hanche.<br />

Voyez, je suis à genoux parmi les poux! Comme je suis malheureux!<br />

HECTOR-CASANOVA-CASANIER VII COUPS DE BÂTON SI VOUS NE VOUS<br />

TAISEZ: (mimant un sale volatile) Roudoudoudou. Rrrrroudoudoudou.<br />

Cesser <strong>de</strong> vous plaindre. Tous nous avons nos épines dorsales dans le<br />

talon d’Achille.<br />

HENRI XXIV 2 : Ne m’en parlez pas! Je suis victime d’une invasion!<br />

Une fois sur scène, les acteurs commencent leurs jeux non olympiques<br />

sur le ton <strong>de</strong> la discussion, avec un timbre <strong>de</strong> voix hautement<br />

élitiste :<br />

UN-DEMI-CLOVIS-ROI-DE-FRANCE : Ce repas ne me coûtera qu’un <strong>de</strong>micul.<br />

HENRI XXIV 2 : Voire douze écus éculés et émasculés!<br />

UN-DEMI-CLOVIS-ROI-DE-FRANCE : Prions notre saint apôtre le pape que<br />

non! Je ne suis pas si fortuné. L’agence <strong>de</strong> l’engeance <strong>de</strong>s indignes indigents<br />

me coûte un bison <strong>de</strong> Bialowieza par heure pour le pain rassis que<br />

je dois leur servir... qu‘ils sont donc mal agencés! Parfois j’ai en songe<br />

la vision d’une réduction <strong>de</strong> leurs charges fécales, mais non... quel cauchemar!<br />

Baisser les impôts? On me veut à la rue plutôt que <strong>de</strong>vant ce<br />

buffet à débattre avec <strong>de</strong> vieilles et viles savates comme vous!<br />

WILFRED DE QUEBECOR COMMERCIAL-À-MORT III : Comme je vous<br />

plains... Voyez, je suis à «genoux parmi les poux!<br />

Monsieur du petit commerce musical, vous ferez un geste tragique la<br />

prochaine fois, ça sera plus probant.<br />

Roucoulant :<br />

HECTOR-CASANOVA-CASANIER VII DE TROIE-MOINS-LE-« R » : (se mouvant<br />

comme une volaille) Roudoudoudou. Rrrrroudoudoudou. Cesser <strong>de</strong><br />

vous plaindre.<br />

SVEN SOUVRELESVEINES II DE LAPONIE-SEPTENTRIONALE-AU-SEPTRE-<br />

D’OR-TRIOMPHALE : Que pensez-vous du nouveau pape Passi-Innocent<br />

(Frôleur<strong>de</strong>nfants) XI?<br />

HENRI XXIV 2 : Celui qui vient d’être engagé et surdiplômé <strong>de</strong> la papeterie<br />

<strong>de</strong> Papeete?<br />

SVEN SOUVRELESVEINES II DE LAPONIE-SEPTENTRIONALE-AU-SEPTRE-<br />

D’OR-TRIOMPHALE : Tout juste l’injuste!<br />

HENRI XXIV 2 : Celui qu’on appelle déjà le pape du papier mâché, du sty-


FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

Acte I<br />

Scène 1<br />

Toutes les didascalies seront lues par un narrateur :<br />

(À la salle) : Bon, alors on m’écoute vous dans la salle! Hé, c’est pas<br />

<strong>de</strong>s blagues, silence! (Hurlant) : Silence! Toutes les didascalies seront<br />

lues par un narrateur à <strong>de</strong>mi-omniscient et à <strong>de</strong>mi-conscient. Il en ira<br />

<strong>de</strong> même pour les noms <strong>de</strong>s personnages qui seront nommés, comme<br />

appelés à la barre par le ventripotent narrateur.<br />

Voyez? Un buffet chinois. Si vous voyez pas, pas mon problème... Au<br />

centre <strong>de</strong> la scène, l’aire <strong>de</strong> libre-service. Éclairage rouge rappelant<br />

celui <strong>de</strong>s lampes à infrarouge. Une pile <strong>de</strong> gros bols à mélanger en<br />

métal servira d’assiettes dont chaque roi se munira, <strong>de</strong> même que<br />

d’une fourchette à barbecue. Les bancs sont remplis d’aliments divers<br />

: chaussettes, laine minérale, cartes à jouer, cravates, boulons <strong>de</strong><br />

choc <strong>de</strong> choquer (à vous d’interpréter), lasagne togolaise, modèle réduit<br />

<strong>de</strong> friterie belge, <strong>de</strong>s Hot Wheels, etc. Des pinces sont là pour<br />

prendre les petits aliments, les plus gros peuvent être prélevés à l’ai<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la fourchette. Un bac doit débor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> que-sais-je-encore... au<br />

centre, une vraie cuisse <strong>de</strong> poulet. Les rois sont habillés tout en blanc<br />

certains porteront un hennin conique, les autres un double hennin.<br />

Ouvrez grand vos yeux, ils entreront par la salle en chantant en chœur<br />

« Le caporal casse-pompons » <strong>de</strong> Brel. Les voilà, acclamez ces vaillants<br />

tyrans!<br />

Bon, vous, monarques d’opérette installez-vous autour <strong>de</strong> la station<br />

libre-service et à chaque réplique du texte, pigez un aliment dans un<br />

<strong>de</strong>s bancs, puis déplacez-vous <strong>de</strong> manière à tourner dans le sens antihoraire<br />

<strong>de</strong> Piccadilly Circus ou <strong>de</strong> la collection automne-hiver <strong>de</strong><br />

Chanel. Une chose encore, il est formellement interdit que le public rit<br />

(avec sérieux) : cela pourrait être interprété comme un manque <strong>de</strong><br />

respect flagrant envers les acteurs, le propos <strong>de</strong> cette pièce est <strong>de</strong> la<br />

plus extrême gravité, tenez-vous le pour dit, indigent public!<br />

VICKY LAPLANTE-BOTT<br />

Toi aux cou<strong>de</strong>s doux comme les échar<strong>de</strong>s d’un ours polaire<br />

Toi au cervelet dansant au rythme du panache du polatouche<br />

Toi aux <strong>de</strong>nts <strong>de</strong>ntelées <strong>de</strong> <strong>de</strong>ntelles déjantées<br />

Toi aux ongles réincarnés telle sa sainteté saine et sauve<br />

Toi aux genoux fous <strong>de</strong> sauterelles qui auraient trop tué<br />

Toi aux talons hauts comme <strong>de</strong>s stationnements souterrains<br />

Toi aux omoplates singulièrement symétriques<br />

Toi au nombril rigoleur cajolé par <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> soupirs<br />

Toi au foie <strong>de</strong> veau qui n’aurait mangé que <strong>de</strong> l’air pour s’abreuver<br />

Toi aux poignets brisés à la claire fontaine m’en allant promener<br />

Je te suivrai même sur la Lune pleine ou vi<strong>de</strong><br />

J’en oublierai ma combinaison spatiale antigravitationnelle<br />

Uniquement pour planer, pour te dire un Je t’aime intersidéral<br />

Entouré <strong>de</strong> cratères gigantesques crachant <strong>de</strong>s arcs-en-ciel<br />

En noir et blanc et peut-être aussi<br />

Avec un peu <strong>de</strong> rose chatouille.


MYRIAM ANGERS<br />

Pour le plaisir <strong>de</strong> vos manches<br />

l’émerveillement <strong>de</strong> vos hanches<br />

Marché d’Hiver vous présente<br />

La danse <strong>de</strong>s raisins flammes avec<br />

les melons miels endiablés<br />

Le chant <strong>de</strong>s prunes mirabelles et<br />

la ron<strong>de</strong> <strong>de</strong>s clémentines canaris<br />

La saraban<strong>de</strong> <strong>de</strong>s courges et courgettes accompagnée<br />

<strong>de</strong>s clowneries <strong>de</strong>s tomates cerises<br />

L’envolée <strong>de</strong>s pains <strong>de</strong> son <strong>de</strong> blé<br />

Au son du concert <strong>de</strong>s fruits et légumes<br />

Ce carnaval <strong>de</strong> goûts, d’o<strong>de</strong>urs, <strong>de</strong> fraîcheur<br />

Est pour vos sens et vos papilles<br />

Mais on ne touche pas!<br />

Vous pourriez ruiner leur maquillage.<br />

CATHY CASTONGUAY<br />

À chaque coin<br />

rue divergente <strong>de</strong>s autres<br />

Rangée <strong>de</strong> maisons<br />

Comme châteaux<br />

Tour Raiponce<br />

Comme faça<strong>de</strong><br />

Rési<strong>de</strong>nces escalier serpentin<br />

Toit avec échiquier<br />

Carte postale


Olivine<br />

isominaque <strong>de</strong> mirphiphine<br />

auresse <strong>de</strong>s promess<br />

divine orchatalme<br />

joribulle d’imaginaire<br />

folle d’éproulasm<br />

la caresse <strong>de</strong> ton sourire<br />

ourbil mes tornalcharms<br />

je pourfoul <strong>de</strong> ta voix crimulleuse<br />

LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

Les mots coulent <strong>de</strong> ma bouche ne sachant dire ta beauté<br />

Olivine<br />

AMÉLIE DEMERS<br />

Concertino <strong>de</strong> bobard<br />

Où confetti orpailleur valse<br />

Confesse en double croche<br />

Parmi la constellation rose<br />

Contorsionniste tire l’élastique<br />

Du ventricule concassé<br />

Par la confiture charnelle<br />

Des condylomes envoûtants<br />

Le conteur cuisinier<br />

Roule pâte à tarte confite<br />

Converge vers sucreries<br />

Met vérité en conserve<br />

Congestion <strong>de</strong> franchise<br />

La fièvre convexe<br />

Qui congèle le lotus<br />

Par les bas-ventres con<strong>de</strong>nsés<br />

Honneur à ton honnête contrecœur<br />

Transparent, comme tes condoms souillés


eplacer ici et là couverts et ustensiles qui ne se tenaient pas parfaitement<br />

droits. Contrairement à mes voisins, je n’ai pas eu peur <strong>de</strong> lui,<br />

quoique je les comprenais, c’est particulièrement fort un nain! Ça peut<br />

vous rompre le cartilage d’un coup <strong>de</strong> nez. Je me suis approché et je lui<br />

ai dit : « Vous savez monsieur le nain obsessif compulsif, ce que vous<br />

avez, c’est une maladie mentale et ça dérange la quiétu<strong>de</strong> morne <strong>de</strong><br />

mes chers amis, voisins vous comprenez? Alors, je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rais<br />

d’arrêter <strong>de</strong> déranger le désordre en replaçant tout sur votre passage,<br />

nous aimons notre chaos, et nous ne voulons pas que ça change.»<br />

Il se retourna, me regarda, son visage changea. Bon sang, je<br />

n’aurais pas dû faire ça! Son petit doigt se leva en l’air et il le pointa<br />

vers moi, le défi dans les yeux. Un petit couinement s’échappa <strong>de</strong> ma<br />

petite gorge.<br />

Couic, le cartilage s’en était allé.<br />

JESSIKA LAGIMONIÈRE<br />

Un trouble obsessif compulsif, c’est ce qu’il avait. On le qualifiait<br />

<strong>de</strong> fou, <strong>de</strong> dérangé. Je n’en croyais pas un mot. Dans notre petite<br />

ville, où les maisons, pas plus gran<strong>de</strong>s que <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-robes, ne se fermaient<br />

qu’à peine et où l’intimité n’existait pas, douter <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s<br />

nôtres <strong>de</strong>venait dangereux, déplacé.<br />

Il faut dire qu’on avait plus l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> se méfier, par chez<br />

nous. Moi moins que les autres, mais c’est que je n’avais pas la langue<br />

dans ma poche non plus. Quand on me dérangeait… enfin on ne me<br />

dérangeait jamais vraiment longtemps. J’avais tendance à le dire, et pas<br />

qu’une fois.<br />

N’empêche, c’était un nouveau, un drôle d’oiseau! Tout le mon<strong>de</strong><br />

avait un peu peur <strong>de</strong> lui. On disait qu’il aimait l’ordre, qu’il ordonnait<br />

tout ce qui lui passait par la main. On avait même retrouvé une boîte à<br />

crayons, ceux-ci aiguisés, tous à la même longueur, et placés en ordre<br />

<strong>de</strong> couleur! L’horreur! Son propriétaire avait perdu connaissance en<br />

découvrant le crime qui avait été commis à l’encontre <strong>de</strong> ses crayons <strong>de</strong><br />

couleur favoris.<br />

Par chance pour lui, il me fallut un bon moment avant <strong>de</strong> croiser<br />

sa route.<br />

Cela arriva un soir bien tranquille, nous avions décidé <strong>de</strong> manger<br />

à la salle commune, le seul endroit <strong>de</strong> notre belle ville qui pouvait accueillir<br />

plus <strong>de</strong> trois personnes à la fois sans étouffer. C’est ce soir-là<br />

que j’ai aperçu la bête.<br />

Pas plus haut que trois pieds, j’ai d’ailleurs failli le manquer. Il se<br />

faufilait entre les jambes <strong>de</strong> ses compères, il faut dire que nain comme il<br />

était, on aurait pu facilement le confondre avec un nain <strong>de</strong> jardin. Pas<br />

qu’on en ait plusieurs dans notre charmante ville, oh ça non, la mairesse<br />

n’aurait jamais permis tant <strong>de</strong> fantaisies près <strong>de</strong> nos portes.<br />

Enfin, il se promenait, et je le voyais se hisser sur les bancs pour


GOURMANDISE MUSCLÉE<br />

Le parc est pris d’assaut<br />

Putsch diplomatique<br />

D’écureuils bedons ronds exponentiel trois<br />

Déserté par l’espèce humaine<br />

Mesquinerie <strong>de</strong>s gloutons.<br />

Le bonsaï emprisonné dans son vivarium<br />

Crie au secours<br />

Personne ne répond<br />

Les pompiers sont occupés à parker leur camion-citerne<br />

Pour éviter une contravention.<br />

-Je t’avais pourtant averti<br />

Mon Réal<br />

Sauver <strong>de</strong>s vies<br />

Ça coûte presqu’aussi cher que<br />

De s’aventurer sur le pont Champlain.<br />

Fais du Bixi à la place<br />

Ça musclera tes cuisses<br />

De nymphe<br />

Émue.<br />

Plutôt que <strong>de</strong> te goinfrer<br />

De 2 cônes orange<br />

Qui rêvent <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir<br />

Crème glacée.<br />

MANÈGE SUR LE BOULEVARD BUVARD<br />

-T’es bien attaché, mon Réal?<br />

L’humanité sur la Main<br />

Ensevelie sous les bruits grinçants<br />

Le progrès à regret<br />

Sur son carrousel à quatre roues<br />

Les chevaux dans le moteur.<br />

Une fête foraine où tous<br />

Avalent les gaz <strong>de</strong>s ballons chiens saucissons<br />

Pour planer au sol pour planter au sol<br />

Une fête foraine où tous<br />

Chevauchant leur monture<br />

Auraient oublié <strong>de</strong> s’amuser.<br />

J’irai rigoler ailleurs<br />

Mon Réal<br />

Si tu ne consens pas à sourire<br />

Malgré tes quelques six cent <strong>de</strong>nts égarées<br />

Au fond du fleuve.<br />

Le tour est terminé<br />

Inutile <strong>de</strong> pleurer<br />

Le boulevard buvard boira<br />

Tes larmes aci<strong>de</strong>s et les recyclera<br />

Pour abreuver les pigeons roupillons<br />

-T’es bien garé, mon Réal?


EXPOSITION SOLEIL BRÛLANT<br />

Soupçon cochon<br />

Lunch osé et réconfortant<br />

Les patineurs anonymes<br />

Des bébés <strong>de</strong>s bedaines en vitrine<br />

On vend <strong>de</strong>s gens<br />

<strong>de</strong>s jambes en plastique<br />

colorée<br />

pointant, nageuses<br />

désynchronisées.<br />

Les mannequins en boutique ont <strong>de</strong>s cocos <strong>de</strong> toucan<br />

Le boucan, le piaillement<br />

Quand on leur parle <strong>de</strong> leur cervelle d’oiseau<br />

Ils n’en font qu’à leur tête<br />

Ramage leur plumage<br />

Impossible <strong>de</strong> plumer<br />

<strong>de</strong> brûler<br />

<strong>de</strong> prendre un coup<br />

le soleil n’arrive pas à transpercer la Gran<strong>de</strong> Muraille bétonnée<br />

- Étonné, mon Réal?<br />

VICKY LAPLANTE-BOTT<br />

-À Un ivrogne à quatre heures<br />

Moins le quart<br />

Quille <strong>de</strong> bleue à la main<br />

Le blues au cœur<br />

Qui m’a souhaité <strong>de</strong> trouver mon chemin<br />

Je lui souhaite moi aussi. Aussi tôt.<br />

On partagera alors<br />

Une barbe à papa<br />

Si celui-ci consent<br />

À nous la léguer.


