60- Les guerres de décolonisation en Afrique

Les guerres de décolonisation en Afrique:
diversité des stratégies et reconversion
postcoloniale des structures
Issa Babana El Alaoui
Dans l’expression « guerres de décolonisation en Afrique » le substantif « décolonisation » exprime
l’objectif. L’Afrique d’aujourd’hui est quasiment émancipée. Mais les 53 Etats membres qui forment
l’Union africaine 1 n’ont pas accédé tous à l’indépendance par la guerre. Comment y sont-ils
parvenus ? C’est ce que nous tenterons d’expliquer en axant l’analyse sur les guerres d’indépendance
dans le jeune Continent. Pour ce faire, nous traiterons cinq volets interdépendants : le processus de la
décolonisation, le grand pas émancipateur de la France, les guerres d’indépendance et la guerre
froide, les conditions de la libération, les désenchantements de l’indépendance et la reconversion
postcoloniale des structures de combat.
1 - Le processus de la décolonisation.
La colonisation qui signifie l’occupation imposée d’un territoire par une nation étrangère 2 viole les
droits naturels des peuples 3 , quels que soient le prétexte et la dénomination qu’on lui donne 4 . D’où la
faculté légitime de s’émanciper 5 . Les moyens d’y parvenir se résument dans deux
méthodes multiformes : les voies pacifiques dont le dialogue politique, les manifestations paisibles et
les grèves, ou les méthodes de violence dont la révolution 6 , la guérilla 7 et le terrorisme 8 . Visant
1 Algérie, Angola, Bénin, Botswana, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, Centrafrique, Comores, Congo,
Congo Démocratique, Cote D'Ivoire, Djibouti, Egypte, Érythrée, Éthiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-
Bissau, Guinée Équatoriale, Kenya, Lesotho, Liberia, Libye, Madagascar, Malawi, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie,
Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, Rép. Sud-africaine, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Seychelles, Sierra
Leone, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Tunisie, Zambie, Zimbabwe.
2 La colonisation est illustrée par « la politique des principaux Etats européens à partir du XVIe siècle consistant à
soumettre des territoires situés outre-mer afin d’en exploiter les richesses et de trouver de nouveaux débouchés »
(Lexique de politique, Editions Dalloz, Paris, 2001 (7 e édition), p. 75.)
3 Dans sa recherche avide des moyens de sa prospérité là où elle peut l’atteindre en dehors de ses frontières, une
puissance coloniale spolie la dignité et la liberté des peuples soumis. A partir du XXe siècle, ces formes d’asservissement
se traduisent dans la violation manifeste des valeurs humaines universelles dont la justice et l’égalité entre les hommes.
La colonisation portugaise présente, en tant qu’Etat européen, l’une des premières illustrations de ce phénomène en
Afrique. Par exemple, au Mozambique comme en Angola, les organes représentatifs ne concernent que les colons.
Aucune consultation ou représentation des populations indigènes dans les conseils exécutifs ou législatif n’était encore
prévus. Un statut indigène est même rédigé afin de réglementer la circulation des Africains, leur accès aux lieux publics,
l’accès à l’emploi …etc. Quel peuple conscient pourrait accepter cette définition de la colonisation sans réagir, tôt ou
tard, par la violence ou par la contestation ?
4 Que le territoire occupé soit dénommé « colonie », placé « sous mandat » ou « sous tutelle » ou qu’il soit qualifié de
« protectorat », leur situation de dépendance est pratiquement la même, avec quelques particularités dans certains cas.
5 Cette faculté légitime repose davantage sur l’évidence dialectique que « le droit de conquête n’est pas un droit »
comme disait Montesquieu sur la colonisation (dans son célèbre ouvrage Lettres persanes).
6 La révolution prend ici le sens d’une révolte populaire prolongée, même sporadiquement, contre les autorités
d’occupation, revendiquant l’indépendance. Elle commence parfois par une « agitation », une « rébellion » ou un
« soulèvement ».
1

l’affranchissement d’un peuple, ces dernières méthodes s’intègrent dans les trois synonymes suivants
: « guerre de décolonisation », « guerre d’indépendance » ou « guerre de libération nationale » 9 . Et
quels qu’en soient leurs buts, les conflits armés changent de configurations et d’instruments au fil du
temps. 10 Nous développerons notre thème de communication sur la base de ces clarifications.
a) L’aiguillon marocain de libération.
Un bref rappel des dates d’indépendances nous permet de mieux analyser les guerres de libération 11
et leurs conséquences. Citons d’abord des pays ayant réussi à se libérer assez tôt du joug colonial,
sans entrer en guerre avec leurs derniers colonisateurs. Soit peu après la fin de la Première Guerre
mondiale comme l’Egypte 12 en 1922, ou durant la Deuxième Guerre mondiale comme l’Ethiopie 13 ,
en 1941 et le Liban 14 , en 1943. Ou quelques années plus tard comme la Syrie, en 1946, et la Libye, en
1951. Mais le destin a assigné le Maroc au rang de pionnier dans la lutte d’indépendance en Afrique
francophone. Dernier pays du Continent à être occupé par la France 15 et premier territoire à se
libérer 16 , le Royaume se classe après les cinq pays précités. Nous avons inclus le Liban et la Syrie
(bien qu’ils ne dépendent pas du Continent africain) pour justifier les quatre facteurs qui furent à
l’origine de la primauté libératrice du Maroc. Une primauté qui, progressivement, incitait d’autres
pays à des combats d’émancipation.
1) - Le Maroc, la Syrie et le Liban sont des pays arabes. 2) - La France était la même puissance
coloniale pour les trois pays. 3) - L’occupation française fut établie au Maroc 17 avant le Liban 18 et la
Syrie 19 . 4) - Ces deux pays arabes n’ont « ni passé ni présent comparables à ceux du Maroc ». Leur
émancipation politique paraissait donc frustrante chez les Marocains. Autant de stimulants qui
accélèrent leur détermination à réclamer, ouvertement, le rétablissement de la souveraineté du
7 « Guerre de harcèlement, d’embuscades, de coups de main menée par des unités régulières ou des troupes de partisans »
(Le Petit Larousse).
