lettre A - Méditerranées
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je répondis de façon à affaiblir ses préventions. De<br />
là, il passa à une question d'algèbre, à la résolution<br />
d'une équation numérique. Je savais l'ouvrage de<br />
Lagrange sur le bout du doigt; j'analysai toutes les<br />
méthodes connues en développant les avantages et<br />
les défauts: méthode de Newton, méthode des séries<br />
récurrentes, méthode des cascades, méthode des<br />
fractions continues, tout fut passé en revue; la<br />
réponse avait duré une heure entière. Monge, revenu<br />
alors à des sentiments d'une grande bienveillance,<br />
me dit: "y Je pourrais, dès ce moment, considérer<br />
l'examen comme terminé: je véux cependant, pour<br />
mon plaisir, vous adresser encore deux questions:<br />
Quelles sont les relations d'une ligne courbe et de la<br />
ligne droite qui lui est tangente ~» Je regardai la<br />
question comme un cas particulier de la théorie des<br />
oscillations que j'avais étudiée dans le Traité des<br />
fonctions analytiques de Lagrange. « Enfin, me ,dit<br />
l'examinateur, comment déterminez-vous la tension<br />
des divers cordons dont se COlnpose une machine<br />
funiculaire il}) Je traitai ce prob~ème suivant la<br />
méthode exposée dans la Mécanique analytique. On<br />
voit que LagraI~ge avait fait tous les frais de mon<br />
examen. J'étais depuis deux heures et quart au<br />
tableau; M. Monge, passant d'un extrême à l'autre,<br />
se leva, vint m'embrasser, et déclara solennellement<br />
que j'occuperais le premier rang sur sa liste. Le<br />
dirai-je ~pendant l'examen de mon camarade, j'avais<br />
entendu les candidats toulousains débiter des sarcasmes<br />
très peu aimables pour les élèves de Perpignan<br />
; c'est surtout à titre de réparation pour rna<br />
ville natale que la démarche de M.' Monge et sa<br />
déclaration me transportèrent de joie. »<br />
Arago entra à l'Ecole polytechnique avec le<br />
numéro 1 à l'âge de dix-sept ans, en 1803. Ses progrès<br />
dans l'étude des sciences fur@'nt tels qu'un an<br />
et demi après il entrait à l'Observatoire comme<br />
secrétaire du bureau des Longitudes, en remplacement<br />
du fils de Méchain, démissionnaire. Il n'avait<br />
accepté cette situation qu'à la condition de pouvoir<br />
rentrer dans l'artillerie, si cela lui convenait. C'est<br />
pour ce motif que son nom resta inscrit sur la liste<br />
des élèves de l'Ecole polytechnique. Il débuta par<br />
un travail sur les affinités des corps par la lumière,<br />
et devint quelque temps après le collaborateur de<br />
Biot dans los recherches sur la réfraction des gaz.<br />
En '1806, l'empereur Napoléon, sur la recommandation<br />
de Monge, le chargea, avec M. Biot et deux<br />
commissaires espagnols, MM. Chaix et Rodriguez,<br />
de continuer la grande opération géodésique de<br />
Delambre et Méchain, pour donner une mesure plus<br />
parfaite de l'arc du méridien terrestre, mesure qui<br />
a servi de base au nouveau système métrique. Les<br />
deux savants français se mirent aussitôt à l'œuvre<br />
en établissant un grand triangle destiné à relier l'île<br />
d'Iviça, l'une des Baléares, à la côte d'Espagne. Ils<br />
plantèrent leurs tentes sur le sommet de ce triangle,<br />
c'est-à-dire sur une des montagnes les plus élevées<br />
de la Catalogne, pour se mettre, par des signaux, en<br />
communication avec M. Rodriguez, placé sur la<br />
montagne de Campuey, dans l'île d'Iviça. Exposés<br />
à toutes les intempéries, ils passèrent plusieurs mois<br />
de l'hiver dans ces solitudes escarpées. « Souvent,<br />
dit M. Biot, la tempête emportait nos tentes etdéplaçait<br />
nos stations. M. Arago, avec une constance infatigable,<br />
allait aussitôt les rétablir, ne se donnant<br />
pour cela de repos ni jour ni nuit. })En avril 1807,<br />
les opérations principales furent terminées. M. Biot,<br />
empressé d'arriver par le calcul au résultat définitif,<br />
partit pour Paris; M. Arago allait seul achever le1'<br />
travaux commencés, lorsque la guerre éclata entr~<br />
l'Espagne et la France.<br />
Pris pour un espion par les Majorquains soulevés,<br />
M. Arago n'eut que le temps de se déguiser en paysan<br />
et d'emporter les papiers contenant ses observations.<br />
Grâce à son accent catalan, il traversa inconnu<br />
la foule ameutée, se réfugia, à Palma, sur le vaisseau<br />
espagnol qui l'avait conduit dans l'île, et parvint à<br />
sauver ses instrmnents. Il passa plusieurs semaines,<br />
absorbé dans ses calculs, dans la citadelle de Belver<br />
où l'avait enfermé le capitaine du vaisseau pour le<br />
soustraire à la fureur populaire. Enfin, il obtint sa<br />
liberté et la permission de se rendre à Alger. Là, le<br />
consul de France l'embarque sur une frégate algérienne<br />
faisant voile pour Marseille. On était déjà en<br />
vue des côtes de France, lorsqu'un corsaire espagnol<br />
joint la frégate et s'en empare; M. Arago est fait<br />
prisonnier, conduit au fort de Rosas, jeté sur les<br />
pontons de Palamas et accablé de mauvais traitements.<br />
Cependant le dey, à la nouvelle de l'insulte<br />
faite à son pavillon, exige et finit par obtenir qu'on<br />
rende la liberté à tout l'équipage. On reprend le chemin<br />
de Marseille, on arrive. Le jeune savant se<br />
croyait au bout de ses infortunes; tout à coup une<br />
affreuse tempête du nord-ouest repousse le vaisseau,<br />
le chasse et le jette sur les côtes de la Sardaigne.<br />
Autre péril: les Sardes et les Algériens sont en<br />
guerre; aborder, c'est retomber dans une nouvelle<br />
captivité. Par surcroît de malheur, une voie d'eau<br />
considérable se déclare; on se décida alors à se réfugier<br />
vers la côte d'Afrique. Le vaisseau, à moitié<br />
désemparé et prêt à couler bas, toucha enfin à<br />
Bougie, à trois lieues d'Alger. Déguisé en bédouin,<br />
et sous la conduite d'un marabout, Arago se rendit<br />
à Alger auprès du nouveau dey qui ne l'acctieillit<br />
pas aussi gracieusement que son prédécesseur, tué<br />
dans une émeute. Mais, grâce aux instances multipliées<br />
du a..onsul, il parvint à recouvrer ses instruments<br />
et sa liberté, et se dirigea pour la· troisième<br />
fois vers Marseille. Le bâtiment de guerre sur lequel