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2. L’informe est dans la voix<br />

JEAN-PIERRE BOBILLOT<br />

Il y a « voix » et voix<br />

– Pas un traité, pas un manuel, pas une thèse universitaire, qui à<br />

propos de poésie, ou de n’importe quel écrit, n’entonne l’hymne obligé à<br />

« la voix » — cette « voix » qui, on ne sait trop par quel<strong>le</strong> magie, sourdrait<br />

d’entre <strong>le</strong>s lignes, d’entre <strong>le</strong>s pages. Imaginaire « bande son » doublant<br />

toute <strong>le</strong>cture si<strong>le</strong>ncieuse — voix de l’auteur ou du texte, du « narrateur »,<br />

de je ne sais qui ou quoi encore : immanquab<strong>le</strong>ment « unique ».<br />

Mais ceux qui ressassent cela, ce n’est pas <strong>le</strong> plus souvent pour par<strong>le</strong>r<br />

de poètes-proférateurs comme Antonin Artaud — celui de Pour en finir<br />

avec <strong>le</strong> jugement de dieu —, ni comme François Dufrêne ou Henri Chopin<br />

qui, <strong>le</strong> premier avec ses « crirythmes », <strong>le</strong> second avec ses « audio-poèmes »,<br />

ne se donnèrent d’autre objet poétique, à explorer et à expérimenter, que<br />

<strong>le</strong>ur propre voix et ses dessous, scories comprises : <strong>le</strong> premier, d’une façon<br />

délibérément brute, voire abrupte, dans une démarche de spontanéisme<br />

primitiviste — soit, justement, sa venue, plus que sa tenue —, <strong>le</strong> second,<br />

de manière toujours plus sophistiquée, grâce aux ressources insoupçonnées<br />

de l’appareillage é<strong>le</strong>ctroacoustique, dans un souci à la fois élémentariste et<br />

compositionnel. Ni, plus généra<strong>le</strong>ment, à propos de « poésie sonore » ou<br />

« action 8 ».<br />

Non, <strong>le</strong> plus souvent, ils ignorent ces voix effectivement proférées,<br />

voire enregistrées, amplifiées — qu’el<strong>le</strong>s soient restituées tel<strong>le</strong>s quel<strong>le</strong>s ou<br />

transformées, triturées, ou diversement orchestrées —, au profit d’acceptions<br />

concurrentes, mais toutes éga<strong>le</strong>ment analogiques et, partant, quasi<br />

indéfinissab<strong>le</strong>s, de ce concept de « voix » : écran, autant que fourre-tout,<br />

se ramenant en définitive à tel<strong>le</strong> convergence de marques énonciatives,<br />

ou plus largement stylistiques, quand ce n’est pas à quelque empirique<br />

notation de « l’oral dans l’écrit »…<br />

Jubilus diabolicus<br />

– Or ceux qui, en poésie, ne veu<strong>le</strong>nt « entendre » que ces prétendues<br />

voix, aussi muettes qu’inaudib<strong>le</strong>s, et refusent de prêter l’oreil<strong>le</strong> ou la<br />

moindre « va<strong>le</strong>ur poétique » à cel<strong>le</strong> du poète lisant, et a fortiori aux voix<br />

diversifiées, et assumées, de la « sonore », jouent un rô<strong>le</strong> similaire à celui<br />

des ennemis du chant et de la musique dans la liturgie chrétienne, qui<br />

s’opposèrent durant des sièc<strong>le</strong>s (quelquefois, même, par la vio<strong>le</strong>nce) aux<br />

progrès de sa vocalisation et de son instrumentation — attribuées aux<br />

8. Qu’on me permette, ici, de renvoyer à mes précédents travaux, consacrés à ces questions<br />

(Bobillot 1996, 2006, 2009).<br />

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