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Plein les sens - So-net

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<strong>Plein</strong> <strong>les</strong> <strong>sens</strong><br />

Pauline, Marc-André, Marie-Julie et André Midol<br />

11 000 km en famille et en Traction - Afrique Australe été 2004<br />

AM Interact édition


Pauline, Marc-André, Marie-Julie et André Midol<br />

<strong>Plein</strong> <strong>les</strong> <strong>sens</strong><br />

11 000 km en famille et en Traction<br />

Afrique Australe été 2004<br />

AM INTERACT édition<br />

10 rue Sylvine Candas - 92120 Montouge


Une curieuse fortune aura voulu que cette publicité accueille Pauline au Cap<br />

Natacha, petit rongeur, n'est pas un grand voyageur. Sa cage est son univers, elle<br />

y trouve le boire, le manger, le coucher. Les odeurs et <strong>les</strong> bruits lui sont familiers.<br />

Les objets sont <strong>les</strong> siens. Elle appelle ce monde <strong>So</strong>n monde. Elle craint l'autre<br />

mon-de. Découvrir, explorer, s'évader… il lui arrive de secouer <strong>les</strong> barreaux<br />

de sa cage mais, des histoires qu'on lui raconte, c'est la mort de la petite chèvre<br />

qu'elle retient, le rude combat contre le loup au sommet de la montagne. Malgré<br />

nous, le peu de temps qu'elle aura partagé notre vie, nous lui aurons appris à préférer<br />

sa cage.<br />

Pauline<br />

Ouvre le journal. Lève <strong>les</strong> yeux. Regarde <strong>les</strong> murs de la ville. Ils<br />

te parlent. <strong>So</strong>uviens-toi : dans l'avion, l'enveloppe remise par l'hôtesse<br />

et la coupure de journal qui t'était adressée… au bord de l'autoroute<br />

qui nous conduisait au Cap et puis dans la ville elle-même, <strong>les</strong><br />

panneaux dressés et ceux qui habillaient <strong>les</strong> murs… Tu venais de<br />

quitter ton petit animal avec beaucoup de peine… c'est lui qui t'accueillait<br />

à l'autre bout du monde :<br />

"Make way. Coming through", qu'on aura traduit "Trace ta route"<br />

C'était la plus belle invitation au voyage. Nous ne t'avions pas offert<br />

cette campagne d'affichage. Tu venais simplement d'ouvrir un grand<br />

livre. A 10 ans, ton monde est déjà ce que tu veux qu'il soit. Il nous<br />

revient de t'en ouvrir <strong>les</strong> portes. Pour qu'il soit grand, tu dois le<br />

frotter à celui des autres. Pour qu'il soit beau, tu dois tenir fermement<br />

le pinceau.<br />

Marc-André,<br />

Le 18 juillet 2004, pour ce premier jour à l'autre bout du monde,<br />

Julia, une princesse tout de blanc vêtue, s'est penchée sur toi. Pour<br />

toi, ce jour de tes 12 ans, de sa belle voix d'alto, elle a chanté<br />

joyeux anniversaire".<br />

Marie-Julie,<br />

… notre panne d'essence au sortir de Langa, un township du Cap…<br />

le bras que je n'ai pas eu le temps de lever tant ont été promptes à<br />

s'arrêter <strong>les</strong> voitures qui nous ont dépannés. A l'autre bout du<br />

monde, l'existence est souvent plus facile à contempler. Nous tenterons<br />

la même expérience à 800 mètres de chez nous, à l'entrée de<br />

l'autoroute A6 à Paris. A nous de nous arrêter une fois prochaine.


Nous dédions ce livre à :<br />

Anderson, portier au Cape Town Lodge (Afrique du Sud)<br />

Julia, serveuse au Cape Town Lodge<br />

Mpho, guide équestre et père de famille à Maléaléa (Lesotho)<br />

Lawrence, guichetier à la poste de Léribé (Lesotho)<br />

Michel, Marc-Andrew et Nicky, Mopaya Game Reserve (Swaziland)<br />

John et son équipe, blanchisseurs à Livingstone (Zambie)<br />

Keith, professeur à Seshéké (Zambie)<br />

Shirley, institutrice à La Rochelle (Namibie)<br />

Robin et Hillary, fermiers d'origine anglaise à Hillandale (Afrique du Sud)<br />

mais aussi…<br />

aux amis rencontrés et à ceux avec <strong>les</strong>quels nous avons partagé ce voyage,<br />

dont <strong>les</strong> amis du Tracbar Zulu.<br />

"… Du reste, tenez bon ! Que Dieu nous aide à toucher le paroxysme de notre Destin,<br />

chose ultime et énigmatique à vivre." (Anderson CHERUGA)<br />

Anderson aura simplement porté nos valises lors de notre arrivée à l'hôtel au Cap.<br />

Premier à nous accueillir, il aura été le premier à nous écrire en vertu de la seule<br />

amitié et du bonheur qui réside dans l'échange. Il conclut son courrier en ce début<br />

2005 par un envoi dont l'âme africaine détient le secret. Puissent <strong>les</strong> voyages et <strong>les</strong><br />

rencontres à venir encore nous aider à toucher le paroxysme de notre Destin. Une<br />

partie de la famille d'Anderson a péri au Rwanda.


Pauline, 10 ans, élève de 6 ème au collège Louise de Marillac à Paris.<br />

Marc-André, 12 ans, en 5 ème au collège Maurice Genevoix à Montrouge (92)<br />

Marie-Julie, professeur des éco<strong>les</strong> à l'école Sœur Rosalie à Paris.<br />

André, consultant en sûreté, sécurité, maîtrise des comportements :<br />

Ce livre est le récit du voyage qu'ils ont accompli en famille d'abord, puis<br />

en groupe durant l'été 2004, parcourant 11 000 km en Afrique Australe. Le<br />

18 juillet, à Cape Town, leur voiture quitte le parking du Table Bay Hotel.<br />

Pour la douzième année consécutive mais pour la première fois sur le sol<br />

Africain, c'est dans ce cabriolet Traction conçu dans <strong>les</strong> années 1930 qu'ils<br />

feront de leur été une aventure.<br />

Au travers d'un récit nourri et illustré<br />

de nombreuses photos, ils<br />

font partager leurs émotions,<br />

leurs découvertes et leurs rencontres.<br />

On y découvre une véritable<br />

initiation au voyage de découverte.<br />

Le père s'attache à<br />

communiquer un regard confiant<br />

et aimant sur <strong>les</strong> pays, <strong>les</strong> traditions<br />

et <strong>les</strong> populations rencontrées.<br />

Chacun s'exerce, en<br />

douceur et sans douleur, à se dégager<br />

d'un excès de confort.<br />

"Partout où des hommes vivent, un voyageur peut vivre aussi".<br />

(Ella Maillart)<br />

"<strong>Plein</strong> d'essence et plein <strong>les</strong> <strong>sens</strong> ! De l'essence à l'essentiel en<br />

jouant de tous nos <strong>sens</strong>, cinquante passages à la pompe nous auront<br />

permis de transformer une énergie fossile en un élan de vie. Qu'apporterons-nous<br />

en retour ? Ecrire donne <strong>sens</strong>, fait oeuvre durable et<br />

préserve de l'oubli. Ce qui fait aventure dans nos vies, au contraire<br />

des routines, c'est qu'il est un avant, un pendant, un après, le tout<br />

se conjuguant autour du même événement. Ce texte veut rendre<br />

une modeste aventure humaine et familiale, aventure cependant. Au<br />

cours de notre passage à Kruger en Afrique du Sud, déçu de ne pas<br />

avoir encore vu <strong>les</strong> lions et prenant quelque liberté vis-à-vis du règlement<br />

du parc, j'ai coupé le moteur et quitté la voiture. Monté sur<br />

la dernière branche de l'arbre unique qui se trouvait là, je considérais<br />

la plaine où nous pensions être seuls pour en saisir à la fois<br />

l'étendue et <strong>les</strong> bruissements. J'y ai vu mes proches et mes amis, des<br />

visages connus et d'autres inconnus. C'est à vous et à eux que nous<br />

écrivons en famille, conscients cependant que nous le faisons pour<br />

nous d'abord. D'aucuns nous feront l'amitié, nous en sommes certains,<br />

de partager autour de ce récit des mots, des émotions, des références<br />

et des valeurs qui nous sont communes".<br />

André


A<br />

u cours de six semaines en juillet et août 2004, nous aurons eu le grand privi-<br />

lège, en famille d'abord et puis dans le cadre du rallye Tracbar Zulu, de ren-<br />

contrer ou visiter 8 pays d'Afrique Australe. Nous aurons parcouru, à bord d'une<br />

fantastique voiture conçue dans <strong>les</strong> années trente, près de 11 000 km de routes et<br />

de pistes. Pour unique avarie, nous aurons déploré sur la voiture une fuite sur une<br />

chambre à air. Pour immense avantage, nous aurons caressé, dans le creux de nos<br />

mains, notre planète Terre et vibré avec elle ; un peu comme nous l'avions fait<br />

durant deux années avec Natacha, le petit hamster russe de Pauline. Natacha<br />

était, durant notre voyage, sous la garde attentive de Joris et de Nathalie. Hasard<br />

et nécessité, elle est morte la nuit qui précédait notre retour, le jour de la Sainte<br />

Natacha, au terme de son espérance de vie. Un petit Philippe était parti, lui aus-<br />

si, mais combien plus précieux. Il était âgé de 4 mois. Ses yeux s'ouvraient au<br />

monde. Il était espérance de Vie. Poussière d'étoile, il brille encore parce que sa<br />

trajectoire aura frôlé notre atmosphère - notre chambre à air commune - et pro-<br />

duit de la lumière. Ne laissons pas mourir la terre… De la vie qui sourd à sa sur-<br />

face, de nous-mêmes, de cel<strong>les</strong> et de ceux que nous aurons rencontrés tout au<br />

long de notre périple, elle est la mère. En cela au moins et donc par le sang qui<br />

coule dans nos veines, nous sommes frères.<br />

P<br />

lein d'essence et plein <strong>les</strong> <strong>sens</strong> ! De l'essence à l'essentiel en jouant de tous<br />

nos <strong>sens</strong>, cinquante passages à la pompe nous auront permis de transformer<br />

une énergie fossile en un élan de vie. Qu'apporterons nous en retour ? Ecrire<br />

donne <strong>sens</strong>, fait oeuvre durable et préserve de l'oubli. Ce qui fait aventure dans<br />

nos vies, au contraire des routines, c'est qu'il est un avant, un pendant, un après,<br />

le tout se conjuguant autour du même événement. Ce texte veut rendre une mo-<br />

deste aventure humaine et familiale, aventure cependant. Au cours de notre pas-<br />

sage à Kruger en Afrique du Sud, déçu de ne pas avoir encore vu <strong>les</strong> lions et pre-<br />

nant quelque liberté vis-à-vis du règlement du parc, j'ai coupé le moteur et quitté<br />

la voiture. Monté sur la dernière branche de l'arbre unique qui se trouvait là, je<br />

considérais la plaine où nous pensions être seuls pour en saisir à la fois l'étendue<br />

et <strong>les</strong> bruissements. J'y ai vu mes proches et mes amis, des visages connus et d'au-<br />

tres inconnus. C'est à vous et à eux que nous écrivons en famille, conscients ce-<br />

pendant que nous le faisons pour nous d'abord. D'aucuns nous feront l'amitié, nous<br />

3<br />

en sommes certains, de partager autour de ce récit des mots, des émo-<br />

tions, des références et des valeurs qui nous sont communes. Nous étions<br />

ce jour-là, dans Kruger, 25 équipages, 25 famil<strong>les</strong>, coup<strong>les</strong> ou groupes<br />

d'amis, chacun à la recherche des mêmes rencontres, des mêmes <strong>sens</strong>a-<br />

tions, partageant le même événement. Chacun d'entre nous le rapporte à<br />

sa façon.<br />

Ecrire dans ce cas comporte une part de risque. Il s'agit d'un risque com-<br />

parable à celui du voyage. Il va de soi qu'il faut le prendre.<br />

Une précaution pour ce partage épistolaire : nos œuvres pouvant être<br />

vaines comme essentiel<strong>les</strong>, nous prenons parfois le parti de sourire de ce<br />

qui aura été fait et vu. Un contenu critique vient parfois titiller l'enthou-<br />

siasme, qu'il s'agisse du nôtre ou de celui d'autres que nous. Le parti qui<br />

prévaut cependant est celui de considérer avec bienveillance, de com-<br />

prendre et d'améliorer s'il est besoin. Pour tous, l'aventure qui suit tire<br />

profit de celle qui précède.