8 « Action politique violente d’individus ou de minorités organisés contre des personnes, des biens ou des institutions. Il
peut avoir des objectifs très différents : obtenir l’indépendance d’un Etat, renverser le régime établi, lutter contre certains
aspects de la politique d’un Etat…etc. (Lexique de politique, Dalloz, op.cit., p. 417)
9 Ces trois synonymes se définissent politiquement comme une « guerre menée par une colonie contre les troupes et les
représentants de la métropole en vue d’accéder à l’indépendance ». Par extension, le protocole I ajouté en 1977 aux
Conventions de Genève - qui fait référence au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes - mentionne, dans les guerres de
libération nationale la lutte contre un régime raciste. Quels que soient les titres politiques ou militaires de ceux qui
dirigent (directement ou indirectement) ces luttes d’émancipation, leurs nationalités, leurs idéologies, leurs alliés. Quelles
que soient les formes de régimes pré-établies dans les territoires occupés (monarchie ou république) et ceux auxquels
aspirent les combattants après la libération. Et quels que soient les noms des structures constituées. Et quels que soient
les noms des structures constituées
10 Bien qu’elles existent depuis des siècles, c’est surtout à travers des organisations de libération que les guerres
d’indépendance apparaissent à partir de la seconde moitié du XXe siècle, en se clarifiant davantage. La plupart des
organisations de résistance anti-coloniale en Afrique porteront l’un des trois noms principaux : mouvement de libération,
front de libération ou armée de libération (auxquels peuvent s’ajouter des épithètes). On le verra.
11 Des guerres pouvant se dérouler sous le commandement d’un ou plusieurs mouvements de libération nationale, alliés
ou concurrents, prétendant agir au nom du peuple.
12 Le traité anglo-égyptien de 1936 confirmera l’indépendance de l’Egypte acquise en 1922.
13 Les troupes franco-anglaises libérèrent l’Ethiopie de l’occupation italienne en 1941et rétablirent le négus (roi des rois)
Haïlé Sélassié sur le trône.
14 Le Liban est proclamé indépendant par les forces françaises libres en novembre 1941, mais ne devient effectivement
souverain que par l’agrément signé avec la France, le 23 décembre 1943.
15 Sous le régime de Protectorat, instauré en vertu du traité de Fès, signé le 12 mars 1912.
16 Le 6 novembre 1955, après une entrevue « historique » entre le sultan Sidi Mohammed et le ministre des affaires
Etrangères Antoine Pinay au château de la celle Saint-Cloud, « le principe de l’indépendance du Maroc était acquis ».
Les accords de mars 1956 venaient confirmer et normaliser les futurs rapports franco-marocains.
17 En vertu du traité de protectorat conclu à Fès, en 1912.
18 Le Liban est placé, en 1919, sous mandat français.
19 La Syrie connaît, à partir de 1920, une administration mandataire française.
2

Maroc. 20 A cet effet, un Manifeste de l’indépendance 21 fut rédigé et présenté officiellement, le 11
janvier 1944, aux autorités françaises et aux représentations diplomatiques des grandes puissances
établies dans l’Empire chérifien. Il eut des répercussions extérieures décisives dont voici les
principales manifestations :
Primo : les participants au 5 ème Congrès Panafricain tenu à Manchester, en octobre 1945,
réclamèrent, pour la première fois, « l’indépendance des colonies africaines (…) ». Des chefs
historiques du nationalisme africain y participèrent dont Jomo Kenyatta et Kwame Nkruma.
Secundo : les principales personnalités politiques africaines d’A.O.F. et d’A.E.F. rédigèrent,
en septembre 1946, un Manifeste appelé : « le Manifeste du rassemblement africain ». Les
signataires 22 revendiquèrent des réformes politiques vers « l’émancipation » 23 . On le compara au
Manifeste marocain.
Tercio : lors de la réunion de la commission anglo-américaine sur la Palestine tenue au Caire,
le 6 mars 1946, le leader historique tunisien, Habib Bourguiba, évoqua pour la première fois la
vocation de son pays à « l’indépendance ».
Sept ans plus tard, les Marocains se révoltèrent contre l’occupation dans un élan nationaliste sans
précédent, baptisé Révolution du Roi et du Peuple. L’Armée de Libération (A.L.) qui opérait déjà
dans la zone franco-espagnole au sud du Royaume intensifia ses actions. « Les combats
d’indépendance du Maroc » (comme l’appellent certains historiens français) se déclenchèrent ainsi
dans cette journée torride du 20 août 1953. Devant la recrudescence sporadique de la violence, le
gouvernement de la IVe République finit par accepter le retour d’exil du Roi Mohammed V, le 16
novembre 1955, sonnant le glas du Protectorat 24 . A ce propos, Maurice Flory a écrit : « à l’heure
difficile de la décolonisation, Mohammed V représentait à la fois la permanence de l’Empire
chérifien et la révolution nationaliste ». 25
b) Le premier pas français de l’autonomie.
On ne s’imaginait pas que les « combats du Maroc » puissent produire d’abord un effet stimulateur
assez rapide sur les Algériens qui, quelques mois plus tard, entamèrent leur « révolution
émancipatrice », le 1 er novembre 1954, avec les dirigeants du Front de Libération Nationale (FLN).
Empruntant prudemment le même chemin que les dirigeants du régime précédent, le gouvernement
de la Ve République décida, durant l’automne 1958, d’accorder l’autonomie interne aux territoires
africains sous domination française 26 dans le cadre d’une « association d’Etats » 27 appelée
Communauté 28 . Entre temps, le Soudan s’émancipa en janvier 1956 (juste après le Maroc et la
20 Le 10 décembre 1943, le Hizb al-Istiqlal (Parti de l’Istiqlal) ou de l’Indépendance est fondé. Il adopte une stratégie
consistant à réaliser les réformes par l’indépendance, à l’inverse de l’idée qui préconise la recherche de l’indépendance
par les réformes.
