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Ô Quelle est votre formation ?<br />
Je suis canadienne et j’ai fait ma formation au Canada. J’ai une<br />
formation équivalente à la licence STAPS APA (activités physiques<br />
et adaptées) de France ; par la suite j’ai fait un Master en<br />
sciences de la vision option orientation et mobilité. En France,<br />
le diplôme d’instructeur de locomotion (ou CAERLDV), reconnu<br />
par le ministère de l’emploi et de la solidarité, s’acquiert au<br />
terme d’une formation de 31 semaines comportant des cours<br />
théoriques, des mises en situation et des stages. Il faut préalablement<br />
avoir un diplôme de base tel qu’ergothérapeute, kinésithérapeute,<br />
psychomotricien ou STAPS pour avoir accès à la<br />
formation d’instructeur de locomotion.<br />
Ô En quoi consistent vos activités au sein du SAAAIS ?<br />
Dans un premier temps, je rencontre la famille et l’enfant pour<br />
réaliser un entretien. Cela permet de faire le point sur les déplacements<br />
actuels et le niveau d’autonomie souhaité par l’enfant<br />
et ses parents. Est-ce qu’il se déplace au sein de la maison ? A<br />
l’extérieur ? A l’école ? Est-ce qu’il se déplace seul pour aller<br />
chez ses copains ? Ensuite, un bilan à l’extérieur est réalisé pour<br />
évaluer les capacités et incapacités de l’enfant à se déplacer en<br />
sécurité. Est-ce qu’il a des difficultés à gérer les escaliers, les<br />
reliefs, les contrastes, les traversées de rues ? A-t-il besoin d’un<br />
suivi en locomotion pour développer des habiletés <strong>visuel</strong>les et/<br />
ou auditives ou pour apprendre à découvrir l’environnement ?<br />
A-t-il besoin d’une aide à la mobilité comme la canne blanche ?<br />
J’interviens également pour conseiller l’enfant et ses parents<br />
sur le choix de filtres teintés afin d’atténuer l’éblouissement et<br />
maximiser le confort <strong>visuel</strong>. Suite au bilan, on établit des objectifs<br />
de travail avec l’enfant et sa famille afin qu’il puisse, s’il le<br />
désire, atteindre un niveau d’autonomie semblable à un enfant<br />
du même âge. J’accompagne également les parents qui sont les<br />
principaux aidants pour leur enfant à voir ce qu’ils pourraient<br />
mettre en place pour aider leur enfant à être le plus autonome<br />
possible dans ses déplacements.<br />
www.onisep.fr/grenoble - Février 2013<br />
<strong>Le</strong> <strong>handicap</strong> <strong>visuel</strong> :<br />
Rencontre avec ...<br />
MéLanie GauthieR,<br />
instRuctRice de LocoMotion au saFeP - saaais 38<br />
(seRvice d’accoMPaGneMent FaMiLiaL et d’éducation<br />
PRécoce - seRvice d’aide à L’acquisition de L’autonoMie<br />
et à L’intéGRation scoLaiRe)<br />
Ô Avez-vous des outils particuliers pour aider les enfants ?<br />
Oui, on ne parle pas d’aide technique dans un premier temps mais<br />
plutôt du développement des habiletés sensorielles, kinesthésiques<br />
et bien d’autres. Ainsi, l’enfant malvoyant doit apprendre<br />
à maximiser le potentiel <strong>visuel</strong> qui lui reste tout en développant<br />
d’autres sources d’information sensorielle telle que l’audition<br />
pour confirmer ce qu’il perçoit. Par exemple, à un coin de rue,<br />
l’enfant peut voir une ou deux bandes blanches très floues qui<br />
lui indiquent qu’il y a un passage piéton devant lui mais il aura<br />
besoin d’avoir développé ses habiletés auditives pour se fier aux<br />
bruits créés par les automobilistes afin de détecter le type d’intersection<br />
auquel il est confronté, un stop, un feu… il peut ainsi<br />
juger du moment le plus opportun pour traverser. Pour un enfant<br />
aveugle, le même exercice est beaucoup plus complexe car il<br />
aura besoin de développer davantage d’habiletés pour détecter<br />
l’arrivée au coin de rue, l’inclinaison du trottoir, se positionner de<br />
manière perpendiculaire à sa traversée, percevoir s’il dévie de sa<br />
trajectoire pendant la traversée...<br />
Il y a des aides à la mobilité et des aides à l’orientation. <strong>Le</strong>s aides<br />
à la mobilité sont nécessaires pour la détection des obstacles<br />
et elles permettent également d’être identifié par les autres<br />
comme personne présentant une déficience <strong>visuel</strong>le. On retrouve<br />
principalement la canne blanche, il existe également des cannes<br />
jaunes pour les personnes malvoyantes voulant se distinguer des<br />
personnes aveugles, les cannes d’identification, les cannes électroniques<br />
et le chien-guide. Pour ce qui est des aides à l’orientation,<br />
plusieurs types de GPS sont maintenant sur le marché pour<br />
les personnes malvoyantes ou aveugles.<br />
Ô <strong>Le</strong>s techniques de compensation du <strong>handicap</strong> <strong>visuel</strong> sontelles<br />
différentes en fonction de la pathologie de l’enfant ?<br />
Elles ne sont pas forcément différentes mais le niveau de la technique<br />
est lui différent : on peut apprendre la base avec un enfant<br />
présentant une déficience <strong>visuel</strong>le légère et aller plus en profondeur<br />