L'ordre et le désordre, le prévu et l’imprévu<br />

L<br />

’ordre et le désordre ont fini par donner naissance à notre humanité. Nous<br />

aurons tiré du désordre le meilleur parti dès le premier jour de notre périple.<br />

Ainsi le retard du vol British Airways de 17h50 au départ de Roissy ce 16 juillet<br />

2004. Il aura multiplié <strong>les</strong> étapes pour <strong>les</strong> plus grands bonheur des enfants et<br />

confort du trajet. Un quasi carré familial à l’arrière d’un 747.<br />

Roissy, prêts à décoller<br />

A<br />

Cape Town, l’agent du bureau de<br />

change, terminant son service, s’est<br />

fait une joie de nous conduire à l’hôtel<br />

dans son véhicule personnel. Entre temps,<br />

un bagage égaré quelques heures par la<br />

compagnie aura vu cette dernière et notre<br />

voyagiste se mettre en quatre pour nous<br />

trouver un bel hôtel à un prix de faveur.<br />

Nous n'aurions donc pas à nous soucier du<br />

coucher. Réserver à l’avance un séjour<br />

comme un hôtel revient à se priver de<br />

bel<strong>les</strong> opportunités et d’une grande liber-<br />

té de découverte et de rencontres. Notre voyage en deux temps - 2 semaines<br />

seuls en famille et quatre en groupe - nous permettra d'éprouver <strong>les</strong> mérites com-<br />

parés de l'une et de l'autre formule. Au Cape Town Lodge, Anderson sort du coffre<br />

nos bagages. Il est le seul membre du personnel à parler français - un français<br />

parfait - étant étudiant et venant du Zaïre, ex Congo Belge. L’Afrique du Sud fait<br />

ainsi figure d’Eldorado pour nombre de pays africains. Partout et de plus en plus,<br />

c’est l’Anglais qui noue et dénoue <strong>les</strong> langues et cela représente pour nous une<br />

grande facilité. Dommage cependant, on se trouve ainsi dispensé d’apprendre <strong>les</strong><br />

quelques mots usuels des pays visités. Ces mots disparaîtront bientôt des guides<br />

touristiques. Les langues finiront enfouies dans le sol comme autant de sédi-<br />

ments. Au terme de notre voyage, de retour à Cape Town, notre première pensée<br />

ira à Anderson et Julia. Nous irons <strong>les</strong> saluer. De sa belle voix d'alto et dans la<br />

4<br />

blouse immaculée qu'elle portait pour nous servir le petit déjeuner, Julia<br />

avait chanté pour Marc-André au matin de ses 12 ans.<br />

Dans le parking du Table Bay Hotel, notre Traction répond au premier<br />

coup de démarreur. Trois semaines auparavant, elle avait humé l’air du<br />

grand sud au terme d’un long périple marin à bord d’un porte-conteneurs<br />

parti du port du Havre. A l’intérieur, on retrouvera une voilette de ma-<br />

riée. Très naturel, pour une jeune épousée locale de vouloir poser dans un<br />

si bel équipage immatriculé à Paris, même à l’intérieur du parking d’un<br />

hôtel. 15 sera notre nombre fétiche. En effet, notre plaque<br />

d’immatriculation veut s’enorgueillir d’un 75 qui fleure bon notre capi-<br />

tale. L'aile arrière droite arbore le sigle 15/6 de la 15 CV 6 cylindres Ci-<br />

troën, naguère appelée "Reine de la route". Le tableau arrière de la voi-<br />

ture porte, quant à lui, notre numéro d’équipage pour le rallye Tracbar<br />

Zulu 2004 : le 415. A vrai dire le 4 en 15 puisque nous sommes le seul<br />

équipage à rouler à 4 dans l’une des trois 15 du Rallye. Les autres voitures<br />

seront toutes des Traction, 4 cylindres, 11 CV, modèle fabriqué entre<br />

1934 et 1957.<br />

Dès notre première journée en Afrique, <strong>les</strong> faveurs du ciel, aléatoires en<br />

cette saison hivernale pour l’hémisphère sud et sa pointe extrême no-<br />

tamment, nous auront permis de monter à pieds et en famille la Montagne<br />

de la Table, 1000 m au dessus de la baie du Cap. Monter à pieds n’est pas<br />

le mot juste. On m’appelait dans mes jeunes années "la petite mouche<br />

des rochers" du fait de quelques prédispositions pour l’escalade. Nous<br />

avons dû, au fur et à mesure de cette ascension, nous rendre à l’évidence<br />

que nos bras nous seraient indispensab<strong>les</strong> pour nous mettre à table. Plu-<br />

sieurs passages passablement exposés au dessus du vide étaient dignes de<br />

ceux devant <strong>les</strong>quels il est permis d’hésiter quand on franchit, encordé et<br />

équipé, certaines voies qui surplombent Chamonix. Il s'agissait d'un pre-<br />

mier signe : une fois parti, nous devions assumer. La vidéo du jour fera<br />

frémir <strong>les</strong> âmes <strong>sens</strong>ib<strong>les</strong>.


C’est ainsi que l’on franchit <strong>les</strong> étapes… en famille, petits et grands…<br />

5<br />

Comment un an devient un jour et puis se résume en un coup de<br />

démarreur<br />

L<br />

a perspective de ce voyage aura mobilisé autant de paro<strong>les</strong> que de<br />

pensées dans notre petite sphère familiale. Une forme de naissance<br />

collective à l’aventure et de mise en commun de nos rêves. J’avais pris<br />

quelque avance déjà quand à l’esprit d’aventure mais le communiquer<br />

aux miens m’était une nécessité, un projet, un objectif à réaliser. Depuis<br />

14 mois, nous étions candidats au voyage organisé par Globe-Driver. Vive<br />

Inter<strong>net</strong> pour y découvrir ce qui se passe tout près de chez soi ! Globe-<br />

Driver entretient sa flotte de Traction et le club de ses fans à 800 mètres<br />

de chez nous, Porte d’Orléans à Paris. Mon esprit d’indépendance me<br />

conduisait immédiatement à l’idée que devions faire nôtre ce voyage,<br />

sans nous en remettre à la seule organisation prévue, profitant néanmoins<br />

des opportunités qu’elle offrait. Un groupe partait du Cap début juillet,<br />

un autre de Durban début août. Cela nous autorisait un circuit en boucle,<br />

<strong>les</strong> participants aux rallyes accomplissant, eux, en quatre semaines, un<br />

circuit en fer à cheval. La voiture nous attendrait au Cap, nous permet-<br />

tant de rejoindre notre point de départ du mois d’août à Durban. Toutes<br />

nos lectures préalab<strong>les</strong> nous donnaient l'envie de rencontrer le Lesotho en<br />

accomplissant un écart entre Le Cap et Durban. 3 000 km seuls avant <strong>les</strong><br />

7 500 que nous partagerions avec le groupe. Le rallye nous ramènerait à<br />

notre ville de départ après une montée en Zambie et une longue incursion<br />

en Namibie. Dans ces conditions, un retour en France au terme de 6 se-<br />

maines serait plus facile qu’un retour au terme d’un mois. Nous serions<br />

peut-être fatigués par cette longue transhumance et désireux de retrou-<br />

ver la maison.<br />

Les mois puis <strong>les</strong> semaines se sont égrenés. La certitude et l’imminence<br />

du départ se sont installées <strong>les</strong> derniers jours. Le retour de camp scout de<br />

Marc-André le 14 juillet au soir aura donné le top départ. Il revenait d'un<br />

camp itinérant sur le thème des nomades, le hasard ayant même fait de<br />

lui un membre de la tribu des Boshimans. Nous savions rencontrer cette<br />

tribu en traversant le désert du Kalahari en Namibie.


L<br />

Un grand livre ouvert : près de 11 000 km et 8 pays rencontrés…<br />

e voyage profond, pétri d’ambiance, de personnages, d’odeurs, d’enthousia-<br />

smes et de peurs avait vraiment commencé le 6 juillet avec la lecture d’un<br />

livre offert tout à propos par une amie scoute ravie de me surprendre : Africa<br />

Treck. Le premier tome de la remontée intégrale de l’Afrique, à pied, du Cap de<br />

Bonne Espérance au lac de Tibériade par un jeune couple de Français. Le parcours<br />

en Afrique du Sud et jusqu'en Zambie est celui que nous empruntons pour<br />

l’essentiel et <strong>les</strong> auteurs donnent le nom des lieux et des amis rencontrés.<br />

Parce qu’un voyage comme le nôtre contient sa part de futilité, de totale gratui-<br />

té, voire de vanité, Marc-André se voyait offrir pour ses 12 ans un autre ouvrage<br />

qui l'aura ravi : "Voyageurs, petite histoire du nécessaire et du superflu".<br />

6<br />

Louis Vuitton y côtoie Décathlon ; Livingstone, l’inventeur du Zambèze et<br />

des chutes Victoria, y apparaît comme le père des flots de visiteurs qui<br />

inondent le delta de l’Okavango ; la Swiss-carte multi-usage de Victorinox<br />

(le puîné des couteaux suisses) en dispute en fonctionnalités avec la tea-<br />

case du Maharadja de Broda commandée chez Vuitton en 1926 pour la<br />

chasse au tigre. Une belle part est faite aux aventures Citroën des années<br />

20 et des années 30, Croisière Noire et Croisière Jaune …<br />

C’est fou, quand un projet nous tient, la somme des événements fortuits<br />

qui paraissent converger pour le justifier et le magnifier.<br />

Pour notre périple, le célèbre malletier parisien s'est mis en quatre


P<br />

our <strong>les</strong> connaisseurs et <strong>les</strong> non connaisseurs à la fois, je dois dire deux mots<br />

de l'engin mythique qui nous accompagnait, de la façon dont nous l'avons<br />

conçu et puis fait évoluer. La voiture est un roadster 15 chevaux-6 cylindres Ci-<br />

troën Traction avant, réplique à l'état d'origine de l'unique cabriolet 15 assemblé<br />

en 1939 par l'usine Citroën à Paris pour Madame Michelin. La découverte, en 1990,<br />

d'une épave de berline vouée à la casse a permis de mettre la voiture en chantier.<br />

Celle-ci est sortie de l'atelier en juillet 92 tandis que Marie-Julie accouchait de<br />

Marc-André. Une réception à titre unique par le service des Mines lui a valu auto-<br />

risation de rouler. Depuis plusieurs années, <strong>les</strong> enfants grandissant, une transfor-<br />

mation de l’habitacle a permis de remplacer le bac à capote par une banquette<br />

arrière aux dimensions plus qu'honorab<strong>les</strong> pour un cabriolet. Merci au carrossier<br />

Stéphane Angée. Le spider ou "siège de belle-mère", qui offre deux places dans le<br />

coffre reste fonctionnel, ce qui permet, chose inédite pour un roadster ou cabrio-<br />

let, de disposer de trois rangées de sièges. Pour le voyage, aucune belle-mère<br />

n'étant candidate au départ, j’ai confectionné un plateau en deux parties qui<br />

s’enchâssent dans la caisse au niveau de l'ouverture du coffre, transformant ainsi<br />

la voiture en pick-up. Le plateau supporte deux cantines métalliques vertes, as-<br />

sorties à la peinture de la carrosserie. Enfin, notre sellier aura fabriqué une ca-<br />

pote largement ouverte et de manipulation facile pour que <strong>les</strong> enfants, de<br />

l’arrière, profitent tout autant que nous du contact avec <strong>les</strong> pays rencontrés.<br />

Dans son atelier, Philippe Chauvet aura préparé la mécanique avec maestria.<br />

A 70 ans d'intervalle, chacun des deux André mitonne sa Traction<br />

7<br />

L’heure du train et l’heure des baleines<br />

A<br />

Hermanus, le 19 juillet, 130 km à l’est du Cap, <strong>les</strong> baleines sont bien<br />

au rendez-vous. La saison aurait pu <strong>les</strong> tenir à distance. Eh bien non.<br />

El<strong>les</strong> auront gratifié Marc-André, expert en monstres marins, de quelques<br />

sauts à plat dos et de puissantes expulsions d’air. Après Mossel Bay, la-<br />

quelle ville accueillait Bartoloméu Diaz en 1488 et héberge depuis une<br />

superbe réplique de son vaisseau, c’est au tour de Knysna et de son anse<br />

quasi fermée de 17 km de nous accueillir. Ici, en bord de mer, l’hiver voit<br />

fondre <strong>les</strong> prix faute de voir fondre la neige. Le chalet qui nous est loué à<br />

Under Milkwood Bay 100 euros pour 2 nuits est la parfaite maison dont on<br />

rêve, enfant, en lisant <strong>les</strong> aventures de Robinson Crusoé. Un arbre géant<br />

traverse la terrasse et délimite de son feuillage un écran qui nous offre la<br />

mer, la côte et le couchant.