21 Le Manifeste revendique notamment « l’indépendance du Maroc et son intégrité territoriale sous l’autorité de Sa
Majesté le Roi, Sidi Mohammed Ben Youssef ». Il sollicite aussi de Sa Majesté « d’intervenir auprès des Etats intéressés
en vue de la reconnaissance de cette indépendance et sa garantie ainsi que la signature de conventions déterminant les
intérêts légitimes des étrangers dans le cadre de la souveraineté marocaine ».
22 Parmi les signataires on remarquait les anciens présidents : Houphouët Boigny, léopold sedar Senghor, Apithy
23 - Philippe Gaillard « Il y a 40 ans naissait la R.D.A. document Revue Jeune Afrique N° 1346 du 22/10/1986, p.14.
24 Dans l’intervalle, la Tunisie est placée dans un statut d’« autonomie interne » depuis 1954 avant de recouvrer sa
souveraineté, le 2 mars 1956.
25 Maurice Flory, Le concept de révolution au Maroc, in Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°5,
1968.
26 Côte d’Ivoire, Dahomey (Bénin), Sénégal, Madagascar, Niger, Haute Volta (Burkina-Fasso), République centrafricaine,
Mauritanie, Soudan (Mali), Gabon, Congo (Congo-Brazaville), Tchad)
27 Une association d’Etats créée par le titre XI de la Constitution française de 1958, instituant une citoyenneté commune
et certains organes communs (président, ministres, sénat).
28 Seule la Guinée rejette cette forme d’association en optant pour l’indépendance immédiate.
3

Tunisie) et le Ghana en 1957. Ainsi, le premier fil du bas nylon de la colonisation fut tiré par le
Général de Gaulle 29 .
2 - Le grand pas émancipateur de la France.
La vie de la Communauté ne dura pas longtemps. Ses douze Etats membres accédèrent à
l’indépendance 30 durant l’année 1960, sans feu ni sang. Comme si, par souci d’égalité, de Gaulle ne
voulait fâcher personne. Mais il poussa d’autres territoires à se fâcher contre leurs colonisateurs, sans
penser que l’Algérie serait la première à intensifier sa colère qui persistait contre la France depuis six
ans. En effet, le FLN 31 (Front de libération nationale) accomplit les actes violents les plus
meurtriers 32 de la guerre de libération entre février 1961 et février 1962. Mais les conséquences de
cette initiative émancipatrice gaullienne n’avaient pas les mêmes effets sur toutes les colonies du
Continent, ni envers le monde. Puisqu’elle incita d’abord l’ONU à reconnaître le droit des peuples
colonisés à disposer d’eux-mêmes 33 . Le Congo (Belge) s’émancipa dans un « climat de violence et
d’anarchie ». Son indépendance, en 1960, intervint « après quatre années d’effervescence
nationaliste » 34 . La Somalie, bien que partagée par deux puissances coloniales 35 , fut libérée, elle
aussi, en 1960.
D’autres pays soumis se décidèrent à lutter davantage, notamment ceux où opéraient déjà des
mouvements armés. Limitons-nous à deux exemples manifestes. En Angola, le MPLA 36
(Mouvement populaire de libération de l’Angola) inaugura violemment la guerre d’indépendance 37 ,
au même mois de février 1961 où s’enflammait le FLN en Algérie, comme si les deux mouvements
de libération s’étaient mis d’accord sous l’effet de l’éperon gaullien. En Guinée-Bissau, le PAIGC 38
(Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), s’engagea totalement dans une
« guérilla paysanne » qui s’intensifia en 1963. Certains territoires, longtemps colonisés, suivaient la
mouvance indépendantiste en créant leurs mouvements, comme le FRELIMO (Front de libération du
Mozambique) qui se constitua en Mozambique en 1962, le ZANU (l’Union nationale africaine du
Zimbabwe) qui vit le jour au Zimbabwe 39 , en 1963, et la SWAPO (Organisation du peuple du sud-
29 La Grande-Bretagne est la première puissance coloniale qui suit le premier pas français pour la décolonisation, en
Afrique, en accordant au Soudan et au Ghana leur indépendance, avant 1958.
30 le Mali (20 juin 1960), le Madagascar (1 er juillet 1960), le Bénin (1 er août 1960), le Niger (3 août 1960), le Burkina-
Fasso (5 août 1960), la Côte d’Ivoire (7 août 1960), le Tchad (11 août 1960), la République centrafricaine (13 août
1960), le Congo (15 août 1960), le Sénégal (20 août 1960), la Mauritanie (28 novembre 1960) et le Gabon
(17 décembre 1960).
31 Le FLN, fondé le 10 octobre 1954, apparaît publiquement le 1 er novembre 1954.
32 Ces actes ont atteint une telle violence qu’ils déclenchèrent une réaction de terreur immédiate à travers l’OAS
(Organisation de l'Armée Secrète), dès 1961.
33 Alors que le dernier pays des colonies françaises (le Gabon) s’apprête à fêter son indépendance, l’Assemblée générale
des Nations Unies émet, le 14 décembre 1960, sa célèbre résolution 1514 (XV) concernant la Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
34 Mais comme à chaque règle son exception, la France s’attarde un peu envers l’Algérie, et plus longuement envers
Djibouti dont nous parlerons bientôt.
35 La Grande-Bretagne qui occupait, dès 1887, une partie du pays (appelée Somaliland) et l’Italie qui colonisait, depuis
1905, l’autre partie (dénommée Somalia ou Somalie italienne).
36 Le MPLA, est fondé en 1956.
37 Les Bakongos et les Kimbundus détruisent près de 700 plantations de café et tuent plusieurs centaines de colons.
L’armée portugaise réagit par des représailles massives, massacre des milliers d’insurgés et contraint à l’exil près de
400.000 Bakongos.
38 Le PAIGC est créé également en 1956, comme le MPLA,
39 Ancienne Rhodésie du Sud.
4

ouest africain) qui se transforma en « mouvement indépendantiste armé », en 1966, pour entamer
une guerre d’indépendance dès cette même année 40 .
