RECHERCHES - Bibliothèque municipale de Senlis
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<strong>RECHERCHES</strong><br />
SUR<br />
DIVERS LIEUX DU PAYS DES SILVANECTES.<br />
ÉTUDES SUR LES ANCIENS CHEMINS DE CETTE CONTRÉE, GAUL0IS,<br />
ROMAINS, GAULOIS ROMANISÉS ET MÉROVINGIENS,<br />
PAR M. PEIGNÉ DELACOURT, MEMBRE DU COMITÉ.<br />
J'ai cherché à reconnaître ce qu'a été, dès les temps<br />
anciens, le pays <strong>de</strong>s Silvanectes. Je reproduis ce que<br />
j'ai trouvé dans les textes, à diverses époques, jusqu'à la<br />
fin <strong>de</strong> la domination <strong>de</strong>s Romains dans la Gaule septentrionale.<br />
On comprendra, en lisant les citations suivantes,<br />
qu'il m'ait fallu trouver ailleurs que dans les livres les<br />
vestiges <strong>de</strong> l'antiquité gauloise pour ce petit pays, qui n'a<br />
que très-peu <strong>de</strong> lignes à lui dans l'histoire et à dater<br />
seulement <strong>de</strong> l'époque gallo-romaine, bien qu'on puisse<br />
suivre sur le terrain les indices <strong>de</strong> son existence à diverses<br />
époques plus reculées.<br />
1° J. César et Hirtius n'ont rien dit sur les Silvanectes.<br />
Faut-il attribuer ce silence au peu d'importance <strong>de</strong> ce ter-<br />
12
— 162 —<br />
ritoire? Existait-il une ville principale? Quel était son<br />
nom ?<br />
2° Le géographe Strabon, qui vivait sous Tibère, indique<br />
(L. IV) le passage d'une <strong>de</strong>s quatre gran<strong>de</strong>s routes<br />
stratégiques parlant <strong>de</strong> Lyon, celle qui conduisait dans<br />
la Belgique et gagnait l'Océan par Beauvais et Amiens.<br />
L'auteur ne fait mention d'aucun autre point intermédiaire.<br />
3° Pline le jeune, contemporain <strong>de</strong> Domitien et <strong>de</strong> Trajan,<br />
classe les Ulmanectes ou Ulbanectes liberi dans la<br />
Belgique; mais cette attribution s'applique-t-elle bien<br />
aux Silvanectes? Le nom que portait cette contrée a-t-il<br />
été changé par les Romains en celui <strong>de</strong> Silvanectes, composé<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parties, la première latine (Silva, forêt), la<br />
secon<strong>de</strong> gauloise ? L'addition <strong>de</strong> la lettre S, omise dans le<br />
texte, doit-elle être considérée, suivant l'avis d'Adrien <strong>de</strong><br />
Valois et <strong>de</strong> Banville, comme complétant le mot donné<br />
par l'auteur romain?<br />
4° Ptolémée, le géographe grec, qui vivait au second<br />
siècle <strong>de</strong> l'ère chrétienne, a-t-il dû en conséquence rétablir<br />
le nom <strong>de</strong> Subanecti, auquel il ajouta celui <strong>de</strong> leur<br />
capitale, Ratomagus ou Ratumagus, et l'appellation<br />
qu'il donne ne serait-elle pas Silvanecti défiguré ?<br />
Il n'entre pas dans le plan que j'ai adopté, <strong>de</strong> chercher<br />
à accor<strong>de</strong>r ces différents textes ni d'expliquer les origines<br />
<strong>de</strong>s noms.<br />
Pour établir l'existence avérée sous la domination<br />
romaine d'une cité <strong>de</strong>s Silvanectes, dont la capitale était<br />
Augustomagus, puis Silvanectum, il me suffira <strong>de</strong> rappeler<br />
ce qui suit :
— 163 —<br />
1° L'itinéraire d'Antonin a inscrit Augustomagus,<br />
comme station intermédiaire à l'égard <strong>de</strong> Litanobriga et<br />
<strong>de</strong> Suessones ;<br />
2° La carte Théodosienne nomme le même Augustomagus<br />
entre Fixtuinum et Cœsaromagus;<br />
3° Sur la Notice <strong>de</strong>s dignités <strong>de</strong> la Province <strong>de</strong> la<br />
Gaule, figure la Civitas Silvanectum;<br />
4° Dans la Notice <strong>de</strong>s Dignités <strong>de</strong> l'Empire, on lit :<br />
Prœfectus Lœtorum gentilium Remos et Silvanectas Belgicœ<br />
secundae.<br />
Si l'on recherche quels sont les vestiges du pays <strong>de</strong>s<br />
Silvanectes, une fois admis comme peupla<strong>de</strong> isolée et distincte,<br />
avant l'invasion <strong>de</strong>s Belges, cette branche <strong>de</strong>s<br />
Germains, qui, après avoir traversé le Rhin, chassèrent,<br />
suivant le texte <strong>de</strong> J. César, les Gaulois <strong>de</strong>s lieux fertiles<br />
qu'ils occupaient (1), on trouve, pour la première pério<strong>de</strong>,<br />
divers travaux accomplis par la main <strong>de</strong> l'homme<br />
au berceau <strong>de</strong> la civilisation, à savoir les oppidum, les<br />
haches et pointes <strong>de</strong> flèches en pierre, et les poteries les<br />
plus grossières.<br />
La secon<strong>de</strong> pério<strong>de</strong> commence au moment où les véhicules<br />
à roues sont usités, les chemins tracés, et lorsque<br />
les mélaux <strong>de</strong> facile fusion, et les monnaies, les unes<br />
coulées, les autres frappées, indiquent l'avancement progressif<br />
<strong>de</strong> l'industrie, par suite <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong>s Gaulois<br />
avec les peuples plus avancés en civilisation.<br />
(1) Plerosque Belgas ortos à Germanis, Rhenumque antiquitus traductos,<br />
propler loci fertilitatem, ibi consedisse, Gallosque, qui in ea<br />
loea incolerent, expulisse. — De Bello Gallico. Lib. i.
— 164 —<br />
La contrée du <strong>Senlis</strong>is m'a présenté, réunis, dans un<br />
espace très-borné, ces éléments <strong>de</strong> la science agricole et<br />
industrielle, avec leurs caractères spéciaux.<br />
Le but que je me suis proposé consiste à les signaler.<br />
Chacun pourra visiter ces monuments, et recueillir <strong>de</strong>s<br />
débris <strong>de</strong> l'art le plus primitif. En effet :<br />
1° Les trois oppidum <strong>de</strong> Rhuis, <strong>de</strong><strong>Senlis</strong> et <strong>de</strong> Gouvieux<br />
représentent largement, et dans un rayon restreint, le<br />
système <strong>de</strong> défense pratiqué par les Gaulois, à l'époque<br />
<strong>de</strong> l'âge <strong>de</strong> pierre. On y trouve les armes et les instruments<br />
en silex caractéristiques.<br />
2° Les tronçons <strong>de</strong> routes gauloises, conservant la trace<br />
particulière <strong>de</strong>s voitures <strong>de</strong> forme étroite, y sont encore<br />
parfaitement visibles.<br />
3° Les armes en bronze, <strong>de</strong>s monnaies coulées ou frappées<br />
dans les <strong>de</strong>rniers temps <strong>de</strong> l'époque gauloise, ont le<br />
type grec. L'invasion romaine viendra bientôt démontrer<br />
à nos ancêtres la supériorité <strong>de</strong>s armes en fer aux mains<br />
<strong>de</strong> leurs ennemis.<br />
Aux temps <strong>de</strong> la conquête romaine, il est fort difficile<br />
d'assigner la part qui revient aux Gaulois, et celle qui<br />
appartient aux Germains ou aux Belges, dans l'état où<br />
se trouvait parvenue la science agricole dans le nord <strong>de</strong><br />
la Gaule. Cependant, comme J. César nous apprend que<br />
les vrais Germains qu'il vient <strong>de</strong> nommer furent attirés<br />
par la fertilité du sol dans la contrée qui prit le nom <strong>de</strong><br />
Belgique, on doit en conclure que les travaux agricoles<br />
commencèrent d'abord dans cette <strong>de</strong>rnière région où un<br />
climat plus doux favorisait le développement <strong>de</strong> la culture,
— 165 —<br />
Ce furent les richesses acquises par le travail agricole<br />
qui y appelèrent leurs belliqueux voisins.<br />
Il suffît <strong>de</strong> jeter les yeux sur la carte géologique du<br />
bassin <strong>de</strong> Paris pour saisir la condition dans laquelle se<br />
trouve la contrée située entre Paris au Nord, le cours<br />
<strong>de</strong> l'Aisne à l'Est, et l'Oise au Sud et à l'Ouest, pour<br />
reconnaître que le calcaire grossier, qui fut autrefois déposé<br />
par masses dans ce vaste plateau, est resté presque<br />
à fleur du sol actuel. La couche d'humus qui s'est formée<br />
successivement par la décomposition <strong>de</strong>s feuilles et <strong>de</strong>s<br />
végétaux (1) fertilisa cette contrée et la rendit propre à<br />
la culture <strong>de</strong>s céréales et <strong>de</strong>s plantes fourragères.<br />
Les Gaulois, ces maîtres <strong>de</strong>s Romains dans l'art <strong>de</strong><br />
cultiver les terres (2), avaient <strong>de</strong>puis longtemps défriché<br />
(1) Sans doute, dans les temps primitifs, une végétation arborescente<br />
avait pu s'établir peu à peu dans ces parages, mais une fois coupés, ces<br />
arbres ne se reproduisirent plus.<br />
Autant en fut-il dans les contrées méridionales, en Italie, en Afrique,<br />
etc. L'imprévoyance <strong>de</strong>s hommes condamna <strong>de</strong> vastes espaces <strong>de</strong><br />
terres sableuses, maintenant ari<strong>de</strong>s, à une stérilité permanente. — Mé-<br />
moire <strong>de</strong> M. A. Maury, Forêts <strong>de</strong> la France dans l'Antiquité, in-4°, 1856.<br />
(2) Les Gaulois alternaient les récoltes qu'ils <strong>de</strong>mandaient aux mêmes<br />
terres. Ils perfectionnèrent la charrue en y adaptant <strong>de</strong>s roues ; ils<br />
connaissaient l'usage <strong>de</strong> la marne et <strong>de</strong>s engrais, et savaient employer<br />
les plantes fourragères et légumineuses pour nourrir les bestiaux et<br />
fertiliser le sol ; ils les enfouissaient elles-mêmes à propos.<br />
La culture <strong>de</strong> la vigne, l'art <strong>de</strong> faire le vin et <strong>de</strong> fabriquer <strong>de</strong>s<br />
tonneaux leur étaient familiers. L'orge leur servait pour certains ali-<br />
ments et pour en tirer la bière. Partout où le besoin s'en était fait<br />
sentir, ils avaient défriché les bois et pratiqué l'écobuage. Ils élevaient<br />
<strong>de</strong>s bestiaux dans leurs prairies et dans les bois.
— 166 —<br />
les terrains. Jules-César n'a-t-il pas, au II e livre <strong>de</strong>s<br />
Commentaires, vanté les champs <strong>de</strong>s Suessions (latissimos<br />
feracissimosque agros)? La contrée <strong>de</strong>s Silvanectes,<br />
contiguë, se trouvait dans une condition analogue.<br />
Il était arrivé probablement qu'à l'époque' où cette<br />
région <strong>de</strong> la Gaule commença d'être habitée par suite<br />
<strong>de</strong> la migration <strong>de</strong>s hommes du nord <strong>de</strong> l'Asie qui<br />
suivaient ce qu'on a nommé le courant indo-germanique,<br />
les familles ou les tribus trouvèrent à leur disposition,<br />
pour s'y réunir, <strong>de</strong> larges espaces formant <strong>de</strong>s clairières<br />
et bornés par <strong>de</strong>s frontières naturelles, à savoir, les<br />
grands cours d'eau, les chaînes <strong>de</strong> montagnes et surtout<br />
Pour terminer cette digression, je citerai le passage suivantd'un livre<br />
très-intéressant <strong>de</strong> M. V. Cancalon, sur l'agriculture chez les Gaulois.<br />
Ce fait seul prouve à quel point l'industrie agricole <strong>de</strong> ce peuple était<br />
avancée. « Dans certaines parties <strong>de</strong> la Gaule, on se servait d'une ma-<br />
» chine fort ingénieuse pour moissonner, et dont Pline, liv. XVIII et Pal-<br />
» ladius, liv. VIII, c 2, ont fait l'éloge. Elle offrait l'avantage d'épargner<br />
» la main-d'œuvre et <strong>de</strong> terminer rapi<strong>de</strong>ment la moisson. On avait un<br />
» chariot carré et monté sur <strong>de</strong>ux petites roues. Les faces <strong>de</strong> ce chariot<br />
» étaient garnies <strong>de</strong> planches renversées en <strong>de</strong>hors. Elles portaient <strong>de</strong><br />
» petites <strong>de</strong>nts recourbées par en haut. Sur le <strong>de</strong>rrière du chariot se<br />
» trouvaient <strong>de</strong>ux brancards très-courts auxquels on attelait, à l'ai<strong>de</strong><br />
» d'un joug, un bœuf qui avait la tête tournée vers le chariot. Le bœuf,<br />
» en marchant, le poussait <strong>de</strong>vant lui, et le promenait à travers la<br />
» moisson ; les épis se trouvaient alors saisis par les petites <strong>de</strong>nts dont<br />
» étaient garnies les planches, étaient séparés du chaume et tombaient<br />
» dans l'intérieur du chariot. Le bouvier suivait par <strong>de</strong>rrière et diri-<br />
» geait l'instrument qui pouvait s'élever ou se baisser suivant les cas.<br />
» Cette métho<strong>de</strong>, ajoute Palladius, était bonne pour les pays plats et<br />
» les terres dont la surface était unie. »
— 167 —<br />
les forêts. Ces frontières furent annulées à dater du jour<br />
où les Belges implantés sur le sol, Suessions, Bellovaques,<br />
etc., dominateurs <strong>de</strong>s Gaulois, obéissant à cet entraînement<br />
qui porte les hommes puissants à tenir sous leur<br />
domination leurs voisins plus faibles, eurent pris possession,<br />
les premiers jusqu'à Verberie et ses environs (1),<br />
touchant au point qui domine Rhuis, les seconds <strong>de</strong>puis<br />
la limite formée par la vallée <strong>de</strong> Roberval jusqu'aux<br />
environs <strong>de</strong> la Morlaye et <strong>de</strong> Beaumont, et par conséquent<br />
<strong>de</strong>s hauteurs qui bor<strong>de</strong>nt la rive gauche <strong>de</strong><br />
l'Oise. Ce fut alors que les Silvaneetes durent se retirer<br />
vers le Sud et à l'Est <strong>de</strong> leur contrée. Le savant et trèsregrettable<br />
auteur <strong>de</strong>s Annuaires du département <strong>de</strong><br />
l'Oise, M. Graves, a montré le premier l'anomalie <strong>de</strong> cette<br />
disposition <strong>de</strong>s frontières, mais il n'a point cherché à<br />
l'expliquer.<br />
Il s'exprime ainsi (2) :<br />
« Quant aux paroisses situées à la gauche <strong>de</strong> l'Oise,<br />
» <strong>de</strong>puis la Morlaye jusqu'à Rhuis, nous ignorons com-<br />
» plètement sous quelle influence on méconnut la limite<br />
» si naturelle donnée par le cours <strong>de</strong> la rivière pour<br />
» ajouter à un diocèse déjà considérable une ban<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
» terrain sans importance, et pour établir une limite ar-<br />
» bitraire au milieu <strong>de</strong>s bois. Nous ne savons pas davan-<br />
» tage pourquoi ce changement <strong>de</strong> circonscription s'arrêta<br />
(1) Ver-bria, l'un <strong>de</strong>s noms anciens <strong>de</strong> ce lieu, est composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
mots signifiant Barrière et Pont ; ce qui s'explique complètement par<br />
la situation du lieu.<br />
(2) Notice archéologique, page 97.
— 168 —<br />
» vers la très-petite paroisse <strong>de</strong> Rhuis, au lieu <strong>de</strong> re-<br />
» monter, par exemple, jusqu'à Compiègne et jusqu'au<br />
» confluent <strong>de</strong> l'Aisne. »<br />
Un autre motif qui me porte à croire que la cité <strong>de</strong>s<br />
Silvanectes, ainsi limitée à l'ouest, fut établie ou reconnue<br />
par les Romains, telle qu'ils l'avaient trouvée bornée<br />
à leur arrivée, est fondé sur l'argument suivant :<br />
Si la contrée <strong>de</strong>s Silvanectes avait été enlevée à la cité<br />
<strong>de</strong>s Bellovaques, seulement après le règne <strong>de</strong> Tibère,<br />
époque où le nombre <strong>de</strong>s divisions <strong>de</strong> la Gaule fut porté<br />
<strong>de</strong> 64 à 115, la rivière d'Oise n'aurait-elle pas été la<br />
limite naturelle? On n'eût pas laissé à ce peuple, dont<br />
on se défiait, une prédominance <strong>de</strong> position sur le peuple<br />
voisin.<br />
On pourrait, au contraire, bien qu'il n'existe pas <strong>de</strong><br />
titres qui le prouvent, inférer <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong>s Suessions<br />
sur la gauche <strong>de</strong> l'Oise à Verberie et jusqu'à Rhuis, et<br />
<strong>de</strong> ce que l'on sait <strong>de</strong> leur puissance et <strong>de</strong> l'étendue<br />
<strong>de</strong> leur contrée, que c'étaient eux qui dominaient, au<br />
moins sous le rapport politique, toute la partie du vieux<br />
<strong>Senlis</strong>is, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la base <strong>de</strong>s terrains envahis et<br />
conservés par les Bellovaques, auxquels ils assuraient<br />
ainsi, comme cours d'eau à l'intérieur <strong>de</strong> leur pays, la<br />
très-importante jouissance <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux rives <strong>de</strong> l'Oise. Ainsi<br />
soumise aux Suessions, cette <strong>de</strong>rnière portion du pays<br />
<strong>de</strong>s Silvanectes, qui elle-même formait la circonscription<br />
méridionale <strong>de</strong> la Cotia Silva, a dû naturellement être<br />
négligée par J. César, dans ses écrits.<br />
On voit par le passage du livre si concis et si réfléchi
— 169 —<br />
<strong>de</strong> M. J. Desnoyers, <strong>de</strong> l'Institut, sur la topographie<br />
ecclésiastique <strong>de</strong> la France (1), que ce savant auteur partage<br />
cette incertitu<strong>de</strong> et incline vers la reconnaissance<br />
d'une contrée ou d'une peupla<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Silvanectes, indépendante<br />
<strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s Bellovaci.<br />
A l'égard du pays <strong>de</strong>s Silvanectes établis primitivement<br />
dans ces lieux en partie boisés, en partie fertilisables,<br />
si l'on examine sur une carte géographique la<br />
position <strong>de</strong> ce territoire borné au Nord, à l'Est et à<br />
l'Ouest par le cours <strong>de</strong> l'Oise et <strong>de</strong> l'Autonne, on y reconnaît<br />
<strong>de</strong>s démarcations parfaites. Les vallées baignées<br />
(1) Annuaire historique pour 1862, publié par la Société <strong>de</strong> l'Histoire<br />
<strong>de</strong> France, p. 476.<br />
« Toutefois, cette dépendance (<strong>de</strong>s Silvanectes à l'égard <strong>de</strong>s Bello-<br />
vaci), si elle a réellement existé, n'a pas dû être <strong>de</strong> longue durée, et<br />
» elle n'est démontrée par aucun témoignage incontestable. Le nom<br />
» <strong>de</strong> la Capitale, Augustomagus, qui indique, par sa forme <strong>de</strong>mi-gau-<br />
» loise, <strong>de</strong>mi-romaine, une influence romaine exercée peu <strong>de</strong> temps<br />
» après César, sur une localité gauloise importante, et la qualification<br />
» <strong>de</strong> liberi, que Pline (Hist. nat., lib. iv, c. vii) donna, comme aux<br />
» Nervii, aux Suessiones et aux Silvanectes, qu'il a cités, tout en alté-<br />
» rant leur nom sous la forme d'Ulbanectes ou d''Ulmanectes, montrent<br />
» qu'avant la fin du I er siècle, au moins, un territoire parfaitement dis-<br />
» tinct, couvert en partie <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s forêts dont les vestiges sont encore<br />
» considérables, a dû servir <strong>de</strong> base à la division politique consignée<br />
» dans la Notifia Prov. et Civit. Gall., et à la division ecclésiastique<br />
» qui lui a succédé, sous le nom <strong>de</strong> Civitas Silvanectum, ou Silvanec-<br />
» tensium. »<br />
« Le rang que ce peuple tient dans les plus anciennes rédactions <strong>de</strong><br />
» la Notice, où il est placé le huitième, avant les Bellovaci, les Ambiant,<br />
» et les Morini, est un autre témoignage <strong>de</strong> leur antiquité et <strong>de</strong> leur<br />
» indépendance comme peupla<strong>de</strong> gauloise. »
— 170 —<br />
par la Thève et la Thérouanne, défen<strong>de</strong>nt l'autre partie du<br />
territoire vers le Sud et complètent pour ainsi dire<br />
l'enceinte.<br />
Oppidum <strong>de</strong> Rhuis.<br />
Il y a <strong>de</strong>ux ans, M. Huillard-Bréholles, revenant d'une<br />
excursion aux environs <strong>de</strong> Verberie, me fit part <strong>de</strong> l'opinion<br />
qu'il s'était formée sur Rhuis. C'est que le mont<br />
Catillon qui domine ce lieu pouvait représenter le Ratomagus<br />
<strong>de</strong> Ptolémée. Il était conduit à cette idée par le<br />
nom d'un cours d'eau qui passe au bas <strong>de</strong> ce tertre isolé,<br />
et qui s'appelle le rù <strong>de</strong> la Rouanne. S'il eût visité les<br />
hauteurs <strong>de</strong> Rhuis, je suis certain qu'il aurait complété<br />
son idée, en reconnaissant l'analogie <strong>de</strong> ce lieu avec les<br />
autres oppidum <strong>de</strong> la contrée.<br />
Je regar<strong>de</strong> comme un témoignage, à l'appui <strong>de</strong> cette<br />
donnée, l'existence que je viens signaler, d'un point<br />
important <strong>de</strong> défense, en un lieu situé sur la rive gauche<br />
<strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> vallée <strong>de</strong> l'Oise, à l'extrémité d'un mont,<br />
ou pour mieux dire, d'un promontoire qui domine Rhuis<br />
et d'où la vue s'étend sur les environs <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong><br />
Verberie et <strong>de</strong> Pont-Ste.-Maxence, entre lesquelles il est<br />
situé. Cette enceinte, dont le contour dépasse quatre<br />
kilomètres, naturellement défendue par <strong>de</strong>s ravins profonds,<br />
est abordable <strong>de</strong> plainpied, à la base du côté<br />
<strong>de</strong> l'Est seulement, sur une lisière <strong>de</strong> 7 à 800 mètres,<br />
et suivant la direction <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> route <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à<br />
Verberie. Elle offre, par les avantages <strong>de</strong> sa position,<br />
tous les caractères que j'ai précé<strong>de</strong>mment signalés dans
- 171 -<br />
les oppidum gaulois disséminés sur les bords <strong>de</strong> l'Oise et<br />
<strong>de</strong> ses vallées collatérales, telles que Offémont, le Mont<br />
<strong>de</strong> Noyon, Nampcel, Epagny, etc.<br />
Un marais présentant divers prolongements sinueux et<br />
les prairies basses et ruisselantes <strong>de</strong>s Noues <strong>de</strong> St. Martin<br />
et <strong>de</strong> St.-Remy, enveloppe le promontoire à l'Est, à<br />
l'Ouest et au Sud. Ces lieux portent sur les feuilles du<br />
cadastre et sur la carte du dépôt <strong>de</strong> la guerre le nom<br />
défiguré <strong>de</strong> Noël. Divers actes <strong>de</strong>s XIII e et XIV e siècles leur<br />
donnent celui <strong>de</strong> Noa, qui signifie un pâturage entrecoupé<br />
<strong>de</strong> ruisseaux, où l'eau abon<strong>de</strong> : (locus pascuus et<br />
irriguus. — Du Cange.)<br />
Le vallon <strong>de</strong> Roberval continue au Sud la gran<strong>de</strong> fosse,<br />
en forme <strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-cercle, qui se complète au Nord par la<br />
vallée <strong>de</strong> l'Oise, où se trouve situé le village <strong>de</strong> Rhuis,<br />
qui faisait partie autrefois du diocèse <strong>de</strong> Soissons. La<br />
surface <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> l'enceinte <strong>de</strong> l'oppidum est sensiblement<br />
horizontale : seulement, sur un point d'où une<br />
ligne tirée <strong>de</strong> l'Ouest à l'Est réunirait le vallon <strong>de</strong> Roberval<br />
, qui appartenait au diocèse ancien <strong>de</strong> Beauvais,<br />
qu'il limitait, à la gran<strong>de</strong> vallée <strong>de</strong> l'Oise, en traversant<br />
une ligne <strong>de</strong> 3S0 mètres environ, l'on trouve une anfractuosité<br />
qui rétrécit cet espace et porte le nom <strong>de</strong> la<br />
Terrière. Sur cette cor<strong>de</strong>, existent <strong>de</strong>ux buttes <strong>de</strong> petite<br />
dimension formées évi<strong>de</strong>mment par un emprunt fait au<br />
terrain adjacent.<br />
Des fouilles indiqueront ultérieurement s'il s'y trouvera<br />
quelques sépultures ou vestiges <strong>de</strong> l'époque la plus reculée<br />
, ou si ce sont seulement <strong>de</strong>s rudiments <strong>de</strong> remparts<br />
romains.
— 172 -<br />
Une partie régulièrement disposée par la main <strong>de</strong><br />
l'homme en colline circulaire <strong>de</strong> 100 mètres <strong>de</strong> diamètre,<br />
située à l'Est <strong>de</strong> la première enceinte, domine ce plateau.<br />
À l'extrémité du promontoire et à l'Ouest, <strong>de</strong>s débris<br />
<strong>de</strong> tuiles à rebords dénotent l'emplacement d'habitations<br />
romaines sur ce point dominant.<br />
Le territoire <strong>de</strong> Rhuis offre divers monuments <strong>de</strong> l'époque<br />
gauloise.<br />
« Rhuis, dit M. Graves {Notice archéologique sur le<br />
» canton <strong>de</strong> Pont-Ste.-Maxence), est un lieu d'une haute<br />
» antiquité et probablement un <strong>de</strong>s établissements que<br />
» les Gaulois avaient faits sur les bords <strong>de</strong> l'Oise, dans<br />
» le voisinage <strong>de</strong>s forêts qui couvraient alors la plus gran<strong>de</strong><br />
» partie du pays compris entre la Seine et la Somme. Son<br />
» origine semble confirmée par l'existence d'un monu ment<br />
» druidique dont on voit les restes à 600 mètres environ<br />
» du village, dans les prairies voisines <strong>de</strong> l'Oise, à 150<br />
» mètres au plus du bord méridional <strong>de</strong> cette rivière. On<br />
» trouve en ce lieu, précisément sur la limite <strong>de</strong> la<br />
» commune <strong>de</strong> Verberie, une masse <strong>de</strong> grès, haute <strong>de</strong> 6<br />
» pieds, large <strong>de</strong> 5 ou 6, épaisse <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pieds, plantée<br />
» perpendiculairement en terre où elle s'enfonce <strong>de</strong> 4<br />
» pieds. Une pierre pareille, mais haute seulement <strong>de</strong> 5<br />
» pieds, un peu inclinée, était à 50 pas à l'Ouest <strong>de</strong> la<br />
» première ; elle a été brisée en 1793. Deux autres blocs<br />
» <strong>de</strong> moindre dimension existaient il y a 80 ans près <strong>de</strong><br />
» celle-ci.<br />
» La tradition locale veut que ces masses <strong>de</strong> grès, qui<br />
» paraissent provenir <strong>de</strong>s hauteurs <strong>de</strong> la forêt <strong>de</strong> Halatte,<br />
» soient l'indice <strong>de</strong> sépultures gauloises. »
— 173 —<br />
« La tradition désignait <strong>de</strong> tout temps, comme un lieu<br />
» <strong>de</strong> sépulture, un tertre placé près <strong>de</strong> la route <strong>de</strong> Pont-<br />
» Ste-Maxence à Verberie, à peu près vis-à-vis le chemin<br />
» <strong>de</strong> St.-Pierre. Lorsqu'on rectifia le tracé dans l'année<br />
» 1841, on détruisit l'érninence dont il s'agit, et qui<br />
» portait le nom <strong>de</strong> Pierre Huitaine. Les déblais mirent<br />
» à découvert plusieurs pierres superposées, enfouies<br />
» dans le sable, et plus bas, <strong>de</strong>ux gros blocs fichés, sup-<br />
» portant une table horizontale au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> laquelle<br />
» était un squelette humain <strong>de</strong> très-gran<strong>de</strong> taille. Ce fait<br />
» vient à l'appui <strong>de</strong> l'opinion qui considère les dolmens<br />
» comme <strong>de</strong>s tombeaux et non comme <strong>de</strong>s autels (1).<br />
D'autres roches appartenant à l'étage du calcaire siliceux<br />
supérieur au calcaire grossier sont réunies, non<br />
loin <strong>de</strong> là, près <strong>de</strong> Maurû. Plusieurs d'entr'elles paraissaient<br />
placées par la main <strong>de</strong>s hommes. M. <strong>de</strong><br />
Verneuil, <strong>de</strong> l'Institut, dont on connaît la science et l'expérience<br />
en matière <strong>de</strong> géologie, croit qu'elles ont pu<br />
rester là par hazard, telles que les a laissées le diluvium<br />
<strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong> l'Oise. Je m'incline <strong>de</strong>vant cette autorité.<br />
À peu <strong>de</strong> distance <strong>de</strong> ce point, et du même côté <strong>de</strong> la<br />
route, existe un menhir qui a été mutilé : la partie supérieure<br />
<strong>de</strong> cette pierre levée est gisante à quelques pas <strong>de</strong><br />
là. Le monument avait 2 mètres environ <strong>de</strong> hauteur, 40<br />
centimètres d'épaisseur et 75 à 80 centimètres <strong>de</strong> largeur.<br />
A partir <strong>de</strong> St.-Germain, lieu situé entre Verberie et<br />
Rhuis, un grand chemin, qui <strong>de</strong> la vallée conduit sur le<br />
promontoire, offre les caractères d'une haute antiquité.<br />
(1) Graves, Notice archéol. sur le dépt <strong>de</strong> l'Oise, p. 24.
— 174 —<br />
Cette voie est bornée à la longueur <strong>de</strong> la rampe qui, <strong>de</strong> la<br />
plaine, gagne la hauteur, et présente une largeur <strong>de</strong> 7 à 8<br />
mètres. La nécessité y a fait établir, à plusieurs reprises,<br />
un grossier pavage formé <strong>de</strong> roches juxtaposées sur la<br />
tranche. Les eaux pluviales, <strong>de</strong>scendant rapi<strong>de</strong>ment, ont<br />
creusé <strong>de</strong>s sillons ravinés qui ne permettraient le passage<br />
qu'aux chariots ou chars très soli<strong>de</strong>ment montés.<br />
Un monticule bifurqué à son sommet, témoin <strong>de</strong> l'état<br />
ancien <strong>de</strong> la surface du lieu, épargné par les eaux diluviennes<br />
lors du percement <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong> l'Oise, touche<br />
à la gauche du promontoire. Il porte le nom <strong>de</strong> Mont~<br />
Catillon.<br />
Ce dut être, tour à tour, pour les Gaulois et pour les<br />
Romains, un poste <strong>de</strong> surveillance, un accessoire <strong>de</strong><br />
l'oppidum. On y a trouvé, à plusieurs reprises, comme à<br />
Rhuis, <strong>de</strong>s haches en silex, <strong>de</strong>s pierres <strong>de</strong> fron<strong>de</strong>, etc.<br />
Cambry rapporte la tradition qui plaçait un tumulus<br />
sur le point culminant. Plusieurs sarcophages ont été<br />
découverts sur la butte même.<br />
Il donne la liste <strong>de</strong>s objets antiques trouvés près<br />
<strong>de</strong> là (1).<br />
Une autre tradition populaire et fantastique attribue ce<br />
tertre à Gargantua, qui aurait renversé là sa hotte.<br />
Le nom <strong>de</strong> Rhuis se retrouve en Bretagne près <strong>de</strong><br />
(1) Description du département <strong>de</strong> l'Oise, 1803, t. II, n° 336.<br />
Médaille gauloise, une tète casquée ; au revers, un cheval ailé, et les<br />
caractères GHCIK. Une autre : une tête au revers, un oiseau portant<br />
au bec une fleur, une brancha et 3 oiseaux.
