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Trajectoire historique, actualités et perspectives du panafricanisme

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<strong>Trajectoire</strong> <strong>historique</strong>, <strong>actualités</strong> <strong>et</strong> <strong>perspectives</strong> <strong>du</strong><br />

<strong>panafricanisme</strong><br />

Seydou OUEDRAOGO<br />

Maîtrise es sciences économiques<br />

Assistant de recherche à l’Académie Alioune<br />

Blondin Bèye pour la paix (ABBAP / Bénin)<br />

Bp 475 Calavi République <strong>du</strong> Bénin<br />

Tel : 00229 36 15 25 / 00229 28 73 45<br />

Email : seylams@yahoo.fr<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

Quoique exsangue après quatre siècles d’esclavage, l’Afrique a opposé au xixè<br />

siècle des mouvements de résistances anti-colonialistes impressionnantes.<br />

Incarnés par des leaders de carrure exceptionnelle, les luttes de résistances vont<br />

très vite se rendent compte de leur caractère émi<strong>et</strong>té <strong>et</strong> donc inefficace devant la<br />

supériorité technique de l’envahisseur européen. Chaka, Samory, Dan Fodio <strong>et</strong><br />

bien d’autres ont entrepris des proj<strong>et</strong>s intégrateurs qui ambitionnaient de<br />

ressusciter les vastes ensembles politiques « supratribaux » qui jadis existaient<br />

sur le continent avant la traite négrière. Ces tentatives d’intégration à vocation<br />

anti-colonialiste qui s’opèrent par une « violence intégratrice », vont être<br />

vaincues par le colonialisme à la fin <strong>du</strong> xixè siècle.<br />

Le mythe de l’Unité allait rejaillir dans la Diaspora africaine en Amérique. Le<br />

<strong>panafricanisme</strong>, fils de la Diaspora, est une idée motrice majeure qui a mobilisé<br />

<strong>du</strong>rant plus un siècle les élites <strong>et</strong> les peuples noirs aussi bien à l’intérieur qu’à<br />

l’extérieur <strong>du</strong> continent.<br />

A l’heure ou le concept d’Etat-nation semble essoufflé, au moment de la<br />

constitution de grands ensembles politico-économiques comme entités<br />

opératoires dans les relations internationales ; l’Afrique cherche toujours la voie<br />

de son salut il apparaît important d’esquisser une lecture bilan <strong>du</strong> chemin<br />

parcouru par le rêve panafricain.<br />

La présente étude vise à r<strong>et</strong>rouver les origines <strong>et</strong> les points saillants de la marche<br />

séculaire de l’Afrique vers son unité, à mesurer l’état actuel <strong>du</strong> mouvement puis<br />

à entrevoir des pistes d’évolution futures <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong>.<br />

Un contexte <strong>historique</strong> précis a vu la gestation <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong> (I) qui s’est<br />

façonné à travers l’apport des précurseurs dans les congrès panafricains tenus<br />

dans la première moitié <strong>du</strong> xxè siècle.<br />

1


Au lendemain de la Seconde guerre mondiale le <strong>panafricanisme</strong> connaît une<br />

seconde phase dans son évolution marquée par une « cristallisation politique » <strong>et</strong><br />

une offensive anti-coloniale (II) qui culminera avec la création de l’OUA en<br />

1963. Les décennies d’après indépendances seront mises à profit pour<br />

expérimenter une flopée de proj<strong>et</strong>s d’intégration régionale sur le continent (III)<br />

qui se dérouleront en deux vagues.<br />

Enfin il est opportun de questionner la nouvelle Union africaine <strong>et</strong> son bras<br />

économique le NEPAD comme l’expression d’un renouveau <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong><br />

ou tout juste comme une parade néo-libérale (IV).<br />

I- Gestation <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong><br />

La vision <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong>, aujourd’hui centenaire, origine au tournant des<br />

xixè <strong>et</strong> xxè siècles en Amérique. KI-ZERBO 1 observe qu’elle a emprunté le<br />

même parcours géographique que l’esclavage. En eff<strong>et</strong> il peut être établi un<br />

parallélisme entre le commerce triangulaire négrier <strong>et</strong> le chemin triangulaire<br />

dessiné par le <strong>panafricanisme</strong> dans sa quête d’affirmation ; autour des 3<br />

continents africain, américain <strong>et</strong> européen.<br />

La vision s’est forgée dans des conditions objectives précises <strong>et</strong> a été façonnée<br />

par la réflexion <strong>et</strong> l’action d’éminents précurseurs. Les congrès panafricains<br />

organisés au dans la première moitié <strong>du</strong> siècle ont constitué de grands moments<br />

d’évolution <strong>du</strong> mouvement panafricaniste.<br />

1-Le contexte <strong>historique</strong> démiurge <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong><br />

Un ensemble de facteurs <strong>historique</strong>s est à la base de la naissance de l’idéal <strong>du</strong><br />

<strong>panafricanisme</strong> à la fin <strong>du</strong> xixè siècle..<br />

-Le premier facteur est à rechercher dans le fond des cales des navires négriers.<br />

Des documents <strong>historique</strong>s de valeurs incontestables renseignent suffisamment<br />

de nos jours sur les conditions exécrables dans lesquelles les esclaves noirs ont<br />

été déportés de leur continent vers l’inconnu des Amériques.<br />

Enchaînés aux poign<strong>et</strong>s <strong>et</strong> aux chevilles, entassées les uns contre <strong>et</strong> sur les<br />

autres, gisant dans le sang, les vomissements <strong>et</strong> les excréments ; les vivants <strong>et</strong><br />

les morts se côtoient dans l’obscur des soutes des navires <strong>du</strong>rant un long voyage<br />

de deux mois. L’enfer inhumain <strong>et</strong> traumatisant des négriers est le lieu de<br />

naissance d’un sentiment d’unité entre ces Africains de divers horizons. 2 La<br />

communauté de traitements misérables que subissent ces esclaves Fon, Soussou,<br />

haoussa, Wolofs, Malinké, Ibo, Sérères <strong>et</strong>c., va engendrer une prise de<br />

conscience d’un sentiment d’unité entre ces esclaves qui font vite identifier le<br />

1 Joseph KI-ZERBO, Histoire de l’Afrique noire, Editions Hatier, Paris, 1978, p.644.<br />

2 Lansiné KABA, N’Krumah <strong>et</strong> le rêve de l’unité africaine, Editions Chaka, Paris, 1991 p 36.<br />

2


dénominateur commun à eux tous : la couleur de leur peau. Ceux-ci vont<br />

manifester les premiers actes d’unité à travers les fréquentes révoltes à bord des<br />

navires. Ainsi le cauchemar <strong>du</strong> « middle passage » a généré une conscience<br />

d’unité autour <strong>du</strong> ciment de la race, que les leaders noirs de la diaspora « vont<br />

essayer de faire germer en une doctrine de régénérescence <strong>et</strong> d’unité culturelles<br />

<strong>et</strong> politiques » 3 .<br />

Les conditions sociales esclavagistes subies par les Noirs en Amérique vont<br />

renforcer c<strong>et</strong>te conscience d’unité. Ils sont soumis aux même traitements dans<br />

les plantations des esclavagistes blancs. Les esclaves vont développer de fortes<br />

relations de solidarités pour supporter l’oppression <strong>et</strong> résister à la servitude. La<br />

lutte pour l’abolition constituera une épreuve d’en<strong>du</strong>rcissement de c<strong>et</strong>te<br />

conscience unitaire.<br />

-Un phénomène de contagion de pensée au xixè siècle va, à partir de l’Europe,<br />

gagner l’Amérique <strong>et</strong> contribuer à l’éclosion <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong>. En eff<strong>et</strong>,<br />

l’Europe entière est agitée au xixè siècle par le nationalisme <strong>et</strong> les problèmes<br />

d’unité. Lancée au moment de la révolution française l’idéologie nationaliste se<br />

développera particulièrement <strong>du</strong>rant ce siècle sur le vieux continent.<br />

En Allemagne c’est l’heure <strong>du</strong> pangermanisme sous l’influence de penseurs<br />

comme FICHTE GOBINEAU <strong>et</strong> surtout de LIST. Le panslavisme est en vogue<br />

en Europe centrale <strong>et</strong> orientale. Le sionisme n’est pas en reste. Le débat<br />

politique, culturel <strong>et</strong> intellectuel, focalisé en Europe autour de ces concepts<br />

nationalistes va gagner les élites instruites de la Diaspora noire en Amérique ;<br />

par le contact de ceux-ci avec les migrants européens dans le nouveau monde.<br />