L<br />

es guides qui aident à préparer un voyage, même incomplets et trop « grand<br />

public » ne sont pas sots. Ils nous donnent incontestablement une idée de ce<br />

qu’il sera intéressant de voir. Nous voulions Knysna pour sa forêt, sa baie et le<br />

train à vapeur qui part et revient une fois par jour. Nos premiers 50 km en Trac-<br />

tion sur une piste facile nous auront gratifiés de la rencontre avec quelques<br />

géants de la forêt. Un yellowwood âgé de 600 ans, 46 m de haut, 7 m de circonfé-<br />

rence et 49 m3 de bois est un arbre que l’on remarque. Il s'appelle King Wiliam.<br />

Nous regrettions cependant qu'il paraisse passablement isolé. Combien de ces<br />

ancêtres morts sans qu’on leur ait jamais parlé autrement qu'en <strong>les</strong> frappant, sans<br />

qu’on <strong>les</strong> ait jamais considérés, sans qu’ils aient jamais pu se défendre ? Fils<br />

d’ébéniste, petit fils de scieur, neveu et petit neveu d’hommes de labeur qui sont<br />

allés mutiler la forêt africaine en un temps où l’on croyait servir ces pays mais où<br />

l’on desservait la nature, je ne peux m’empêcher de rêver d'une Afrique encore<br />

peuplée de ses grands arbres.<br />

A<br />

l’heure où la piste nous rendait à l’asphalte et puis à la ville de Knysna, le<br />

train se mettait à hurler et soupirer. <strong>So</strong>n lourd convoi s’ébranlait. Le mécani-<br />

cien donnait fièrement de son « tuuuuu… » pour attirer l’attention de notre équi-<br />

page. Traction à essence pour traction à vapeur, la course durait peu de temps.<br />

Au sortir de la ville, la bête de fer et de charbon bifurquait sur le lagon pour une<br />

traversée altière et solitaire sur un pont long de 2 km. Le soir, <strong>les</strong> quelques nua-<br />

8<br />

ges déroulés sur la baie subissaient <strong>les</strong> feux de l’astre déclinant, improvi-<br />

sant comme à la demande un spectacle de lumière, de couleurs et de<br />

textures velourées.<br />

L’ordinateur portable et ses enceintes nous permettaient de finir en fa-<br />

mille la lecture entreprise la veille de Out of Africa. Instants forts et émoi<br />

de nos enfants qui deviennent ado<strong>les</strong>cents. La technologie numérique<br />

d’une part, l’art du récit et de la mise en scène d’autre part mettaient<br />

l’Afrique à portée de nous. Seule faille dans la mise en scène, la voiture<br />

stationnée aux abords du chalet n’était pas une Ford T des années 15. Il<br />

s’agissait d’une Citroën TA, modèle hérité des années 30. Pardonnez<br />

l’erreur sur <strong>les</strong> accessoires.<br />

L<br />

es vil<strong>les</strong> africaines et leur signalétique déconcertent souvent. Port-<br />

Elisabeth est la cinquième ville du pays mais nous n’en avons pas trou-<br />

vé le centre, à moins que ce ne soit le nœud d’autoroutes suspendues qui<br />

barre toute perspective quand on croit accéder au front de mer. Juste un<br />

plein d’essence à 4,5 rands le litre, soit un petit 4 francs. Avantageux<br />

pour nous le prix de l’essence mais il nous faut en prévoir guère moins de<br />

15 litres pour 100 km parcourus et donc plus de 1 500 litres pour notre<br />

périple. Pauvre planète terre ! Où va ton énergie fossile ? Que faisons-<br />

nous de ton atmosphère ? Très bon carburant que celui-là semble-t-il car<br />

la voiture se transforme en avion. Les routes très droites et peu fréquen-<br />

tées de cette première partie du trajet nous voient couramment rouler à<br />

120 km/h et accomplir des moyennes comprises entre 100 et 110. Je ne<br />

pensais pas qu'il en serait ainsi, en fait, sur la plus grande partie de notre<br />

périple. L'Afrique… une terre de liberté pour qui veut rouler vite.<br />

Première soirée brousse avec montage de la tente dans un campement à<br />

Addo Elephant Park. Dans la cuisine commune, nous rencontrons deux<br />

jeunes Belges qui se sont donné un an pour voyager en Afrique avec leur<br />

4x4 "avant de faire des enfants". Après 6 mois de voyage, ils verront sur<br />

nos indications leurs premiers éléphants…


A<br />

Addo, personne parmi <strong>les</strong> convives annoncés n’aura fait défaut : éléphants,<br />

phacos, kudus, autruches, zèbres, élands du Cap… Premiers kilomètres de<br />

pistes accidentées. Tout reste solidement arrimé sur la voiture et sous la voiture.<br />

Nous avions fait le bon choix pour le véhicule et pour la destination<br />

Lesotho : beauté, simplicité, dénuement<br />

D<br />

émonter le camp n’est pas une sinécure et trouver dans la voiture le range-<br />

ment pour 160 kg de bagages - trop, bien sûr - exige temps et méthode, es-<br />

sais et erreurs. Chacun dans la famille apprendra à tenir son rôle. Chaque objet et<br />

bagage prendra sa place dans le quotidien comme dans l’occasionnel. Les famil<strong>les</strong><br />

9<br />

rencontrées au Lesotho ne se posent pas ces questions tant leur dénue-<br />

ment paraît grand. On doit parler de misère et d’aide nécessaire mais on<br />

veut songer tout autant aux vertus de la pauvreté, du dénuement et de la<br />

simplicité, au message qui nous est ainsi adressé. Le salut, le sourire et<br />

l’éclat de rire ne font pour ainsi dire jamais défaut. On rencontrera pour-<br />

tant au Lesotho bien des mains tendues dans sa partie centrale et monta-<br />

gneuse. "Sweeties" (sucreries), le mot pour demander, semble traduire le<br />

manque du sucre et de l’énergie calorique qui devraient aider à supporter<br />

le froid en cette saison. Il nous faut apprendre à répondre et ne pas ré-<br />

pondre mais, toujours, le sourire doit répondre au sourire ou le susciter.<br />

Transis d’amour, de compassion ou de mauvaise conscience, certains ont<br />

tout donné et beaucoup reçu. Certains se sont trompés et se trompent en<br />

donnant mal. Quel est le juste niveau, le bon niveau de partage ? A Léri-<br />

bé, plus loin dans le pays, Lawrence le postier nous désignera dans la rue<br />

un 30 tonnes en cours de déchargement comme étant le camion qui ali-<br />

mente le district en farine de mil, provenance de dons US. Nous ne pou-<br />

vions que nous réjouir et nous rassurer à l’idée que cela était. Au Maléa-<br />

léa Lodge, <strong>les</strong> propriétaires mettaient en garde, eux, contre <strong>les</strong> formu<strong>les</strong><br />

de parrainage, tellement fréquentes et que nous pratiquons en famille<br />

sans que cela représente un engagement bien significatif de notre part :<br />

cela reviendrait à tirer au sort d’heureux élus, créer des disparités et<br />

entretenir une dépendance matérielle et affective. A quel saint et à<br />

quelle formule s’en remettre ? Un jeune professeur pris en auto-stop plus<br />

tard en Zambie aura confirmé ce que j’ai toujours pratiqué : ne pas<br />

s’arrêter pour simplement donner, serait-ce des bonbons aux enfants.<br />

Donner aura toujours représenté pour nous l’échange de cadeau qui fait<br />

suite à une rencontre au travers de laquelle nous aurons reçu nous aussi.<br />

A moins qu'il ne se soit agi de la rétribution d’un service. Lors de notre<br />

brève incursion improvisée au Mozambique, j’aurai eu le plaisir de de-<br />

mander à un admirateur de notre voiture de me donner un peu à manger<br />

de sa bouillie de mil et d’en conclure à son adresse que l’Afrique savait<br />

aussi nourrir l'Europe. Il était visiblement ravi.


Afrique nourricière On peut toujours se serrer<br />

Nous avons appris tard que chaque conteneur transportant nos voitures pouvait<br />

emporter l’équivalent d’une palette de produits ou de matériels à donner. La ville<br />

de Montrouge m’avait ouvert ses portes mais il était trop tard au regard du calen-<br />

drier. Plusieurs participants au Tracbar et l’organisation elle-même avaient pris<br />

leurs dispositions, qu’il s’agisse de médicaments, de vêtements ou de jeux.<br />

Autre partage, certes modeste : nous aurons souvent fait en sorte, pendant le<br />

voyage, de réserver une place à bord de la voiture pour prendre des passagers. Eh<br />

oui, 5 à bord du cabriolet, 6 à plusieurs reprises, sans pour autant jeter <strong>les</strong> baga-<br />

ges par-dessus bord. Il m'aurait été difficile de traverser autant de pays et de<br />

rencontrer autant de personnes sur notre route sans jamais m’arrêter. Le voyage,<br />

le déplacement, la visite rendue à la famille ou à la ville voisine sont une compo-<br />

sante forte de la vie de l’Africain. La surprise du voyageur aura parfois été grande<br />

10<br />

de voir ainsi notre équipage s’arrêter pour proposer une place. Certains,<br />

trop incrédu<strong>les</strong>, ne sont pas montés. Un jeune nous aura dit attendre faci-<br />

lement 7 heures le passage aléatoire d’un taxi ou d’un camion.<br />

Aucun point à moins de 1000 mètres dans le Lesotho et une altitude<br />

moyenne de 2 000 mètres pour <strong>les</strong> 750 km environ qu’on y aura parcourus.<br />

Moins 6 et moins 8 degrés dehors pour nos 2 nuits sans chauffage passées<br />

au Maléaléa Lodge. Des soirées fraîches, du givre et un brouillard givrant<br />

sur le pare-brise le matin du départ, sitôt quitté le soleil en altitude.<br />

M<br />

aléaléa est notre première étape dans ce pays parce que Lonely Pla-<br />

<strong>net</strong>, le Michelin du baroudeur, décrit le lieu comme un condensé du<br />

pays et un lieu béni pour sa découverte à cheval. Les chevaux sont des<br />

double poneys qu’on aura eu toute facilité à monter et même à faire ga-<br />

loper - non pas Marie-Julie, laquelle travaillait l’art de retenir sa monture<br />

- au cours d’une journée passée en compagnie de Mpoh, guide d’un jour.


