60- Les guerres de décolonisation en Afrique
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<strong>Les</strong> <strong>guerres</strong> <strong>de</strong> <strong>décolonisation</strong> <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong>:<br />
diversité <strong>de</strong>s stratégies et reconversion<br />
postcoloniale <strong>de</strong>s structures<br />
Issa Babana El Alaoui<br />
Dans l’expression « <strong>guerres</strong> <strong>de</strong> <strong>décolonisation</strong> <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong> » le substantif « <strong>décolonisation</strong> » exprime<br />
l’objectif. L’<strong>Afrique</strong> d’aujourd’hui est quasim<strong>en</strong>t émancipée. Mais les 53 Etats membres qui form<strong>en</strong>t<br />
l’Union africaine 1 n’ont pas accédé tous à l’indép<strong>en</strong>dance par la guerre. Comm<strong>en</strong>t y sont-ils<br />
parv<strong>en</strong>us ? C’est ce que nous t<strong>en</strong>terons d’expliquer <strong>en</strong> axant l’analyse sur les <strong>guerres</strong> d’indép<strong>en</strong>dance<br />
dans le jeune Contin<strong>en</strong>t. Pour ce faire, nous traiterons cinq volets interdép<strong>en</strong>dants : le processus <strong>de</strong> la<br />
<strong>décolonisation</strong>, le grand pas émancipateur <strong>de</strong> la France, les <strong>guerres</strong> d’indép<strong>en</strong>dance et la guerre<br />
froi<strong>de</strong>, les conditions <strong>de</strong> la libération, les dés<strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’indép<strong>en</strong>dance et la reconversion<br />
postcoloniale <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> combat.<br />
1 - Le processus <strong>de</strong> la <strong>décolonisation</strong>.<br />
La colonisation qui signifie l’occupation imposée d’un territoire par une nation étrangère 2 viole les<br />
droits naturels <strong>de</strong>s peuples 3 , quels que soi<strong>en</strong>t le prétexte et la dénomination qu’on lui donne 4 . D’où la<br />
faculté légitime <strong>de</strong> s’émanciper 5 . <strong>Les</strong> moy<strong>en</strong>s d’y parv<strong>en</strong>ir se résum<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>ux<br />
métho<strong>de</strong>s multiformes : les voies pacifiques dont le dialogue politique, les manifestations paisibles et<br />
les grèves, ou les métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> viol<strong>en</strong>ce dont la révolution 6 , la guérilla 7 et le terrorisme 8 . Visant<br />
1 Algérie, Angola, Bénin, Botswana, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, C<strong>en</strong>trafrique, Comores, Congo,<br />
Congo Démocratique, Cote D'Ivoire, Djibouti, Egypte, Érythrée, Éthiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-<br />
Bissau, Guinée Équatoriale, K<strong>en</strong>ya, <strong>Les</strong>otho, Liberia, Libye, Madagascar, Malawi, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie,<br />
Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, Rép. Sud-africaine, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Seychelles, Sierra<br />
Leone, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Tunisie, Zambie, Zimbabwe.<br />
2 La colonisation est illustrée par « la politique <strong>de</strong>s principaux Etats europé<strong>en</strong>s à partir du XVIe siècle consistant à<br />
soumettre <strong>de</strong>s territoires situés outre-mer afin d’<strong>en</strong> exploiter les richesses et <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong> nouveaux débouchés »<br />
(Lexique <strong>de</strong> politique, Editions Dalloz, Paris, 2001 (7 e édition), p. 75.)<br />
3 Dans sa recherche avi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> sa prospérité là où elle peut l’atteindre <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ses frontières, une<br />
puissance coloniale spolie la dignité et la liberté <strong>de</strong>s peuples soumis. A partir du XXe siècle, ces formes d’asservissem<strong>en</strong>t<br />
se traduis<strong>en</strong>t dans la violation manifeste <strong>de</strong>s valeurs humaines universelles dont la justice et l’égalité <strong>en</strong>tre les hommes.<br />
La colonisation portugaise prés<strong>en</strong>te, <strong>en</strong> tant qu’Etat europé<strong>en</strong>, l’une <strong>de</strong>s premières illustrations <strong>de</strong> ce phénomène <strong>en</strong><br />
<strong>Afrique</strong>. Par exemple, au Mozambique comme <strong>en</strong> Angola, les organes représ<strong>en</strong>tatifs ne concern<strong>en</strong>t que les colons.<br />
Aucune consultation ou représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s populations indigènes dans les conseils exécutifs ou législatif n’était <strong>en</strong>core<br />
prévus. Un statut indigène est même rédigé afin <strong>de</strong> réglem<strong>en</strong>ter la circulation <strong>de</strong>s Africains, leur accès aux lieux publics,<br />
l’accès à l’emploi …etc. Quel peuple consci<strong>en</strong>t pourrait accepter cette définition <strong>de</strong> la colonisation sans réagir, tôt ou<br />
tard, par la viol<strong>en</strong>ce ou par la contestation ?<br />
4 Que le territoire occupé soit dénommé « colonie », placé « sous mandat » ou « sous tutelle » ou qu’il soit qualifié <strong>de</strong><br />
« protectorat », leur situation <strong>de</strong> dép<strong>en</strong>dance est pratiquem<strong>en</strong>t la même, avec quelques particularités dans certains cas.<br />
5 Cette faculté légitime repose davantage sur l’évi<strong>de</strong>nce dialectique que « le droit <strong>de</strong> conquête n’est pas un droit »<br />
comme disait Montesquieu sur la colonisation (dans son célèbre ouvrage Lettres persanes).<br />
6 La révolution pr<strong>en</strong>d ici le s<strong>en</strong>s d’une révolte populaire prolongée, même sporadiquem<strong>en</strong>t, contre les autorités<br />
d’occupation, rev<strong>en</strong>diquant l’indép<strong>en</strong>dance. Elle comm<strong>en</strong>ce parfois par une « agitation », une « rébellion » ou un<br />
« soulèvem<strong>en</strong>t ».<br />
1
l’affranchissem<strong>en</strong>t d’un peuple, ces <strong>de</strong>rnières métho<strong>de</strong>s s’intègr<strong>en</strong>t dans les trois synonymes suivants<br />
: « guerre <strong>de</strong> <strong>décolonisation</strong> », « guerre d’indép<strong>en</strong>dance » ou « guerre <strong>de</strong> libération nationale » 9 . Et<br />
quels qu’<strong>en</strong> soi<strong>en</strong>t leurs buts, les conflits armés chang<strong>en</strong>t <strong>de</strong> configurations et d’instrum<strong>en</strong>ts au fil du<br />
temps. 10 Nous développerons notre thème <strong>de</strong> communication sur la base <strong>de</strong> ces clarifications.<br />
a) L’aiguillon marocain <strong>de</strong> libération.<br />
Un bref rappel <strong>de</strong>s dates d’indép<strong>en</strong>dances nous permet <strong>de</strong> mieux analyser les <strong>guerres</strong> <strong>de</strong> libération 11<br />
et leurs conséqu<strong>en</strong>ces. Citons d’abord <strong>de</strong>s pays ayant réussi à se libérer assez tôt du joug colonial,<br />
sans <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> guerre avec leurs <strong>de</strong>rniers colonisateurs. Soit peu après la fin <strong>de</strong> la Première Guerre<br />
mondiale comme l’Egypte 12 <strong>en</strong> 1922, ou durant la Deuxième Guerre mondiale comme l’Ethiopie 13 ,<br />
<strong>en</strong> 1941 et le Liban 14 , <strong>en</strong> 1943. Ou quelques années plus tard comme la Syrie, <strong>en</strong> 1946, et la Libye, <strong>en</strong><br />
1951. Mais le <strong>de</strong>stin a assigné le Maroc au rang <strong>de</strong> pionnier dans la lutte d’indép<strong>en</strong>dance <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong><br />
francophone. Dernier pays du Contin<strong>en</strong>t à être occupé par la France 15 et premier territoire à se<br />
libérer 16 , le Royaume se classe après les cinq pays précités. Nous avons inclus le Liban et la Syrie<br />
(bi<strong>en</strong> qu’ils ne dép<strong>en</strong><strong>de</strong>nt pas du Contin<strong>en</strong>t africain) pour justifier les quatre facteurs qui fur<strong>en</strong>t à<br />
l’origine <strong>de</strong> la primauté libératrice du Maroc. Une primauté qui, progressivem<strong>en</strong>t, incitait d’autres<br />
pays à <strong>de</strong>s combats d’émancipation.<br />
1) - Le Maroc, la Syrie et le Liban sont <strong>de</strong>s pays arabes. 2) - La France était la même puissance<br />
coloniale pour les trois pays. 3) - L’occupation française fut établie au Maroc 17 avant le Liban 18 et la<br />
Syrie 19 . 4) - Ces <strong>de</strong>ux pays arabes n’ont « ni passé ni prés<strong>en</strong>t comparables à ceux du Maroc ». Leur<br />
émancipation politique paraissait donc frustrante chez les Marocains. Autant <strong>de</strong> stimulants qui<br />
accélèr<strong>en</strong>t leur détermination à réclamer, ouvertem<strong>en</strong>t, le rétablissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la souveraineté du<br />
7 « Guerre <strong>de</strong> harcèlem<strong>en</strong>t, d’embusca<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> main m<strong>en</strong>ée par <strong>de</strong>s unités régulières ou <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> partisans »<br />