Déjà sé<strong>du</strong>ites par l’histoire des anciennes colonies britanniques qui ont donné<br />

naissance aux Etats-Unis, les élites noires trouvent dans les débats nationalistes<br />

européens l’inspiration qui va forger leur propre vision sur la condition de leur<br />

race. Ainsi naîtra très vite l’expression de « pan-négroisme » qui serra vite<br />

abandonnée au profit de celle <strong>du</strong> « pan-africanisme ». Du BOIS, un des plus<br />

éminents précurseurs <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong> confirme c<strong>et</strong>te influence des courants<br />

de pensés nationalistes européennes en établissant dans un article publié en<br />

1919, le parallélisme suivant : « le <strong>panafricanisme</strong> signifie pour nous, les Noirs,<br />

ce que le sionisme doit signifier pour les Juifs, c’est à dire, la reconnaissance de<br />

notre identité dans la fierté, <strong>et</strong> le besoin d’œuvrer de toutes nos forces pour notre<br />

race » 4 .<br />

Sous l’impulsion de ces facteurs, des précurseurs essentiellement fils de la<br />

Diaspora vont façonner théoriquement <strong>et</strong> par leurs actions le <strong>panafricanisme</strong>.<br />

3 Ibid., p 37.<br />

4 Ibid., p 45.<br />

3


2- Les précurseurs <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong> <strong>et</strong> les congrès panafricains<br />

Le <strong>panafricanisme</strong> est véritablement enfanté par la Diaspora africaine. Ses<br />

premiers concepteurs sont en eff<strong>et</strong>, les élites Noirs descendants des esclaves. Les<br />

Africains <strong>du</strong> continent ne rejoindront le mouvement qu’à la moitié <strong>du</strong> xxè siècle.<br />

Il peut être citer plusieurs noms aussi bien de la diaspora que <strong>du</strong> continent ; mais<br />

qu’il suffise que nous évoquions juste les principaux dont les pensées <strong>et</strong> actions<br />

ainsi que les différents congrès panafricains perm<strong>et</strong>tre de r<strong>et</strong>racer l’itinéraire <strong>du</strong><br />

<strong>panafricanisme</strong> jusqu’avant l’indépendance en 1957 <strong>du</strong> premier Etat noire ; le<br />

Ghana.<br />

« L’Afrique aux Africains » est le titre d’un livre écrit en 1895, curieusement<br />

par un pasteur britannique, BOOTH, en poste aux Nyassaland (Malawi). Ce<br />

livre influencera le nationaliste John CHILEMBWE qui après des études dans<br />

un séminaire aux Etats-Unis revient au Nyassaland ou il créa avec d’autres<br />

l’ « Union Chrétienne Africaine » en 1897 qui adopta justement le mot d’ordre<br />

« L’Afrique aux Africains » 5 . C<strong>et</strong>te organisation recevra le soutien des Noirs<br />

Sud- Africains comme Salomon KUMALO.<br />

-La première conférence panafricaine est organisée au seuil <strong>du</strong> xxè siècle, en<br />

juill<strong>et</strong> 1900 à Londres afin de susciter un élan de solidarité en faveurs des Noirs<br />

souffrant <strong>du</strong> colonialisme. Elle est organisée par Sylvester WILLIAMS avocat<br />

de Trinidad <strong>et</strong> est placée sous un double signe.<br />

D’abord celui de la religion puisque y participent des membres <strong>du</strong> clergé<br />

américain dont un représentant (l’évêque Alexander WALTERS) va présider la<br />

conférence. Le discours d’ouverture étant dit par l’évêque de Londres. C<strong>et</strong>te<br />

proximité ou même c<strong>et</strong>te connexion avec la religion notamment chrétienne va<br />

être très présente dans les milieux <strong>et</strong> rencontres panafricains <strong>du</strong>rant plusieurs<br />

pratiquement les deux premières décennies <strong>du</strong> xxè siècle.<br />

La conférence est incontestablement politique ; elle dénonce la politique<br />

britannique en pleine guerre des Boers en Afrique <strong>du</strong> Sud <strong>et</strong> l’intensification <strong>du</strong><br />

racisme contre les Noirs dans ce pays <strong>et</strong> interpelle la Reine Victoria. La<br />

conférence à l ‘instar de celles qui la suivront jusqu’à l’après Seconde guerre<br />

mondiale, est dominée par la présence des Noirs de la Diaspora (vingt <strong>et</strong> quatre<br />

contre quatre représentants <strong>du</strong> continent). C<strong>et</strong>te première conférence enregistre<br />

la participation de celui qui allait être considéré comme le « père <strong>du</strong><br />

<strong>panafricanisme</strong> » ; W.E.B. Du BOIS.<br />

Du BOIS est chargé d’adresser un message aux nations <strong>du</strong> monde au cours de la<br />

conférence Il déclare que « le problème crucial <strong>du</strong> xxè siècle est celui de couleur<br />

<strong>et</strong> de race, c’est à dire, les rapports entre les gens de la race blanche <strong>et</strong> ceux des<br />

races foncées » 6 . Du BOIS va porter un demi-siècle <strong>du</strong>rant l’idéal panafricaine <strong>et</strong><br />

5 Joseph KI-ZERBO, op.cit, p 645.<br />

6 Lansiné KABA, op. cit., p 46.<br />

4


estera le personnage central de toutes les rencontres panafricaines jusqu’après<br />

la Seconde Guerre mondiale. Il fonde <strong>et</strong> anime l’Association Nationale pour la<br />

Promotion des gens de Couleur (NAACP).<br />

Aristocrate <strong>et</strong> analyste froid, son rôle de leadership intellectuel <strong>du</strong> mouvement<br />

panafricaniste va être appuyer par celui de leader <strong>du</strong> courant populaire joué par<br />

Marcus GARVEY ; quoique les deux personnalités de tempérament différent,<br />

sont fortement opposées.<br />

GARVEY, Jamaïcain d’origine, est avant tout, un fin organisateur des masses,<br />

tribun passionné <strong>et</strong> imprévisible. Il va populariser l’idéal panafricain dans les<br />

gh<strong>et</strong>tos des villes <strong>et</strong> des campagnes des Etats-Unis. Son influence déborde<br />

jusqu’en Afrique occidentale <strong>et</strong> centrale <strong>et</strong> dans les milieux africains en Europe.<br />

Il prône avec son organisation l’Association Universelle pour la Promotion des<br />

Noirs, « le r<strong>et</strong>our en Afrique » des esclaves affranchis.<br />

GARVEY <strong>et</strong> Du BOIS représentent deux dimensions <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong><br />

naissant. L’un, bouillant <strong>et</strong> radical leader, représente le courant populaire ; tant<br />

que l’autre, aristocrate <strong>et</strong> fin analyste, représente le courant intellectuel <strong>du</strong><br />

mouvement.<br />

Le <strong>panafricanisme</strong> <strong>du</strong>rant c<strong>et</strong>te première conférence est dominé par la<br />

participation des Africains de la Diaspora, <strong>et</strong> est très proche des milieux<br />

religieux chrétiens ; mais aussi il est amorce déjà un élan politique en dénonçant<br />

la conditions des Noires des colonies<br />

-A la suite de c<strong>et</strong>te première conférence se tiendra une autre à la fin de la<br />

Première Guerre mondiale en juill<strong>et</strong> 1919 à Paris où les Alliés vont discuter des<br />

modalités de la paix. En dépit des énormes tracasseries en leur encontre, les<br />

militants panafricanistes réussissent à faire le déplacement de Paris. Une<br />

quarantaine de délégués de la Diaspora rencontre une douzaine d’Africains de<br />

neuf pays présents en Europe.<br />

C<strong>et</strong>te deuxième conférence confirme l’anti-colonialisme certes encore timorée<br />

de la première. La conférence réclame la participation des colonisés aux affaires<br />

de leurs pays, ainsi que le droit à l’enseignement en faveurs de ceux-ci.<br />

Egalement l’établissement d’un « code de lois <strong>et</strong> un bureau international pour la<br />

protection des noirs » est demandé cependant que l’Afrique <strong>du</strong> Sud est encore<br />

indexée pour son occupation de la Namibie <strong>et</strong> le racisme contre des peuples<br />

Noirs.<br />

-A la troisième conférence qui se tiendra en 1921 à Londres, Bruxelles <strong>et</strong> Paris ;<br />

l’anti-colonialisme <strong>du</strong> mouvement monte d’un cran <strong>et</strong> explique d’ailleurs les<br />

déplacements de la conférence entre ces trois villes. Les capitales occidentales<br />

soupçonnent le mouvement de collusion avec le bolchevisme qui vient de<br />

parvenir au pouvoir en Russie à l’issue de la Révolution d’octobre 1917. A la<br />

suite de c<strong>et</strong>te conférence une pétition écrite par Du BOIS sur l’apartheid est<br />

publiée comme document officiel par la Société des Nations.<br />

5


-La quatrième rencontre tenue en à Londres <strong>et</strong> Lisbonne en 1926, se situe dans<br />

la même ligne en focalisant l’attention sur la situation en Afrique <strong>du</strong> Sud.<br />