Chaussant les bottes de la France, les autres puissances coloniales : anglaise, belge, espagnole et
italienne, quittèrent quasiment leurs colonies africaines, peu après l’indépendance du Maroc et de la
Tunisie, en recourant aux négociations. Ces colonies n’avaient pas opté pour des guerres
d’indépendance 41 .
Mais, contrairement à ses pairs européens, le Portugal navigua à contre-courant de l’Histoire. 42 Ses
mouvements de libération décidèrent alors de durcir le combat continûment, sans faiblir. Lassés
finalement d’une guerre coloniale sans issue, les militaires portugais renversèrent le régime, en avril
1974. C’est la révolution des œillets 43
Plus subtile que le Portugal, l’Espagne s’inspira de la politique française en accordant à la Guinée
équatoriale le statut d’« autonomie interne » en 1963. Celle-ci ne s’émancipera qu’en 1968. Comme
si le régime d’« autonomie interne » avait parfois l’effet d’un tranquillisant préventif des guerres
d’indépendance, toutes régions confondues 44 . Le cas du Ghana n’était pas moins probant. C’est bien
grâce aux grèves de deux années consécutives (1948-1950), soutenues par la création du Parti de la
convention du peuple (CPP) de Nkrumah 45 , en 1949, que les autorités britanniques accordèrent au
pays « une large autonomie » qui dura plus de sept ans, avant de conduire à l’indépendance.
Mais, de toutes les puissances coloniales, c’est l’Afrique du Sud qui se montra plus intransigeante
pour sa colonie 46 namibienne. Pourtant, la SWAPO avait entamé sa guerre d’indépendance depuis
1966. Elle lui faudra combattre pendant presque un quart de siècle pour libérer la Namibie 47 , en
1990.
3 - Les guerres d’indépendance et la guerre froide.
La fin de la Deuxième Guerre mondiale, loin de mettre fin à l’occupation en Afrique comme
l’espéraient les peuples dominés 48 , donna lieu à des normes nouvelles de bataille coloniale et se
compliquait par la Guerre froide 49 à partir de la fin des années cinquante 50 . Dans ce contexte, les
40 La SWAPO est historiquement un syndicat de tendance marxiste namibien, fondé le 19 avril 1960, à New York, en
marge d’uns session des Nations Unies concernant l’application de son mandat par l’Afrique du Sud sur le Sud-ouest
africain.
41 Ainsi s’émancipent successivement les territoires sous mandat belge : le Burundi et le Rouanda en 1962, suivis des
colonies britanniques : le Nigeria en 1960, l’Ouganda en 1962, Le Kenya en 1963, le Malawi en 1964, le Lesotho et le
Botswana en 1966.
42 Le régime colonialiste salazariste repose sur le principe de l’indivisibilité de l’Etat et de la Nation. Les gouvernements
coloniaux étant une émanation du pouvoir centralisateur de la métropole. Cette politique d’intégration territoriale des
colonies favorise l’émigration et l’établissement des Portugais en Angola et au Mozambique (plus de 400.000 personnes
dans les deux colonies au début des années 70)
43 Les mouvements des forces armées angolaises mirent un terme à leur guerre d’indépendance. Les accords d’Alvor
furent signés le 15 janvier 1975.
44 Des pays d’Afrique noire ont connu le statut « d’autonomie interne » avant d’accéder à l’indépendance comme la Côte
d’Ivoire, le Sénégal et la République centrafricaine (au sein de la Communauté avec la France) ou encore le Swaziland,
autant que des pays du grand Maghreb, en l’occurrence la Tunisie et la Mauritanie.
45 Ce parti réclamait publiquement l’autonomie immédiate pour le Ghana, dès l’année même de sa création, en 1949.
46 L'Afrique du Sud occupa la colonie allemande du Sud-Ouest africain (future Namibie) pendant la Ière Guerre
Mondiale pour l'annexer après la IIème Guerre Mondiale : elle devient la cinquième province sud-africaine.
47 Mais la distinction semble se justifier pour l’Afrique du Sud. S’agissant d’une puissance coloniale non européenne
d’une part, et d’un régime d’apartheid ensuite.
48 La domination impérialiste trouva une formule de prolongement dans certains territoires, passant du statut de mandat à
celui de tutelle. Car avec la création des Nations unies, tous les pays sous mandat (anciennement contrôlés par la SDN) et
n’ayant pas accédé à l’indépendance devinrent des territoires sous tutelle. Cette règle fut appliquée en Afrique centrale et
au Sud-ouest africain (qui posera des difficultés particulières).
49 « Etat de tension internationale existant après la fin de la Seconde Guerre mondiale entre les puissances occidentales et
l’URSS. Les Etats, sans aller jusqu’à l’affrontement armé, se contrecarraient, cherchaient à se procurer des avantages au
5

colonies portugaises constituaient notamment les théâtres d’opérations armées de la rivalité entre les
Etats-Unis et l’Union soviétique à travers les mouvements de libération africains. Elle s’opérait par
pays interposés non occidentaux, profitant diversement aux deux blocs antagoniques. L’Etat de
Cuba, prosoviétique, était le plus grand défenseur de l’idéologie marxiste et le gouvernement sudafricain,
proaméricain, apparaissait comme le meilleur allié de l’idéologie capitaliste. Leurs missions
opposées, généralement soutenues par l’assistance militaire et la fourniture d’armes aux belligérants,
s’accomplissaient dans la durée avec persévérance. Ainsi, face à la stratégie communiste (souvent
dominante), la réaction américaine émergeait tôt ou tard. Par exemple, pour contrecarrer l’action
angolaise du MPLA d’Agostinho Neto, créé en 1956, le bloc occidental favorisa la naissance de
l’UNITA dix ans plus tard, en 1966. 51 .
4 – Les conditions de la libération.
a) Les stratégies de libération.