(Le Petit Larousse).<br />
8 « Action politique viol<strong>en</strong>te d’individus ou <strong>de</strong> minorités organisés contre <strong>de</strong>s personnes, <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s ou <strong>de</strong>s institutions. Il<br />
peut avoir <strong>de</strong>s objectifs très différ<strong>en</strong>ts : obt<strong>en</strong>ir l’indép<strong>en</strong>dance d’un Etat, r<strong>en</strong>verser le régime établi, lutter contre certains<br />
aspects <strong>de</strong> la politique d’un Etat…etc. (Lexique <strong>de</strong> politique, Dalloz, op.cit., p. 417)<br />
9 Ces trois synonymes se définiss<strong>en</strong>t politiquem<strong>en</strong>t comme une « guerre m<strong>en</strong>ée par une colonie contre les troupes et les<br />
représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong> la métropole <strong>en</strong> vue d’accé<strong>de</strong>r à l’indép<strong>en</strong>dance ». Par ext<strong>en</strong>sion, le protocole I ajouté <strong>en</strong> 1977 aux<br />
Conv<strong>en</strong>tions <strong>de</strong> G<strong>en</strong>ève - qui fait référ<strong>en</strong>ce au droit <strong>de</strong>s peuples à disposer d’eux-mêmes - m<strong>en</strong>tionne, dans les <strong>guerres</strong> <strong>de</strong><br />
libération nationale la lutte contre un régime raciste. Quels que soi<strong>en</strong>t les titres politiques ou militaires <strong>de</strong> ceux qui<br />
dirig<strong>en</strong>t (directem<strong>en</strong>t ou indirectem<strong>en</strong>t) ces luttes d’émancipation, leurs nationalités, leurs idéologies, leurs alliés. Quelles<br />
que soi<strong>en</strong>t les formes <strong>de</strong> régimes pré-établies dans les territoires occupés (monarchie ou république) et ceux auxquels<br />
aspir<strong>en</strong>t les combattants après la libération. Et quels que soi<strong>en</strong>t les noms <strong>de</strong>s structures constituées. Et quels que soi<strong>en</strong>t<br />
les noms <strong>de</strong>s structures constituées<br />
10 Bi<strong>en</strong> qu’elles exist<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles, c’est surtout à travers <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> libération que les <strong>guerres</strong><br />
d’indép<strong>en</strong>dance apparaiss<strong>en</strong>t à partir <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> moitié du XXe siècle, <strong>en</strong> se clarifiant davantage. La plupart <strong>de</strong>s<br />
organisations <strong>de</strong> résistance anti-coloniale <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong> porteront l’un <strong>de</strong>s trois noms principaux : mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> libération,<br />
front <strong>de</strong> libération ou armée <strong>de</strong> libération (auxquels peuv<strong>en</strong>t s’ajouter <strong>de</strong>s épithètes). On le verra.<br />
11 Des <strong>guerres</strong> pouvant se dérouler sous le comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t d’un ou plusieurs mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération nationale, alliés<br />
ou concurr<strong>en</strong>ts, prét<strong>en</strong>dant agir au nom du peuple.<br />
12 Le traité anglo-égypti<strong>en</strong> <strong>de</strong> 1936 confirmera l’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> l’Egypte acquise <strong>en</strong> 1922.<br />
13 <strong>Les</strong> troupes franco-anglaises libérèr<strong>en</strong>t l’Ethiopie <strong>de</strong> l’occupation itali<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> 1941et rétablir<strong>en</strong>t le négus (roi <strong>de</strong>s rois)<br />
Haïlé Sélassié sur le trône.<br />
14 Le Liban est proclamé indép<strong>en</strong>dant par les forces françaises libres <strong>en</strong> novembre 1941, mais ne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t<br />
souverain que par l’agrém<strong>en</strong>t signé avec la France, le 23 décembre 1943.<br />
15 Sous le régime <strong>de</strong> Protectorat, instauré <strong>en</strong> vertu du traité <strong>de</strong> Fès, signé le 12 mars 1912.<br />
16 Le 6 novembre 1955, après une <strong>en</strong>trevue « historique » <strong>en</strong>tre le sultan Sidi Mohammed et le ministre <strong>de</strong>s affaires<br />
Etrangères Antoine Pinay au château <strong>de</strong> la celle Saint-Cloud, « le principe <strong>de</strong> l’indép<strong>en</strong>dance du Maroc était acquis ».<br />
<strong>Les</strong> accords <strong>de</strong> mars 1956 v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t confirmer et normaliser les futurs rapports franco-marocains.<br />
17 En vertu du traité <strong>de</strong> protectorat conclu à Fès, <strong>en</strong> 1912.<br />
18 Le Liban est placé, <strong>en</strong> 1919, sous mandat français.<br />
19 La Syrie connaît, à partir <strong>de</strong> 1920, une administration mandataire française.<br />
2
Maroc. 20 A cet effet, un Manifeste <strong>de</strong> l’indép<strong>en</strong>dance 21 fut rédigé et prés<strong>en</strong>té officiellem<strong>en</strong>t, le 11<br />
janvier 1944, aux autorités françaises et aux représ<strong>en</strong>tations diplomatiques <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s puissances<br />
établies dans l’Empire chérifi<strong>en</strong>. Il eut <strong>de</strong>s répercussions extérieures décisives dont voici les<br />
principales manifestations :<br />
Primo : les participants au 5 ème Congrès Panafricain t<strong>en</strong>u à Manchester, <strong>en</strong> octobre 1945,<br />
réclamèr<strong>en</strong>t, pour la première fois, « l’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>s colonies africaines (…) ». Des chefs<br />
historiques du nationalisme africain y participèr<strong>en</strong>t dont Jomo K<strong>en</strong>yatta et Kwame Nkruma.<br />
Secundo : les principales personnalités politiques africaines d’A.O.F. et d’A.E.F. rédigèr<strong>en</strong>t,<br />
<strong>en</strong> septembre 1946, un Manifeste appelé : « le Manifeste du rassemblem<strong>en</strong>t africain ». <strong>Les</strong><br />
signataires 22 rev<strong>en</strong>diquèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s réformes politiques vers « l’émancipation » 23 . On le compara au<br />
Manifeste marocain.<br />
Tercio : lors <strong>de</strong> la réunion <strong>de</strong> la commission anglo-américaine sur la Palestine t<strong>en</strong>ue au Caire,<br />
le 6 mars 1946, le lea<strong>de</strong>r historique tunisi<strong>en</strong>, Habib Bourguiba, évoqua pour la première fois la<br />
vocation <strong>de</strong> son pays à « l’indép<strong>en</strong>dance ».<br />
Sept ans plus tard, les Marocains se révoltèr<strong>en</strong>t contre l’occupation dans un élan nationaliste sans<br />
précé<strong>de</strong>nt, baptisé Révolution du Roi et du Peuple. L’Armée <strong>de</strong> Libération (A.L.) qui opérait déjà<br />
dans la zone franco-espagnole au sud du Royaume int<strong>en</strong>sifia ses actions. « <strong>Les</strong> combats<br />
d’indép<strong>en</strong>dance du Maroc » (comme l’appell<strong>en</strong>t certains histori<strong>en</strong>s français) se décl<strong>en</strong>chèr<strong>en</strong>t ainsi<br />
dans cette journée torri<strong>de</strong> du 20 août 1953. Devant la recru<strong>de</strong>sc<strong>en</strong>ce sporadique <strong>de</strong> la viol<strong>en</strong>ce, le<br />
gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la IVe République finit par accepter le retour d’exil du Roi Mohammed V, le 16<br />
novembre 1955, sonnant le glas du Protectorat 24 . A ce propos, Maurice Flory a écrit : « à l’heure<br />
difficile <strong>de</strong> la <strong>décolonisation</strong>, Mohammed V représ<strong>en</strong>tait à la fois la perman<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’Empire<br />
chérifi<strong>en</strong> et la révolution nationaliste ». 25<br />
b) Le premier pas français <strong>de</strong> l’autonomie.<br />
On ne s’imaginait pas que les « combats du Maroc » puiss<strong>en</strong>t produire d’abord un effet stimulateur<br />
assez rapi<strong>de</strong> sur les Algéri<strong>en</strong>s qui, quelques mois plus tard, <strong>en</strong>tamèr<strong>en</strong>t leur « révolution<br />
émancipatrice », le 1 er novembre 1954, avec les dirigeants du Front <strong>de</strong> Libération Nationale (FLN).<br />
Empruntant pru<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t le même chemin que les dirigeants du régime précé<strong>de</strong>nt, le gouvernem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> la Ve République décida, durant l’automne 1958, d’accor<strong>de</strong>r l’autonomie interne aux territoires<br />
africains sous domination française 26 dans le cadre d’une « association d’Etats » 27 appelée<br />
Communauté 28 . Entre temps, le Soudan s’émancipa <strong>en</strong> janvier 1956 (juste après le Maroc et la<br />
20 Le 10 décembre 1943, le Hizb al-Istiqlal (Parti <strong>de</strong> l’Istiqlal) ou <strong>de</strong> l’Indép<strong>en</strong>dance est fondé. Il adopte une stratégie<br />
consistant à réaliser les réformes par l’indép<strong>en</strong>dance, à l’inverse <strong>de</strong> l’idée qui préconise la recherche <strong>de</strong> l’indép<strong>en</strong>dance<br />
par les réformes.<br />