-La cinquième conférence est celle de l’internationalisme <strong>et</strong> d’une radicalisation<br />

de l’inclinaison politique <strong>du</strong> mouvement. Le congrès quitte le vieux monde <strong>et</strong> se<br />

tient dans le nouveau ; à New York en août 1924. Il condamne l’exploitation des<br />

richesses africaines par les étrangers <strong>et</strong> la politique Etasunienne en Amérique<br />

centrale. Il réclame « L’Afrique aux Africains » <strong>et</strong> lance un appel bien<br />

panafricaniste aux dirigeants des Caraïbes à former une fédération pour assurer<br />

leur développement. Fait assez remarquable, le congrès remercie l’URSS pour<br />

sa politique anti-colonialiste <strong>et</strong> son soutien aux mouvements anti-colonialiste.<br />

-Le congrès de Manchester en octobre 1945 adopte le socialisme comme<br />

philosophie ; ce qui réjouit N’KRUMAH 7 qui avec George PADMORE ont été<br />

la cheville ouvrière de c<strong>et</strong>te conférence qui les consacre comme leaders<br />

panafricains de premier plan. Si GARVEY <strong>et</strong> Du BOIS forment un couple de<br />

leaders panafricains opposés, PADMORE <strong>et</strong> N’KRUMAH sont au contraire un<br />

binôme d’amis <strong>et</strong> de collaborateurs proches. Le premier journaliste de Trinidad<br />

<strong>et</strong> communiste va influencer largement le second qui allait devenir le leader<br />

panafricaniste le plus en vue sur le continent noir.<br />

A c<strong>et</strong>te conférence les Africains <strong>du</strong> continent sont pour la première fois<br />

majoritaires mais il s’agit essentiellement de l’Afrique anglophone. On<br />

enregistre entre autre la présence de AKINTOLA, AWOLOWO, Jomo<br />

KENYATTA, Wallace JOHNSON, Hastings BANDA <strong>et</strong> de N’KRUMAH bien<br />

évidemment.<br />

Ceux-ci perm<strong>et</strong>tent d’orienter résolument les débats sur le colonialisme <strong>et</strong> la<br />

montée <strong>du</strong> nationalisme. Le congrès affirme ainsi dans un document officiel<br />

rédigé par Du BOIS <strong>et</strong> N’KRUMAH à l’adresse des « puissances<br />

impérialistes » ; la « détermination des peuples colonisés d’obtenir leur liberté »<br />

<strong>et</strong> dénoncent « le monopole <strong>du</strong> capital privé <strong>et</strong> l’emploi des richesses à des fins<br />

personnels » 8 . Les congressistes «adoptent le nationalisme panafricain pour<br />

réveiller la conscience populaire <strong>et</strong> créer un mouvement de masse en faveurs de<br />

l'indépendance » 9 . Ce congrès est donc celui de la mutation <strong>du</strong> contenu raciale<br />

<strong>du</strong> pan-nègrisme vers une affirmation <strong>et</strong> revendication politique précise.<br />

Cependant <strong>du</strong>rant ce temps « l’idée pan-negriste restera confinée chez les<br />

Africains francophones essentiellement à la notion littéraire de la Négritude qui<br />

7 Lansiné KABA, op. cit., p53<br />

8 Ibid., p52.<br />

9 Kwame N’Krumah, cité par Lansiné KABA, Ibid, p53<br />

6


aboutira en 1956 au Premier Congrès mondial des Ecrivains <strong>et</strong> Artistes, réuni à<br />

la Sorbonne» 10 .<br />

Deux autres conférences allaient suivre mais désormais sur le continent africain<br />

en 1953 à Kumassi <strong>et</strong> en 1958 à Accra. La seconde se déroulait dans une phase<br />

de cristallisation politique » <strong>et</strong> d’offensive anti-coloniale.<br />

Le <strong>panafricanisme</strong>, parti de la conscience unitaire née chez les esclaves noires<br />

<strong>du</strong>rant le « middle passage », va trouver dans les conditions sociales<br />

ségrégationnistes en Amérique l’humus de son éclosion <strong>et</strong> en Europe<br />

l’environnement de son expansion dans les milieux africains. Son r<strong>et</strong>our sur le<br />

continent marque une phase de cristallisation politique » <strong>et</strong> d’offensive anticoloniale.<br />

II- Le <strong>panafricanisme</strong> : « cristallisation politique <strong>et</strong> anti-colonialisme »<br />

Le <strong>panafricanisme</strong> sur le continent va traverser les gouvernements mais aussi les<br />

mouvements de masse.<br />

1) le <strong>panafricanisme</strong> d’en haut<br />

Le <strong>panafricanisme</strong> rejoint la terre mère africaine avec l’accession à<br />

l’indépendance <strong>du</strong> premier Etat noir, le Ghana en 1957 sous le leadership d’un<br />

panafricaniste reconnu Kwame N’KRUMAH.<br />

Le mouvement panafricain marque alors un tournant décisif vers une « phase<br />

ascensionnelle de cristallisation politique <strong>et</strong> d’offensive contre le<br />

colonialisme » 11 . A la faveur <strong>du</strong> « choc inouï » qu’à constituer la Seconde<br />

Guerre mondiale, le <strong>panafricanisme</strong> va devoir donner une réponse politique à la<br />

colonisation séculaire de l’Afrique. Déjà le Congrès panafricain de Manchester<br />

en 1945, préludait c<strong>et</strong>te cristallisation politique.<br />

Si le <strong>panafricanisme</strong> a réussi à donner l’image d’un mouvement unitaire <strong>du</strong>rant<br />

toutes les grandes rencontres panafricaines au cours <strong>du</strong> demi-siècle en dépit de<br />

l’opposition GARVEY-Du BOIS ; la lutte sur le terrain politique en Afrique va<br />

présenter de fortes divergences de vue dans le courant panafricaniste.<br />

N’KRUMAH va m<strong>et</strong>tre à profit l’indépendance nouvellement acquise de son<br />

pays, pour créer à Accra un carrefour offert aux hommes politiques <strong>et</strong> leaders<br />

10 Joseph KI-ZERBO, op. cit., p 646.<br />

11 Ibid., p 644.<br />

7


des mouvements de masses africains. Les fêtes de l’Indépendance <strong>du</strong> pays<br />

rassemblent les représentants des Etats nouvellement indépendants <strong>et</strong> les<br />

déléguées des mouvements nationalistes. La préoccupation est de con<strong>du</strong>ire<br />

l’ensemble de l’Afrique à l’indépendance ; mais reste l’interrogation centrale de<br />

l’unité avant l’indépendance ou le contraire.<br />

C<strong>et</strong>te question va constituer la première pomme de discorde entre leaders<br />

politiques africains.<br />

En janvier 1959 les leaders de quatre Etats (Dahomey, Haute-volta, Sénégal,<br />

Soudan) de l’Afrique Occidentale Française se rencontrent à Dakar pour baliser<br />

la voie de l’indépendance dans l’unité. Ils posent les jalons de la Fédération <strong>du</strong><br />

Mali qui devrait s’articuler autour d’un pouvoir Exécutif fédéral avec un chef<br />

d’Etat <strong>et</strong> un chef de gouvernement (gouvernement composé de deux ministres<br />

par Etat), d’une Assemblée législative composée de douze députés par Etat élue<br />

pour un mandat de cinq ans, <strong>et</strong> d’un pouvoir Judiciaire incarné dans une cour<br />

fédérale indépendante de l’Exécutif <strong>et</strong> <strong>du</strong> Législatif. Mais le serment des<br />

fédéralistes n’allait résister pas à la diplomatie franco-ivoirienne.<br />

En eff<strong>et</strong> le Conseil de l’Entente, considéré par nombre d’auteurs comme<br />

l’«’anti-Mali », est crée cinq mois plus tard à Abidjan avec le Dahomey, la<br />

Haute-Volta (qui se sont r<strong>et</strong>irés de la Fédération <strong>du</strong> Mali), le Niger <strong>et</strong> la Côte<br />

d’Ivoire bien enten<strong>du</strong>. A la Fédération <strong>du</strong> Mali était « opposée » le Conseil de<br />

l’Entente qui n’est pas une fédération politique mais une organisation<br />

intergouvernementale de coordination. La nature différente de ces<br />

regroupements annonçait déjà une divergence de vue sur l’unité africaine.<br />

C<strong>et</strong>te divergence de vue se précise un peu plus à l’échelle continentale des à la<br />

seconde Conférence des Etats africains indépendants à Addis-Abeba en 1960.<br />

Bien que les conférenciers s’accordent sur la rupture des liens diplomatique avec<br />

le régime de l’apartheid <strong>et</strong> les actions contre celui-ci devant la Cour<br />