175<br />
Vannes; il appartient à une presqu'île bien connue pour<br />
être le siège <strong>de</strong> l'abbaye bénédictine <strong>de</strong> St.-Gildas.<br />
Cette analogie <strong>de</strong> dénomination et <strong>de</strong> position exceptionnelles<br />
pourra présenter un sujet d'étu<strong>de</strong> pour les personnes<br />
versées dans la science <strong>de</strong>s étymolcgies.<br />
Oppidum <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
Les Silvanectes, ayant perdu leur frontière naturelle<br />
au nord, envahie qu'elle était par les Belges Bellovaques<br />
et Suessions, durent chercher en arrière un autre point<br />
<strong>de</strong> refuge, une nouvelle ligne <strong>de</strong> défense.<br />
Or, il existe à quinze kilomètres au sud <strong>de</strong> Rhuis un<br />
emplacement qui convenait parfaitement à l'établissement<br />
d'un véritable oppidum ; c'est le lieu même où est<br />
situé <strong>Senlis</strong>, au milieu d'une vaste enceinte <strong>de</strong> forme<br />
triangulaire en partie circonscrite par la Nonette au sud,<br />
et l'Onette au nord. Ces <strong>de</strong>ux cours d'eau s'avancent <strong>de</strong><br />
l'est à l'ouest, au fond <strong>de</strong>s vallées en partie marécageuses,<br />
et se réunissent bientôt pour se jeter dans l'Oise.<br />
Près <strong>de</strong> leur confluent, le terrain enveloppé est assez<br />
proéminent pour dominer les alentours. Sur la carte<br />
topographique <strong>de</strong> la France, la disposition <strong>de</strong>s lieux est<br />
parfaitement indiquée.<br />
Sauf quelques haches en silex, on n'avait signalé, sur<br />
ce point, aucun <strong>de</strong> ces monuments caractéristiques qui<br />
accusent l'occupation d'un lieu quelconque par les<br />
Gaulois ; mais il existe, dans la direction <strong>de</strong> la ligne<br />
<strong>de</strong> l'Oise, près du hameau <strong>de</strong> Villevert, traversé par le
— 176 —<br />
petit cours d'eau <strong>de</strong> l'Onette, une indication précise <strong>de</strong>s<br />
communications fréquentes entretenues vers le nord dans<br />
la direction <strong>de</strong> l'Oise, dès la plus haute antiquité ; c'est<br />
l'existence avérée d'un <strong>de</strong> ces chemins étroits et encaissés<br />
pratiqués par les Gaulois et les peuples du nord <strong>de</strong> l'Europe<br />
en général.<br />
L'histoire <strong>de</strong> cet oppidum <strong>de</strong>s Silvanectes après sa<br />
transformation en bourga<strong>de</strong> militaire ou castrum situé<br />
au confluent <strong>de</strong> l'Onette et <strong>de</strong> la Nonette, puis en une<br />
ville du nom d'Augustomagus, forme une suite naturelle<br />
<strong>de</strong> la première époque <strong>de</strong> son existence comme place <strong>de</strong><br />
refuge. Ce qui concerne l'époque romaine, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />
être traité dans un travail spécial. Les annales <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong><br />
au moyen-âge méritent également d'être étudiées à part.<br />
Les matériaux <strong>de</strong> cette partie intéressante <strong>de</strong> la partie au<br />
nord du diocèse <strong>de</strong> Paris, et du comté <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> lui-même,<br />
ont été heureusement conservés. La gran<strong>de</strong> collection<br />
d'Afforty, qui existe à la <strong>Bibliothèque</strong> <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, renferme<br />
<strong>de</strong> très-nombreuses indications sur l'ensemble <strong>de</strong> la contrée<br />
et spécialement sur la ville elle-même.<br />
Oppidum <strong>de</strong> Gouvieux.<br />
Il me paraît utile d'abor<strong>de</strong>r maintenant l'examen d'une<br />
autre enceinte naturellement fortifiée et présentant à<br />
l'ouest <strong>de</strong> l'ancienne circonscription du pays <strong>de</strong>s Sylvanectes<br />
les conditions d'un oppidum frontière. Je veux<br />
parler d'un promontoire voisin <strong>de</strong> St.-Leu d'Esserant,<br />
et dépendant <strong>de</strong> la commune <strong>de</strong> Gouvieux. Il est généralement<br />
connu sous le nom <strong>de</strong> Camp <strong>de</strong> César et a été décrit
- 177 -<br />
sous ce nom par Fontenu, dans les Mémoires <strong>de</strong> l'Académie<br />
<strong>de</strong>s Inscriptions, T. X. On voit, par les termes dont<br />
Oppidum <strong>de</strong> Gouvieux.<br />
LÉGENDE.<br />
A Camp, dit <strong>de</strong> César.<br />
B Prés et Marais.<br />
C Le village <strong>de</strong> Gouvieux.<br />
D Pont <strong>de</strong> St -Leu-d'Esserent-s.-1'Oise.<br />
E Les Fossés d'assainissement <strong>de</strong>s terrains marécageux.<br />
F La Frette, nom du rempart <strong>de</strong>s Romains.<br />
G Place d'un ancien Puits.<br />
H La Rivière L'onette,<br />
I L'Oise.<br />
K Champ en partie couvert <strong>de</strong> roches taillées grossièrement.<br />
L- Ilot sur l'Oise, la où aboutit Toutevoie {la Torte-Voie).<br />
M N Les Grouettes (ou fortes haies).<br />
O Partie du terrain où ont été trouvés les débris d'armes en silex.<br />
P Emplacement d'une Garenne défrichée.<br />
R Extrémité <strong>de</strong>s Marais <strong>de</strong> Chantilly.<br />
13<br />
Echelle au 40.000 e
— 178 —<br />
il se sert, que ce savant doutait fort que ce fût un camp<br />
romain; du moins, il y reconnaît un poste fortifié trèsancien,<br />
qu'il croit antérieur à celui que les Romains y<br />
établirent eux-mêmes. Cette distinction est très-remarquable,<br />
faite à une époque où les recherches sur les<br />
oppidum gaulois n'étaient pas encore entrées dans le<br />
cadre <strong>de</strong> la science <strong>de</strong> l'antiquité.<br />
M. Graves, dans la <strong>de</strong>scription du canton <strong>de</strong> Creil, qui<br />
comprend la commune <strong>de</strong> Gouvieux, a repris cette <strong>de</strong>scription,<br />
et n'a pas non plus porté son attention sur les<br />
temps antérieurs à la possession <strong>de</strong> cette partie <strong>de</strong> la<br />
Gaule par les Romains.<br />
« Ce camp, dit-il, offre une surface triangulaire,<br />
» à bords irréguliers ; les côtés parallèles aux <strong>de</strong>ux<br />
» rivières sont très-escarpés, prolongés d'environ 1,200<br />
» mètres ; le côté <strong>de</strong> l'ouest, adossé au village <strong>de</strong>s<br />
» Carrières, n'a pas plus <strong>de</strong> 600 mètres <strong>de</strong> développement.<br />
» Tout le périmètre est garni d'un rempart en terre<br />
» et moellons élevé <strong>de</strong> 6 à 8 mètres, généralement bien<br />
» conservé. Le côté étroit où était sans doute la tète du<br />
» camp, offre trois larges ouvertures ou entrées, repré-<br />
» sentant probablement la porte prétorienne et les <strong>de</strong>ux<br />
» portes principales par lesquelles on pénétrait dans l'en-<br />
» ceinte.<br />
» L'extrémité angulaire (touchant au hameau <strong>de</strong>s<br />
» Carrières) était couverte par un fort épaulement dont<br />
» les restes subsistent encore ; le centre du plateau est<br />
» plus élevé que le rempart ; un puits très-profond,<br />
» aujourd'hui comblé, était percé à cette sommité. Selon
— 179 —<br />
» la tradition locale, J. César a campé dans ce lieu,<br />
» lorsqu'il pénétra dans le pays <strong>de</strong>s Bellovaques.<br />
« On y a recueilli autrefois beaucoup d'armes qui<br />
» étaient déposées au cabinet <strong>de</strong> Chantilly, <strong>de</strong>s pierres<br />
» gravées, <strong>de</strong>s médailles romaines dont M. Cambry in-<br />
» dique une partie, T. II, p. 365, (savoir : « Julia Pia,<br />
» Nerva, Trajanus, Aug., Antoninus Pius, Domitianus,<br />
» Hadrianus, Vespasianus, Drusus Cesar, Philippus Imp.<br />
» Aug. Têtes d'Auguste et Antoine accolées, Julia<br />
» Mammea).<br />
« On y a également trouvé d'énormes morceaux <strong>de</strong><br />
» charbon, <strong>de</strong>s débris <strong>de</strong> tuiles, <strong>de</strong> poteries, <strong>de</strong>s osse-<br />
» ments humains et quelques tombeaux grossiers. »<br />
J'ajouterai sur ce lieu quelques détails qui m'ont frappé<br />
dans une visite récente. Au-<strong>de</strong>ssus du hameau <strong>de</strong> Chaumont<br />
et sur le bord du plateau en regard <strong>de</strong> la Nonette,<br />
où se trouve le lieu dit les Grouettes (1), il existe un<br />
amas <strong>de</strong> roches bouleversées, qui paraissent avoir appartenu<br />
à un amas monumental. Les pierres sont ici à un<br />
niveau supérieur à l'étage du calcaire, elles ont donc été<br />
transportées sur ce point à l'époque gauloise.<br />
Le rempart, qui affecte une forme légèrement curviligne,<br />
convexe à l'extérieur, porte le nom <strong>de</strong> la Frette<br />
(Fracta); il était surmonté, sans doute, par <strong>de</strong>s chevaux<br />
(i) Les mots Groa, Croa, ou Groua, ont, dans la basse latinité, <strong>de</strong>ux<br />
acceptions différentes; savoir, un marais ou une clôture au moyen<br />
d'une haie. Gomme cette <strong>de</strong>rnière explication est la seule admissible,<br />
en raison <strong>de</strong> la hauteur du territoire , il en résulte qu'une palissa<strong>de</strong><br />
ou frette a dû autrefois fortifier ce côté du camp, où l'abord était moins<br />
difficile que sur le reste <strong>de</strong> la circonférence du promontoire.
— 180 —<br />
<strong>de</strong> frise, dont les débris réduits en charbon ont été trouvés<br />
au couronnement <strong>de</strong> l'épaulement dont le profil en<br />
travers accuse évi<strong>de</strong>mment l'art militaire <strong>de</strong>s Romains.<br />
Il m'a suffi <strong>de</strong> parcourir l'ensemble du promontoire<br />
pour y trouver plusieurs débris <strong>de</strong> flèches en silex à une<br />
arête et <strong>de</strong> couteaux gaulois présentant <strong>de</strong>ux côtes sur<br />
la partie dorsale toujours légèrement cambrée, et à bords<br />
tellement tranchants qu'on pouvait parfaitement s'en<br />
servir pour tout usage. Le plateau présente également<br />
<strong>de</strong>s débris <strong>de</strong> tuiles et <strong>de</strong> poterie romaine. On y a trouvé<br />
autrefois <strong>de</strong>s sarcophages.<br />
J'ai offert ma petite récolte à M. l'abbé Litonois, curé<br />
<strong>de</strong> Gouvieux. Il a <strong>de</strong> suite fait, <strong>de</strong> son côté, <strong>de</strong> nouvelles<br />
recherches, et a augmenté, non sans un vif plaisir, sa<br />
collection d'armes en silex ; car c'est un homme studieux,<br />
fervent ami <strong>de</strong> ce camp, qui est une illustration <strong>de</strong> sa<br />
paroisse. Il a fait, lui-même, le don <strong>de</strong> ses trouvailles au<br />
Comité archéologique <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
Il est possible qu'un examen <strong>de</strong> détail fasse reconnaître<br />
sur la ligne frontière <strong>de</strong>s anciens Silvanectes d'autres<br />
points <strong>de</strong> défense <strong>de</strong>s Gaulois non loin du cours <strong>de</strong> l'Oise.<br />
Un chemin très-ancien qui, à partir <strong>de</strong> la voie gauloise<br />
vers le point nommé la Chaussée, allait, contournant le<br />
camp <strong>de</strong> Gouvieux, et gagnait l'Oise à l'endroit où<br />
existait, avant le barrage établi un peu plus loin, un<br />
bas fond, avec un ilôt, tout à fait convenable pour l'établissement<br />
d'un gué, placé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'embouchure <strong>de</strong><br />
la Nonette, au lieu dit <strong>de</strong> Toute-Voie. Cette route qui<br />
contourne le camp <strong>de</strong> Gouvieux, ne serait-elle pas une<br />
modification <strong>de</strong> Torte-Voie, qui s'explique d'elle seule
— 181 —<br />
par la courbure qu'elle décrit autour du promontoire?<br />
Je ne serais pas surpris que quelque acte ancien vînt<br />
confirmer un jour cette proposition.<br />
L'oppidum <strong>de</strong> Gouvieux s'étendait certainement bien<br />
au-<strong>de</strong>là du retranchement, œuvre <strong>de</strong>s Romains.<br />
Les Gaulois choisissaient pour refuge <strong>de</strong>s lieux assez<br />
vastes pour tenir leurs troupeaux enfermés dans la gran<strong>de</strong><br />
enceinte. Le camp gaulois, comme on peut le voir sur<br />
les cartes topographiques, se prolongeait, en conservant<br />
sa disposition d'isolement, jusqu'au hameau <strong>de</strong> la Chaussée,<br />
qui a pris évi<strong>de</strong>mment son nom du passage d'une<br />
voie romaine, comme le prouve le pavimentum qui a été<br />
trouvé à 2 m en contre-bas <strong>de</strong> la route actuelle, pendant<br />
l'exécution <strong>de</strong> travaux entrepris récemment sur ce point.<br />
Il a été facile <strong>de</strong> reconnaitre la couche épaisse <strong>de</strong> ciment<br />
sur laquelle reposent les dalles. C'est l'unique échantillon<br />
<strong>de</strong> pavimentum que je connaisse dans cette contrée.<br />
A ce point, le promontoire, là même où le terrain s'infléchit,<br />
offre la trace d'autres travaux <strong>de</strong> défense, une<br />
frette probablement. On y construisit au moyen-âge un<br />
. château-fort qui forma cette partie <strong>de</strong> l'enceinte, complétée<br />
par les marais et les eaux <strong>de</strong> la Nonette.<br />
Je dois, par discrétion, laisser à M. Litonois le soin <strong>de</strong><br />
publier ses étu<strong>de</strong>s sur la campagne <strong>de</strong> J. César contre les<br />
Bellovaques. Il trouve à Gouvieux même le fameux oppidum<br />
<strong>de</strong>s Bellovaques, et les autres phases ou actions, à<br />
proximité; le tout sur la rive gauche <strong>de</strong> l'Oise. Nous<br />
avons parcouru ensemble les lieux où il en place les<br />
épiso<strong>de</strong>s principaux. Il a consenti avec toute bonne, grâce,
— 182 —<br />
à changer la position qu'il donnait d'abord aux <strong>de</strong>ux<br />
camps, à rétablir, sur le camp dit <strong>de</strong> César, l'oppidum <strong>de</strong>s<br />
Gaulois, ,et à placer sur la colline voisine, à l'est, le lieu<br />
choisi par les Romains, en face <strong>de</strong>s Bellovaques. Cela<br />
fait, j'avoue en toute sincérité que les raisons que m'a<br />
données mon savant et convaincu collègue <strong>de</strong> ses préférences<br />
pour Gouvieux et ses environs, m'ont paru trèsjudicieuses.<br />
Toutefois, je trouve aussi que l'emplacement<br />
d'Offemont, tel que je l'ai donné, est bon et soli<strong>de</strong> (1) !!<br />
Quelques mots <strong>de</strong> plus, s'ils avaient été ajoutés au<br />
texte <strong>de</strong> l'historien, tireraient d'embarras les personnes<br />
qui s'obstinent à chercher le vrai sens <strong>de</strong> ces récits<br />
énigmatiques où l'on trouve le mot <strong>de</strong> double ou triple<br />
façon, même en l'étudiant sur le terrain.<br />
Camp <strong>de</strong> César à Catenoy.<br />
En raison <strong>de</strong> la proximité <strong>de</strong>s lieux, je rappellerai ici<br />
le camp <strong>de</strong> Catenoy, près <strong>de</strong> Sacy-le-Grand. On ne saurait<br />
y méconnaître une place <strong>de</strong> refuge analogue à celle <strong>de</strong><br />
Gouvieux. Mais celle-ci, située au nord <strong>de</strong> l'Oise, servait<br />
nécessairement <strong>de</strong> point <strong>de</strong> défense à une peupla<strong>de</strong> gauloise<br />
autre que celle <strong>de</strong>s Silvanectes.<br />
Le Musée <strong>de</strong> Beauvais renferme une foule d'objets <strong>de</strong><br />
guerre et d'industrie gauloise qui ont été recueillis par<br />
M. Ledicte-Duflos, et par mon digne ami M. Houbigant,<br />
sur remplacement <strong>de</strong> cet oppidum.<br />
(1) Recherches sur la eampagae <strong>de</strong> J. César contre les Bellovaques.<br />
1863, in-8°.
— 183 —<br />
Chemins gaulois.<br />
Ces routes, les plus anciennes que l'homme en société<br />
ait établies, n'étaient originairement que <strong>de</strong>s sentiers,<br />
avant qu'il eût commencé d'employer le cheval attelé ou<br />
le bœuf. Elles ont pris naturellement l'aspect <strong>de</strong> cavées,<br />
<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s entailles, sur tous les points où la déclivité<br />
du terrain, le défaut <strong>de</strong> cohésion ou la désagrégation <strong>de</strong>s<br />
matériaux, <strong>de</strong>s sables surtout, facilitaient leur entraînement<br />
sur les pentes. Les ruisseaux <strong>de</strong>sséchés forment<br />
<strong>de</strong>s passages bien disposés et ensablés pour <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s<br />
sentiers.<br />
Dans les pays plats eux-mêmes, la fréquence du passage<br />
dans les terres meubles ou dans les sables se reconnaît<br />
à la fissure fréquemment accusée.<br />
Les Gaulois, comme je l'ai dit dans mon premier Mémoire<br />
sur ce sujet (1), ont eu un système particulier<br />
<strong>de</strong> routes : « Tandis que les Romains construisent<br />
» les routes avec un luxe <strong>de</strong> solidité qui a pour ainsi<br />
» dire éternisé ces ouvrages <strong>de</strong> Pharaons, marchent<br />
» droit au but, surmontent les obstacles, comblent<br />
» les vallées, jètent <strong>de</strong>s ponts hardis et donnent à la<br />
» chaussée un relief qui permet <strong>de</strong> suivre au loin<br />
» leur tracé; au contraire, les Gaulois, tout en pra-<br />
» tiquant leurs chemins aussi directement que le per-<br />
» mettaient les difficultés <strong>de</strong>s terrains qu'ils tournaient<br />
(1) Recherches sur la position <strong>de</strong> divers lieux du Soissonnais, t. xiv<br />
<strong>de</strong>s Mém.<strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s Antiquaires <strong>de</strong> Picardie, 1856. La lecture<br />
en fut faite dans la séance du 30 juin <strong>de</strong> la même année.)
- 184 -<br />
» et n'affrontaient pas, leur ont laissé un caractère tout<br />
» particulier qui se révèle par <strong>de</strong> fréquentes ondulations.<br />
» Loin d'être en saillie, ces routes sont généralement en-<br />
» caissées ; elles offrent en rase campagne une largeur<br />
» suffisante pour le passage <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux chars ; la voie est<br />
» réduite <strong>de</strong> moitié si l'encaissement est profond. Evi-<br />
» tant avec adresse les cours d'eau, les Gaulois connais-<br />
» saient cependant l'art <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s ponts formés<br />
» par <strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> pieux reliés par <strong>de</strong>s traverses. Mais,<br />
» le plus souvent, ils choisissaient, pour le passage <strong>de</strong>s ri-<br />
» vières, les endroits guéables, et pratiquaient <strong>de</strong>s bacs<br />
» près <strong>de</strong> ces points, pour la traversée au moment <strong>de</strong>s<br />
» basses eaux. »<br />
Quelques observations isolées, insérées dans le recueil<br />
<strong>de</strong>s Antiquaires <strong>de</strong> Normandie, par MM. Le Prévost,<br />
Gaillard, Feret et <strong>de</strong> Gerville, indiquent bien que cette<br />
particularité d'aspect <strong>de</strong> certains chemins anciens avait<br />
frappé leur attention.<br />
M. Norris Brewer les a également signalés, mais sans les<br />
considérer comme faisant partie d'un système complet <strong>de</strong><br />
viabilité. Tous disent seulement que quelques-unes <strong>de</strong> ces<br />
routes sont, peut-être, antérieures à la conquête romaine.<br />
M. <strong>de</strong> Caumont, dont le nom ne doit être prononcé<br />
qu'avec respect et gratitu<strong>de</strong>, car sa science et son dévouement<br />
ont puissamment servi à répandre l'entraînement<br />
vers les étu<strong>de</strong>s archéologiques, résume en ces termes<br />
l'état où se trouvaient les connaissances acquises jusquelà.<br />
(Tom. I, p. 201, Cours d'Antiquités monumentales).<br />
« On ne peut douter que les Gaulois, qui transportaient<br />
» leurs <strong>de</strong>nrées et leurs marchandises sur <strong>de</strong>s chevaux
— 185 —<br />
» ou <strong>de</strong>s chariots, n'eussent <strong>de</strong>s routes pour communi-<br />
» quer d'une contrée à l'autre, et pour accé<strong>de</strong>r aux<br />
» établissements <strong>de</strong> quelque importance; mais il est<br />
» bien difficile aujourd'hui <strong>de</strong> reconnaître ces anciennes<br />
» voies, faites sans art et qui n'avaient pas <strong>de</strong> caractères<br />
» tranchés comme les voies romaines. »<br />
M. <strong>de</strong> Caumont termine par une observation très-juste :<br />
« Ces voies, » dit-il, « n'étaient pas préparées ; elles ne<br />
» consistaient le plus souvent qu'en trouées percées dans<br />
» les bois, et se divisaient fréquemment en embranche-<br />
» ments parallèles. »<br />
D'autres auteurs ont donné quelques observations analogues,<br />
mais on peut dire, en résumé, que les caractères<br />
<strong>de</strong>s chemins gaulois n'ont pas encore été étudiés en détail,<br />
ni leur réseau tracé sur les diverses parties <strong>de</strong>s<br />
territoires.<br />
En effet, Bergier, dans son livre classique sur les chemins<br />
romains, se tait complètement à leur égard. Les<br />
livres spéciaux sur cette matière, tels que l'ouvrage <strong>de</strong><br />
J. Schœffer, <strong>de</strong> Strasbourg [<strong>de</strong> Re vehiculari veterum,<br />
1 vol. in-4°, 1637, avec le supplément par Ligori), le<br />
traité <strong>de</strong> Ginzrot (2 vol. in-4° : allemand. Munich, 1807),<br />
et le travail plus récent <strong>de</strong> M. Am. Thierry <strong>de</strong> l'Institut,<br />
sur l'histoire <strong>de</strong>s Gaulois, ne traitent pas cette question,<br />
qui sera pourtant <strong>de</strong>s plus intéressantes, lorsque <strong>de</strong> nombreux<br />
rameaux bien étudiés dans leurs rapports avec les<br />
branches diverses et les troncs principaux, auront amené<br />
la lumière sur ce sujet qui mérite <strong>de</strong> former une partie<br />
séparée dans la géographie et la topographie anciennes<br />
<strong>de</strong> la France et <strong>de</strong> tous les pays anciennement habités.
— 186 —<br />
II faut d'abord, sur tous les points, étudier et décrire<br />
les tronçons caractérisés, et je ne saurais trop y inviter<br />
les archéologues. Plus tard on procé<strong>de</strong>ra à leur réunion.<br />
J'en ai parlé pour la première fois, à l'occasion <strong>de</strong> la<br />
<strong>de</strong>scription du Chemin <strong>de</strong> la Barbarie, voie gauloise<br />
préexistante à l'époque <strong>de</strong> la conquête par les Romains,<br />
et établissant une communication directe <strong>de</strong> la Germanie<br />
jusques à la frontière <strong>de</strong> la Gaule, voisine <strong>de</strong> la<br />
Gran<strong>de</strong>-Bretagne. Dès-lors, j'ai constaté, dans le Mémoire<br />
précé<strong>de</strong>mment cité, qu'ils n'étaient pas établis en<br />
chaussées, ce qui, par conséquent, se trouve être à l'inverse<br />
<strong>de</strong>s chemins romains, au relief saillant, dont la<br />
construction en forme bombée par le travers, est <strong>de</strong><br />
règle constante.<br />
En appliquant cette règle au <strong>Senlis</strong>is, à un passage en<br />
cavée, si mes conjectures étaient fondées, on <strong>de</strong>vait<br />
rencontrer sur les flancs du vallon dans lequel coule la<br />
petite rivière <strong>de</strong> l'Onette , les traces <strong>de</strong>s communications<br />
fréquentes entretenues dans la direction <strong>de</strong> l'Oise et <strong>de</strong>s<br />
pays du Nord, dès la plus haute antiquité, puisque c'était<br />
le passage obligé pour arriver <strong>de</strong> ce côté à l'oppidum<br />
reculé <strong>de</strong>s Silvanectes.<br />
Gomme il m'était démontré par d'autres exemples, pris<br />
dans la Gaule-Belgique, que les Gaulois choisissaient les<br />
points guéables pour traverser les rivières, quand la hauteur<br />
<strong>de</strong> l'eau et la nature du fond <strong>de</strong>s rivières le permettaient,<br />
j'avisai le point où existe aujourd'hui le hameau <strong>de</strong><br />
Villevert. Son nom me paraissait répondre à l'étymologie<br />
Barrum, dont j'ai déjà appliqué le radical à plusieurs passages<br />
fortifiés du Soissonnais, tels que Pontavaire, Pont-
— 187 —<br />
vert, Pont <strong>de</strong> la Barre, Bac à Bairi, Bac à Berry et les dérivés<br />
<strong>de</strong> barrage, barrière, etc. (1). Le mot ville avait<br />
dû s'y joindre pendant le temps <strong>de</strong> la domination<br />
romaine.<br />
D'un autre côté, la disposition générale <strong>de</strong>s terrains<br />
qui présentent une masse <strong>de</strong> calcaire compact, connue,<br />
suivant la qualité <strong>de</strong> la pierre, sous le nom <strong>de</strong> clicart,<br />
<strong>de</strong> roche ferrée, ou <strong>de</strong> liais <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, me donnait la<br />
certitu<strong>de</strong> que l'on trouverait, une fois la route gauloise<br />
mise à nu, les ornières plus ou moins profondément<br />
tracées dans le calcaire, et je pus ainsi pronostiquer une<br />
largeur <strong>de</strong> la voie dans une dimension <strong>de</strong> un mètre cinq<br />
centimètres environ entre le passage <strong>de</strong> l'une et l'autre<br />
roue.<br />
En effet, les exemples ne me manquaient pas. Outre<br />
les indications qui m'avaient été fournies dès l'abord par<br />
les tronçons abandonnés du chemin <strong>de</strong> la Barbarie, sur<br />
(1) J'ai vu <strong>de</strong>rnièrement une miniature d'un manuscrit du xiv e siècle<br />
dans la <strong>Bibliothèque</strong> du prince Corsini à Rome. Ce livre porte le nom<br />
<strong>de</strong> Spéculum salvationis humanœ. Une <strong>de</strong>s images représente la Sainte-<br />
Vierge dans une forteresse avec l'explication suivante :<br />
Hec est imago sancte Virginis Marie que est propugnaculum contra ma-<br />
ta: et plus bas on lit; : Hec fortericia vulgo nominatur Barrys.<br />
Dans les manuscrits du même ouvrage (fonds latin, n° 9584 à 9586,<br />
Bibl. imp.}, on trouve le passage suivant joint à la représentation<br />
d'une tour gardée à l'intérieur par <strong>de</strong>ux personnages.<br />
Turris, barris, significant Mariam. Quapropter Virgo tam sancta et<br />
tam singularis comparatur etiam turri cujus vocabulum est Barris que<br />
<strong>de</strong>fendi potest ab omnibus viventibus. duobus custodibus istam custo-<br />
dientibus.
- 188 —<br />
la montagne du Soissonnais, ainsi que près <strong>de</strong> Nampcel<br />
et <strong>de</strong> Morienval, j'avais d'autres témoignages à ajouter<br />
à mes premières observations, pour mieux préciser la<br />
largeur entre ornières sur les voies gauloises.<br />
Je fus conduit à Alaise, en 1860, par un homme <strong>de</strong><br />
haute intelligence ainsi que d'un parfait dévouement à<br />
la science <strong>de</strong> l'archéologie, et particulièrement à la cause<br />
<strong>de</strong> l'Alesia <strong>de</strong> la Franche-Comté, M. Delacroix, <strong>de</strong> Besançon;<br />
je pus y reconnaître la marque certaine <strong>de</strong><br />
ces voies étroites, soit sur les montagnes près <strong>de</strong><br />
la ville, où ils portent le nom <strong>de</strong> Chemin <strong>de</strong>s Merciers,<br />
soit à Alaise, tout le long <strong>de</strong> cette curieuse digitation<br />
qui porte le nom <strong>de</strong>s Chastaillons. C'est là même qu'on<br />
peut admirer les traces <strong>de</strong> plusieurs centaines <strong>de</strong> Cabor<strong>de</strong>s<br />
circulaires, et quelquefois en quadrilatères irréguliers.<br />
La terre qui garnissait la base <strong>de</strong> ces habitations<br />
s'y trouve encore en place et forme un bourrelet qui indique<br />
le point où venait s'implanter la base <strong>de</strong>s perches qui<br />
se réunissaient à leur sommet, laissant libre seulement<br />
le passage pour la fumée du foyer <strong>de</strong> ces habitations primitives.<br />
Nulle part, on ne trouve mieux conservés les<br />
murs grossiers <strong>de</strong>s Gaulois, formés <strong>de</strong> plaquettes calcaires<br />
, amoncelées à peu près et alignées sans addition<br />
<strong>de</strong> mortier pour la consolidation du travail.<br />
C'est précisément autour <strong>de</strong> cette ville gauloise que<br />
l'on peut voir ces milliers <strong>de</strong> tumulus, véritable nécropole,<br />
qui prouve l'importance <strong>de</strong> celte cité si ancienne.<br />
M. Delacroix avait également reconnu au lieu <strong>de</strong> la<br />
Langutine le passage à l'Est dans l'enceinte <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong><br />
ville d'Alaise, et les Camps Barons qui le protégeaient.
— 189 —<br />
La largeur <strong>de</strong> la trouée dans le rocher, qui forme une<br />
sorte <strong>de</strong> rempart, suffisait, comme dans la Gaule du Nord,<br />
pour le passage d'un char à voie étroite.<br />
Telles étaient les indications qui me servaient à asseoir<br />
l'opinion que j'avais exprimée sur la gran<strong>de</strong> probabilité<br />
du succès <strong>de</strong>s fouilles à Villevert.<br />
Effectivement, quelques jours s'étaient à peine écoulés,<br />
lorsque j'eus la satisfaction d'apprendre, par une lettre <strong>de</strong><br />
M. le Prési<strong>de</strong>nt du Comité archéologique <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, que la<br />
recherche immédiatement entreprise sur la pente près du<br />
vallon <strong>de</strong> l'Onette, dans une sorte <strong>de</strong> fossé qui conduisait<br />
à la rivière à proximité <strong>de</strong> la voie romaine, avait bientôt<br />
mis en parfaite évi<strong>de</strong>nce l'existence d'une voie ancienne<br />
ignorée jusque-là, enfouie qu'elle était. La largeur entre<br />
les <strong>de</strong>ux ornières, d'après les traces laissées sur la masse<br />
calcaire était bien <strong>de</strong> un mètre cinq centimètres environ,<br />
et la profon<strong>de</strong>ur du sillon <strong>de</strong> six à sept centimètres (4).<br />
On avait <strong>de</strong> plus recueilli le témoignage important <strong>de</strong><br />
M. Gosselin, ingénieur <strong>de</strong>s Ponts-et-Chaussées, qui avait<br />
remarqué ce chemin à voie étroite, insolite, lorsqu'on<br />
avait ouvert la tranchée pour établir un pont sur la voie<br />
ferrée <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>. Il avait jugé, dès-lors, que si l'on prolongeait<br />
vers <strong>Senlis</strong> la fouille exécutée pour les fondations<br />
<strong>de</strong> la maçonnerie, la direction <strong>de</strong> cette voie, dans les<br />
mêmes conditions, on pourrait voir se continuer l'étroitesse<br />
exceptionnelle <strong>de</strong> l'intervalle entre les ornières.<br />
(i) On ne peut mesurer qu'approximativement la largeur <strong>de</strong> la voie<br />
par celle <strong>de</strong>s ornières, car il y a nécessairement un va et vient, un cahotage<br />
qui rongent les bords du sillon, à l'un ou l'autre côté.