21 Le Manifeste rev<strong>en</strong>dique notamm<strong>en</strong>t « l’indép<strong>en</strong>dance du Maroc et son intégrité territoriale sous l’autorité <strong>de</strong> Sa<br />
Majesté le Roi, Sidi Mohammed B<strong>en</strong> Youssef ». Il sollicite aussi <strong>de</strong> Sa Majesté « d’interv<strong>en</strong>ir auprès <strong>de</strong>s Etats intéressés<br />
<strong>en</strong> vue <strong>de</strong> la reconnaissance <strong>de</strong> cette indép<strong>en</strong>dance et sa garantie ainsi que la signature <strong>de</strong> conv<strong>en</strong>tions déterminant les<br />
intérêts légitimes <strong>de</strong>s étrangers dans le cadre <strong>de</strong> la souveraineté marocaine ».<br />
22 Parmi les signataires on remarquait les anci<strong>en</strong>s prési<strong>de</strong>nts : Houphouët Boigny, léopold sedar S<strong>en</strong>ghor, Apithy<br />
23 - Philippe Gaillard « Il y a 40 ans naissait la R.D.A. docum<strong>en</strong>t Revue Jeune <strong>Afrique</strong> N° 1346 du 22/10/1986, p.14.<br />
24 Dans l’intervalle, la Tunisie est placée dans un statut d’« autonomie interne » <strong>de</strong>puis 1954 avant <strong>de</strong> recouvrer sa<br />
souveraineté, le 2 mars 1956.<br />
25 Maurice Flory, Le concept <strong>de</strong> révolution au Maroc, in Revue <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt musulman et <strong>de</strong> la Méditerranée, n°5,<br />
1968.<br />
26 Côte d’Ivoire, Dahomey (Bénin), Sénégal, Madagascar, Niger, Haute Volta (Burkina-Fasso), République c<strong>en</strong>trafricaine,<br />
Mauritanie, Soudan (Mali), Gabon, Congo (Congo-Brazaville), Tchad)<br />
27 Une association d’Etats créée par le titre XI <strong>de</strong> la Constitution française <strong>de</strong> 1958, instituant une citoy<strong>en</strong>neté commune<br />
et certains organes communs (prési<strong>de</strong>nt, ministres, sénat).<br />
28 Seule la Guinée rejette cette forme d’association <strong>en</strong> optant pour l’indép<strong>en</strong>dance immédiate.<br />
3
Tunisie) et le Ghana <strong>en</strong> 1957. Ainsi, le premier fil du bas nylon <strong>de</strong> la colonisation fut tiré par le<br />
Général <strong>de</strong> Gaulle 29 .<br />
2 - Le grand pas émancipateur <strong>de</strong> la France.<br />
La vie <strong>de</strong> la Communauté ne dura pas longtemps. Ses douze Etats membres accédèr<strong>en</strong>t à<br />
l’indép<strong>en</strong>dance 30 durant l’année 19<strong>60</strong>, sans feu ni sang. Comme si, par souci d’égalité, <strong>de</strong> Gaulle ne<br />
voulait fâcher personne. Mais il poussa d’autres territoires à se fâcher contre leurs colonisateurs, sans<br />
p<strong>en</strong>ser que l’Algérie serait la première à int<strong>en</strong>sifier sa colère qui persistait contre la France <strong>de</strong>puis six<br />
ans. En effet, le FLN 31 (Front <strong>de</strong> libération nationale) accomplit les actes viol<strong>en</strong>ts les plus<br />
meurtriers 32 <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> libération <strong>en</strong>tre février 1961 et février 1962. Mais les conséqu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong><br />
cette initiative émancipatrice gaulli<strong>en</strong>ne n’avai<strong>en</strong>t pas les mêmes effets sur toutes les colonies du<br />
Contin<strong>en</strong>t, ni <strong>en</strong>vers le mon<strong>de</strong>. Puisqu’elle incita d’abord l’ONU à reconnaître le droit <strong>de</strong>s peuples<br />
colonisés à disposer d’eux-mêmes 33 . Le Congo (Belge) s’émancipa dans un « climat <strong>de</strong> viol<strong>en</strong>ce et<br />
d’anarchie ». Son indép<strong>en</strong>dance, <strong>en</strong> 19<strong>60</strong>, intervint « après quatre années d’effervesc<strong>en</strong>ce<br />
nationaliste » 34 . La Somalie, bi<strong>en</strong> que partagée par <strong>de</strong>ux puissances coloniales 35 , fut libérée, elle<br />
aussi, <strong>en</strong> 19<strong>60</strong>.<br />
D’autres pays soumis se décidèr<strong>en</strong>t à lutter davantage, notamm<strong>en</strong>t ceux où opérai<strong>en</strong>t déjà <strong>de</strong>s<br />
mouvem<strong>en</strong>ts armés. Limitons-nous à <strong>de</strong>ux exemples manifestes. En Angola, le MPLA 36<br />
(Mouvem<strong>en</strong>t populaire <strong>de</strong> libération <strong>de</strong> l’Angola) inaugura violemm<strong>en</strong>t la guerre d’indép<strong>en</strong>dance 37 ,<br />
au même mois <strong>de</strong> février 1961 où s’<strong>en</strong>flammait le FLN <strong>en</strong> Algérie, comme si les <strong>de</strong>ux mouvem<strong>en</strong>ts<br />
<strong>de</strong> libération s’étai<strong>en</strong>t mis d’accord sous l’effet <strong>de</strong> l’éperon gaulli<strong>en</strong>. En Guinée-Bissau, le PAIGC 38<br />
(Parti africain pour l’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> la Guinée et du Cap-Vert), s’<strong>en</strong>gagea totalem<strong>en</strong>t dans une<br />
« guérilla paysanne » qui s’int<strong>en</strong>sifia <strong>en</strong> 1963. Certains territoires, longtemps colonisés, suivai<strong>en</strong>t la<br />
mouvance indép<strong>en</strong>dantiste <strong>en</strong> créant leurs mouvem<strong>en</strong>ts, comme le FRELIMO (Front <strong>de</strong> libération du<br />
Mozambique) qui se constitua <strong>en</strong> Mozambique <strong>en</strong> 1962, le ZANU (l’Union nationale africaine du<br />
Zimbabwe) qui vit le jour au Zimbabwe 39 , <strong>en</strong> 1963, et la SWAPO (Organisation du peuple du sud-<br />
29 La Gran<strong>de</strong>-Bretagne est la première puissance coloniale qui suit le premier pas français pour la <strong>décolonisation</strong>, <strong>en</strong><br />
<strong>Afrique</strong>, <strong>en</strong> accordant au Soudan et au Ghana leur indép<strong>en</strong>dance, avant 1958.<br />
30 le Mali (20 juin 19<strong>60</strong>), le Madagascar (1 er juillet 19<strong>60</strong>), le Bénin (1 er août 19<strong>60</strong>), le Niger (3 août 19<strong>60</strong>), le Burkina-<br />
Fasso (5 août 19<strong>60</strong>), la Côte d’Ivoire (7 août 19<strong>60</strong>), le Tchad (11 août 19<strong>60</strong>), la République c<strong>en</strong>trafricaine (13 août<br />
19<strong>60</strong>), le Congo (15 août 19<strong>60</strong>), le Sénégal (20 août 19<strong>60</strong>), la Mauritanie (28 novembre 19<strong>60</strong>) et le Gabon<br />
(17 décembre 19<strong>60</strong>).<br />
31 Le FLN, fondé le 10 octobre 1954, apparaît publiquem<strong>en</strong>t le 1 er novembre 1954.<br />
32 Ces actes ont atteint une telle viol<strong>en</strong>ce qu’ils décl<strong>en</strong>chèr<strong>en</strong>t une réaction <strong>de</strong> terreur immédiate à travers l’OAS<br />
(Organisation <strong>de</strong> l'Armée Secrète), dès 1961.<br />
33 Alors que le <strong>de</strong>rnier pays <strong>de</strong>s colonies françaises (le Gabon) s’apprête à fêter son indép<strong>en</strong>dance, l’Assemblée générale<br />
<strong>de</strong>s Nations Unies émet, le 14 décembre 19<strong>60</strong>, sa célèbre résolution 1514 (XV) concernant la Déclaration sur l’octroi <strong>de</strong><br />
l’indép<strong>en</strong>dance aux pays et aux peuples coloniaux.<br />
34 Mais comme à chaque règle son exception, la France s’attar<strong>de</strong> un peu <strong>en</strong>vers l’Algérie, et plus longuem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vers<br />
Djibouti dont nous parlerons bi<strong>en</strong>tôt.<br />
35 La Gran<strong>de</strong>-Bretagne qui occupait, dès 1887, une partie du pays (appelée Somaliland) et l’Italie qui colonisait, <strong>de</strong>puis<br />
1905, l’autre partie (dénommée Somalia ou Somalie itali<strong>en</strong>ne).<br />
36 Le MPLA, est fondé <strong>en</strong> 1956.<br />
37 <strong>Les</strong> Bakongos et les Kimbundus détruis<strong>en</strong>t près <strong>de</strong> 700 plantations <strong>de</strong> café et tu<strong>en</strong>t plusieurs c<strong>en</strong>taines <strong>de</strong> colons.<br />
L’armée portugaise réagit par <strong>de</strong>s représailles massives, massacre <strong>de</strong>s milliers d’insurgés et contraint à l’exil près <strong>de</strong><br />
400.000 Bakongos.<br />
38 Le PAIGC est créé égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1956, comme le MPLA,<br />
39 Anci<strong>en</strong>ne Rhodésie du Sud.<br />
4
ouest africain) qui se transforma <strong>en</strong> « mouvem<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dantiste armé », <strong>en</strong> 1966, pour <strong>en</strong>tamer<br />
une guerre d’indép<strong>en</strong>dance dès cette même année 40 .<br />
Chaussant les bottes <strong>de</strong> la France, les autres puissances coloniales : anglaise, belge, espagnole et<br />
itali<strong>en</strong>ne, quittèr<strong>en</strong>t quasim<strong>en</strong>t leurs colonies africaines, peu après l’indép<strong>en</strong>dance du Maroc et <strong>de</strong> la<br />
Tunisie, <strong>en</strong> recourant aux négociations. Ces colonies n’avai<strong>en</strong>t pas opté pour <strong>de</strong>s <strong>guerres</strong><br />
d’indép<strong>en</strong>dance 41 .<br />
Mais, contrairem<strong>en</strong>t à ses pairs europé<strong>en</strong>s, le Portugal navigua à contre-courant <strong>de</strong> l’Histoire. 42 Ses<br />
mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération décidèr<strong>en</strong>t alors <strong>de</strong> durcir le combat continûm<strong>en</strong>t, sans faiblir. Lassés<br />
finalem<strong>en</strong>t d’une guerre coloniale sans issue, les militaires portugais r<strong>en</strong>versèr<strong>en</strong>t le régime, <strong>en</strong> avril<br />
1974. C’est la révolution <strong>de</strong>s œillets 43<br />
Plus subtile que le Portugal, l’Espagne s’inspira <strong>de</strong> la politique française <strong>en</strong> accordant à la Guinée<br />
équatoriale le statut d’« autonomie interne » <strong>en</strong> 1963. Celle-ci ne s’émancipera qu’<strong>en</strong> 1968. Comme<br />
si le régime d’« autonomie interne » avait parfois l’effet d’un tranquillisant prév<strong>en</strong>tif <strong>de</strong>s <strong>guerres</strong><br />
d’indép<strong>en</strong>dance, toutes régions confondues 44 . Le cas du Ghana n’était pas moins probant. C’est bi<strong>en</strong><br />
grâce aux grèves <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux années consécutives (1948-1950), sout<strong>en</strong>ues par la création du Parti <strong>de</strong> la<br />
conv<strong>en</strong>tion du peuple (CPP) <strong>de</strong> Nkrumah 45 , <strong>en</strong> 1949, que les autorités britanniques accordèr<strong>en</strong>t au<br />
pays « une large autonomie » qui dura plus <strong>de</strong> sept ans, avant <strong>de</strong> conduire à l’indép<strong>en</strong>dance.<br />
Mais, <strong>de</strong> toutes les puissances coloniales, c’est l’<strong>Afrique</strong> du Sud qui se montra plus intransigeante<br />
pour sa colonie 46 namibi<strong>en</strong>ne. Pourtant, la SWAPO avait <strong>en</strong>tamé sa guerre d’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>puis<br />
1966. Elle lui faudra combattre p<strong>en</strong>dant presque un quart <strong>de</strong> siècle pour libérer la Namibie 47 , <strong>en</strong><br />
1990.<br />
3 - <strong>Les</strong> <strong>guerres</strong> d’indép<strong>en</strong>dance et la guerre froi<strong>de</strong>.<br />
La fin <strong>de</strong> la Deuxième Guerre mondiale, loin <strong>de</strong> mettre fin à l’occupation <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong> comme<br />
l’espérai<strong>en</strong>t les peuples dominés 48 , donna lieu à <strong>de</strong>s normes nouvelles <strong>de</strong> bataille coloniale et se<br />
compliquait par la Guerre froi<strong>de</strong> 49 à partir <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années cinquante 50 . Dans ce contexte, les<br />
40 La SWAPO est historiquem<strong>en</strong>t un syndicat <strong>de</strong> t<strong>en</strong>dance marxiste namibi<strong>en</strong>, fondé le 19 avril 19<strong>60</strong>, à New York, <strong>en</strong><br />
marge d’uns session <strong>de</strong>s Nations Unies concernant l’application <strong>de</strong> son mandat par l’<strong>Afrique</strong> du Sud sur le Sud-ouest<br />
africain.<br />
41 Ainsi s’émancip<strong>en</strong>t successivem<strong>en</strong>t les territoires sous mandat belge : le Burundi et le Rouanda <strong>en</strong> 1962, suivis <strong>de</strong>s<br />
colonies britanniques : le Nigeria <strong>en</strong> 19<strong>60</strong>, l’Ouganda <strong>en</strong> 1962, Le K<strong>en</strong>ya <strong>en</strong> 1963, le Malawi <strong>en</strong> 1964, le <strong>Les</strong>otho et le<br />
Botswana <strong>en</strong> 1966.<br />
42 Le régime colonialiste salazariste repose sur le principe <strong>de</strong> l’indivisibilité <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong> la Nation. <strong>Les</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts<br />
coloniaux étant une émanation du pouvoir c<strong>en</strong>tralisateur <strong>de</strong> la métropole. Cette politique d’intégration territoriale <strong>de</strong>s<br />
colonies favorise l’émigration et l’établissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s Portugais <strong>en</strong> Angola et au Mozambique (plus <strong>de</strong> 400.000 personnes<br />
dans les <strong>de</strong>ux colonies au début <strong>de</strong>s années 70)<br />
43 <strong>Les</strong> mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s forces armées angolaises mir<strong>en</strong>t un terme à leur guerre d’indép<strong>en</strong>dance. <strong>Les</strong> accords d’Alvor<br />
fur<strong>en</strong>t signés le 15 janvier 1975.<br />
44 Des pays d’<strong>Afrique</strong> noire ont connu le statut « d’autonomie interne » avant d’accé<strong>de</strong>r à l’indép<strong>en</strong>dance comme la Côte<br />
d’Ivoire, le Sénégal et la République c<strong>en</strong>trafricaine (au sein <strong>de</strong> la Communauté avec la France) ou <strong>en</strong>core le Swaziland,<br />
autant que <strong>de</strong>s pays du grand Maghreb, <strong>en</strong> l’occurr<strong>en</strong>ce la Tunisie et la Mauritanie.<br />
45 Ce parti réclamait publiquem<strong>en</strong>t l’autonomie immédiate pour le Ghana, dès l’année même <strong>de</strong> sa création, <strong>en</strong> 1949.<br />
46 L'<strong>Afrique</strong> du Sud occupa la colonie alleman<strong>de</strong> du Sud-Ouest africain (future Namibie) p<strong>en</strong>dant la Ière Guerre<br />
Mondiale pour l'annexer après la IIème Guerre Mondiale : elle <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t la cinquième province sud-africaine.<br />
47 Mais la distinction semble se justifier pour l’<strong>Afrique</strong> du Sud. S’agissant d’une puissance coloniale non europé<strong>en</strong>ne<br />
d’une part, et d’un régime d’apartheid <strong>en</strong>suite.<br />
48 La domination impérialiste trouva une formule <strong>de</strong> prolongem<strong>en</strong>t dans certains territoires, passant du statut <strong>de</strong> mandat à<br />
celui <strong>de</strong> tutelle. Car avec la création <strong>de</strong>s Nations unies, tous les pays sous mandat (anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t contrôlés par la SDN) et<br />
n’ayant pas accédé à l’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s territoires sous tutelle. Cette règle fut appliquée <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong> c<strong>en</strong>trale et<br />
au Sud-ouest africain (qui posera <strong>de</strong>s difficultés particulières).<br />
49 « Etat <strong>de</strong> t<strong>en</strong>sion internationale existant après la fin <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale <strong>en</strong>tre les puissances occi<strong>de</strong>ntales et<br />
l’URSS. <strong>Les</strong> Etats, sans aller jusqu’à l’affrontem<strong>en</strong>t armé, se contrecarrai<strong>en</strong>t, cherchai<strong>en</strong>t à se procurer <strong>de</strong>s avantages au<br />
5
colonies portugaises constituai<strong>en</strong>t notamm<strong>en</strong>t les théâtres d’opérations armées <strong>de</strong> la rivalité <strong>en</strong>tre les<br />
Etats-Unis et l’Union soviétique à travers les mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération africains. Elle s’opérait par<br />
pays interposés non occi<strong>de</strong>ntaux, profitant diversem<strong>en</strong>t aux <strong>de</strong>ux blocs antagoniques. L’Etat <strong>de</strong><br />
Cuba, prosoviétique, était le plus grand déf<strong>en</strong>seur <strong>de</strong> l’idéologie marxiste et le gouvernem<strong>en</strong>t sudafricain,<br />
proaméricain, apparaissait comme le meilleur allié <strong>de</strong> l’idéologie capitaliste. Leurs missions<br />
opposées, généralem<strong>en</strong>t sout<strong>en</strong>ues par l’assistance militaire et la fourniture d’armes aux belligérants,<br />
s’accomplissai<strong>en</strong>t dans la durée avec persévérance. Ainsi, face à la stratégie communiste (souv<strong>en</strong>t<br />
dominante), la réaction américaine émergeait tôt ou tard. Par exemple, pour contrecarrer l’action<br />
angolaise du MPLA d’Agostinho Neto, créé <strong>en</strong> 1956, le bloc occi<strong>de</strong>ntal favorisa la naissance <strong>de</strong><br />
l’UNITA dix ans plus tard, <strong>en</strong> 1966. 51 .<br />
4 – <strong>Les</strong> conditions <strong>de</strong> la libération.<br />
a) <strong>Les</strong> stratégies <strong>de</strong> libération.<br />
<strong>Les</strong> stratégies 52 <strong>de</strong> libération nous <strong>en</strong>seign<strong>en</strong>t tant <strong>de</strong> leçons dans les <strong>guerres</strong> d’indép<strong>en</strong>dance <strong>en</strong><br />
<strong>Afrique</strong>. Elles indiqu<strong>en</strong>t d’abord que l’action nationaliste n’imposait pas un <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t armé<br />
perman<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> la naissance d’un mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> libération à l’indép<strong>en</strong>dance. Celle-ci ne se réalisait<br />
pas non plus par <strong>de</strong>s prières. Comme Galli<strong>en</strong>i dont la « pacification » était le but, les combattants<br />
africains ont compris que « le meilleur moy<strong>en</strong> » <strong>de</strong> parv<strong>en</strong>ir à l’émancipation résidait aussi dans<br />
l’« action combinée <strong>de</strong> la force et <strong>de</strong> la politique ». Mais certains pays privilégiai<strong>en</strong>t parfois la force.<br />
Par exemple, le Mozambique du FRELIMO, préféra « placer l'insurrection armée au c<strong>en</strong>tre <strong>de</strong> la<br />