Internationale de Justice, ils s’opposent sur le sens à donner à la marche de<br />

l’Afrique vers son intégration. Le Ghana de N’KRUMAH propose l’unité<br />

politique que récusent la Côte d’Ivoire <strong>et</strong> le Libéria rejoint par le Nigeria. Ces<br />

derniers proposent la Coopération dans le cadre de structures comme des<br />

banques régionales.<br />

Cependant, c’est la crise qui s’installe au Congo dès les premières heures de<br />

l’indépendance qui va révéler au grand jour la division de l’Afrique.<br />

a) La crise congolaise : la fracture africaine<br />

Le Congo dès les premières années de son indépendance, est au cœur de la<br />

diplomatie africaine <strong>et</strong> constitue même un foyer ardent de la Guerre Froide.<br />

Quelle position l’Afrique va telle adopter dans la situation anarchique qui<br />

prévaut au Congo ? Soutenir LUMUMBA <strong>et</strong> ses camarades nationalistes<br />

partisans farouches de l’unité nationale ou au contraire se ranger <strong>du</strong> coté de<br />

KASAVUBU <strong>et</strong> des mouvements politiques <strong>et</strong>hniques <strong>et</strong> tribalistes ? La<br />

8


question trouve deux réponses opposées qui dessinent une démarcation entre<br />

deux Afriques : une Afrique révolutionnaire, <strong>du</strong>re, ou militante qui opte pour le<br />

soutien à LUMUMBA <strong>et</strong> opposée à une Afrique modérée, molle ou une Afrique<br />

<strong>du</strong> « réalisme » qui soutient KASAVUBU. Cela correspond à deux visions de la<br />

marche de l’Afrique vers son unité ; deux <strong>panafricanisme</strong>s opposés sur le<br />

contenu même de l’Unité.<br />

-En octobre 1960 sur l’initiative de président HOUPHOUET-BOIGNY, les pays<br />

<strong>du</strong> Conseil de l’Entente, de l’ex AEF (Afrique Equatoriale Française) en plus <strong>du</strong><br />

Cameroun, <strong>du</strong> Sénégal <strong>et</strong> de la Mauritanie ; onze pays francophones en tout, se<br />

réunissent à Abidjan <strong>et</strong> décidèrent de soutenir KASSAVUBU. Ils adoptent<br />

également une « position souple » sur le problème algérien.<br />

En décembre 1960, le groupe est rejoint par Madagascar à Brazzaville ou ils<br />

créent l’Union Africaine <strong>et</strong> Malgache (U.A.M.) sur la base de principes clés<br />

dont la non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures des pays, la<br />

coopération économique <strong>et</strong> la diplomatie concertée. Le désormais groupe de<br />

Brazzaville (plus tard successivement groupe de Monrovia <strong>et</strong> de Lagos), bloc<br />

francophone, est qualifier par le Mali de Modibo KEITA <strong>et</strong> la Guinée de Sékou<br />

TOURE de « survivance <strong>du</strong> colonialisme».<br />

Le groupe de Brazzaville va réagir à c<strong>et</strong>te critique à la conférence de Monrovia<br />

en s’élargissant au-delà des zones linguistiques par l’arrivé le Nigeria, le<br />

Libéria, la Sierra Léone, la Somalie, la Libye, le Togo <strong>et</strong> la Tunisie.<br />

Pour ce bloc politique l’Unité ne signifie pas l’intégration politique mais<br />

« l’unité d’aspiration <strong>et</strong> d’action » <strong>et</strong> il insiste sur la non ingérence réciproque<br />

dans les affaires intérieures.<br />

-Face au groupe de Brazzaville ou de Monrovia ; l’Afrique <strong>du</strong>re se constitue en<br />

groupe de Casablanca. En janvier 1961, à l’invitation <strong>du</strong> Roi MOHAMED V, le<br />

Ghana, la Guinée <strong>et</strong> le Mali, discutent de la charte de Casablanca qui m<strong>et</strong> en<br />

relief les problèmes politiques. Pour ce groupe il s’agit de « faire triompher les<br />

libertés dans toute l’Afrique, réaliser son unité <strong>et</strong> cela dans le cadre <strong>du</strong> nonalignement,<br />

de la liquidation <strong>du</strong> colonialisme <strong>et</strong> <strong>du</strong> néo-colonialisme sous toutes<br />

ses formes » 12 .<br />

Le groupe de Casablanca apporte son soutien à LUMUMBA même s’il est mis<br />

en minorité à l’ONU par le groupe de Brazzaville qui soutient avec les Etats-<br />

Unis KASSAVUBU. Des soldats ghanéens <strong>et</strong> guinéens combattront au coté des<br />

nationalistes congolais mais ces expéditions militaires finiront en queue de<br />

poisson.<br />

A l’instar <strong>du</strong> groupe des modérés, l’Afrique révolutionnaire s’organise <strong>et</strong> crée en<br />

avril 1961 à l’Union des Etats africains (Mali, Guinée, Ghana) qu’elle veut<br />

embryon des Etats-Unis d’Afrique. Mais en raison des structures nationales<br />

idéologiques <strong>et</strong> socio-économiques très élaborées <strong>et</strong> implantées dans ces pays <strong>et</strong><br />

aussi de la personnalité très forte des leaders ; le groupe de Casablanca ne<br />

12 Ibid., p 651.<br />

9


connaît pas les mêmes réussites que son rival dans la pérennité de ses<br />

organisations.<br />

Pour l’Afrique militante, l’unité africaine n’est pas l’unité à tout les prix <strong>et</strong> pour<br />

n’importe qui. Elle signifie plutôt un regroupement anti-impérialiste sous une<br />

direction politique unique pour la libération <strong>et</strong> le progrès de l’Afrique.<br />

Les leaders <strong>du</strong> groupe de Casablanca sont très virulents vis à vis leurs pairs<br />

qu’ils traitent de néocolonialistes <strong>et</strong> de relais de l’impérialisme. Mais les leaders<br />

des mouvements d’opposition allaient s’opposer aux premiers notamment sur<br />

des débats stratégiques <strong>et</strong> tactiques. Pendant que les uns, sans responsabilités<br />

gouvernementales, optaient pour l’élimination des régimes réactionnaires, les<br />

autres, responsables d’Etats, estimaient nécessaires des compromis avec les<br />

Etats réactionnaires pour la liquidation <strong>du</strong> colonialisme en Afrique.<br />

C<strong>et</strong>te opposition entre les militants au pouvoir <strong>et</strong> les opposants révolutionnaires<br />

<strong>et</strong> une sorte de détente entre le groupe de Casablanca <strong>et</strong> celui de Monrovia<br />

annonçaient des fissures dans les deux blocs. En eff<strong>et</strong>, le premier coup d’Etat<br />

militaire post colonial en Afrique, opéré contre le président Sylvanus<br />

OLYMPIO au Togo en janvier 1963 allait diviser l’Afrique au-delà de la ligne<br />

de démarcation entre les deux blocs. Le GHANA reconnaissait curieusement<br />

avec le Sénégal <strong>et</strong> le Dahomey le nouveau régime. Cependant que tout aussi<br />

curieusement la Côte d’Ivoire <strong>et</strong> le Nigeria partageaient la position de la Guinée<br />

en réclamant une enquête sur l’assassinat <strong>du</strong> président OLYMPIO. La real<br />

politique prenait le pas sur les clivages politico-idéologiques.<br />

La nouvelle donne favorisera la recherche d’un consensus politique continental<br />

en mai 1963 à Addis-Abeba.<br />

b) L’OUA : le compromis d’Addis-Abeba<br />

La Conférence d’Addis-Abeba qui se tient <strong>du</strong> 22 au 26 mai 1963, réussit la<br />

prouesse inédite de réunir une trentaine de chefs d’Etats <strong>et</strong> de gouvernements<br />

africains. L’Ethiopie soum<strong>et</strong> un proj<strong>et</strong> de charte africaine qui doit remplacer les<br />

chartes de Lagos <strong>et</strong> de Casablanca.<br />

L’empereur Haîlé SELASSIE annonce les couleurs dans son discours<br />

d’ouverture. Il affirme l’impératif de la libération de tout le continent <strong>et</strong> tout en<br />

reconnaissant « que l’avenir <strong>du</strong> continent réside en dernier lieu dans une union<br />

politique » il ne nie pas les obstacles à l’intégration. Il affirme cependant avec<br />

ferm<strong>et</strong>é : « C<strong>et</strong>te conférence ne peut pas se terminer sans l’adoption d’une charte<br />

unique. Nous ne pouvons pas nous séparer sans créer une seule organisation<br />

africaine » 13 . Il venait ainsi de condamner au consensus les participants.<br />