— 190 —<br />
Je me hâtai d'aller visiter ce tronçon nouvellement mis<br />
à découvert par les soins du Comité <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, me disposant<br />
à partir peu <strong>de</strong> jours après pour l'Italie, où<br />
je <strong>de</strong>vais trouver, par la comparaison <strong>de</strong>s voies romaines<br />
avec les voies gauloises, la preuve <strong>de</strong> la différence <strong>de</strong><br />
longueur <strong>de</strong>s essieux, ou <strong>de</strong> la largeur <strong>de</strong> la voie charretière,<br />
et saisir, par la déduction à tirer <strong>de</strong> ce fait incontestable,<br />
l'indication d'un <strong>de</strong>s motifs qui déterminèrent les<br />
conquérants <strong>de</strong> la Gaule et <strong>de</strong>s contrées septentrionales <strong>de</strong><br />
l'Europe à construire, immédiatement après leur prise <strong>de</strong><br />
possession, <strong>de</strong>s chemins spéciaux pour le transport <strong>de</strong><br />
leurs chars <strong>de</strong> guerre et d'approvisionnement.<br />
. Dernièrement, j'ai pu constater un autre exemple <strong>de</strong><br />
voie gauloise, à Gouvieux, sur le passage d'un chemin<br />
qui offre <strong>de</strong>s signes irrécusables <strong>de</strong> la condition d'étroitesse<br />
que j'ai signalée. Là, se trouve une route, maintenant<br />
abandonnée, qui traverse la plaine dite <strong>de</strong>s Vignes. Elle<br />
aboutit à un tertre sableux profondément sillonné, voisin<br />
du point où une voie <strong>de</strong> l'époque romaine, traversant<br />
les hauteurs du Mont <strong>de</strong> Pô, vient s'y relier pour<br />
gagner la chaussée très-ancienne qui, <strong>de</strong> la Morlaye et<br />
par conséquent <strong>de</strong>s parages du pays <strong>de</strong>s Parisii conduisait<br />
à Credolium et <strong>de</strong> là au pays <strong>de</strong>s Bellovaci et <strong>de</strong>s<br />
Ambiani (1).<br />
(1) Je dois signaler, ici, une particularité remarquable.<br />
Une roche compacte, en face du village <strong>de</strong> Gouvicux, se<br />
montre en travers du chemin très-ancien <strong>de</strong> la plaine (au lieu dit<br />
les Vignes). Le passage <strong>de</strong>s chars y a laissé <strong>de</strong>ux empreintes profon<strong>de</strong>s,<br />
placées à 1 mètre environ d'écartement. Puis sur l'un <strong>de</strong>s côtés<br />
seulement, on voit figurer une 3e ornière ; celle-ci à 32 centimètres <strong>de</strong>
On trouve <strong>de</strong> semblables traces : 1° à l'entrée du chemin<br />
gaulois établissant une communication <strong>de</strong> la route<br />
<strong>de</strong>s Tombes, près <strong>de</strong> Coye (Oise) avec le commencement<br />
<strong>de</strong> la chaussée Brunehaut qui se continue vers <strong>Senlis</strong>,<br />
distance <strong>de</strong> celle qui appartient h la voie étroite primitive.<br />
N'est-il pas évi<strong>de</strong>nt que les <strong>de</strong>ux premiers sillons marquent la voie<br />
gauloise, et le 3 e , l'écartement <strong>de</strong>s roues <strong>de</strong>s chars romains?<br />
Ce chemin dut être très fréquenté : il conduisait à la Chaussée <strong>de</strong><br />
Gouvieux, passage obligé pour gagner Creil [Credolium], et le pays<br />
<strong>de</strong>s Bellovaci ; d'un autre côté, il contournait près <strong>de</strong> St.-Leu d'Esserent,<br />
l'oppidum qui maintenant porte le nom <strong>de</strong> Camp <strong>de</strong> César, terrain natu-<br />
rellement fortifié et qui prit, je le crois, le nom <strong>de</strong> Condate (Condatum),<br />
comme tant d'autres, en raison <strong>de</strong> sa position au confluent <strong>de</strong> l'Aunette<br />
et <strong>de</strong> l'Oise. Ce nom <strong>de</strong> Condate fréquemment employé, en pareille cir-<br />
constance, est probablement celtique dans sa terminaison; le nom <strong>de</strong><br />
Confluens, entièrement latin, l'a remplacé.<br />
Le nom <strong>de</strong> Gouvieux me paraît indiqué dans le lieu nommé Convi-<br />
cinum secus Silvanectum, siège, en l'an 863, d'un Concile où se traitè-<br />
rent les affaires relatives aux poursuites dirigées par Hincmar, le<br />
fameux archevêque <strong>de</strong> Reims, contre Rothal<strong>de</strong>, évèque <strong>de</strong> Soissons.<br />
M. Graves, parlant d'une transaction entre le Chapitre <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> et<br />
le prieuré <strong>de</strong> St.-Leu d'Esserent (jauvier 1247), cite le nom que portait<br />
alors la Chaussée <strong>de</strong> Gouvieux (Subtus Calceiam versus Govix.)<br />
J'ai trouvé <strong>de</strong> mon côté dans les Archives <strong>de</strong> la Préfecture <strong>de</strong> l'Oise<br />
un titre du XII e siècle dans les cartons relatifs au même prieuré, qui jette<br />
une vive lumière sur cette étymologie. Gouvieux y est nommé<br />
Guvisin (Ecclesia sancti Lupi <strong>de</strong> Asserens, 28-4).<br />
Or, comme Conventus a fait Couvent, et d'après d'autres exemples où<br />
le G a remplacé le C, Vicinus étant bien près <strong>de</strong> la finale actuelle<br />
Vieux, le nom du Gouvieux actuel ne peut-il pas provenir <strong>de</strong><br />
Convicinum ?<br />
— 191 —<br />
Je laisse à d'autres le soin <strong>de</strong> pousser plus loin cette investigation.<br />
Je me suis contenté d'indiquer, comme possible, cette origine.
— 192 —<br />
Champlieu, etc. La contrée <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> doit en offrir <strong>de</strong><br />
nombreux exemples analogues, encore inconnus.<br />
Je crois rester en plein dans la thèse dont je m'occupe,<br />
en donnant quelques détails au sujet <strong>de</strong> l'industrie<br />
<strong>de</strong>s anciens appliquée aux voitures et au mo<strong>de</strong> d'altelage,<br />
et en indiquant les conséquences résultant <strong>de</strong> leurs<br />
conditions différentes.<br />
Au premier abord, on reconnaît que le climat et la<br />
nature <strong>de</strong>s terrains durent, dès l'origine <strong>de</strong>s sociétés,<br />
amener une différence notable entre les chemins et par<br />
suite entre les véhicules (chars et chariots), dans les contrées<br />
du Midi et du Nord. En effet, en Asie, en Afrique,<br />
dans la Grèce, l'Etrurie, l'Italie et l'Espagne, la terre<br />
présente une surface ordinairement pierreuse, qui résiste<br />
parfaitement à l'action <strong>de</strong>s roues, tandis que dans les pays<br />
septentrionaux la couche d'humus est généralement profon<strong>de</strong>,<br />
et la terre s'y trouve souvent détrempée par les pluies.<br />
Comme les forêts y couvraient autrefois une gran<strong>de</strong> partie<br />
du sol, le soleil ne pouvait assécher les routes, si ce n'est<br />
dans la courte pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'été, et alors l'argile, en se<br />
durcissant, solidifiait les parois <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>s et étroites<br />
ornières, ce qui rendait nécessaire l'usage <strong>de</strong>s charrettes,<br />
dont les <strong>de</strong>ux roues pouvaient mieux se dégager du sillon.<br />
Aussi, dans les contrées méridionales, où les ornières sont<br />
pour ainsi dire inconnues, là manœuvre du chariot à<br />
quatre roues dut en tout temps être plus facile que<br />
dans les pays septentrionaux.<br />
Chemins romains.<br />
L'attelage à <strong>de</strong>ux chevaux ou autres bêtes <strong>de</strong> trait,
— 193 —<br />
placés <strong>de</strong> front, était également usité presque généralement<br />
chez les Romains et les autres peuples, dans les<br />
contrées méridionales. Les monuments <strong>de</strong> l'antiquité en<br />
fournissent la preuve.<br />
A cet égard, le témoignage le plus positif résulte <strong>de</strong><br />
la disposition du pavage <strong>de</strong>s rues, et surtout <strong>de</strong>s ruelles<br />
<strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Pompeia, exhumée après dix-huit siècles<br />
d'enfouissement sous la cendre du Vésuve.<br />
Vue d'une rue <strong>de</strong> Pompeia.<br />
14
— 194 —<br />
Dans le parcours <strong>de</strong>s rues étroites où la voie carrossable,<br />
dans le centre, n'était réservée que pour un<br />
seul char, les roues circulant forcément sur la même<br />
ligne, entre les <strong>de</strong>ux trottoirs latéraux, ont creusé <strong>de</strong><br />
Vue d'une autre rue <strong>de</strong> Pompeia.<br />
chaque côté, et à la distance <strong>de</strong> 1 mètre 35 centimètres,<br />
suivant l'observation faite par M. E. Breton (1), une<br />
ornière nettement accusée. Dans la partie centrale <strong>de</strong><br />
(1) Pompei, 1 vol. in-8°, p. 28.
— 198 —<br />
l'espace carrossable, on voit au croisement <strong>de</strong> certaines<br />
rues, se projeter en saillie <strong>de</strong> véritables marches<br />
en matières volcaniques, soli<strong>de</strong>ment implantées dans le<br />
pavimentum, et disposées pour faciliter aux piétons le<br />
passage, hors <strong>de</strong> l'atteinte <strong>de</strong> la poussière ou <strong>de</strong> la boue.<br />
Elles offrent une longueur moyenne <strong>de</strong> 70 centimètres et<br />
une largeur <strong>de</strong> 40 centimètres en moyenne. Quelques-unes<br />
ont une largeur exceptionnelle plus que doublée. Le frottement<br />
<strong>de</strong>s roues les a ovalisées à leur extrémité. La circulation<br />
y aurait été souvent interrompue, n'eût été<br />
l'usage dès longtemps pratiqué par les conducteurs d'avertir<br />
à l'arrivée d'un char dans l'espace étroit, en frappant<br />
un timbre métallique sonore ; cette précaution bien connue<br />
suffisait (1). Les rues larges offrent plusieurs <strong>de</strong> ces<br />
marches alignées et ayant l'écartement voulu.<br />
Évi<strong>de</strong>mment, un cheval lancé n'aurait pu franchir ces<br />
heurts dont la hauteur est <strong>de</strong> 20 centimètres environ ;<br />
attelés qu'ils eussent été à un brancard. Mais, au contraire,<br />
<strong>de</strong>ux chevaux accouplés <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre côté<br />
du limon trouvaient parfaitement place entre ces bancs<br />
<strong>de</strong> pierre et les ornières. La longueur <strong>de</strong> l'essieu était<br />
bien la même sur tous les points, car j'ai trouvé un<br />
semblable écartement <strong>de</strong> 1 mètre 35 centimètres entre<br />
les ornières, sur le pavé très-étroit d'un ancien chemin<br />
<strong>de</strong> Pouzzoles, non loin <strong>de</strong> la Solfatare.<br />
(1) M. Albert Lenoir (T. II, p. 158, Architecture monastique), rapporte<br />
qu'on a trouvé ces tintinnabula aux angles <strong>de</strong>s rues étroites <strong>de</strong> Pompeia<br />
; leur forme était celle d'un disque percé d'un trou pour le suspendre.<br />
On les employa longtemps dans les monastères <strong>de</strong> l'Orient.
— 196 —<br />
Les <strong>de</strong>ux gravures ci-jointes, copiées sur <strong>de</strong>s photographies<br />
font parfaitement connaitre ces dispositions <strong>de</strong>s<br />
rues <strong>de</strong> Pompeii,<br />
J'ai reçu <strong>de</strong> M. Minervini, le savant archéologue <strong>de</strong><br />
Naples, plusieurs cotes <strong>de</strong>s espaces qui séparent les<br />
marches saillantes et qui s'accor<strong>de</strong>nt toutes avec les<br />
passages nécessaires pour attelages par paires <strong>de</strong> bêtes<br />
<strong>de</strong> trait.<br />
L'une <strong>de</strong> ces rues, dont le nom, Vicolo di Mercurio,<br />
indique l'étroitesse, servait pour le passage d'un seul<br />
char.<br />
Gomme il existe, là, <strong>de</strong> chaque côté, soixante centimètres<br />
libres, il y avait parfaitement place pour un cheval<br />
et pour une ornière en bordure. Mais, ici, la rangée<br />
unique <strong>de</strong>s marches, toutes placées au milieu <strong>de</strong> la voie,<br />
ayant une largeur exceptionnelle variant <strong>de</strong> soixante-dix<br />
centimètres à un mètre, il est évi<strong>de</strong>nt, dès-lors, que ces<br />
dimensions auraient rendu le passage impossible pour un<br />
équipage attelé suivant le mo<strong>de</strong> actuel.<br />
En effet, aujourd'hui, les bêtes <strong>de</strong> trait sont maintenues<br />
le long <strong>de</strong> la flèche à l'ai<strong>de</strong> d'une courroie qui, <strong>de</strong><br />
son extrémité, dépassant un peu l'attelage, va se boucler<br />
soit au bas du collier soit au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la bricole ou<br />
poitrinière. Ces pièces dans les moments <strong>de</strong> recul ou<br />
d'efforts <strong>de</strong> côté restent fixées au corps <strong>de</strong> l'animal,<br />
retenues qu'elles sont par la partie du harnais qui porte<br />
le nom d'avaloire, sur laquelle porte la résistance dans<br />
le mouvement en arrière.<br />
La traction se fait à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s traits qui ont leur point
— 197 —<br />
d'attache en avant sur le centre du collier ou <strong>de</strong> la bricole,<br />
et sont reliés en arrière à une barre dite d'attelage, qui<br />
elle-même se prête à <strong>de</strong>s mouvements bornés, étant fixée,<br />
par le milieu seulement, à l'ai<strong>de</strong> d'une courroie, à la<br />
traverse <strong>de</strong> <strong>de</strong>vant du chariot.<br />
Quand l'attelage est complet, c'est-à-dire, pourvu <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux bêtes <strong>de</strong> trait accouplées, les mouvements à droite<br />
et à gauche sont faciles ; le conducteur entraîne les animaux<br />
à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s gui<strong>de</strong>s, l'avant-train suit la direction<br />
imprimée à la flèche.<br />
S'il arrive qu'il n'y ait qu'un seul animal attelé sur<br />
un <strong>de</strong>s côtés <strong>de</strong> la flèche, ce qui est fréquent dans les<br />
pays où l'usage du chariot est pour ainsi dire exclusif,<br />
et je citerai pour la France Lille et ses environs, la<br />
manœuvre se fait néanmoins parfaitement, même avec<br />
<strong>de</strong>s chariots qui ont <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s dimensions. Il est vrai<br />
que dans cette contrée, les chevaux sont énormes.<br />
Les chars <strong>de</strong>s anciens étaient loin d'avoir l'ampleur<br />
<strong>de</strong> ces véhicules usités dans le nord <strong>de</strong> la France. Si les<br />
chevaux <strong>de</strong>s Romains étaient petits, sans doute les chars<br />
étaient <strong>de</strong> taille proportionnée. Tout me porte à croire<br />
que les chevaux ou mulets pouvaient être attelés isolément<br />
au besoin sur l'un <strong>de</strong>s côtés du timon pour entraîner le<br />
véhicule, la charge étant nécessairement réduite.<br />
J'avais vu à Londres, à Liverpool, au Havre <strong>de</strong>s montagnes<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>nrées transportées sur <strong>de</strong>s haquets énormes,<br />
à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> chevaux, véritables colosses. Dans ces gran<strong>de</strong>s<br />
villes, vaisseaux, magasins, tout s'y trouve à l'unisson<br />
et offre <strong>de</strong>s proportions qui étonnent l'œil.
— 198 —<br />
II faut le dire, l'industrie et le commerce apparaissent<br />
d'une façon bien mesquine dans la représentation vivante<br />
<strong>de</strong> cette ancienne ville maritime <strong>de</strong> Pompeia. Il n'est<br />
personne qui ne soit frappé, comme je l'ai été moi-même,<br />
en comparant la différence <strong>de</strong> mouvement et <strong>de</strong>s proportions<br />
<strong>de</strong>s organes. Il y a loin <strong>de</strong>s docks actuels aux petites<br />
boutiques <strong>de</strong> la ville exhumée.<br />
Pour m'expliquer le mo<strong>de</strong> d'attelage <strong>de</strong>s biges qui circulaient<br />
dans les rues et ruelles <strong>de</strong> Pompeia, en tenant<br />
compte <strong>de</strong> la largeur considérable <strong>de</strong>s marches mitoyennes,<br />
j'ai recherché dans les représentations <strong>de</strong>s chars anciens<br />
les détails techniques, indiquant positivement la façon<br />
dont l'avant-train s'articulait avec le corps du chariot ;<br />
je n'ai pu recueillir que <strong>de</strong>s données vagues.<br />
Evi<strong>de</strong>mment, la cheville ouvrière, axe indispensable,
— 199 —<br />
qui convertit le chariot en <strong>de</strong>ux charrettes <strong>de</strong> file, a dû<br />
s'y trouver employée, mais les exemples <strong>de</strong> l'agencement<br />
précis manquent dans les figures, ainsi que les termes<br />
exacts qui <strong>de</strong>vraient désigner le mo<strong>de</strong> ou du moins le<br />
principe <strong>de</strong> cette articulation.<br />
On peut voir, d'après le <strong>de</strong>ssin provenant d'une fresque<br />
découverte à Pompeia, combien est incomplète la représentation<br />
<strong>de</strong> ce char <strong>de</strong>stiné à parcourir les rues <strong>de</strong> la<br />
ville pour fournir l'approvisionnement aux habitants !<br />
Les roues du véhicule, tel qu'il est représenté, ne permettaient<br />
qu'une légère déviation <strong>de</strong> la ligne droite. Le<br />
corps du chariot formait obstacle aux déviations <strong>de</strong><br />
quelque importance <strong>de</strong>s roues <strong>de</strong> l'avant-train.<br />
Quant à l'autre char, <strong>de</strong>stiné au même emploi et<br />
dont je reproduis également le <strong>de</strong>ssin, on voit qu'il
— 200 —<br />
existe entre les <strong>de</strong>ux essieux un vi<strong>de</strong> qui aurait permis<br />
à l'avant train <strong>de</strong> passer sous le palier du char, si toutefois<br />
le montage avait été analogue à celui <strong>de</strong> nos caissons<br />
d'artillerie, pourvus <strong>de</strong> quatre roues hautes.<br />
Il peut exister d'autres représentations antiques <strong>de</strong><br />
véhicules offrant l'image <strong>de</strong>s pièces exactement tracées.<br />
J'avoue mon regret <strong>de</strong> n'avoir pu les trouver malgré<br />
toutes mes recherches.<br />
Char <strong>de</strong> la Victoire ailée. — Fresque <strong>de</strong> Pompei.
— 201 —<br />
Je recevrais avec gran<strong>de</strong> satisfaction les renseignements<br />
qui m'ont fait défaut.<br />
Les questions du mo<strong>de</strong> d'attelage se lient à celles <strong>de</strong> la<br />
forme <strong>de</strong>s chars, mais, pour ces <strong>de</strong>ux points les données<br />
que fournissent les monuments et les peintures ou <strong>de</strong>ssins<br />
sont également fort incomplètes.<br />
Pourtant, et en attendant mieux, je crois utile d'examiner<br />
ici ce que fut autrefois la forme du timon et les<br />
procédés employés par les Anciens, pour lui donner, à<br />
l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s bêtes <strong>de</strong> trait, les directions voulues.<br />
Le timon, comme l'indique le <strong>de</strong>ssin du char <strong>de</strong> la<br />
Victoire ailée, remontait obliquement, en forme <strong>de</strong> col <strong>de</strong><br />
cygne, assez haut, et assez en avant, pour qu'une barre<br />
adaptée transversalement à son extrémité, vint couvrir<br />
les bètes <strong>de</strong> trait à la hauteur <strong>de</strong>s reins.<br />
Un anneau, formant<br />
coulisse était<br />
soli<strong>de</strong>ment attaché<br />
sur la sellette<br />
qui était maintenue<br />
en place par<br />
une sangle et par<br />
le poitrail, <strong>de</strong>ux<br />
pièces indispensables<br />
qu'on trouve<br />
presque toujours<br />
figurées.<br />
La forme et la matière <strong>de</strong> cette barre variaient suivant<br />
la somptuosité <strong>de</strong> l'équipage. Le joug proprement dit convenait<br />
seulement à l'attelage <strong>de</strong>s bœufs.
— 202 —<br />
Le point d'appui, était en conséquence, sur le dos <strong>de</strong>s<br />
chevaux, auxquels la disposition <strong>de</strong> la barre transversale<br />
permettait <strong>de</strong> s'écarter largement, et, tout en obéissant<br />
au frein, ils pouvaient, dans leur course, s'écarter<br />
assez largement pour éviter les marches du centre <strong>de</strong> la<br />
voie et conserver plus <strong>de</strong> grâce et <strong>de</strong> liberté dans l'encolure.<br />
11 y a quelques années, pour les voitures élégantes à <strong>de</strong>ux<br />
roues, on employait le système dit à pompe, qui est analogue<br />
au mo<strong>de</strong> d'attelage <strong>de</strong>s anciens.<br />
Le collier est d'invention relativement récente ; il offre<br />
l'avantage <strong>de</strong> prendre son point d'appui sur les épaules<br />
<strong>de</strong>s bêtes <strong>de</strong> trait.<br />
Quand on employa ces parties du harnais, on dut<br />
allonger le timon pour en relier l'extrémité au poitrail<br />
<strong>de</strong>s animaux, à l'ai<strong>de</strong> d'une courroie. On avait dès auparavant<br />
attaché la courroie placée à l'extrémité du timon<br />
long, à la poitrinière.<br />
Une médaille consulaire<br />
(famille Aurélia) reproduite<br />
ici au double <strong>de</strong> son diamètre<br />
(20 m / m ) (1), offre<br />
un autre exemple <strong>de</strong> l'usage<br />
souvent adopté chez<br />
les Grecs et les Romains,<br />
d'éviter les reproductions<br />
du harnais et du mo<strong>de</strong> d'attelage.<br />
Ainsi le voulait la poésie <strong>de</strong>s arts.<br />
(1) Description <strong>de</strong>s monnaies <strong>de</strong> la république romaine par M. Co-<br />
hen, 3. pl. XII.
— 203 —<br />
Cette digression finie, je reviens au sujet principal.<br />
Les Romains, après une longue occupation du sol <strong>de</strong><br />
la Gaule, avaient, sans aucun doute, introduit l'usage<br />
exclusif <strong>de</strong> la large voie <strong>de</strong> leurs chars, puisque, près <strong>de</strong><br />
Pierrefont, on voit à travers le Vicus exclusivement galloromain<br />
(1) du III e siècle, s'étendre la route ancienne qui<br />
se dirigeait vers le nord. Il existe là une portion <strong>de</strong><br />
chaussée où le calcaire du Soissonnais est complètement<br />
à nu. On y voit l'écartement <strong>de</strong> quatre pieds anciens entre<br />
les <strong>de</strong>ux ornières entaillées dans la roche.<br />
D'un autre côté, le diamètre <strong>de</strong> l m 05 entre les ornières<br />
<strong>de</strong>s chars gaulois suffisait seulement pour l'attelage<br />
à un seul cheval ou bœuf. Aussi le passage <strong>de</strong>s bêtes <strong>de</strong><br />
trait est-il marqué au centre <strong>de</strong> la voie entre les ornières<br />
gauloises au passage <strong>de</strong> Villevert. Mais il est un autre<br />
point où cette condition est bien autrement accentuée,<br />
(1) Je repousse absolument l'opinion qui veut qu'il y ait là <strong>de</strong>s fondations<br />
<strong>de</strong> murs gaulois sur lesquels on aurait postérieurement bâti à<br />
la romaine.<br />
Les Gaulois n'ont placé là, ni ailleurs, <strong>de</strong>ux pierres maçonnées, l'une<br />
sur l'autre, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> mortier ou <strong>de</strong> ciment; ce sont les Romains qui<br />
ont importé cet usage.<br />
Je connais parfaitement l'origine du nom <strong>de</strong> la prétendue ville <strong>de</strong><br />
Gaules, près <strong>de</strong> Pierrefont; ce fut M. Leféron d'Éterpigny, juge<strong>de</strong>-paix,<br />
habitant Cuise-la-Motte, qui, sans attacher l'importance qu'on<br />
pouvait donner à ce nom, l'appela ainsi, après qu'il y eut trouvé <strong>de</strong><br />
nombreuses traces <strong>de</strong> plusieurs <strong>de</strong>s habitations gallo-romaines que<br />
j'ai visitées avec lui il y a plus <strong>de</strong> quinze ans. Il ne se doutait certainement<br />
pas qu'un jour on donnerait aux fondations <strong>de</strong> ces maisons<br />
assez chétives, du reste, le nom <strong>de</strong> travail gaulois.
— 204 —<br />
c'est au passage <strong>de</strong> la Langutine d'Alaise, dont j'ai déjà<br />
parlé. Je l'ai visité <strong>de</strong> nouveau au mois <strong>de</strong> mai <strong>de</strong>rnier,<br />
accompagné, cette fois, par M. P. Bial, à qui je me hâtais<br />
d'apporter les observations que je venais <strong>de</strong> recueillir à<br />
Pompei et à Pouzzoles , avec l'explication du mo<strong>de</strong> particulier<br />
d'attelage résultant <strong>de</strong> la différence <strong>de</strong> la voie chez<br />
les Romains et les Gaulois. J'espérais que cette communication<br />
lui servirait pour le travail qu'il m'avait mandé,<br />
au mois <strong>de</strong> février précé<strong>de</strong>nt, avoir en préparation,sur les<br />
Chemins gaulois.<br />
Avant mon départ pour Naples, je lui avais alors envoyé<br />
avec empressement ce que j'ai écrit plus haut sur<br />
les particularités que m'avaient offertes, à cet égard,<br />
mes recherches sur le pays <strong>de</strong>s Silvanectes.<br />
Dans cette visite nouvelle à la Languiine d'Alaise, je<br />
me suis parfaitement rendu compte <strong>de</strong> la justesse <strong>de</strong>s<br />
observations suivantes, dont je m'empresse <strong>de</strong> déclarer<br />
que le mérite lui appartient. La roche étant entaillée<br />
strictement dans la largeur du passage, la saillie du<br />
moyeu <strong>de</strong>s roues a laissé les traces du frottement en<br />
plusieurs points et à différentes hauteurs <strong>de</strong> cette tranchée<br />
<strong>de</strong> 80 e environ <strong>de</strong> hauteur. On peut fixer à<br />
95 e environ le diamètre total <strong>de</strong> la roue <strong>de</strong>s chars,<br />
La garniture <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fer était attachée au moyen<br />
<strong>de</strong> clous dont se servaient les Gaulois d'Alaise ; la preuve<br />
en est fournie par les débris d'un char trouvés sur ces<br />
lieux mêmes et déposés dans le très intéressant Musée <strong>de</strong><br />
Besançon (1).<br />
(1) Tels sont aussi les objets <strong>de</strong> même époque que j'ai vus près <strong>de</strong>
— 205 —<br />
Comme la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l'ornière <strong>de</strong>vait gêner le passage<br />
<strong>de</strong>s roues, les hommes d'Alaise usèrent d'un procédé<br />
fort ingénieux qui a été également découvert par<br />
M. Bial. Ils abattaient, et la trace <strong>de</strong> ce travail peut se<br />
voir, la partie saillante entre les <strong>de</strong>ux sillons, et dégageaient<br />
ainsi l'intérieur dont la partie du milieu ne<br />
tardait pas à se creuser <strong>de</strong> nouveau sous le pied <strong>de</strong>s<br />
chevaux.<br />
On peut affirmer, bien qu'il ne nous soit parvenu,<br />
que je sache, aucun monument écrit qui le prouve, que<br />
les Romains eurent le soin d'interdire l'usage <strong>de</strong> leurs<br />
routes militaires aux Gaulois, tant que ces <strong>de</strong>rniers<br />
n'eurent pas adopté la mesure <strong>de</strong> l m 35 c . De là vient<br />
sans doute leur nom <strong>de</strong> privilegiatoe. Il est probable que<br />
cette gêne les amena bientôt à modifier la voie <strong>de</strong> leurs<br />
anciens chars qui purent alors circuler sur les gran<strong>de</strong>s<br />
routes. Les chars et chariots <strong>de</strong>s Romains avec leurs<br />
longs essieux n'auraient pu cheminer, ayant constamment<br />
la roue, d'un côté, plongée dans <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s ornières, et<br />
l'autre juchée sur le sommet et au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la voie<br />
étroite ; et <strong>de</strong> plus, les parois étroites <strong>de</strong>s chemins creux<br />
auraient arrêté les voitures là où il n'y avait <strong>de</strong> place<br />
que pour le passage d'un seul véhicule gaulois.<br />
Th.ua, chez M. le. baron <strong>de</strong> Bonstetten et dans la collection <strong>de</strong> M. F.<br />
Troyou, à Lausanne. Ce savant conserve un segment d'une ban<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
roue, encore garni d'un clou: la largeur du fer est <strong>de</strong> 4 centimètres;<br />
il présente <strong>de</strong>s rebords saillants qui servaient à maintenir cette ban<strong>de</strong><br />
sur le bois <strong>de</strong>s jantes.
— 206 —<br />
Chemins gaulois romanisés.<br />
Plus tard, les Romains relièrent aux artères principales<br />
<strong>de</strong> nombreux chemins secondaires pour faciliter la circulation<br />
générale entre toutes les parties du territoire. On<br />
se servit, pour atteindre ce but, <strong>de</strong>s anciennes voies.<br />
Elles ne furent pas établies en saillie aussi prononcée<br />
qu'on les trouve sur les voies romaines dites solennelles,<br />
mais cependant on y trouve sur divers points la couche <strong>de</strong><br />
cailloux qui formait la partie supérieure <strong>de</strong> la chaussée.<br />
Je me suis permis, comme on le voit, <strong>de</strong> charger la<br />
science <strong>de</strong> l'archéologie du mot nouveau <strong>de</strong> Chemins<br />
gaulois romanisés. Je n'en ai pas trouvé dans le vocabulaire<br />
actuel répondant mieux au mo<strong>de</strong> d'établissement <strong>de</strong> ces<br />
routes qui, gauloises a leur origine, furent transformées<br />
ultérieurement en chaussées suivant le mo<strong>de</strong> adopté par les<br />
Romains, tout en conservant quelques caractères <strong>de</strong> leur<br />
précé<strong>de</strong>nt état.<br />
Ces modifications durent se faire aussi bien dans la<br />
Gran<strong>de</strong>-Bretagne que dans la Germanie et les États du<br />
nord <strong>de</strong> l'Europe où s'étendit l'empire <strong>de</strong>s Césars ; dèslors,<br />
les routes <strong>de</strong>vraient, dans ces pays, porter leur nom<br />
accolé à celui <strong>de</strong>s Romains qui les modifièrent pour en<br />
composer les chemins germano-romains, etc.<br />
Ces routes participent <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux systèmes, et l'on<br />
doit s'étonner qu'elles n'aient pas, vu leur importance,<br />
obtenu, dans les traités sur les Chemins <strong>de</strong>s Anciens,<br />
la <strong>de</strong>scription particulière et détaillée qu'elles méritaient,<br />
puisqu'elles forment un réseau complet qui se rattache<br />
par plusieurs points aux routes solennelles."
