La Fée amante et le Chevalier: De l'interdit premier au rite sacrificiel ...
La Fée amante et le Chevalier: De l'interdit premier au rite sacrificiel ...
La Fée amante et le Chevalier: De l'interdit premier au rite sacrificiel ...
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
8<br />
il est arrivé sans s’en douter à la charnière des deux mondes. D’<strong>au</strong>tres héros<br />
veu<strong>le</strong>nt forcer c<strong>et</strong>te limite. Suivie par Grae<strong>le</strong>nt, la fée avertit son ami de ne pas<br />
traverser la rivière qu’el<strong>le</strong> vient de franchir, sinon il se noiera, malgré tous ses<br />
efforts. Le chevalier pénètre dans l’e<strong>au</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> courant l’emporte. A la prière de<br />
ses suivantes, ia fée accepte de <strong>le</strong> tirer de l’e<strong>au</strong> <strong>et</strong> de l’emmener en son pays.<br />
Les gens disent que <strong>le</strong> chevalier serait encore vivant; mais c<strong>et</strong>te croyance est<br />
démentie par <strong>le</strong> cheval de Grae<strong>le</strong>nt, qui réussit à s’échapper du f<strong>le</strong>uve <strong>et</strong> qui<br />
erre depuis dans ia forêt, inconsolé de la perte de son maître (Luis féeriques,<br />
Grue<strong>le</strong>nt, w. 663-726). En apprenant son origine féerique, Tydorel s’enfonce<br />
dans <strong>le</strong>s e<strong>au</strong>x profondes du lac dont son père était sorti: il n’en reviendra plus<br />
jamais (<strong>La</strong>is féeriques, Tydorel, w. 485-88).<br />
Le contact prolongé avec l’être surnaturel est dangereux. Libre de<br />
toute contrainte socia<strong>le</strong>, <strong>La</strong>nval voudrait volontiers demeurer <strong>au</strong>près de ia fée<br />
I <strong>au</strong>-delà de l’après-midi, mais cela est impossib<strong>le</strong>: ‘mon ami’, lui dit la fée,<br />
<strong>le</strong>vez-vous,<br />
~<br />
Vus n’i poëz demurer plus.<br />
A<strong>le</strong>z vus en; jeo remeindrai. (Lunval, vv. 160-61)<br />
<strong>La</strong> dame de 1’I<strong>le</strong> Celée révè<strong>le</strong> à Florimont <strong>le</strong>s conséquences néfastes de <strong>le</strong>ur<br />
union, dont ie secr<strong>et</strong> a été découvert par la mère du héros:<br />
Se en cest païs remenoie,<br />
Jai avant d’un mois ne vivroie;<br />
Et se t’en voloie mener<br />
Quant de si ne te poi emb<strong>le</strong>r,<br />
Ne vivroies pas longuement,<br />
Ains morroies soudaignement (Aimon de Varennes, vv. 3829-34)<br />
I1 f<strong>au</strong>t bien convenir que <strong>le</strong> sentiment d’effroi qui saisit l’être humain <strong>au</strong> plus<br />
profond de lui-même ne procède pas d’une quelconque logique narrative:<br />
rien ne nous empêche d’imaginer <strong>La</strong>nval <strong>au</strong> comb<strong>le</strong> de la félicité ni<br />
Guigemar bercé par ia mer, embarqué sur une nef dépourvue de signification<br />
funéraire. Et pourtant ces détails qui ne sont pas strictement nécessaires à<br />
l’économie du récit résistent à tout processus d’esthétisation. Ardemment<br />
désirée, l’union avec la fée suscite en même temps une émotion vio<strong>le</strong>nte de<br />
frayeur panique. Ce mélange de fascination <strong>et</strong> de teerreur est <strong>le</strong> sentiment que<br />
ressent l’homme <strong>au</strong> contact avec la force ambiguë du sacré.<br />
I1 n’est pas donné à tout <strong>le</strong> monde de transgresser l’interdit. Rien ne<br />
distingue <strong>le</strong> héros de ses semblab<strong>le</strong>s, sinon qu’il est l’homme du destin. Le