13 Ibid., p 654.<br />

10


Les points d’accord unanime étaient la libération des pays africains encore sous<br />

joug colonial <strong>et</strong> la condamnation <strong>du</strong> régime raciste de l’Afrique <strong>du</strong> Sud.<br />

Quoique quelque peu estompées, des divergences subsistent entre les Etats qui<br />

envisagent une unité politique <strong>et</strong> organique <strong>et</strong> les partisans de l’union <strong>et</strong> de la<br />

coopération ; entre les partisans d’une création immédiate <strong>et</strong> ceux qui<br />

préconisent une évolution par « étapes nécessaires ».<br />

Pour N’KRUMAH, qui est arrivé à la conférence avec plusieurs exemplaires de<br />

son livre « Africa must unit », l’objectif de la Conférence est « l’union africaine<br />

dès maintenant. Il n’y a pas de temps à perdre. Nous devons nous unir dès<br />

maintenant ou périr ». Il continue dans son <strong>historique</strong> discours <strong>et</strong> déclare :<br />

« d’aucuns suggèrent que notre approche à l’unité devrait être gra<strong>du</strong>elle. Ce<br />

point de vue perçoit l’Afrique comme une entité figée, avec des problèmes figés,<br />

qui ne peuvent être éliminés que l’un après l’autre. Non seulement ceci ignore<br />

l’impact des pressions extérieures, mais aussi il ne reconnaît pas le danger que le<br />

r<strong>et</strong>ard aggrave notre isolement <strong>et</strong> notre marginalisation ». Il poursuit sur un ton<br />

prophétique « En eff<strong>et</strong>, le r<strong>et</strong>ard approfondit nos différences <strong>et</strong> nous j<strong>et</strong>te dans<br />

le fil<strong>et</strong> <strong>du</strong> néocolonialisme. Et il nous ferra perdre à jamais la course solennelle<br />

vers la rédemption totale <strong>du</strong> continent. » 14<br />

Mais il est pratiquement seul à tenir tant à une unité politique immédiate de<br />

l’Afrique. Ces pairs <strong>du</strong> groupe de Casablanca, sans doute pour ne pas faire<br />

échouer la Conférence adoptent une position souple. N’KRUMAH est seul <strong>et</strong> est<br />

contraint au consensus sous l’influence de ses pairs de l’Afrique militante <strong>et</strong><br />

surtout de l’Empereur SELASSIE pour lequel il a une grande admiration.<br />

Le consensus était arraché : toute l’Afrique venait de se ranger sur les idées de<br />

l’Afrique modérée. Le <strong>panafricanisme</strong> radical <strong>et</strong> résolument déterminé à obtenir<br />

l’unité immédiate avait céder le pas au <strong>panafricanisme</strong> par « étapes<br />

nécessaires ».<br />

Les principes de bases de la nouvelle Organisation de l’Unité Africaine sont<br />

principalement : la non-ingérence dans les affaires intérieures, le respect<br />

réciproque de la souverain<strong>et</strong>é <strong>et</strong> de l’intégrité territoriale des Etats, la<br />

condamnation sans réserve de l’assassinat politique <strong>et</strong> des activités subversives.<br />

Djibo BAKARY m<strong>et</strong>tait en garde déjà dans un article en février 1963 en ces<br />

termes : « Finalement, en aucune façon, l’Unité Africaine ne doit devenir un<br />

syndicat d’hommes au pouvoir cherchant à se soutenir mutuellement pour<br />

résister aux courants populaires » 15 .<br />

2) Le <strong>panafricanisme</strong> d’en bas : les organisations panafricaines de masse<br />

14 Lansiné KABA, op. cit., p174.<br />

15 Joseph KI-ZERBO, op. cit., p 653.<br />

11


L’Unité Africaine n’a pas été une préoccupation exclusive des seuls<br />

gouvernements. Le rêve <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong> a traversé les organisations de<br />

masses à savoir les syndicats <strong>et</strong> autres corporations <strong>et</strong> les mouvements<br />

estudiantins.<br />

-Les syndicats africains sont restés très liés aux centrales syndicales<br />

européennes. A l’orée des indépendances les principaux courants <strong>du</strong><br />

syndicalisme international sont représentés sur le continent : La Fédération<br />

Syndicale Mondiale (F.S.M.) de tendance communiste, la Confédération<br />

Internationale des Syndicats Libres (C.I.S.L.) <strong>et</strong> la Confédération Mondiale <strong>du</strong><br />

Travail (C.M.T) toutes deux <strong>du</strong> courant <strong>du</strong> syndicalisme libre.<br />

La Conférence des Peuples Africains tenue en 1958 à Accra recommande l’unité<br />

africaine au plan syndical. Mais il faudra attendre près de quinze ans après pour<br />

assister à l’avènement d’une structure tra<strong>du</strong>isant c<strong>et</strong>te unité.<br />

Déjà en 1957 au Dahomey, une Conférence syndicale réunissait les syndicats<br />

d’Afrique francophone pour la plupart des militants de la F.S.M en vue de la<br />

création d’une confédération syndicale des travailleurs d’Afrique noire. Mais un<br />

houleux débat entre marxistes <strong>et</strong> non marxistes empêche la réunion d’adopter les<br />

documents constitutifs de la confédération escomptée. A la suite de la rencontre<br />

<strong>du</strong> Dahomey, en janvier 1959 les documents constitutifs de l’U.G.T.A.N.<br />

(Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire) sont adoptés à Conakry.<br />

L’U.G.T.A.N. réunissant des syndicats de huit pays tous d’Afrique Occidentale,<br />

affirme sa vocation panafricaine <strong>et</strong> se lance sur la voie de la recherche de l’unité<br />

syndicale au niveau continental. La même année à Brazzaville est crée l’Union<br />

Panafricaine des Travailleurs Croyants (U.P.T.C.) avec des syndicats de quinze<br />

pays africains.<br />

En mai 1961 une rencontre réunissait toute l’Afrique syndicale à Casablanca. La<br />

rencontre débouche sur la création de l’Union Syndicale Panafricaine<br />

(U.S.P.A.). L’orientation radicale de l’U.S.PA. repousse les syndicats modérés<br />

qui quittent la conférence. L’U.S.P.A. regroupe alors les syndicats de l’Algérie,<br />

<strong>du</strong> Ghana, de la Guinée, <strong>du</strong> Mali, <strong>du</strong> Maroc, de l’Egypte, <strong>du</strong> Zanzibar <strong>et</strong> la<br />

centrale régionale de l’U.G.T.A.N.<br />

En janvier 1962 les pays modérés crée à Dakar la Confédération Syndicale<br />

Africaine (C.S.A.). Ainsi le mouvement syndical africain présentait une<br />

bipolarité à l’instar des deux blocs politique au niveau des Etats. Le clivage<br />

syndical rejoignait d’ailleurs celui entre Etats La C.S.A était proche de groupe<br />

de Monrovia tandis que l’U.S.P.A. pouvait mieux s’identifier à l’Afrique dite<br />

révolutionnaire. L’U.S.P.A. rej<strong>et</strong>ait par principe le pluralisme syndical,<br />

l’affiliation aux centrales internationales ainsi que l’apolitisme. La C.S.A. au<br />

contraire adm<strong>et</strong>tait le principe de l’affiliation <strong>et</strong> tolérait le pluralisme syndical à<br />

« titre transitoire ».<br />

12


Le consensus de la création de l’O.U.A. n’allait pas réussir à rassembler de sitôt<br />

les deux pôles syndicaux.<br />

Bien qu’une rencontre ait lieu à Dakar en octobre 1963 entre les responsables<br />

de l’U.S.P.A. <strong>et</strong> de la C.S.A. elle n’aboutira qu’à l’engagement de la création<br />

d’une centrale syndicale africaine unifiée. Il faudra patienter après plusieurs<br />

rendez-vous manqués <strong>et</strong> l’implication de l’O.U.A. <strong>et</strong> des chefs d’Etat pour que<br />

la rencontre <strong>historique</strong> d’avril 1973 à Addis-Abeba accouche de l’Organisation<br />

de Unité syndicale Africaine (O.U.S.A.). L’O.U.S.A. concrétise l’unité<br />

syndicale enfin trouvée. Elle va coexister avec les représentants des<br />

organisations syndicales internationales ; la F.S.M, la C.I.S.L <strong>et</strong> la C.M.T. Après<br />

la crise passagère qui la secoue entre 1984 <strong>et</strong> 1986, l’organisation syndicale<br />

panafricaine connaît une existence assez calme qui tranche d’avec les périodes<br />

chaudes de l’indépendances. Sans doute que la fin de la guerre froide combinée<br />

à un recul <strong>du</strong> militantisme explique c<strong>et</strong>te relative léthargie.<br />