Dans la montagne, notre voix et nos chants se sont mêlés à cel<strong>les</strong> des jeunes ber-<br />

gers, adeptes de l'écholalie. Mes incantations et mes paro<strong>les</strong> étaient systémati-<br />

quement reprises d'un versant à l'autre, ce qui permettait à Marie-Julie, chemi-<br />

nant sur <strong>les</strong> arrières, d'entendre chanter son nom à son passage<br />

Joie d'offrir et joie de recevoir Mpoh et sa famille<br />

Mpoh nous fera connaître sa famille dans la soirée. Tellement heureux de nous<br />

conduire à sa maison, il avait oublié que le chemin n'était pas carrossable et j'ai<br />

bien craint de laisser sur le rocher le plancher de la voiture. L’accueil se sera<br />

déroulé autour de 4 chaises sorties de la maison et de nos pliants, décrochés de la<br />

voiture. Nous disposions de 2 pommes et de 2 oranges à partager. Notre hôtesse<br />

aura sorti 2 assiettes et 2 cuillères, une par famille, ainsi qu’un bocal d’abricots<br />

préparé durant l’été. Pauline et Marc-André avaient apporté de France un stock<br />

de leurs peluches et poupées à offrir.<br />

Ce partage aura provoqué un moment de fête jusqu’à la danse des enfants sur la<br />

petite colline. L’heure était au retour des vaches. Mpoh aura porté sa plus belle<br />

couverture certainement, ce qui m’aura permis de poser sur mes épau<strong>les</strong> ce vê-<br />

tement symbole des Basothos. Nous aurons laissé à notre guide le montant de son<br />

travail du jour ou un peu plus. Pas trop nous était-il demandé par Mr et Mme Jo-<br />

nes, le couple propriétaire du lodge qui nous a accueillis. Ceux-ci sont très atta-<br />

chés au développement du secteur. Les équilibres économiques et sociaux sont<br />

subtils. L’argent facile - il serait aisé de multiplier par 50 ou100 un salaire au<br />

travers d’un simple don – détruit l’échelle des valeurs et des prix. Mpoh, en ré-<br />

11<br />

ponse à ma question, nous disait combien il serait heureux de disposer<br />

d’un poney qu’il pourrait louer lui-même et d’une robe d’hiver pour son<br />

épouse. Le coût du poney est de 1 900 rands, 275 euros environ.<br />

La rencontre se sera achevée par une photo de famille devant la maison<br />

de pierre. J’étais heureux que nos enfants vivent un tel moment avec une<br />

autre famille. Mpoh nous a dit tout son bonheur.<br />

La terre, comme un gilet qu'on tricote et qu'on détricote<br />

Le lundi 26 juillet nous aura vu accomplir 450 km dans la partie centrale<br />

haute du pays, dont 200 sur des pistes caillouteuses avec de fréquents<br />

passages en tôle ondulée. Treize heures de trajet dont une seule-<br />

ment d’arrêt. Cinq à six cols entre 2 500 et 2 850 m d’altitude. Seule voi-<br />

ture ordinaire parmi <strong>les</strong> 4 x 4 et <strong>les</strong> taxis spécialement équipés qui sillon-<br />

nent le pays. De touristes, pas un rencontré dans la journée. Un pasteur<br />

pentecôtiste met une insistance sympathique à nous accompagner avec<br />

son 4x4 flambant neuf. Je roule vite pour ne pas me laisser doubler ou<br />

alors pour doubler <strong>les</strong> véhicu<strong>les</strong> qui sont devant. La place de choix dans la<br />

rare circulation locale est celle qui permet d’éviter le nuage de poussière<br />

d’un véhicule traçant dans la même direction. Quant aux véhicu<strong>les</strong> qu’on<br />

croise, on aimerait pouvoir le faire en roulant du côté d’où vient le vent.<br />

Il n’est pas toujours facile de choisir.


Ce n'est pour ainsi dire jamais le cas dans cette partie du voyage. Il m’est arrivé<br />

plusieurs fois, suite à un arrêt sur le côté droit de la chaussée, de reprendre la<br />

route à droite et de rouler ainsi jusqu’au moment de la rencontre aléatoire avec<br />

un autre véhicule. Cela ne s’est jamais produit dans un virage.<br />

Au cours de cette journée,<br />

notre petite Pauline tousse et<br />

je tousse moi aussi en tapant<br />

simplement la poussière de<br />

ma chemise. Quand nous<br />

retrouvons l’asphalte, je<br />

dissuade le pasteur bonne<br />

étoile de poursuivre avec<br />

nous. Montées et descentes<br />

sont très fastidieuses telle-<br />

ment el<strong>les</strong> sont fortes. Notre<br />

voiture en effet, chargée de<br />

près de 400 kg, bien que dotée d’un moteur puissant et souple, dispose de 3 vi-<br />

tesses seulement. J’ai fait équiper la boîte d’un couple long qui autorise une plus<br />

grande vitesse ou qui permet de soulager le moteur en réduisant sa vitesse de<br />

rotation. Par contre, cela affaiblit la seconde et occasionne de fréquents passages<br />

en 1 ère . Dans ce cas, l’absence de synchronisation du premier rapport impose le<br />

quasi arrêt. De nuit, nous franchirons un col dont la chaussée reste partiellement<br />

enneigée et glacée au sommet.<br />

L<br />

a descente se fera pour l’essentiel en première du fait de la très forte déclivi-<br />

té, cela sur une petite dizaine de km. A Léribé, nous trouvons un hôtel local<br />

au confort honnête et à l’accueil bienveillant. La dernière difficulté de la journée<br />

sera, je dois l'avouer, de convaincre la famille que c'est bien là que nous passe-<br />

rons la nuit. Le début de notre voyage reste trop proche pour qu’épouse et en-<br />

fants ne vivent pas encore sans inquiétude l’obscurité et l’animation des stations<br />

d’essence, des vil<strong>les</strong> et des villages, des toilettes de fortune qu’on quémande ici<br />

ou là. A 18 heures, l’obscurité s’installe. A 19 heures, la nuit est noire. Au mo-<br />

13<br />

ment de l’arrivée au Maléaléa Lodge, d'une voix, <strong>les</strong> enfants se sont écriés<br />

"Pas là, Papa, c’est un bidonville". Trente-six heures plus tard, ils quit-<br />

taient le lieu à regret. Il en sera allé ainsi de nos rencontres et de nos<br />

découvertes sur une bonne partie du trajet.<br />

P<br />

arent, je m’attache à montrer à mes enfants combien l’étranger<br />

paraît étrange avant qu’on le rencontre et combien il est proche dès<br />

lors qu’on sait le rencontrer. La nuit noire active <strong>les</strong> craintes et met en<br />

scène <strong>les</strong> ténèbres. Le jour révèle <strong>les</strong> contours et la réelle nature des<br />

êtres et des choses. L’ignorance, la méconnaissance, la mauvaise infor-<br />

mation et la désinformation ont pour antagonistes le savoir, l’appren-<br />

tissage, l’ouverture, le désir de justesse, de vérité et de justice. Peu de<br />

gens pratiquent à vrai dire la désinformation. Il est cependant commun<br />

de pêcher par flemme et par ignorance. Nous aurons tout entendu, ve-<br />

nant des personnes <strong>les</strong> mieux intentionnées.<br />

Une belle démonstration nous est apportée par Laurence, guichetier à la<br />

poste de Léribé. Ce dernier aura traité avec un humour dont seul un Afri-<br />

cain est capable la demande de Marie-Julie. Armel, un ami français, pos-<br />

tier lui-même, nous a préparé un lot d'enveloppes à timbrer et lui faire<br />

envoyer de chacun des pays visités. Laurence aura singé de la manière la<br />

plus fine et la plus désopilante la façon ampoulée de Marie-Julie de lui<br />

demander le service. A la suite de quoi il aura lui-même rédigé le mot<br />

destiné à Armel, profitant de la circonstance pour se présenter et saluer<br />

un postier Français qu'il ne demandait pas mieux que de connaître. Il<br />

quittait ensuite son guichet pour nous faire découvrir sa ville.


Royal Natal National Park et chutes du Tugela : pur jus d’Orange givré<br />

C<br />

e parc représente une porte du Drakensberg au débouché du Lesotho. <strong>So</strong>n<br />

nom sonnait pour nous Montagne aux <strong>So</strong>urces et Tugela Falls. Au beau milieu<br />

d’un amphithéâtre de 8 km de falaises et de pitons rocheux situés à une altitude<br />

de 3 100 à 3250 m, <strong>les</strong> chutes dévalent 850 mètres de dénivelée en 5 paliers,<br />

l’ensemble représentant un trait parfaitement vertical. Là naît le fleuve Orange.<br />

Ce dernier traverse le pays de sa bordure orientale de l’Océan Indien à sa bordure<br />

occidentale de l’Atlantique.<br />

Héros, le temps d'un tournage !<br />

14<br />

Une jolie chambre d'hôtel et un solide petit déjeuner<br />

préparent Marie-Julie en vue de l'effort


U<br />

ne première journée sous la pluie et la neige en altitude nous aura retenus à<br />

l’hôtel pour un temps de repos, de jeu et d’écriture. Notre forte supplique<br />

adressée au temps a produit ses effets durant la nuit. L’un de nos rendez-vous<br />

avec l’Afrique serait, une fois de plus, honoré. <strong>So</strong>us un ciel de cristal Marc-André<br />

et Pauline auront ouvert le chemin. Leur entraînement de petits fondeurs aidant,<br />

6h30 aller-retour d’une marche au rythme toujours soutenu nous auront conduits<br />

aux pieds des chutes. La neige et le verglas sur le fond de la gorge auront retenu<br />

nos derniers pas. Les mêmes conditions retenaient la chute elle-même dans un<br />

habit léger taillé dans la neige et la glace. Le froid interdisait à l’eau ce jour-là<br />

de bondir et de chanter sa chanson ordinaire. La verticalité, la neige, la glace et<br />

la roche colorée seraient notre récompense. Il s’y ajoutait l’effort. Providence<br />

pour l’ensemble du pays, l’eau ne surgissait pas moins au pied de la chute. Nous<br />

pouvions nous y mirer avant qu’elle n’entame son long trajet de bienfaits.<br />

L'eau sourd au pied de la chute<br />

Equipée, Pauline ! Mais <strong>les</strong> bagages autorisent peu <strong>les</strong> manteaux d'hiver<br />

15<br />

A<br />

Le Mont aux <strong>So</strong>urces, dans le Drakensberg<br />

18h 30, de Bergville, nous appelions Eric, l’organisateur de notre<br />

prochaine aventure, et lui annoncions notre arrivée au Tropicana Hô-<br />

tel en centre ville et front de mer à Durban. Il s’agissait là de notre seul<br />

passage obligé depuis une quinzaine. C’était à nous, désormais d’honorer<br />

le rendez-vous. A 20h30, Eric, Didier, Caroline et Raphaël nous accueil-<br />

laient devant l’hôtel. A l’intérieur, Kaïs et Thierry complétaient l’équipe<br />

Globe-Driver. C’est à leur <strong>sens</strong> du parcours et de la découverte que nous<br />

nous en remettrions désormais pour la suite du périple.<br />

Nous allions être en situation d'apprécier <strong>les</strong> mérites respectifs de l'une ou<br />

de l'autre formule : voyager par soi-même ou le faire via une organisation.<br />

Voyager en famille ou le faire au sein d'un groupe.


Durban, 29, 30, 31 juillet –<br />

Ambiance de départ pour le Tracbar Zulu<br />

17<br />

Durban : la peur alimente la peur<br />

I<br />

l m’est aisé de prendre quelque recul par rapport à la complainte sécu-<br />

ritaire. Deux années passées dans la police à Dakar entre 1976 et 1978 –<br />

on m'avait gratifié là du grade de commissaire de police - ont définitive-<br />

ment orienté mon devenir professionnel. J'exerce aujourd’hui dans le<br />

champ de la sécurité, celle qui fait l'ambiance - bonne ou mauvaise -<br />

d'une ville, d'un quartier ou d'un équipement, celle qui veut apaiser <strong>les</strong><br />

violences et <strong>les</strong> conflits.<br />

Durban se veut précautionneuse à l’extrême pour rassurer ses visiteurs et<br />

<strong>les</strong> mettre en garde contre l’insécurité. Quand bien même celle-ci est<br />

réelle et la mise en garde bienvenue, trop faire en la matière accrédite<br />

l’idée d’un risque permanent. Pour beaucoup, cela gâche la découverte.<br />

Là encore, il était pour la petite famille une épreuve à surmonter. Des<br />

agents de sécurité Zaïrois nous auront accompagnés de l’hôtel au parking<br />

et du parking à l’hôtel et, plus encore, proposé de porter notre linge à la<br />

blanchisserie. Cela jusqu’au moment où ils auront compris que nous<br />

comptions bien assumer par nous-mêmes nos déplacements. Nous visite-<br />

rions le quartier en soirée la nuit venue. Nous profiterions généreusement<br />

des rouleaux de l’Océan. Nous utiliserions <strong>les</strong> autos tamponneuses du parc<br />

d’attraction.<br />

Merci à ces agents cepen-<br />

dant pour la garde durant<br />

3 jours de notre véhicule<br />

et de son contenu. Merci<br />

également à tous ceux qui<br />

s’affairent dans la ville<br />

pour lutter contre <strong>les</strong><br />

effets de la pauvreté sur<br />

la délinquance et la crimi-<br />

nalité.