lutte politique ». <strong>Les</strong> stratégies <strong>de</strong> libération variai<strong>en</strong>t donc <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s coloniales et<br />
<strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> la résistance. Elles aboutissai<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s dates d’indép<strong>en</strong>dance différ<strong>en</strong>tes comme<br />
nous avons pu le constater. Et si les voies pacifiques ne fur<strong>en</strong>t que rarem<strong>en</strong>t opérationnelles à court<br />
terme, elles s’avérai<strong>en</strong>t parfois plus effici<strong>en</strong>tes qu’une lutte armée. La Guinée équatoriale qui n’a pas<br />
connu un mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> libération nationale obtint bi<strong>en</strong> son indép<strong>en</strong>dance 6 ans avant la Guinée-<br />
Bissau, malgré 18 ans <strong>de</strong> combat armé m<strong>en</strong>é par cette <strong>de</strong>rnière 53 . <strong>Les</strong> métho<strong>de</strong>s viol<strong>en</strong>tes<br />
n’apportai<strong>en</strong>t pas toujours la libération aussi vite qu’on le croyait. Même si, dans bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s cas, une<br />
guerre trop douloureuse pour l’occupant 54 , <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drait directem<strong>en</strong>t la délivrance, quelle que fût sa<br />
détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’autre partie, ne recherchant aucune coopération ni compréh<strong>en</strong>sion mutuelle mais affirmant leur prés<strong>en</strong>ce,<br />
leur puissance <strong>en</strong> cherchant à éprouver la résistance <strong>de</strong> l’autre camp (guerre psychologique) »<br />
50<br />
<strong>Les</strong> pays ayant accédé à l’indép<strong>en</strong>dance avant cette pério<strong>de</strong> auront échappé globalem<strong>en</strong>t aux désastres <strong>de</strong> la guerre<br />
froi<strong>de</strong> <strong>en</strong> empêchant que leurs territoires ne soi<strong>en</strong>t la cause ou le théâtre d’affrontem<strong>en</strong>ts indirects <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux camps<br />
rivaux.<br />
51<br />
Si le MPLA ne s’imposait qu’avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Cuba, son rival (l’UNITA) ne se laissait pas abattre non plus, grâce au<br />
souti<strong>en</strong> <strong>de</strong> l’<strong>Afrique</strong> du Sud. Même scénario <strong>en</strong> Mozambique, pour le FRELIMO et la RENAMO. Par ailleurs, <strong>Les</strong><br />
puissances coloniales occi<strong>de</strong>ntales (la France et l’Angleterre <strong>en</strong> tête) étai<strong>en</strong>t consci<strong>en</strong>tes <strong>de</strong>s <strong>en</strong>jeux <strong>de</strong> la guerre froi<strong>de</strong><br />
qui atteignit son zénith <strong>en</strong> 1961-1962 avec la crise <strong>de</strong> la baie <strong>de</strong>s cochons et l’installation <strong>de</strong> fusées soviétique à Cuba,<br />
provoquant une crise internationale. Transc<strong>en</strong>dant leurs intérêts économiques immédiats par l’impératif prioritaire <strong>de</strong><br />
sécurité dans leurs visées géopolitiques <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong> et inspirés d’une vision prophétique sur l’évolution irréversible <strong>de</strong>s<br />
ambitions d’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>s Africains, les métropoles ne veulai<strong>en</strong>t pas donner au bloc communiste <strong>de</strong> nouvelles<br />
occasions pour s’<strong>en</strong>raciner dans le Jeune contin<strong>en</strong>t. Que les mouvem<strong>en</strong>ts d’indép<strong>en</strong>dance africains soi<strong>en</strong>t préexistants<br />
sous l’occupation ou créés sous l’ère <strong>de</strong> l’indép<strong>en</strong>dance (comme partis politiques pro-marxistes). <strong>Les</strong> cas <strong>de</strong> la<br />
RENAMO et la SWAPO sont <strong>de</strong>ux exemples concluants.<br />
52<br />
Une stratégie se définit dans « l’art <strong>de</strong> coordonner <strong>de</strong>s actions, <strong>de</strong> manœuvrer habilem<strong>en</strong>t pour atteindre un but » (Le<br />
Petit Larousse 2004, Paris, p. 1011)<br />
53<br />
Une guerre d’indép<strong>en</strong>dance dont le mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Luis Cabral (PAIC) était la dynamo.<br />
54<br />
La pénibilité <strong>de</strong> la guerre chez l’occupant se traduit aussi bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> vies humaines qu’<strong>en</strong> termes d’arg<strong>en</strong>t. Selon Louis<br />
Joxe, les att<strong>en</strong>tats du FLN algéri<strong>en</strong> ont causé dans la population civile 2788 Europé<strong>en</strong>s tués et 7541 Europé<strong>en</strong>s blessés.<br />
En 1974, le Portugal se s<strong>en</strong>t épuisé par son effort militaire et ses dép<strong>en</strong>ses <strong>de</strong> colonisateur. Durant dix ans, il a consacré<br />
40% <strong>de</strong> son budget à ses <strong>guerres</strong> <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong>. Ce coût financier trop lourd s’ajoute évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t au nombre <strong>de</strong> soldats<br />
6
durée . Pourtant, la résistance politique s’avérait parfois plus payante que <strong>de</strong>s opérations armées mal<br />
évaluées. Elle pouvait même décl<strong>en</strong>cher une révolte populaire salutaire. Le cas du Maroc <strong>en</strong><br />
témoigne 55 . En somme, les Etats colonisateurs aux systèmes démocratiques (France, Angleterre,<br />
Belgique) se montrai<strong>en</strong>t plus réalistes et moins opposés à la <strong>décolonisation</strong> que les puissances<br />
coloniales où gouvernai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s régimes dictatoriaux ou racistes (Portugal, Espagne, <strong>Afrique</strong> du Sud).<br />
<strong>Les</strong> mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération prépondérants ont connu décidém<strong>en</strong>t plus <strong>de</strong> malheurs - <strong>en</strong> g<strong>en</strong>re et <strong>en</strong><br />
nombre - sous les dictateurs colonialistes.<br />
b) <strong>Les</strong> prix <strong>de</strong> la libération.<br />
C’est <strong>en</strong> recourant à la viol<strong>en</strong>ce que les fronts et mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération croyai<strong>en</strong>t pouvoir<br />
rejoindre le camp <strong>de</strong> ceux qui fur<strong>en</strong>t libérés avant eux 56 : La Syrie et le Liban dans les années<br />
quarante pour le Maroc 57 , le Maroc et la Tunisie dans les années cinquante pour l’Algérie 58 , les<br />
territoires francophones et anglophones dans les années soixante pour les colonies portugaises 59 et le<br />
Zimbabwe dans les années quatre vingt pour la Namibie <strong>60</strong> . Voici maint<strong>en</strong>ant quelques prix <strong>de</strong> la<br />
libération, payés par <strong>de</strong>s pays ayant arraché directem<strong>en</strong>t leur souveraineté, par la révolte armée ou la<br />
guerre. Au Maroc, les « combats d’indép<strong>en</strong>dance », <strong>en</strong>tamés <strong>en</strong> août 1953, ont duré <strong>de</strong>ux ans et trois<br />
mois et ont <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dré « plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux milles morts dont près <strong>de</strong> 1500 marocains et 49 europé<strong>en</strong>s dans<br />
la seule ville <strong>de</strong> Oued Zem ». Sans parler <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> blessés et d’invali<strong>de</strong>s rec<strong>en</strong>sés avant fin<br />
1955. 61 . En Algérie, bi<strong>en</strong> que les sources soi<strong>en</strong>t nettem<strong>en</strong>t diverg<strong>en</strong>tes, on conclut à une fourchette<br />
<strong>de</strong> 300.000 à 400.000 morts dont 250.000 algéri<strong>en</strong>s <strong>en</strong>viron et 30.000 français au moins 62 . Du côté<br />
algéri<strong>en</strong>, le FLN compte <strong>en</strong> 1964 « plus d'un million <strong>de</strong> martyrs ». En Angola, le bilan <strong>de</strong> la guerre<br />
d’indép<strong>en</strong>dance s’éleva à 50.000 morts, sur une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 14 ans (1961-1975). Au Mozambique, le<br />
bilan était <strong>de</strong> 30.000 morts dans une guerre qui dura 11 ans (1964-1975) m<strong>en</strong>ée par le FRELIMO 63 .<br />
Mais quel bénéfice aurai<strong>en</strong>t gagné les pays qui m<strong>en</strong>èr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s <strong>guerres</strong> d’indép<strong>en</strong>dance contre la<br />
colonisation portugaise, par rapport à leurs pairs libérés sans organisations armées et sans pertes<br />
comparables ? En réalité, le fait d’y être parv<strong>en</strong>us grâce aux sacrifices <strong>de</strong>s premiers constituait déjà<br />
le mérite et la gloire <strong>de</strong>s combattants. Car si la révolution <strong>de</strong>s œillets fut la cause directe <strong>de</strong><br />
l’émancipation quasi-simultanée <strong>de</strong> ces territoires, le motif <strong>de</strong> son décl<strong>en</strong>chem<strong>en</strong>t prov<strong>en</strong>ait bi<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />
portugais tués dans les combats. Des facteurs suffisants pour pousser le Portugal à quitter ses colonies africaines, <strong>en</strong><br />
1975.<br />
55<br />
C’est <strong>en</strong> résistant aux m<strong>en</strong>aces du général Guillaume (Rési<strong>de</strong>nt général) durant plusieurs mois <strong>de</strong> l’année 1953 et <strong>en</strong><br />
préférant l’exil à l’abdication que le Roi Mohammed V fait décl<strong>en</strong>cher la révolte populaire pour l’indép<strong>en</strong>dance<br />
(Révolution du Roi et du peuple) le 20 août <strong>de</strong> cette même année. Révolution sans laquelle le Maroc n’aurait jamais pu<br />
être le premier pays d’<strong>Afrique</strong> à se libérer du protectorat français.<br />
56<br />
<strong>Les</strong> peuples qui fur<strong>en</strong>t obligés <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre les armes serai<strong>en</strong>t restés plus longtemps sous le joug colonial <strong>en</strong> croisant les<br />
bras, et n’aurai<strong>en</strong>t pu contribuer à l’affranchissem<strong>en</strong>t d’autres territoires <strong>en</strong> même temps qu’eux.<br />
57<br />
Indép<strong>en</strong>dant dès le 18 novembre 1955.<br />
58<br />
Indép<strong>en</strong>dante <strong>en</strong> 1962.<br />
59<br />
Indép<strong>en</strong>dantes <strong>en</strong> 1975.<br />
<strong>60</strong><br />
Indép<strong>en</strong>dante <strong>en</strong> 1990.<br />
61<br />
Ces chiffres n’étai<strong>en</strong>t pas négligeables aux yeux <strong>de</strong> la métropole, vu la primauté <strong>de</strong>s affrontem<strong>en</strong>ts meurtriers au<br />
Maroc par rapport aux autres colonies françaises <strong>de</strong> l’époque.<br />
62<br />
Selon l’histori<strong>en</strong> Guy Pervillé qui s'est appuyé sur <strong>de</strong>s données démographiques, notamm<strong>en</strong>t les rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> 1954<br />
et 1966. Voir aussi l’article <strong>de</strong> Jean-Paul Mari, in la revue française Le Nouvel Observateur du 28 février 2002.<br />
63<br />
D’autres territoires n’ont pas suivi leurs semblables dans les <strong>guerres</strong> d’indép<strong>en</strong>dance même quand ils dép<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t tous<br />
d’une même puissance coloniale. <strong>Les</strong> colonies portugaises où opérai<strong>en</strong>t le plus grand nombre <strong>de</strong> mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />
libération nationale ne faisai<strong>en</strong>t pas exception. Par exemple, l’île <strong>de</strong> Sao Tomé-et-Principe, bi<strong>en</strong> que liée étroitem<strong>en</strong>t avec<br />
l’Angola, n’a pas eu recours à un mouvem<strong>en</strong>t armé pour se libérer au même mom<strong>en</strong>t que les autres colonies portugaises<br />
qui m<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t une guerre d’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> longue date. Toutefois, les pays qui n’ont décl<strong>en</strong>ché ni révolution ni guerre<br />
d’indép<strong>en</strong>dance ne sont pas restés tous sans t<strong>en</strong>ter l’insurrection. Certains ont connu <strong>de</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts nationalistes<br />
acharnés, sévèrem<strong>en</strong>t réprimés. Rappelons <strong>de</strong>ux cas notoires : Madagascar <strong>en</strong> 1947 et le K<strong>en</strong>ya <strong>en</strong>tre 1952 et 1956.<br />
7
la combativité <strong>de</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération. Tant il est vrai que la liberté <strong>de</strong>s peuples est souv<strong>en</strong>t<br />
plus sûrem<strong>en</strong>t recouvrable par les armes que par les larmes.<br />
5- <strong>Les</strong> dés<strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’indép<strong>en</strong>dance.<br />
La gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s pays africains fur<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dants dans les années soixante dix suivant les<br />
conditions que nous avons évoquées. On souhaitait alors que cela puisse marquer le début d’une<br />
démocratisation et d’une paix civile dans les pays libérés. Mais combi<strong>en</strong> rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t se dissipa ce<br />
rêve, <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>ux épreuves plus pénibles que la colonisation elle-même.<br />
a) La lutte post-coloniale <strong>en</strong>tre mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération.<br />
En Angola, peu après la « révolution <strong>de</strong>s œillets » au Portugal, les trois mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération<br />
dont nous avons parlés s’affrontèr<strong>en</strong>t implacablem<strong>en</strong>t dans une guerre civile, pour diriger le pays.<br />
Leurs combats intervinr<strong>en</strong>t sur fond ethnique <strong>en</strong>flammé par la guerre froi<strong>de</strong>. Le 11 novembre 1975,<br />
Agostinoh Neto, chef du MPLA, « proclama l’indép<strong>en</strong>dance et sa prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la République<br />
populaire d’Angola ». Parallèlem<strong>en</strong>t, l’UNITA et le FLNA proclamèr<strong>en</strong>t la République populaire et<br />
démocratique d’Angola. La guerre dura 27 ans à la signature du <strong>de</strong>rnier cessez-le-feu, <strong>en</strong> avril 2002,<br />
avec un bilan effroyable : près <strong>de</strong> 500.000 morts et <strong>de</strong> 4 millions <strong>de</strong> personnes déplacées. 64 . Ironie du<br />
sort que la durée <strong>de</strong> cette guerre civile fratrici<strong>de</strong> fut doublem<strong>en</strong>t plus longue et vingt fois plus<br />
meurtrière que la guerre d’indép<strong>en</strong>dance.<br />
Au Mozambique, le FRELIMO et la RENAMO ne m<strong>en</strong>èr<strong>en</strong>t pas non plus une t<strong>en</strong>dre guerre. En<br />
1990, après 16 ans d’affrontem<strong>en</strong>ts le bilan fut très lourd : Près <strong>de</strong> 1million <strong>de</strong> morts, 1,3 million <strong>de</strong><br />
réfugiés et 2 millions <strong>de</strong> personnes déplacées à l'intérieur du pays 65 .<br />
b) <strong>Les</strong> <strong>guerres</strong> <strong>de</strong> séparatisme.<br />
<strong>Les</strong> concepts <strong>de</strong> « mouvem<strong>en</strong>t, front ou armée <strong>de</strong> libération nationale » autant que la notion <strong>de</strong><br />
« guerre d’indép<strong>en</strong>dance » ne fourniss<strong>en</strong>t pas toujours la même définition. Nous trouvons certaines<br />
structures <strong>de</strong> libération qui n’ont pas combattu <strong>de</strong>s puissances coloniales europé<strong>en</strong>nes, mais qui<br />
m<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s <strong>guerres</strong> civiles contre <strong>de</strong>s dirigeants politiques et militaires nationaux pour<br />
l’indép<strong>en</strong>dance d’un territoire, par voie <strong>de</strong> séparatisme 66 . <strong>Les</strong> cas <strong>de</strong> l’Erythrée 67 et du Soudan du<br />
Sud 68 (Sud-Soudan) constitu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>ux exemples éloqu<strong>en</strong>ts.<br />
Le Front <strong>de</strong> libération <strong>de</strong> l’Erythrée (FLE), créé <strong>en</strong> 1961, autant que le Front populaire <strong>de</strong> libération<br />
<strong>de</strong> l’Erythrée (FPLE), fondé <strong>en</strong> 1970, vir<strong>en</strong>t le jour sous l’autorité d’un Etat indép<strong>en</strong>dant et fédéral 69 ,<br />
64 Outre les dégâts matériels et économiques incalculables. L’agriculture et les transports ont été presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t<br />
détruits. La famine tue et le pays ne vit que d’ai<strong>de</strong>s financières malgré l’exportation du pétrole.<br />
65 Finalem<strong>en</strong>t, p<strong>en</strong>dant la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s combats libérateurs comme durant les années d’indép<strong>en</strong>dance, la confrontation <strong>en</strong>tre<br />
mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération vise d’abord l’exercice du pouvoir, même par autoritarisme. Que la dictature appliquée soit <strong>de</strong><br />
gauche ou <strong>de</strong> droite, qu’elle s’installe par voie militaire ou à la faveur d’un parti unique. Toute opposition, militaire ou<br />
politique, est combattue d’<strong>en</strong> haut. Dans cette logique, la victoire ou la supériorité militaire conduis<strong>en</strong>t au pouvoir<br />
suprême, imposant l’option idéologique et la volonté politique du vainqueur.<br />
66 C’est-à-dire le démembrem<strong>en</strong>t d’un pays antérieurem<strong>en</strong>t libéré d’une occupation étrangère et dont dép<strong>en</strong>dait<br />
initialem<strong>en</strong>t le nouvel Etat.<br />
67 Anci<strong>en</strong>ne <strong>en</strong>tité coloniale itali<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>puis le 19 e siècle. La fédération érithréo-éthiopi<strong>en</strong>ne fut mise <strong>en</strong> place <strong>en</strong> 1952.<br />
Elle disparut <strong>en</strong> 1962, au profit d’une unification.<br />
68 Il est difficile d’affirmer que la guerre civile que m<strong>en</strong>ait « l’armée populaire <strong>de</strong> libération du Soudan » (SPLA) contre le<br />
