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Collection Pierre et Franca Belfond - Bibliorare

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lot n° 134<br />

8 Dessins D’écrivains, collection pierre <strong>et</strong> franca belfonD — 14 février 2012. paris<br />

AH ! VOUS DESSINEz AUSSI ?<br />

en écoutant france Musique ou radio classique, on ne s’étonne pas<br />

d’entendre, entre deux œuvres de be<strong>et</strong>hoven ou de ravel, la sonate<br />

pour piano de boris pasternak – oui, l’auteur de Docteur Jivago –,<br />

l’opéra Le Devin du village de Jean-Jacques rousseau – oui, l’auteur<br />

des Confessions –, ou le Quatuor pour quatre guitares d’anthony<br />

burgess – oui, l’auteur d’Orange mécanique. <strong>et</strong> je pourrais aussi citer<br />

e. t. a. Hoffmann, frédéric ni<strong>et</strong>zsche, ezra pound, paul bowles ainsi<br />

que d’autres écrivains qui jonglaient avec les blanches, les noires <strong>et</strong> les<br />

croches. il n’est donc ni anormal ni surprenant de constater que, jadis,<br />

Gautier, Mérimée, baudelaire, apollinaire ou, plus près de nous, Jean<br />

cocteau, antoine de saint-exupéry, Jacques prévert, William burroughs<br />

jonglaient avec le crayon, le pinceau ou les ciseaux.<br />

toutefois, <strong>et</strong> pendant très longtemps, seul victor Hugo a été<br />

célébré comme l’égal des plus grands artistes. Je n’échappais pas à<br />

ce favoritisme arbitraire quand, me trouvant un après-midi à l’Hôtel<br />

Drouot – c’était en 1971 –, le commissaire-priseur annonça : « <strong>et</strong> nous<br />

poursuivons par deux dessins de Marcel proust! » De loin, je crus<br />

apercevoir, brandis par un savoyard, les contours d’une voiture <strong>et</strong> ceux<br />

d’un cheval, mais, puisqu’il s’agissait de proust, en toute confiance je<br />

levai le doigt <strong>et</strong>, bientôt, le mot « adjugé » r<strong>et</strong>entit en ma faveur.<br />

c’est ainsi que débuta c<strong>et</strong>te collection. Hélas, dans les semaines qui<br />

suivirent j’appris qu’un pionnier, aussi compétent que fanatique, m’avait<br />

devancé, écumant les librairies d’ancien, les magasins d’antiquités<br />

<strong>et</strong> les salles de vente : christian bernadac. Journaliste, écrivain, il<br />

était directeur de l’information à tf1. nous entamâmes sans tarder<br />

une terrible guerre, soit de tranchées, soit de mouvement. puis nous<br />

devînmes les meilleurs amis du monde, <strong>et</strong> nous nous livrâmes à divers<br />

échanges : un vigny contre un sand, un Muss<strong>et</strong> contre un verlaine.<br />

Mais c’est un déjeuner avec Maurice nadeau – l’éditeur qui, en<br />

france, avait imposé Witold Gombrowicz, Henry Miller, lawrence<br />

Durrell <strong>et</strong> Malcom lowry – qui me fournit l’occasion de contempler<br />

toute une exposition de dessins d’écrivains. en eff<strong>et</strong>, nadeau m’annonça<br />

au dessert qu’une galerie de la rue de seine se m<strong>et</strong>tait à sa disposition<br />

pour accrocher les œuvres qu’il allait recevoir. « Quelles œuvres ? »,<br />

demandai-je. « Des aquarelles, des collages, ce qu’ils voudront : j’ai<br />

battu le ban <strong>et</strong> l’arrière-ban des romanciers <strong>et</strong> des poètes pour qu’ils me<br />

fassent cadeau d’une œuvre originale. Je n’ai pas le choix. on prétend<br />

que mon journal, La Quinzaine littéraire, est un journal prestigieux.<br />

vrai ou faux! Mais je n’ai pas assez d’abonnés, ni assez de pub, <strong>et</strong> le<br />