avec un enfant qui présente une déficience <strong>visuel</strong>le sévère.<br />
1
Ô Vous êtes vraiment la spécialiste des déplacements, quels<br />
que soient les lieux ?<br />
Je leur apprends à se déplacer de jour comme de nuit, en intérieur<br />
comme en extérieur, dans des lieux connus comme inconnus<br />
et quelles que soient les conditions météorologiques. Si un<br />
enfant doit aller dans un centre aéré, je vais faire une première<br />
séance avec lui de repérage du milieu pour qu’il puisse après se<br />
déplacer de façon autonome comme tous les autres enfants. En<br />
fin d’année, je fais beaucoup de visites de collèges, de lycées<br />
pour tous les jeunes qui vont rentrer dans un nouvel établissement<br />
de manière à ce qu’ils puissent bien repérer les lieux pour<br />
la rentrée scolaire. Ces séances se font dans les locaux vides, et<br />
à la rentrée ils se sentent plus à l’aise parfois même plus que les<br />
autres enfants !<br />
Ô Pouvez-vous me donner un exemple d’activité que vous<br />
faîtes avec un enfant ?<br />
Par exemple prenons un enfant de 6 ans présentant une cécité<br />
fonctionnelle, dont l’objectif établi avec la famille est qu’il utilise<br />
progressivement sa canne. Puisqu’il aime bien aller à la boulangerie,<br />
je fais ce trajet avec lui et il doit respecter deux règles<br />
c’est-à-dire poser sa canne devant lui et la faire bouger de droite<br />
à gauche. Il peut taper avec la canne sur le sol de manière à ce<br />
que ça fasse de l’écho et ainsi avoir une idée de la dimension des<br />
immeubles. Ensuite il va apprendre que lorsque le trottoir descend<br />
cela peut correspondre à une entrée de cour, ou le coin de<br />
la rue, mais quand ça remonte immédiatement cela veut dire que<br />
c’était bel et bien une entrée de cour. Je travaille également les<br />
concepts de l’environnement, par exemple la canne peut cogner<br />
sur une boîte aux lettres en métal, il l’a touche, c’est froid, du<br />
coup il réalise que c’est la boîte aux lettres de la Poste. Je travaille<br />
également la représentation spatiale de l’environnement<br />
pour qu’il puisse avoir une représentation mentale des trajets<br />
qu’il emprunte. Je peux donc lui dire que le trajet d’aujourd’hui<br />
aura la forme du «P» en Braille et lui dessiner la forme du trajet<br />
sur le dos de la main ou sur un plan aimanté. Il apprend également<br />
à identifier le maximum d’indices et de repères : sonores<br />
et tactiles. Ainsi, pour savoir s’il est arrivé au bout de pâté de<br />
maison, il apprendra qu’il peut entendre les voitures qui vont de<br />
gauche à droite et vise versa devant lui, qu’il y a quelquefois<br />
beaucoup plus de vent, ou qu’il n’entend plus du tout le bruit qui<br />
résonnait sur les immeubles. Ensuite, comment savoir lorsque<br />
l’on arrive à la boulangerie ? On sent l’odeur du pain, ou il y a<br />
un tapis devant l’entrée ou encore les portes s’ouvrent automatiquement.<br />
A l’intérieur, je travaille les habiletés sociales : dire<br />
bonjour, se tourner vers la personne pour lui parler, s’avancer<br />
jusqu’au comptoir. En séance, on va développer toutes les habiletés<br />
sensorielles, les techniques et stratégies à acquérir pour se<br />
déplacer de manière autonome, en sécurité et avec aisance. Plus<br />
les séances avancent plus l’enfant découvre son environnement<br />
et prend plaisir à prendre sa canne pour se déplacer. De fil en<br />
aiguille cela devient un outil qui lui est nécessaire et qu’il a le<br />
goût d’utiliser au quotidien.<br />
Ô Il peut y avoir une réticence de l’enfant au départ d’utiliser<br />
la canne ?<br />
Oui tout à fait car utiliser une canne les stigmatise par rapport<br />
aux autres enfants. Il y a des enfants qui adorent utiliser leur<br />
canne car ils voient l’intérêt, ils ne trébuchent plus dans l’escalier,<br />
ils ne se cognent plus dans les obstacles et cela leur permet<br />
de faire davantage de sorties.<br />
Ô Comment faîtes-vous pour vous mettre à la place de<br />
l’enfant sachant que vous voyez ?<br />
Dans les études d’un instructeur de locomotion, les cours pratiques<br />
se font sous bandeau et on apprend les stratégies et les<br />
techniques pour se déplacer comme si on était une personne<br />
aveugle. Dans un premier temps, c’est à l’intérieur qu’on apprend<br />
la technique de canne et les stratégies pour se déplacer en<br />
ligne droite. Ensuite on va progressivement sortir à l’extérieur<br />
pour apprendre à se déplacer sur un trottoir, traverser des rues,<br />
prendre le métro, le bus… Il faut ressentir ce que cela fait quand<br />
on est au bout d’une impasse, que l’on est perdu, que l’on pleure<br />
sous notre bandeau et que l’on se demande comment on va faire<br />
pour s’en sortir ! Il faut l’avoir vécu pour bien enseigner la locomotion<br />
et surtout apprendre à bien doser ses séances car c’est<br />
très épuisant de se déplacer pour une personne aveugle. n<br />
Propos recueillis par A. Roussel<br />
www.onisep.fr/grenoble - Février 2013 2