gouvernem<strong>en</strong>t du Soudan constituait une « lutte contre une domination coloniale ou une occupation étrangère » .<br />
69 L’Erythrée est réunie à l’Ethiopie, dès 1952, avec le statut d’Etat fédéré.<br />
8
puis unitaire 70 . Ils ne combattir<strong>en</strong>t point l’occupation coloniale itali<strong>en</strong>ne ni britannique 71 . En 1993,<br />
après une longue guerre civile <strong>de</strong> 30 ans (1961-1991) l’Erythrée accéda à l’indép<strong>en</strong>dance à la suite<br />
d’un référ<strong>en</strong>dum. Le bilan <strong>de</strong> cette guerre fut désastreux : 123.000 morts dont 51.000 Ethiopi<strong>en</strong>s et<br />
500 soldats cubains.<br />
Au Sud-Soudan, l’« armée populaire <strong>de</strong> libération du Soudan » 72 , fondée <strong>en</strong> mai 1983, <strong>en</strong>gagea<br />
égalem<strong>en</strong>t une « guerre d’indép<strong>en</strong>dance » contre l’Etat soudanais et non pas contre les colons anglais<br />
qu’ils ne vir<strong>en</strong>t jamais auparavant 73 . A la fin <strong>de</strong> cette guerre civile catastrophique qui dura un quart<br />
<strong>de</strong> siècle 74 , le Sud-Soudan accéda, à son tour, à l’indép<strong>en</strong>dance, le 9 janvier 2011, après un<br />
« référ<strong>en</strong>dum d’indép<strong>en</strong>dance » 75 . Le bilan s’avéra beaucoup plus déplorable que celui du conflit<br />
érythro-éthiopi<strong>en</strong> : un million et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong> morts et 4 millions <strong>de</strong> personnes déplacées du Soudan.<br />
Ces <strong>de</strong>ux « <strong>guerres</strong> d’indép<strong>en</strong>dances » et leurs résultats suggèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s critères religieux, ethniques et<br />
culturels imposant une autre interprétation <strong>de</strong> la colonisation, balayant les facteurs géographiques et<br />
historiques souv<strong>en</strong>t unificateurs, même <strong>en</strong> l’abs<strong>en</strong>ce d’une occupation coloniale étrangère<br />
occi<strong>de</strong>ntale. Mais pr<strong>en</strong>ons gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette définition 76 .Tant les périls qu’elle cache sont énormes. Le<br />
danger <strong>de</strong> la balkanisation <strong>de</strong> l’<strong>Afrique</strong> ne semble pas avoir disparu avec la partition du Contin<strong>en</strong>t<br />
sur les pactes coloniaux <strong>de</strong>s XIXe et XXe siècles. Et si l’on <strong>en</strong> percevait son départ par la porte, son<br />
retour par la f<strong>en</strong>être semblerait aujourd’hui plus réel que jamais, à travers <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> libération<br />
séparatistes. L’on se trouverait alors <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s fronts <strong>de</strong> séparation 77 plutôt que <strong>de</strong>s fronts <strong>de</strong><br />
libération. 78 Et peut-être même <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> coups d’Etat, comme le Front <strong>de</strong> libération<br />
nationale <strong>de</strong> l’Ouganda 79 (UNFL).<br />
70 En 1962, l’Erythrée <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t une province <strong>de</strong> l’Ethiopie (14 ème province).<br />
71 Leur combat armé est dirigé <strong>en</strong>vers l’Etat et alim<strong>en</strong>te la guérilla contre l’armée éthiopi<strong>en</strong>ne.<br />
72 Branche armée du « Mouvem<strong>en</strong>t populaire <strong>de</strong> libération du Soudan ».<br />
73 <strong>Les</strong> Anglais ont quitté le Soudan après lui avoir accordé son indép<strong>en</strong>dance le 1 er janvier 1956.<br />
74 Le plus long conflit armé qu’a connu l’<strong>Afrique</strong> à partir <strong>de</strong> 1991.<br />
75 Le référ<strong>en</strong>dum fut organisé <strong>en</strong>tre le 9 et le 15 janvier 2011.<br />
76 Une définition reconnue universellem<strong>en</strong>t à partir <strong>de</strong>s années soixante dix. Elle s’ajoute au s<strong>en</strong>s classique <strong>de</strong> la<br />
colonisation (europé<strong>en</strong>ne), élargissant le concept <strong>de</strong> « domination étrangère ».<br />
77 Outre les cas <strong>de</strong> l’Erythrée et du Soudan du Sud (Sud-Soudan) <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us indép<strong>en</strong>dants par séparatisme grâce à <strong>de</strong>s<br />
mouvem<strong>en</strong>ts ou <strong>de</strong>s armées <strong>de</strong> libération, l’intégrité territoriale officielle <strong>de</strong> l’Ethiopie <strong>de</strong>meure m<strong>en</strong>acée par le « front<br />
<strong>de</strong> libération <strong>de</strong> la Somalie occi<strong>de</strong>ntale » (FLSO) qui rev<strong>en</strong>dique l’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> la province éthiopi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> l’Oga<strong>de</strong>n,<br />
dont il contrôle déjà une partie. Autant que le « Front national <strong>de</strong> libération <strong>de</strong> l’Oga<strong>de</strong>n » (FNLO).<br />
78 Et même quand il inclut <strong>de</strong>s mécanismes évitant la guerre et la création d’organisations anti-coloniales ou postcoloniales,<br />
le processus d’indép<strong>en</strong>dance par séparatisme suscite davantage la réflexion <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong>. Là <strong>en</strong>core,<br />
l’indép<strong>en</strong>dance équivaut à la scission d’une nation ou découle d’un séparatisme. Elle n’intervi<strong>en</strong>t pas dans l’intégrité<br />
territoriale du pays telle qu’elle était avant son occupation. Sa réalisation s’opère aussi par voie référ<strong>en</strong>daire, créant un<br />
nouvel Etat dont le territoire est détaché du pays colonisé. <strong>Les</strong> îles Comores représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t une bonne démonstration. Elles<br />
form<strong>en</strong>t un Etat, naissant à l’indép<strong>en</strong>dance, <strong>en</strong> se séparant <strong>de</strong> l’île Mayotte, par proclamation unilatérale comori<strong>en</strong>ne, le 6<br />
juillet 1975, basée sur le référ<strong>en</strong>dum du 22 décembre 1974. L’île Mayotte, ayant refusé l’indép<strong>en</strong>dance, restera dans la<br />
mouvance française. D’ailleurs, la France ne tar<strong>de</strong> pas à reconnaître l’émancipation <strong>de</strong>s îles Comores. Ainsi, même<br />
quand l’auto-proclamation d’indép<strong>en</strong>dance émanant du territoire soumis ne vi<strong>en</strong>t pas parallèlem<strong>en</strong>t ou consécutivem<strong>en</strong>t à<br />
une guerre <strong>de</strong> libération (comme le cas <strong>de</strong> la Guinée-Bissau) elle est parfois admise par le colonisateur sans difficulté.<br />
Tout dép<strong>en</strong>d <strong>de</strong>s circonstances. La France avait-t-elle intérêt à s’imposer l’intégration d’une communauté voulant vivre<br />
<strong>en</strong> Etat musulman sous l’ère <strong>de</strong> la guerre froi<strong>de</strong> après avoir libéré, pacifiquem<strong>en</strong>t, la quasi-totalité <strong>de</strong> ses colonies<br />
africaines dès 19<strong>60</strong> ? Le cas <strong>de</strong>s îles du Cap-Vert n’est pas moins significatif non plus. Anci<strong>en</strong>ne colonie portugaise<br />
<strong>de</strong>puis 1456, détachée administrativem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la Guinée portugaise <strong>en</strong> 1879. Leur indép<strong>en</strong>dance intervi<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t le 5<br />
juillet 1975 à la suite du référ<strong>en</strong>dum du 30 juin 1975, <strong>en</strong> se séparant <strong>de</strong> la Guinée-Bissau à laquelle elles étai<strong>en</strong>t pourtant<br />
politiquem<strong>en</strong>t liées par un même mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> libération (PAIGC) qui, <strong>de</strong>puis sa création <strong>en</strong> 1956, luttait pour la<br />
libération <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux territoires.<br />
79 Plus large que l’ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux concepts précités, l’expression « mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> libération nationale » fournit un<br />
troisième s<strong>en</strong>s différ<strong>en</strong>t <strong>de</strong> celui d’une organisation <strong>de</strong> guerre d’indép<strong>en</strong>dance <strong>en</strong> signifiant un instrum<strong>en</strong>t politique<br />
armé, sout<strong>en</strong>u <strong>de</strong> l’extérieur, pour r<strong>en</strong>verser le régime d’un Etat indép<strong>en</strong>dant, tyrannique soit-il ou démocratique. Le<br />
Front <strong>de</strong> libération nationale <strong>de</strong> l’Ouganda 79 (UNFL) est un exemple typique.<br />
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6 - La reconversion postcoloniale <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> combat.<br />
Le meilleur fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la reconversion politique <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> libération résidait dans leur<br />
personnalité juridique, mondialem<strong>en</strong>t admises. Tant par la reconnaissance <strong>de</strong>s organisations<br />
internationales : telles que l’OUA et l’ONU que par <strong>de</strong>s reconnaissances étatiques individuelles 80 .<br />