Une telle situation me permettait d’expliquer aux enfants qu’il était naturel pour<br />

un agent de sécurité de mettre en garde contre l’insécurité. Tout comme le fait<br />

qu’un médecin de l’institut Pasteur nous ait mis en garde contre <strong>les</strong> piqûres de<br />

moustique. Au-delà de risques qu’il ne faut jamais négliger, il en va pour chacun<br />

en effet de son travail et, parfois, du chiffre d’affaires à réaliser. Le noble insti-<br />

tut m'a semblé cependant plus attaché au fait de nous vendre l'ensemble de ses<br />

vaccins et traitements contre <strong>les</strong> maladies, tropica<strong>les</strong> ou non, qu'à nous mettre en<br />

garde contre <strong>les</strong> risques de contagion par le VIH, risque infiniment plus grave que<br />

celui de paludisme en cette saison hivernale. Retenons par ailleurs que le Leso-<br />

tho, lui, ne nous aurait jamais accueillis si nous nous en étions tenus à écouter <strong>les</strong><br />

avis avisés.<br />

On voit ce qu'on veut bien voir<br />

L<br />

a réalité du SIDA en Afrique Australe nous faisait peur avant le départ. J'ai un<br />

peu honte de ne pas avoir pris le temps de mieux connaître sur place.<br />

De mémoire, j'ai retenu le chiffre à vérifier de 30% de séropositifs parmi la popu-<br />

lation adulte du Lesotho. Des amis nous parlaient sur place de plus de 60%, ce que<br />

je tiens pour improbable. Nous sommes souvent approximatifs avec le malheur<br />

des autres alors que nous sommes très informés de ce qui nous accable personnel-<br />

lement. Curieusement, c'est auprès de douaniers rencontrés alors que nous en-<br />

trions au Lesotho que j'ai cru repérer ce que j'imagine être <strong>les</strong> symptômes de la<br />

maladie, au travers d'une toux rauque et d'une maigreur prononcée notamment.<br />

Plus rien au-delà. Passé la douane, le problème nous a rarement effleurés, même<br />

s'il correspond à une pénible réalité. Nous n'avons reçu ou perçu que fort peu de<br />

témoignages accablants. Insouciance de voyageurs tenus par la découverte et <strong>les</strong><br />

distances à parcourir ou pudeur et discrétion des populations rencontrées ? Les<br />

états, de leur côté, communiquent activement.<br />

Une partie de notre groupe sera allée rendre visite à un orphelinat. La plupart des<br />

enfants qui y sont hébergés ont perdu leurs parents en raison du SIDA.<br />

18<br />

Paris, le Havre, Cape Town<br />

N<br />

otre voiture avait quitté Paris pour le Cap au début du mois de juin.<br />

Nous avions roulé en direction du Havre avec un petit groupe et avec<br />

le plateau qui conduisait <strong>les</strong> voitures de l'organisation.<br />

Départ rue Friant, Paris 14ème<br />

Manutention au Havre Pont de Normandie


D<br />

u fait d’une mer difficile, <strong>les</strong> voitures parties en juillet pour Durban arri-<br />

vaient 4 jours seulement avant leurs propriétaires. El<strong>les</strong> étaient prises en<br />

charge et conduites dans le parking du Tropicana Hotel. Aussitôt ou presque,<br />

c’était aux voitures du premier groupe de reprendre la mer. J’aurai assisté Eric<br />

pour charger ces dernières. Impossible, au port, de ne pas voir dans l’alignement<br />

de jolies rondeurs, de calandres altières et d’équipements lourds ou légers méti-<br />

culeusement pensés, infiniment plus que des masses de fer, de toile et de caout-<br />

chouc. Chaque Traction porte sur elle son histoire et, derrière elle, celle de ses<br />

propriétaires successifs. Pour <strong>les</strong> participants rentrés en France 2 jours plus tôt, il<br />

s’agissait d’une histoire encore fraîche des nuits étoilées du Namib et à peine plus<br />

chaude des journées passées sur <strong>les</strong> pistes. Juillet avait été frais. C’est avec émo-<br />

tion que chacun se résoudra, à l’automne, à faire <strong>net</strong> son intérieur, à décrasser<br />

son moteur de l’huile et du sable accumulé, à réparer <strong>les</strong> offenses de la piste,<br />

effacer <strong>les</strong> stigmates de l’aventure. Les journées qui séparent <strong>les</strong> deux rallyes à<br />

Durban doivent permettre à l’équipe Globe-Driver de réparer ou de préparer ses<br />

propres Tractions, qu’il s’agisse de cel<strong>les</strong> de l’organisation ou des quelques unes<br />

mises en location. Le déploiement de pièces et de matériel dans le garage de<br />

l’hôtel est impressionnant.<br />

S<br />

Laurent décore la voiture des copains Jean-Claude et Monique, mécanos…<br />

ur <strong>les</strong> dernières heures qui verront <strong>les</strong> avions de nos amis à venir se poser et<br />

<strong>les</strong> bus <strong>les</strong> conduire à l’hôtel, il reste une autre tâche à accomplir. Chaque<br />

voiture se voit parée de son lot d’autocollants. Parmi ces derniers, il en est un<br />

dont le succès est assuré.<br />

19<br />

Paul joue avec sa boîte à outils et ses Dinky Toys<br />

On l’applique avec plaisir à l'avant du pavillon de la voiture et sur <strong>les</strong><br />

flancs dans le cas des deux cabriolets. Il reprend <strong>les</strong> points cardinaux du<br />

rallye : "Durban – Livingstone – Cape Town". Celui-là attendra parfois de<br />

longues années - une nouvelle peinture peut-être pour la voiture - avant<br />

de disparaître. A moins qu’il ne soit remplacé dès l’année prochaine par<br />

un autre sésame : « Paris – Saint-Pétersbourg- Cap Nord – Paris ». Qui ne<br />

rêverait, en 2008, de coller sur sa voiture un "Beyrouth – Pékin" entouré,<br />

pour la circonstance, des anneaux olympiques ? Ces mots mériteront<br />

d’être dorés à la feuille.<br />

Je suis heureux d’afficher ma différence en ajoutant Cape Town devant<br />

Durban, signifiant ainsi que nous aurons bouclé le parcours, ce que ni <strong>les</strong><br />

participants de juillet, ni ceux du mois d'août n'auront eu le loisir d'ac-<br />

complir. D’autres autocollants bénéficient de moins de faveur. Le sponso-<br />

ring permet à Globe-Driver d’absorber une part de ses frais de structure.<br />

Pauline avait inventé une jolie réponse pour Eric lorsqu'il nous questionne-<br />

rait sur la perte de nos autocollants publicitaires entre Cape Town et Dur-<br />

ban. L'objet se prêtait passablement, selon elle, à l'épilation des jambes.<br />

Or elle avait repéré que <strong>les</strong> africaines étaient coquettes. Elle prétexterait<br />

donc le vol de ces précieuses bandelettes et affichettes à cet effet. Nous<br />

n'étions pas ravis en tous points de rouler ainsi en assurant la publicité de<br />

prestataires dont nous estimions avoir très correctement payés le service.


A<br />

Durban, la soirée qui précède le départ s’apparente d’une veillée d’armes. Il<br />

serait plus juste, à vrai dire, de parler des ultimes préparatifs d’un mariage.<br />

Mariage entre un équipage et une voiture mais tout autant mariage entre équi-<br />

page et voiture d’une part, aventure passionnément attendue et désirée d’autre<br />

part. L’atmosphère du garage de l’hôtel est unique. Chacun a retrouvé son véhi-<br />

cule après 4 semaines de séparation et l’entoure de ses attentions. Les plus<br />

aguerris se reconnaissent au numéro 0, 1, 2 ou 3 dont est doté leur véhicule. Ce<br />

numéro représentera pour toujours, dans la petite histoire des Tracbar du moins,<br />

leur numéro d’équipage. Cela correspond au fait d’avoir accompli l’un au moins<br />

des quatre premiers rallies. On appelle ceux-là <strong>les</strong> grognards. Les autres, dont<br />

nous sommes, sont appelés <strong>les</strong> bizuths. Leur numéro commence par 4. Il s'agit<br />

largement d'enfantillages mais en qui l'enfant ne sommeille-t-il pas ? Ce dernier<br />

reste, certes, plus vif chez certains que chez d'autres. Nous saurons, je le crois,<br />

effacer ce numéro et voler par la suite de nos propres ai<strong>les</strong>.<br />

Parmi <strong>les</strong> détenteurs des chiffres en 4, il est ceux qui découvrent leur nouvelle<br />

compagne de location. Pour la première année, Globe Driver loue des voitures à<br />

des non propriétaires. Ces derniers, rencontrés et démarchés par exemple à Ré-<br />

tromobile, le salon de la voiture ancienne, se doutent-ils qu’ils deviendront eux-<br />

mêmes des possédés de la voiture ?<br />

Guy au travail Florence et Maxime sous le charme<br />

20<br />

Les Naudin sont de ceux-là. Ils sont venus père, fille et fils. Sur <strong>les</strong> 3 visa-<br />

ges, le bonheur claque aussi fort que <strong>les</strong> portières de la voiture. Tout est,<br />

sur celle-ci, sujet d’émerveillement ou d’étonnement : tissu des fauteuils,<br />

boutons du tableau de bord, essuie-glace, disposition du coffre, galerie de<br />

toit avec sa tente... Pris par la découverte commune, le frère et la sœur<br />

paraissent ne plus connaître de retenue dans l’expression de leur joie et<br />

des liens fraternels. C'est bonheur à contempler.<br />

A propos de cette famille bien mise, on se prend à douter que le père ait<br />

jamais passé autant de temps à frotter <strong>les</strong> meub<strong>les</strong> ou <strong>les</strong> vitres à la mai-<br />

son qu’il en passe ce soir-là à faire briller sa nouvelle compagne. Il sera<br />

d'ailleurs le seul, au cours du voyage (aïe, aïe, aïe Guy), à coucher cette<br />

compagne au beau milieu de la piste à la faveur d'une glissade dans un<br />

virage. Pour qui connaît la Traction, il s'agit d'un exploit que seule la mal-<br />

chance autorise. Guy avait laissé son supermarché dans le sud-est de la<br />

France pour venir en Afrique. Les Lusseaud avaient laissé, eux, leur hyper<br />

dans le sud-ouest. Les commerçants étaient très présents dans le groupe.<br />

Il s'agit d'une race d'entrepreneurs et d'aventuriers qui continue à bien<br />

gagner sa vie. Il n'était pas d'industriels. Ces derniers sont moins bien trai-<br />

tés par <strong>les</strong> nouveaux équilibres économiques d'un monde qui bouge.<br />

Les Lusseaud Guy sur le flanc


Grands citroënnistes parmi <strong>les</strong> grands, <strong>les</strong> Brosselin !<br />

Premiers tours de roues entre Durban et Kruger Park<br />

L<br />

’avantage pour nous d’avoir défloré le rallye par un pré-rallye familial est une<br />

toute relative familiarisation avec le pays, la circulation, <strong>les</strong> habitants, la<br />

langue. Le touriste que nous ne manquons pas d'être ni de rencontrer même<br />

quand il est rare, excelle dans l'art de s'afficher familier d'un lieu parce qu'il dis-<br />

pose dans sa poche d'un fond de devises loca<strong>les</strong>, parce qu'il porte un tee-shirt à<br />

l'effigie d'un parc ou parce qu'il a appris à prononcer le nom du lieu sans trébu-<br />

cher sur la piste. L’inconvénient de cette familiarité, s’il en est un, pourrait tenir<br />

au fait que nous nous sentons quelque peu affranchis vis-à-vis de l’organisation.<br />