— 207 —<br />
Bergier (1) consacre un seul chapitre aux Vice vicinales,<br />
nom que leur donnaient les Romains. La traduction<br />
serrée du latin en français apporte une confusion avec<br />
les Chemins vicinaux actuels qui sont, par rapport au<br />
classement sur le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> l'échelle, voisins <strong>de</strong>s passages<br />
<strong>de</strong>stinés à relier entr'elles les fractions <strong>de</strong> chaque<br />
territoire, et <strong>de</strong> ceux, les plus minimes <strong>de</strong> tous, qui<br />
servent aux besoins <strong>de</strong> l'agriculture seulement.<br />
Le nom <strong>de</strong> Chemins secondaires que dom Grenier a<br />
donné aux routes gauloises romanisées explique, il est<br />
vrai, le rang qu'ils occupent immédiatement après les<br />
grands chemins <strong>de</strong> l'empire romain dans la Gaule,<br />
mais il ne donne pas la notion du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur formation<br />
et <strong>de</strong> leur origine.<br />
J'espère que la distinction que j'établis portera l'attention<br />
sur leurs nombreuses ramifications, et amenera<br />
plus tard à retrouver sur leur parcours plusieurs bourga<strong>de</strong>s,<br />
aujourd'hui tout-à-fait oubliées ou perdues. La<br />
découverte <strong>de</strong> ruines ou <strong>de</strong> substructions ignorées fournira<br />
l'explication d'une foule <strong>de</strong> lieux dits d'origine inconnue<br />
dont la dénomination paraît bizarre, faute <strong>de</strong><br />
connaissances sur leur raison d'être.<br />
Dans un Mémoire précé<strong>de</strong>nt (2) j'ai signalé le Chemin<br />
<strong>de</strong> la Barbarie, gran<strong>de</strong> voie <strong>de</strong> communication entre la<br />
Germanie et la Gran<strong>de</strong>-Bretagne, préexistante à l'invasion<br />
(1) Histoire <strong>de</strong>s grands chemins <strong>de</strong> l'Empire.<br />
(2) Recherches sur la position du Noviodunum Suessionum, t. xiv<br />
<strong>de</strong>s Mémoires <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s Antiquaires <strong>de</strong> Picardie, et supplément,<br />
t.. xvi.
— 208 —<br />
<strong>de</strong>s Romains qui, s'en servirent immédiatement en la<br />
transformant en chaussée, et en la redressant dans les<br />
parties où les difficultés provenant <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong>s terrains<br />
qu'elles traversaient et <strong>de</strong>s grands contours inutiles<br />
les portèrent à modifier le tracé ancien pour l'améliorer.<br />
J'ai dit que ce nom <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> la Barbarie qu'ils<br />
imposèrent à cette route gauloise, originairement <strong>de</strong> premier<br />
ordre, au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> son importance, puisqu'elle<br />
traverse toute la Gaule du Nord, <strong>de</strong> l'est à l'ouest, prouve<br />
leur dédain pour les œuvres <strong>de</strong>s peuples qu'ils subjuguèrent.<br />
Telle fut aussi l'origine <strong>de</strong> la localité dite Barberie,<br />
près <strong>Senlis</strong>.<br />
On sait que les chaussées militaires <strong>de</strong> première classe<br />
établies par les Romains, en ligne droite, à travers le<br />
territoire <strong>de</strong> la Gaule, ont une composition différente suivant<br />
la nature <strong>de</strong>s matériaux que chaque contrée pouvait<br />
fournir.<br />
Ainsi, dans la partie méridionale <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième Belgique,<br />
où la pierre dure ne faisait pas défaut, on trouve<br />
pour base <strong>de</strong> ces grands chemins une couche <strong>de</strong> débris<br />
<strong>de</strong> grosseur variée sur lesquels, suivant les lieux et la<br />
nature <strong>de</strong>s dépôts <strong>de</strong> silex, <strong>de</strong> roches friables, <strong>de</strong> gravier<br />
et même <strong>de</strong> sable, on trouve un stratumen plus ou<br />
moins résistant.<br />
Les nummulites silicifiées qui abon<strong>de</strong>nt dans le cran<br />
du calcaire grossier dominent dans ces parages et forment<br />
exclusivement l'arête <strong>de</strong>s chemins.<br />
Dans le nord <strong>de</strong> la Gaule-Belgique, où les terrains<br />
d'alluvion sont uniquement composés <strong>de</strong> sable fin et d'argile,<br />
les Romains écartèrent soigneusement ce <strong>de</strong>rnier
— 209 —<br />
élément dont le mauvais effet leur était connu, et le<br />
sable pur ou dominant leur servit uniquement. N'étaientils<br />
pas forcés <strong>de</strong> se servir <strong>de</strong>s matériaux qu'ils avaient<br />
sous la main, même alors que leur qualité laissait beaucoup<br />
à désirer ? Mais, partout, le génie <strong>de</strong> la construction<br />
<strong>de</strong> leurs routes se distingue par <strong>de</strong>ux conditions caractéristiques,<br />
la ligne droite et la surélévation <strong>de</strong> la chaussée<br />
qui est toujours bombée par le travers. Le pavimentum,<br />
partie essentielle du chemin romain en Italie, n'apparaît<br />
dans le nord <strong>de</strong> la Gaule que sur quelques points exceptionnels,<br />
tels que les chaussées étroites traversant certains<br />
marais et parfois au voisinage d'habitations prétoriennes<br />
<strong>de</strong>s camps romains (comme, au rayon d'Arlaines, près<br />
<strong>de</strong> Soissons, à Gouvieux, etc.) On y employait suivant les<br />
facilités relatives qu'on trouvait, <strong>de</strong>s plaques <strong>de</strong> roche<br />
calcaire endurcie ou <strong>de</strong> larges grés naturellement aplatis ;<br />
le tout ajusté suivant le mo<strong>de</strong> dit cyclopéen.<br />
On sait que les Romains avaient préposé <strong>de</strong>s Curatores<br />
viarum ou Viocuri pour veiller à l'entretien <strong>de</strong>s routes<br />
<strong>de</strong> toute classe préparées en forme <strong>de</strong> chaussées, et que<br />
l'assiette et la perception du péage ou <strong>de</strong> l'impôt sur les<br />
personnes qui les fréquentaient, faisaient partie <strong>de</strong> leurs<br />
attributions (1). Qu'ils y aient interdit le passage avec<br />
<strong>de</strong>s véhicules gaulois aux courts essieux, tout porte à le<br />
croire, bien qu'il ne nous soit parvenu, que je sache,<br />
aucun monument écrit qui puisse le prouver.<br />
Mais, outre les pénalités édictées, le relief <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />
chaussées romaines, qui a disparu en partie dans les<br />
(1) Siculus Flaccus — De conditione agrorum.<br />
15
— 210 —<br />
vallées et qui nous paraît exagéré au trajet <strong>de</strong>s montagnes,<br />
faute jusquès-là d'explication satisfaisante,<br />
n'était-il pas un obstacle permanent à l'envahissement<br />
par les voitures gauloises, surtout hors' <strong>de</strong>s points <strong>de</strong><br />
surveillance. La chaussée préparée pour le service militaire<br />
en raison <strong>de</strong> la proéminence et <strong>de</strong> la saillie du talus<br />
<strong>de</strong>vait être presqu'inabordable par le travers, surtout<br />
pour les voitures chargées.<br />
Autrement se présentent les chemins gaulois romanisés<br />
: la saillie <strong>de</strong> la chaussée y est presque insensible<br />
et ne dépasse pas 20 à 30 centimètres en moyenne, bien<br />
qu'il se trouve, par exception, <strong>de</strong>s lignes surélevées. On<br />
voit que l'apport <strong>de</strong>s matériaux y a converti la concavité<br />
que présentait le travers du chemin gaulois, en<br />
un plan légèrement convexe dans ce sens. Je suis<br />
convaincu qu'on trouvera sous ces couches, qui datent<br />
<strong>de</strong> l'époque romaine, les traces <strong>de</strong>s ornières <strong>de</strong> chemins<br />
gaulois enfouis à l'époque <strong>de</strong> la transformation.<br />
La pierre dure brisée en fragments, les cailloux, le<br />
sable, la terre du lieu même y forment, suivant les lieux<br />
divers, <strong>de</strong>s couches disposées à la Romaine. La pierre<br />
domine surtout aux points où le sol est disposé à s'effondrer.<br />
Le signe distinctif <strong>de</strong> l'origine gauloise, qui consiste<br />
dans l'ondulation <strong>de</strong> la voie, reste là pour type formel.<br />
Gomme la nécessité contraignit bientôt les Gaulois à<br />
élargir l'intervalle entre les roues <strong>de</strong> leurs véhicules,<br />
empêchés qu'ils eussent été <strong>de</strong> s'en servir ailleurs que<br />
dans les chemins locaux ou <strong>de</strong> culture, il y eut un abandon<br />
général <strong>de</strong>s anciens chemins.
— 211 —<br />
Une fois que le réseau <strong>de</strong>s chemins gaulois romanisés<br />
fut complété, la domination romaine <strong>de</strong>vint plus facile et<br />
plus rapi<strong>de</strong>, car ils pouvaient porter, promptement et<br />
en toute saison, secours sur les points menacés.<br />
Leur civilisation s'étendit plus rapi<strong>de</strong>ment ainsi que<br />
le commerce d'échange <strong>de</strong>s produits. Il n'est aucune barrière<br />
plus forte contre la diffusion <strong>de</strong>s lumières que le<br />
mauvais état <strong>de</strong>s routes, et l'on doit tenir compte <strong>de</strong><br />
l'ignorance <strong>de</strong> l'écriture chez un peuple dont J. César<br />
lui-même constate l'intelligence.<br />
Le druidisme ne fit pas obstacle absolu à cette diffusion<br />
<strong>de</strong>s lumières et <strong>de</strong> l'industrie ; la gran<strong>de</strong> difficulté <strong>de</strong>s relations<br />
<strong>de</strong> peuple à peuple y eut gran<strong>de</strong> part.<br />
D'après les considérations et les observations qui précè<strong>de</strong>nt,<br />
l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s chemins gaulois proprement dits et<br />
<strong>de</strong>s routes gauloises romanisées me paraît inséparable<br />
<strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s chaussées romaines.<br />
Pour répondre à l'appel fait à tous les hommes qui<br />
s'occupent d'étu<strong>de</strong>s sur la géographie et la topographie<br />
ancienne, j'apporte mon contingent, trop heureux si je<br />
puis contribuer dans une faible proportion à la publication<br />
<strong>de</strong> cette belle œuvre qui <strong>de</strong>vrait renfermer sur une<br />
seule carte, pour être complètement utile, le tableau <strong>de</strong><br />
tous les chemins anciens, et former la base <strong>de</strong> la topographie<br />
archéologique <strong>de</strong> la France.<br />
Un premier travail, auquel on ne saurait, sans injustice,<br />
refuser le mérite d'améliorations notables, en le comparant<br />
aux cartes précé<strong>de</strong>mment connues, a posé récemment<br />
quelques jalons dans ce vaste champ.<br />
Que n'a-t-on suivi, à cette occasion, l'usage adopté par
— 212 —<br />
nos célèbres imprimeurs du XVIe siècle, qui plaçaient en<br />
évi<strong>de</strong>nce les feuilles sorties <strong>de</strong> leurs presses en invitant<br />
tout passant à leur signaler les fautes échappées à ces<br />
hommes d'élite, simples protes d'alors ; race presqu'éteinte<br />
aujourd'hui, comme ne le savent que trop les personnes<br />
dont les travaux sont imprimés <strong>de</strong> nos jours. Devait-on<br />
tenir cette carte sous le boisseau <strong>de</strong>puis qu'elle est achevée<br />
et imprimée? Malgré <strong>de</strong>s imperfections inévitables,<br />
et bien que je l'eusse préférée, basée sur <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong><br />
détail et établie sur une plus large échelle, moins belle,<br />
mais plus convenable pour les corrections reconnues<br />
justes, et les additions à y intercaler, elle aurait eu une<br />
gran<strong>de</strong> utilité, comme base d'opérations et comme point<br />
<strong>de</strong> départ.<br />
L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces nombreuses routes anciennes <strong>de</strong> toute<br />
classe <strong>de</strong>man<strong>de</strong> les efforts assidus et prolongés d'une foule<br />
<strong>de</strong> pionniers <strong>de</strong> la science archéologique.<br />
Réunir les monographies, les mettre d'accord et faire<br />
un choix, sans préférence <strong>de</strong> personnes et sans répulsion<br />
systématique, n'y a-t-il pas là <strong>de</strong> quoi stimuler le<br />
zèle et mettre en relief le talent et la science incontestables<br />
<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la Commission <strong>de</strong> la Carte <strong>de</strong>s<br />
Gaules ?<br />
Puisque le travail doit être revisé, n'est-ce pas le<br />
moment opportun pour exprimer la surprise que j'ai<br />
éprouvée en lisant en tête <strong>de</strong> la carte topographique <strong>de</strong> la<br />
Gaule, qu'elle se rapportait à l'époque du proconsulat <strong>de</strong><br />
J. César, et <strong>de</strong> trouver tracées les lignes <strong>de</strong> plusieurs<br />
routes construites au plus tôt sous Auguste et par les<br />
soins d'Agrippa, et plusieurs autres chaussées qui ne
— 213 —<br />
furent établies que postérieurement et successivement.<br />
Il aurait donc fallu, il me semble, reproduire sur cette<br />
carte le réseau <strong>de</strong>s voies gauloises, les seules dont J. César<br />
ait pu se servir pour les marches <strong>de</strong> ses troupes ; car<br />
les armées ne font pas ordinairement campagne à travers<br />
champs, forêts et rivières, etc. On aurait dû, comme<br />
supplément, exécuter un travail spécial qui aurait reproduit<br />
le réseau <strong>de</strong>s chemins gaulois romanisés, comme<br />
le furent ces voies primitives à une époque postérieure,<br />
pendant la longue occupation <strong>de</strong> la Gaule sous les successeurs<br />
<strong>de</strong> J. César.<br />
On peut facilement reconnaître sur le terrain, les points<br />
où les chemins gaulois ont précédé les routes romanisées.<br />
La nomenclature <strong>de</strong>s lieux dits voisins <strong>de</strong>s vieilles<br />
routes présente <strong>de</strong> curieux enseignements. L'antiquité<br />
<strong>de</strong>s chemins est révélée par une particularité décisive :<br />
aucune pièce <strong>de</strong> terre n'est coupée pour leur tracé. En<br />
effet, la division <strong>de</strong>s champs, par suite <strong>de</strong> leur mise en<br />
culture dès les temps les plus anciens, n'eut lieu que postérieurement<br />
à l'établissement <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> communication<br />
primitives.<br />
Chemins Mérovingines.<br />
Je n'ai trouvé, jusqu'à présent du moins, qu'en un<br />
seul point, dans la contrée <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, les chemins mérovingiens<br />
ou grands chemins verts, dont la largeur dépassait<br />
souvent 25 met. et quej'ai signalés précé<strong>de</strong>mment (1),<br />
comme établissant dans le Soissonnais <strong>de</strong>s communications<br />
(1) Mémoire sur Noviodunum Suessionum.
— 214 —<br />
entre les maisons royales <strong>de</strong>s rois <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux premières races.<br />
C'est dans la plaine qui touche à l'Oise, entre Pont-<br />
Ste-Maxence et le domaine <strong>de</strong> l'Evêché, sur le bord <strong>de</strong><br />
la rivière, que se trouve ce tronçon isolé. Il dut y avoir<br />
en ce <strong>de</strong>rnier lieu un pont ou un bac pour le passage ;<br />
tout souvenir en est perdu. Il y a, pour l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cettevoie,<br />
matière à <strong>de</strong>s recherches intéressantes.<br />
Comme ces routes n'étaient ni encaissées comme les<br />
chemins gaulois, ni saillantes comme les chaussées romaines,<br />
et comme leur gran<strong>de</strong> dimension en largeur formait<br />
leur caractère spécial, on conçoit qu'elles ont dû,<br />
peu à peu, perdre leur forme spéciale, sous l'incessante<br />
usurpation <strong>de</strong>s riverains.<br />
Je ne puis que confirmer, du reste, ce que j'ai dit sur<br />
ces Chemins mérovingiens, dans mon Mémoire déjà cité<br />
sur les lieux anciens du Soissonnais (1).<br />
Chemins anciens du pays <strong>de</strong>s Silvanectes.<br />
Le livre <strong>de</strong> Bergier <strong>de</strong> Reims sur les Grands Chemins<br />
<strong>de</strong> l'Empire romain, l'ouvrage <strong>de</strong> dom Grenier sur la pro-<br />
(1) « Comme la route était simplement aplanie, l'écoulement <strong>de</strong>s<br />
» eaux était difficile; la gran<strong>de</strong> dimension <strong>de</strong> la voie faisait compen-<br />
» sation;on réparait au fur et à mesure les sillons qui s'étaient for-<br />
» mes, et le gazon couvrait <strong>de</strong> nouveau le terrain. » — Un grand chemin<br />
<strong>de</strong> cette espèce offre <strong>de</strong>s portions encore intactes, comme on peut<br />
s'en assurer en parcourant les emplacements <strong>de</strong>s palais qui étaient<br />
situés sur les bords <strong>de</strong> l'Oise. Avant peu, il aura été complètement<br />
soumis au lit <strong>de</strong> Procuste administratif, et réduit à la largeur réglementaire<br />
<strong>de</strong> 7 à 8 mètres.
— 215 —<br />
vince <strong>de</strong> Picardie, et la notice archéologique du département<br />
<strong>de</strong> l'Oise par M. Graves, contiennent <strong>de</strong>s passages<br />
ou <strong>de</strong>s chapitres qui se rapportent aux gran<strong>de</strong>s voies stratégiques,<br />
aux routes qu'ils nomment secondaires, et aux<br />
anciens chemins <strong>de</strong> traverse du pays <strong>de</strong>s Silvanectes.<br />
M. Graves, pour lequel l'ancien diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> formait<br />
une notable partie du département <strong>de</strong> l'Oise qu'il<br />
étudiait, a donné une nomenclature <strong>de</strong> ces chemins qui,<br />
<strong>de</strong>s pays circonvoisins habités par les Bellovaci, les Suessionnes,<br />
les Meldi et les Parisii, venaient, en traversant<br />
les forêts qui couvraient en partie le sol, se croiser en tous<br />
sens sur le territoire <strong>de</strong>s Silvanectes.<br />
La partie <strong>de</strong> sa notice archéologique qui traite <strong>de</strong>s voies<br />
anciennes fournit <strong>de</strong>s détails vrais et très-intéressants sur<br />
leur état actuel et sur les traces <strong>de</strong> leur parcours.<br />
Aussi ne reste-t-il pour achever son travail qu'à rechercher<br />
sur le sol <strong>de</strong> cette contrée les exemples <strong>de</strong>s chemins<br />
gaulois qui ont laissé la trace du passage <strong>de</strong> leurs<br />
véhicules étroits sur la croûte calcaire aux points où, elle<br />
se trouve à fleur <strong>de</strong> terre. J'en ai cité quelques-uns dans<br />
les pages précé<strong>de</strong>ntes. Quand se rencontreront <strong>de</strong>s lignes<br />
ou <strong>de</strong>s tronçons offrant les conditions d'étroitesse, <strong>de</strong> sinuosité<br />
et d'ondulation <strong>de</strong>s chemins gaulois, et auxquels il<br />
manquera seulement d'avoir perdu leurs ornières, le<br />
sable ou l'argile ne pouvant conserver les sillons, alors le<br />
souvenir <strong>de</strong> leur physionomie suffira pour fixer leur caractère<br />
gaulois primitif.<br />
Je n'ai point placé sur le litre <strong>de</strong> ce Mémoire le nom du<br />
diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> en regard <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> sur les chemins<br />
gaulois et romains, parce que je <strong>de</strong>vais envisager
— 216 —<br />
cette contrée dans les limites d'une contrée qui remonte<br />
aux époques historiques antérieures à la pério<strong>de</strong><br />
romaine pendant laquelle le pays <strong>de</strong>s Silvanectes forma<br />
la circonscription qui <strong>de</strong>vait servir <strong>de</strong> base à la formation<br />
d'un diocèse lors <strong>de</strong> l'établissement du christianisme.<br />
D'un autre côté, comme l'archéologie en France a<br />
pour <strong>de</strong>rnière limite l'état social politique, administratif,<br />
militaire, religieux, judiciaire et géographique, qui a<br />
été si généralement modifié, sinon anéanti à la fin du<br />
<strong>de</strong>rnier siècle, après une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1800 ans <strong>de</strong> durée,<br />
on est ramené forcément dans le cercle <strong>de</strong>s anciennes<br />
attributions <strong>de</strong> ces différentes branches <strong>de</strong> l'ancienne monarchie,<br />
et <strong>de</strong> leurs privilèges, quand il s'agit <strong>de</strong> recherches<br />
sur l'antiquité. Aussi les divisions anciennes,<br />
qui ont duré jusqu'à la fin du XVIII e siècle, doivent-elles<br />
servir <strong>de</strong> base.<br />
Pour ce qui concerne la partie <strong>de</strong> la Picardie qui<br />
constituait le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, n'éprouve-t-on pas, si<br />
l'on veut suivre le classement mo<strong>de</strong>rne par cantons et<br />
communes, et même les anciennes délimitations administratives,<br />
une difficulté réelle à retrouver dans le<br />
gouvernement <strong>de</strong> l'Ile <strong>de</strong> France une partie <strong>de</strong>s éléments<br />
<strong>de</strong> son territoire, tandis que, sous le rapport <strong>de</strong> la hiérarchie<br />
ecclésiastique, l'évêché <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> fait partie <strong>de</strong><br />
l'archevêché <strong>de</strong> Reims, conjointement avec les diocèses<br />
d'Amiens, <strong>de</strong> Boulogne, <strong>de</strong> Laon, <strong>de</strong> Noyon, <strong>de</strong> Soissons,<br />
<strong>de</strong> Châlons et <strong>de</strong> Beauvais.<br />
M. Graves a dû se trouver maintes fois fatigué, et ses<br />
lecteurs le sont aussi bien souvent, en adoptant, pour<br />
divisions <strong>de</strong> son travail, les cantons du département <strong>de</strong>
— 217 —<br />
l'Oise. Pour former les circonscriptions <strong>de</strong>s districts et<br />
même <strong>de</strong>s paroisses, on méconnut souvent les affinités<br />
naturelles, quand fut fait à la hâte le travail <strong>de</strong> l'Assemblée<br />
Constituante; aussi fut-on forcé <strong>de</strong> réparer à<br />
maintes reprises <strong>de</strong>s irrégularités évi<strong>de</strong>ntes.<br />
La liste qu'a donné M. Graves <strong>de</strong>s routes anciennes<br />
tracées dans cette partie du département <strong>de</strong> l'Oise pourra<br />
être modifiée à la suite <strong>de</strong> recherches spéciales pour lesquelles<br />
j'ai la bonne promesse du concours <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong>s<br />
étu<strong>de</strong>s historiques qui composent le Comité archéologique<br />
<strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
L'appréciation <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> chemins appartient<br />
surtout aux travailleurs <strong>de</strong>s provinces qui ont, qu'on me<br />
permette <strong>de</strong> le dire, la clé <strong>de</strong>s champs, pour bien recueillir<br />
les détails <strong>de</strong> la configuration <strong>de</strong>s terrains et l'indication<br />
<strong>de</strong>s changements qui se sont produits par le laps <strong>de</strong>s<br />
temps, et surtout à l'époque <strong>de</strong> la domination <strong>de</strong> la Gaule<br />
par les Romains.<br />
C'est surtout sur les flancs <strong>de</strong>s tronçons <strong>de</strong> routes en<br />
ligne droite exécutées more romano qu'on rencontre <strong>de</strong>s<br />
parties qui ont conservé le caractère <strong>de</strong>s chemins gaulois,<br />
soit par un heureux hasard, soit parce qu'il est<br />
resté sur l'ancienne voie quelques habitations qui remontent<br />
après une longue succession à celles qui garnissaient<br />
jadis les abords.<br />
J'espère qu'un jour on aura retrouvé <strong>de</strong> nombreux<br />
exemples <strong>de</strong> ces routes à double trajet et à double caractère<br />
(1).<br />
(1) Souvent, il arrive qu'au trajet <strong>de</strong>s parties montueuses, là où le sol
— 218 —<br />
Jusqu'au moment où ce travail sera sorti <strong>de</strong> la phase<br />
<strong>de</strong>s examens partiels, première base <strong>de</strong> l'œuvre, pour entrer<br />
dans la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s monographies, qui précè<strong>de</strong> ellemême<br />
l'époque où les nouveautés scientifiques, si elles<br />
sont reconnues vraies, ont le droit d'entrer dans le domaine<br />
<strong>de</strong> l'histoire, n'est-il pas désirable que chacun apporte<br />
ses observations particulières, fournisse les documents<br />
qu'il aura trouvés à sa portée et puisse approuver ou<br />
critiquer en toute liberté <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions ou <strong>de</strong>s données<br />
nésessairement incomplètes au début?<br />
Gran<strong>de</strong>s voies romaines.<br />
Je puis, dès ce jour, traiter, pour ce qui concerne les<br />
Silvanectes, la question <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> voie<br />
romaine stratégique ou militaire qui <strong>de</strong> Lyon gagnait<br />
l'Océan en face <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong>-Bretagne en passant par<br />
Autun, Auxerre, Troyes, Châlons, Reims, Soissons,<br />
<strong>Senlis</strong>, Beauvais et Amiens (1).<br />
Sur ce trajet, la partie qui intéresse la contrée <strong>de</strong>s Silvanectes<br />
a été décrite au XVIII e siècle par Dom Grenier,<br />
est facilement désagrégé, <strong>de</strong>ux ou trois sillons parallèles prouvent<br />
l'abandon successif <strong>de</strong> passages <strong>de</strong>venus impraticables. Les chemins<br />
anciens <strong>de</strong> la forêt <strong>de</strong> la Halatte en offrent plusieurs exemples.<br />
(1) Quatre gran<strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> Lyon s'étendirent alors dans la Gaule :<br />
1° A travers les montagnes <strong>de</strong> l'Auvergne;<br />
2° Dans la direction du Rhin et <strong>de</strong> la Meuse ;<br />
3° Dans la Gaule Belgique ;<br />
i" Le long du Rhône jusqu'à la Méditerranée.
— 219 —<br />
dans la majeure partie d'un chapitre qui porte le titre :<br />
Voie militaire <strong>de</strong> Rome à Boulogne-sur-Mer (1 ).<br />
« Cette première voie romaine conduite dans la se-<br />
» con<strong>de</strong> Belgique, est celle dont parle Strabon : Ad Oce-<br />
» anum et Bellovacos et Ambianos... Elle fut aussi nom-<br />
» mée Via Cœsarea et fut construite par Agrippa, gendre<br />
» d'Auguste.<br />
» Comme le géographe grec ne dit point, » ajoute<br />
Dom Grenier, « par quel endroit cette voie entrait dans la<br />
» Belgique, Bergier a cru pouvoir suppléer à son silence<br />
» par l'Itinéraire connu sous le nom d'Antonin. En<br />
» suivant ce gui<strong>de</strong>, il fait venir la chaussée <strong>de</strong> Lyon à<br />
» Rheims par la Bourgogne, par la Champagne, et la<br />
» conduit <strong>de</strong> Rheims à Soissons, à Noyon, à Amiens et<br />
» enfin à Boulogne-sur-Mer, mais nous ne voyons pas<br />
» qu'aucun <strong>de</strong> ces endroits fût du pays <strong>de</strong>s Bellovaces.<br />
» Cependant la voie d'Agrippa <strong>de</strong>vait y passer, suivant<br />
» Strabon, auteur contemporain. Il est à remarquer que<br />
» la voie que Bergier a tracée d'après l'Itinéraire, est dite :<br />
» Per compendium; c'est-à-dire pour abréger le chemin,<br />
» ce qui en suppose un autre.<br />
» Nous la trouvons, cette voie <strong>de</strong>puis Soissons jusqu'à<br />
» Amiens, ou, pour nous conformer à l'Itinéraire, <strong>de</strong>puis<br />
» Amiens jusqu'à Soissons, passant par le Beauvaisis. Elle<br />
» est beaucoup plus longue, il est vrai, mais il faut observer<br />
» que cette chausssée étant la première que les Romains<br />
» firent passer dans la Belgique, ils voulaient qu'elle<br />
» leur servît à communiquer surtout avec les cités les<br />
(1) Ghap. ccxxiv et ccxxv. — Voir aux notes finales.
— 220 —<br />
» plus remuantes,telle qu'était celle <strong>de</strong>s Bellovaces. D'ail-<br />
» leurs, qu'était Noyon au temps d'Auguste, pour être<br />
» préféré à <strong>Senlis</strong> et à Beauvais? Etait-il même un camp<br />
» romain? »<br />
Le même itinéraire d'Antonin donne également la direction<br />
d'une voie qui concor<strong>de</strong> avec le texte <strong>de</strong> Strabon :<br />
<strong>de</strong> Samarobriva — Curmiliacum — Cœsaromagus-Litanobrigum<br />
—Augustomagum — Suessones.<br />
Un autre monument <strong>de</strong> géographie ancienne, la Table<br />
Théodosienne ou <strong>de</strong> Peutinger, donne <strong>de</strong>ux tracés, l'un<br />
par la ligne déjà indiquée, qui passe par <strong>Senlis</strong> et<br />
Beauvais.<br />
Quant à l'autre chemin, Per compendium, les stations<br />
sont marquées <strong>de</strong> la manière suivante :<br />
Augusta Suessionum,<br />
Lura,<br />
Rodium (1),<br />
Setucis.<br />
Dom Grenier et après lui M. Graves n'hésitent pas à<br />
suivre pour ce <strong>de</strong>rnier tracé la leçon donnée par l'Itinéraire<br />
d'Antonin, et à le regar<strong>de</strong>r comme parfaitement<br />
connu et comme n'indiquant qu'une légère différence. Si<br />
le nom <strong>de</strong> Noviomagus, disent-ils, s'accor<strong>de</strong>-t-on à croire<br />
généralement, ne figure pas sur la carte <strong>de</strong> Peutinger, et<br />
est remplacé par celui d'Isara, il faut en attribuer la<br />
raison à l'existence d'une station romaine sur l'emplacement<br />
du village actuel <strong>de</strong> Pontoise (pris pour Isara),<br />
(1) La borne milliaire <strong>de</strong> Tongres rectifie ces <strong>de</strong>ux noms : Isara et<br />
Roudium y sont inscrits très-nettement.