Les stratégies 52 de libération nous enseignent tant de leçons dans les guerres d’indépendance en
Afrique. Elles indiquent d’abord que l’action nationaliste n’imposait pas un engagement armé
permanent, de la naissance d’un mouvement de libération à l’indépendance. Celle-ci ne se réalisait
pas non plus par des prières. Comme Gallieni dont la « pacification » était le but, les combattants
africains ont compris que « le meilleur moyen » de parvenir à l’émancipation résidait aussi dans
l’« action combinée de la force et de la politique ». Mais certains pays privilégiaient parfois la force.
Par exemple, le Mozambique du FRELIMO, préféra « placer l'insurrection armée au centre de la
lutte politique ». Les stratégies de libération variaient donc en fonction des méthodes coloniales et
des capacités de la résistance. Elles aboutissaient à des dates d’indépendance différentes comme
nous avons pu le constater. Et si les voies pacifiques ne furent que rarement opérationnelles à court
terme, elles s’avéraient parfois plus efficientes qu’une lutte armée. La Guinée équatoriale qui n’a pas
connu un mouvement de libération nationale obtint bien son indépendance 6 ans avant la Guinée-
Bissau, malgré 18 ans de combat armé mené par cette dernière 53 . Les méthodes violentes
n’apportaient pas toujours la libération aussi vite qu’on le croyait. Même si, dans bien des cas, une
guerre trop douloureuse pour l’occupant 54 , engendrait directement la délivrance, quelle que fût sa
détriment de l’autre partie, ne recherchant aucune coopération ni compréhension mutuelle mais affirmant leur présence,
leur puissance en cherchant à éprouver la résistance de l’autre camp (guerre psychologique) »
50
Les pays ayant accédé à l’indépendance avant cette période auront échappé globalement aux désastres de la guerre
froide en empêchant que leurs territoires ne soient la cause ou le théâtre d’affrontements indirects entre les deux camps
rivaux.
51
Si le MPLA ne s’imposait qu’avec l’aide de Cuba, son rival (l’UNITA) ne se laissait pas abattre non plus, grâce au
soutien de l’Afrique du Sud. Même scénario en Mozambique, pour le FRELIMO et la RENAMO. Par ailleurs, Les
puissances coloniales occidentales (la France et l’Angleterre en tête) étaient conscientes des enjeux de la guerre froide
qui atteignit son zénith en 1961-1962 avec la crise de la baie des cochons et l’installation de fusées soviétique à Cuba,
provoquant une crise internationale. Transcendant leurs intérêts économiques immédiats par l’impératif prioritaire de
sécurité dans leurs visées géopolitiques en Afrique et inspirés d’une vision prophétique sur l’évolution irréversible des
ambitions d’indépendance des Africains, les métropoles ne veulaient pas donner au bloc communiste de nouvelles
occasions pour s’enraciner dans le Jeune continent. Que les mouvements d’indépendance africains soient préexistants
sous l’occupation ou créés sous l’ère de l’indépendance (comme partis politiques pro-marxistes). Les cas de la
RENAMO et la SWAPO sont deux exemples concluants.
52
Une stratégie se définit dans « l’art de coordonner des actions, de manœuvrer habilement pour atteindre un but » (Le
Petit Larousse 2004, Paris, p. 1011)
53
Une guerre d’indépendance dont le mouvement de Luis Cabral (PAIC) était la dynamo.
54
La pénibilité de la guerre chez l’occupant se traduit aussi bien en vies humaines qu’en termes d’argent. Selon Louis
Joxe, les attentats du FLN algérien ont causé dans la population civile 2788 Européens tués et 7541 Européens blessés.
En 1974, le Portugal se sent épuisé par son effort militaire et ses dépenses de colonisateur. Durant dix ans, il a consacré
40% de son budget à ses guerres en Afrique. Ce coût financier trop lourd s’ajoute évidemment au nombre de soldats
6

durée . Pourtant, la résistance politique s’avérait parfois plus payante que des opérations armées mal
évaluées. Elle pouvait même déclencher une révolte populaire salutaire. Le cas du Maroc en
témoigne 55 . En somme, les Etats colonisateurs aux systèmes démocratiques (France, Angleterre,
Belgique) se montraient plus réalistes et moins opposés à la décolonisation que les puissances
coloniales où gouvernaient des régimes dictatoriaux ou racistes (Portugal, Espagne, Afrique du Sud).
Les mouvements de libération prépondérants ont connu décidément plus de malheurs - en genre et en
nombre - sous les dictateurs colonialistes.
b) Les prix de la libération.
C’est en recourant à la violence que les fronts et mouvements de libération croyaient pouvoir
rejoindre le camp de ceux qui furent libérés avant eux 56 : La Syrie et le Liban dans les années
quarante pour le Maroc 57 , le Maroc et la Tunisie dans les années cinquante pour l’Algérie 58 , les
territoires francophones et anglophones dans les années soixante pour les colonies portugaises 59 et le
Zimbabwe dans les années quatre vingt pour la Namibie 60 . Voici maintenant quelques prix de la
libération, payés par des pays ayant arraché directement leur souveraineté, par la révolte armée ou la
guerre. Au Maroc, les « combats d’indépendance », entamés en août 1953, ont duré deux ans et trois
mois et ont engendré « plus de deux milles morts dont près de 1500 marocains et 49 européens dans
la seule ville de Oued Zem ». Sans parler des milliers de blessés et d’invalides recensés avant fin
1955. 61 . En Algérie, bien que les sources soient nettement divergentes, on conclut à une fourchette
de 300.000 à 400.000 morts dont 250.000 algériens environ et 30.000 français au moins 62 . Du côté
algérien, le FLN compte en 1964 « plus d'un million de martyrs ». En Angola, le bilan de la guerre
d’indépendance s’éleva à 50.000 morts, sur une période de 14 ans (1961-1975). Au Mozambique, le
bilan était de 30.000 morts dans une guerre qui dura 11 ans (1964-1975) menée par le FRELIMO 63 .
Mais quel bénéfice auraient gagné les pays qui menèrent des guerres d’indépendance contre la
colonisation portugaise, par rapport à leurs pairs libérés sans organisations armées et sans pertes
comparables ? En réalité, le fait d’y être parvenus grâce aux sacrifices des premiers constituait déjà
le mérite et la gloire des combattants. Car si la révolution des œillets fut la cause directe de
l’émancipation quasi-simultanée de ces territoires, le motif de son déclenchement provenait bien de
portugais tués dans les combats. Des facteurs suffisants pour pousser le Portugal à quitter ses colonies africaines, en
1975.