Nous avons, seuls, sans assistance, sans reconnaissance ni réservation et libres de<br />

toute contrainte, voyagé par nous-mêmes, le Lesotho représentant rétrospecti-<br />

vement et à bien des égards la destination la moins facile du périple. Rétrospecti-<br />

vement encore, il faut en convenir au risque de ternir l'aura qui entoure le péri-<br />

ple, il ne s'attache pas un mérite exceptionnel à cette chevauchée solitaire. Eric,<br />

notre organisateur, pourrait être tenté d'interdire à ses amis et clients d'accéder<br />

21<br />

ainsi aux coulisses d'un rallye par une imprégnation préalable. Grâce lui<br />

soit rendue de n'avoir pas sombré dans une telle machination.<br />

I<br />

ncidemment, concernant nos mérites et le caractère réputé exception-<br />

nel d'un tel voyage, nous ne manquerons pas de nous interroger sur la<br />

mythomanie du voyageur et sur celle que véhiculent l'écriture ou l'image.<br />

On accède généralement au voyage par le récit de ceux qui le rapportent.<br />

On rêve une destination avant de la rejoindre. Ce récit s'apparente sou-<br />

vent d'une habile mise en scène et recomposition, d'une invention parfois,<br />

au meilleur <strong>sens</strong> de mettre en scène et d'inventer si possible. L'imaginaire,<br />

la subjectivité et l'habileté de l'aventurier, du photographe ou du narra-<br />

teur le partagent avec le vrai, amplifiés par le désir du lecteur ou du<br />

spectateur de construire ou alimenter son propre rêve. Certains excellent.<br />

Cela peut faire leur succès. Après avoir consommé le voyage catalogue ou<br />

récit, le lecteur, devenu enfin voyageur, se transforme en adepte de la<br />

destination, inventeur et ou propagateur du mythe. Les nuances pour<br />

aménager ainsi le réel sont infinies. Une simple paire de lu<strong>net</strong>tes de soleil<br />

modifie <strong>sens</strong>iblement la perception qu'on a des lieux aux heures où le<br />

soleil surexpose <strong>les</strong> paysages, ce qui est très souvent le cas en Afrique. Le<br />

look du voyageur s'en trouve lui-même modifié. L'accessoire nous est arri-<br />

vé en Europe sous le signe des Etats-Unis, avec la fameuse Ray Ban portée<br />

par <strong>les</strong> soldats américains venus libérer la France en 1945. Les appareils<br />

photos et la photo numérique, de leur côté, autorisent également bien<br />

des accommodements avec la lumière.<br />

Tout est<br />

plus<br />

beau<br />

avec des<br />

lu<strong>net</strong>tes<br />

de soleil,<br />

n'est-ce<br />

pas ?


H<br />

eureusement pourrait-on dire, il est<br />

des photos, des films et des écrits<br />

amateurs qui dérapent. Ils rendent bien<br />

alors la platitude d'un lieu, la monotonie<br />

d'un trajet, l'absence de couleurs, la ré-<br />

pétition des genres et des objets. Il est<br />

même, sur des films, des commentaires<br />

off qui traduisent l'ambiance d'un tour-<br />

nage. Pour notre part, nous ne tricherons<br />

pas sur mon injonction à Marie-Julie de filmer alors que, de nuit, en voiture, elle<br />

est blême de peur et de fatigue en franchissant le dernier col, enneigé et vergla-<br />

cé au sommet, qui nous conduit du Lesotho en Afrique du Sud.<br />

Croisière Noire ou Croisière Jaune, d'autres que nous avaient défloré le sujet…<br />

22<br />

Le préfet Broussard, négociateur et libérateur d'otages de renom me di-<br />

sait autrefois sa hargne contre la caméra et contre ceux qui la manipulent<br />

abusivement. Cela depuis qu'il entendit un jour un journaliste sommer l'un<br />

de ses fonctionnaires de pincer <strong>les</strong> fesses d'un l'enfant que Broussard lui-<br />

même portait dans ses bras au moment de sa libération. Il convenait que<br />

l'enfant pleurât devant la caméra du journal de 13 heures.<br />

Comment on conduit une armée au bout du monde…<br />

Nous sommes capab<strong>les</strong> de grands élans, bien sûr. Pas au point cependant de nous attribuer<br />

des mérites que nous n'avons pas. L'échange ci-dessous via le site Inter<strong>net</strong> du rallye au terme<br />

du voyage voudrait le rappeler. L'exploit d'Eric consiste, selon nous, à vivre son rêve jusqu'au<br />

bout en sachant déplacer autant de monde aussi loin. Nous lui en sommes reconnaissant. Il<br />

n'est pas besoin, pour nous-mêmes, de revendiquer beaucoup plus au-delà.<br />

"L'Aventure du Tracbar Zulu 2004 a pris fin en fanfare hier à Cape Town. Je pense que tous<br />

<strong>les</strong> participants sont désormais rentres chez eux. Je tenais a vous remercier toutes et tous<br />

pour votre véritable exploit. Je ne vous en ai pas parlé avant de partir mais votre expédition<br />

a travers l'Afrique Australe, que ce soit le groupe de Juillet ou d'Août, est une véritable<br />

performance. Vous avez réalisé ce que peu de gens pourraient faire. Vous avez été au<br />

bout de votre rêve, malgré <strong>les</strong> conditions de piste parfois difficile et mes roadbooks farceurs,<br />

en me conservant toujours votre confiance. Alors soyez fiers de vous, car moi, je le<br />

suis, fier de vous... et de vos autos. Les Traction du mois d'août reprennent la mer demain<br />

et devraient etre de retour au havre vers le 20 Septembre. D'ici là, bonne chance pour le<br />

retour sur terre et profitez bien de vos souvenirs. Très amicalement à tous.<br />

Votre dévoué Général Tracelaroute"<br />

Nous répondions :<br />

"Chers amis et cher Général Tracelaroute, s'il est permis de parler après vous.<br />

A trop magnifier l'exploit, on risque de laisser bon nombre de candidats à l'aventure sur le<br />

bord de la piste. Restons prudents. La performance réside plus, à vrai dire, dans la prise de<br />

décision et dans <strong>les</strong> arbitrages, y compris financiers, qu'elle suppose que dans la réalisation<br />

(la réali-traction, que dis-je !) Le véritable risque à parcourir ainsi la planète, à notre<br />

humble avis, ne se trouve plus tant dans la malaria, le manque de confort ou le cardan<br />

cassé. Il se trouve dans la méconnaissance de soi, de ce et de ceux qui nous entourent. On<br />

pourrait aussi le trouver dans le désenchantement. Alors, partez nos amis. Après 6 semaines<br />

d'Afrique, 10750 km parcourus et une crevaison, nous avons appris beaucoup sur nousmêmes,<br />

sur notre planète Terre, si petite et si grande et sur ceux qui l'habitent. Merci,<br />

donc, Eric pour la petite piche<strong>net</strong>te au départ et pour l'intendance au bord du chemin.<br />

Merci aux participants du Tracbar Zulu pour nous avoir accueillis chaque matin parmi <strong>les</strong><br />

leurs. Merci aux lecteurs pour ces instants partagés.<br />

André, Marie-Julie, Marc-André et Pauline."


Au Zimbali Lodge, <strong>les</strong> Tractions sont couleur perroquet…<br />

La<br />

végétation est tropicale…<br />

L'eau est bleue, le ciel d'azur,<br />

23<br />

Il<br />

faut dire qu'au bord de l'Océan Indien, c'est l'hiver


R<br />

evenons, après ces commentaires, au long tapis d'asphalte et aux aspéri-<br />

tés de la piste qui file sous <strong>les</strong> bandes caoutchoutées de nos Michelin X<br />

185x400 (vendus 195 euros –<br />

pub - par le service pièces<br />

du club La Traction Univer-<br />

selle ; souscription en<br />

cours… Il fallait cependant<br />

passer <strong>les</strong> commandes avant<br />

le 30 septembre…Merci aux<br />

copains du club de la TU,<br />

qui nous aident à faire<br />

tourner nos voitures, Jean-<br />

Louis et Céline Poussard, Michel Prost-Roman, Dominique Bellière…).<br />

Pour <strong>les</strong> parties de parcours <strong>les</strong> moins attractives, tel<strong>les</strong> qu'on en aura ren-<br />

contrées dans la première partie du périple et tel<strong>les</strong> qu'on en retrouvera plus<br />

au nord quand il s'agira de relier Livingstone à Etosha, on parle d'itinéraires<br />

de liaisons. Découvrir par la route un sous-continent et des lieux mythiques<br />

aussi éloignés <strong>les</strong> uns des autres que Cape Town et <strong>les</strong> chutes Victoria impli-<br />

que de tel<strong>les</strong> liaisons. L'organisation s'attache, dans ce cas, à compenser la<br />

monotonie du parcours par la qualité des points étapes. Cela aura générale-<br />

ment été le cas et le témoignage des participants qui avaient pratiqué <strong>les</strong><br />

Etats-Unis lors de leur traversée en 2002 donne à penser que le fardeau de<br />

tels trajets aura peu pesé sur notre périple africain.<br />

Je ne fus pas le seul à ronger mon frein ces jours-là, et plus tard encore,<br />

contre certains aléas de la programmation. La chose est inévitable. Tout y<br />

passe alors :<br />

Telle portion de parcours qui paraît trop aménagée dans le cas d'une auto-<br />

route à 2 fois 3 voies dans un paysage qui nous rappelle la France estivale<br />

(N2) ; telle visite (Zimbali Lodge) qui s'apparente d'une obligation mondaine<br />

ou commerciale à satisfaire, indépendamment de la grande qualité du lieu.<br />

Frein rongé toujours ou plutôt tambours encrassés, s'agissant de nos voitures :<br />

24<br />

tel écart inopportun sur la route consistant à parcourir 80 km pour rejoindre<br />

un buffet viande/crudité à 200 m d'un Océan indien qu'on ignorera superbe-<br />

ment (Santa Lucia). Plus tard, la frustration pour moi sera d'une autre nature.<br />

Je veux parler de l'absence des grands fauves au bord de la piste au passage<br />

de notre voiture. Seul notre général "Tracelaroute" (Eric) aura droit au rugis-<br />

sement et à la vision excitante de lions, qu'il aura indisposés en quittant la<br />

piste faut-il préciser.<br />

Un autre équipage, Odile et<br />

Jean-Paul, lui aussi comblé,<br />

chargera ses pixels d'une<br />

scène d'accouplement entre<br />

deux éléphants après que le<br />

ballet de trompes et de pat-<br />

tes ait menacé quelque peu,<br />

nous ont-ils rapporté, la<br />

faible et précieuse structure<br />

de leur cabriolet 11 de 1938.<br />

<strong>So</strong>uvent, j'en termine en-<br />

suite avec mes aigreurs d'es-<br />

tomac, j'aurai interrogé le<br />

ciel sur le coucher prématu-<br />

ré et inopportun du soleil<br />

qui aura abrégé nos soirées<br />

alors qu'on <strong>les</strong> aime, ces<br />

soirées, longues, très lon-<br />

gues, à cette saison sous nos<br />

latitudes… Silence <strong>les</strong> ronchons, on roule ! Un Tracbar est une entreprise<br />

collective. On y adhère librement, même si l'on ne sait pas toujours jusqu'où<br />

cela nous conduira. Il s'agit d'une partie unique qui se joue en 2 coups de dés,<br />

la reconnaissance et le rallye. Un tour opérateur dispose, lui, du temps et du<br />

recul pour mitonner ses formu<strong>les</strong>. Ce que le tracbarien est réputé gagner en<br />

intensité et en exclusivité, il peut le perdre sur le bord d'une piste mais il


saura toujours compter sur une assistance bien rôdée qui ne compte pas sa<br />

peine.<br />

P<br />

arlant des premiers tours de roues, il nous faut réserver une place pour le<br />

road book. Il s'agit d'une feuille croustillante qu'on découvre chaque ma-<br />

tin, tout frais sorti du toaster pour alimenter le briefing. <strong>So</strong>n objet est de<br />

garantir le bon déroulement de la journée et la liaison avec la destination du<br />

jour. Il nous aura fallu nous habituer à sa lecture et aux facéties qu'il recèle<br />

parfois. Il n'aura pas manqué, en effet, de réserver quelques surprises dans<br />

son principe comme dans sa mise en œuvre.<br />

Dans le principe, le voyageur aguerri s'attendrait à ce qu'on lui dise : "Prends<br />

telle carte et rejoins tel lieu en passant par tel endroit". Cela paraîtrait trop<br />

facile. L'expérience des organisateurs de rallye encourage ces derniers, para-<br />