- Les mouvements de jeunes ont eux aussi porté le débat panafricain.<br />

Les étudiants africains en Europe, majoritairement en France <strong>et</strong> en Angl<strong>et</strong>erre,<br />

sont regroupés dans la F.E.A.N.F. créée en 1950 <strong>et</strong> dans la W.A.S.U. créée en<br />

1925. Ils y mènent un militantisme très actif.<br />

Ces deux organisations ne sont pas acceptées aux Congrès panafricains des<br />

étudiants organisés par la Conférence des Peuples Africains en 1957 à Kampala<br />

<strong>et</strong> 1959 à Tunis.<br />

En 1962 à Belgrade les organisations estudiantines d’Europe <strong>et</strong> d’Amérique crée<br />

l’Union Panafricaine des Etudiants qui prend position en faveurs de l’U.S.P.A.<br />

qu’elle considère comme « la seule fédération syndicale <strong>du</strong> continent vraiment<br />

indépendante <strong>et</strong> à orientation africaine ». Face à la seconde crise congolaise<br />

l’Union prenait position contre l’O.U.A. que la F.E.A.N.F. qualifie de « frein<br />

puissant à l’avancé <strong>du</strong> Mouvement Africain de Libération ».<br />

Ces organisations estudiantines incarnaient un courant encore plus radical <strong>et</strong> se<br />

proclamaient avant-garde de la lutte de libération.<br />

Sur le contient même le Mouvement Panafricain des Jeunes embryon <strong>du</strong> Conseil<br />

de la Jeunesse d’Afrique, après quelques rencontres depuis sa première réunion<br />

de 1959 va entré très tôt dans une inactivité spectaculaire malgré la tenue de la<br />

conférence des jeunes en 1968 à Alger.<br />

III- Les expériences africaines d’intégration régionales<br />

Les dirigeants africains ont dès les indépendances considéré l’intégration<br />

régionale comme stratégie économique car la balkanisation de l’Afrique (qui à<br />

travers sa partie subsaharienne a le sous-continent le plus morcelé) constitue un<br />

13


facteur de vulnérabilité économique, de marginalisation au plan international <strong>et</strong><br />

de ré<strong>du</strong>ction des <strong>perspectives</strong> de croissance.<br />

Dès les premières années de sa création <strong>et</strong> « bien qu’elle ne soit pas l’instigatrice<br />

directe des expériences régionales qui se multiplient dans le Tiers monde, la<br />

Communauté européenne contribue par son exemple à l’expression d’un<br />

régionalisme plus affirmé » 16 .<br />

Les expériences d’intégration entreprises ont connu deux générations. La<br />

première génération s’étale sur les trois premières décennies post<br />

indépendances. La seconde plus récente, est postérieure à la chute <strong>du</strong> mur de<br />

Berlin.<br />

1) La première génération d’expériences africaines d’intégration régionales<br />

Quoique inspiré <strong>du</strong> modèle européen, le régionalisme de première génération<br />

qui gagne le Tiers monde, s’en différencie intrinsèquement. Sous l’influence<br />

théorique des économistes <strong>du</strong> CEPAL (commission économique des pays<br />

d’Amérique Latine) <strong>et</strong> de PREBISCH, les regroupements régionales optent pour<br />

des stratégies de substitution des importations pour protéger les in<strong>du</strong>stries<br />

naissantes contre les agressions <strong>du</strong> système économique international.<br />

En Afrique toute une flopée d’organisations sous-régionales expérimente la<br />

stratégie de décrochage <strong>du</strong> système économique international.<br />

En Afrique occidentale, la CEDEAO (communauté économique des Etats de<br />

l’Afrique de l’Ouest) <strong>et</strong> la CEAO (communauté économique de l’Afrique de<br />

l’Ouest) sont crées respectivement en 1975 <strong>et</strong> 1974.<br />

En Afrique centrale, l’UDEAC (communauté douanière des Etats de l’Afrique<br />

centrale) créée en 1964 <strong>et</strong> la CEPGL (communauté économique des pays des<br />

grands lacs) créée en 1976 constitue les principales organisations.<br />

Les expériences en Afrique orientale <strong>et</strong> australe sont assez tardives. La SADC<br />

(communauté de développement de l’Afrique australe) en 1980 <strong>et</strong> le COMESA<br />

(marché commun de l’Afrique orientale <strong>et</strong> australe) est créé en 1981.<br />

L’Afrique <strong>du</strong> Nord se regroupe dans l’UMA (Union <strong>du</strong> Maghreb Arabe) en<br />

1989.<br />

Au Plan d’action de Lagos adopté en avril 1980 par l’OUA, est assigné le rôle<br />

de baliser le chemin <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong> par la création d’une communauté<br />

économique africaine <strong>et</strong> d’u marché commun intégré. La mise en œuvre <strong>du</strong> plan<br />

doit se faire en deux étapes. Le renforcement des communautés économiques <strong>et</strong><br />

de l’intégration doit préluder l’harmonisation des stratégies, des politiques <strong>et</strong> des<br />

plans de développement avec à la clé un Fonds Monétaire Africain.<br />

16 Alice LANDAU, Multilatéralisme <strong>et</strong> régionalisme dans les rélations internationales in Daniel C BACH (sous<br />

la direction de:), Régionalisation, mondialisation <strong>et</strong> fragmentation en Afrique subsaharienne, Karthala, Paris,<br />

1998, p 29.<br />

14


C<strong>et</strong>te vague d’organisations d’intégration régionale relève essentiellement d’une<br />

conception volontariste qui a commandé des processus d’introversion.<br />

Ces processus n’ont pas connu cependant les réussites escomptées. Les causes<br />

de ces échecs sont principalement la forte dépendance par rapport au marché<br />

internationale, les la perte de compétitivité des in<strong>du</strong>stries nationales, le manque<br />

de volonté politique <strong>et</strong> la non implication des acteurs de la société civile.<br />

La faillite de la première génération d’intégration régionale pose la double<br />

question de l’utilité de la stratégie de l’intégration régionale ou au contraire de<br />

la nécessité de réviser les approches passées pour aboutir de véritables<br />

intégrations.<br />

2) La deuxième génération des expériences africaines d’intégration<br />

régionale<br />

L’inversion de la conjoncture économique mondiale au début de la décennie<br />

1980 avec ses corollaires de crise de l’end<strong>et</strong>tement <strong>et</strong> de déséquilibres<br />

macroéconomiques dans les pays <strong>du</strong> Tiers monde va justifier l’intervention des<br />

Institutions de Br<strong>et</strong>ton Woods à travers les programmes d’ajustement structurel<br />

(PAS) dans ces pays. L’application des PAS en Afrique inaugure une période de<br />

« fin de la politique économique» nationale <strong>et</strong> la montée <strong>du</strong> mono économisme<br />

libéral. Les PAS ont puent être considérés comme des processus<br />

d’apprentissages incitatrices à l’intégration régionale (QUIERS-VALETTE,<br />

1991). Aussi les bailleurs de fonds prennent-ils en compte les dimensions<br />

régionales de l’ajustement.<br />

Mais l’incitation est au « nouveau régionalisme » caractérisé principalement par<br />

l’adoption de stratégie commerciale d’intégration au marché international,<br />

l’harmonisation des politiques macroéconomiques dans un contexte de<br />

libéralisation poussée.<br />

La création de la CEPA (communauté économique panafricaine) par le traité<br />

d’Abuja en 1991 inaugure une ère de mutation des organisations régionales.<br />

La SADCC devient en 1992 la communauté de développement de l’Afrique<br />

centrale (SADC) <strong>et</strong> adoptant un programme d’intégration par le marché <strong>et</strong> de<br />

coordination des politiques sectorielles.<br />

En 1993 la CEDEAO révise son traité <strong>et</strong> le marché commun de la COMESA est<br />

créée par les Etats membres de la ZEP.<br />

La CEAO <strong>et</strong> l’UDEAC sont abolies au profit de l’UEMOA (union économique<br />

<strong>et</strong> monétaire ouest africain) <strong>et</strong> de la CEMAC (communauté économique <strong>et</strong><br />

monétaire de l’Afrique centrale) en 1994.<br />

Ce renouveau de l’intégration régionale est marqué fortement par une prise en<br />

compte quasi-exclusive de sa dimension économique.<br />

15


Dans l’ensemble on observe « une faible intensité des relations inter-africaines,<br />

une inversion des séquences atten<strong>du</strong>es (ainsi l’intégration monétaire a-t-elle<br />

précédé l’intégration économique), un poids important des mouvements de<br />

monnaie <strong>et</strong> <strong>du</strong> facteur travail que des flux de marchandises <strong>et</strong> un rôle dominant<br />

des relations intra-régionales se déroulant hors des enregistrements comptables<br />

<strong>et</strong> de la réglementation » 17 .<br />

IV- Renouveau <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong> ou phagocytose néo-libérale ?<br />