déficit se creuse de mois en mois. alors, puisqu’on me les offre, je<br />

vais essayer de vendre tous ces dessins pour combler le gouffre... vous<br />

n’auriez pas deux ou trois gouaches à ajouter à ma liste ? »<br />

Pourtant nous préférons posséder des dessins d’écrivains, parce qu’ils<br />

sont nés de leur main <strong>et</strong> que leur main est le plus personnel de tous les<br />

organes de l’homme, infiniment plus que la bouche donneuse de baisers<br />

ou chantante. Si, quand elle trace des mots, la main de l’écrivain est<br />

un bonheur pour le monde, lorsqu’elle dessine, ne l’oublions pas, le<br />

regard qui la guide est un autre bonheur. Si maladroite, fruste <strong>et</strong> peu<br />

experte qu’elle soit.<br />

Anthony Burgess<br />

nous sommes nombreux à nous souvenir du succès – ce fut plus qu’un<br />

succès : un triomphe – de c<strong>et</strong>te exposition; jamais encore quelqu’un<br />

n’avait eu l’idée de couvrir les cimaises d’une galerie d’une telle quantité<br />

d’œuvres tantôt habiles, tantôt maladroites, tantôt presque enfantines,<br />

mais ornées de ces noms qu’on n’aperçoit que sur des couvertures de<br />

livres. pour nous, les noircisseurs de papier, c’était plus beau <strong>et</strong> plus<br />

émouvant que si l’on nous avait permis de nous extasier devant des<br />

douzaines de tableaux récupérés du Titanic <strong>et</strong> signés toulouse-lautrec,<br />

Degas ou cézanne. il y eut foule <strong>et</strong> je dus m’estimer heureux d’acquérir,<br />

en jouant des coudes, un Coin de table de raymond Queneau, un Bureau<br />

de claude simon <strong>et</strong> une couvée de poussins due à nathalie sarraute.<br />

Un an, deux ans, dix ans... peu à peu la collection s’étoffait, je sus ce<br />

qu’était la drogue. <strong>et</strong> je n’eus plus honte de c<strong>et</strong>te folie qui m’habitait<br />

chaque jour davantage, qui était une folie pas tout à fait comme les<br />

autres, une folie presque honorable <strong>et</strong> qui ne m’entraînerait pas jusqu’à<br />

sainte-anne. on me signalait un pastel à Hambourg, j’accourais; un<br />

collage à Madrid, je sautais dans l’avion. Une course d’où l’on ne sortait<br />

pas toujours vainqueur mais qui, toujours, était excitante.<br />

aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de dresser un bilan. certes,<br />

des dizaines <strong>et</strong> des dizaines de paysages, de scènes de rues, des<br />

compositions géométriques ou abstraites, des croquis réalistes <strong>et</strong> des<br />

inventions surréalistes, des portraits <strong>et</strong> des autoportraits ont été réunis,<br />

<strong>et</strong> cela constitue une sorte de p<strong>et</strong>it musée que ma femme <strong>et</strong> moi visitons<br />

volontiers. cependant, il est bon qu’un moment arrive où il convient de<br />

renoncer à c<strong>et</strong>te insatiable chasse au snark <strong>et</strong> de laisser à des amateurs<br />

inconnus le soin d’entrer en campagne.<br />

le miracle d’une collection, c’est de survivre en allant compléter<br />

celle des autres. il y a un peu plus de vingt ans, en 1991, nous avons<br />

cédé notre maison d’édition. ce fut une décision difficile, <strong>et</strong>, avouons-le,<br />

une déchirure. pourtant, c<strong>et</strong>te maison d’édition, désormais en d’autres<br />

mains, perpétue notre nom à saint-Germain-des-prés. eh bien, nous<br />

espérons qu’il en sera de même avec tel tableau ou tel dessin dont nous<br />

nous séparons, lorsque, demain, il figurera dans un nouveau catalogue,<br />

accompagné de la mention : « ancienne collection pierre <strong>et</strong> franca<br />

belfond ».<br />

p. b.

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