MÉLYNA MAHER<br />

Je partirais d’ici pour toucher le brouillard<br />

vivre les vagues <strong>de</strong>s montagnes<br />

sentir le troc<br />

pouvoir boire la sagesse<br />

pour vaincre la pluie<br />

d’un coup <strong>de</strong> ra<strong>de</strong>au lumineux<br />

comme un chameau arnaqueur broutant <strong>de</strong> l’herbe fumée<br />

je dormirais à la manière d’un palmier venimeux<br />

à la recherche <strong>de</strong> mon cœur<br />

reconquérir la patience d’un zèbre gracieux<br />

d’un paresseux aux <strong>de</strong>nts <strong>de</strong> lion<br />

je sortirais <strong>de</strong> la lune<br />

pour tuer le désert<br />

à la manière d’un panda<br />

comme un enfant naïf<br />

j’apprécierais la faim<br />

carnaval burlesque<br />

dans un mon<strong>de</strong> où l’apparence n’existe pas<br />

MÉLYNA MAHER<br />

Mon ourson à la fourrure <strong>de</strong> lion<br />

me donne tendresse et amour<br />

aux bras <strong>de</strong> fer, dont il m’y serre<br />

Mon ourson aux yeux <strong>de</strong> mer<br />

dont je m’y perds<br />

Mon soleil couchant<br />

aux pattes <strong>de</strong> léopard attachant<br />

et au dos <strong>de</strong> rhinocéros <strong>de</strong>ntelé<br />

aux griffes douces et à la langue bleue<br />

aux <strong>de</strong>nts <strong>de</strong> panthère <strong>de</strong>s neiges<br />

Mon ourson <strong>de</strong>s îles sauvages<br />

Mon vert cristallin<br />

au bassin <strong>de</strong> requins herbivores<br />

et à la peau <strong>de</strong> mammouth en voie <strong>de</strong> disparition<br />

au cou <strong>de</strong> chauve-souris pendue<br />

et à la table <strong>de</strong> ventre cicatrisé<br />

Mon panda du nord américain<br />

L’homme <strong>de</strong> ma vie.


CATHY CASTONGUAY<br />

Partir<br />

Pour se déplacer vers la belle vue sur le mont Royal<br />

évoluer à Leopoldo<br />

aller à la cathédrale transformée en condo<br />

Explorer le mon<strong>de</strong> entier<br />

Afin <strong>de</strong> me redécouvrir<br />

Pouvoir<br />

Devoir<br />

Suspendre plus souvent mon soulier sur le poteau rue<br />

Prince-Arthur<br />

Aller maintes fois au Théâtre d’Aujourd’hui<br />

Pour voir<br />

Flash <strong>de</strong>s gyrophares me<br />

défonce les yeux<br />

Accrocher plus souvent <strong>de</strong>s lumières éclatantes, éclatées<br />

dans Square Saint-Louis<br />

Avoir une tête <strong>de</strong> sirène moins souvent<br />

Mettre rarement l’anglais sur les affiches<br />

Sentir moins souvent les o<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l’essence<br />

Wouaf<br />

Donc là<br />

je suis entré par<br />

la porte tu vois elle était<br />

pas très pimpante pomponnée<br />

mais bon ces grosses boules <strong>de</strong> poils elles<br />

voient pas le côté plaisant <strong>de</strong> la chose. Bref<br />

je suis rentré et y’avait <strong>de</strong> la fumée partout<br />

j’ai pratiquement régurgité la purée au porc <strong>de</strong> mamie<br />

Jorvis. L’instant d’avant j’étais prêt à courir le gibier, mais<br />

dès que j’ai touché son tapis trop blanc et sans maille tirée<br />

je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose pour<br />

le sortir <strong>de</strong> sa routine. Quelque chose <strong>de</strong> drôle quelque<br />

chose d’inattendu quelque chose qui a du mordant. Seuls mes<br />

kilowatts d’amour et d’excitation pourraient lui faire voir la vie<br />

bichromique telle que je l’aime. J’avais conversé avec Toby,<br />

mon collègue, lors <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong> nos bala<strong>de</strong>s en voiture,<br />

défilé <strong>de</strong> maisons bornes-fontaines buissons lampadaires, et<br />

nous en étions venus à un consensus : il était temps <strong>de</strong><br />

rendre visite à notre patron, celui qui nous interdit <strong>de</strong> jouer entre<br />

l’écart <strong>de</strong> travail et qui ne se pointe jamais à l’usine. Tout le<br />

mon<strong>de</strong> chuchotait qu’il avait <strong>de</strong> longues oreilles poilues<br />

et une moustache fournie : tu ne peux pas savoir comment ils<br />

avaient raison. J’ai été foudroyé sur place quand je l’ai vu<br />

chapeau haut-<strong>de</strong>-forme queue-<strong>de</strong>-pie et pipe. Un chat! Un<br />

tout roux qui avait le poil lustré et les yeux brillants<br />

d’envie <strong>de</strong> jouer avec moi je pouvais le voir d’où<br />

j’étais c’était palpable. Je ne pouvais plus me contenir tu<br />

me connais c’était plus fort que moi je savais<br />

qu’il adorerait cette marque d’affection. Sans<br />

gêne, je lui ai donc administré<br />

le salut <strong>de</strong> notre<br />

noble race.


NOÉMIE BERNARD<br />

Miaou<br />

Mais alors<br />

voyez-vous, mon cher<br />

ami, ce gentilhomme<br />

m’approche avec un regard<br />

fou, qui se pose sur les murs, mon<br />

buste <strong>de</strong> César et mes autoportraits<br />

tout à la fois. Je l’observais d’un œil intrigué<br />

et croyez-moi, pardi; il portait les frusques dignes<br />

du plus pauvre prolétaire <strong>de</strong> cette cité. Votre<br />

mononcle en serait tombé sur votre poitrine douce et<br />

rayée, si vous aviez daigné poser un œil sur une telle<br />

erreur canine. L’o<strong>de</strong>ur qui émanait <strong>de</strong> sa pauvre personne<br />

semblait provenir <strong>de</strong>s ruelles malmenées du quartier à la<br />

sortie <strong>de</strong> la ville. Mais vous <strong>de</strong>vez vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu’il<br />

faisait dans ma si riche <strong>de</strong>meure, n’est - ce pas ? Mon foyer,<br />

mon manoir, mon palace félin, que dis-je! J’en conviens, il avait<br />

autant sa place dans ce décor luxueux que notre cher ami<br />

Sartre dans un concours <strong>de</strong> poids. Vous savez, en félin <strong>de</strong><br />

mon rang, et vu mes intimes relations avec la royauté <strong>de</strong> ce<br />

pays, il était <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> m’abstenir <strong>de</strong> tout commentaire,<br />

<strong>de</strong> faire fi du désagrément qui me tenaillait alors et<br />

d’écouter la requête <strong>de</strong> cette pauvre créature. Faire <strong>de</strong> moi<br />

un réel souverain impassible et inextriquablement froid..<br />

Après tout, il s’était sorti <strong>de</strong> sa misérable bicoque pour<br />

s’entretenir avec moi, je <strong>de</strong>vais tout <strong>de</strong> même l'écouter.<br />

Ne per<strong>de</strong>z pas patience, cher ami, voici la suite : je me<br />

présente donc, et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> la raison <strong>de</strong> cette visite<br />

inopportune. Et vous savez ce qu’il a fait? Je vous<br />

laisse <strong>de</strong>viner! Ces bêtes! Comme un sauvage,<br />

il s’est jeté sur ma personne, froissant mes habits,<br />

et ma dignité, et m’a… Tenez-vous bien.<br />

Léché le visage.<br />

MOT DU CHEF DE PUPITRE<br />

Lorsque les lucioles cherchent à s’extirper, elles éclairent, munies <strong>de</strong><br />

lampes <strong>de</strong> poche, la nuit illuminée. Lorsqu’un auteur veut s’exprimer, il<br />

imprime, <strong>de</strong> ses nombreux maux, le papier. C’est à la frontière <strong>de</strong> l’absur<strong>de</strong><br />

que surgit l’improbable : les mots s’entrechoquent, choquant les<br />

uns, s’écrasant sur le pare-chocs <strong>de</strong>s hôtes. On les accueille, pour leur<br />

belle gueule, tant qu’ils sont en état <strong>de</strong> nous chanter quelconque musicalité.<br />

La luci<strong>de</strong> luciole qu’est l’inspiration s’attrape au filet mignon.<br />

On les cuisine grossièrement, ces vers luisants. On les écrase sur la<br />

feuille! Voilà l’origine <strong>de</strong> ces bavures et taches retrouvées à la tâche.<br />

De vulgaires mouches à feu inspirées échouées qui n’ont pas su contrôler<br />

leur atterrissage entre <strong>de</strong>ux stops, entre <strong>de</strong>ux strophes.<br />

Si chaque luciole a une très courte durée <strong>de</strong> vie, c’est pour mieux nous<br />

éblouir. Sa mort, aussi absur<strong>de</strong> que poétique, revient à la fonction vitale<br />

<strong>de</strong> cette section : ébahir par moments, <strong>de</strong> rires et <strong>de</strong> sonorités, parce que<br />

mieux vaut en rire qu’en mourir sot et irrité.<br />

Petit. Secret. : Pour imiter la luciole, vous n’aurez qu’à vous planter une<br />

lumière dans le <strong>de</strong>rrière, question d’éclairer un peu votre esprit. Ne<br />

reste plus qu’à attendre que <strong>de</strong>s antennes vous poussent. Certaines<br />

femmes en ont déjà, adressez-vous à elles. Ou aux satellites.<br />

Vicky Laplante-Bott


fille. Et alors que la petite chose refait son chemin en elle, Samanta<br />

ferme les yeux et peut voir une infinité <strong>de</strong> petites mains malformées se<br />

tendant vers elle dans les ténèbres.<br />

Bébé peut naitre maintenant.<br />

Et nous y voici les amis. Personnellement, j’ai un point faible<br />

pour les histoires qui se terminent avec une famille unie. Ça me laisse<br />

toujours avec une larme à l’oeil. Pas vous? Pensez-vous que Samanta<br />

va avoir l’occasion <strong>de</strong> reprendre les chose où elle les avaient laissées?<br />

Ce serait dommage si elle <strong>de</strong>vait recommencer au premier mois. Non?<br />

Le petit a attendu bien assez longtemps. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce qui va avoir<br />

été le plus douloureux à la fin la sortie ou l’entrée.<br />

Hahahahahahahaha....


sous-vêtements gisent déchirés au sol. Déchiré est aussi le terme qui<br />

s’applique pour décrire ce qui reste <strong>de</strong>s parties génitales <strong>de</strong> la pauvre<br />

femme. Le tout n’est qu’une masse sanglante et informe. Samanta ne<br />

peut s’empêcher <strong>de</strong> vomir sur place <strong>de</strong>vant l’horreur <strong>de</strong> la scène. Sa<br />

tante tend alors une main tremblante vers elle et laisse échapper un son<br />

qui ressemble plus à un gargouillement qu’à une parole, avant <strong>de</strong> finalement<br />

s’écrouler, définitivement inerte. Samanta réussit tout <strong>de</strong> même à<br />

en comprendre le sens.<br />

C’est toi qu’il veut. Il veut sa maman.<br />

Samanta saisit le téléphone sur la table <strong>de</strong> chevet pour appeler<br />

<strong>de</strong>s secours. La ligne ne fonctionne pas, mais, à la place <strong>de</strong> la tonalité<br />

habituelle, Sami peut entendre <strong>de</strong>s pleurs d’enfants qui tournent en ricanements<br />

juste avant qu’elle raccroche. C’en est trop pour la jeune<br />

femme. Elle fonce vers la porte <strong>de</strong> la chambre pour fuir cette maison<br />

aussi vite qu’elle le peut. Elle ne se rend cependant pas plus loin que le<br />

cadre <strong>de</strong> porte <strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong> sa tante, car elle est percutée par une<br />

forme massive à la secon<strong>de</strong> où elle met un pied dans le couloir. Samanta<br />

perd conscience.<br />

Quand Samanta revient à elle, c’est pour découvrir qu’elle est<br />

ligotée dans son propre lit. Devant elle se tient un homme massif à la<br />

peau pâle et au regard vi<strong>de</strong>. Samanta tente d’appeler à l’ai<strong>de</strong>, mais est<br />

bâillonnée. Ses bras et jambes étant eux aussi ligotés aux quatre coins<br />

du lit, la jeune femme ne peut que regar<strong>de</strong>r avec terreur l’homme qui<br />

approche lentement son visage du sien. L’étranger s’arrête cependant à<br />

un cheveu d’elle pour lui dire, d’une voix qui donne l'impression <strong>de</strong> ne<br />

pas avoir été utilisée <strong>de</strong>puis longtemps.<br />

Le bébé veut naitre maintenant.<br />

De l’ombre <strong>de</strong> la chambre sort alors une forme marchant à quatre<br />

pattes malgré ses bras malformés. La chose rampe maladroitement vers<br />

elle <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la chambre, alors que Samanta la regar<strong>de</strong> avec<br />

une terreur engourdissante. Presque tendrement, l’homme soulève la<br />

petite forme et la dépose sur le lit. Sami peut voir la petite chose parfaitement.<br />

Elle peut voir les marques où les membres <strong>de</strong> la créature ont été<br />

arrachés pour l’extraire du ventre <strong>de</strong> sa mère. Elle peut voir son petit<br />

sexe pas encore assez formé pour savoir s’il s’agit d’un garçon ou d’une<br />

traces <strong>de</strong> pas sur le plancher du couloir. À première vue, elle pense qu’il<br />

s’agit du chat <strong>de</strong> sa tante qui s’est mis les pattes dans quelque chose <strong>de</strong><br />

salissant et laissé <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong>rrière lui, mais quand elle se penche pour<br />

regar<strong>de</strong>r, elle réalise que les empreintes sont trop petites pour appartenir<br />

au félin. Sa tante aurait-elle achete un autre chat plus petit, sans lui en<br />

parler? Ce serait surprenant, mais pas impossible.<br />

Curieuse, elle suit les empreintes qui l’emmènent justement à la<br />

salle <strong>de</strong> bain, mais disparaissent une fois le cadre <strong>de</strong> porte dépassé. Espérant<br />

retrouver les traces, elle allume les lumières et doit se mettre une<br />

main sur la bouche pour retenir un cri <strong>de</strong> surprise <strong>de</strong>vant l’image qui<br />

s’offre à elle.<br />

Les traces ne sont effectivement plus sur le plancher, mais, loin<br />

<strong>de</strong> disparaître, celles-ci continuent sur les murs et le plafond pour finalement<br />

se terminer au miroir <strong>de</strong> la salle <strong>de</strong> bain sur lequel est marqué avec<br />

un étrange liqui<strong>de</strong> noir, un seul mot en lettres grossières.<br />

Maman<br />

Samanta s’apprête à quitter la salle <strong>de</strong> bain pour aller réveiller sa<br />

tante, quand un bruit se fait entendre dans la pharmacie <strong>de</strong>rrière le miroir.<br />

Lentement, Samanta s’approche. Elle touche presque le cadre,<br />

quand un autre bruit se fait entendre du couloir. Par réflexe, elle se retourne.<br />

Une sorte <strong>de</strong> gargouillement étrange résone dans la direction <strong>de</strong><br />

la chambre <strong>de</strong> sa tante. Sami fait un pas dans cette direction quand<br />

quelque chose la percute légèrement dans le dos. La porte <strong>de</strong> la pharmacie<br />

s’est ouverte. Brusquement, les lumière se ferment et Sami pousse<br />

un hurlement <strong>de</strong> frayeur quand quelque chose se jette sur sa nuque.<br />

Folle <strong>de</strong> peur, elle se débat et réussit à chasser la chose qui la tient à la<br />

nuque. Les lumières se rallument. Elle est seule dans la salle <strong>de</strong> bain. Le<br />

gargouillement se fait <strong>de</strong> nouveau entendre dans le couloir.<br />

Tremblant encore un petit peu, Samanta se dirige dans la direction<br />

<strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong> sa tante. La porte <strong>de</strong> chambre est entrouverte. Sami<br />

appelle le nom <strong>de</strong> sa tante, mais ne reçoit aucune réponse. Pru<strong>de</strong>mment,<br />

elle commence à pousser la porte, quand quelque chose passe très<br />

près <strong>de</strong> sa jambe gauche. Surprise, Sami se jette dans la chambre et se<br />

retrouve nez à nez avec une vision d’horreur. Sa tante est couchée sur le<br />

lit. La robe <strong>de</strong> nuit qu’elle portait est remontée jusqu’à sa taille et ses


compenser pour ses absences à ses cours <strong>de</strong> collège. Elle a manqué plusieurs<br />

semaines <strong>de</strong>puis... l’acci<strong>de</strong>nt. Elle <strong>de</strong>vrait techniquement retourner<br />

en classe la semaine prochaine, mais n’est pas encore certaine<br />

d’avoir le courage <strong>de</strong> faire face à toute les questions qui l’atten<strong>de</strong>nt.<br />