La seconde vague d’intégration régionale a touché les fondements de l’OUA.<br />

Celle-ci a opéré une série de reformes institutionnelles pour s’adapter au nouvel<br />

environnement économique international <strong>et</strong> se conformer au nouveau<br />

régionalisme. Cependant les structures de base mêmes de l’OUA limitaient la<br />

portée de ces reformes. Le vent réformateur qui soufflait sur l’organisation ne<br />

pouvait se contenter de rafistolages au sein de l’organisation panafricaine vieille<br />

de quatre décennies. L’Union Africaine allait voir jour à l’orée <strong>du</strong> nouveau<br />

millénaire <strong>et</strong> se trouver un bras économique ; le NEPAD.<br />

1-L’U.A. <strong>et</strong> le NEPAD : renouveau panafricaniste ou phagocytose néolibérale<br />

Au somm<strong>et</strong> de Syrte, le 9 septembre 1999, la déclaration des chefs d’Etat,<br />

« inspirés par les propositions faites par le colonel Mouammar Kaddaffi » 18<br />

annonçait, non sans moult tractations diplomatiques antérieures, la création de<br />

l’Union Africaine <strong>et</strong> mandatait le Conseil des ministres pour l’élaboration des<br />

actes constitutifs de l’Union à présenter au prochain somm<strong>et</strong> à Lomé en 2000,<br />

l’adoption des actes étant prévue pour l’année 2001.<br />

Le 36è somm<strong>et</strong> de L’OUA tenu à Lomé en juill<strong>et</strong> 2000 voit s’affronter les<br />

divergences de vues sur la nouvelle union <strong>et</strong> rappelle à ce titre la conférence de<br />

création de l’OUA en 1963 à Adis Abéba ; d’autant plus qu’à Lomé également<br />

un compromis allait être trouvé aux divergences somme toute moins marqués<br />

qu’à la période des indépendances.<br />

Le colonel Kadhafi qui a joué un rôle de catalyseur dans l’adoption de l’idée de<br />

l’union, défendait l’idée d’une organisation supranationale dont il souhaitait la<br />

mise en place immédiate. S’inspirant des leaders panafricanistes de la génération<br />

des indépendances <strong>et</strong> principalement de N’KRUMAH, il veut redonner vie au<br />

<strong>panafricanisme</strong> à travers son proj<strong>et</strong> fédérateur des Etats-Unis d’Afrique.<br />

17 Phillipe HUGON, L’intégration régionale africaine : un processus contradictoire, in Jean COUSSY <strong>et</strong><br />

Phillipe HUGON (sous la direction de :), Intégration régionale <strong>et</strong> ajustement structurel en Afrique subsaharienne,<br />

Etudes <strong>et</strong> documents, Paris, 1991, p 21.<br />

18 Déclaration de Syrte in Jeune Afrique nº 2019 septembre 2002 p 19.<br />

16


Il préconise la création d’une banque centrale, d’un fonds monétaire <strong>et</strong> d’une<br />

armée unique à l’échelle continentale. Le proj<strong>et</strong> libyen en dépit d’une diplomatie<br />

très active en sa faveur ne rencontrera pas l’unanimité des Etats membres.<br />

D’autant plus qu’il fait face aux idées d’autres chefs d’Etat principalement<br />

Alpha Omar Konaré <strong>du</strong> Mali, Abdoulaye Wade <strong>du</strong> Sénégal <strong>et</strong> surtout le proj<strong>et</strong><br />

unioniste <strong>du</strong> président Thabo M’Béki. Ce dernier est le principal rival <strong>du</strong><br />

président Kadhafi dans la lutte engagée pour le leadership panafricain.<br />

M’Béki forge à partir son concept de la Renaissance africaine, sa vision<br />

panafricaine qui m<strong>et</strong> l’accent sur la démocratisation <strong>et</strong> le développement <strong>du</strong><br />

continent. Le renouveau panafricain pour le président sud-africain, s’opère<br />

surtout par une approche beaucoup plus économique pour répondre au défi de la<br />

mondialisation en s’inspirant <strong>du</strong> modèle des Etats d’Asie <strong>du</strong> Sud-Est.<br />

Les proj<strong>et</strong>s des deux leaders de l’Afrique australe <strong>et</strong> septentrionale s’opposent <strong>et</strong><br />

polarisent la conférence. Un consensus est cependant vite trouvé <strong>et</strong> é<strong>du</strong>lcore la<br />

vision très ambitieuse <strong>du</strong> Guide libyen.<br />

Le consensus adopté à Lomé reprend certains principes clés de l’OUA comme<br />

l’égalité, la souverain<strong>et</strong>é, l’intégrité territoriale <strong>et</strong> la non-ingérence ; de même<br />

que la charte de 1963. Il affirme dans le même temps des innovations<br />

importantes comme le respect des règles démocratiques <strong>et</strong> la condamnation des<br />

changements anticonstitutionnels <strong>et</strong> le respect des droits de l’homme <strong>et</strong> la bonne<br />

gouvernance.<br />

L’Acte constitutif dote la nouvelle organisation panafricaine de nouvelles<br />

structures dont les principales sont :<br />

-La Conférence des Chefs d’Etat <strong>et</strong> de Gouvernement de l’Union<br />

-Le Conseil exécutif des ministres<br />

-La Commission de l’union dirigée par un président<br />

-Le Parlement panafricain <strong>et</strong> la Cour de justice<br />

L’UA s’inspire des expériences d’intégration régionale dans le monde<br />

principalement celle de l’Union européenne mais emprunte également beaucoup<br />

à la défunte OUA.<br />

L’Acte constitutif de l’Union Africaine entre en vigueur au somm<strong>et</strong> de Lusaka<br />

en 2001 <strong>et</strong> son lancement officiel en juill<strong>et</strong> 2002 à Durban.<br />

Le somm<strong>et</strong> de Lusaka adopte également la Nouvelle Initiative Africaine qui est<br />

la fusion des plans de développement des présidents Mbéki, Obansanjo <strong>et</strong><br />

Bouteflika (Millénium African Plan MAP) <strong>et</strong> <strong>du</strong> président Wade (Plan Oméga).<br />

La mise en œuvre <strong>du</strong> NEPAD, nouvelle dénomination de la Nouvelle Initiative<br />

Africaine devra être assurée par l’UA.<br />

17


C<strong>et</strong> ambitieux programme de développement <strong>du</strong> continent, tout en affirmant son<br />

option régionale, veut trouver dans l’intégration au marché mondial <strong>et</strong> dans les<br />

financements étrangers aussi bien publics que les investissements privés les<br />

voies de son exécution. Déjà les principaux promoteurs <strong>du</strong> programme<br />

entreprennent d’intenses activités diplomatiques au plan multilatéral pour<br />

obtenir le soutien de la communauté économique <strong>et</strong> financière internationale.<br />

La rhétorique qui porte le NEPAD ainsi que certaines options fondamentales <strong>du</strong><br />

programme notamment la centralité <strong>du</strong> rôle accordé au secteur privé, la stratégie<br />

de développement basé sur les exportations <strong>et</strong> l’option d’insertion au système<br />

économique international qu’elle soutend, la quête insistante des investissements<br />

directs étrangers ; suggère que l’on interrogeât la nature réel <strong>du</strong> renouveau<br />

panafricain que l’UA veut concrétiser à travers ce programme.<br />

L’UA est-elle l’expression véritable d’un renouveau panafricain qui saura enfin,<br />

après près de quatre décennies d’errance <strong>du</strong> mouvement panafricaniste,<br />

rassembler l’Afrique <strong>et</strong> la con<strong>du</strong>ire vers son développement ? Ou au contraire,<br />

l’UA est-elle un simple avatar <strong>du</strong> « renouveau régionaliste » amorcé au début<br />

des années 1990 sous l’influence de l’idéologie dominante néo-libérale <strong>et</strong> par<br />

conséquent juste un détournement <strong>et</strong> une phagocytose néo-libérale de la<br />

trajectoire panafricaine ? La seconde interrogation ne semble pas à plusieurs<br />

égards farfelue <strong>et</strong> dénuée de sens. Bien au contraire, il faut même se demander si<br />

elle n’interroge pas un processus longtemps entrepris.<br />

En tout état de cause la marche africaine vers son unité <strong>et</strong> pour son<br />

développement ne pourra s’opérer au bénéfice des peuples si elle est orientée<br />

canalisée, con<strong>du</strong>it <strong>et</strong> rythmée par l’extérieur <strong>et</strong> de l’extérieur. Le nouveau<br />

régionalisme légitimé par la dynamique de globalisation de l’économie-monde<br />

ne doit pas noyer les débats de fonds sur les orientations sociétales à donner aux<br />

dynamiques régionales.<br />

Au demeurant ces dynamiques intégratrices semble défiées par le un mouvement<br />

inverse ; le localisme <strong>et</strong> le communautarisme qui accompagnent la globalisation.<br />