55
C’est en résistant aux menaces du général Guillaume (Résident général) durant plusieurs mois de l’année 1953 et en
préférant l’exil à l’abdication que le Roi Mohammed V fait déclencher la révolte populaire pour l’indépendance
(Révolution du Roi et du peuple) le 20 août de cette même année. Révolution sans laquelle le Maroc n’aurait jamais pu
être le premier pays d’Afrique à se libérer du protectorat français.
56
Les peuples qui furent obligés de prendre les armes seraient restés plus longtemps sous le joug colonial en croisant les
bras, et n’auraient pu contribuer à l’affranchissement d’autres territoires en même temps qu’eux.
57
Indépendant dès le 18 novembre 1955.
58
Indépendante en 1962.
59
Indépendantes en 1975.
60
Indépendante en 1990.
61
Ces chiffres n’étaient pas négligeables aux yeux de la métropole, vu la primauté des affrontements meurtriers au
Maroc par rapport aux autres colonies françaises de l’époque.
62
Selon l’historien Guy Pervillé qui s'est appuyé sur des données démographiques, notamment les recensements de 1954
et 1966. Voir aussi l’article de Jean-Paul Mari, in la revue française Le Nouvel Observateur du 28 février 2002.
63
D’autres territoires n’ont pas suivi leurs semblables dans les guerres d’indépendance même quand ils dépendaient tous
d’une même puissance coloniale. Les colonies portugaises où opéraient le plus grand nombre de mouvements de
libération nationale ne faisaient pas exception. Par exemple, l’île de Sao Tomé-et-Principe, bien que liée étroitement avec
l’Angola, n’a pas eu recours à un mouvement armé pour se libérer au même moment que les autres colonies portugaises
qui menaient une guerre d’indépendance de longue date. Toutefois, les pays qui n’ont déclenché ni révolution ni guerre
d’indépendance ne sont pas restés tous sans tenter l’insurrection. Certains ont connu des mouvements nationalistes
acharnés, sévèrement réprimés. Rappelons deux cas notoires : Madagascar en 1947 et le Kenya entre 1952 et 1956.
7

la combativité des mouvements de libération. Tant il est vrai que la liberté des peuples est souvent
plus sûrement recouvrable par les armes que par les larmes.
5- Les désenchantements de l’indépendance.
La grande majorité des pays africains furent indépendants dans les années soixante dix suivant les
conditions que nous avons évoquées. On souhaitait alors que cela puisse marquer le début d’une
démocratisation et d’une paix civile dans les pays libérés. Mais combien rapidement se dissipa ce
rêve, devant deux épreuves plus pénibles que la colonisation elle-même.
a) La lutte post-coloniale entre mouvements de libération.
En Angola, peu après la « révolution des œillets » au Portugal, les trois mouvements de libération
dont nous avons parlés s’affrontèrent implacablement dans une guerre civile, pour diriger le pays.
Leurs combats intervinrent sur fond ethnique enflammé par la guerre froide. Le 11 novembre 1975,
Agostinoh Neto, chef du MPLA, « proclama l’indépendance et sa présidence de la République
populaire d’Angola ». Parallèlement, l’UNITA et le FLNA proclamèrent la République populaire et
démocratique d’Angola. La guerre dura 27 ans à la signature du dernier cessez-le-feu, en avril 2002,
avec un bilan effroyable : près de 500.000 morts et de 4 millions de personnes déplacées. 64 . Ironie du
sort que la durée de cette guerre civile fratricide fut doublement plus longue et vingt fois plus
meurtrière que la guerre d’indépendance.
Au Mozambique, le FRELIMO et la RENAMO ne menèrent pas non plus une tendre guerre. En
1990, après 16 ans d’affrontements le bilan fut très lourd : Près de 1million de morts, 1,3 million de
réfugiés et 2 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays 65 .
b) Les guerres de séparatisme.
Les concepts de « mouvement, front ou armée de libération nationale » autant que la notion de
« guerre d’indépendance » ne fournissent pas toujours la même définition. Nous trouvons certaines
structures de libération qui n’ont pas combattu des puissances coloniales européennes, mais qui
menaient des guerres civiles contre des dirigeants politiques et militaires nationaux pour
l’indépendance d’un territoire, par voie de séparatisme 66 . Les cas de l’Erythrée 67 et du Soudan du
Sud 68 (Sud-Soudan) constituent deux exemples éloquents.
Le Front de libération de l’Erythrée (FLE), créé en 1961, autant que le Front populaire de libération
de l’Erythrée (FPLE), fondé en 1970, virent le jour sous l’autorité d’un Etat indépendant et fédéral 69 ,
64 Outre les dégâts matériels et économiques incalculables. L’agriculture et les transports ont été presque entièrement
détruits. La famine tue et le pays ne vit que d’aides financières malgré l’exportation du pétrole.
65 Finalement, pendant la période des combats libérateurs comme durant les années d’indépendance, la confrontation entre
mouvements de libération vise d’abord l’exercice du pouvoir, même par autoritarisme. Que la dictature appliquée soit de
gauche ou de droite, qu’elle s’installe par voie militaire ou à la faveur d’un parti unique. Toute opposition, militaire ou
politique, est combattue d’en haut. Dans cette logique, la victoire ou la supériorité militaire conduisent au pouvoir
suprême, imposant l’option idéologique et la volonté politique du vainqueur.
66 C’est-à-dire le démembrement d’un pays antérieurement libéré d’une occupation étrangère et dont dépendait
initialement le nouvel Etat.
67 Ancienne entité coloniale italienne depuis le 19 e siècle. La fédération érithréo-éthiopienne fut mise en place en 1952.
Elle disparut en 1962, au profit d’une unification.