Comment va-t-elle? Est-ce que l’opération s’est bien passé? Et surtout,<br />

qu’est-ce qui s’est passé?<br />

Comment exprimer à haute voix qu’elle avait été droguée au<br />

GHB et que, douze heures plus tard, elle s’était réveillée dans la<br />

chambre d'un motel miteux avec un sérieux mal <strong>de</strong> tête, <strong>de</strong>s sousvêtements<br />

souillés et la semence d'une petite vie qui commençait déjà à<br />

croître dans son ventre. Le tout s’était passé dans un bar du coin où Samanta<br />

avait été célèbrer la rentrée avec quelques-unes <strong>de</strong> ses amies.<br />

Elle n’a jamais vu l’homme qui l’a droguée, ses amies non plus d’ailleurs.<br />

Samanta est simplement disparue sans laisser ni trace, ni témoin.<br />

Le propriétaire du motel, quant à lui, a donné une <strong>de</strong>scription assez<br />

vague <strong>de</strong> l’homme en question. Il était grand, avait les cheveux noirs et<br />

la peau très pâle. Il avait payé la chambre en argent comptant pour une<br />

nuit et les rares traces d’ADN qu’il avait laissées <strong>de</strong>rrière lui n’avaient<br />

rien donné <strong>de</strong> concluant. L’agent chargé <strong>de</strong> l’enquête lui avait même dit<br />

en toute confi<strong>de</strong>nce que les seuls individus correspondant à l’ADN<br />

trouvé sur les lieux étaient <strong>de</strong>ux criminels mort à dix années d’intervalle.<br />

Samanta avait trouvée cette nouvelle particulièrement inquiétante.<br />

Comment expliquer qu’elle avait hésité pendant plusieurs mois<br />

avant <strong>de</strong> finalement aller à la clinique d’avortement? Ou parler <strong>de</strong> ses<br />

parents catholiques pratiquants qui l’avait jetée <strong>de</strong>hors à la secon<strong>de</strong> où<br />

ils avaient su pour l’opération. Elle avait donc dû aller rester chez sa<br />

tante, qui était déjà beaucoup plus ouverte d’esprit que ses parents. Depuis,<br />

elle ne réussit plus à fermer l’oeil et doit se contenter du minimum<br />

<strong>de</strong> sommeil nécessaire à sa survie. Chaque nuit le même rêve vient la<br />

hanter et chaque fois elle se réveille avec seulement cette phrase<br />

étrange en tête.<br />

Bébé veut naître maintenant.<br />

Sami retourne à la salle <strong>de</strong> bain s’asperger le visage d’eau froi<strong>de</strong><br />

pour se réveiller un petit peu. La maison est particulièrement silencieuse<br />

à cette heure <strong>de</strong> la nuit. En chemin, elle remarque <strong>de</strong> petites<br />

MAXIME LEMIRE<br />

Bonsoir les enfants! Bienvenue à une autre séance d’histoires à<br />

dormir <strong>de</strong>bout, ou plutôt, à ne pas dormir du tout! Hahahahahahahaha!<br />

Cette fois, nous ne parlerons cependant pas <strong>de</strong> gobelins ou <strong>de</strong><br />

sorcières. Noooooooooooon. Aujourd’hui, on parle <strong>de</strong> bébés. Oui, oui,<br />

vous m’avez bien compris, <strong>de</strong> bébés. Haaaa là! Ne me donnez pas ce<br />

regard sceptique. Laissez à l’histoire une chance <strong>de</strong> vous faire frissonner<br />

jusqu’à la moelle avant <strong>de</strong> la juger.<br />

Non, notre bambin n’a rien <strong>de</strong> mignon. Il est en fait très fâché.<br />

Voyez-vous, c’est la maman qui a été vilaine cette fois et notre petit<br />

rejeton ne veut qu’une chose, se venger. J’appelle cette histoire...<br />

Les Avortés<br />

Bébé veut naître maintenant...<br />

Samanta se réveille en sursaut! Elle regar<strong>de</strong> autour d’elle, la<br />

chambre est noire. Le soleil ne <strong>de</strong>vrait pas se lever avant encore plusieurs<br />

heures. Peu importe... Sami sait qu’elle ne retrouvera pas le sommeil<br />

cette nuit.<br />

Elle tente <strong>de</strong> se concentrer, <strong>de</strong> se remémorer son rêve, mais<br />

comme à chaque fois, celui-ci lui échappe. Elle envisage brièvement<br />

d’aller regar<strong>de</strong>r la télévision dans le salon, mais elle risquerait <strong>de</strong> réveiller<br />

sa tante. Ce serait ingrat considérant que la vieille dame a gracieusement<br />

accepté d’héberger Samanta chez-elle après tout ce qui s’est<br />

passé, après son opération.<br />

La jeune femme ne peut pas exprimer toute sa reconnaissance<br />

pour sa tante, qui l’a acceptée alors que ses propres parents l’ont rejetée.<br />

Devant se limiter aux options contenues dans sa petite chambre,<br />

Sami déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> réviser les travaux <strong>de</strong> rattrapage qu’elle doit faire pour


CLOÉ DECELLES<br />

La jeune elfe prend place aux côtés <strong>de</strong> son ami. Le vent sifflant<br />

fait flotter ses boucles d’or, qui s’écrasent contre l’immense tronc <strong>de</strong><br />

l’arbre. Le coeur lourd, elle cherche protection sous les lour<strong>de</strong>s<br />

branches <strong>de</strong> son compagnon. Elle baisse la tête et fixe les larmes, qui se<br />

fracassent sur les racines noueuses avant <strong>de</strong> se mêler aux minces filets<br />

d’eau amenés par la pluie battante.<br />

Elle étend sa main sur l'écorce ru<strong>de</strong>. La caresse, doucement. Elle<br />

prend bien soin <strong>de</strong> ne pas le blesser. Elle trace amoureusement <strong>de</strong> ses<br />

doigts fins chaque crevasse, cicatrices accumulées par l’arbre au fil <strong>de</strong><br />

sa guerre interminable contre l’avènement <strong>de</strong>s hommes.<br />

Une feuille s'envole au vent, instant <strong>de</strong> distraction éphémère dans<br />

son exploration sensorielle.<br />

Délicate et fragile, la feuille <strong>de</strong> saule a une forme frêle, longue et<br />

mince comme une lance transperçant le cœur pleureur <strong>de</strong> son arbre.<br />

Délicate et fragile, comme l’elfe qui l’observe.<br />

Son regard se bala<strong>de</strong> autour d'elle, s’accroche au ri<strong>de</strong>au qui l’entoure.<br />

Les longues et fines branches sont parsemées d’étroites larmes<br />

coulant vers le sol. De couleur verte, les tendres feuilles se joignent du<br />

bout <strong>de</strong> leurs lianes dans une danse effrénée avec le vent et la pluie.<br />

Virevoltant tristement et battant contre le tronc dur et écaillé <strong>de</strong> l’arbremère.<br />

De l'arbre-père.<br />

La jeune elfe revoit la gloire d’autrefois, la splen<strong>de</strong>ur du passé,<br />

tournoyer autour d’elle au bout <strong>de</strong>s lianes qui battent au vent. Elle se<br />

souvient.<br />

Les sanglots s’écoulant <strong>de</strong> ses extrémités l'ont fait rêver jadis,<br />

rien n’est plus beau que <strong>de</strong> s'asseoir aux pieds <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong> ces majestueux<br />

géants et d’écouter leur douce plainte. Plus maintenant. Les doux<br />

chatons <strong>de</strong> fleurs se font sentir dès le début du printemps, annonçant du<br />

même coup une nouvelle saison <strong>de</strong> tristesse pour l’arbre maudit. Plus<br />

maintenant.<br />

Le ciel déchaîné couvre le silence <strong>de</strong> l’enfant perdue.<br />

L'arbre ne pleure plus.<br />

encore, l'arbre d'Adriana au coeur <strong>de</strong> la forêt. Refusant <strong>de</strong> laisser tout ce<br />

qu'il aimait être détruit, le vieux bûcheron envoya la jeune nymphe se<br />

mettre à l’abri et fonça dans la forêt hache à la main. La seule manière<br />

dont il pouvait sauver cette terre, à laquelle il tenait tant, était d'en défricher<br />

une partie avant que les flammes ne les atteignent, coupant ainsi la<br />

progression <strong>de</strong> l'incendie. Rhacèles allait <strong>de</strong>voir rompre sa promesse.<br />

Pendant trois jours et trois nuits, Rhacèles abattit conifères et<br />

feuillus, créant ainsi une large tranchée entre l'incendie et la partie intacte<br />

<strong>de</strong> la forêt. La tâche était cependant titanesque et, à chaque arbre<br />

qui cédait sous les coups <strong>de</strong> ses bras puissants, Rhacèles pouvait sentir<br />

la fatigue se faire <strong>de</strong> plus en plus pesante. Le bûcheron n'était plus un<br />

jeune homme et son corps lui hurlait d'abandonner. Il pouvait sentir la<br />

pluie alourdir ses membres. Chaque partie <strong>de</strong> son corps lui faisait mal et<br />

lui suppliait <strong>de</strong> s’arrêter, mais Rhacèles ne laisserait pas la fatigue faire<br />

<strong>de</strong> lui un lâche. Il ne pouvait se permettre <strong>de</strong> baisser les bras, la sécurité<br />

d'Adriana en dépendait. Il avait décidé d’y laisser sa vie avant <strong>de</strong> permettre<br />

que la jeune nymphe ne subisse la moindre blessure. Telle était<br />

la volonté <strong>de</strong> Rhacèles.<br />

Au début du quatrième jour, Adriana sortit <strong>de</strong> sa cachette pour<br />

découvrir que l'incendie avait cessé et que la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> la<br />

forêt était toujours intacte. Folle <strong>de</strong> joie, elle accourut à la maison <strong>de</strong><br />

Rhacèles, mais celui-ci ne s'y trouvait pas. Elle chercha pendant <strong>de</strong><br />

longues heures sans le trouver. Ce fut finalement à l'orée <strong>de</strong> la forêt<br />

qu’elle découvrit le vieux bûcheron. Celui-ci se tenait droit, fier, sa<br />

hache à l’épaule. Il faisait face à la désolation <strong>de</strong> la forêt brûlée. À plusieurs<br />

reprises, elle appela son nom, mais jamais il ne lui répondit. Il ne<br />

répondrait jamais plus à personne. Oui, Rhacèles n’était plus. L'effort<br />

avait été trop considérable pour son vieux cœur et, avec le soulagement<br />

<strong>de</strong> savoir sa fille adoptive hors <strong>de</strong> danger, il s'était éteint. Cependant,<br />

même la mort, ne pouvait rivaliser avec la force et la ténacité du vieux<br />

bûcheron. Vidé <strong>de</strong> toute vie, son corps se tenait droit, alors que son visage<br />

affichait le sourire paisible du fermier satisfait après une bonne<br />

journée <strong>de</strong> travail. La légen<strong>de</strong> veut que plusieurs autres incendies aient<br />

ravagé la forêt <strong>de</strong>puis, mais que mystérieusement, jamais aucune n'a<br />

dépassé la frontière marquée par une clairière complètement déboisée,<br />

cicatrice laissée sur ces terres par le vieux bûcheron qui a donné sa vie<br />

pour protéger ce qu’il aimait.


sante <strong>de</strong> lui avoir sauvé la vie. Le bûcheron ne put s'empêcher <strong>de</strong> lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi, en tant que protectrice <strong>de</strong> la forêt, elle n’avait rien<br />

fait pour l’empêcher <strong>de</strong> couper tous ces arbres. Selon ce qu'il avait entendu<br />

sur les nymphes, celles-ci étaient capable <strong>de</strong> contrôler les<br />

hommes en utilisant leur beauté pour les charmer. Elle lui expliqua que<br />

pour soumettre les hommes à son emprise, elles faisaient appel aux<br />

vices <strong>de</strong> ceux-ci. Des vices qui étaient absent dans le coeur <strong>de</strong><br />

Rhacèles. Elle avait bien sûr d'autre moyens à sa disposition, mais<br />

n'avait pas été capable <strong>de</strong> s'amener à faire du tort au vieux bûcheron.<br />

Accablé par les remords <strong>de</strong>vant tout le mal qu'il avait fait, Rhacèles<br />

jura alors <strong>de</strong> ne plus jamais couper un autre arbre <strong>de</strong> sa vie. La nymphe<br />

était touchée par les sentiments <strong>de</strong> l'ancien soldat et lui pardonna, à<br />

condition qu'il l'ai<strong>de</strong> à replanter les arbres qu'il avait coupés. En<br />

échange, elle l'ai<strong>de</strong>rait avec ses cultures. Elle avait remarqué, non sans<br />

un certain amusement, la maladresse dont il faisait preuve quand il était<br />

question <strong>de</strong> faire pousser ses récoltes. Rhacèles était plus qu'heureux<br />

d'accepter. La forêt fut vite replantée et, grâce à l'ai<strong>de</strong> d'Adriana, les<br />

problèmes qu’avait Rhacèles avec ses plantations furent rapi<strong>de</strong>ment<br />

réglés.<br />

Alors que la cinquantaine approcha pour Rhacèles, il commença<br />

à voir en la jeune femme l'enfant qu'il n'avait jamais eu. Adriana, <strong>de</strong><br />

son côté, accepta gracieusement l'attitu<strong>de</strong> paternelle du vieux fermier.<br />

Elle aussi appréciait beaucoup sa compagnie et, même après qu'ils aient<br />

replanté la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> la forêt, Adriana insista pour qu'ils<br />

laissent un chemin libre entre la terre <strong>de</strong> Rhacèles et le vieux chêne où<br />

elle <strong>de</strong>meurait. Ainsi, ils pouvaient se revoir facilement.<br />

Ce furent <strong>de</strong>s temps heureux. Mais comme toutes les bonnes<br />

choses, celle-ci ne pouvaient pas durer. Après un été particulièrement<br />

ari<strong>de</strong>, l'ancienne forêt était asséchée. Rhacèles et Adriana attendaient<br />

avec inquiètu<strong>de</strong> la prochaine averse. Quand finalement le ciel commença<br />

à se couvrir <strong>de</strong> nuages noirs, il pensèrent être sauvés. Ils ignoraient<br />

que ces nuages apportaient dans leur sein, non la pluie salvatrice, mais<br />

la mort sous la forme d’un orage comme Rhacèles n’en avait jamais vu.<br />

Des éclaires déchiraient les arbres <strong>de</strong> la forêt, alors que le toerre sonnait<br />

tellement fort qu’il causait <strong>de</strong>s éboulements partout dans la forêt.<br />

Un incendie finit par se déclencher à la bordure <strong>de</strong> l’ancienne sylve. Il<br />

consumait la forêt à une vitesse terrifiante. Ce n'était qu'une question<br />

<strong>de</strong> temps avant qu'il n'atteigne la terre <strong>de</strong> Rhacèles et, plus important<br />

plusieurs hectares <strong>de</strong> terre. Rhacèles éprouvait cependant <strong>de</strong> la difficulté<br />

avec ses récoltes. Il parvenait toujours à en amasser suffisamment<br />

pour subvenir à ses besoins, mais rarement beaucoup plus. De plus,<br />

malgré le plaisir qu'il prenait à cultiver sa terre Rhacèles commençait à<br />

se sentir seul. À cause <strong>de</strong> la guerre, il n'avait pas cru juste <strong>de</strong> prendre<br />

une femme et risquer <strong>de</strong> la laisser veuve. De plus, sachant qu’il allait<br />

s'installer dans ce territoire isolé, il était conscient qu’aucune femme ne<br />

l’aurait suivi jusque-là. Heureusement, ses corvées le tenaient occupé<br />

ne lui laissaient que très peu <strong>de</strong> temps pour se sentir seul.<br />

Puis arriva le jour qui changea sa vie. Après quelques saisons, la<br />

terre <strong>de</strong> Rhacèles dépassait les vingt hectares et il continuait à avancer,<br />

abattant et déracinant tout sur son chemin. À ce point, il n'avait plus<br />

vraiment besoin d'agrandir sa terre, mais couper et défricher restait sa<br />

première source <strong>de</strong> divertissement. Il atteignit éventuellement le centre<br />

<strong>de</strong> la forêt et se retrouva face-à-face avec un chêne, ancien et particulièrement<br />

imposant. Rhacèles était ravi <strong>de</strong> ce défi inattendu. Jamais il ne<br />

s'était mesuré à un arbre aussi massif. Tout sourire, il prépara sa hache<br />

et l'abattit avec toute la force dont ses bras étaient capable. À sa plus<br />

gran<strong>de</strong> surprise, l'ancien feuillu se montra particulièrement résistant.<br />