Parallèlem<strong>en</strong>t, les branches armées <strong>de</strong> ces organisations fur<strong>en</strong>t incorporées dans <strong>de</strong>s nouvelles<br />
institutions militaires 81 ou restructurées comme noyaux <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> déf<strong>en</strong>se nationale<br />
postcoloniales. C’est généralem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette façon que s’opérait leur transmutation <strong>de</strong> l’état combatif<br />
pour l’indép<strong>en</strong>dance à l’état déf<strong>en</strong>sif <strong>de</strong> gouvernance. <strong>Les</strong> dirigeants <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> libération se<br />
reconvertissai<strong>en</strong>t alors, politiquem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> se plaçant au sommet <strong>de</strong> l’Etat. En effet, tous les chefs <strong>de</strong><br />
mouvem<strong>en</strong>ts et fronts <strong>de</strong> libération nationale ayant négocié ou signé les accords d’indép<strong>en</strong>dance,<br />
fur<strong>en</strong>t les premiers Prési<strong>de</strong>nts ou chefs <strong>de</strong> gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leurs pays. De l’Algérie au Zimbabwe<br />
<strong>en</strong> passant par l’Angola, la Guinée-Bissau, le Mozambique, la Namibie ; nulle exception à cette<br />
règle 82 .<br />
La domination d’un parti unique d’obédi<strong>en</strong>ce marxiste, a caractérisé la vie politique <strong>de</strong>s nouvelles<br />
républiques concernées, p<strong>en</strong>dant plus <strong>de</strong> quinze ans. Il a fallu att<strong>en</strong>dre l’apparition <strong>de</strong>s premiers<br />
signes <strong>de</strong> l’abolition du rôle dirigeant du parti communiste <strong>de</strong> l’URSS, <strong>en</strong> 1989, suivi <strong>de</strong> l’unification<br />
<strong>de</strong> l’Allemagne <strong>en</strong> 1990, pour voir non seulem<strong>en</strong>t se concilier les anci<strong>en</strong>s frères combattants armés<br />
opposés au pouvoir, mais s’instaurer - progressivem<strong>en</strong>t - la démocratie pluraliste 83 , <strong>en</strong>tre 1989 et<br />
1992.<br />
Créé dans les années soixante dix par <strong>de</strong>s exilés ougandais opposés au régime du général Idi Amin Dada, et sout<strong>en</strong>u par<br />
la Tanzanie (à la suite d’une guerre frontalière ougando-tanzani<strong>en</strong>ne) l’UNFL finit par r<strong>en</strong>verser le chef d’Etat<br />
ougandais <strong>en</strong> avril 1979.<br />
80 D’ailleurs par différ<strong>en</strong>tes formulations, certains mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> libération ont t<strong>en</strong>u à énoncer, à leur naissance ou avant<br />
l’indép<strong>en</strong>dance, les buts qu’ils poursuivai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>rrière leurs combats armés, se résumant <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux objectifs ess<strong>en</strong>tiels : la<br />
<strong>décolonisation</strong> du pays et sa gouvernance <strong>en</strong>suite. Par exemple, un mois après sa création, le FLN déclarait<br />
publiquem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> novembre 1954, qu’il a été créé « pour <strong>en</strong>gager une lutte <strong>de</strong> libération nationale contre la France<br />
coloniale et pour la création d’un Etat algéri<strong>en</strong> démocratique et populaire ».<br />
81 Cette première possibilité s’est produite au Maroc dont les Forces Armées Royales, créées le 14 mai 1956, « ont<br />
intégré la plupart <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’Armée <strong>de</strong> Libération (A.L.) et les combattants qui ont m<strong>en</strong>é <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong><br />
guérilla et <strong>de</strong> résistance armée, avant et après l’exil du Roi Mohammed V ».<br />
82 En Algérie, Ahmed B<strong>en</strong> Bella, fondateur du Front <strong>de</strong> Libération Nationale 82 (FLN) qui a animé principalem<strong>en</strong>t la<br />
révolution algéri<strong>en</strong>ne contre le colonialisme français durant neuf ans, <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République <strong>en</strong> 1963. Il<br />
établit un régime socialiste à parti unique (FLN).<br />
En Angola, Agostinho Neto, chef du Mouvem<strong>en</strong>t populaire <strong>de</strong> libération <strong>de</strong> l’Angola (MPLA), qui a combattu<br />
l’occupation portugaise <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République le<br />
En Guinée-Bissau, Luis Cabral, chef du Parti africain pour l’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> la Guinée et <strong>de</strong>s îles du Cap-Vert<br />
(PAIGC) qui s’est insurgé contre le colonialisme portugais durant dix huit ans, est placé à la tête d’un Conseil d’Etat <strong>en</strong><br />
septembre 1974.<br />
Au Mozambique, Samora Machel, chef du Frelimo, qui a lutté contre l’occupation portugaise p<strong>en</strong>dant 11 ans, <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t<br />
prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République populaire, <strong>en</strong> juin 1975.<br />
En Namibie 82 , Sam Nujoma, chef <strong>de</strong> la SWAPO, qui a <strong>en</strong>gagé <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> guérilla contre l’occupation sudafricaine<br />
p<strong>en</strong>dant seize ans, <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République <strong>en</strong> 1990.<br />
Au Zimbabwe (anci<strong>en</strong>ne Rhodésie du Sud), Robert Mugabe, chef <strong>de</strong> l’Union nationale africaine du Zimbabwe (NAZU)<br />
qui a m<strong>en</strong>é une guérilla contre le gouvernem<strong>en</strong>t blanc <strong>de</strong> Ian Smith durant plus <strong>de</strong> dix sept ans, <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t le Premier chef <strong>de</strong><br />
gouvernem<strong>en</strong>t (Premier ministre) <strong>de</strong> son pays, indép<strong>en</strong>dant et souverain à partir du 18 avril 1980.<br />
83 En effet, dès 1989, alors que l’URSS achève le retrait <strong>de</strong> ses troupes d’Afghanistan <strong>en</strong> instaurant les premières<br />
élections à candidatures multiples, les dirigeants algéri<strong>en</strong>s « adopt<strong>en</strong>t une importante réforme <strong>de</strong> la Constitution ». Le<br />
FLN perd son statut politique dominant ; le multipartisme est instauré après vingt six ans <strong>de</strong> régime socialiste à parti<br />
unique 83 . Désormais, les changem<strong>en</strong>ts politiques radicaux contre l’autoritarisme <strong>en</strong> <strong>Afrique</strong> se succè<strong>de</strong>nt <strong>en</strong> cresc<strong>en</strong>do, à<br />
partir <strong>de</strong>s pays à mouvem<strong>en</strong>ts combattants. Le Mozambique suit l’Algérie quelques mois plus tard. Une nouvelle<br />
Constitution met fin à quinze ans <strong>de</strong> régime <strong>de</strong> parti unique et instaure le pluralisme à partir du 1 er décembre 1990.<br />
L’idéologie socialiste marxiste-léniniste est abandonnée et la République n’est plus populaire. Le gouvernem<strong>en</strong>t<br />
s’<strong>en</strong>gage dans la libéralisation <strong>de</strong> l’économie, la privatisation d’<strong>en</strong>treprises d’Etat. Deux ans après, M. Chissano<br />
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En définitive, la causalité fatale <strong>en</strong>tre « <strong>guerres</strong> <strong>de</strong> libération nationale » et « prise <strong>de</strong> pouvoir »<br />
s’établit dialectiquem<strong>en</strong>t. Parce qu’un mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> libération est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t une<br />
« organisation politico-militaire ». Il trouve donc sa raison d’être et sa légitimité dans le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong><br />
libérer avant le droit <strong>de</strong> gouverner. Autrem<strong>en</strong>t dit, la démocratisation par les urnes 84 après la<br />
<strong>décolonisation</strong> par les armes .<br />
(successeur <strong>de</strong> S. Machel à la tête <strong>de</strong> l’Etat et du Frelimo) r<strong>en</strong>oue le dialogue avec le lea<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la RENAMO (chef <strong>de</strong> la<br />
rébellion). Ils sign<strong>en</strong>t conjointem<strong>en</strong>t un accord <strong>de</strong> paix. En Angola, le multipartisme est instauré, <strong>en</strong> 1991, au mom<strong>en</strong>t où<br />
l’URSS se désintègre officiellem<strong>en</strong>t. Dos Santos (successeur d’Agostinho Neto à la tête <strong>de</strong> l’Etat et du MPLA) conclut<br />
un accord <strong>de</strong> paix avec l’UNITA dans la même pério<strong>de</strong>. Aujourd’hui, une démocratie multipartite règne dans ce pays,<br />
<strong>de</strong>puis le printemps 2002, après la transformation <strong>de</strong> la rébellion <strong>de</strong> l’UNITA <strong>en</strong> un parti légal d’opposition, concluant la<br />
paix avec le pouvoir c<strong>en</strong>tral.<br />
84 Une démocratisation ne donnant pas toujours le droit <strong>de</strong> diriger l’Etat, mais imposant parfois le <strong>de</strong>voir d’opposition<br />
face au gouvernem<strong>en</strong>t. Deux options inverses à accepter par voie d’alternance.<br />
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