— 221 —<br />
éloigné seulement <strong>de</strong> trois kilomètres environ <strong>de</strong> Noyon.<br />
On a dit, en outre, que les troupes romaines qui se rendaient<br />
<strong>de</strong> Rame vers les provinces séjournaient dans cette<br />
<strong>de</strong>rnière ville, et que celles dont la marche était en sens<br />
contraire, pour le retour vers l'Italie, étaient placées à<br />
Pons, Isara, mais il n'existe aucun document, et on<br />
ne voit pas <strong>de</strong> vestiges pour appuyer cette solution <strong>de</strong> la<br />
difficulté que présente cette variante du texte, dans les<br />
<strong>de</strong>ux itinéraires.<br />
Je n'ai pas besoin d'insister sur l'impossibilité d'admettre<br />
<strong>de</strong>s stations si voisines recevant, chacune, les<br />
troupes en l'un et l'autre lieu particulièrement, suivant<br />
la direction <strong>de</strong> leur marche.<br />
C'est dans ces conditions que m'écartant <strong>de</strong> l'opinion<br />
émise par les auteurs que j'ai cités, je viens proposer <strong>de</strong><br />
reconnaître l'existence d'une troisième voie ; celle-ci<br />
d'origine gauloise, et modifiée par les Romains auxquels<br />
elle servit, d'après son caractère, dès le début <strong>de</strong> la<br />
conquête, fut le premier chemin raccourcissant la distance<br />
(per compendium) entre Soissons et Amiens.<br />
Ce serait également le chemin qui est inscrit sur la<br />
Table <strong>de</strong> Peutinger, par Isara, et non par Noviomagus;<br />
attendu qu'en le suivant on traversait la rivière d'Oise,<br />
et non la station <strong>de</strong> Noyon.<br />
Tandis que le grand chemin gaulois ou <strong>de</strong> la Barbarie<br />
suivait sa direction par Nampcel, les Loges et Quennevière<br />
pour abor<strong>de</strong>r l'Oise et <strong>de</strong> là les contrées <strong>de</strong>s<br />
Bellovaques et <strong>de</strong>s Ambiens, une autre route prenant<br />
son point <strong>de</strong> départ à Reims fut sinon ouverte, du moins<br />
pratiquée et accommodée par les Romains suivant leur
— 222 —<br />
système, pour gagner Soissons, ville nouvelle si bien<br />
placée pour y asseoir une <strong>de</strong> leurs stations les plus importantes,<br />
et <strong>de</strong> là, les pays outre l'Oise. Elle concourait<br />
ainsi avec le chemin gaulois par la Faux et Nampcel.<br />
Dans la partie du territoire compris entre Reims et<br />
Pont-Arcy, ces <strong>de</strong>ux routes étaient communes et suivaient<br />
le parcours décrit par dom Grenier, en ces termes :<br />
« Nous pensons aussi qu'une, quatrième branche <strong>de</strong><br />
» la chaussée prenait vers Breuil, passait entre Cour-<br />
» landon et Romains, entre Maisy et Glennes, et au<br />
» milieu du village <strong>de</strong> Revillon, pour gagner le Pont-<br />
» Arcy. Après avoir passé la rivière d'Aisne à Pont-Arcy,<br />
» où il n'y a qu'un bac aujourd'hui, elle allait droit à<br />
» la ferme <strong>de</strong> Froidmont (<strong>de</strong> Fracto Monte), où elle faisait<br />
» un cou<strong>de</strong> pour aller <strong>de</strong> là vers l'Ange-Gardien, maison<br />
» sur le chemin <strong>de</strong> Soissons à Laon ; traversait le<br />
» terroir <strong>de</strong> la Faux, <strong>de</strong> Neuville-Margival et le chemin <strong>de</strong><br />
» Soissons à Coucy, dans l'endroit où l'on voit trois arbres<br />
» plantés. Jusque-là la chaussée est couverte d'une belle<br />
» verdure. Elle allait gagner ensuite l'ancienne chaussée<br />
» <strong>de</strong> Soissons à Saint-Quentin, et vraisemblablement celle<br />
» <strong>de</strong> Soissons à Noyon. »<br />
J'ai transcrit en entier ce chapitre, car dans la <strong>de</strong>rnière<br />
pério<strong>de</strong>, il fait connaître que, dès le XVIII e siècle, Dom Grenier<br />
avait porté son attention sur ce point. Le savant historiographe<br />
<strong>de</strong> la Picardie, dont la sagacité avait pressenti<br />
la continuation du chemin ancien jusqu'à la voie romaine<br />
<strong>de</strong> Vic sur Aisne à Noyon, aurait certainement poussé<br />
plus loin l'opinion qu'il a émise, s'il eût visité le chemin<br />
qui se continue vers Quennevières et plus loin vers l'Oise.
— 223 —<br />
Quant à la première partie du chapitre cité plus haut,<br />
laquelle a rapport à la partie qui s'étend <strong>de</strong> Reims à<br />
Pont-Arcy, l'on peut suivre sur les cartes le passage à<br />
Braine, où elle fut remaniée jusqu'à Soissons. ,<br />
Probablement il y eut aussi une autre branche par la<br />
ligne <strong>de</strong> Vailly et Bucy sur la rive droite <strong>de</strong> l'Aisne.<br />
c'est ce que feront connaître <strong>de</strong>s recherches ultérieures.<br />
Quant à la ligne <strong>de</strong> Soissons à Noyon, un passage a dû<br />
exister en premier lieu par Pommiers, Courtil, Osly, le<br />
lieu dit le Moulin <strong>de</strong> Châtillon. Cette route passait probablement<br />
entre Nouvron et Gonfrecourt, dont le nom,<br />
Gonfroicort, indique un cortis fretté (fortifié) <strong>de</strong> Gunfredus<br />
: elle gagnait <strong>de</strong> là le Pont-Auger (pons Augusti?)<br />
jeté sur le rû d'Hozien près <strong>de</strong> Morsain {<strong>de</strong> Muro cincto){1).<br />
Plus tard les Romains profitèrent, sans doute, <strong>de</strong> la<br />
chaussée à son point d'arrivée au pont l'Archer, pour<br />
conduire à droite une route qui traversait l'Aisne à Port,<br />
d'où elle allait rejoindre le chemin que je viens <strong>de</strong> tracer,<br />
entre Nouvron et Gonfrecourt.<br />
Aujourd'hui, à part quelques points <strong>de</strong> repère, il<br />
n'existe plus aucun indice significatif du trajet <strong>de</strong> ces<br />
chemins auxquels fut substituée, à la fin du n° siècle<br />
<strong>de</strong> l'ère chrétienne, la chaussée romaine qui forme une<br />
arête bien visible dans la prairie à la gauche <strong>de</strong> l'Aisne,<br />
jusqu'auprès <strong>de</strong> Vic-sur-Aisne. Diverses branches du<br />
chemin ancien, avant et après son passage à travers la<br />
vallée du rû d'Hozien, avaient leur direction vers<br />
(1) M. Graves penche pour le passage entre Tartiers et Nouvron.
— 224 —<br />
Vezaponin et l' Oppidum d'Epagny, et Nampcel (Nemetocenna),<br />
Vaux, Vassens, Àttichy, etc.<br />
Quant à la route directe passant à la ferme du Tillolet<br />
(Tilloloy), M. Graves (1) l'a décrite en ces termes : « Elle<br />
» quitte la chaussée Brunehaut à 2000 m environ <strong>de</strong> la<br />
» Croix-Sainte-Léoca<strong>de</strong>, précisément entre les fermes du<br />
» Puiseux et du Tillolet. Elle est la continuation d'un<br />
» chemin qui vient <strong>de</strong> Puiseux à la voie militaire. Elle<br />
» est dirigée d'abord vers l'Est, mais à la hauteur du<br />
» Tillolet elle prend vers le Sud-Est pour venir <strong>de</strong>scendre<br />
» en un seul alignement dans le vallon d'Autrèches, en<br />
» face <strong>de</strong> Morsain et un peu au-<strong>de</strong>ssus du Pont-Auger.<br />
» Dans ce trajet la chaussée sépare successivement le<br />
» territoire <strong>de</strong> la commune d'Autrèches <strong>de</strong>s territoires<br />
» d'Audignicourt, <strong>de</strong> Vassens et <strong>de</strong> Morsain, caractère qui<br />
» acquiert une gran<strong>de</strong> importance <strong>de</strong> sa continuité non<br />
» interrompue entre plusieurs circonscriptions commu-<br />
» nales.<br />
» Le chemin est relevé sur plusieurs points, et l'on<br />
» voit qu'il a dû l'être dans tout son parcours. Sa lar-<br />
» geur est <strong>de</strong> huit mètres partout où les usurpations<br />
» riveraines ne l'ont pas réduite. L'empierrement est<br />
» formé <strong>de</strong> pierres calcaires mêlées <strong>de</strong> tuiles brisées (2). »<br />
Les inscriptions <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux bornes milliaires trouvées,<br />
l'une à Vic-sur-Aisne, où M. Clouet la conserve dans son<br />
(1) Notice arch. du dép'. <strong>de</strong> l'Oise, p. 228 : Chaussée du Pont-Auger.<br />
(2) Au nord <strong>de</strong> ce chemin existe le vaste emplacement du Camp<br />
Havet, voisin <strong>de</strong> Nampcel, dont j'ai parlé dans le Mémoire que j'ai<br />
publié sur la campagne <strong>de</strong> César contre les Bellovaques.
— 225 —<br />
parc, l'autre à S'-Médard, laquelle est restée à Soissons,<br />
prouvent qu'elles furent placées originairement, l'une et<br />
l'autre, à sept lieues gauloises d''Augusta Suessionum.<br />
Il ne peut y avoir <strong>de</strong> doute sur la place qu'occupait la<br />
première près <strong>de</strong> la maison abbatiale à Vic-sur-Aisne.<br />
Quant à la secon<strong>de</strong>, comme elle servait <strong>de</strong> délimitation <strong>de</strong><br />
l'enclos <strong>de</strong> l'abbaye même <strong>de</strong> S'-Médard entre Soissons<br />
et Crouy, on peut conjecturer qu'elle fut, à une époque<br />
inconnue, transportée d'un point quelconque, qui se<br />
trouvait à distance précise <strong>de</strong> sept lieues gauloises <strong>de</strong><br />
Soissons, jusqu'au monastère, puis utilisée plus tard<br />
comme borne ordinaire, sans qu'on prît souci <strong>de</strong> sa valeur<br />
archéologique.<br />
Comme l'extrémité <strong>de</strong> la route gauloise romanisée, entre<br />
le Tillolet et Puiseux, se trouve à distance égale à partir<br />
<strong>de</strong> Soissons, l'espace qui sépare cette ville <strong>de</strong> Vic-sur-<br />
Aisne," n'est-il pas présumable qu'à l'époque où furent<br />
plantées ces indications <strong>de</strong> distance, on plaça d'abord (en<br />
l'an 204, sous le règne <strong>de</strong> Septime Sévère,) la borne milliaire<br />
conservée actuellement à Soissons sur un point quelconque<br />
du territoire <strong>de</strong> Puiseux ?<br />
La borne milliaire trouvée à Vic-sur-Aisne (1 ) porte pour<br />
date l'an 212 <strong>de</strong> l'ère chrétienne et le nom <strong>de</strong> l'Empereur<br />
Caracalla. Le chemin <strong>de</strong> Soissons à Noyon aurait<br />
donc été établi postérieurement à celui qu'il croisait à la<br />
hauteur <strong>de</strong> Puiseux. Sans doute <strong>de</strong> meilleures conditions<br />
<strong>de</strong> trajet auront déterminé les Romains à choisir le pas-<br />
(1) L'orthographe <strong>de</strong> ce lieu <strong>de</strong>vrait être Vic-sur-Aisne, comme on<br />
l'écrivait encore au <strong>de</strong>rnier siècle. Via super Axonam.<br />
16
— 226 —<br />
sage <strong>de</strong> Vic-sur-Aisne bien qu'il allongeât la distance <strong>de</strong><br />
huit kil. environ, c'est-à-dire <strong>de</strong> tout l'espace compris entre<br />
l'Aisne et le pont Gruyer, situé entre Tillolet et Puiseux.<br />
Quant à la distance d'Augusta Suessionum à Roudium,<br />
soit par Isara, soit par Noviomagus, elle est sensiblement<br />
la même ; on peut sur la carte s'en assurer avec<br />
le compas.<br />
Le chemin passant à Pont-Fare, au croisement avec la<br />
chaussée <strong>de</strong> Vic-sur-Aisne à Noyon , prend sa direction<br />
à l'Ouest vers la vallée du Martinet (1) ou <strong>de</strong>-Quenevières,<br />
dans la quelle j'ai reconnu <strong>de</strong>rnièrement les vestiges<br />
d'une ancienne bourga<strong>de</strong> maintenant inconnue sur<br />
les lieux mêmes et portant autrefois le nom <strong>de</strong>s Courts.<br />
Depuis l'époque où j'ai publié le travail sur le chemin<br />
<strong>de</strong> la Barbarie, plusieurs documents nouveaux sont venus<br />
confirmer l'existence <strong>de</strong> cette voie ancienne, dont le nom<br />
s'est perdu sur plusieurs points, mais dont l'unité est<br />
réelle.<br />
Ainsi, 1° la liaison entre le nom <strong>de</strong> la rue du Barbâtre<br />
à Reims, et sa direction vers Jonchery, lieu voisin du<br />
parcours du chemin <strong>de</strong> la Barbarie.<br />
2° Cette <strong>de</strong>rnière appellation conservée à plusieurs<br />
chemins du département <strong>de</strong> la Marne, dont les relations<br />
avec la route principale sont évi<strong>de</strong>ntes.<br />
3° La découverte <strong>de</strong> la villa Curtium.<br />
(1) Une charte du XII e siècle (Cartul. <strong>de</strong> l'abbaye d'Ourscamp) donne<br />
à l'église du village dit Curtium, le vocable <strong>de</strong> St.-Martin, d'où est<br />
venu le nom <strong>de</strong> Martinet, nom actuel <strong>de</strong> cette vallée.
— 227 —<br />
4° Celle du camp d'Ouet, Castra Augusti sur la rive<br />
gauche <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> vallée <strong>de</strong> l'Oise et du camp <strong>de</strong><br />
Bairy, Castrum Barrum sur la rive opposée, et entre ces<br />
<strong>de</strong>ux points <strong>de</strong> défense le pont romain <strong>de</strong> la Malemer.<br />
5° L'existence d'un camp romain portant le nom <strong>de</strong><br />
César à Chevincourt.<br />
6° Le tracé <strong>de</strong> la route gauloise romanisée parfaitement<br />
conservée jusqu'à ce <strong>de</strong>rnier temps au niveau <strong>de</strong><br />
l' oppidum Noviodunum (le Mont <strong>de</strong> Noyon). Ces documents<br />
ont une valeur frappante.<br />
Je me tiens donc pour autorisé, d'après les détails qui<br />
précè<strong>de</strong>nt, à ajouter au tracé <strong>de</strong> la voie gauloise à gran<strong>de</strong><br />
portée que j'ai signalée précé<strong>de</strong>mment, celte autre branche<br />
collatérale qui servit uniquement aux relations <strong>de</strong><br />
Soissons avec Amiens dans une partie <strong>de</strong> son parcours,<br />
et précéda <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux siècles l'établissement <strong>de</strong> la voie<br />
romaine passant par Noviomagus.<br />
J'appelle sur les questions, qui forment l'objet <strong>de</strong> ce<br />
Mémoire, un examen sérieux, en réclamant la bienveillance<br />
et l'indulgence pour les erreurs <strong>de</strong> détail qui sont<br />
inévitables. Quand on cherche, à travers champs, les<br />
traces <strong>de</strong> ces chemins <strong>de</strong>puis si longtemps abandonnés,<br />
l'on n'est pas, j'en ai fait l'expérience, couché sur un lit<br />
<strong>de</strong> roses. En fait d'archéologie, la paix est pour les<br />
hommes <strong>de</strong> bonne volonté qui bornent leurs travaux à<br />
mesurer les monuments avec le parapluie <strong>de</strong> l'Antiquaire<br />
du livre malicieux <strong>de</strong>s Bourgeois <strong>de</strong> Molinchart.
NOTE A.<br />
Extrait <strong>de</strong> la Topographie ecclésiastique pendant le moyen-âge.<br />
( Annuaire historique publié par la Société <strong>de</strong> l'Histoire <strong>de</strong> France.<br />
Année 1862 (1), far M. J. DESNOVERS (<strong>de</strong> l'Institut.)<br />
VIII. DIOCÈSE DE SENLIS.<br />
CIVITAS SILVANECTUM.<br />
(Fin du III e , ou commencement du IV e siècle).<br />
1 ARCHIDIACONÉ ; 2, puis 8 DOYENNÉS RURAUX.<br />
A. Ancienne division.<br />
ÀHCHIDIACONATUS SILVANECTENSIS. Archidiaconé du diocèse.<br />
Le titulaire avait à Bazoches [Basilica, Bazochiœ),<br />
près <strong>de</strong> Crépy, un siège <strong>de</strong> sa juridiction.<br />
1. DECANATUS vel ARCHIPR. SILVANECTENSIS. Doyenné rural <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
2. — CRESPIACENSIS. Doyenné <strong>de</strong> Crépy.<br />
I. ARCHIDIACONATUS<br />
SILVANECTENSIS EC-<br />
CLESIAE.<br />
Archidiaconé du<br />
diocèse.<br />
1. — DECANATUS<br />
CHRISTIANITATIS SIL-<br />
VANECTENSIS.<br />
Doyenné <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
B. Division postérieure au XVII e siècle.<br />
Vers<br />
Ch.-l. d'arr. du<br />
le<br />
dép. <strong>de</strong> l'Oise.<br />
N. 0.<br />
du Pays <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>,<br />
(1) M. Jules Desnoyers, mû par un noble sentiment <strong>de</strong> bienveillance<br />
et <strong>de</strong> désintéressement, a bien voulu m'autoriser à insérer ses travaux<br />
sur les diocèses <strong>de</strong> la France. Je l'en ai cordialement remercié en mon<br />
nom et pour toutes les personnes qui, grâce à ses excellents résumés,<br />
y trouveront le meilleur gui<strong>de</strong> pour leurs étu<strong>de</strong>s sur la France ecclésiastique.
— 229 —<br />
Le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> était situé à l'extrémité méridionale <strong>de</strong> la<br />
Province ecclésiastique <strong>de</strong> Reims, sur les limites <strong>de</strong> la quatrième<br />
Lyonnaise, qui le bornait au sud. Il avait pour autres confins <strong>de</strong>ux<br />
diocèses seulement, celui <strong>de</strong> Beauvais à l'O. et au N. 0., celui <strong>de</strong><br />
Soissons dont il était séparé par le cours <strong>de</strong> l'Autonne, au N. E. et<br />
à l'E. Il était le plus petit <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> Belgique et l'un <strong>de</strong>s moins<br />
importants <strong>de</strong> toute la France, quoique <strong>de</strong>s plus anciens. Il n'avait<br />
pas plus <strong>de</strong> 7 à 8 lieues <strong>de</strong> l'E. à l'O., sur 6 <strong>de</strong> largeur, et à peine<br />
23 lieues <strong>de</strong> circuit.<br />
Il ne comptait que 77 paroisses pendant le XVII e siècle. Au com-
— 230 —<br />
mencement du siècle suivant, en 1736, il n'y en avait que 72, et<br />
même, peu d'années avant la Révolution, le nombre en était réduit à<br />
64 cures, avec 9 succursales ou 16 vicariats (1). Plusieurs <strong>de</strong>s Doyennés<br />
ruraux <strong>de</strong>s diocèses <strong>de</strong> Cambrai et <strong>de</strong> Tournai étaient plus<br />
étendus et plus peuplés que le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> tout entier. Celui-ci<br />
ne représentait pas la dixième partie du diocèse d'Amiens ou <strong>de</strong><br />
celui <strong>de</strong> Cambrai.<br />
La Civitas Gallo-romaine, à laquelle a succédé le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>,<br />
était celle <strong>de</strong>s Silvanectes, et sa capitale, qui <strong>de</strong>vint celle <strong>de</strong> l'évéché,<br />
était Augustomagus. Ni le peuple, ni sa ville principale ne sont nommés<br />
par César, qui fait une mention si fréquente <strong>de</strong>s peuples limi-<br />
trophes : les Bellovaci, les Ambiani, les Veromandui, les Suessiones,<br />
les Parisii. D'Anville et d'autres géographes ont tiré <strong>de</strong> cette<br />
omission la conséquence que les Silvanectes ne formaient point<br />
encore, à l'époque <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong>s Gaules, un peuple indépendant,<br />
et qu'ils faisaient partie <strong>de</strong> l'une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s tribus voisines, plus<br />
probablement <strong>de</strong>s Bellovaci. La forme et la situation du territoire<br />
ancien <strong>de</strong> la Gaule-Belgique, représenté par le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>,<br />
peut suggérer cette idée. En effet, il n'était point séparé du diocèse<br />
<strong>de</strong> Beauvais par le lit <strong>de</strong> l'Oise, limite à peu près générale entre les<br />
diocèses limitrophes <strong>de</strong> Beauvais et <strong>de</strong> Noyon sur la rive droite, <strong>de</strong><br />
Soissons et <strong>de</strong> Laon sur la rive gauche. Le diocèse <strong>de</strong> Beauvais<br />
s'étendait même plusieurs lieues au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> l'Oise vers le diocèse <strong>de</strong><br />
<strong>Senlis</strong> ; ce qui peut faire supposer que les Bellovaci s'étaient réservé<br />
exclusivement la navigation <strong>de</strong> cette rivière,<br />
Toutefois, cette dépendance, si elle a réellement existé, n'a pas<br />
dû être <strong>de</strong> longue durée, et elle n'est démontrée par aucun témoignage<br />
incontestable. Le nom <strong>de</strong> la capitale, Augustomagus, qui<br />
indique, par sa forme <strong>de</strong>mi-gauloise, <strong>de</strong>mi-romaine, une influence<br />
(1) Le pouilié <strong>de</strong> 1648 indique 177 paroisses, par l'effet d'une erreur,<br />
dont Alliot donne <strong>de</strong> trop fréquents exemples dans son recueil,
— 231 —<br />
romaine exercée, peu <strong>de</strong> temps après César, sur une localité gau-<br />
loise importante, et la qualification liberi, que Pline (1) donna,<br />
comme aux Nervii et aux Suessiones, aux Silvanecles, qu'il a cités,<br />
tout en altérant leur nom sous la forme d'Ulbanectes ou d'Ulmanectes,<br />
montrent qu'avant la fin du 1 er siècle au moins, un territoire parfai-<br />
tement distinct, couvert en partie <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s forets dont les vestiges<br />
sont encore considérables, a dû servir <strong>de</strong> base à la division politique<br />
consignée dans la Notitia Prov. et Civit. Gall., et à la division ecclé-<br />
siastique qui lui a succédé, sous le nom <strong>de</strong> Civitas Sihanectum ou<br />
Silvanectensium.<br />
Le rang que ce peuple tient dans les plus anciennes rédactions <strong>de</strong><br />
la Notice, où il est placé le huitième, avant les Bellovaci, les Am-<br />
biant et les Morini, est un autre témoignage <strong>de</strong> leur antiquité et <strong>de</strong><br />
leur indépendance comme peupla<strong>de</strong> gauloise. (2)<br />
Ptolémée (3) en avait fait mention plus anciennement sous le<br />
nom <strong>de</strong> Subanectes, peuple qu'il indique entre les Nervii et les<br />
Suessiones, en lui assignant pour capitale une ville qu'il nomme<br />
Rotomagus, et qu'il place à l'orient <strong>de</strong> la Seine. Cette fausse dési-<br />
gnation et cette confusion, qui proviennent sans nul doute d'une<br />
altération <strong>de</strong> copiste, ont fait supposer, à tort, selon moi l'existence<br />
d'une secon<strong>de</strong> ville importante sur le territoire <strong>de</strong>s Silvanectes. (4)<br />
(1) Hist. nat., lib. IV, c. vii.<br />
(2) Ce n'est que dans les rédactions les plus récentes <strong>de</strong> la Notitia<br />
Civit. Gall. que la Civitas Silvanectum occupe le dixième rang.<br />
(3) Géogr., 1. II, c. ix.<br />
(4) L'attribution, que M. A. Jacobs a proposée <strong>de</strong> ce Ratomagus <strong>de</strong><br />
Ptolémée au territorium Rossontense, dans sa Géographie <strong>de</strong> Grégoire<br />
<strong>de</strong> Tours (1858, p. 126), travail fort estimable dont j'aurai plus d'une<br />
autre occasion <strong>de</strong> parler avec éloges, quoique n'admettant pas plusieurs<br />
<strong>de</strong>s opinions <strong>de</strong> l'auteur, me paraît inadmissible. Ce territoire,<br />
en effet, dépendait soit du diocèse <strong>de</strong> Beauvais, soit moins probablement<br />
du diocèse <strong>de</strong> Soissons, suivant qu'on adopte l'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux lieux
— 232 —<br />
Leur véritable capitale, Augustomagus, figure encore sous ce nom<br />
dans la Table <strong>de</strong> Peutinger et dans l'Itinéraire d'Antonin; plus tard,<br />
elle n'est plus désignée que sous le nom du peuple, comme il en<br />
arriva pour un très-grand nombre <strong>de</strong> villes gauloises, vers le IV e<br />
siècle : Silvanectum, Silvanectis, et après le XIIIe siècle, Senliciacum.<br />
La Notit. dign. Imp. indique cette ville comme l'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux séjours,<br />
ou centres <strong>de</strong> surveillance du Prœfeclus <strong>de</strong>s Lœti Gentiles,<br />
disséminés, sous différents noms, dans la secon<strong>de</strong> Belgique.<br />
La situation <strong>de</strong> l'Oppidum, ou du Castrum, ou <strong>de</strong> la ville principale<br />
<strong>de</strong>s Silvanectes, à <strong>Senlis</strong>, qui a succédé à Augustomagus, est rendue<br />
incontestable par l'itinéraire et par la Table,, et non moins certainement<br />
encore par une enceinte <strong>de</strong> murs romains, parfaitement<br />
intacts, qui a conservé le nom <strong>de</strong> Cité, ainsi que par d'autres vestiges<br />
d'antiquités romaines. Le doute émis à cet égard par M. Walckenaer<br />
(Gèogr. anc, t. II, p. 271) ne me semble pas fondé.<br />
Le nom et les limites du territoire <strong>de</strong>s Silvanectes ne paraissent<br />
pas avoir changé pendant toute la durée du moyen âge, et nul<br />
témoignage n'indique que celte Civitas n'ait pas été constamment<br />
représentée par le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>. On y voit le christianisme<br />
introduit, dès la fin du IIIe siècle (n. 296), par la prédication <strong>de</strong><br />
S. Rieul (Rigolus), dont le culte n'a pas cessé d'exciter la vénération<br />
<strong>de</strong>s habitants.<br />
Grégoire <strong>de</strong> Tours fait plusieurs fois mention <strong>de</strong>s Silvanectes, <strong>de</strong><br />
leur ville et <strong>de</strong> leur territoire :<br />
Territorium Silvanectense ou Silvanectum (Hist. 1. IV. c. xiv) ;<br />
Urbus Silvanectensis, et <strong>de</strong> Silvanectis (Hist. 1. IX, c. xx). Cette ville<br />
anciens indiqués sous le nom <strong>de</strong> Ressons dans chacun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />
diocèses ; mais on ne trouve dans le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> aucune dénomination<br />
territoriale qui puisse permettre d'expliquer <strong>de</strong> cette façon le<br />
texte <strong>de</strong> Ptolémée; celui-ci désigne un peuple et sa capitale.
— 233 —<br />
et son territoire ont joué un rôle important sous les rois Mérovin-<br />
giens, qui en ont fait souvent leur <strong>de</strong>meure.<br />
Le Silvanecte figure dans le VIII e Missaticum du capitulaire <strong>de</strong><br />
l'année 823 avec lettre <strong>de</strong> Comitatus, et le pagus Silvanectensis dans<br />
le V e Missaticum du capitulaire <strong>de</strong> Charles le.Chauve en 853 (1).<br />
1l est encore désigné sous le même nom au xii e siècle : in pago<br />
Silvanectensi, in villa quœ dicitur Braio (2). Le prieuré <strong>de</strong> Bray<br />
était situé sur le bord <strong>de</strong> la chaussée Brunehaut, au N.-E. <strong>de</strong><br />
<strong>Senlis</strong>.<br />
Quelque peu étendu que fût le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, il l'était plus<br />
encore cependant que le pagus Silvanectensis, ou <strong>Senlis</strong>sois du moyen<br />
Age; il comprenait une portion notable du pagus Va<strong>de</strong>nsis ou du<br />
Valois, qui se trouvait ainsi partagé entre les diocèses <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> et<br />
<strong>de</strong> Soissons. Ce partage est probablement aussi ancien que l'origine<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux évéchés, puisqu'il n'existe dans les textes aucune trace <strong>de</strong><br />
la division plus tardive qui aurait pu en être faite entre l'un et<br />
l'autre <strong>de</strong> ces territoires ecclésiastiques. La capitale du Valois, Crépy<br />
(Crispeium ou Crispiacum ia Va<strong>de</strong>nsi, est toujours indiquée comme<br />
faisant partie du diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, avec la portion occi<strong>de</strong>ntale <strong>de</strong> ce<br />
même pays, et comme constituant un Doyenné distinct. Les comtes<br />
<strong>de</strong> Valois ont pris souvent le titre <strong>de</strong> comtes <strong>de</strong> Crépy, dès le xi e et le<br />
xii e siècle. Raoul II, comte <strong>de</strong> Crépy, assistait au sacre <strong>de</strong> Philippe<br />
1", et Raoul, aïeul d'Adèle, comtesse <strong>de</strong> Vermandois, était<br />
qualifié : Crispeinsis sive Va<strong>de</strong>nsis Comes (3). Ils avaient, sous ce nom,<br />
une monnaie particulière.<br />
Les questions <strong>de</strong> géographie historique soulevées par l'étu<strong>de</strong> du<br />
(1) D. Bouquet, Rec. <strong>de</strong>s hist. <strong>de</strong> Fr., t. VII, p. 616. — Baluze, Capitul.<br />
reg. Fr., t. col. 641. — Guérard, Essai, p. 162 et 163.<br />
(2) N. Gall. chr., t. IX, lnstr., col. 203.<br />
(3) Voir sur le pagus Va<strong>de</strong>nsis, plus tard Comitatus Valesius, les<br />
notes du diocèse <strong>de</strong> Soissons et la Notifia d'Hadr. <strong>de</strong> Valois, p. 580.
— 234 —<br />
diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, ne sont donc pas sans intérêt et sans difficultés,<br />
malgré son peu d'étendue.<br />
On peut constater l'ancienneté <strong>de</strong> la Civitas et du diocèse, remarquables<br />
à cause <strong>de</strong> cette faible étendue, qui rappelle les nombreux<br />
diocèses d'Afrique, réduits parfois à une petite ville et à quelques<br />
bourga<strong>de</strong>s, et dont l'érection en évéchés n'eut pas le plus souvent<br />
d'autre cause que le titre <strong>de</strong> municipium, dont jouissaient primitivement<br />
ces villes sous la domination romaine.<br />
La réunion primitive, incertaine, il est vrai, du pagus <strong>de</strong>s Silvanectes<br />
au territoire plus considérable d'un peuple voisin, les Bellovaci,<br />
avant que ce pagus fût lui-même élevé au rang <strong>de</strong> Civitas.<br />
L'interprétation, plus incertaine encore, du texte altéré <strong>de</strong> Ptolémée<br />
concernant le nom du chef-lieu, Rotomagus au lieu d'Augustomagus,<br />
tandis que la situation réelle <strong>de</strong> cette capitale ne peut pas<br />
être le sujet du moindre doute.<br />
La réunion dans une seule Civitas et dans un seul diocèse ou territoire<br />
antique d'une tribu gauloise, d'une partie d'un autre territoire,<br />
le pagus Vendisis, divisé entre <strong>de</strong>ux évêchés voisins.<br />
Enfin, la réunion par le traité d'An<strong>de</strong>lot, en 557, <strong>de</strong>s trois portions<br />
du territoire <strong>de</strong>s Silvanectes, tel qu'il avait été antérieurement partagé.<br />
Quelle était la partie <strong>de</strong> ce territoire <strong>de</strong>s Silvanectes, duas portiones<br />
<strong>de</strong> Silvanectis, donnée en compensation du tiers du pagus Rossontensis<br />
et d'autres droits sur la Civitas <strong>de</strong>s Parisii dans le traité<br />
d'An<strong>de</strong>lot, entre Gontran. Chil<strong>de</strong>bert et la reine Brunehaut? Ce partage<br />
<strong>de</strong> la Civitas <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> entre les rois Francs est encore indiqué<br />
par ces termes du même chapitre <strong>de</strong> Grégoire <strong>de</strong> Tours : Ad divi-<br />
sionem Silvanectensem. — Pars mea <strong>de</strong> urbe Silvanectensi. — Ut<br />
Silvanectis dominus Chil<strong>de</strong>beri in integritate teneat, et quantnm tertia<br />
domini Guntramnis eœin<strong>de</strong> débita competit, <strong>de</strong> tertia D. Chil<strong>de</strong>berti quœ<br />
est in Rossontense, <strong>de</strong> Guntramni partibus comparetur (1).<br />
(1) Greg. Tur. Hist. Franc, 1. IX, c. XX.
— 235 —<br />
Le tiers du territoire <strong>de</strong> !a Civitas <strong>de</strong> Silvanectis ne pouvait—il pas<br />
être représenté par la portion du pagus Va<strong>de</strong>nsis comprise dans le<br />
diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> ?<br />
Archidiaconés et Doyennés ruraux du diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
S'il fallait ajouter foi aux auteurs <strong>de</strong> la carte du diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>,<br />
publiée en 1709, et dont il a paru <strong>de</strong>ux autres éditions en 1745 et<br />
en 1761, ce diocèse n'était point divisé, comme les autres, en Archidiaconés,<br />
ni subdivisé en Doyennés. C'est la mention qu'on lit, en<br />
effet, sur cette carte, levée par un curé du diocèse, nommé Parent,<br />
et complétée par le géographe G. De l'Isle. Les auteurs ajoutent<br />
il est vrai « que l'on s'est contenté <strong>de</strong> marquer dans la carte les<br />
bornes du Valois et du territoire <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, le diocèse étant compris,<br />
partie dans le pays ou territoire <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> et partie dans le Valois. »<br />
La même assertion se retrouve dans l'Histoire du duché ie Valois,<br />
par Colliette (1), mais avec cette réserve que le diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong><br />
n'aurait été divisé en Doyennés ruraux que pendant le xviiie siècle<br />
(vers 1762). Auparavant, dit cet historien, l'Archidiacre cumulait,<br />
avec ses propres fonctions, celles <strong>de</strong> Doyen <strong>de</strong> tout le diocèse.<br />
Cette opinion, quoique publiée sous l'approbation d'un évêque<br />
(J. Fr. <strong>de</strong> Chamillart) par un <strong>de</strong>s historiens les plus compétents du<br />
Valois, ne me paraît cependant pas fondée.<br />
En effet, dès le xiii e siècle, en 1270, on voit figurer, dans une<br />
charte en faveur <strong>de</strong> la collégiale <strong>de</strong> S.-Aubin <strong>de</strong> Crépy, un Decanus<br />
Christianitatis <strong>de</strong> Crispeio (2) ; et le Decanus Silvanectensis, dont le<br />
titre désigne tantôt le Doyen capitulaire <strong>de</strong> l'église cathédrale,<br />
(1) Hist. du Valois, t. III, p. 143.<br />
(2) Histoire du Valois, t. III, pr., p. civ.