Malgré la quarantaine qui approchait, Rhacèles abattait habituellement<br />

même les plus larges chênes d'un seul coup <strong>de</strong> ses bras puissants. Pourtant,<br />

cette fois, il ne parvint à enfoncer sa hache que <strong>de</strong> quelques<br />

pouces. Loin d’être découragé par son échec, le bûcheron se prépara à<br />

frapper une <strong>de</strong>uxième fois. Il arrêta cependant son mouvement quand,<br />

soudainement, une ravissante jeune femme sortit <strong>de</strong> l'arbre et s'écroula<br />

au sol, une plaie saillante fendant son côté droit.<br />

Pendant ses années au service <strong>de</strong> l’armée <strong>de</strong> Mereime, Rhacèles<br />

avait entendu plusieurs légen<strong>de</strong>s sur les esprits <strong>de</strong>s bois vivant à l'intérieur<br />

<strong>de</strong>s arbres, mais jamais il n'avait cru une secon<strong>de</strong> à leur existence.<br />

Pourtant, il en avait maintenant un <strong>de</strong>vant lui. Réalisant qu'en tentant <strong>de</strong><br />

couper l'arbre, il avait probablement causé la blessure <strong>de</strong> la jeune<br />

femme, Rhacèles s'empressa <strong>de</strong> la ramener chez lui pour lui prodiguer<br />

<strong>de</strong>s soins. Il avait été formé comme soigneur durant la guerre et fut rassuré<br />

<strong>de</strong> voir la jeune créature se remettre rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> sa blessure.<br />

La jeune femme, s’introduit comme étant Adriana la nymphe<br />

protectrice <strong>de</strong> la forêt ancienne. Adriana en voulait à Rhacèles d'avoir<br />

coupé tant d'arbres <strong>de</strong> sa forêt, mais lui était tout <strong>de</strong> même reconnais-


seize ans.<br />

Durant les dix années que dura son service militaire, Rhacèles ne<br />

prit jamais goût à la violence <strong>de</strong> la guerre. En réalité, celle-ci dégoûtait<br />

son cœur <strong>de</strong> fermier. Avec sa force immense, il avait le potentiel <strong>de</strong><br />

faire un soldat redoutable, mais son manque d'enthousiasme et sa bonne<br />

nature tempéraient beaucoup son efficacité et lui attirèrent l'inimitié <strong>de</strong><br />

ses officiers supérieurs. À chaque fois, on lui attribuait la corvée <strong>de</strong> bois<br />

en guise <strong>de</strong> punition pour son manque d'intérêt pour son rôle <strong>de</strong> soldat.<br />

Ses supérieurs ignoraient que couper du bois représentait la seule tâche<br />

à laquelle il prenait plaisir. Après un certain temps, ils en prirent conscience,<br />

mais l'efficacité du fermier indiscipliné était telle qu'ils ne virent<br />

pas l'intérêt <strong>de</strong> lui retirer cette corvée. Au moins, <strong>de</strong> cette façon il se<br />

rendait utile. Alors que le conflit touchait à sa fin, il était beaucoup plus<br />

bûcheron que soldat. De plus, ce labeur répété ne fit qu'augmenter sa<br />

force déjà prodigieuse. Il pouvait couper un arbre large comme un<br />

homme d'un seul coup <strong>de</strong> hache. Sa réputation était telle que même les<br />

soldats Tadarissiens la connaissaient. Les rumeurs étant ce qu'elles sont,<br />

Rhacèles était décrit comme un monstre immense qui pouvait arracher<br />

un arbre <strong>de</strong> ses mains nues. Terrorisés par l'idée <strong>de</strong> se retrouver <strong>de</strong>vant<br />

un tel adversaire, les fantassins <strong>de</strong> Tadaris faisaient actuellement tout ce<br />

qu’ils pouvaient pour ne pas se retrouver <strong>de</strong>vant ce terrible surhomme<br />

sur le champ <strong>de</strong> bataille. Cela ne déplaisait nullement à Rhacèles qui<br />

évitait ainsi d’avoir à faire couler le sang d'hommes envers lesquels il<br />

n'éprouvait aucune animosité.<br />

Finalement, le conflit toucha à sa fin. Quand il revint finalement<br />

auprès <strong>de</strong>s siens, Rhacèles était âgé <strong>de</strong> vingt-six ans et n’avait plus rien<br />

du jeune homme qui était parti à la guerre, dix années auparavant. Il<br />

resta avec sa famille jusqu'à ce que ses parents soient trop âgés pour<br />

continuer à travailler les champs. Il laissa alors tout le lègue <strong>de</strong> ses parents<br />

à son frère et son épouse, comme il avait toujours souhaité le faire<br />

et utilisa la sol<strong>de</strong> qu'il avait méticuleusement économisée, pendant ses<br />

années <strong>de</strong> service, pour s'acheter la terre qu'il avait désirée si longtemps.<br />

Il s’installa à proximité d'une forêt ancienne. Selon les rumeurs,<br />

les feuillus et conifères peuplant cette forêt étaient les plus robustes du<br />

continent. C'était spécialement pour cette raison qu'il avait choisi <strong>de</strong><br />

s'installer à cet endroit. Ce fut avec un plaisir presqu’enfantin qu'il commença<br />

à défricher sa terre pour laisser place à ses futures cultures. Ses<br />

progrès étaient rapi<strong>de</strong>s. En seulement une saison, il avait déjà libéré<br />

MAXIME LEMIRE<br />

Les histoires <strong>de</strong> héros légendaires sont nombreuses. Qu'ils soient<br />

<strong>de</strong> majestueux rois bienveillants ou <strong>de</strong> glorieux guerriers issus <strong>de</strong>s<br />

dieux, ces hommes et ces femmes à la <strong>de</strong>scendance remarquable ont<br />

tous contribué à la création d'un idéal qui traversera les âges et composera<br />

nos mythes et légen<strong>de</strong>s. Cependant, les origines <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> ces<br />

illustres personnages sont parfois beaucoup plus humbles.<br />

Le protagoniste <strong>de</strong> cette histoire, entre autres, était d'origine paysanne.<br />

Sa mère n’avait partagé aucun moment <strong>de</strong> passion secrète avec<br />

une divinité et son père n'était l'héritier secret d'aucun royaume ancien.<br />

Il ne possédait même pas <strong>de</strong> fée marraine. Non, Rhacèles n'était qu'un<br />

enfant comme les autres. Ses parents étaient <strong>de</strong>s fermiers et, à cinq ans,<br />

ce fut la maîtrise <strong>de</strong> la fourche et du râteau qu’il apprit, non celle <strong>de</strong><br />

l'épée ou <strong>de</strong> l'arc. Tout indiquait qu’il était <strong>de</strong>stiné à simplement travailler<br />

la terre. Ce qui ne déplaisait aucunement au jeune Rhacèles, qui prenait<br />

plaisir à ce genre <strong>de</strong> tâche. En grandissant, son intérêt pour le travail<br />

physique ne fit qu’augmenter. Il adorait opposer sa force à celle <strong>de</strong><br />

la nature.<br />

Les années passèrent et le garçon <strong>de</strong>vint un jeune homme robuste<br />

<strong>de</strong> quinze ans, à la force presque herculéenne. Il profitait d'une existence<br />

paisible à ai<strong>de</strong>r ses parents avec les récoltes. Rhacèles avait un respect<br />

profond pour le travail <strong>de</strong> la terre et admirait son père pour la vie honnête<br />

qu’il menait. Lui-même amassait peu à peu <strong>de</strong>s économies, pour un<br />

jour s'acheter une terre bien à lui. Tout était déjà planifié. Il resterait à<br />

ai<strong>de</strong>r ses parents avec leurs cultures jusqu’à ce que ceux-ci se retirent<br />

pour laisser la terre à leurs enfants. Rhacèles laisserait tout à son frère<br />

ca<strong>de</strong>t et ses sœurs et recommencerait à zéro quelque part, comme ses<br />

parents l'avaient fait avant lui. L'avenir du jeune homme allait cependant<br />

être bien différent <strong>de</strong> ce qu'il espérait. Après plusieurs années <strong>de</strong> paix<br />

précaires, une guerre avait éclaté entre le royaume du sud <strong>de</strong> Tadaris et<br />

la terre nordique <strong>de</strong> Mereime où vivaient la famille <strong>de</strong> Rhacèles. Le<br />

royaume avait besoin <strong>de</strong> soldats. Chaque famille <strong>de</strong>vait envoyer un <strong>de</strong><br />

ses fils pour contribuer à l'effort militaire. Désirant éviter à son frère les<br />

horreurs d'un conflit armé, Rhacèles se porta volontaire. Il n'avait que


Bon, je ne peux nier qu’à part l’herbe à chat, notre jardin est cent<br />

fois plus en santé que ceux du voisinage. Et il est vrai que, puisqu’elle<br />

vend <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s à base <strong>de</strong> plantes, mon humaine a besoin <strong>de</strong> belles<br />

plantes bien productives pour son commerce. Pourtant, je ne vois pas<br />

pourquoi je dois tolérer que mon carré d’herbe à chat soit tout sec et<br />

gris. Ce n’est pas parce que je vis chez une sorcière que je dois endurer<br />

le mépris <strong>de</strong> cette fée. Un beau jour, je vais finir par l’attraper, et ce<br />

jour-là, elle va le regretter…<br />

MYRIAM ANGERS<br />

Je me suis toujours <strong>de</strong>mandé pourquoi les gens <strong>de</strong> mon entourage<br />

m’ont rejeté une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ma vie. Est-ce parce que je suis noir?<br />

Il semblerait que beaucoup <strong>de</strong> préjugés circulent sur cette couleur.<br />

Comme quoi je porterais malheur… n’importe quoi! Le noir est tout<br />

simplement une superbe couleur qui met en valeur mes lignes magnifiques<br />

et gracieuses, qui me permet une mobilité extraordinaire la nuit<br />

(je suis évi<strong>de</strong>mment un chasseur hors pair) et qui me rend très populaire<br />

auprès <strong>de</strong>s innombrables femelles qui me tournent autour. Il n’y a jamais<br />

rien eu <strong>de</strong> maléfique au fait d’être noir, pas plus qu’au fait d’être<br />

tacheté ou même blanc.<br />

Les humains sont un peu idiots parfois. Ils ont la très précieuse<br />

qualité <strong>de</strong> toujours me nourrir lorsque je le réclame, mais je suis obligé<br />

d’avouer que ce ne sont pas les créatures les plus brillantes en ce<br />

mon<strong>de</strong>. Par exemple, j’ai cru comprendre que la plupart d’entre eux<br />

croient que les fées sont <strong>de</strong>s créatures foncièrement bonnes. On ne peut<br />

pas commettre une plus grave erreur que <strong>de</strong> croire qu’une fée sera gentille<br />

par défaut. Ce sont <strong>de</strong>s gardiennes, un point c’est tout. Elles gar<strong>de</strong>nt<br />

la nature, et si les humains continuent <strong>de</strong> la détruire à ce rythme,<br />

elles vont contre-attaquer, soyez en sûr. Moi, pour ce que ça me fait. La<br />

nature ne me semble utile qu’à prodiguer les chauds rayons du soleil<br />

dans lesquels je dors l’après-midi.<br />

Cependant, mon humaine semble prendre ce conflit contre les<br />

fées avec beaucoup <strong>de</strong> sérieux. Je l’ai même vue discuter avec la fée du<br />

grand chêne <strong>de</strong> notre jardin. Cette fée semble me détester. Ça a peutêtre<br />

rapport au fait que j’ai déjà essayé <strong>de</strong> la manger plus d’une fois,<br />

mais personnellement, je ne vois pas pourquoi elle m’en voudrait. Elle<br />

est tellement petite, la première fois j’ai cru que c’était un nouveau<br />

genre <strong>de</strong> mulot. Les autres fois… j’en avais juste envie. Tout ça pour<br />

dire que cette fée est très rancunière et qu’elle fait dépérir l’herbe à chat<br />

du jardin juste pour m’embêter. Mon humaine ne semble pas le remarquer,<br />

parce qu’elle continue d’aller lui parler et <strong>de</strong> faire comme si elle<br />

était gentille et mignonne.


à l’humanité pour gérer la beauté. Qu’elle la détenait cachée. Qu’elle les<br />

tenait dans l’ignorance <strong>de</strong> l’essence même du fait d’être humain. Dans<br />

leur vision réductrice, elle tenait la part humanité <strong>de</strong> l’homme pour responsable<br />

<strong>de</strong> ses excès. Si l’humain s’était autodétruit, l’Administration<br />

avait annihilé toute notion <strong>de</strong> progrès, le remplaçant par une stagnation<br />

prévenant les excès dangereux.<br />

Les morceaux <strong>de</strong> béton amincis s’empilaient dans mon abri <strong>de</strong> tôle. Calame<br />

artisanal à la main, je griffais désespérément la matière, à la recherche<br />

<strong>de</strong> mon univers au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la feuille. Là où <strong>de</strong>s paysages <strong>de</strong><br />

rêve auraient dû apparaître, la matière striée <strong>de</strong> lignes n’évoquait rien.<br />

La pâte séchée granuleuse du béton ne me donnait qu’une matière informe,<br />

hi<strong>de</strong>use à voir. Une honte sour<strong>de</strong> s’emparait <strong>de</strong> mon être. Je me<br />

sentais trahie par la réalité onirique du projecteur d’imagerie intégré. Je<br />

l’avais confondue, l’espace <strong>de</strong> quelques jours, avec un talent artistique<br />

venu du passé et qui resterait totalement étranger à l’ouvrière que<br />

j’étais. Je n’avais que faire du métal ondulé et du travail abrutissant,<br />

gracieuseté <strong>de</strong> la colonie. Machinalement, j’actionnai le projecteur<br />

d’imagerie intégré, reproduisant mécaniquement ces gestes familiers.<br />

La perception du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Architectes <strong>de</strong> l’Imaginaire, ayant été façonnée<br />

par l’Administration, les empêchait <strong>de</strong> voir les dangers <strong>de</strong> leur<br />

machine pour une mentalité tourmentée par un quotidien vi<strong>de</strong>. Ils<br />

n’avaient jamais imaginé qu’un ouvrier <strong>de</strong> la colonie, archétype <strong>de</strong> la<br />

conformité, ait eu envie d’habiter leurs mon<strong>de</strong>s oniriques. Pour une <strong>de</strong>rnière<br />

fois, un amoncellement d’étoiles filantes viendrait s’échouer sur<br />

mes pupilles.<br />

figées <strong>de</strong> mon intérieur. Sans prendre la peine <strong>de</strong> sortir du projecteur<br />

d’imagerie intégré, je me glissai dans un sommeil bienvenu. Le soleil<br />

sur ma peau s’avèrera être une bien meilleure couverture que les courants<br />

d’air qui secouaient mon habitacle <strong>de</strong> tôle.<br />

Les jours défilaient à la chaîne, comme les morceaux <strong>de</strong> béton amincis<br />

sous sa machine à tracer. J’aurais mis ma main à la place <strong>de</strong>s feuilles<br />

<strong>de</strong> béton afin <strong>de</strong> rompre la routine, quitte à me blesser. Je ne pouvais<br />

plus supporter le gris mur à mur. Même l’idée <strong>de</strong> voir mon sang éveillait<br />

<strong>de</strong> l’allégresse. Colorer mon quotidien annihilait la connotation<br />

morbi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la chose. Depuis cette première fois à l’ombre <strong>de</strong> l’arbre<br />

aux épines, je n’avais eu le temps <strong>de</strong> retrouver mon carnet. La charge<br />

<strong>de</strong> travail avait augmenté à l’atelier. Le travail, inutile, redondant, me<br />

montait à la gorge. Tous mes collègues <strong>de</strong> travail sans exception redoublaient<br />

d’ar<strong>de</strong>ur pour contribuer au « grand effort », et il me semblait<br />

que j’étais la seule à me questionner sur la pertinence <strong>de</strong> ce qu’on nous<br />

<strong>de</strong>mandait d’accomplir. Les vapeurs <strong>de</strong> l’ersatz d’encre pour la machine<br />

à tracer étourdissaient mes pensées. Je revoyais l’arbre aux<br />

épines et ses croquis, prisonniers d’une réalité qui n’existerait jamais<br />

que pour moi, que dans le projecteur d’imagerie intégré. Le <strong>de</strong>ssin<br />

n’était pas interdit par l’Administration, mais plutôt rendu impossible<br />

par la pénurie <strong>de</strong> crayons et <strong>de</strong> papiers qui sévissait <strong>de</strong>puis son avènement.<br />

La disparition <strong>de</strong> l’entièreté <strong>de</strong>s œuvres d’art leur conférait une<br />

dimension mythique, presque sacrée, qui suscitait l’admiration <strong>de</strong>s habitants<br />

<strong>de</strong> la colonie tout en les tenant à distance. L’art appartenait à<br />

une époque révolue. S’il restait <strong>de</strong>s artistes, ce <strong>de</strong>vait être les Architectes<br />

<strong>de</strong> l’image. Les lignes et les points s’imprimaient <strong>de</strong>vant mes<br />

yeux. Mon <strong>de</strong>rnier espoir était <strong>de</strong> leur montrer que l’on peut s’inventer<br />