ît-il, à décomposer un itinéraire en autant de lignes sur fichier Excel qu'il est<br />

de carrefours, de villages, de postes d'essence, de haltes, de passages répu-<br />

tés dangereux, de point remarquab<strong>les</strong> ou de données kilométriques. Le com-<br />

mentaire "rien à voir, toujours tout droit" n'est pas rare. Nous aurons connu<br />

ainsi des quasi lignes droites de plusieurs centaines de km. Charge ensuite à<br />

l'équipage de se déposséder de son réflexe habituel – destination finale ou<br />

cap à tenir - et de se répartir <strong>les</strong> tâches afin de garantir un niveau suffisant<br />

de discernement, d'intelligence sémantique et de vigilance. La gageure<br />

consiste alors à aborder dans la sérénité <strong>les</strong> 50 à 200 événements quotidiens<br />

qui sont ainsi matérialisés par un signe dans une colonne ou par un commen-<br />

taire dans le texte. L'organisation argumente le procédé au regard des néces-<br />

sités de l'assistance et de la logistique. Les participants quant à eux se for-<br />

gent leur opinion et développent leurs pratiques. Certains adorent ces parties<br />

de jeu de l'oie pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> ils jouent <strong>les</strong> yeux bandés. Les kilométrages<br />

réalisés dans ce cas ne sont pas toujours ceux annoncés. D'autres doublent le<br />

texte du road book par un impressionnant stock de cartes surlignées et le<br />

triplent par un autre jeu encore : une partie de billard entre leur voiture, un<br />

satellite géostationnaire, la CB et leur téléphone cellulaire… quand il n'ajou-<br />

tent pas le pare-choc de la voiture qui précède. Dans tous <strong>les</strong> cas, <strong>les</strong> coup<strong>les</strong><br />

ou <strong>les</strong> binômes se trouvent rudement mis à l'épreuve <strong>les</strong> tout premiers jours.<br />

25<br />

C'est une classique des rallyes paraît-il. Le temps accomplit ensuite son œu-<br />

vre, police le langage, apaise <strong>les</strong> humeurs. Les soirées se trouvent pimentées<br />

d'anecdotes et de décomptes kilométriques.<br />

Concernant la mise en œuvre de ce bréviaire, <strong>les</strong> coquil<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus remar-<br />

quab<strong>les</strong> auront tenu au fait qu'Eric aura dû réaliser deux road book rigoureu-<br />

sement symétrique-opposés puisque deux rallies sur juillet et août auront<br />

emprunté le même parcours mais en <strong>sens</strong> inverse. Joli casse tête que de re-<br />

prendre <strong>les</strong> kilométrages et <strong>les</strong> changements de direction sans commettre<br />

d'erreurs.<br />

S<br />

ur cette première partie de parcours entre Durban et Kruger, le Zoulou-<br />

land aura senti parfois le tourisme organisé de la côte. Sa population est<br />

nombreuse cependant et <strong>les</strong> bords de route réservent bien des occasions<br />

d’arrêt et de contacts. Les heures de sortie des éco<strong>les</strong>, en début d’après-<br />

midi, voient le pays se remplir de cohortes d’élèves en uniforme. Les klaxons<br />

des Tractions, avec leur note généralement aiguë, animent alors joyeusement<br />

la route. Les élèves lèvent la main, applaudissent ou bien esquissent, pour <strong>les</strong><br />

fil<strong>les</strong> notamment, quelques pas de danse. L’initiative ne revient pas aux seuls<br />

équipages des voitures. Elle vient tout autant de la population. Quand le pu-<br />

blic semble être en attente au bord de la route ou quand un camion adresse<br />

un appel de phares, on se dit que le passage des équipages qui précèdent est<br />

encore frais et qu’il en est passé plusieurs. Le passage récent des éléphants<br />

se reconnaîtra, lui, sur la base d’autres critères dans l’identification desquels<br />

nous ne tarderons pas à exceller : branchages épineux abandonnés sur la<br />

chaussée ou couleur encore contrastée des excréments sur la piste ou sur la<br />

chaussée.


Rouler 15, rouler Tracbar<br />

R<br />

ouler Tracbar n’emporte, à vrai dire qu’un minimum de contraintes vis-à-<br />

vis desquel<strong>les</strong> quelques journées d’apprentissage mettent à l’aise. Rompu<br />

à la longueur des distances et des temps de trajet, prévenu de la tombée<br />

rapide de la nuit dès <strong>les</strong> 18h, mais surtout confiant dans la robustesse et dans<br />

<strong>les</strong> performances de notre voiture, je tends à rouler vite et à dépasser systé-<br />

matiquement <strong>les</strong> autres véhicu<strong>les</strong>, d'autant plus sur <strong>les</strong> pistes, pour éviter<br />

dans ce cas leur panache de poussière. Marie-Julie me le reproche au début<br />

et me demande plus de retenue vis-à-vis des autres participants. Il est même<br />

de discrètes compétitions, qui ne disent pas leur nom et que je ne fuie pas,<br />

bien au contraire, quand il s’agit de confronter notre voiture avec sa mécani-<br />

que d’origine et <strong>les</strong> berlines 11 modernisées pour certaines, équipées dans ce<br />

cas de moteurs de DS et de boîtes à quatre rapports. Avec l'autre 15 de parti-<br />

cipant, celle de Laurent, l'alsacien, nous nous serons surpris à rouler côte à<br />

côte un bon 140 km/h sur un plat de la route, notre voiture dépassant péni-<br />

26<br />

blement la sienne, lui m'assurant par la suite avoir alors conservé de la ré-<br />

serve. Le cavalier peut-il toujours, sous prétexte d’arriver sûrement, priver<br />

sa monture et lui-même du plaisir du galop à bride abattue ? Nos deux 15 sont<br />

toujours apparues en mesure de mériter, parmi la gente Traction et vis-à-vis<br />

de bon nombre de véhicu<strong>les</strong> locaux, leur titre de "reine de la route". A charge<br />

et à décharge cependant, c'est bien le mot qui convient, il faut signaler le<br />

chargement excessif de certaines voitures du groupe et leur prise au vent<br />

considérable. Les galeries de toit sont nombreuses, <strong>les</strong>tées de tentes de toit,<br />

de jerricans et autres roues de secours. La tente de toit représente un handi-<br />

cap lors des trajets mais un réel confort au moment de monter le camp.<br />

Très vite en fait et concernant la fa-<br />

çon de rouler, <strong>les</strong> « autorités mora-<br />

<strong>les</strong> » du groupe, ceux qui cumulent le<br />

plus de kilomètres Tracbar, m’auront<br />

mis à l’aise, m’assurant que chacun<br />

devait rester totalement libre dans la<br />

gestion de son trajet, le seul principe<br />

étant de ne pas se retrouver derrière<br />

l’assistance et de ne pas mettre en<br />

péril l'entreprise collective.<br />

La solidarité s’exprime lors de chaque<br />

incident, au point de provoquer cer-<br />

tains attroupements au bord de la<br />

piste. C’est avec bonheur que Laurent<br />

et moi aurons remonté la roue de<br />

Gérard et Brigitte, de quelques an-<br />

nées nos aînés, s’affairant sur leur<br />

voiture suite à une crevaison. Il<br />

s’agissait alors d’un geste d’amitié<br />

plus que d’une aide. Quelques jours<br />

plus tard, nous prendrons à bord Bri-<br />

gitte la durée d’une étape, le même<br />

équipage ayant perdu une roue après<br />

que <strong>les</strong> 5 goujons de celle-ci aient


passé l’arme à gauche. La piste ne pardonne pas le moindre boulon desserré<br />

et chaque étape doit être l’occasion de procéder à quelques vérifications. Ce<br />

jour-là, Henry et Dany auront refait sur leurs pas 60 km de piste à contre<strong>sens</strong><br />

et donc parcouru 120 km supplémentaires pour remonter un lot de ces pièces<br />

sur <strong>les</strong> arrières du convoi. Amitié et reconnaissance, Jean-Claude, le mécani-<br />

cien du rallye, <strong>les</strong> aura assuré du fait qu'il lui en manquait encore un au mo-<br />

ment de leur arrivée. Aurait-il retrouvé dans ses caisses entre temps, un lot<br />

de ces facétieux goujons qui avaient répondu absents, le temps d'appeler un<br />

poste avancé<br />

?<br />

U<br />

ne autre Brigitte, celle de Patrick, aura également éprouvé <strong>les</strong> joies du<br />

cabriolet le jour où le moteur de Zézette (la Traction de Patrick) aura<br />

défailli et nécessité un remorquage. Zézette aura ainsi connu bien des déboi-<br />

res tout au long du rallye, au point d'être primée, le dernier soir, comme<br />

ayant été la voiture porte-poisse : moteur remplacé, 6 crevaisons, chute dans<br />

un trou et arrachage de la partie avant du petit scarabée quand il a fallu<br />

l'extraire de son ornière. Dans certains cas, le concours d’un deuxième équi-<br />

page sur un incident permet de contenir l’empressement bienveillant de la<br />

foule qui ne manque pas de surgir lors de chaque arrêt d’un véhicule. <strong>So</strong>ule-<br />

ver le capot ou se coucher sous la voiture en présence de 10 ou 15 enfants<br />

n’est pas une sinécure. Dans certains cas, une voiture peut être prise en re-<br />

morque par <strong>les</strong> copains. Roger la mécanique fit ainsi son affaire de Zézette<br />

lorsque le moteur de celle-ci rendit l'âme. Ce jour-là, l’assistance technique<br />

s’affairait par ailleurs. Un soir, dans la nuit, ce fut au tour de l'assistance de<br />

perdre une roue sur le trinqueballe, remorque à deux roues qui permettait de<br />

ramener à l'étape et dans tous <strong>les</strong> cas un véhicule qu'on ne saurait réparer au<br />

bord de la route. C'est la gerbe d'étincel<strong>les</strong> que provoquait le contact entre le<br />

fer de la remorque et <strong>les</strong> pierres de la piste qui aura attiré l'attention de<br />

Thierry, au volant du 4x4 qui la tirait. Les vacheries involontaires entre co-<br />

pains ne sont pas exclues. Christian, le Christian de Gisèle, en panne d'es-<br />

sence, de nuit au bord de la chaussée le soir de son anniversaire, se vit offrir<br />

un jerrican d'eau dont il remplit goulûment son réservoir. L'organisation<br />

conseillait de marquer d'un point rouge <strong>les</strong> réserves d'essence et d'un point<br />

bleu <strong>les</strong> réserves d'eau. C'était compter sans la nuit. Nous ne courions pas ce<br />