— 236—<br />
tantôt le Doyen rural du territoire, paraît plus fréquemment encore,<br />
ainsi que ï'Archidiacanus, au nombre <strong>de</strong>s signataires <strong>de</strong>s chartes<br />
ecclésiastiques. Entre autres textes on peut citer <strong>de</strong>s chartes <strong>de</strong><br />
1162 et 1184(1).<br />
Les <strong>de</strong>ux territoires politiques <strong>de</strong> ce petit diocèse, savoir : la<br />
partie du pagus Va<strong>de</strong>nsis ou Valois, dont Crépy était la ville principale<br />
et qui était unie au diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, et le pagus Silvaneclensis<br />
proprement dit, ou <strong>Senlis</strong>sien, étaient donc également distincts au<br />
double point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l'administration civile et <strong>de</strong> l'Eglise.<br />
On peut reconnaître <strong>de</strong>ux époques dans la géographie ecclésiastique<br />
du diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> : la première, antérieure à 17S0 ; la<br />
secon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>puis le milieu du xviiie siècle, au moins, jusqu'en 1790.<br />
Dans la première pério<strong>de</strong> on voit <strong>de</strong>ux Doyennés ruraux et huit<br />
dans la secon<strong>de</strong>. Au texte positif du xiiie siècle que j'ai indiqué on en<br />
pourrait ajouter plusieurs autres du xiii e au xviii e siècle. Les statuts<br />
synodaux <strong>de</strong> l'Evêché <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, au xvi e siècle, fout mention <strong>de</strong> plusieurs<br />
Decani, tels sont, entre autres, les statuts promulgués en<br />
1322, par l'évèque Fillon. L'article IX intitulé : Injunctiones ad<br />
Decanos, leur prescrit <strong>de</strong> visiter le plus souvent possible les cures <strong>de</strong><br />
leurs territoires, <strong>de</strong> ne point faire arrêt sur les revenus <strong>de</strong>s bénéfices,<br />
<strong>de</strong> n'avoir point <strong>de</strong> mœurs irrégulières, etc. (2). Le plus ancien<br />
pouillé imprimé, celui d'Àlliot (1648), et les différentes éditions <strong>de</strong><br />
la carte du diocèse, par N. Sanson (1657 et 1741), montrent les<br />
<strong>de</strong>ux Doyennés ruraux.<br />
Doyenné <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, pour la partie occi<strong>de</strong>ntale, ou le <strong>Senlis</strong>sien.<br />
Doyenné <strong>de</strong> Crespy, pour la partie orientale, ou le Valois.<br />
(1) N. Gall. chr., t. IX, Instr., col. 314 et 481.<br />
(2) Actes <strong>de</strong> la Province ecclés. <strong>de</strong> Reims, t. III, p. 16. d'après la collec-<br />
tion <strong>de</strong>s Conciles <strong>de</strong> Rouen (Concil. Rotom. Prov.), par D. Bessin, 1771,<br />
part. II, p. 106.
— 237 —<br />
Le Doyenné <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> était <strong>de</strong>ux fois plus étendu que celui <strong>de</strong><br />
Crépy ou du Valois. Celui-ci reçut aussi le nom d'Archiprêtré.<br />
Ce n'est que dans la secon<strong>de</strong> moitié du xviii e siècle qu'on voit le<br />
nombre <strong>de</strong>s Doyennés ruraux considérablement augmenté et porté<br />
jusqu'à huit. En voici la liste d'après un document assez récent,<br />
il est vrai, mais qui n'en fournit certainement pas la plus ancienne<br />
mention (1).<br />
Doyenné <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong><br />
Doyenné <strong>de</strong> Baron<br />
Doyenné <strong>de</strong> Mortefonlaine . . . .<br />
Doyenné <strong>de</strong> Rully<br />
Doyenné <strong>de</strong> Chantilly<br />
Doyenné <strong>de</strong> Crépy<br />
Doyenné <strong>de</strong> Fresnoy-lès-Louats. .<br />
Doyenné <strong>de</strong> Séry<br />
Territoire <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, partie<br />
occi<strong>de</strong>ntale du diocèse.<br />
Territoire du Valois, partie,<br />
orientale du diocèse.<br />
( L'Annuaire contient, à la suite <strong>de</strong> cette citation, d'autres détails.)<br />
(1) Almanach historique <strong>de</strong> la ville et du diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, année 1788,<br />
p. 68. <strong>Senlis</strong>, 1 vol. in-18. C'est, ce document qui m'a servi <strong>de</strong> base<br />
pour le tableau du diocèse. J'ai restitué les noms anciens d'après les<br />
chartes.
NOTE B.<br />
Tableau <strong>de</strong>s anciens Chemins du Diocèse <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
( Extrait <strong>de</strong> l'Introduction à l'Histoire générale <strong>de</strong> la province<br />
<strong>de</strong> Picardie, par DOM GRENIER. )<br />
( Collection <strong>de</strong>s Mémoires <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s Antiquaires <strong>de</strong> Picardie. 1 vol in-4°, 1856.<br />
Publication faite par MM. Ch. DOFOUR et J. GARNIER.)<br />
CHAPITRE CCXXÏV.<br />
Voie militaire <strong>de</strong> Rome à Boulogne sur Mer.<br />
Cette première voie romaine construite dans la secon<strong>de</strong> Belgique<br />
est celle dont parle Strabon (géogr., 1.4, in fine) : Ad Oceanum et<br />
Bellovacos et Ambianos.<br />
Elle était <strong>de</strong> la première classe <strong>de</strong>s chaussées, c'est-à-dire voie<br />
militaire nommée Via solemnis... Cette voie se nommait aussi Via<br />
Cœsarea...<br />
Comme le géographe Grec ne dit point par quel endroit cette<br />
voie entrait dans la Belgique, Bergier a cru pouvoir suppléer à son<br />
silence par l'Itinéraire connu sous le nom d'Antonin. En suivant ce<br />
gui<strong>de</strong>, il fait venir la chaussée <strong>de</strong> Lyon à Rheims, par la Bourgogne,<br />
par la Champagne, et la conduit <strong>de</strong> Rheims à Soissons, à<br />
Noyon, à Amiens, et enfin à Boulogne-sur-Mer; mais nous ne<br />
voyons pas qu'aucun <strong>de</strong> ces endroits fût du pays <strong>de</strong>s Bellovaces. Cependant<br />
la voie d'Agrippa <strong>de</strong>vait y passer, suivant Strabon, auteur<br />
contemporain. Il est à remarquer que la voie que Bergier a tracée,<br />
d'après l'Itinéraire, est dite Per compendium, c'est-à-dire pour abré-
— 239 —<br />
ger le chemin, ce qui en suppose une autre. Nous la trouvons, cette<br />
voie, <strong>de</strong>puis Soissons jusqu'à Amiens, ou, pour nous conformer à la<br />
ma.rche <strong>de</strong> l'Itinéraire, <strong>de</strong>puis Amiens jusqu'à Soissons, passant<br />
par le Beauvoisis. Elle est beaucoup plus longue, il est vrai, mais<br />
il faut observer que cette chaussée étant la première que les Romains<br />
firent passer dans la Belgique, ils voulaient qu'elle leur servit<br />
à communiquer surtout avec les cités les plus remuantes, telles<br />
qu'était celle <strong>de</strong>s Bellovaces. D'ailleurs qu'était Noyon au temps<br />
d'Auguste, pour être préféré à <strong>Senlis</strong> et à Beauvais. Etait-il même<br />
un camp romain?...<br />
La chaussée militaire passait dans la cité <strong>de</strong> Soissons, auprès <strong>de</strong><br />
l'église <strong>de</strong> Saint-Pierre dit à la Chaux... (<strong>de</strong> Calce pris pour Calceia).<br />
Elle sortait <strong>de</strong> la cité vers la tour nommée <strong>de</strong> l' Evangile, pour passer<br />
une petite rivière, à <strong>de</strong>ux ou trois lieues <strong>de</strong> Soissons, sur le<br />
pont Archer... Ainsi la voie militaire d'Agrippa tirait sur la gauche<br />
et non sur la droite. Nous ferons voir la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> celle qui<br />
allait passer à Vi-sur-Aisne...<br />
(Dom Grenier revenant à la route militaire qui passait par <strong>Senlis</strong><br />
et le Beauvoisis, continue en ces termes.) De là elle tire vers la<br />
Croix-Guerin, sur la gauche du village <strong>de</strong> Haute-Fontaine, à<br />
Chelles, vers Saint-Etienne, sous Pierrefond...<br />
A Champ-Lieu était une station ou un camp romain. De là elle<br />
va passer à Bétizy, où elle traverse la rivière d'Autonne, au pied<br />
<strong>de</strong> la montagne <strong>de</strong> Nery. (D'après <strong>de</strong>s titres du XIII e siècle, elle portait<br />
alors le nom <strong>de</strong> chaussée <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> ou <strong>de</strong> Gran<strong>de</strong>-Chaussée, et<br />
d'Etrée public, Strata publica, ou <strong>de</strong> Chaussée Brunehaut. A ce<br />
point on retrouve la limite <strong>de</strong> ce diocèse.) Elle côtoie ensuite le<br />
village d'Oignon et <strong>de</strong> Balagny, d'où elle se rend en ligne droite à<br />
<strong>Senlis</strong>, Augustomagus... Cette partie <strong>de</strong> la chaussée vient d'être ouverte<br />
pour y faire passer le nouveau chemin <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Crépy.<br />
Nous y avons vu qu'elle n'était remplie dans toute son épaisseur
— 240 —<br />
que <strong>de</strong> pierrailles qui forment une terrasse plus élevée en certaines<br />
parties qu'en d'autres, mais dominant partout les terres voisines.<br />
(Ici Dom Grenier relève, d'accord avec d'Anville, une erreur <strong>de</strong><br />
l'Itinéraire <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Soissons, où l'on trouve XXII milles ou lieues<br />
gauloises marquées comme distance entre ces <strong>de</strong>ux cités; ils<br />
adoptent la substitution proposée <strong>de</strong> XXXII milles qui est celle<br />
réelle.)<br />
De <strong>Senlis</strong> à Beauvais. Il est certain par l'Itinéraire que la voie<br />
militaire venait <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Litano-Briga et <strong>de</strong> là à <strong>Senlis</strong> : mais où<br />
était situé ce Litano-Briga ? La terminaison briga, qui dit la même<br />
chose que briva, indique certainement un passage sur une rivière,<br />
et cette rivière ne peut être autre que la rivière d'Oise, où était<br />
une station. Serait-ce la petite ville <strong>de</strong> Pont-Ste-Maxence ? Son<br />
pont est connu dès les premiers temps <strong>de</strong> la Monarchie. Il existait<br />
même au-<strong>de</strong>là, puisque c'était le passage d'une chaussée romaine.<br />
Mais les nombres <strong>de</strong> l'Itinéraire et <strong>de</strong> la Table, dit M. d'Anville<br />
(Notice <strong>de</strong> la Gaule, p. 418), seraient insuffisants par rapport au<br />
grand détour que la position <strong>de</strong> Pont-Ste-Maxence met entre Beauvais<br />
et <strong>Senlis</strong>. La distance à l'égard <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> est <strong>de</strong> v lieues gauloises<br />
bien complettes au lieu <strong>de</strong> IV ; et à l'égard <strong>de</strong> Beauvais, la<br />
mesure <strong>de</strong> la chaussée donne xx lieues, et ne se réduit point à XVIII.<br />
Serait-ce Creil, autre passage sur la même rivière? Quoique M.<br />
d'Anville penche pour ce sentiment, parce que Creil est plus voisin<br />
<strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, malgré que la distance passe encore les quatre lieues,<br />
d'environ une <strong>de</strong>mie, il nous permettra cependant <strong>de</strong> lui observer<br />
qu'il n'y a aucune trace <strong>de</strong> chaussée romaine entre <strong>Senlis</strong> et Creil (1)<br />
ni au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette petite ville. De plus la voie militaire ne pouvait<br />
aller <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Creil sans faire un cou<strong>de</strong> considérable, et un plus<br />
grand encore, en. passant par Pont-Ste-Maxence. Nous trouverions<br />
(1) La découverte du pont et <strong>de</strong> la chaussée romaine, près <strong>de</strong> Creil,<br />
faite par M. Houbigant, détruit l'assertion <strong>de</strong> Dom Grenier. p. D.
— 241 —<br />
cet inconvénient <strong>de</strong> moins, en suivant la portion <strong>de</strong> chaussée qui<br />
existe encore <strong>de</strong>puis <strong>Senlis</strong> jusqu'à la forêt <strong>de</strong> Chantilly. La distance,<br />
il est vrai, d'Augustomagus à Litano-Briga sera plus longue que les<br />
<strong>de</strong>ux précé<strong>de</strong>ntes, parce que l'on compte plus <strong>de</strong> trois lieues <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong><br />
aux bords <strong>de</strong> l'Oise vers Royaumont, mais aussi les dix-huit<br />
lieues gauloises <strong>de</strong> l'Itinéraire, <strong>de</strong> Litano-Briga à Cœsaromagus s'y<br />
retrouveront plus exactement. Au reste, comme il est constant qu'il<br />
y a faute dans l'Itinéraire, nous pouvons penser que l'erreur peut<br />
tomber sur le plus comme sur le. moins.<br />
Nous reprenons donc la voie militaire où nous l'avons laissée,<br />
c'est-à-dire à <strong>Senlis</strong>. Nous la suivons à travers les marais du faubourg<br />
Saint-Martin. Si elle est dirigée sur ce faubourg plutôt que<br />
sur la cité existante, que nous croyons avoir été bâtie par Posthume,<br />
c'est que probablement la cité d'Auguste avait été construite en cet<br />
endroit, qui, avec le quartier <strong>de</strong> la ville mo<strong>de</strong>rne, où est située<br />
l'abbaye <strong>de</strong> Saint-Vincent est nommé dans les anciens titres <strong>de</strong><br />
l'abbaye Alodium regium, Vic-Tellus. La rue et le carrefour <strong>de</strong> Vi-<br />
Tel sont encore connus à <strong>Senlis</strong> ; or Vic-Tellus latin, et Yi-Tel indiquent<br />
bien clairement le passage <strong>de</strong> la voie militaire ; si elle<br />
n'existe plus dans ce quartier, en voici les raisons : (Le bout <strong>de</strong> la<br />
chaussée avait été coupé le long <strong>de</strong> la contrescarpe pour la sûreté<br />
<strong>de</strong> la ville pendant les guerres civiles. Voilà, dit Dom Grenier,<br />
pourquoi on ne commence à la reconnaître que <strong>de</strong>puis la Maison<br />
<strong>de</strong>s Renfermés jusqu'à la forêt <strong>de</strong> Chantilly. Depuis Bétizy jusquelà,<br />
elle est comme tirée au cor<strong>de</strong>au.)<br />
Entrée dans le bois, la voie militaire s'y laisse apercevoir d'espace<br />
en espace, comme il appert par la carte <strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Isle, et comme<br />
nous l'avons vérifié.<br />
Elle ne parait plus au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong>-Etoile. On croit cependant<br />
qu'elle passait à la Voie <strong>de</strong>s Tombes, pour gagner la Morlaye,<br />
ancien palais <strong>de</strong>s rois <strong>de</strong> la première race. Depuis Rheims jusqu'ici,<br />
nous regardons cette chaussée comme la Voie Solennelle dont parle<br />
17
— 242 —<br />
Ammien Marcellin (lib. 20, c. 4), et par laquelle Julien l'Apostat<br />
fit venir à Paris les légions qui étaient dans le pays Remois. La Morlaye<br />
nous rapproche d'un village nommé Lits, formé du mot Belgique<br />
Litano, sa position Briga ou Briva, c'est-à-dire un pont, ou en<br />
général un passage sur une rivière : la direction <strong>de</strong> la chaussée<br />
qui n'avait besoin <strong>de</strong> faire qu'un petit cou<strong>de</strong> à la Morlaye pour<br />
arriver en ce lieu. Peut-être même ne serait-il pas impossible <strong>de</strong><br />
retrouver entre Lits et la Morlaye les vestiges <strong>de</strong> la Voie militaire,<br />
et dans la rivière les restes du pont qui y était construit : tout cela<br />
semble bien approcher <strong>de</strong> l'évi<strong>de</strong>nce, surtout si ce lieu <strong>de</strong> Lits était<br />
le Litano-Briga, connu par <strong>de</strong>s médailles gauloises Nous ne<br />
sommes pas bien certains <strong>de</strong> l'endroit où la voie traversait la rivière<br />
d'Oise ; nous savons seulement qu'il y avait sur la rive droite<br />
un port nommé Corceloi (titre <strong>de</strong> l'abbaye <strong>de</strong> Fromint 124), et il<br />
n'était pas éloigné <strong>de</strong> Bruyères : Apud Bruierias juxta Isaram, jvxta<br />
pontem Corceloi.<br />
En supposant que le pont fût en cet endroit, le port <strong>de</strong>vait être<br />
encore plus voisin <strong>de</strong> Boren, à cause <strong>de</strong> l'église paroissiale dédiée à<br />
Saint-Vast... La voie allait droit à Bruyères... Elle portait le nom<br />
<strong>de</strong> Chemin <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Chambly, quoiqu'elle n'allât pas jusque-là ;<br />
car à Bruyères elle faisait un cou<strong>de</strong> pour gagner Crouy. Cela est<br />
prouvé par plusieurs manuscrits. (Dans un titre <strong>de</strong> 1257, on la<br />
nommait la vieille Chaussée qui allait à Beauvais)... Dans un titre <strong>de</strong><br />
1232 <strong>de</strong> l'abbaye <strong>de</strong> Froimont, on trouve : juxta stratam que tendit a<br />
Brueriis ad Croy... petia {terre} qui dicilur terra <strong>de</strong> Longa meta, strate<br />
memorate contigua. Or, il se trouvait sur cette portion <strong>de</strong> la chaussée<br />
une colonne milliaire conservée encore en 1750...<br />
De Crouy, la Voie militaire allait passer à Sainte-Geneviève, à<br />
côté du bois <strong>de</strong> Noailles, à cinquante pas <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières maisons <strong>de</strong><br />
Boncourt, longeant les montagnes <strong>de</strong> Vaux-Gérain, <strong>de</strong> Boncourt et<br />
<strong>de</strong> Tillart, et sur la droite d'Hodan-l'Evêque. Là, elle prenait le<br />
nom <strong>de</strong> Chaussée Brunehaut, qu'elle conservait jusqu'au bois <strong>de</strong>
— 243 -<br />
Fesc, après avoir séparé les terroirs d'A.bbecourt et <strong>de</strong> Saint-Sulpice,<br />
après avoir passé au pied du moulin à vent d'Abbecourt, cottoyé<br />
le champ Dolent, la seigneurie <strong>de</strong> Silly, et coupé la rue <strong>de</strong>s<br />
Godins au calvaire d'Abbecourt. (Elle portait là le nom <strong>de</strong> Chaussée<br />
d'Abbecourt.)... Après avoir côtoyé le lois <strong>de</strong> Fesc, la chaussée<br />
Brunehaut tirait sur la gauche <strong>de</strong> Bongenou, <strong>de</strong> là au bois <strong>de</strong> Saint-<br />
Lazare, et ensuite vers l'abbaye <strong>de</strong> Saint-Symphorien, d'où elle<br />
<strong>de</strong>scendait et entrait dans la ville <strong>de</strong> Beauvais par la porte <strong>de</strong> Saint-<br />
Jean.<br />
CHAPITRE CCXXV.<br />
La Voie Militaire raccourcie <strong>de</strong>puis Pont-1'Archer<br />
jusqu'à Amiens.<br />
Reprenons la voie militaire au Pont-1'Archer, en <strong>de</strong>çà <strong>de</strong> Soissons.<br />
Cette chaussée <strong>de</strong> Rheims à Boulogne, telle que nous venons<br />
<strong>de</strong> la décrire, était d'un trajet très-long. On a songé dans la suite à<br />
l'abréger; c'est ce que ces mots <strong>de</strong> l'Itinéraire aut per compendimn<br />
semblent indiquer clairement. Ainsi, pour la rendre plus courte,<br />
Septime Sévère (On verra bientôt pourquoi nous attribuons l'entreprise<br />
à cet Empereur,) la fit diriger sur le plan que voici :<br />
La nouvelle voie fourchait avec l'ancienne au Pont-l'Archer pour<br />
aller passer la rivière d'Aisne (Carlier, hist. <strong>de</strong> Valois, t.1, p. 15)<br />
sur la droite <strong>de</strong> Vi-sur-Aisne, Via super Axonam, sur un pont dont<br />
on apperçoit encore les vestiges lorsque les eaux sont basses, vis-àvis<br />
une croix, dite la Croix du vieux Pont; <strong>de</strong> là elle traverse la<br />
prairie <strong>de</strong> Vi-sur-Aisne, laissant Berny à droite.<br />
M. l'abbé Carlier dit qu'elle traversait la place d'armes du château<br />
<strong>de</strong> Berny. On compte <strong>de</strong> Vi-sur-Aisne à Soissons trois lieues et <strong>de</strong>mi<br />
ou huit milles toises qui reviennent presque à sept lieues gauloises,<br />
dont le calcul est <strong>de</strong> 7938 toises. M. Moreau <strong>de</strong> Mautour (p. 250,
— 244 —<br />
t. m <strong>de</strong> l'hist. <strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong>s Inscriptions) et Dom <strong>de</strong> Monfaucon,<br />
t. IV du suppl. <strong>de</strong> l'Antiquité expliquée) ont fait graver <strong>de</strong>ux<br />
colonnes milliaires dont les nombres <strong>de</strong>s distances marquées <strong>de</strong>ssus<br />
peuvent revenir à ces trois lieues et <strong>de</strong>mi, car elles portent l'une<br />
et l'autre sept lieues gauloises <strong>de</strong> l'endroit où elles étaient placées<br />
à Soissons, d'autant mieux encore que l'une est conservée dans la<br />
maison <strong>de</strong> campagne que l'abbé <strong>de</strong> Saint-Médard <strong>de</strong> Soissons a à<br />
Vi-sur-Aisne et l'autre dans l'abbaye même. Mais, dira-t-on, pourquoi<br />
<strong>de</strong>ux colonnes à la même distance ? Dom Monfaucon répond<br />
(p. 114) que celle qui est à Vi-sur-Aisne avait été mise apparemment<br />
à la place <strong>de</strong> l'autre aussitôt après la mort <strong>de</strong> l'Empereur,<br />
afin que son successeur se trouvât le premier et le seul. Nous ne<br />
déci<strong>de</strong>rons point cette question. Nous avons comparé les gravures<br />
<strong>de</strong> ces colonnes avec les <strong>de</strong>ssins qui avaient été envoyés à Dom<br />
Monfaucon...<br />
La première fut érigée après l'année 204 en l'honneur <strong>de</strong> l'empereur<br />
Septime Sévère et d'Antoine Caracalla son fils, qui était alors<br />
associé à l'empire, par les soins <strong>de</strong> Lucius-P. Posthumus, comme il<br />
parait par l'inscription au défaut <strong>de</strong> laquelle Dom <strong>de</strong> Monfaucon et<br />
M. <strong>de</strong> Mautour ont suppléé ainsi :<br />
IMPERATORE CAESARE LUCIO<br />
SEPTIMIO SEVERO PIO PER-<br />
TINACE AUGUSTO ARA-<br />
BICO ADIABENICO<br />
PARTHICO MAXIMO<br />
PATRE PATRIAE CONSULE TERTIUM ET<br />
IMPERATORE CAESARE<br />
MARCO AURELIO ANTONI-<br />
NO PIO FELICE<br />
( AUGUSTO PARTH1CO MAX1MO )<br />
CONSULE CURANTE LUCIO P.
— 245 —<br />
POSTUMO LEGATO AUGUSTORUM<br />
P. P. (PROPRAETORE) AB AUGUSTA SUES-<br />
SIONUM<br />
LEUGA SEPTIMA. (Leugis septem.)<br />
Cette colonne a été déterrée près <strong>de</strong> l'abbaye <strong>de</strong> Saint-Médard <strong>de</strong><br />
Soissons, sur le chemin <strong>de</strong> Crouy, non en 1709, comme le dit Monfaucon,<br />
mais en 1708. Nous avons sous les yeux la lettre <strong>de</strong> Dom<br />
Eustaches Giles, en date du premier juillet <strong>de</strong> cette armée qui lui<br />
annonce cette découverte comme toute récente. Il ajoute qu'elle<br />
avait été une <strong>de</strong>s quatre bornes qui, suivant la tradition, étaient<br />
plantées aux quatre coins <strong>de</strong> l'abbaye <strong>de</strong> Saint-Médard.<br />
La secon<strong>de</strong> colonne, d'une pierre très-dure, ainsi que la précé<strong>de</strong>nte,<br />
est dressée dans la cour du château abbatial <strong>de</strong> Vi-sur-<br />
Aisne. Elle fut découverte (Antiq. expl., p. 3) dans les <strong>de</strong>rnières<br />
années du siècle précé<strong>de</strong>nt, en travaillant à un bâtiment que M. <strong>de</strong><br />
Pomponne avait ordonné <strong>de</strong> construire. Sa hauteur est celle d'un<br />
homme ordinaire. Elle était détachée <strong>de</strong> sa base qui n'a point été<br />
retrouvée. L'inscription n'avait rien souffert alors <strong>de</strong> l'injure du<br />
temps. La voici avec l'explication qu'en a donnée Dom <strong>de</strong> Monfaucon.<br />
IMPERATORE CAESARE<br />
MARCO AERELIO AN-<br />
TONINO PIO<br />
AUGUSTO BRITANNI-<br />
CO MAXIMO TRIBUNITIA<br />
POTESTATE XIIII. IMPERATORE II<br />
CONSULE IIII. PATRE PATRIE PRO-<br />
CONSULE AB AUGUSTA<br />
SUESSIONUM LEUGA VII.<br />
Ce monument est <strong>de</strong> l'empire <strong>de</strong> Marc-Aurèle-Antonin Caracalla<br />
(Hist. <strong>de</strong> l'Acad. <strong>de</strong>s Inscrip,, t. III, p. 254). L'époque <strong>de</strong> sa puis-
— 246 —<br />
sance tribunitienne indique l'année 212 <strong>de</strong> l'ère chrétienne. Dom <strong>de</strong><br />
Monfaucon (Ant. expl., suppl.) dit cependant que toutes les notes<br />
chronologiques concourent avant l'an <strong>de</strong> J.-C. 211. Quoiqu'il en<br />
soit, ce monument et le précé<strong>de</strong>nt font preuve que la nouvelle<br />
voie militaire ayant été commencée par le père fut achevée ou du<br />
moins bien avancée par le fils.<br />
Arrivée sur la montagne <strong>de</strong> Vi-sur-Aine, elle laisse Autrèches<br />
sur la droite, Puiseux sur la gauche (1). En longeant son territoire,<br />
elle prend le nom <strong>de</strong> Via publica, dans un échange <strong>de</strong> l'année 1156,<br />
entre les abbayes <strong>de</strong> Saint-Médard, <strong>de</strong> Soissons et d'Ourscamp ; en<br />
traversant le territoire <strong>de</strong> Nancel, une charte <strong>de</strong> 1142 lui donne le<br />
nom <strong>de</strong> Chaussée tout simplement : Calceia in territorio <strong>de</strong> Nancel.<br />
En passant sur la droite <strong>de</strong>s Loges, l'abbé Le Beuf (Diss. sur le<br />
Soisson., p. 97) lui donne le titre <strong>de</strong> chemin militaire. Un peu plus<br />
loin, elle est qualifiée <strong>de</strong> Voie royale, dans un don fait en 1133 à<br />
l'abbaye d'Ourscamp, par Goislin, évêque <strong>de</strong> Soissons (Cart. Ursi-<br />
campi, folio 26 V e ) : Unum Campum... adjacentem vie regie que vulgo<br />
appellatur Kalchie <strong>de</strong> Valle Kaneuheris (la vallée Quennévière)...<br />
Cette chaussée <strong>de</strong>scendait vers Cus, là elle forme un cou<strong>de</strong> pour<br />
gagner Noyon qui est à <strong>de</strong>ux lieues <strong>de</strong> là. Arrivée à Pontoise, la<br />
chaussée passait la rivière d'Oise sur un pont qui n'existait plus dès<br />
1276. On y avait substitué un bac qui servit en 1186 à rétablir le<br />
passage public que les évéques avaient porté au passage <strong>de</strong> Pontl'Evêque.<br />
Cette chaussée passe plus loin sur un autre pont dit le Pont-Orgueil.<br />
Elle continue <strong>de</strong> là en ligne droite jusqu'à Noyon sous les<br />
noms <strong>de</strong> Calciata, Regia Strata (chartes du XIIIe siècle), <strong>de</strong> chaussée<br />
<strong>de</strong> Noyon (xv e siècle). L'Oroer, Oratorium <strong>de</strong> Saint-Eloy, c'est-àdire<br />
l'abbaye <strong>de</strong> ce nom qui a été détruite pour bâtir une cita<strong>de</strong>lle<br />
(1) C'est là où elle se croise avec le chemin gaulois-romanisé, direct<br />
<strong>de</strong> Soissons à l'Oise. — P. D.
— 247 —<br />
au xvi e siècle, était établie sur la chaussée. Elle entre dans la ville<br />
par la porte <strong>de</strong> Saint-Eloy, et suit la rue <strong>de</strong> ce nom jusqu'à celle<br />
<strong>de</strong> l'évêché où était la porte <strong>de</strong> Noyon (Noviomagus), poste du commandant<br />
<strong>de</strong>s Letes-Bataves-Condrinois, Praefectus Lœtorum Batavo-<br />
rum Contraginensium Noviomago Belgicae secundœ... Cette chaussée,<br />
<strong>de</strong>puis en <strong>de</strong>ça <strong>de</strong> Pontoise jusqu'au faubourg <strong>de</strong> Vè, avait été abandonnée<br />
avant l'an 1180, comme il est certain, par un règlement <strong>de</strong><br />
celte année <strong>de</strong> Rainold, évèqùe <strong>de</strong> Noyon. Le chemin public, laissant'<br />
Pontoise, la rue d'Oroer et Noyon sur la droite, allait traverser la<br />
rivière d'Oise à Pont-1'Evêque. Ce ne fut que cette même année<br />
1180 que les choses furent rétablies comme au temps <strong>de</strong>s Romains.<br />
De Noyon à Roieglise. A la sortie <strong>de</strong> Noyon la chaussée traverse<br />
une petite rivière au faubourg <strong>de</strong> Vé, Vadum, qui veut dire un passage<br />
public... <strong>de</strong> là passant entre le rû qui vient <strong>de</strong> la fontaine du<br />
Mesnil, et entre le rû qui vient du marais <strong>de</strong> Vauchelles... laissant<br />
Beaurain à droite, entre le bois d'Oresmaux et Béhancourt... traverse<br />
la forêt <strong>de</strong> Bouvresse, qui était autrefois d'une plus gran<strong>de</strong><br />
étendue, passe entre Avricourt et Maregny-aux-Cerises, et <strong>de</strong> là<br />
arrive à Roieglise... Là, le Nucleus était formé <strong>de</strong> fragments <strong>de</strong> poterie<br />
romaine liés dans un lit <strong>de</strong> glaise. Elle y conserve le nom <strong>de</strong><br />
Chaussée Brunehaut. Elle est enterrée vers le milieu du village <strong>de</strong><br />
Roieglise sous la chaussée récente... Cette voie militaire va <strong>de</strong><br />
Roieglise à Roie. Castrum Roiense versum viam regiam, perquam ilur..<br />
apud Novionum.