<strong>de</strong>s possibles, opposer la couleur à ce mon<strong>de</strong> gris. Avec le béton aminci<br />

friable qui me servait à tracer <strong>de</strong>s patrons, je sentais qu’il était possible<br />

<strong>de</strong> tenter le <strong>de</strong>ssin. Il me restait un espoir.<br />

Je n’arrivais pas à concevoir la raison pour laquelle il existait un écart<br />

aussi grand entre les machines <strong>de</strong> réalité augmentée et la grisaille ambiante<br />

<strong>de</strong> la colonie. Il était <strong>de</strong> notoriété que la terre n’avait pas toujours<br />

été grise, que le ciel avait été bleu et que le vert jalonnait jadis les<br />

collines. Il ne restait que peu <strong>de</strong> choses <strong>de</strong> l’Ère d’avant ; l’essentiel<br />

était contenu dans <strong>de</strong>s récits, <strong>de</strong>s ouï-dire dont on transmettait l’essentiel<br />

à l’école, par les parents et les grands-parents. Les erreurs d’une<br />

humanité choyée par la nature avaient conduit au désastre dans lequel<br />

s’efforçaient <strong>de</strong> survivre leurs maigres colonies. À force <strong>de</strong> digressions,<br />

j’en étais venue à penser que l’Administration ne faisait plus confiance


cé l’innovation par un conformisme perpétuel, duquel les mêmes idées<br />

engourdissaient la colonie <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles. Je courbais la tête, évitant<br />

les visages béats <strong>de</strong> mes collègues. Leur éternelle satisfaction face aux<br />

ordres absur<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la colonie achevait le maigre espoir qui me restait<br />

pour l’humanité. La plupart <strong>de</strong> mes camara<strong>de</strong>s vivaient dans la gratitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> faire partie <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière colonie humaine. La fierté <strong>de</strong> m’être<br />

retrouvée au bon endroit au bon moment ne me satisfaisait pas. Je ne<br />

voulais pas me contenter <strong>de</strong> ce que me faisait miroiter la magie du projecteur<br />

d’imagerie intégrant. Je voulais y être.<br />

La vision médiocre <strong>de</strong> mon toit <strong>de</strong> tôle se tordit, faisant place au mon<strong>de</strong><br />

où il me reste tout à découvrir. Une gerbe <strong>de</strong> couleur s’abattit lentement<br />

sur mes paupières: je m’imprégnais dans l’ailleurs tandis qu’il s’imprégnait<br />

en moi. La vision pointilliste du mon<strong>de</strong> se dilua lentement pour<br />

faire place à moi, mon carnet et le mon<strong>de</strong>. Je le retrouvais comme on<br />

s’était laissés; il m’avait attendue. La petite créature était partie, laissant<br />

<strong>de</strong>rrière elle sa collection d’objets empilés que je décidai <strong>de</strong> lui laisser,<br />

satisfaite <strong>de</strong> mon petit larcin. Poursuivant mon excursion, je découvris à<br />

l’orée d’une forêt une mare d’eau glacée surplombée par un arbre fascinant.<br />

Hostile, recouvert d’épines, il détonnait dans ce qui me semblait<br />

être un mon<strong>de</strong> idyllique. On l’aurait cru exilé d’un autre mon<strong>de</strong>, condamné<br />

par ses racines à ne plus bouger, pour l’éternité. Carnet en<br />

poche, je poursuivis mon exploration. Je redécouvrais le banal. Si dans<br />

la colonie, il se fait gris et froid, il foisonnait <strong>de</strong> nuances dans ce double<br />

-univers. Je me perdis dans les détails dont le champ regorgeait. La contemplation<br />

d’une fleur dorée aurait pu m’absorber <strong>de</strong>s heures durant,<br />

alors que les détails futiles <strong>de</strong> l’univers <strong>de</strong> la colonie ne m’avaient jamais<br />

absorbée. Je sortis le carnet, j’avais besoin <strong>de</strong> le sentir dans mes<br />

mains, confirmation d’un temps où l’on <strong>de</strong>ssinait encore. J’y trouvai un<br />

crayon, je le soupesai, un instant. Son contact sur la feuille me rappelait<br />

celui <strong>de</strong> la machine à tracer sur le béton aminci, sans l’abrutissement<br />

habituel issu du travail répétitif. J’avais le contrôle. Au contact <strong>de</strong> ma<br />

main, son glissement <strong>de</strong>vint celui que je lui imposai. Les lignes sur la<br />

feuille me donnèrent le potentiel <strong>de</strong> l’outil. Comment insuffler aux<br />

lignes mes émotions? Mon crayon courait sur le papier, je ne voyais<br />

plus ce que je faisais, je <strong>de</strong>venais ce que je créais. J’avais pour seules<br />

limites celles <strong>de</strong> ma feuille. Le temps défilait et mes croquis se multipliaient.<br />

Je <strong>de</strong>ssinais l’arbre hostile, il était moi, nous étions plus vrais<br />

dans <strong>de</strong>s lignes et <strong>de</strong>s points que dans la vie que nous étions condamnés<br />

à vivre à contre-courant. Épuisée, je jetai un regard à mes croquis, les<br />

lignes et les points faisaient place à la sublimation <strong>de</strong> ceux-ci en formes<br />

ma rétine. Grises, noires, blanches, elles découpèrent le décor jusqu’à<br />

reproduire la réalité que je voyais en une constellation <strong>de</strong> pixels s’abattant<br />

sur mes paupières, se superposant à celles-ci. Je reculai, vacillant<br />

sous le choc inattendu <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> lumière pareils à ceux provoqués<br />

par les séjours en réalité augmentée. Le déséquilibre fut suffisant pour<br />

que ma vue retrouve ses repères normaux, me replongeant dans la réalité<br />

morne du transport en gondole.<br />

Évitant soigneusement les contacts avec leurs voisins, les passagers ne<br />

remarquèrent jamais mon malaise. Un <strong>de</strong>s effets pernicieux du contact<br />

prolongé avec les univers <strong>de</strong> réalité augmentée se trouvait dans cette<br />

confusion avec le quotidien. La technologie permettant les incursions<br />

dans ces univers fabriqués consistait à projeter sur la rétine <strong>de</strong>s points<br />

<strong>de</strong> lumière combinés à certaines substances chimiques. À la manière <strong>de</strong>s<br />

peintres pointillistes <strong>de</strong> l’époque révolue, qui superposaient <strong>de</strong>s taches<br />

<strong>de</strong> couleur pour créer une image fixe, la superposition <strong>de</strong> milliards <strong>de</strong><br />

taches <strong>de</strong> couleur permettait d’entrer dans une autre dimension. Les<br />

couleurs, sous l’action <strong>de</strong> l’imagination, donnaient l’impression d’entrer<br />

dans la trame sélectionnée, pour le temps programmé par son utilisateur.<br />

Le cerveau, lorsque trop accoutumé au bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> lumière<br />

<strong>de</strong>s points sur la rétine, reproduisait à <strong>de</strong>s moments inopinés cet effet <strong>de</strong><br />

découpage <strong>de</strong> la réalité en petits points étoilés. L’Administration ne répertoriait<br />

cet effet secondaire que dans un cas sur 10 000, mais je soupçonnais<br />

le chiffre d’être tronqué. En effet, un utilisateur qui consultait<br />

pour cette affection risquait <strong>de</strong> voir son utilisation du projecteur <strong>de</strong> réalité<br />

augmentée prohibée. Les conséquences <strong>de</strong> l’aveu <strong>de</strong> cet effet secondaire<br />

pour un utilisateur pour qui cette évasion <strong>de</strong> la réalité était nécessaire<br />

faisaient en sorte qu’ils préféraient le taire. Je retournai à ma contemplation<br />

d’un paysage vidé <strong>de</strong> sa substance, résignée à ne rien voir <strong>de</strong><br />

beau sur mon trajet ailleurs que dans le refuge imagination.<br />

Le vrombissement lourd <strong>de</strong> la routine se faisait aussi étouffant que le<br />

travail. Avec la réforme <strong>de</strong> simplification <strong>de</strong>s travaux amorcée il y a<br />

quelques années, je me retrouvais avec un travail <strong>de</strong>s plus abrutissants.<br />

Responsable d’une machine à reproduire, j’imprimais sur <strong>de</strong>s morceaux<br />

<strong>de</strong> béton amincis les tracés qui serviront <strong>de</strong> plan aux ouvriers <strong>de</strong>s différentes<br />

nécessités industrielles <strong>de</strong> la colonie. Les assignations variaient<br />

au gré <strong>de</strong>s besoins. Depuis <strong>de</strong>s semaines, j’étampais les patrons <strong>de</strong><br />

l’uniforme <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>stiné aux ouvriers <strong>de</strong> la colonie. Le travail était<br />

d’autant plus abrutissant qu’inutile. L’uniforme n’ayant pas été modifié<br />

<strong>de</strong>puis l’avènement <strong>de</strong> la colonie, les responsables <strong>de</strong> l’habillement se<br />

passaient <strong>de</strong> modèles, n’ayant qu’à reproduire le leur. On avait rempla-


<strong>de</strong>struction massive <strong>de</strong>s ressources, les images <strong>de</strong> réalité augmentée,<br />

gravées dans la mémoire <strong>de</strong> la population, leur feraient oublier le gris<br />

omniprésent, du moins était-ce le <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> l’Administration.<br />

Réintégrant peu à peu la réalité <strong>de</strong> mon appartement, je m’étonnai<br />

presque <strong>de</strong> ne pas retrouver le carnet dans ma main. Au sentiment extraordinaire<br />

d’avoir tenu dans mes mains un trésor s’ajouta un mal <strong>de</strong><br />

vivre aigu. Impossible <strong>de</strong> me satisfaire <strong>de</strong> ma case en tôle rouillée, <strong>de</strong> la<br />

colonie où l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> soufre surplombait les parfums délicats qui restaient<br />

à cette existence médiocre. Les membres ankylosés, c’est par <strong>de</strong>s<br />

gestes lents et robotiques que je parvins à m’extraire du projecteur<br />

d’imagerie intégré. Le cor discordant annonçant l’arrivée du téléphérique<br />

résonna au travers <strong>de</strong>s perforations <strong>de</strong> l’abri, grugé par la rouille.<br />

La lour<strong>de</strong>ur sur mes membres m’empêchait <strong>de</strong> me presser. C’était<br />

comme si on avait appliqué une couche <strong>de</strong> plomb sur ma peau. C’est<br />

avec une lenteur engourdie que je pus exécuter les gestes du quotidien.<br />

Ma colonie, l’une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières, était basée sur une montagne vertigineuse.<br />

L’installation du téléphérique, principal mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transport <strong>de</strong><br />

celle-ci, datait d’une époque antérieure à son établissement, du temps<br />

où l’homme avait commencé à prendre d’assaut les <strong>de</strong>rniers remparts<br />

<strong>de</strong> la nature. On disait qu’il s’agissait du seul objet électrifié du Passé.<br />

Les gondoles produisirent un bruit stri<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> métal grinçant, que je ne<br />

remarquais plus. J’étais endurcie aux dissonances diverses. Sujettes aux<br />

aléas <strong>de</strong> la fortune et à l’épreuve du temps, les gondoles qui parvenaient<br />

à ses utilisateurs présentaient <strong>de</strong>s défauts qui menaçaient leur sécurité.<br />

C’était la principale source <strong>de</strong> morts classées acci<strong>de</strong>ntelles <strong>de</strong> la colonie,<br />

qui diffusait <strong>de</strong> nombreux communiqués pour inciter les usagers du<br />

téléphérique à la pru<strong>de</strong>nce. À l’intérieur <strong>de</strong> celle-ci, une vitre était brisée,<br />

le plancher fragilisé par endroits. En gondole, les passagers s’appliquaient<br />

avec zèle à regar<strong>de</strong>r partout sauf dans les yeux <strong>de</strong>s autres passagers,<br />

à un tel point que l’on aurait dit que cette façon <strong>de</strong> faire était issue<br />

d’une coutume lointaine. En guise <strong>de</strong> solution d’urgence, la surface <strong>de</strong><br />

la Terre avait été figée dans le béton, afin <strong>de</strong> protéger l’humain <strong>de</strong> la<br />

dégradation <strong>de</strong> son environnement, dont il était le seul responsable. Je<br />

recherchais l’excitation du projecteur d’imagerie intégré là où le béton<br />

cru prenait toute la place. Je me surprenais à imaginer la vue du mon<strong>de</strong><br />

saturé <strong>de</strong>s mêmes couleurs que celles du projecteur, libéré <strong>de</strong> la fumée<br />

perpétuelle assombrissant le ciel <strong>de</strong> nuances <strong>de</strong> gris, décor d’une atmosphère<br />

interchangeable.<br />

Une étoile, délicate, darda son rayon minuscule sur le coin gauche <strong>de</strong><br />

mon œil. Petit détonateur, une bruine délicate d’étoiles suivit, éclairant<br />

pitantes, je préférais souvent éviter la trame principale pour en explorer<br />

les décors. J’en étais libre, tant que je ne participais pas à ce qui<br />

m’était proposé.<br />

Partout, <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> merveilleux s’imprimaient dans ma mémoire,<br />

d’une encre que j’aurais voulue indélébile. Vautré au creux d’une<br />

souche d’arbre, un petit mammifère à fourrure s’abreuvait à même la<br />

sève <strong>de</strong> l’arbre mutilé. Sous lui, une quantité incroyable d’artefacts aux<br />

fonctions obscures s’empilaient. Oisif, il s’encombrait d’objets. Une<br />

autre manière <strong>de</strong> combattre le néant <strong>de</strong> son existence. Ses besoins primaires<br />

comblés, il se vautrait dans la paresse.<br />

Les scientifiques <strong>de</strong> la colonie n’ont jamais réussi à établir <strong>de</strong> manière<br />

fiable l’apparence <strong>de</strong>s animaux du Passé. Sans références précises, les<br />

Architectes <strong>de</strong> l’Imaginaire les dépeignaient à l’image <strong>de</strong> la société du<br />

Passé.<br />

Parmi l’amoncellement d’objets, un carnet attira mon attention. Véritable<br />

artéfact pour la colonie <strong>de</strong>puis la pénurie <strong>de</strong> papier, il s’offrait à<br />

moi comme un objet banal. Pleine d’appréhension, je l’ouvris, avec<br />

l’espoir naïf en tête qu’il aurait pu contenir <strong>de</strong> ce papier blanc <strong>de</strong><br />

l’époque d’avant, sur lequel on pouvait <strong>de</strong>ssiner. J’avais une idée vague<br />

<strong>de</strong> ce à quoi pouvait ressembler le papier, car la grise terre d’aujourd’hui<br />

rendue stérile ne pouvait faire grandir les arbres. Le beau papier<br />

couleur crème aux coins jaunis par le temps était une invitation à le<br />

remplir d’images <strong>de</strong> rêves, transportables dans la réalité. L’enthousiasme<br />

à m’en faire éclater la poitrine, procuré par la découverte du<br />

carnet, fut <strong>de</strong> courte durée.<br />

Programmé pour une durée paramétrée par son utilisateur, mon doubleunivers<br />

vacillait, me rappelant que le temps était venu <strong>de</strong> réintégrer la<br />

réalité. L’univers se morcelait à nouveau en pointillés, pour disparaître<br />

cette fois-ci. Des pans <strong>de</strong> décor s’effritaient pour faire place à la tôle<br />

ondulée <strong>de</strong> mon appartement. Je reviendrais.<br />

Calquées sur la réalité au point <strong>de</strong> la transcen<strong>de</strong>r, les trames <strong>de</strong> réalité<br />

augmentée étaient la solution mise en place par l’Administration pour<br />

restituer l’espoir à la maigre population encore sur Terre. Si les erreurs<br />

du passé avaient réduit les ressources naturelles <strong>de</strong> l’humanité au minimum,<br />

elles avaient cependant révélé <strong>de</strong>s substances chimiques aux propriétés<br />

uniques, permettant la projection mentale dans <strong>de</strong>s réalités fabriquées<br />

par les Architectes <strong>de</strong> l’Imaginaire. Cette substance permit <strong>de</strong>s<br />

progrès fulgurants <strong>de</strong>puis l’avènement <strong>de</strong> cette technologie. Un système<br />

interne à la machine, composé <strong>de</strong> seringues multiples, assurait la<br />

transmission <strong>de</strong>s flui<strong>de</strong>s. Traversant les paysages rendus hostiles par la


LAURENCE VINET<br />

La colonie avait su me décrire les anciennes traditions <strong>de</strong> peinture, le<br />

mouvement torturé que pouvaient prendre les champs <strong>de</strong> blé sous l’action<br />

du peintre, leurs tourments qui, sublimés, donnaient <strong>de</strong>s chefsd’œuvre<br />

dont il ne reste plus que <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions provenant du Passé.<br />