68 Il est difficile d’affirmer que la guerre civile que menait « l’armée populaire de libération du Soudan » (SPLA) contre le
gouvernement du Soudan constituait une « lutte contre une domination coloniale ou une occupation étrangère » .
69 L’Erythrée est réunie à l’Ethiopie, dès 1952, avec le statut d’Etat fédéré.
8

puis unitaire 70 . Ils ne combattirent point l’occupation coloniale italienne ni britannique 71 . En 1993,
après une longue guerre civile de 30 ans (1961-1991) l’Erythrée accéda à l’indépendance à la suite
d’un référendum. Le bilan de cette guerre fut désastreux : 123.000 morts dont 51.000 Ethiopiens et
500 soldats cubains.
Au Sud-Soudan, l’« armée populaire de libération du Soudan » 72 , fondée en mai 1983, engagea
également une « guerre d’indépendance » contre l’Etat soudanais et non pas contre les colons anglais
qu’ils ne virent jamais auparavant 73 . A la fin de cette guerre civile catastrophique qui dura un quart
de siècle 74 , le Sud-Soudan accéda, à son tour, à l’indépendance, le 9 janvier 2011, après un
« référendum d’indépendance » 75 . Le bilan s’avéra beaucoup plus déplorable que celui du conflit
érythro-éthiopien : un million et demi de morts et 4 millions de personnes déplacées du Soudan.
Ces deux « guerres d’indépendances » et leurs résultats suggèrent des critères religieux, ethniques et
culturels imposant une autre interprétation de la colonisation, balayant les facteurs géographiques et
historiques souvent unificateurs, même en l’absence d’une occupation coloniale étrangère
occidentale. Mais prenons garde de cette définition 76 .Tant les périls qu’elle cache sont énormes. Le
danger de la balkanisation de l’Afrique ne semble pas avoir disparu avec la partition du Continent
sur les pactes coloniaux des XIXe et XXe siècles. Et si l’on en percevait son départ par la porte, son
retour par la fenêtre semblerait aujourd’hui plus réel que jamais, à travers des structures de libération
séparatistes. L’on se trouverait alors devant des fronts de séparation 77 plutôt que des fronts de
libération. 78 Et peut-être même des organisations de coups d’Etat, comme le Front de libération
nationale de l’Ouganda 79 (UNFL).
70 En 1962, l’Erythrée devient une province de l’Ethiopie (14 ème province).
71 Leur combat armé est dirigé envers l’Etat et alimente la guérilla contre l’armée éthiopienne.
72 Branche armée du « Mouvement populaire de libération du Soudan ».
73 Les Anglais ont quitté le Soudan après lui avoir accordé son indépendance le 1 er janvier 1956.
74 Le plus long conflit armé qu’a connu l’Afrique à partir de 1991.
75 Le référendum fut organisé entre le 9 et le 15 janvier 2011.
76 Une définition reconnue universellement à partir des années soixante dix. Elle s’ajoute au sens classique de la
colonisation (européenne), élargissant le concept de « domination étrangère ».
77 Outre les cas de l’Erythrée et du Soudan du Sud (Sud-Soudan) devenus indépendants par séparatisme grâce à des
mouvements ou des armées de libération, l’intégrité territoriale officielle de l’Ethiopie demeure menacée par le « front
de libération de la Somalie occidentale » (FLSO) qui revendique l’indépendance de la province éthiopienne de l’Ogaden,
dont il contrôle déjà une partie. Autant que le « Front national de libération de l’Ogaden » (FNLO).
78 Et même quand il inclut des mécanismes évitant la guerre et la création d’organisations anti-coloniales ou postcoloniales,
le processus d’indépendance par séparatisme suscite davantage la réflexion en Afrique. Là encore,
l’indépendance équivaut à la scission d’une nation ou découle d’un séparatisme. Elle n’intervient pas dans l’intégrité
territoriale du pays telle qu’elle était avant son occupation. Sa réalisation s’opère aussi par voie référendaire, créant un
nouvel Etat dont le territoire est détaché du pays colonisé. Les îles Comores représentent une bonne démonstration. Elles
forment un Etat, naissant à l’indépendance, en se séparant de l’île Mayotte, par proclamation unilatérale comorienne, le 6
juillet 1975, basée sur le référendum du 22 décembre 1974. L’île Mayotte, ayant refusé l’indépendance, restera dans la
mouvance française. D’ailleurs, la France ne tarde pas à reconnaître l’émancipation des îles Comores. Ainsi, même
quand l’auto-proclamation d’indépendance émanant du territoire soumis ne vient pas parallèlement ou consécutivement à
une guerre de libération (comme le cas de la Guinée-Bissau) elle est parfois admise par le colonisateur sans difficulté.
Tout dépend des circonstances. La France avait-t-elle intérêt à s’imposer l’intégration d’une communauté voulant vivre
en Etat musulman sous l’ère de la guerre froide après avoir libéré, pacifiquement, la quasi-totalité de ses colonies
africaines dès 1960 ? Le cas des îles du Cap-Vert n’est pas moins significatif non plus. Ancienne colonie portugaise
depuis 1456, détachée administrativement de la Guinée portugaise en 1879. Leur indépendance intervient également le 5
juillet 1975 à la suite du référendum du 30 juin 1975, en se séparant de la Guinée-Bissau à laquelle elles étaient pourtant
politiquement liées par un même mouvement de libération (PAIGC) qui, depuis sa création en 1956, luttait pour la
libération des deux territoires.
79 Plus large que l’étendue des deux concepts précités, l’expression « mouvement de libération nationale » fournit un
troisième sens différent de celui d’une organisation de guerre d’indépendance en signifiant un instrument politique
armé, soutenu de l’extérieur, pour renverser le régime d’un Etat indépendant, tyrannique soit-il ou démocratique. Le
Front de libération nationale de l’Ouganda 79 (UNFL) est un exemple typique.
9

6 - La reconversion postcoloniale des structures de combat.
Le meilleur fondement de la reconversion politique des structures de libération résidait dans leur
personnalité juridique, mondialement admises. Tant par la reconnaissance des organisations
internationales : telles que l’OUA et l’ONU que par des reconnaissances étatiques individuelles 80 .