2-Fragmentation : un défi supplémentaire au <strong>panafricanisme</strong><br />

Un des paradoxes majeurs de la mondialisation est qu’elle s’accompagne d’un<br />

mouvement de fragmentation porté par les micro-nationalismes <strong>et</strong> le<br />

communautarisme. Les vagues successives <strong>du</strong> nationalisme spécifiquement le<br />

nationalisme anti-colonial de libération, ont laissé place à un néo-nationalisme<br />

contemporain caractérisé par son <strong>et</strong>hnicisation <strong>et</strong> le réveil des identités locales <strong>et</strong><br />

<strong>et</strong>hnorégionales.<br />

C<strong>et</strong>te vague mondiale touche le continent africain au moment où celui-ci vit une<br />

crise d’un Etat incapable de faire face à ses obligations socioéconomiques <strong>et</strong> de<br />

forger un pacte intégrateur des populations.<br />

18


Les paramètres <strong>et</strong>hniques jadis utilisés par les colons dans leurs stratégies de<br />

domination ont été repris par les élites politiques africaines dans les<br />

compétitions pour la conquête <strong>et</strong> la conservation <strong>du</strong> pouvoir politique.<br />

L’exacerbation <strong>du</strong> phénomène est observable sur le continent dans plusieurs<br />

pays avec un rôle central d’instigateur <strong>et</strong> joué par les intellectuels.<br />

L’ivoirité est l’expression de c<strong>et</strong>te pro<strong>du</strong>ction d’idéologies <strong>et</strong>hno-régionales qui<br />

crée <strong>et</strong> alimentent des cycles de violence intolérable <strong>et</strong> incontrôlable.<br />

Le Burundi <strong>et</strong> Rwanda avec les centaines de milliers victimes des génocides,<br />

offrent les exemples les plus dramatiques de c<strong>et</strong>te dynamique de pro<strong>du</strong>ction<br />

d’idéologies à eff<strong>et</strong>s fragmentaires <strong>et</strong> violentes.<br />

Ailleurs au Cameroun, en Mauritanie, au Congo, en Centrafrique <strong>et</strong> un peu<br />

partout sur le continent, à la rescousse des élites politiques (quand ils n’en<br />

faisaient pas parti eux même), les intellectuels se sont majoritairement fourvoyés<br />

dans la conception <strong>et</strong> l’utilisation de ces idéologies micro-nationalistes <strong>et</strong> microchauvines<br />

<strong>et</strong> à potentiel élevé de violence.<br />

Prenant le contre-pied des intellectuels dissidents qu’à connu l’Afrique pendant<br />

la période des indépendances (Cheick Anta Diop, Frantz Fanon, <strong>et</strong>c.) ; qui ont<br />

essayé de proposer des alternatives en faveurs de l’unité <strong>du</strong> continent, la plupart<br />

des intellectuels africains joue aujourd’hui un rôle de sous-traitance avec les<br />

élites politiques notamment en pro<strong>du</strong>isant une rhétorique de légitimation des<br />

pouvoirs en place ou tout au moins en opposant aux logiques en cours une<br />

passivité extraordinaire.<br />

Ce rôle des intellectuels a été aux dépens d’un renouveau véritable <strong>du</strong> débat<br />

panafricain.<br />

Tout au contraire, il constitue un facteur inhibant à l’indispensable renouveau<br />

<strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong> pour construire <strong>et</strong> apporter une réponse africaine adéquate à<br />

la mondialisation.<br />

Il ne s’agit pas de nier la pertinence <strong>et</strong> la résurgence des préoccupations locales<br />

engendrées ou actualisées par la mondialisation. Mais force est de reconnaître<br />

l’intrumentalisation de ces exigences locales à des fins politiciens dont les<br />

résultats sont la fragmentation <strong>et</strong> les cycles de violence incontrôlables. La<br />

corrélation entre la montée des micro-nationalismes <strong>et</strong> l’émergence des conflits<br />

identitaires est à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> frappante.<br />

Il ne s’agit pas non plus d’opposer une vision panafricaine totalisante ou<br />

atomisante à un continent ballotté entre le global <strong>et</strong> le local.<br />

Le challenge est d’opérer à partir d’une conscience <strong>historique</strong> africaine<br />

r<strong>et</strong>rouvée, le renouveau <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong> en conciliant les légitimes demandes<br />

locales <strong>et</strong> l’exigence d’un ensemble continental unifié suffisamment fort pour<br />

repositionner l’Afrique à l’échelle mondiale.<br />

Conclusion<br />

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La graine de la conscience unitaire né chez les esclaves noirs depuis les cales<br />

des navires négriers <strong>et</strong> dans les conditions ségrégationnistes exécrables en<br />

Amérique, a germé au soir <strong>du</strong> xixè siècle au sein de la Diaspora noire dans le<br />

nouveau monde <strong>et</strong> gagner les milieux africains dans le vieux monde. Le<br />

<strong>panafricanisme</strong> dans sa phase de gestation est façonné par d’éminents<br />

précurseurs, <strong>et</strong> s’opère essentiellement en Amérique <strong>et</strong> en Europe.<br />

A la veille de la Seconde guerre mondiale, le <strong>panafricanisme</strong> rejoint la terre<br />

mère africaine dans une phase de cristallisation politique <strong>et</strong> d’anticolonialisme<br />

exacerbé. Durant c<strong>et</strong>te période, le rêve panafricain a connu ses années de gloire<br />

<strong>et</strong> dessine une courbe évolutive assez mouvementée sur fond de divergences de<br />

vue sur l’idée même de l’Unité. Le consensus qui j<strong>et</strong>te les bases de la création de<br />

l’OUA en 1963, prélude d’une première génération d’expériences d’intégration<br />

sous-régionales influencées par une conception volontariste <strong>et</strong> des options de<br />

stratégies de décrochages <strong>du</strong> système économiques international.<br />

Le renouveau <strong>du</strong> régionalisme gagne l’Afrique au début des années 1990 à la<br />

suite de l’échec des expériences de la première génération. Ce renouveau advenu<br />

avec le triomphe <strong>du</strong> néo-libéralisme s’opère par une mutation des organisations<br />

sous-régionales préétablies vers des stratégies d’insertion au marché<br />

international. C’est dans ce contexte que l’Union africaine, armé d’un<br />

programme économique, le NEPAD, remplace l’OUA. On peut interroger c<strong>et</strong>te<br />

nouvelle organisation continentale sur sa nature de renouveau <strong>du</strong> <strong>panafricanisme</strong><br />

ou son orientation radicalement néo-libérale.<br />

Au demeurant, la vision séculaire de l’Unité Africaine rencontre aujourd’hui la<br />

montée d’idéologies micro-nationalistes à connotations <strong>et</strong>hnique, tribale <strong>et</strong><br />

régionale corrélativement à une explosion des conflits identitaires. Et les<br />

intellectuels africains dans leur majorité jouent ce rôle organique de soustraitance<br />

avec les élites politiques, quand elles ne font pas partie de ces élites ;<br />

pour pro<strong>du</strong>ire les théories de légitimation <strong>et</strong> ou de conquête <strong>du</strong> pouvoir<br />

politique.<br />

Paradoxalement la preuve est plus que jamais faite de la nécessité urgente de<br />

l’Unité Africaine. L’Afrique entrera dans l’histoire unie ou n’y aura pas accès.<br />

L’Afrique se développera unie ; mais pas une unité totalisante, atomisante ou<br />

uniformisante à l’extrême. Le <strong>panafricanisme</strong> doit relever les défis <strong>du</strong> global <strong>et</strong><br />

<strong>du</strong> local en signifiant la rencontre des différences pour la fortification de<br />

l’ensemble. Ainsi se résument les challenges.<br />

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Bibliographie indicative<br />

-BACH, D., (sous la direction de :) Régionalisation, mondialisation <strong>et</strong><br />

fragmentation en Afrique subsaharienne, Paris, Karthala, 1998<br />

-COUSSY, J. <strong>et</strong> HUGON. P.(sous la direction de :), Intégration régionale <strong>et</strong><br />

ajustement structurel en Afrique sub-saharienne, Etudes <strong>et</strong> documents, 1991<br />

-D’ARBOUSSIER, G., L’Afrique vers l’unité, Paris, Edit.Saint paul, 1962.<br />

-DECRAENE, P., Le <strong>panafricanisme</strong>, Paris, P.U.F., « Que sais-je » 1964.<br />

- KABA, J., N’Krumah <strong>et</strong> le rêvede l’unité africaine, Paris Editions Chaka,1991-<br />

-KI-ZERBO,J., Histoire de l’Afrique noire, Editions Hatier, Paris, 1978<br />

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