On m’avait appris que les champs <strong>de</strong> blé étaient composés <strong>de</strong> tiges organiques,<br />

foisonnant à perte <strong>de</strong> vue. Jamais je n’aurais imaginé leur<br />

o<strong>de</strong>ur jaune, crépitant à mes narines.<br />

C’était comme si on déformait mon champ <strong>de</strong> vision en partant <strong>de</strong> ses<br />

extrémités. L’impression <strong>de</strong> distorsion synchronisée percuta mon cœur<br />

impatient. Puis, le réel se piqua <strong>de</strong>s points polychromes d’une pluie <strong>de</strong><br />

gouttes opaques. De petits météores échoués emplirent les confins <strong>de</strong><br />

mes yeux, y effaçant le <strong>de</strong>hors comme un mauvais souvenir. Le paysage<br />

<strong>de</strong> la trame du scénario <strong>de</strong> réalité augmentée s’imprima un instant<br />

sur ma rétine, puis se fondit doucement, aussi réaliste que le <strong>de</strong>hors. Le<br />

soleil se faisait aveuglant pour mes yeux habitués à l’ombre pesante <strong>de</strong>s<br />

nuages perpétuels. Le bleu synthétique du ciel <strong>de</strong>meurait tout <strong>de</strong> même<br />

plus vivant que la fumée qui recouvrait l’atmosphère terrestre en permanence.<br />

L’imitation <strong>de</strong> la réalité l’a aujourd’hui surpassée. Les Architectes <strong>de</strong><br />

l’Imaginaire prennent maintenant le temps <strong>de</strong> l’aménager. Je me laissai<br />

choir sur la paille matelassée, accrochant mon regard sur les champs <strong>de</strong><br />

blé mouillés par le matin. Une sour<strong>de</strong> nostalgie s’empara alors <strong>de</strong> mon<br />

être. Elle partait <strong>de</strong>s décors du double-univers qui participait à<br />

l’ambiance, incarnant un personnage à eux seuls. La nostalgie était profon<strong>de</strong>.<br />

Elle prenait ses racines dans le souvenir d’une humanité avant la<br />

déconstruction. Une humanité vierge <strong>de</strong> la culpabilité sour<strong>de</strong> du Sabotage.<br />

J’aurais voulu la vivre, cette vie foisonnante <strong>de</strong> la réalité augmentée,<br />

plus vraie que celle <strong>de</strong> la colonie. Leurs histoires se faisaient <strong>de</strong> plus en<br />

plus réalistes, me donnant l’impression, toujours plus accrue, <strong>de</strong> vivre<br />

leur scénario.<br />

Je décidai d’explorer le périmètre du double-univers. En apparence sans<br />

limites, ses décors servaient surtout <strong>de</strong> toile <strong>de</strong> fond à l’action dramatique<br />

à laquelle les participants prenaient part. Bien que le projecteur <strong>de</strong><br />

réalité augmentée ait été conçu pour nous faire vivre <strong>de</strong>s aventures pal-<br />

Ayant repris ses esprits, le mendiant se rend compte <strong>de</strong> la paralysie<br />

qui l’envahit. Il tente <strong>de</strong> bouger son pied, mais ne peut faire <strong>de</strong><br />

geste. Le rongeur, toujours immobile, l’observe puis trottine vers l’endroit<br />

d’où il est venu. L’homme sent une force inconnue le pousser à<br />

<strong>de</strong>scendre les <strong>de</strong>ux marches qui le sépare du sol. Il se débat dans son<br />

esprit pour récupérer l’usage <strong>de</strong> son corps, mais ne pouvant rien faire, il<br />

marche jusqu’au centre <strong>de</strong> la pièce obscure. Soudainement, <strong>de</strong>s chan<strong>de</strong>lles<br />

s’allument aux quatre coins <strong>de</strong> la salle. Une femme chétive est<br />

assise en face et, <strong>de</strong> ses yeux blancs, observe. Une trentaine <strong>de</strong> rats encercle<br />

les <strong>de</strong>ux personnes. Debout sur leurs pattes arrières, ils semblent<br />

être dans un état d’hypnose. L’étrange femme est prisonnière d’une<br />

chaîne fait d’une matière qui a l’apparence du diamant. Elle contrôle<br />

tout ce qu’il y a <strong>de</strong> vivant dans cette pièce, y compris ces hommes sales<br />

qui forment une rangée <strong>de</strong> loyaux hommes. Son nouveau captif le sait.<br />

Il le sait parce qu’il se sent obligé <strong>de</strong> prendre le poignard à côté <strong>de</strong> lui.<br />

Il en prend conscience parce que dorénavant son ultime but n’est plus<br />

<strong>de</strong> survivre, mais d’obéir. Le poignard soli<strong>de</strong>ment ancré dans sa main,<br />

il tranche avec douleur sa chair tendre en tentant d’oublier la mort qui<br />

résultera <strong>de</strong> son geste. Il ira rejoindre les autres soldats morts. Le rire<br />

<strong>de</strong> la créature sonne comme une plainte joyeuse pour ce sang qui coule<br />

et coulera.


MARIE-CHRISTINE BERTEAU<br />

Un vagabond se promène dans les rues <strong>de</strong> Montréal. Il cherche un<br />

endroit où dormir, c’est pourquoi il flâne dans les quartiers malfamés. Il<br />

déambule entre les maisons en apparence misérables, qui semblent sur<br />

le point <strong>de</strong> s’effondrer. Il tente d’ouvrir la porte d’une <strong>de</strong> ces vieilles<br />

baraques, mais la poignée lui reste dans les mains. Cela ne le décourage<br />

pas. Il prend un élan et percute la porte à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son épaule droite. La<br />

porte cè<strong>de</strong> et tombe dans un grand fracas. Il hésite avant d’entrer. L’atmosphère<br />

<strong>de</strong> mort qui se dégage du lieu insolite a quelque chose <strong>de</strong> dérangeant.<br />

Il se sent malgré tout attiré sans savoir pourquoi. Il entre et il<br />

fait bien attention où il met les pieds, car le parquet semble très usé. Les<br />

planches <strong>de</strong> bois grincent sous le poids léger <strong>de</strong> l’homme. Il visite le rez<br />

-<strong>de</strong>-chaussée, tout en cherchant signe <strong>de</strong> vie. Il veut s’assurer qu’il est<br />

en sécurité dans ce taudis. La maison est plongée dans la noirceur, mais<br />

les nombreuses fenêtres laissent un mince filet <strong>de</strong> lumière filtrer au travers<br />

<strong>de</strong>s carreaux cassés. Ce pâle rayon <strong>de</strong> lune permet au sans-abri <strong>de</strong><br />

distinguer la forme <strong>de</strong>s objets et ainsi <strong>de</strong> mieux se diriger dans ce lieu.<br />

Durant un court instant, un grognement se fait entendre, puis le<br />

calme revient en laissant le mendiant emplit <strong>de</strong> stupeur. Il sent le son<br />

<strong>de</strong>s battements <strong>de</strong> son cœur résonner dans ses tempes. Il lui semble qu’il<br />

n’y ait plus que ce martèlement irrégulier dans sa cage thoracique pour<br />

meubler le silence pesant <strong>de</strong> cette ancienne maison. Il déci<strong>de</strong> d’aller<br />

voir quel genre d’animal a pu produire une plainte pareille, il y a à peine<br />

quelques secon<strong>de</strong>s. La créature ne doit pas être bien loin. En entendant<br />

une secon<strong>de</strong> fois cette chose, le vagabond conclut que la porte près <strong>de</strong> la<br />

cuisine va lui révéler la vérité. Une fois ouverte, il <strong>de</strong>scend les marches<br />

en s’éclairant avec un briquet, car c’est un noir d’encre qui baigne dans<br />

cette cave. Plus ses pas se rapprochent du sol cimenté, plus une o<strong>de</strong>ur<br />

putri<strong>de</strong> l’assaille, l’étouffe. Malgré cette envie <strong>de</strong> fuir, <strong>de</strong> vomir, il ne<br />

peut partir. Cette petite voix dans sa tête tente <strong>de</strong> l’avertir du danger<br />

imminent, elle lui souffle qu’il <strong>de</strong>vrait se sauver et ne pas rester un instant<br />

<strong>de</strong> plus dans cet endroit. Un mouvement près <strong>de</strong> lui le fait sursauter.<br />

Une chose détale à toute allure vers lui. L’homme se plaque contre le<br />

mur et voit l’animal s’arrêter <strong>de</strong>vant lui. Ses yeux distinguent la forme<br />

d’un rat et il se trouve stupi<strong>de</strong> d’avoir cédé si facilement à la panique.<br />

vouables, dans toutes tes conquêtes périlleuses comme dans l’ennui le<br />

plus profond. Je serai infinie en toi. Je m’abreuverai à la source <strong>de</strong> tes<br />

larmes pour les tarir en temps <strong>de</strong> grand chagrin. Je provoquerai <strong>de</strong>s<br />

frissons impromptus et je te chatouillerai pour provoquer <strong>de</strong>s éclats <strong>de</strong><br />

rire aux moments <strong>de</strong> trop gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong>. J’échapperai ainsi à l’horreur<br />

<strong>de</strong> voir l’éclat <strong>de</strong> ton amour qui pâlit par le quotidien et l’habitu<strong>de</strong>. Je<br />

te dis adieu mon ange, joyeux Noël, les hypocrites et les menteurs sont<br />

maintenant débarrassés <strong>de</strong> moi, il ne reste plus que toi mon amour. J’ai<br />

bouché mon oreille droite avec un fil <strong>de</strong> ton chandail <strong>de</strong> laine préféré,<br />

je ne les entendrai plus, je profiterai pleinement <strong>de</strong> ta voix grave, mélodieuse.<br />

Et si tu pleures <strong>de</strong> me perdre, je boirai tes larmes comme<br />

s’abreuvent les assoiffés du désert. Quand tu iras admirer la nuit, regar<strong>de</strong><br />

bien les étoiles, il se peut que tu y aperçoives mon reflet, ce sera<br />

ma magie pour toi.


que dans une oreille, les sons sont captés à une plus longue distance.<br />

C’était déjà oublié mon ange, alors que je surfais sur ton pavillon en<br />

coquille d’escargot, et je suis entrée à une vitesse si folle dans ton<br />

oreille que je faillis heurter ton tympan. J’avais eu peur qu’il résonne,<br />

tel un tambour minuscule mais retentissant et qu’ainsi tu découvres ma<br />

présence. Noël oublié, j’étais clan<strong>de</strong>stine sans gène, exploratrice <strong>de</strong> ta<br />

volupté. En toi, le temps me paraissait infini et j’ai joué longtemps dans<br />

ton oreille en glissoire. J’avais faim et ton oreille a rapi<strong>de</strong>ment constitué<br />

un festin ludique mais à force <strong>de</strong> manger et <strong>de</strong> courir, j’eus soif. Au moment<br />

où je quittais ce royaume aux mille tentations, mon père, solennel,<br />

tenait à rappeler que Noël était avant tout une fête consacrée à Jésus. En<br />

purs faux catholiques hypocrites, la famille au complet a acquiescé, tous<br />

dociles qu’ils étaient en cette journée dite sacrée. Au moment où ils bredouillèrent<br />

en cœur un vague amen, mes yeux se révulsèrent <strong>de</strong> bonheur<br />

alors que je nageais dans un vaisseau sanguin. Te sentir m’entourer <strong>de</strong><br />

partout et te boire à petites gorgées qui me chatouillaient doucement la<br />

gorge était pour moi un véritable délice. Ton nectar enivrant m’a fait<br />

oublier où j’étais, mon corps repu <strong>de</strong> plaisir a vogué jusque dans les<br />

doigts artisans <strong>de</strong> ta main gauche. Je m’amusais à contempler tes ongles<br />

polis, aux bouts blancs comme la fausse neige saupoudrée sur le sapin<br />

artificiel qui trône dans le salon d’où je me suis échappée. Doucement,<br />

en prenant bien soin que tu ne me voies pas, je me suis hissée sur ton<br />

ongle <strong>de</strong> pouce et je me suis mise à y danser, sur Tchaïkovski que tu<br />

écoutais encore. Ça m’a fait drôle, mon ange, parce que, <strong>de</strong> l’oreille<br />

droite, je pouvais toujours entendre ma famille qui écoutait maintenant<br />

Ginette Reno entonner Noël Blanc dans le salon. J’ai bouché très fort<br />

mon oreille droite et j’ai fermé les yeux, pour mieux danser au précipice<br />

<strong>de</strong> ton pouce. C’était bon et doux. À un moment, j’ai voulu dormir. Rusée<br />

comme je suis, j’ai fait le trajet <strong>de</strong> ta main jusqu’à l’arête <strong>de</strong> ton nez<br />

sans que tu me voies. Je me suis cachée tellement au milieu <strong>de</strong> tes <strong>de</strong>ux<br />

yeux que tu ne pouvais pas m’apercevoir. Toute essoufflée <strong>de</strong> ma danse<br />

effrénée, je me suis endormie sur ton nez, tellement doux qu’à un moment<br />

donné, je me suis <strong>de</strong>mandé s’il était fait <strong>de</strong> soie. Après avoir bien<br />

dormi, je me suis réveillée avec une conviction. Si je t’écris cette missive,<br />

c’est que j’ai réglé mon cafard <strong>de</strong> Noël et mon cafard tout court,<br />

enfin je crois. Moi qui ne sait pas dormir sans la chaleur d’un corps tout<br />

contre moi, qui se sent seule au mon<strong>de</strong> au milieu d’une foule, qui peine<br />

à trouver <strong>de</strong> quoi répondre à trop <strong>de</strong> gens insipi<strong>de</strong>s, c’est décidé, je ferai<br />

<strong>de</strong> toi mon domicile. Je vivrai l’amour plus fort et surtout plus unique<br />

que n’importe qui. Je t’accompagnerai dans tous tes sentiments ina-<br />

LAURENCE VINET<br />

J’aime pas, j’aime pas, j’aime pas Noël. Cette mascara<strong>de</strong> <strong>de</strong> bons sentiments<br />

que l’on garroche à la pelletée. Ce temps que l’on passe en famille<br />

à feindre un amour vi<strong>de</strong>, à se beurrer les uns les autres <strong>de</strong> tendresse<br />

dépouillée <strong>de</strong> toute sincérité, <strong>de</strong> vœux pieux qu’on distribue <strong>de</strong><br />

manière aléatoire, à une <strong>de</strong> la santé et à l’autre <strong>de</strong> l’argent, sans vraiment<br />

se soucier <strong>de</strong> qui a besoin <strong>de</strong> quoi, on s’en fiche, on donne. Ça,<br />

c’est ma critique <strong>de</strong> personne frustrée qui ne dit rien <strong>de</strong> mes sentiments<br />

vrais, une sorte <strong>de</strong> montée <strong>de</strong> lait sans valeur véritable, mon ange. Ça<br />

ne s’adresse pas à toi. Noël, c’est aujourd’hui. Le rire faux, le rire<br />

d’éther <strong>de</strong> l’oncle alcoolique qui emporte tout sur son passage, ma<br />

mère en passant mais c’est pas grave, c’est jour <strong>de</strong> fête aujourd’hui.<br />

Son regard, mon ange, quand je l’ai croisé j’ai cligné <strong>de</strong>s yeux, un instant<br />

imperceptible où j’ai pensé aux tiens, tes doux yeux aux pupilles<br />

<strong>de</strong> reflets <strong>de</strong> braises. Tes yeux oranges, tes yeux grands ouverts qui<br />

m’emportent bien loin, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la fin improbable <strong>de</strong> ton iris mordoré.<br />

Ils étaient tous autour <strong>de</strong> moi, poupées aux sourires factices, automates<br />

aux gestes autoprogrammés. Et moi je me suis envolée, mon<br />

ange. Je suis disparue sous leurs yeux non-voyants, je suis partie en toi.<br />

Pendant qu’Hector parlait <strong>de</strong> ses amis aux parents plus que millionnaires,<br />

rien <strong>de</strong> moins. Pendant qu’Élaine jalousait Hector, pendant<br />

qu’elle respirait son haleine d’acidité suffisante, j’étais en toi. Tu ne<br />

t’en es même pas rendu compte, à peine un battement <strong>de</strong> tes longs cils.<br />

J’étais entrée par les yeux disais-je, et je suis remontée dans ton front.<br />

Je voulais être au siège <strong>de</strong> tes pensées, je voulais nager dans cette orgie<br />

<strong>de</strong> mots et d’idées mêlées, d’éclairs <strong>de</strong> génie côtoyant le doute monolithe<br />

immense, massue sur l’imagination, barrière à la créativité. Je me<br />

suis amusée dans ton front à démêler les failles <strong>de</strong> ton esprit, <strong>de</strong>s rêves<br />

merveilleux qui me faisaient planer. Et tandis que je voltigeais vers ton<br />

oreille, j’ai défait ce casse-tête presque terminé pour que tu aies autant<br />

<strong>de</strong> plaisir à le faire que moi. Je suis atterrie sur ton lobe d’oreille sans<br />

fracas, ne t’inquiètes pas mon ange, ton cerveau rempli <strong>de</strong> bon sens<br />

m’avait greffée, pour l’escale, d’ailes <strong>de</strong> fée pour me poser avec sûreté.<br />