NOTE C.<br />
( Extrait <strong>de</strong> la Notice archéologique du département <strong>de</strong> l'Oise,<br />
Par M. GRAVES.)<br />
I. De Soissons à Amiens (Chaussée Brunehaut, p. 186.)<br />
Nous n'avons pu vérifier les métrés <strong>de</strong> Soissons à Noyon, <strong>de</strong><br />
Noyon à Amiens, <strong>de</strong> Soissons à Pontoise, et <strong>de</strong> Roiglise à Sétucis,<br />
la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> cette ligne étant hors <strong>de</strong> nos limites.<br />
L'axe <strong>de</strong> la chaussée dans l'alignement <strong>de</strong> Cuts à Roiglise, passe<br />
précisément entre les clochers <strong>de</strong> la Cathédrale <strong>de</strong> Noyon. Cette<br />
voie est occupée en partie par la route départementale <strong>de</strong> Noyon à<br />
Villers-Côterets, <strong>de</strong>puis Vic-sur-Aisne jusqu'à la hauteur <strong>de</strong>s Loges :<br />
son remblai est très-visible par intervalles ; il y avait à l'origine du<br />
vallon <strong>de</strong> Touvent, un pont à plein cintre nommé le pont Gruyer,<br />
qui a été détruit récemment.<br />
Dom Grenier dit qu'on la trouve désignée dans les lettres <strong>de</strong><br />
Goislin, évêque <strong>de</strong> Noyon, <strong>de</strong> 1133, par les termes: Via regia que<br />
vulgo appellatur kalchie <strong>de</strong> Valle-kanuecheris,qu'il traduit par la<br />
vallée <strong>de</strong> Quennevière.<br />
Ceci doit s'entendre du hameau <strong>de</strong> Quennevières, commune <strong>de</strong><br />
Moulin-sous-Touvent, situé à l'est d'un ravin coupé par la<br />
chaussée.<br />
Elle est nommée Calceia Castellani dans une charte d'avril 1243,<br />
concernant l'abbaye <strong>de</strong> Saint-Barthélémy <strong>de</strong> Noyon. A la hauteur<br />
<strong>de</strong> Nampcel, une échancrure laisse voir que la couche supérieure<br />
est formée <strong>de</strong> cailloux mêlés <strong>de</strong> terre sur une épaisseur <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
pieds, et au-<strong>de</strong>ssous d'une épaisseur égale <strong>de</strong> roche calcaire à
— 249 —<br />
nummulites tombée en décomposition ; la base consiste en blocs<br />
énormes <strong>de</strong> pierre et <strong>de</strong> grès. La section comprise entre les Loges et<br />
le mont <strong>de</strong> Choisy n'étant plus fréquentée <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles,<br />
montre <strong>de</strong>s parties entières dont la gran<strong>de</strong>ur existe à juste titre<br />
l'étonnement. Mesurée à l'arbre <strong>de</strong> Blérancourt, on lui trouve<br />
seize mètres <strong>de</strong> largeur et cinq d'élévation à l'axe ; on y voit saillir,<br />
d'espace en espace, <strong>de</strong>s blocs énormes <strong>de</strong> grès et <strong>de</strong> calcaires à nummuliles<br />
sortant <strong>de</strong>s fondations.<br />
A l'arbre <strong>de</strong>s Loges, le profil transversal n'est pas moindre <strong>de</strong><br />
vingt mètres.<br />
Un peu plus loin, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Bellefontaine, elle a trente mètres<br />
<strong>de</strong> largeur et vingt pieds <strong>de</strong> hauteur ; sa masse présente l'aspect<br />
d'un énorme rempart.<br />
De là au mont <strong>de</strong> Choisy, elle est couverte <strong>de</strong> nummulites provenant<br />
<strong>de</strong> la décomposition <strong>de</strong> ses matériaux.<br />
On croit que le plateau <strong>de</strong> Choisy était un carrefour d'où partaient<br />
<strong>de</strong>s embranchements, <strong>de</strong> cette route principale.<br />
Après avoir <strong>de</strong>scendu le coteau, on ne voit plus la chaussée qui<br />
est enfoncée à <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur, sous les sables entraînés<br />
par les eaux atmosphériques.<br />
Mais dans la vallée <strong>de</strong> l'Oise, elle forme un remblai élevé <strong>de</strong><br />
vingt pieds.<br />
Cette section <strong>de</strong> la vallée était abandonnée et comme détruite<br />
au douzième siècle, car il existe <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> Renaud, évêque<br />
comte <strong>de</strong> Noyon, <strong>de</strong> l'année 1180, qui en ordonne le rétablissement<br />
et qui la qualifient <strong>de</strong> regia strata. D'autres lettres <strong>de</strong> 1276 parlent<br />
<strong>de</strong> travaux faits ad retinendum et sustinendum calceiam prœdictam<br />
propè baccum epsius episcopi <strong>de</strong> Pontisarâ.<br />
On fit alors sans doute les ponceaux qui existaient encore en<br />
1832 et qui étaient <strong>de</strong>stinés à faciliter l'écoulement <strong>de</strong>s eaux dont<br />
le cours naturel était barré par la levée ; mais ces eaux sauvages<br />
n'étant pas réglées, il arriva que leur passage par le canal étroit <strong>de</strong>
— 250 —<br />
chaque ponceau détermina en aval <strong>de</strong>s affouillements qui entraînèrent<br />
bientôt le déchaussement <strong>de</strong> la voie.<br />
Elle était en ruines <strong>de</strong>puis plusieurs siècles, lorsqu'on établit en<br />
1831, sur sa direction, la route départementale <strong>de</strong> Noyon à Soissons<br />
par Cuts ; on eut alors occasion <strong>de</strong> reconnaître que le fond du<br />
remblai était construit avec <strong>de</strong>s blocs énormes <strong>de</strong> grès brut et <strong>de</strong><br />
roche calcaire venant <strong>de</strong>s coteaux voisins, dont quelques-uns<br />
avaient plusieurs mètres <strong>de</strong> côté ; au-<strong>de</strong>ssus était un revêtement en<br />
moellons <strong>de</strong> grès ; la, route avait au plus vingt pieds <strong>de</strong> largeur ; ses<br />
débris procurèrent beaucoup <strong>de</strong> médailles impériales.<br />
Les anciens titres attestent qu'après avoir franchi le bac <strong>de</strong><br />
Pontoise, elle traversait un petit pont nommé le Pont-Orgueil ; nous<br />
croyons que ce passage dont il ne reste aucun vestige était placé<br />
sur la gran<strong>de</strong> anastomose <strong>de</strong> l'Oise supprimée en 1786, qui passait<strong>de</strong>vant<br />
Varesnes et se prolongeait jusqu'à Pont-1'Evêque.<br />
Elle traverse dans toute sa longueur le faubourg <strong>de</strong> Rudoroire<br />
pour arriver à la ville <strong>de</strong> Noyon, sous la cathédrale <strong>de</strong> laquelle son<br />
trajet direct <strong>de</strong>vait la conduire, ou du moins tout auprès, dans<br />
l'alignement <strong>de</strong> la rue Saint-Eloi. Selon d'anciens écrits elle aboutissait<br />
au milieu du rond-point <strong>de</strong> l'église Saint Eloi, qui n'existe<br />
plus.<br />
De Noyon à Roye le remblai est moins sensible, parce qu'il n'a<br />
pas cessé, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles, d'être fréquenté comme gran<strong>de</strong><br />
route. C'est au bord <strong>de</strong> cette partie qu'on a rencontré, vis-à-vis le<br />
moulin <strong>de</strong> Caumont, les antiquités dont il a été question ci-<strong>de</strong>ssus,<br />
page 158 <strong>de</strong> la Notice <strong>de</strong> M. Graves.<br />
D. Grenier rapporte que vers la forêt <strong>de</strong> Bouvresse, la chaussée<br />
était formée, « <strong>de</strong> cailloux noirs très durs reposant sur un lit très<br />
« épais d'une espèce <strong>de</strong> glaise mêlée <strong>de</strong> poteries romaines, comme<br />
« vases et tuiles. »<br />
Les titres <strong>de</strong> l'abbaye d'Ourscamp, du XII e siècle, l'appellent<br />
via publica et via regia.
— 251 —<br />
Elle est qualifiée <strong>de</strong> cauchie dans les titres du XV° siècle.<br />
Une charte <strong>de</strong> 1243 l'appelle Calceiam Roiensem.<br />
C'est en 1768 qu'elle fut mise à l'état <strong>de</strong> grand chemin, ce qui<br />
lui enleva une partie <strong>de</strong> son aspect antique.<br />
Selon Carlier (1), César conçut l'idée <strong>de</strong> cette voie militaire dès<br />
qu'il eut conquis la Gaule et en ayant laissé l'exécution à l'Empereur<br />
Auguste, celui-ci en chargea son gendre Agrippa. La section <strong>de</strong><br />
Soissons à Noyon lui parait avoir été entreprise sous l'Empereur<br />
Caracalla, et il ne la considère que comme un embranchement <strong>de</strong> la<br />
route ci-après qui allait par <strong>Senlis</strong> et Beauvais : son opinion est<br />
fondée sans doute sur le passage <strong>de</strong> Strabon, suivant lequel Agrippa<br />
conduisit sa troisième voie partant <strong>de</strong> Lyon par le Beauvaisis :<br />
tertiam ad oceanum et Bellovacos et Ambianos (Géograph., lib. IV). Ce<br />
texte ne doit pas prévaloir, selon nous, contre les indications si<br />
précises d'Antonin qui parle aussi <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième ligne, bien moins<br />
directe que celle-ci : d'ailleurs Strabon a désigné probablement<br />
par une seule phrase la route principale <strong>de</strong> ses branches.<br />
D'Anville à prouvé, dans ses éclaircissements géographiques sur<br />
l'ancienne Gaule, que la voie <strong>de</strong> Lyon à Boulogne fut achevée au<br />
plus tard, dix-sept ans avant J.-C.<br />
II. D'Amiens à Soissons par <strong>Senlis</strong>.<br />
Cette voie, confondue avec la précé<strong>de</strong>nte dans plusieurs ouvrages,<br />
et prise à tort, selon nous, pour la route militaire directe <strong>de</strong> Lyon à<br />
Boulogne, tandis qu'elle peut en être tout au plus un embranchement,<br />
est ainsi jalonnée dans l'itinéraire d'Antonin :<br />
(1) Histoire du Valois, tom. I, page 13.
— 252 —<br />
à Samarobriva Curmiliacam. . . . M. P. XII. (1)<br />
Caesaromagus XIII.<br />
Litanobrigam XVIII.<br />
Augustomagum IV.<br />
Suessones XXII.<br />
Sic . M. P. LXXXIX.<br />
Ce qui est une erreur déjà relevée par Grégoire d'Essigny (2) car<br />
le total <strong>de</strong>s distances partielles ne donne que soixante-neuf milles.<br />
Sa direction est bien connue dans la première et la <strong>de</strong>uxième<br />
parties du tracé qui peut être considéré comme divisé en quatre<br />
sections.<br />
1° D'Amiens à Beauvais, par Cormeille (chaussée Brunehaut).<br />
Elle pénètre dans le département en quittant celui <strong>de</strong> la Somme,<br />
par le territoire <strong>de</strong> Gouy-Iès-Groselier, où elle est fort endom-<br />
magée, passe à l'église <strong>de</strong> ce village après lequel elle a disparu sous<br />
les anticipations jusqu'aux bois <strong>de</strong> Bonneuil et <strong>de</strong> Blancfossé ; elle<br />
vient ensuite près <strong>de</strong> la Neuville qu'on a dit être, selon toute proba-<br />
bilité, la station Curmiliaca, puis à l'est <strong>de</strong> Cormeille, du Crocq,<br />
entre les bois <strong>de</strong> Malassise et le parc d'Ardivilliers ; <strong>de</strong> là elle<br />
tourne légèrement vers le sud-ouest, laisse Ourcel-Maison à l'ouest<br />
arrive au bout <strong>de</strong> Puits-la-Vallée parcourt la gran<strong>de</strong> rue <strong>de</strong> la<br />
Chaussée-du-bois-d'Ecu, traverse à angle droit celle <strong>de</strong> Maulers,<br />
d'où elle vient à l'est <strong>de</strong> Mindorge, et successivement à l'ouest <strong>de</strong><br />
Fontaine-Saint-Lucien et <strong>de</strong> Guignecourt où elle touche les bois <strong>de</strong><br />
Tronquoi ou Tronchois; elle coupe ensuite, en biais, le vallon <strong>de</strong><br />
Calets et remonte dans le bois du Fayel où elle est bien visible, et<br />
(1) Ces millia passum représentent, comme on sait, <strong>de</strong>s lieues gau-<br />
loises.<br />
(2) Mémoire sur les voies romaines page 28.
— 253 —<br />
au sortir duquel elle est confondue avec la route actuelle qui<br />
conduit <strong>de</strong> Breteuil à Beauvais.<br />
La distance d'A.miens ( Samarobriva ) à Curmiliaca a déjà été<br />
indiquée <strong>de</strong> 28,400 mètres, et celle <strong>de</strong> Curmiliaca à Beauvais<br />
(Cœsaromagus) 28,200 mètres.<br />
Cette voie a été construite en cailloux silex comme les routes<br />
actuelles du pays ; elle se montre partout en remblai, et parait<br />
avoir été garnie, notamment vers Cormeille, <strong>de</strong> fossés dont les talus<br />
avaient un revêtement <strong>de</strong> cailloux. Elle est large <strong>de</strong> vingt-quatre<br />
pieds aux environs du Crocq, <strong>de</strong> cinquante à peu près vers la<br />
chaussée, <strong>de</strong> vingt-quatre aussi au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Guignecourt, <strong>de</strong> vingtcinq<br />
avec <strong>de</strong>s fossés <strong>de</strong> six pieds ensemble sur les laris <strong>de</strong> Rieux.<br />
On peut voir au lieu dit Remainval que la chaussée avait cinq<br />
pieds d'épaisseur, que les cailloux étaient mêlés <strong>de</strong> quelques rares<br />
fragments <strong>de</strong> tuiles, et que le massif portait sur un remblai <strong>de</strong><br />
terre sans vestiges <strong>de</strong> maçonnerie. La surface en est encore unie<br />
sur plusieurs points, comme si elle était garnie <strong>de</strong> dalles, dans<br />
d'autres, comme à Puits la Vallée et à Hardivilliers, le remblai<br />
coupé par tranchées semble former une série <strong>de</strong> tertres.<br />
Cette ligne était toute militaire et s'appelait le chemin du Roi<br />
sous le règne <strong>de</strong> Louis XIV.<br />
On la reconnaît sous le nom <strong>de</strong> Gauchie <strong>de</strong> Maulers.<br />
Les titres <strong>de</strong> l'abbaye <strong>de</strong> Froidmont remontant à la fin du XIIIe<br />
siècle, la qualifient <strong>de</strong> magna calceia.<br />
On la trouve aussi désignée, à différentes époques, sous les noms<br />
<strong>de</strong> haute chaussée, chaussée <strong>de</strong> Tillé, chaussée d'Amiens, Calceia<br />
Hardivillaris, et surtout chaussée Brunehaut.<br />
2° De Beauvais à Litanobriga. Le tracé complet <strong>de</strong> cette section<br />
n'a pu jusqu'à ce moment être retrouvé avec certitu<strong>de</strong> sur le terrain.<br />
Nous avons exposé (page 104) les faits et les considérations qui<br />
doivent assigner l'emplacement <strong>de</strong> Litanobriga un peu au-<strong>de</strong>ssus<br />
du pont <strong>de</strong> Creil, selon les inductions <strong>de</strong> d'Anville.
— 254 —<br />
Le vieux chemin remarqué par M. Houbigant dans le marais <strong>de</strong><br />
Nogent-les-Vierges, a tous les caractères d'une voie romaine, et<br />
<strong>de</strong>vient par conséquent un point incontestable sur la ligne que nous<br />
recherchons ; il est connu dans le pays sous le nom <strong>de</strong> chaussée ; il<br />
forme un remblai à bords soutenus par <strong>de</strong> grosses pierres équarries ;<br />
il aboutit sur la berge droite <strong>de</strong> l'Oise au faubourg <strong>de</strong> Layeau (au<br />
<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l'eau), vis-à-vis le magasin aux sables <strong>de</strong> la fabrique <strong>de</strong><br />
glaces, <strong>de</strong> Saint-Gobain, précisément sur l'axe du pont dont les<br />
vestiges ont été constatés dans la rivière.<br />
Cette levée était percée <strong>de</strong> huit à dix ponceaux, et M. Houbigant,<br />
qui en a vu les restes, a reconnu que leurs arches en plein cintre<br />
étaient formées <strong>de</strong> claveaux égaux à la manière <strong>de</strong>s constructions<br />
romaines.<br />
11 y avait un encaissement considérable composé <strong>de</strong> grès retaillé<br />
mêlé aux <strong>de</strong>ux tiers avec <strong>de</strong>s matériaux calcaires.<br />
En fouillant dans son parc et sur la direction <strong>de</strong> la levée, M. Houbigant<br />
a retrouvé en 1833, à dix-huit pouces <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur, la<br />
continuation <strong>de</strong> l'empierrement soutenu par <strong>de</strong>ux murs parallèles<br />
épais chacun <strong>de</strong> quatre pieds, bâtis <strong>de</strong> grosses pierres parementées,<br />
maçonnées à chaux et à sable. Le parc dont il s'agit est à l'ouest du<br />
village <strong>de</strong> Nogent ; il en était séparé et formait un hameau distinct<br />
avant la construction <strong>de</strong> la route royale d'Amiens, qui a été tracé,<br />
dans cette localité, vers 1730 : or, nous voyons ce hameau nommé<br />
la Chaussée sur <strong>de</strong>s cartes du diocèse <strong>de</strong> Beauvais, publiées en 1700,<br />
et <strong>de</strong>s titres <strong>de</strong> l'évêché remontant au XVII e siècle, le signalent sous<br />
la même dénomination.<br />
Si l'on mesure à vol d'oiseau <strong>de</strong>puis le passage <strong>de</strong> l'Oise au point<br />
indiqué jusqu'à Beauvais, on trouve une distance <strong>de</strong> 35,000 mètres,<br />
tandis que les dix-huit lieues gauloises portées dans l'itinéraire entre<br />
Cœsaromagus et Litanobriga représentent environ 40,800 mètres.<br />
Mais on doit remarquer que le tracé rectiligne aurait placé la<br />
route dans le prolongement <strong>de</strong> la vallée tourbeuse du Thérain,
— 255 —<br />
contrairement aux règles <strong>de</strong> l'art et à l'utilité du service, tandis<br />
que rien n'a dû faire obstacle à son établissement sur le flanc gauche,<br />
et en évitant <strong>de</strong> traverser inutilement la rivière.<br />
Pour peu qu'on s'éloigne <strong>de</strong> l'alignement rectiligne, on allonge<br />
le parcours qui, <strong>de</strong> plus, se sera trouvé accru en franchissant par<br />
<strong>de</strong>s pentes et entrepentes inévitables, les acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> terrains dont<br />
le massif à l'est <strong>de</strong> la vallée est sillonné.<br />
Ces considérations peuvent expliquer, d'une manière plausible,<br />
la différence <strong>de</strong> 5,800 mètres entre le tracé directe et le mètre <strong>de</strong><br />
l'itinéraire.<br />
Maintenant, si l'on prolonge la ligne donnée par la chaussée<br />
reconnue <strong>de</strong>puis l'Oise jusqu'à Nogent, on arrive à la vallée<br />
Dar<strong>de</strong>use et au camp Janot, près <strong>de</strong> l'église <strong>de</strong> Laigueville, <strong>de</strong>ux<br />
points déjà signalés à cause <strong>de</strong>s tuiles dont ils sont jonchés, et nous<br />
ajouterons qu'on découvrit en 1800 un tombeau romain dans le camp<br />
Janot. On rencontre là une ancienne voirie, nommée le chemin <strong>de</strong><br />
Beauvais, qui passe au nord <strong>de</strong> Rousseloy, vers Brivois ou Brivoy,<br />
et <strong>de</strong> là entre Bury et Mérard, intervalle dans lequel on trouve <strong>de</strong>s<br />
restes évi<strong>de</strong>nts d'une chaussée pavée dont nous <strong>de</strong>vons l'indication<br />
à M. Martin.<br />
La voirie se dirigeait vers Hondainville sans doute ; mais comme<br />
elle semble détruite aux approches <strong>de</strong> Mérard, nous craindrions<br />
d'être trop affirmatif en indiquant sa direction sur le village même<br />
d'Hondainville.<br />
Nous avons quelques motifs <strong>de</strong> présumer qu'en venant d'Augy elle<br />
franchissait la côte Saint-Aignan près <strong>de</strong> la tuilerie et d'un lieu où<br />
l'on a trouvé <strong>de</strong>s sarcophages. Plus loin, au nord-est <strong>de</strong> Saint Félix,<br />
on rencontre un autre chemin qu'on appelle la cavée romaine ou<br />
cavée <strong>de</strong> Beauvais, et qui traverse le hameau <strong>de</strong> Merlin ; en avançant<br />
toujours vers Beauvais, on atteint le hameau <strong>de</strong> Caillouet,<br />
autrefois Cailloel, que D. Grenier (1) cite comme un lieu qui<br />
(1) Introduction déjà citée, page 424.
— 256 —<br />
fournissait au XIIIe siècle, beaucoup <strong>de</strong> matériaux ad faciendam<br />
stratam publicam.<br />
Le chemin se continue au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Hermes.<br />
De ce point, où nous n'avons pu reconnaître <strong>de</strong> vestiges jusqu'à ce<br />
moment, le tracé direct conduirait au pied du camp du mont César<br />
où l'on prend une ancienne route autrefois très fréquentée qui mène<br />
en droite ligne à Therdonne, après avoir traversé le village <strong>de</strong><br />
Condé, dont le nom est d'origine romaine, et tourné le mont Bourguillemout,<br />
théâtre présumé <strong>de</strong> la défaite <strong>de</strong> Correus par l'armée<br />
romaine.<br />
La route impériale <strong>de</strong> Therdonne à Beauvais prolonge à peu près<br />
cet ancien chemin.<br />
Telles sont, quant à présent, les indications probables d'après<br />
lesquelles on peut continuer <strong>de</strong> rechercher sur place le tracé <strong>de</strong> la<br />
voie ; nous regardons comme incontestable son existence sur le trajet<br />
signalé, <strong>de</strong>puis la vallée Dar<strong>de</strong>use jusqu'au bord <strong>de</strong> l'Oise par<br />
Nogent-les-Vierges.<br />
Le chemin <strong>de</strong> Mouy à Hermes est appelé dans plusieurs titres<br />
vieille route <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Beauvais, notamment entre le calvaire <strong>de</strong><br />
Hermes et le hameau <strong>de</strong> Carville, circonstance remarquable, parce<br />
que la ligne n'est pas directe, et que <strong>de</strong>puis un temps immémorial<br />
il y a <strong>de</strong>s chemins plus courts : il faut donc que celui-ci ait reçu<br />
son nom à époque bien reculée.<br />
III. De Litanobriga à <strong>Senlis</strong>.<br />
Cette section n'offre pas, jusqu'à ce moment, plus <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong><br />
que la précé<strong>de</strong>nte dans son tracé exact.<br />
On voit bien sur la rive gauche <strong>de</strong> l'Oise la chaussée se continuer<br />
en ligne droite, et s'élever par l'ancienne cavée <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, mais les
— 257 —<br />
vestiges cessent lorsqu'on est parvenu sur le plateau. Cependant, à<br />
quelque distance on retrouve le vieux chemin <strong>de</strong> Creil, qui passe<br />
près <strong>de</strong> Malassise (1) et a la butte <strong>de</strong> corps morts ; on le perd ensuite<br />
en approchant d'Aumont, où il est probablement recouvert par le<br />
sable que les eaux amènent sans cesse <strong>de</strong>s côteaux voisins. Nous<br />
croyons qu'il passait entre le village et la butte.<br />
La vieille voirie reprend après la butte d'Aumont contre le parc<br />
d'Apremont ; elle laisse la route actuelle <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à droite, prend le<br />
nom <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> Tomberay faisant ici limite entre les territoires<br />
d'Aumont et <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> ; c'est ensuite l'ancien chemin <strong>de</strong> Creil entre<br />
le Val au Téru et la vallée d'Onette, qu'il franchit au gué <strong>de</strong> Creil<br />
près du moulin neuf <strong>de</strong> Villevert.<br />
Un titre <strong>de</strong> l'évêché <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, <strong>de</strong> l'année 1238, nomme Vadum<br />
Credulii, gué <strong>de</strong> Creil, le point où cette voie franchit sous <strong>Senlis</strong> la<br />
petite rivière d'Onette, appellation très-significative selon nous.<br />
D'autres litres ne laissent aucun doute sur l'existence <strong>de</strong> cette<br />
chaussée.<br />
Ainsi, une transaction du mois d'août 1234, entre la commune <strong>de</strong><br />
<strong>Senlis</strong> et le prieuré <strong>de</strong> Saint-Nicolas-d'Acy, à l'occasion d'un vivier,<br />
dit qu'il était situé inter Garaium et calceiam <strong>de</strong> Crcdulio; il y est fait<br />
mention aussi <strong>de</strong> tres arpennes prati sitos juxtà calceiam <strong>de</strong> Credulio.<br />
Une charte <strong>de</strong> Philippe-Auguste, datée <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> dans l'année<br />
1215, concernant les pâtures <strong>de</strong> Saint-Nicolas-d'Acy, est encore plus<br />
explicite ; il y est dit que les bourgeois <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> ont trois arpents <strong>de</strong><br />
prés ex transversa attingentes calceie qui dirigitur versus Credulium.<br />
Un acte <strong>de</strong> l'officialité <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, du mois <strong>de</strong> novembre 1239, est<br />
intitulé : <strong>de</strong> <strong>de</strong>cem arpentis terrœ sitis ultra vadum Credulii in fundo ecclesiœ<br />
majoris stratœ contiguo.<br />
(1) Nous croyons avoir constaté que les villages et lieuxdits appelés<br />
Malassise, assez nombreux dans ce département, sont voisins <strong>de</strong>s<br />
chaussées romaines.<br />
18
— 258 —<br />
Ce vieux chemin <strong>de</strong> Creil est indiqué comme une chaussée par la<br />
tradition locale.<br />
D. Grenier, se fondant sur la continuation <strong>de</strong> la chaussée venant<br />
<strong>de</strong> Soissons, qui se prolonge en ligne droite au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> dans la<br />
direction du sud-ouest, et croyant trouver Litanobriga au village du<br />
Lys, va chercher le passage <strong>de</strong> l'Oise à Bruyères le Châtel (département<br />
<strong>de</strong> Seine et Oise) ; puis, confondant avec la chaussé l'ancien<br />
chemin <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Chambly, il prend pour suite <strong>de</strong> la voie <strong>de</strong><br />
Soissons l'une <strong>de</strong>s voies romaines <strong>de</strong> Beauvais à Paris, dont il mêle<br />
en outre le tracé avec celui d'une autre chaussée allant <strong>de</strong> Boran<br />
vers Beauvais.<br />
De pareilles erreurs émanées d'un homme aussi profondément<br />
versé dans l'histoire <strong>de</strong> la Picardie, démontrent une fois <strong>de</strong> plus la<br />
nécessité d'étudier et <strong>de</strong> connaître les lieux, avant d'adopter aucune<br />
opinion concernant un point quelconque <strong>de</strong> topographie.<br />
Quant au tracé créé par M. Walkenaer par Verberie et Pont-<br />
Sainte-Maxence, M. Garnier (1) a pris la peine d'en démontrer l'absurdité,<br />
et nous n'ajouterons rien aux observations irréfutables du<br />
savant et habile secrétaire perpétuel dont la collaboration persévérante<br />
est si précieuse à la Société <strong>de</strong>s Antiquaires <strong>de</strong> Picardie.<br />
IV. De <strong>Senlis</strong> à Soissons (chaussée Brunehaut).<br />
Il n'existe aucun doute sur la direction <strong>de</strong> cette partie, signalée<br />
<strong>de</strong> tout temps par les auteurs et dont le trace est visible dans sa<br />
longueur entière.<br />
On doit remarquer cependant qu'elle n'aboutit pas à <strong>Senlis</strong> même,<br />
c'est-à-dire à l'enceinte d'Augustomagus, elle passe à trois ou quatre<br />
(1) Mémoires <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s Antiquaires <strong>de</strong> Picardie, xiv, p. 102.