Parallèlement, les branches armées de ces organisations furent incorporées dans des nouvelles
institutions militaires 81 ou restructurées comme noyaux des forces de défense nationale
postcoloniales. C’est généralement de cette façon que s’opérait leur transmutation de l’état combatif
pour l’indépendance à l’état défensif de gouvernance. Les dirigeants des structures de libération se
reconvertissaient alors, politiquement, en se plaçant au sommet de l’Etat. En effet, tous les chefs de
mouvements et fronts de libération nationale ayant négocié ou signé les accords d’indépendance,
furent les premiers Présidents ou chefs de gouvernement de leurs pays. De l’Algérie au Zimbabwe
en passant par l’Angola, la Guinée-Bissau, le Mozambique, la Namibie ; nulle exception à cette
règle 82 .
La domination d’un parti unique d’obédience marxiste, a caractérisé la vie politique des nouvelles
républiques concernées, pendant plus de quinze ans. Il a fallu attendre l’apparition des premiers
signes de l’abolition du rôle dirigeant du parti communiste de l’URSS, en 1989, suivi de l’unification
de l’Allemagne en 1990, pour voir non seulement se concilier les anciens frères combattants armés
opposés au pouvoir, mais s’instaurer - progressivement - la démocratie pluraliste 83 , entre 1989 et
1992.
Créé dans les années soixante dix par des exilés ougandais opposés au régime du général Idi Amin Dada, et soutenu par
la Tanzanie (à la suite d’une guerre frontalière ougando-tanzanienne) l’UNFL finit par renverser le chef d’Etat
ougandais en avril 1979.
80 D’ailleurs par différentes formulations, certains mouvements de libération ont tenu à énoncer, à leur naissance ou avant
l’indépendance, les buts qu’ils poursuivaient derrière leurs combats armés, se résumant en deux objectifs essentiels : la
décolonisation du pays et sa gouvernance ensuite. Par exemple, un mois après sa création, le FLN déclarait
publiquement, en novembre 1954, qu’il a été créé « pour engager une lutte de libération nationale contre la France
coloniale et pour la création d’un Etat algérien démocratique et populaire ».
81 Cette première possibilité s’est produite au Maroc dont les Forces Armées Royales, créées le 14 mai 1956, « ont
intégré la plupart des éléments de l’Armée de Libération (A.L.) et les combattants qui ont mené des opérations de
guérilla et de résistance armée, avant et après l’exil du Roi Mohammed V ».
82 En Algérie, Ahmed Ben Bella, fondateur du Front de Libération Nationale 82 (FLN) qui a animé principalement la
révolution algérienne contre le colonialisme français durant neuf ans, devient président de la République en 1963. Il
établit un régime socialiste à parti unique (FLN).
En Angola, Agostinho Neto, chef du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), qui a combattu
l’occupation portugaise devient président de la République le
En Guinée-Bissau, Luis Cabral, chef du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et des îles du Cap-Vert
(PAIGC) qui s’est insurgé contre le colonialisme portugais durant dix huit ans, est placé à la tête d’un Conseil d’Etat en
septembre 1974.
Au Mozambique, Samora Machel, chef du Frelimo, qui a lutté contre l’occupation portugaise pendant 11 ans, devient
président de la République populaire, en juin 1975.
En Namibie 82 , Sam Nujoma, chef de la SWAPO, qui a engagé des opérations de guérilla contre l’occupation sudafricaine
pendant seize ans, devient président de la République en 1990.
Au Zimbabwe (ancienne Rhodésie du Sud), Robert Mugabe, chef de l’Union nationale africaine du Zimbabwe (NAZU)
qui a mené une guérilla contre le gouvernement blanc de Ian Smith durant plus de dix sept ans, devient le Premier chef de
gouvernement (Premier ministre) de son pays, indépendant et souverain à partir du 18 avril 1980.
83 En effet, dès 1989, alors que l’URSS achève le retrait de ses troupes d’Afghanistan en instaurant les premières
élections à candidatures multiples, les dirigeants algériens « adoptent une importante réforme de la Constitution ». Le
FLN perd son statut politique dominant ; le multipartisme est instauré après vingt six ans de régime socialiste à parti
unique 83 . Désormais, les changements politiques radicaux contre l’autoritarisme en Afrique se succèdent en crescendo, à
partir des pays à mouvements combattants. Le Mozambique suit l’Algérie quelques mois plus tard. Une nouvelle
Constitution met fin à quinze ans de régime de parti unique et instaure le pluralisme à partir du 1 er décembre 1990.
L’idéologie socialiste marxiste-léniniste est abandonnée et la République n’est plus populaire. Le gouvernement
s’engage dans la libéralisation de l’économie, la privatisation d’entreprises d’Etat. Deux ans après, M. Chissano
10

En définitive, la causalité fatale entre « guerres de libération nationale » et « prise de pouvoir »
s’établit dialectiquement. Parce qu’un mouvement de libération est essentiellement une
« organisation politico-militaire ». Il trouve donc sa raison d’être et sa légitimité dans le devoir de
libérer avant le droit de gouverner. Autrement dit, la démocratisation par les urnes 84 après la
décolonisation par les armes .
(successeur de S. Machel à la tête de l’Etat et du Frelimo) renoue le dialogue avec le leader de la RENAMO (chef de la
rébellion). Ils signent conjointement un accord de paix. En Angola, le multipartisme est instauré, en 1991, au moment où
l’URSS se désintègre officiellement. Dos Santos (successeur d’Agostinho Neto à la tête de l’Etat et du MPLA) conclut
un accord de paix avec l’UNITA dans la même période. Aujourd’hui, une démocratie multipartite règne dans ce pays,
depuis le printemps 2002, après la transformation de la rébellion de l’UNITA en un parti légal d’opposition, concluant la
paix avec le pouvoir central.
84 Une démocratisation ne donnant pas toujours le droit de diriger l’Etat, mais imposant parfois le devoir d’opposition
face au gouvernement. Deux options inverses à accepter par voie d’alternance.
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