Tout juste arrivée, je me suis empressée <strong>de</strong> goûter à ce lobe d’oreille<br />

qui tenait lieu <strong>de</strong> canne <strong>de</strong> bonbon améliorée. Au loin, <strong>de</strong>s échos d’hypocrisie<br />

me sont parvenus, ça <strong>de</strong>vait être mon Noël, tu imagines bien


CLOÉ DECELLES<br />

Sans un mot, elle ouvre les yeux. Frêle créature glacée, elle tente <strong>de</strong><br />

réveiller ses muscles endoloris. Elle agite ses gran<strong>de</strong>s ailes <strong>de</strong>vant elle,<br />

ses ailes immaculées du blanc <strong>de</strong> l’hiver, ses ailes <strong>de</strong> neige, <strong>de</strong> soie<br />

d’ivoire et <strong>de</strong> fil d’argent. À chaque craquement entendu, son sourire<br />

s’étire un peu plus sur ses lèvres bleues. Enfin, la glace n’est plus. Elle<br />

secoue les <strong>de</strong>rniers morceaux <strong>de</strong> givre et laisse son regard vagabon<strong>de</strong>r<br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la forêt <strong>de</strong> pins.<br />

La rivière à ses pieds, ruisselle comme mille diamants coulant<br />

vers le soleil. Les rayons dorés s’y mélangent pour former avec eux la<br />

mer tout au loin.<br />

Les arbres centenaires <strong>de</strong> la forêt engourdie par le froid s’éveillent<br />

un à un, le vent sifflant entre eux comme pour les inciter à ouvrir<br />

les yeux. Par leurs craquements, <strong>de</strong> leurs grincements, ils chantent le<br />

renouveau du mon<strong>de</strong> une fois encore.<br />

La jeune créature entend un battement creux, puis un autre. Son<br />

cœur gelé se réveille enfin. Avec ses battements viennent le chant d’un<br />

oiseau, suivit par d’autres, qui remplissent la forêt <strong>de</strong> leurs sons mélodieux.<br />

Bien vivante, elle ouvre ses fines ailes d’ange aux plumes argentées,<br />

et s’élance dans le mon<strong>de</strong> renaissant sous ses pieds. Le printemps<br />

a repris son envol.<br />

plus le jeune homme perdait <strong>de</strong> ses forces, mais le peuple continuait <strong>de</strong><br />

croire en lui. Ses ailes n’étaient pas assez gran<strong>de</strong>s pour voler. Il était<br />

donc obligé <strong>de</strong> rester au sol. Tout à coup, une idée lui vint. Il se souvint<br />

d’une formule qu’il avait lue dans le journal <strong>de</strong> son père. Il en ignorait<br />

l’effet, mais la prononça toutefois à voix haute. Le sorcier perdit alors<br />

ses pouvoirs et s’envola en poussière avec un hurlement sinistre.<br />

Après le combat, Falcon tomba par terre, inconscient. Il avait perdu<br />

toutes ses forces, mais il avait réussi à sauver son peuple. Des habitants<br />

du village le portèrent dans la maison la plus proche, où ils soignèrent<br />

ses blessures. La mère <strong>de</strong> Falcon resta à son chevet nuit et jour.<br />

Alors qu’elle était parti manger et arroser ses plantes, Falcon se réveilla.<br />

Ses ailes étaient <strong>de</strong>venues immenses et dorées, car il avait prouvé son<br />

courage. Il sortit <strong>de</strong> la maison et lorsque les gens l’aperçurent, ils l’applaudirent.<br />

Il s’envola très haut dans le ciel, heureux <strong>de</strong> son nouveau<br />

statut <strong>de</strong> Héros.


CATHY CASTONGUAY<br />

Il était une fois, dans le petit village <strong>de</strong> Saphir, un peuple qui<br />

avait souvent été en danger par le passé. Un matin, le chef découvrit un<br />

livre dans la bibliothèque. Ce livre racontait la vie <strong>de</strong> leurs ancêtres,<br />

ainsi que du Héros qui avait vécu parmi eux. Celui-ci avait les ailes<br />

d’un aigle et pouvait voler afin <strong>de</strong> sauver son peuple. Après avoir lu le<br />

livre au complet, le chef n’en croyait pas ses yeux. Il se <strong>de</strong>mandait s’il<br />

y avait encore aujourd’hui un héros dans le village.<br />

Un bon matin, un jeune homme bien ordinaire du nom <strong>de</strong> Falcon<br />

découvrit qu’il avait <strong>de</strong> petites ailes dans le dos en allant prendre sa<br />

douche. Il n’en croyait pas ses yeux, et avait peur que quelqu’un le découvre,<br />

surtout sa mère. Pourtant, la mère savait déjà qu’un jour son<br />

fils allait avoir <strong>de</strong>s ailes. Son père, ainsi que son grand-père en avaient<br />

eux aussi. La famille était <strong>de</strong>scendante du premier homme oiseau, aussi<br />

appelé le Héros. Or, la mère ne voulait pas que son fils <strong>de</strong>vienne<br />

comme son père, car ce <strong>de</strong>rnier courait toujours après le danger. Il avait<br />

trop protégé le peuple au lieu <strong>de</strong> s’occuper <strong>de</strong> sa propre sécurité et était<br />

mort avant la naissance <strong>de</strong> son fils.<br />

Un jour, un sorcier arriva dans le village <strong>de</strong> Saphir pour y appliquer<br />

sa loi. Il tuait tous ceux qui refusaient <strong>de</strong> le suivre. Le chef du village<br />

essaya <strong>de</strong> le raisonner, mais le sorcier faisait chaque fois apparaître<br />

<strong>de</strong>s personnages horribles. Le peuple avait peur <strong>de</strong> ces monstres.<br />

Le chef retourna chez lui afin <strong>de</strong> découvrir l’i<strong>de</strong>ntité du <strong>de</strong>scendant du<br />

premier Héros. Il finit par le trouver. Néanmoins, il fut déçu, car celuici<br />

n’avait que 20 ans, il n’avait donc pas d’expérience. Falcon accepta<br />

le défi, croyant que ses ailes disparaîtraient une fois la tâche accomplie.<br />

Le jeune homme essaya <strong>de</strong> chasser le sorcier, mais il n’était pas assez<br />

puissant. L’ennemi utilisait ses pouvoirs afin <strong>de</strong> neutraliser Falcon.<br />

Cependant, chaque génération <strong>de</strong> Héros possédait une caractéristique<br />

unique. Falcon ne pouvait pas se faire tuer par la magie, il fallait le<br />

battre à mains nues.<br />

Falcon continuait <strong>de</strong> lutter contre le sorcier. Les sbires <strong>de</strong> l’ennemi<br />

tentaient <strong>de</strong> l’immobiliser afin <strong>de</strong> l’éliminer. Plus le temps avançait,<br />

gravure semblait vivante, chau<strong>de</strong>, palpitante comme ta peau, et il y<br />

avait ce parfum sucré-salé qui prenait tout l’espace, tout ce que mes<br />

poumons pouvaient engouffrer <strong>de</strong> volume <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>. Je te vis alors, là, le<br />

dos appuyé à une colonne, le visage tourné vers le lecteur, vers moi et<br />

c’était une invitation à quitter le mon<strong>de</strong> pour entrer dans le livre, pour<br />

<strong>de</strong>venir personnage avec toi. Un appel à te rejoindre dans tes rêves.<br />

Toutes questions <strong>de</strong> logique disparurent. J’aspirais <strong>de</strong> mes poumons en<br />

feu, je regardais <strong>de</strong> toute l’intensité <strong>de</strong> mon regard tes yeux d’encre<br />

noire, plus rien n’existait. Je contournais la colonne antique, pour t’attraper<br />

par surprise et entendre ton rire et sentir à mon tour ton étreinte.<br />

Main dans la main nous montâmes la colline dans la lumière crue et<br />

chau<strong>de</strong>.<br />

Un vieil homme trouva le livre sur le banc <strong>de</strong> parc, avec tous les<br />

autres, abandonnés... Il en lut les titres, certains lui plurent, il les rangea<br />

dans son sac, d’autres lui parurent moins passionnant, il les prit<br />

sous son bras, il vendrait les plus beaux, pour manger un peu, au café<br />

du coin, et avec les autres, il se chaufferait, dans la nuit froi<strong>de</strong>, sous le<br />

pont...


FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

Lorsque mes livres me sont revenus, seuls sur le pas <strong>de</strong> ma porte,<br />

j’ai senti une effluve en monter, o<strong>de</strong>ur douce, apaisante, aimée. Je suis<br />

allé au parc me promener, me poser sur un banc, et y remettre le nez.<br />

Ce n’était plus, ni l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s vieux bouquins, ni celle <strong>de</strong>s livres neufs.<br />

C’était la fragrance <strong>de</strong> ta présence entre chaque page <strong>de</strong>s recueils.<br />

C’était la promesse d’un voyage nouveau, une invitation au rêve, le<br />

souffle d’une promena<strong>de</strong> nocturne à pas feutrés. Je les ai ouverts un<br />

par un, mes livres, et me suis mis à les feuilleter. Ce que je lisais, ce<br />

n’était plus les mots, que je connaissais déjà, mais les phrases olfactives<br />

laissées par tes doigts, histoire toute nouvelle et passionnante. Je partis<br />

donc sur tes traces parfumées. La douce o<strong>de</strong>ur me fit voir au début, imperceptible,<br />

le contact <strong>de</strong> tes doigts sur le papier, puis comme l’œil<br />

dans l’obscurité s’habitue peu à peu aux faibles lueurs, mon nez se fit<br />

peu à peu aux plus infimes <strong>de</strong> tes contacts avec cette peau <strong>de</strong> fibres. Je<br />

voyais maintenant les traces <strong>de</strong> ta lecture, tes relectures, tes hésitations,<br />

tes accélérations et tes pauses. Je voyais ton émotion à certains épiso<strong>de</strong>s,<br />

où ton souffle chaud et caressant avait effleuré le papier, je<br />

voyais ces moments intenses et intimes, où la page est effleurée avec<br />

affection comme une peau adorée, ou froissée dans la violence <strong>de</strong>s sentiments.<br />

J’étais maintenant enivré par ma quête, par ton arôme, perdu<br />

dans les vapeurs du rêve, d’une recherche impossible, pour reconstituer<br />

ta lecture, la partager, te retrouver... Tournant maintenant les pages à<br />

toute volée, une angoisse me prit, peut-être celle <strong>de</strong> l’image d’un<br />

Charles IX <strong>de</strong> Dumas, empoisonné par les pages <strong>de</strong> son livre, étais-je<br />

en train <strong>de</strong> m’empoisonner <strong>de</strong> senteurs trop douces, et <strong>de</strong> perdre contact<br />

avec la réalité? Le livre que je tenais <strong>de</strong>venait le mon<strong>de</strong> entier, il l’engloutissait!<br />

Ton o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>venait le seul air respirable... si je relevais la<br />

tête, je le sentais, ce serait l’asphyxie : soit l’air <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong> México,<br />

soit le vi<strong>de</strong> spatial. Mais pourquoi aurais-je voulu relever la tête? Pour<br />

retrouver un mon<strong>de</strong> glauque et triste, alors que là je me noyais dans le<br />

bonheur... mais aurais-je même été capable <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> ce livre?<br />

L’o<strong>de</strong>ur sucrée s’intensifiait et je me <strong>de</strong>mandais, où es-tu?<br />

Je tombais alors sur une gravure, comme il y en a dans certaines<br />

éditions <strong>de</strong> grands romans. Mes yeux étaient écarquillés, fascinés. La<br />

MOT DU CHEF DE PUPITRE<br />

Le cirque bleu <strong>de</strong> la gorge hantée et ses bêtes <strong>de</strong> foire vous présentent le<br />

défilé fuyant <strong>de</strong>s mots qui quittent la page. S’abreuvant <strong>de</strong>s phrases, les<br />

monstres étalent leurs talents et transforment les mots en rêves. Munis<br />

<strong>de</strong> contes, ils affrontent la vie à grands coups d’utopie. Chacun choisit<br />

son arme : le fantastique, le merveilleux ou encore la science-fiction, les<br />

monstres créent un imaginaire pour combattre le quotidien.<br />

Au creux <strong>de</strong> la gorge, la victoire du cirque coule en fins ruisseaux <strong>de</strong><br />

sable doré. Le sommeil gagnera peu à peu les habitants rassasiés <strong>de</strong> la<br />

violence <strong>de</strong>s mots. Comme le marchand <strong>de</strong> sable, les monstres ont fait<br />

surgir du fond du cœur les rêves pour donner vie à un mon<strong>de</strong> nouveau.<br />

Jessika Lagimonière


NOÉMIE BERNARD<br />

I wanna fucking be Grace Kelly<br />

Pour que tu lui frappes les tripes<br />

lui rompes <strong>de</strong> bas en haut les émotions<br />

un fer laissé trop longtemps sur sa chemise <strong>de</strong> soie<br />

<strong>de</strong>s mots transluci<strong>de</strong>s marqués au Sharpie sur sa conscience<br />

du comic sans ms pour l’âme, qui soothe mais qui donne envie <strong>de</strong> sauter<br />

les clôtures<br />

Pour que sa fucking gross ignorance soit étalée à la gran<strong>de</strong> noirceur<br />

les gran<strong>de</strong>s gueules ont souvent le cerveau dégarni<br />

apparence et intelligence siliconées<br />

who the hell cares anyway<br />

c’est toi le responsable<br />

l’éprouvette éclate et la laisse couler<br />

l’écume qui se répandait autrefois sur ta pretty face<br />

explose les tréfonds <strong>de</strong> ma parité aux fondations vandalisées<br />

Pour que sa poigne cancéreuse cesse toute propagan<strong>de</strong>, ses idées aux<br />

jointures d’acier<br />

son arrogance suffisante, sa présence rassurante comme un view master<br />

ses ramures immaculées mais mutilées par ton néant<br />

Pour qu’on lui fasse prendre un nouveau souffle<br />

Et la faire shut the fuck up


CLOÉ DECELLES<br />

Lame tranchante d’une feuille<br />

Arbre à la pureté souillée<br />

Cœur transpercé<br />

Fines larmes du ciel éclaté<br />

Lueur éteinte d’une ancienne vie<br />

Étoile filante à nos pieds<br />

Pluie tourbillonnante dans le vent insatiable<br />

Vertes feuilles tombées au combat<br />

Nudité éphémère du géant <strong>de</strong> bois<br />

Triste plainte au fond <strong>de</strong> la forêt<br />

Tristes sanglots <strong>de</strong>s feuilles perdues<br />

Nostalgie d’un passé fleurissant<br />

Tronc tordu<br />

Feuilles arrachées<br />

Cœur désavoué<br />

NOÉMIE BERNARD<br />

Le vent voyeur soulève les jupes <strong>de</strong>s graciles donzelles<br />

Baguettes au bout <strong>de</strong>squelles se profile<br />

Sensualité si soucieuse <strong>de</strong> sa sincérité<br />

De l’autre rive les pronoms creusent un gouffre<br />

Le matin j’étais il cet après-midi<br />

Elle semble être mon idéal<br />

Idéal mon enfer plus que <strong>de</strong> raison<br />

Où brûle Ken le plastique crépitant dans l’âtre<br />

Sa virilité dissolue quand j’ai perdue la mienne<br />

Gâteaux d’anniversaire<br />

compter les bougies empiriques qui<br />

rapprochent mes vœux du jour C<br />

changement<br />

caenogenèse<br />

quelques conneries qui causent cette cacophonie intracrânienne<br />

croire que quoi qu’il arrive tout est correct<br />

Maman papa vous m’aimez j’espère


LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

Gris le ciel<br />

Grise la terre<br />

L’éclair rouge déchire l’horizon<br />

Sépare les mers noires<br />

Et du haut <strong>de</strong> cette montagne<br />

En casca<strong>de</strong><br />

Un flot <strong>de</strong> sang s’écoule<br />

Tombe dans son infini<br />

Univers<br />

L’arbre saigne<br />

Le poignard à la main<br />

Une larme croule<br />

S’écrase dans la mer<br />

Où l’enfant pleure<br />

Au creux d’un sein<br />

Seul dans la foule<br />

Cherche sans fin<br />

Horizon insaisissable<br />

Parmi les étoiles dormeuses<br />

Brille la conscience<br />

Chevauche l’humanité<br />

Tournoie en son bain<br />

De lumière arc-en-ciel<br />

Noir comme neige<br />

Dur comme eau<br />

Le soleil éclate<br />

Et les feux d’artifice<br />

Restent sourds dans la nuit<br />

ALEXANDRA BOURQUE<br />

Elle plonge, s’immerge<br />

sombre en ta gorge<br />

<strong>de</strong> Lascaux<br />

la vipère te ronge<br />

les remords stalactites<br />

l’Imbabura au ventre<br />

magma psychotique<br />

tes yeux dédoublent, s’éclosent<br />

Rafflesias trompeuses<br />

Devant les mémoires phosphènes<br />

Amazoniaques<br />

les lambeaux lianes<br />

cieux renversés<br />

la guerrière rampe<br />

encore<br />

tes bouillantes<br />

Baños


sa future carcasse fracassée.<br />

Je ne reviendrai plus. La seule trace que j’aurai <strong>de</strong> toi, le lien qui<br />

me rappellera que je ne suis pas née d’un œuf, cette foutue cicatrice au<br />

ventre, je la ferai enlever s’il le faut. Cette marque laissée par le cordon<br />

ombilical. Je l’aurais coupée moi-même, si j’avais pu, si j’avais su.<br />

lera.<br />

Continue d’écouter le chien nain japper. Peut-être qu’il te conso-<br />

Peut-être que le bruit assourdissant d’un quelconque outil <strong>de</strong> jardin<br />

te réconfortera.<br />

Dommage que tu n’aies pas voulu enregistrer ma voix.<br />

VICKY LAPLANTE-BOTT<br />

Tu avais disposé une kyrielle <strong>de</strong> ces cadres qui reflètent à travers<br />

la maisonnée. À chaque déplacement, je risquais <strong>de</strong> voir mon reflet surgir<br />