— 259 —<br />
cents mètres au sud-est, se continuant dans l'alignement du sudouest,<br />
comme il sera expliqué plus tas.<br />
Elle décrit dans son ensemble une seule droite, au mord-est,<br />
<strong>de</strong>puis <strong>Senlis</strong> jusqu'à la vallée d'Autonne.<br />
Elle passe près <strong>de</strong> Saint-Vincent, traverse les roules <strong>de</strong> Meaux et<br />
<strong>de</strong> Crépy où son remblai a été démoli pour établir les nouvelles<br />
voies ; elle oblique un peu vers l'est pour arriver au sud-est <strong>de</strong> Chaînant,<br />
où le profil transversal est réduit à quatre mètres ; elle vient<br />
<strong>de</strong> là au bout <strong>de</strong> Balagny-sur-Onette, après avoir franchi, au moyen<br />
d'un double lacet, un ravin dont les pentes découvrent les fondations<br />
<strong>de</strong> la chaussée, composées <strong>de</strong> blocs énormes ; elle a sur ce point<br />
dix mères <strong>de</strong> largeur et <strong>de</strong>ux mètres d'élévation au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s<br />
champs voisins.<br />
De là au moulin Thierry, la voie est assise en écharpe, étant <strong>de</strong><br />
niveau avec le sol d'un côté, tandis que son talus constitue <strong>de</strong><br />
l'autre côté un escarpement rapi<strong>de</strong> ; la largeur n'est plus ici que <strong>de</strong><br />
huit mètres, talus compris et le tracé décrit un légère courbe au<strong>de</strong>ssus<br />
du moulin.<br />
Elle sépare ensuite les territoires <strong>de</strong> Rully et Brasseuse, <strong>de</strong> Rully<br />
et Raray, <strong>de</strong> Raray et Nery, vient passer au sud-est du village <strong>de</strong><br />
Raray, lieu dit la Chaussée.<br />
Elle laisse ensuite au nord le village <strong>de</strong> Nery, pour contourner la<br />
ferme du Feu, qu'elle semble circonscrire, comme un ancien rempart<br />
; <strong>de</strong> là elle évite, au moyen d'une ligne brisée, l'origine d'un<br />
ravin, montrant encore en ce lieu, qu'on appelle le haut <strong>de</strong> la<br />
chaussée, ses fondations en blocs calcaires et en moellons.<br />
Son profil est en écharpe <strong>de</strong>vant Feu ; mais après avoir dépassé<br />
un autre ravin, elle se montre en remblai complet avec un talus<br />
adouci d'un côté, abrupte <strong>de</strong> l'autre ; elle mesure ici dix mètres sur<br />
une hauteur <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mètres.<br />
Elle a été démolie au-<strong>de</strong>là, jusqu'auprès du Plessis-Chatelain, où<br />
elle tourne par un angle presque droit vers le nord, fait exception-
— 260 —<br />
nel, d'autant plus remarquable qu'il n'est pas expliqué par le relief<br />
du terrain.<br />
Elle est ensuite démolie en partie, ce qui lui donne l'aspect d'un<br />
tracé onduleux ; re<strong>de</strong>venue apparente et haute <strong>de</strong> trois mètres, la<br />
voie marche perpendiculairement à la vallée d'Autonne ; elle traverse<br />
par une double courbe l'origine du vallon <strong>de</strong> Puisières, dépression<br />
où l'on n'en voit plus <strong>de</strong> trace. Mais après avoir franchi le<br />
ravin, la chaussée se montre entière, puissante, large <strong>de</strong> douze<br />
mètres, avec une élévation <strong>de</strong> cinq mètres. .<br />
Rompue par place, sa coupe montre à la base un enrochement <strong>de</strong><br />
fragments durs, ayant d'un à <strong>de</strong>ux pieds cubes, assemblés ou entassés<br />
sans liaison, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s moellons, et à la surface <strong>de</strong> petits<br />
fragments.<br />
La voie <strong>de</strong>scend le mont Bethizois par une écharpe un peu courbe<br />
tournée vers l'est et sous une pente tellement rapi<strong>de</strong> que la chaussée<br />
a été emportée par les eaux et que son ancienne existence est<br />
révélée seulement par quelques lambeaux épars. Selon la tradition<br />
locale, cette roule passe <strong>de</strong>vant l'église <strong>de</strong> Béthisy-Saint-Martin,<br />
pour former la gran<strong>de</strong> rue du bourg jusqu'à la.cavée <strong>de</strong> Champlieu.<br />
D. Grenier rapporte qn'il y avait sur l'Autonne un pont dont il<br />
ne reste aucun vestige.<br />
Lorsqu'on s'est élevé sur le plateau <strong>de</strong> Champlieu, la voie se<br />
montre à droite <strong>de</strong> la cavée donnant en plein sur l'escarpement à<br />
pic <strong>de</strong> la vallée ; il est évi<strong>de</strong>nt, là, que la section <strong>de</strong> la chaussée par<br />
laquelle on montait <strong>de</strong> Béthisy vers Champlieu a été emportée par<br />
l'action <strong>de</strong>s eaux atmosphériques avec le flanc du coteau.<br />
La voie s'avance vers Champlieu en remblai large <strong>de</strong> six mètres<br />
et haut <strong>de</strong> dix. Elle passe par un seul alignement au nord du<br />
village, puis dans le camp <strong>de</strong>s Tournelles, <strong>de</strong> là sur la lisière <strong>de</strong> la<br />
forêt <strong>de</strong> Compiègne, pénétrant ensuite dans le canton <strong>de</strong> la Fortelle,<br />
passant au sud <strong>de</strong>s carrefours <strong>de</strong> l'Etoile, <strong>de</strong> la Reine, <strong>de</strong> Galathée,
— 261 —<br />
<strong>de</strong> Gilocourt et au carrefour d'Angivillers, où nous lui avons trouvé<br />
un profil <strong>de</strong> dix mètres et une hauteur d'un mètre et <strong>de</strong>mi.<br />
A partir <strong>de</strong> là, la chaussée a été détruite sans qu'on sache l'époque<br />
précise <strong>de</strong> sa démolition. M. <strong>de</strong> Cayrol fait remarquer qu'elle<br />
existait encore en 1733, puisque le tracé est figuré sans interruption<br />
sur la carte publiée cette année par le géographe Matis ; mais<br />
nous ferons observer à notre tour que cette preuve n'est pas concluante.<br />
Les cartes <strong>de</strong> géographie n'étaient pas toujours à cette époque<br />
d'une exactitu<strong>de</strong> complète, et, en fait <strong>de</strong> routes, elles représentaient<br />
quelquefois <strong>de</strong>s tracés tels qu'ils <strong>de</strong>vaient être plutôt que dans leur<br />
état réel. Quoi qu'il en soit, on sait encore qu'a partir <strong>de</strong>s hauteurs<br />
<strong>de</strong> Saint-Nicolas-dc-Courson la chaussée parcourait la montagne <strong>de</strong><br />
la Héronnière, passait au carrefour du bois <strong>de</strong> Damart, où l'on en<br />
voit un reste large <strong>de</strong> neuf mètres ; <strong>de</strong> là au hameau du Parc, après<br />
lequel elle coupait la route <strong>de</strong>s Plai<strong>de</strong>urs et celle du Vivier-Payen.<br />
On la retrouve sur la colline <strong>de</strong> la Pisselotte, où elle longe l'emplacement<br />
nommé la ville <strong>de</strong>s Gaules, touche au lieudit La Fortelle au<br />
nord-est <strong>de</strong> Pierrefonds, vient passer <strong>de</strong> là <strong>de</strong>vant l'église <strong>de</strong> Saint-<br />
Etienne, d'où elle <strong>de</strong>scend par un tracé un peu sinueux jusqu'à<br />
Chelle.<br />
Elle monte ensuite ensuite le coteau la Roche-Polet, et, prenant à<br />
l'est, vient passer aux carrières <strong>de</strong> Hautefontaine, après lesquelles<br />
elle court au sud <strong>de</strong> Hautefontaine jusqu'à la limite du département<br />
<strong>de</strong> l'Aisne.<br />
Dans cette <strong>de</strong>rnière section, la voie est toujours en remblai plus<br />
ou moins effacé. Nous lui avons trouvé treize mètres <strong>de</strong> largeur au<strong>de</strong>ssus<br />
<strong>de</strong> Hautefontaine, au lieu dit la Chaussée.<br />
Nous évaluons à trente-neuf mille cinq cents mètres l'étendue <strong>de</strong><br />
la ligne dont le parcours vient d'être indiqué.<br />
On a vu que la chaussée est construite, en général, avec <strong>de</strong>s blocs<br />
ou moellons <strong>de</strong> calcaire grossier dont le volume augmente <strong>de</strong> haut
— 262 —<br />
en bas, en sorte que ceux <strong>de</strong> l'encaissement ont <strong>de</strong>s dimensions<br />
énormes et telles que les maçonneries du plus gros appareil en<br />
comportent.<br />
La largeur est variable, ainsi qu'on a pu le remarquer, mais ces<br />
variations proviennent peut-être <strong>de</strong>s envahissement <strong>de</strong>s riverains ;<br />
l'action <strong>de</strong> cette cause est même évi<strong>de</strong>nte en beaucoup <strong>de</strong> lieux.<br />
La hauteur du remblai varie aussi, sans doute par l'influence du<br />
temps ; là où il n'y a pas <strong>de</strong> remblai on peut être assuré que les<br />
matériaux ont été enlevés, soit <strong>de</strong> la main <strong>de</strong>s hommes, soit lorsque<br />
le terrain est incliné par l'action <strong>de</strong>s eaux pluviales.<br />
M. <strong>de</strong> Cayrol conjecture que le camp <strong>de</strong>s Tournelles, les lieudits<br />
la Fortelle, Four-d'en-Haut, La Folie, qui contiennent, comme on<br />
l'a vu, <strong>de</strong>s antiquités romaines en quantité, étaient <strong>de</strong>s lieux fortifiés<br />
placés sur le trajet <strong>de</strong> la voie pour en protéger le parcours.<br />
La voie <strong>de</strong> Soissons a cessé d'être fréquentée après la <strong>de</strong>struction<br />
du château <strong>de</strong> Pierrefonds, c'est-à-dire vers 1620.<br />
C'est probablement <strong>de</strong> la même époque que date la démolition<br />
partielle <strong>de</strong> la chaussée dans la forêt <strong>de</strong> Compiègne. La section voisine<br />
<strong>de</strong> Four-d'en-Haut a été coupée en 1821 ; le profil avait sur ce<br />
point onze mètres <strong>de</strong> largeur.<br />
Les titres <strong>de</strong>s xiii e et xiv siècles désignent cette antique communication<br />
sous le nom <strong>de</strong> Mézière-Brunehaut, en latin Maceria, et<br />
aussi sous ceux <strong>de</strong> Magna Calceia, Magna Via.<br />
On la nomme encore dans le Valois, chaussée <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
XXVII. De <strong>Senlis</strong> vers Paris.<br />
Nous avions mentionné, d'après la tradition locale, une communication<br />
directe <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> vers Paris, dont le tracé n'était<br />
pas encore reconnue 1839.
— 263 — .<br />
Après <strong>de</strong> nouvelles recherches, nous croyons pouvoir lui assigner<br />
aujourd'hui avec une sorte <strong>de</strong> probabilité, l'itinéraire suivant.<br />
Elle se détachait, vis-à-vis la ferme <strong>de</strong> la Biguë, <strong>de</strong> la voie <strong>de</strong><br />
Meaux (ci-<strong>de</strong>ssus n° 4), et prenant au sud elle traversait la queue<br />
du bois Turquet, puis la forêt <strong>de</strong> Pontarmé, en passant aux carrefours<br />
du Poteau et <strong>de</strong>s Buttes.<br />
C'est aujourd'hui le chemin <strong>de</strong> la vieille Muette, qu'on trouve<br />
qualifié <strong>de</strong> chauciée <strong>de</strong> Thiers dans une charte <strong>de</strong> l'année 1343,<br />
concernant la foire Saint-Lazare <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>.<br />
Il passe la Thève à l'ouest du vieux château <strong>de</strong> Thiers, et se<br />
continue, toujours sur le même alignement, à travers le bois Bourdon,<br />
jusqu'au point où les territoires communaux <strong>de</strong> Thiers,<br />
Pontarmé, Plailly et la Chapelle en Serval se touchent; il est<br />
désigné à Pontarmé sous le nom d'ancienne chaussée.<br />
Cette voie sépare plus loin les territoires <strong>de</strong> Plailly et <strong>de</strong> la<br />
Chapelle-en-Serval, tous les noms <strong>de</strong> chaussée <strong>de</strong> Laguenaye et <strong>de</strong><br />
chaussée du marais <strong>de</strong> Plailly, elle prolonge ensuite le bois <strong>de</strong> la<br />
garenne pour atteindre la commune <strong>de</strong> Survilliers (Seine-et-Oise).<br />
Quelques plans anciens appellent la ligne dont nous venons <strong>de</strong><br />
relever les points principaux, chemin <strong>de</strong> Dammartin, dénomination<br />
qui n'est pas justifiée par la direction générale <strong>de</strong> la voie.<br />
XXVIII. De <strong>Senlis</strong> à la Morlaye. (Chaussée Brunehaut.)<br />
Cette autre ligne est le prolongement sans interruption <strong>de</strong> la voie<br />
qui venait <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Soissons (voyez ci-<strong>de</strong>ssus 114), et si l'itinésaire<br />
d'Antonin n'eût pas compris la section <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à Soissons<br />
dans la voie <strong>de</strong> Samarobriva à Suessiones par Augustomagus, on<br />
aurait été conduit naturellement à considérer comme une seule et<br />
même ligne la chaussée Brunehaut <strong>de</strong>puis Soissons jusqu'à la.
— 264 —<br />
Morlaye et au-<strong>de</strong>là, avec d'autant plus <strong>de</strong> raison qu'elle ne touche<br />
pas à <strong>Senlis</strong> même, comme nous l'avons déjà remarqué.<br />
Elle traverse la route <strong>de</strong> Paris près <strong>de</strong> la poste aux chevaux, passe<br />
entre l'Hôtel-Dieu <strong>de</strong>s marais et Saint-Lazare, se continue dans les<br />
friches <strong>de</strong> Saint-Léonard sous le nom <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> Luzarches,<br />
pénètre dans la forêt <strong>de</strong> Chantilly où elle court parallèlement à la<br />
roule <strong>de</strong> bruyères, au nord <strong>de</strong> la Table, ensuite à la route <strong>de</strong>s<br />
Tombes, passe au carrefour Brunehaut, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s étangs <strong>de</strong><br />
Comelle ; elle arrive au sortir <strong>de</strong> la forêt près du lieu où était<br />
l'ancienne maison royale nommée Morlacum, traverse la vallée <strong>de</strong><br />
Thève où ses traces sont apparentes, et se continuant toujours sur<br />
le même alignement, coup en biais la route impérial d'Amiens<br />
pour rentrer dans le bois <strong>de</strong> Bonnet, après lequel elle semble aller<br />
du côté <strong>de</strong> Viarmes (Seine-et-Oise).<br />
Elle rejoignait probablement la voie directe <strong>de</strong> Beauvais à Paris<br />
(ci-<strong>de</strong>ssus n° 5), aux environs <strong>de</strong> Saint-Martin du Tertre.<br />
D. Grenier qui l'a mentionnée à son chapitre 244, la regar<strong>de</strong><br />
comme voie <strong>de</strong> la Morlaye à Paris, en la considérant comme embranchement<br />
<strong>de</strong> la chaussée venant <strong>de</strong> Soissons, tandis qu'elle est la<br />
continuation directe <strong>de</strong> cette route militaire. Le même historien<br />
(chap 224, § 3), voulant chercher près du village du Lys la station<br />
Litanobriga <strong>de</strong>s Itinéraires qu'on a placée successivement à presque<br />
tous les passages <strong>de</strong> l'Oise, dit qu'à partir <strong>de</strong> la Morlaye la chaussée<br />
pouvait faire un cou<strong>de</strong> pour aller au Lys, et qu'il ne serait pas<br />
impossible <strong>de</strong> trouver entre les <strong>de</strong>ux communes <strong>de</strong>s vestiges <strong>de</strong> la<br />
voie militaire.<br />
Nous avons cherché et nous n'avons pas trouvé sur place <strong>de</strong>s<br />
preuves <strong>de</strong> cette supposition.<br />
Le chemin <strong>de</strong> Beaumont-sur-Oise, qui longe la forêt du Lys envenant<br />
<strong>de</strong> la Morlaye, a bien, par sa largeur et sa chaussée<br />
cailloutée, l'aspect d'une voie, mais il est mal aligné, et il s'arrête<br />
au Lys où l'on emprunte l'ancienne route <strong>de</strong> Royaumont et <strong>de</strong>
— 265 —<br />
Viarmes pour passer la vallée <strong>de</strong> Thève, après laquelle on prend<br />
sur la gauche <strong>de</strong> l'Oise vers Beaumont.<br />
Quant au passage <strong>de</strong> l'Oise dans ce canton, on peut voir ce que<br />
nous en avons dit ci-<strong>de</strong>ssus n° VI.<br />
XXIX. De <strong>Senlis</strong> à Gouvieux.<br />
Nous signalerons encore une autre voie établie sans doute pour<br />
communiquer à'Augustomagus au camp <strong>de</strong> Gouvieux, ou qui a dû<br />
tout au moins faciliter ces relations.<br />
Les historiens <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> l'ont mentionnée comme un embranchement<br />
<strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> voie <strong>de</strong> Soissons.<br />
On croit qu'elle traversait la ville <strong>de</strong> la porte Bellon à celle <strong>de</strong><br />
Creil, et en effet on peut voir son encaissement à la première<br />
<strong>de</strong>scente <strong>de</strong> la roule <strong>de</strong> Creil qu'elle laisse sur la droite, après le<br />
pont du Gué, pour se continuer à l'est, sous le nom <strong>de</strong> chemin vert<br />
dans les champs <strong>de</strong> Courteuil et <strong>de</strong> Saint-Firmin ; elle y est peu<br />
apparente, mais signalée cependant par une série <strong>de</strong> tombes qui<br />
semblent indiquer son tracé.<br />
Elle présente tout-à-fait, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Courteuil, l'aspect d'une<br />
chaussée, et emprunte une partie du chemin <strong>de</strong> Saint-Leu, qui est<br />
large et rectiligne ; elle <strong>de</strong>vait passer au nord <strong>de</strong> Vineuil, traverser<br />
la route d'Amiens au-<strong>de</strong>ssus du grand canal <strong>de</strong> Chantilly, et arriver<br />
au hameau <strong>de</strong> la Chaussée près duquel on reconnaît encore ses<br />
vestiges.<br />
Un acte <strong>de</strong> donation faite à l'église <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> en 1238, par<br />
Mathil<strong>de</strong> comtesse <strong>de</strong> Boulogne, parle <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux muids <strong>de</strong> blé à<br />
prendre in molendino meo calceye <strong>de</strong> Govix. Une transaction entre le<br />
chapitre <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> et le prieuré <strong>de</strong> Saint-Leu-d'Esserant, du mois <strong>de</strong><br />
janvier 1247, concernant le droit <strong>de</strong> travers, dit aussi, à l'occasion
— 266 —<br />
du prieuré : subtus calceiam suam versus Govix. On a lieu <strong>de</strong> croire<br />
qu'elle <strong>de</strong>scendait ensuite par Chaumont à Toutvoye où, selon une<br />
version locale conservé d'âge en âge, il y avait un passage <strong>de</strong> la<br />
rivière.<br />
Aucune continuation <strong>de</strong> cette route n'a été constatée jusqu'à<br />
présent au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l'Oise.<br />
Cependant nous <strong>de</strong>vons ajouter qu'à Précy-sur-Oise, où cet<br />
ancien chemin <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> est connu ainsi que sa direction par<br />
Toutvoye, il y a dans le prolongement une vieille route nommée la<br />
voie Samin qui, à partir du lieu dit la Gloriette, marche vers l'ouest<br />
jusqu'au petit Crouy, <strong>de</strong>là vers le hameau <strong>de</strong> Bellay et au nord <strong>de</strong><br />
Fresnoy-en-Thelle ; elle est nommée voirie <strong>de</strong> Saint-Leu dans le<br />
canton <strong>de</strong> Neuilly.<br />
Son parcours manque <strong>de</strong> la rectitu<strong>de</strong> d'alignement habituelle aux<br />
chaussées romaines, sans avoir toutefois l'irrégularité <strong>de</strong>s chemins<br />
mo<strong>de</strong>rnes.<br />
Elle <strong>de</strong>scend <strong>de</strong> Fresnoy à l'église <strong>de</strong> Belléglise, pour remonter<br />
dans Sandricourt et <strong>de</strong>là dans le département <strong>de</strong> Seine-et-Oise vers<br />
la Tour-du-Lai et Hédouville.<br />
Nous arrivons maintenant aux chaussées qui ne rayonnaient pas<br />
<strong>de</strong> l'une <strong>de</strong> nos cités intérieures, mais qui, venant <strong>de</strong>s contrées<br />
voisines, traversaient le territoire départemental.<br />
Il y a eu lieu d'indiquer d'abord celles qui avaient pour point <strong>de</strong><br />
départ Samarobriva, aujourd'hui Amiens, <strong>de</strong>venue plus tard capitale<br />
<strong>de</strong> la Picardie.<br />
XXV. De <strong>Senlis</strong> à Bavay par Pont-Sainte-Maxence.<br />
Nous avons pensé pendant longtemps que la chaussée <strong>de</strong> Pontpoint,<br />
dont il sera question tout-à-l'heure, était la seule communication<br />
romaine dirigé <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong> à la rivière d'Oise.
— 367 [i.e. 267] —<br />
Nous nous étions borné à l'indication <strong>de</strong> cette chaussée dans notre<br />
premier travail, repoussant même la supposition qu'une voie quelconque<br />
arrivât à Pont-Sainte-Maxence.<br />
Nous <strong>de</strong>vons à M. le docteur Voillemier le redressement <strong>de</strong> ces<br />
erreurs.<br />
La voie reconnue sur place par M. Voillemier, mentionnée au<br />
chap. 241 <strong>de</strong> l'introduction <strong>de</strong> D. Grenier, suit jusqu'au milieu <strong>de</strong><br />
la forêt <strong>de</strong> Halatte le tracé considéré autrefois comme propre à la<br />
chaussée <strong>de</strong> Pontpoint.<br />
Mais nous ne pensons pas, avec D. Grenier, qu'elle sortit <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong><br />
par la porte Saint-Rieul, ni qu'elle arrivât sur le cours extérieur<br />
<strong>de</strong> la ville vis-à-vis la rue Saint-Sanctin, comme nous l'avons dit en<br />
1839.<br />
Il est <strong>de</strong>venu évi<strong>de</strong>nt pour nous que cette chaussée ne pénétrait<br />
point dans l'intérieur <strong>de</strong> la cité, et qu'elle s'embranchait, au su<strong>de</strong>st<br />
<strong>de</strong> la ville, sur la gran<strong>de</strong> voie venant <strong>de</strong> Soissons (décrite ci<strong>de</strong>ssus<br />
n° 2).<br />
Les premiers vestiges <strong>de</strong> la chaussée sont visibles, comme l'a dit<br />
M. le docteur Voillemier, vers le nord-est <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, sur les hauteurs<br />
<strong>de</strong> Villevert, au <strong>de</strong>ssus et un peu à gauche du moulin <strong>de</strong><br />
Saint-Rieul.<br />
Le chemin relevé qui se rend <strong>de</strong> là vers l'ancienne porte Saint-<br />
Sanctin est mo<strong>de</strong>rne comparativement à l'antiquité <strong>de</strong>s voies<br />
romaines.<br />
Il fut établi sans doute après que les travaux <strong>de</strong> défense <strong>de</strong> la ville<br />
<strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, à diverses époques et notamment du temps <strong>de</strong> la ligue,<br />
eurent obligé <strong>de</strong> rompre les chemins anciens qui existaient autour<br />
<strong>de</strong> la place.<br />
De Villevert le tracé vient se prolonger à l'ouest du parc du Plessis-Chamant,<br />
et, se continuant en ligne droite, passe au carrefour<br />
Saint-Rest à celui <strong>de</strong> Pontpoint, au poteau <strong>de</strong>s Blancs-Sablons et à<br />
la Croix Saint-Rieul.
— 268 -<br />
Entier vis-à-vis Saint-Christophe en Halatte qu'il laisse à gauche,<br />
le remblai montre une élévation <strong>de</strong> huit pieds, sur une largeur <strong>de</strong><br />
six mètres, les fossés ayant ensemble une dimension égale.<br />
A la Croix-Saint-Rieul, la voie allant vers Pont dévie au nord, se<br />
séparant là <strong>de</strong> la chaussée <strong>de</strong> Pontpoint qui se poursuit dans la<br />
direction du nord-nord-est.<br />
Nous lui avons trouvé, après la séparation, un profil transversal<br />
<strong>de</strong> quatorze mètres et une élévation <strong>de</strong> six à huit pieds sur la ligne<br />
médiane.<br />
Après avoir dépassé le carrefour <strong>de</strong> la futaie, la chaussée cesse<br />
brusquement au lieudit Retenty, ayant été démolie sur ce point vers<br />
1810 ; mais en continuant <strong>de</strong> marcher sur le môme alignement, on<br />
la retrouve bientôt avec une largeur <strong>de</strong> dix mètres, talus compris,<br />
et une élévation moyenne d'un mètre et <strong>de</strong>mi.<br />
Elle coupe les routes du Cerfouillet, <strong>de</strong> Villers-Saint-Franbourg,<br />
du Grand-Maître et <strong>de</strong> la Croix-Frapotel, étant fort bouleversée et<br />
dégradée, mais toujours reconnaissable et conservant une élévation<br />
moyenne d'un mètre et <strong>de</strong>mi.<br />
Elle arrive ainsi au sommet du ravin <strong>de</strong> la Cavée Noire, qui est<br />
bordé d'immenses carrières fournissant la pierre à bâtir dite <strong>de</strong><br />
Sainte-Maxence.<br />
Elle laisse à sa droite la butte nommé le mont Callipet. Il est<br />
hors <strong>de</strong> doute que la voie <strong>de</strong>scendait par là vers la rivière d'Oise.<br />
Bien qu'elle ait été détruite sur les pentes par l'action <strong>de</strong>s eaux pluviales,<br />
on la retrouve relevée entre <strong>de</strong>ux fossés, dans toute la longueur<br />
du vallon.<br />
Elle traversait la ville <strong>de</strong> Pont-Sainte-Maxence, en suivant la rue<br />
<strong>de</strong> la Ville, et franchissait l'Oise sans doute sur l'ancien pont démoli<br />
en 178S, ou plutôt sur le pont qui avait précédé celui-ci avant le<br />
règne <strong>de</strong> Charlemagne.<br />
On ne trouve plus après avoir franchi l'Oise, aucune trace immédiate<br />
<strong>de</strong> chaussée, soit que la main <strong>de</strong> l'homme ait détruit les che-
— 269 —<br />
mins pour garantir la sûreté <strong>de</strong> l'ancienne forteresse <strong>de</strong> Pont, soit<br />
que les voiries antiques aient été enfouies sous les alluvions <strong>de</strong> la<br />
vali<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Oise et sous les couches fangeuses <strong>de</strong>s marais qui règnent<br />
à la droite <strong>de</strong> la rivière.<br />
Il faut aller jusqu'au village <strong>de</strong> Longueau, où commence à droite<br />
<strong>de</strong> la route <strong>de</strong> Flandre une voirie dite chemin <strong>de</strong> Pont qui laisse à<br />
l'est la commune <strong>de</strong> Bazicourt, et ensuite au petit village <strong>de</strong> Sacy-le-<br />
Petit, après lequel on peut remarquer au pied <strong>de</strong> la butte du même<br />
nom, une chaussée formant remblai, très dégradée, reconnaissante<br />
toutefois, dont le tracé sinueux est cependant rectiligne d'ensemble ;<br />
c'était autrefois la chemin d'Estrées.<br />
Il est rompu au chemin dit <strong>de</strong> Grandfresnoy au Transloy. On<br />
retrouve à la ferme du Transloy une voirie dans l'alignement <strong>de</strong> la<br />
précé<strong>de</strong>nte, venant passer à l'est <strong>de</strong> l'église d'Estrées-Saint-Denis,<br />
et que D. Grenier considère comme la voie <strong>de</strong> Bavay, car il y rapporte<br />
<strong>de</strong>ux citations <strong>de</strong> documents, dont l'une, <strong>de</strong> l'année 1164, la<br />
nomme via publica, et dont l'autre, datée <strong>de</strong> 1229, la qualifie <strong>de</strong> via<br />
ad Pontes, ce qui revient à chemin <strong>de</strong> Pont ; cette voirie est connue<br />
aujourd'hui sous le nom <strong>de</strong> Vieux chemin <strong>de</strong> Pont.<br />
Elle suit un trajet rectiligne à l'est <strong>de</strong> Fresnel, touche à Hémé-<br />
villers, <strong>de</strong> là vers Gournay-sur-Aron<strong>de</strong> où nous croyons qu'elle tra-<br />
versait la rivière du pont actuel.<br />
A partir <strong>de</strong> Gournay, la continuation <strong>de</strong> la voie <strong>de</strong>vient problématique<br />
pour nous. Les vieux et larges chemins sont nombreux au<strong>de</strong>là<br />
<strong>de</strong> la vallée d'Aron<strong>de</strong> ; mais nous n'avons trouvé sur aucune<br />
ligne, ni la rectitu<strong>de</strong> d'alignement, ni aucun indice propre à éclaircir<br />
les doutes. D. Grenier assure que la chaussée passait à droite <strong>de</strong><br />
Séchelles pour gagner Conchy-les-Pots et rejoindre à la voie <strong>de</strong><br />
Beauvais à Bavay un peu avant le village <strong>de</strong> Tilloloy (Somme),<br />
mais il ne rapporte pas les preuves <strong>de</strong> cette assertion. Nous inclinons<br />
à penser qu'après avoir passé l'Aron<strong>de</strong>, le chemin arrivait
— 270 —<br />
dans la vallée du Matz aux environs <strong>de</strong> Ressons, pour remonter<br />
vers le nord.<br />
Si cette supposition était fondée, nous trouverions la continuation<br />
<strong>de</strong> notre voie dans la chaussée bien connue <strong>de</strong> Crapaumesnil, dont<br />
une partie est occupée par la route départementale <strong>de</strong> Beauvais à<br />
Noyon, <strong>de</strong>puis Ressons jusqu'à Roye-sur-Matz.<br />
Cette ligne est qualifiée <strong>de</strong> chaussée dans tout son parcours ; ainsi<br />
elle est nommée successivement Chaussée <strong>de</strong> Riquebourg, Chaussée<br />
<strong>de</strong> Laberlière, <strong>de</strong> Canny, chaussée proprement dite sur le territoire<br />
<strong>de</strong> Canny, vieux chemin <strong>de</strong> Flandre sur le territoire <strong>de</strong> Crapaumesnil.<br />
D. Grenier cite un titre <strong>de</strong> l'année 1347 concernant les biens <strong>de</strong><br />
l'église <strong>de</strong> Soissons, entre lesquels huit journaux <strong>de</strong> terre étaient<br />
situés en le Cauchie <strong>de</strong> Crapaumesnil. De ce village, la voie allait<br />
en droite ligne vers la ville <strong>de</strong> Roye, en touchant au nord <strong>de</strong> Crapaumesnil<br />
à un lieu dit la Haute-Borne.<br />
Cette section était le grand chemin conduisant en Flandre avant<br />
qu'on eût établi, vers 1680, la route impériale n° 17, <strong>de</strong>puis Pont-<br />
Sainte-Maxence jusqu'à Roye.<br />
La Chaussée romaine a été retrouvée à un mètre <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur<br />
dans les bois <strong>de</strong> Crapaumesnil ; on rencontre souvent <strong>de</strong>s antiquités<br />
sur le trajet indiqué <strong>de</strong>puis Ressons.<br />
En résumé, le parcours <strong>de</strong> la voie est aujourd'hui certain entre<br />
<strong>Senlis</strong> et Pont-Sainte-Maxence, ainsi que <strong>de</strong> Ressons à Roye, mais<br />
il n'est pas avéré que ces <strong>de</strong>ux sections aient réellement appartenu<br />
à la même ligne.<br />
Quant à la section intermédiaire, <strong>de</strong>puis Pont jusqu'à Ressons, on<br />
ne doit considérer nos indications que comme <strong>de</strong>s jalons provisoires ;<br />
nous les avons posés avec hésitation et seulement comme point <strong>de</strong><br />
départ pour <strong>de</strong>s recherches ultérieures.
— 271 —<br />
XXVI. De <strong>Senlis</strong> à Pontpoint.<br />
Le chemin appelé <strong>de</strong>puis plusieurs siècles : la Chaussée <strong>de</strong> Pontpoint,<br />
a été considéré <strong>de</strong> tout temps comme une voie romaine. Il en<br />
est question dans tous les titres du moyen-âge relatifs à l'histoire<br />
locale et à la forêt <strong>de</strong> Halatte, tandis qu'il n'est rien dit <strong>de</strong> la voie<br />
précé<strong>de</strong>nte qui cependant <strong>de</strong>vait avoir eu une bien plus gran<strong>de</strong><br />
importance.<br />
D. Grenier dit que la branche <strong>de</strong> la voie militaire allant vers<br />
Pontpoint, côtoyait les murs <strong>de</strong> la cité <strong>de</strong> <strong>Senlis</strong>, tandis que le chemin<br />
<strong>de</strong> Pont traversait la ville.<br />
Nous ne pouvons pas admettre ces <strong>de</strong>ux tracés que l'examen <strong>de</strong>s<br />
lieux ne justifie pas.<br />
Aux Portes-<strong>de</strong>-<strong>Senlis</strong> et <strong>de</strong> là jusqu'à la Croix-Saint-Rieul dans la<br />
forêt <strong>de</strong> Halatte, il n'y a qu'une seule voie appelée sans conteste la<br />
Chaussée <strong>de</strong> Pontpoint, mais que nous avons dû rapporter, d'après<br />
les observations <strong>de</strong> M. le docteur Voillemier à la direction <strong>de</strong> Pont-<br />
Sainte-Maxence.<br />
A partir <strong>de</strong> la Croix-Saint-Rieul, la Chaussée <strong>de</strong> Pontpoint continue<br />
l'alignement suivi <strong>de</strong>puis <strong>Senlis</strong>, mais il faut avouer qu'il n'y a<br />
plus trace d'empierrement ni <strong>de</strong> remblai ; les recherches les plus<br />
minutieuses <strong>de</strong> M. Voillemier, pas plus que les nôtres, n'ont procuré<br />
aucun indice visible d'ancien chemin, et cependant il est constant,<br />
selon la tradition locale, que cette voie approchait <strong>de</strong> la Croix-<br />
Frapotel, qu'elle <strong>de</strong>scendait vers l'Oise par le vallon du fond <strong>de</strong><br />
Vaux, entre les villages <strong>de</strong> Saint-Gervais et <strong>de</strong> Saint-Paterne, suivant<br />
le chemin dit du Port <strong>de</strong> Saint-Paterne et celui dit du Frayer,<br />
qui se perd aujourd'hui dans la prairie vis-à-vis Sarron.<br />
Il est, nous le repétons, bien singulier pour les souvenirs locaux,<br />
d'accord avec les monuments écrits, signalant la chaussée <strong>de</strong><br />
Pontpoint dont on ne voit plus <strong>de</strong> trace après la séparation <strong>de</strong> la
— 272 —<br />
Voie <strong>de</strong> Pont, qu'ils ne tiennent aucun compte <strong>de</strong> celle-ci dont le<br />
remblai, élevé d'an mètre et <strong>de</strong>mi, n'a cependant pu échapper à<br />
l'observation.<br />
M. l'abbé Duprié, curé <strong>de</strong> Saint-Gervais <strong>de</strong> Pontpoint, nous a dit<br />
que, selon la tradition, il y avait un pont sur l'Oise, au lieu dit le<br />
Joncquoy, qui se trouve à peu près dans le prolongement <strong>de</strong> la<br />
chaussée.<br />
M. le vicomte Héricart <strong>de</strong> Thury qui avait étudié les lieux, nous<br />
a donné une indication presque conforme ; selon ses supputations, la<br />
chaussée <strong>de</strong> Pontpoint <strong>de</strong>vait passer l'Oise près du rû <strong>de</strong> Nancy,<br />
pour se continuer dans les marais <strong>de</strong> Chevrières, où <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ssèchement en auraient fait rencontrer <strong>de</strong>s vestiges enfouis à un<br />
mètre <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur sous la tourbe.<br />
Amiens. — Imp. LEMER aine, place Périgord, 8.