à l’improviste, m’apparaissant sous un angle incongru, au coin d’un<br />

mur ou d’un plafond. Véritable palais <strong>de</strong>s glaces, que tu repositionnais<br />

exactement i<strong>de</strong>ntiquement, <strong>de</strong> façon isométrique et égocentrique avant<br />

<strong>de</strong> quitter pour je ne sais trop quel lieu. Tu avais enregistré les bruits les<br />

plus désagréables que j’ai entendus : alarme d’ambulance, ton<strong>de</strong>use à<br />

gazon, jappement du Yorkshire Terrier du voisin. Tu les as gravés sur<br />

un CD. Tu les faisais jouer en boucle, pour soi-disant éloigner le mauvais<br />

temps. J’avais l’impression d’être tombée sur un canal à la con qui<br />

fait <strong>de</strong>s prédictions. Mais là, aucune annonce <strong>de</strong> précipitations, ou <strong>de</strong><br />

soleil plombant. Que <strong>de</strong>s bruits qui martelaient mon cerveau, continuellement,<br />

lui faisant passer un mauvais quart d’heure. En fait, trente-<strong>de</strong>ux<br />

minutes et cinquante-trois secon<strong>de</strong>s exactement. Je les avais calculées.<br />

Souvent, tu te postais à la fenêtre <strong>de</strong> ma chambre, et tu regardais. Non,<br />

tu ne faisais pas que voir, tu enregistrais. Les moindres mouvements <strong>de</strong>s<br />

voisins, menaces constantes à ta sécurité. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s’ils t’ont déjà<br />

aperçue, postée, les guettant, comme le pygargue à tête blanche qui repère<br />

au loin l’hiron<strong>de</strong>lle-repas. Mais tu n’étais pas un <strong>de</strong> ces aigles<br />

chauves. Plutôt un rapace aux cheveux longs, blonds et bouclés.<br />

Comme moi. Cette génétique me rappelait sans cesse que nous appartenions<br />

au même arbre et, généalogie ou pas, je ne pouvais nier que j’étais<br />

quasiment un sosie <strong>de</strong> toi. Un modèle réduit. Une statue <strong>de</strong> cire à ton<br />

effigie. J’aurais pu prendre ta place à la fenêtre et les gens n’auraient<br />

pas saisi la supercherie. Je l’ai d’ailleurs fait. Plusieurs fois. Tu me<br />

l’exigeais. Ce <strong>de</strong>vait être ton côté allemand qui reprenait le <strong>de</strong>ssus. Dictatrice,<br />

petite moustache. Frisant la folie.<br />

Tu te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s parfois, j’en suis sûre, pourquoi tu n’aperçois<br />

plus mon reflet dans les couloirs <strong>de</strong> glaces. Où est-elle passée, cette copie<br />

fausse <strong>de</strong> toi? Tu guettes à la fenêtre mon retour, mais tu mourras <strong>de</strong><br />

faim avant d’y voir voler l’hiron<strong>de</strong>lle-repas que je suis. Tu m’as déjà<br />

consommée. Consumée. Comme une girafe en feu, que les pompiers<br />

n’arriveraient pas à sauver du brasier. Trop gran<strong>de</strong>, trop longue, le cri<br />

du girafon se perdant dans la savane. Et le charognard, guettant au loin


FRÉDÉRICK BERTRAND<br />

Sarcophage -phage -phage -age<br />

Anthropophage, autophage, chronophage, Pythagore<br />

Je n'ai pas d'âge fixe<br />

Mais je rixe contre le miroir contraire<br />

Phagocythose, j'ose parler du temps<br />

Enfant, je vois une pléthore <strong>de</strong> solutions<br />

Salines, dont le mât m'enlise en millisecon<strong>de</strong>s<br />

Mal hantise est <strong>de</strong> ne point revenir<br />

Je vois un virage si lointain qu'il en est laborieux<br />

Que j'en suis déjà en retard<br />

Le doigt <strong>de</strong> l'ange pointe la mer<br />

La mire <strong>de</strong> mes soupirs fautifs<br />

La peur panique me fouette à la cire <strong>de</strong>s sires<br />

Crème dure et sans l'onctuosité poreuse <strong>de</strong>s chardons<br />

Je tourne sûr <strong>de</strong> lui-même<br />

Ce centre nervureux du temps<br />

Hélas! sa ron<strong>de</strong> m'éblouit hors du cadre<br />

Je valse, je hante, j'entre dans l'antre<br />

Dans un vi<strong>de</strong> saccage perpétuel<br />

Rituel et ritournelle<br />

D'un temps qui s'achève seul.<br />

LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

pas à pas goutte à goutte j’avance je sombre l’infini tombe autour<br />

<strong>de</strong> moi la lumière du soleil brille chante et danse doucement l’oiseau<br />

du matin dans l’arbre <strong>de</strong> sagesse qui plonge ses racines dans la<br />

terre tel un ver <strong>de</strong> terre je m’émerveille à cette lumière où déjà haut<br />

dans le ciel les navires déploient leurs voiles et partent vers un mon<strong>de</strong><br />

promis où seule une clarté telle en ce matin règne sans relâche sur les<br />

prairies où galopent les chevaux jours et nuits avec leurs crinières <strong>de</strong><br />

soie plus douces que la caresse <strong>de</strong> la main d’une mère au réveil du matin<br />

comme la goutte <strong>de</strong> rosée qui coule sur ma joue trompée par la<br />

pluie qui était au loin un voile sur la peau <strong>de</strong> cette dame qui je ne sais<br />

pourquoi cherche ma main tendue vers l’horizon tente en vain <strong>de</strong> saisir<br />

les <strong>de</strong>rnières lueurs qui déjà s’estompent au fond <strong>de</strong> la tasse où plus<br />

une goutte <strong>de</strong> café n’est possible <strong>de</strong> trouver dans cet autre pays travaillé<br />

par la peur <strong>de</strong> ne pouvoir savoir si <strong>de</strong>main est un autre jour


L’eau roucoule<br />

Bijou métallique<br />

Sur chevelure <strong>de</strong> feu<br />

Vent marin sucré<br />

Étendu sur la langue<br />

Du passé fondu<br />

Chair <strong>de</strong> serpent<br />

Sèche comme la rosée<br />

Tortille sous l’avalanche<br />

Pupille irradiée<br />

Crevée par l’épine ron<strong>de</strong><br />

Des météores glacés<br />

La bougie flotte<br />

Cire plancher <strong>de</strong> verre<br />

Du bout <strong>de</strong> l’allumette<br />

S’inon<strong>de</strong><br />

AMÉLIE DEMERS<br />

Coquillage<br />

Se mouille<br />

Sur ta pacotille pié<strong>de</strong>stal<br />

Destin médiocre <strong>de</strong> ta griffe pointée<br />

Ça<br />

N’en a guère pour <strong>de</strong>s poussières <strong>de</strong><br />

Temps s’allonge s’abreuve<br />

Aux sources qui vomissent<br />

Le sens échappé<br />

Liberté absorption parasitée<br />

Ça<br />

Fugitive chimère<br />

la nuit l’emporte<br />

Laissant <strong>de</strong>s murs pour toiles,<br />

<strong>de</strong>s toiles pour fenêtres<br />

<strong>de</strong>s fenêtres pour murs


LAURENCE VINET<br />

Ça<br />

femme étoffe étrange<br />

Me frôle <strong>de</strong>s yeux<br />

Mon recommencement<br />

J’ai les jointures qui dansent<br />

Une valse grincements d’autre part<br />

Ça<br />

dards d’yeux noirs<br />

Crevassent mon infini Consument l’incertitu<strong>de</strong> Insinuent la peur aux<br />

ongles<br />

Jemesouviens<strong>de</strong>lafroi<strong>de</strong>indifférence jemesouviens jeme souviensduméprisquineprendpluslapeine<strong>de</strong>mettreun<br />

masque<br />

jemesouviens<strong>de</strong>lafroi<strong>de</strong>indifférenced’ailleursilseraitplusjuste<strong>de</strong>parler<strong>de</strong>cruauté<br />

impossibleàdivulguer<br />

tapiesouslesconvenances<strong>de</strong>laconventiontoujours<br />

toujours<br />

cequ’onatoujoursfaitsansrienremettreenquestionjemesouviens<br />

<strong>de</strong>lafroi<strong>de</strong><br />

froi<strong>de</strong><br />

froi<strong>de</strong><br />

et roi<strong>de</strong><br />

indifférence<br />

parcequ’onétaitdifférentjemesouviens<strong>de</strong>lapeurlapeurlapeurcommelitaniej’aipeurj’aipeurj’aipeur<strong>de</strong>safroi<strong>de</strong>indifférence<br />

Ça<br />

Espionne complice traître<br />

Con fondu dans le brouillard<br />

De moi et <strong>de</strong> eux<br />

D’eux <strong>de</strong>ux elle<br />

Sphinx fielleux,<br />

Cracher une hargne injustifiée.<br />

Encre <strong>de</strong>s bas-fonds, les mains barbouillées du 21 e gène. Ton sourire<br />

maquillage pleure les enveloppes brunes.<br />

Lubrique patibulaire le bonheur n’est qu’un<br />

Claquement <strong>de</strong> vian<strong>de</strong><br />

Clac clac clac claquement <strong>de</strong> vian<strong>de</strong><br />

Bougres manchots applaudissez la tristesse<br />

La plume et la chair<br />

L’encre et le sang<br />

Claquent leurs vian<strong>de</strong>s


LANGIS BÉLANGER-DUPLAIN<br />

Esprits claustrophobes<br />

Yeux grands fermés<br />

Disent voir l’infini<br />

Entouré <strong>de</strong> quatre murs noirs<br />

Le tuellevousils est un aveugle<br />

Qui dit distinguer les couleurs du noir et blanc<br />

En dards venimeux les armées<br />

Fon<strong>de</strong>nt la terre d’un liqui<strong>de</strong> saumâtre<br />

Bougres manchots<br />

Ouvrez vos mains et voyez<br />

Vous chiez pour faire sortir les larmes<br />

Vous parlez pour faire sortir la mer<strong>de</strong><br />

Vous menstruez pour faire sortir le sperme<br />

Vous éjaculez pour faire sortir le sang<br />

J’écris pour faire sortir le moi<br />

Le bonheur n’est qu’un<br />

Claquement <strong>de</strong> vian<strong>de</strong><br />

Clac clac clac claquement <strong>de</strong> vian<strong>de</strong><br />

Le kalachnikov tentaculaire se masturbe brutalement<br />

Ses balles sont <strong>de</strong>s boulets au cerveau<br />

Qui pissent <strong>de</strong>vant la tombe<br />

Une piste <strong>de</strong> course<br />

Au lifting idéologique<br />

Bougres manchots vomissez votre insomniaque rouge gorge et dormez<br />

au creux du sexe militaire qui habite le haut du mont sans roi. Dormez<br />

et crachez votre mensonge encore une fois, rassurez la raclure du marécage<br />

conservateur, consommateur con, concombre, confus cochon con,<br />

compute.<br />

On nous enchaîne d’or<br />

loin <strong>de</strong>s nécromanciens véreux<br />

MARIE-CHRISTINE BERTEAU<br />

pour mieux nous pendre<br />

avec cette liberté infâme<br />

douce enfant possédée<br />

enfer bleui dans l’océan du mensonge<br />

je pleure ce sang<br />

qui<br />

abreuve les carnassiers sans cœur<br />

qui crèvent d’envie<br />

<strong>de</strong> ca<strong>de</strong>nasser les cadavres


NOÉMIE BERNARD<br />

Chaque dalle <strong>de</strong> béton tu scrutes un nouveau spécimen<br />

Jaune blanc noir c’est un vrai pâté chinois<br />

Les couches fon<strong>de</strong>nt parfois l’une dans l’autre durant la cuisson<br />

Brun doré hâlé cuivré<br />

Mais elles trouvent toutes un moyen <strong>de</strong> finir dans ta bouche<br />

Les saveurs collapsent<br />

Nirvana gastronomique<br />

De toute provenance,<br />

Champ fertilisé avec <strong>de</strong> la mer<strong>de</strong> animale ou vache propulsée par stéroï<strong>de</strong>s<br />

Tous s’enten<strong>de</strong>nt et clament haut et fort<br />

Les humains ne pourraient vivre sans notre alliance<br />

Mi-amère mi-sucrée<br />

Qui laisse un goût scabreux <strong>de</strong> Nouvelle-France en bouche<br />

Terre sueur monoculturalisme<br />

Certains aiment leur pâté chinois<br />

Jambonné fromagé désossé exsangue<br />

Chacun ses goûts<br />

Il reste relique <strong>de</strong> notre société<br />

Il hisse fièrement ses couleurs sur le mât <strong>de</strong> l’homogénéité<br />

Et<br />

Maïs steak haché et patates pilées<br />

crient à l’unisson : goûtez les saveurs <strong>de</strong> l’arc-en-ciel<br />

MOT DU CHEF DE PUPITRE<br />

L’avortement <strong>de</strong>s idées préconçues et communes en une cacophonie <strong>de</strong><br />

couleurs et d’explosions <strong>de</strong> voix.<br />

La monotonie <strong>de</strong>s textes est brisée par l’automatisme qui pousse vers<br />

l’inconnu en relâchant la cohérence logique et habituelle, tout en gagnant<br />

en subjectivité.<br />

Engendrer une surprise instantanée, confusion momentanée.<br />

La nébuleuse est l’onirisme où le rêve disjoncte le réel d’images surréalistes.<br />

L’esprit libéré <strong>de</strong> ses entraves, les idées vagabon<strong>de</strong>nt d’elles-mêmes<br />

sur les pages sans retenue.<br />

Le mot d’ordre pour les auteurs était simple,<br />

être éclaté.<br />

Langis Bélanger-Duplain


MOT DU RÉDACTEUR EN CHEF<br />

Les nocturnes sont <strong>de</strong>s êtres singuliers. Leur imaginaire est peuplé <strong>de</strong><br />

visions étranges, qui carburent au café ou au vin, c’est selon et encore....<br />

L’insomnie pousse les esprits créatifs aux limites <strong>de</strong> leurs lubies. Les<br />

textes bousculent les structures <strong>de</strong> l’esprit. Formes déconstruites ou à la<br />

limite <strong>de</strong> la compréhension et <strong>de</strong> la perception; univers décalés, parfois<br />

inquiétants.<br />

L’œil du lecteur parcourant les pages insuffle la vie aux mots, bribes<br />

extraites <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> l’écrivain à l’insaisissable flot <strong>de</strong> ses pensées.<br />

Les nocturnes attirent dans leurs filets les êtres en quête <strong>de</strong> cette folie<br />

passagère, le flot <strong>de</strong>s pages emporte ailleurs le lecteur.<br />

Nébuleuses : confusion <strong>de</strong>s mots, <strong>de</strong>s idées inexprimables, <strong>de</strong>s délires<br />

exquis. Marchand <strong>de</strong> sable : ses contes pour les grands et petits, du fabuleux<br />

merveilleux aux visions futuristes, en passant par l’inquiétant<br />

fantastique. Luciole : ses jeux colorés, cinglés, amusant kaléidoscope<br />

d’idées télescopées.<br />

Les nocturnes offrent dans leurs textes la vision déjantée et dérangeante<br />

<strong>de</strong> leurs mon<strong>de</strong>s rêvés, hallucinés, dans une lecture <strong>de</strong>s pages à rebours<br />

qui, elle aussi, déroute. Aux lecteurs d’entrer dans ces contrées <strong>de</strong> surprises...<br />

Frédérick Bertrand


Présentation……….…………………………………p. 5<br />

Nébuleuses…………………………………………..p. 6<br />

Marchand <strong>de</strong> sable………………….……………….p. 24<br />

Luciole………………………………………………p. 56

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