27<br />

risque, ne disposant d'aucune réserve. Notre autonomie n'en était pas moins<br />

de 500 bons kilomètres, relative sobriété du moteur et capacité du réservoir<br />

aidant.<br />

Alors, Christian, entre la<br />

pastille rouge et la pas-<br />

tille bleue du jerrican,<br />

entre la bouteille de vin<br />

et la bouteille d'eau,<br />

qu'est-ce qui garantit le<br />

meilleur repas d'anniver-<br />

saire ?<br />

Christian et Gisèle sont<br />

nos voisins, Porte d'Or-<br />

léans à Paris.<br />

Hluhluwe (SA.) – Milwane (Zwaz.) – Mopaya game réserve…<br />

T<br />

erme de notre première étape, le Nyala Safari Resort à Hluhluwe nous<br />

offrait, pour le peu de temps que nous pouvions lui consacrer, un héber-<br />

gement confortable et la perspective d'une "authentique soirée Zoulou". J'ai<br />

bien cru un instant, grâce à la brièveté des jours, ajouter à cette dernière la<br />

découverte fortuite d'un village traditionnel. Toujours à l'affût pour explorer<br />

et découvrir, je m'enfonçai dans la pénombre, à l'écart de l'ensemble qui nous<br />

accueillait. Je cheminai un temps entre deux rangées de pieux et de bois<br />

tord. L'ensemble, planté dans le sol délimitait un passage pour accéder au<br />

village mais compliquait ce passage et le rendait dangereux par le grand<br />

nombre de départs de branches coupées qui menaçaient le visage ou le buste<br />

de l'intrus. Le village était clos par une palissade de la même construction. Il<br />

me vint bien sûr en mémoire le fait que le peuple Zoulou était réputé pour la<br />

qualité de ses guerriers et pour la dureté des combats menés à conquérir ou


protéger <strong>les</strong> terres et la "nation". A l'intérieur de l'enceinte, quelques feux et<br />

des cases dont l'ouverture laissait entrevoir des indigènes s'affairant au de-<br />

dans. Je retrouvais là l'ambiance des villages et des habitations rencontrés à<br />

Madagascar, insérés, eux, cependant, dans une végétation plus riante, odo-<br />

rante et luxuriante. Dans ces deux cas d'habitat traditionnel, <strong>les</strong> chemine-<br />

ments sont exclusivement piétonniers et bordés de végétaux assemblés en<br />

clôture, en rien dédiés au passage des voitures ou des attelages. Cela rompt<br />

totalement avec notre conception des espaces et de l'aménagement et ren-<br />

force le charme de la découverte. Au sol, près d'un feu, quelques gri-gri,<br />

amulettes, trophées et peaux de bêtes séchées. Au centre d'une case élevée,<br />

des tambours dont la peau se tend dans la proximité d'un feu…<br />

une forme de duperie.<br />

Je ne fus pas long à déchanter quant à<br />

l'authenticité de ma découverte. Je n'es-<br />

pérais qu'un peu à vrai dire. Ce village est<br />

en fait une création de la réserve pour<br />

offrir aux visiteurs une vision de ce que fut le pays et le mode de vie de ses<br />

habitants dans des temps passablement reculés. Les habitants occasionnels<br />

de ce village sont de jeunes musiciens et danseurs qui offrent leurs anima-<br />

tions et spectac<strong>les</strong> aux touristes de passage. Il s'agissait de ceux qui, le soir<br />

même, viendraient animer notre repas et la soirée qui suivrait autour du feu.<br />

Toute tentative de faire passer pour authentiquement actuelle une tenue<br />

traditionnelle parmi cel<strong>les</strong> qu'on aura rencontrées durant notre voyage serait<br />

28<br />

Cette soirée 100% touristique n'en fut pas moins dense et même "danse". Re-<br />

composition jouée et dansée notamment des rituels qui marquent <strong>les</strong> étapes<br />

de la vie d'un Zoulou. La force des artistes locaux fut de savoir associer <strong>les</strong><br />

spectateurs à leurs évolutions. Il aura suffi dans ce cas d'attirer <strong>les</strong> enfants.<br />

fantastique entre <strong>les</strong> personnes et<br />

entre <strong>les</strong> cultures.<br />

Christian, l'authentique "gitan" de<br />

notre groupe sortit bien vite sa<br />

guitare. Patricia la gouaille, <strong>les</strong><br />

pieds nus frôlant la braise<br />

chaude, glissant sur le sable et<br />

frappant le sol, tournoyait dans<br />

un ardent Flamenco.<br />

De mon côté, <strong>les</strong> cours de danse<br />

africaine autrefois suivis à Dakar<br />

et le rythme qui m'envahit dès<br />

qu'une main frappe une peau ten-<br />

due, m'auront vu mettre à l'unis-<br />

son le noir et le blanc. Ma ti-<br />

gnasse blanche étant signe en<br />

Afrique de très grand âge assorti<br />

d'une très grande sagesse, quel-<br />

ques beautés loca<strong>les</strong> auront pu se<br />

demander quel géni ou démon<br />

habitait ce vieil homme doué de<br />

la faculté de se mouvoir ainsi. Ce soir-là, la guitare apparut comme une<br />

grande découverte pour nos hôtes. Il se confirma que la musique est un lien<br />

Le lendemain, l'occasion nous était donnée de retrouver <strong>les</strong> mêmes rythmes,<br />

<strong>les</strong> mêmes pas et la même posture de folklore et de recomposition<br />

que la veille, au Swaziland cette fois, dans des registres plus guerriers cepen-<br />

dant. L'attention, pendant le repas du midi pris au Nisela Safari, se partageait


entre un groupe de musiciens et de danseurs d'une part, le point d'eau et ses<br />

crocodi<strong>les</strong> alanguis d'autre part.<br />

L<br />

Nous aurons franchi 16 postes frontières<br />

e lion et la lionne que nous aurons rencontrés à l'heure du café parais-<br />

saient passablement enclins à, tantôt recevoir des caresses, tantôt mon-<br />

trer <strong>les</strong> crocs, pour autant que le ranger de service savait <strong>les</strong> flatter ou <strong>les</strong><br />

attirer par un morceau de viande bien choisi. Madame garda la distance tan-<br />

dis que Monsieur répondit à nos avances. Les photos, parce qu'el<strong>les</strong> montrent<br />

le grillage qui nous séparait alors de l'animal et parce que nous ne sommes<br />

pas venus en Afrique pour voir <strong>les</strong> animaux derrière un grillage, ne figureront<br />

pas sur notre sélection familiale. Nous retournerons une prochaine année<br />

pour filmer des fauves en liberté, cela restant pour nous une attente forte à<br />

satisfaire au terme du voyage.<br />

29<br />

D<br />

ès <strong>les</strong> tout premiers jours de ce Tracbar, au travers notamment des expé-<br />

riences qui viennent d'être relatées, une réalité s'est imposée à moi : ce<br />

n'était pas l'Afrique de mes rêves d'enfant qu'il me fallait chercher à l'occa-<br />

sion de ce voyage, c'était une Afrique réelle et diverse, une Afrique qui dispo-<br />

sait d'une histoire ancienne et d'une histoire moderne, une Afrique qui ne<br />

manquait pas de regarder son passé et de considérer son avenir. Voyager n'est<br />

pas rêver. La découverte appelle un peu d'écoute et de raison, des remises en<br />

question. Je m'afflige – de quel droit et au prix de quelle stérile nostalgie ? -<br />

quand je traverse nos villages comtois, de voir combien de portes de granges<br />

donnant autrefois sur le cul de vaches ou sur <strong>les</strong> chargements de foin ont été<br />

transformées pour devenir d'immenses ouvertures qui baignent de clarté des<br />

séjours au confort moderne. Pourquoi aurait-il été plus fondé ou plus légitime<br />

de ma part d'espérer que le temps se fût arrêté en terre africaine ?<br />

Cela n'interdit pas cependant de noter des différences entre ce que j'ai connu<br />

de l'Afrique de l'Ouest et ce qu'il nous aura été donné de rencontrer dans<br />

cette partie Australe. Dans le courant des années 70 et 80 – je ne sais tout à<br />

fait ce qu'il en est aujourd'hui sous l'influence notamment de l'Islam et de la<br />

télévision mais des amis Sénégalais ont tenu à me rassurer sur ce point - Da-<br />

kar contait, riait et dansait aux accents tantôt rythmés tantôt plaintifs de la<br />

musique ou du chant traditionnel. Cela en toute occasion et sous tous <strong>les</strong><br />

prétextes. Dans <strong>les</strong> quartiers citadins et dans villages sénégalais, <strong>les</strong> griots ne


manquaient pas de passer pour animer des soirées, conter le passé, commen-<br />

ter le présent, porter un regard moqueur sur <strong>les</strong> vanités de l'existence et<br />

prodiguer des conseils de vie issus de la plus ancienne tradition, une tradition<br />

orale portée par le rythme des chants et des instruments. Les coupures de<br />

banque pleuvaient sur <strong>les</strong> trottoirs pour perpétuer cette tradition de sagesse<br />

et d'amusement. El<strong>les</strong> ornaient, à la ceinture, le pagne des fil<strong>les</strong> qui dan-<br />

saient dans la rue pour célébrer le corps, sa beauté et ses usages. De cela je<br />

n'aurai rien rencontré dans la rue - ou si peu - durant <strong>les</strong> 6 semaines passées<br />

en Afrique Australe. Il se vend beaucoup de djembés sur le bord des routes<br />

mais je n'en ai, pour ainsi dire, jamais entendu le son. La musique anglaise<br />

des années 80 tient le hit de l'animation musicale. La colonisation protes-<br />

tante, le régime de l'apartheid et <strong>les</strong> guerres fratricides auraient-il, ici, défi-<br />

nitivement meurtri et détruit la société traditionnelle, la gaîté communica-<br />

tive et l'âme d'enfant qui façonnent ma représentation de l'Afrique ?<br />

Milwane<br />

M<br />

ilwane, au Swaziland, nous réserverait une première nuit de camping en<br />

groupe. La surprise qui aura précédé l'arrivée aura été la traversée d'une<br />

digue de barrage sur un replat de la piste qui conduit au camp : l'heure du<br />

bain pour trois hippopotames au milieu d'une végétation luxuriante. Image<br />

clichée, avec celle de ses vil<strong>les</strong> et de ses villages bien propres, de ce petit<br />

pays au relief accidenté, doué physiquement et faisant figure d'une enclave<br />

prospère au sein du sous-continent.<br />

Les nouveaux dans la famille Tracbar s'exercent ce soir là au déploiement des<br />

tentes de toit pour ceux qui en disposent. Les autres s'affairent à planter <strong>les</strong><br />

sardines. Nous choisirons parmi cel<strong>les</strong>-ci le modèle "maquereau" pour leur fort<br />

pouvoir de pénétration dans le sol. Je me féliciterai à plusieurs reprises<br />

d'avoir emporté un marteau d'escalade prévu pour pitonner sur la roche tant<br />

était dur, souvent, le sol africain. Le montage du camp et des tentes à Mil-<br />

wane n'aura pas atteint le niveau de qualité et de célérité qu'on connaîtra en<br />

Namibie sur la fin du parcours. Nous concernant, notre famille reste à la<br />

peine dans ce domaine. Les partitions sont souvent discordantes quant aux<br />

initiatives à prendre et quant à la meilleure façon d'être diligent. Il nous fau-<br />

30<br />

dra 5 semaines au total pour réussir pleinement tant une installation en soi-<br />

rée qu'un départ matinal. Tirer enfin et sûrement le meilleur profit d'un tel<br />

investissement en organisation domestique et familiale est d'ailleurs l'une des<br />

raisons qui nous encouragera à repartir une prochaine année. En situation de<br />

camping, Maman louve aura dormi sous la tente avec Romulus et Rémus pour<br />

<strong>les</strong> protéger contre d'éventuels prédateurs. Papa loup aura préféré le confort<br />

pullman et <strong>les</strong> sièges couchettes de la voiture, se réservant pour une éven-<br />

tuelle intervention de deuxième niveau en cas d'attaque grave. Ce dispositif<br />

de sécurité alibi n'aura jamais été sollicité, ce qui va de soi. La taille réduite<br />

de la tente d'une part, mes réveils matinaux d'autre part, proposent une ex-<br />

plication plus réaliste.<br />

R<br />

André préserve sa tranquillité tout en se réservant pour une éventuelle intervention<br />

éveillé à 4h 15 ce jour là, dans la nuit encore, je cherche et trouve une<br />

table et un espace couvert sur le camp pour y rédiger quelques notes. A<br />

5h45, donnant suite à la demande de Pauline, je réveille cette dernière pour<br />

une exploration du site au jour naissant.


Dans <strong>les</strong> arbres hauts qui bordent l'étang, <strong>les</strong> ibis vont de plus en plus fort en<br />

conversation, planifiant probablement <strong>les</strong> vols du jour et <strong>les</strong> secteurs à explo-<br />

rer. Sans considération pour le silence qui persiste au niveau du sol, ils va-<br />

rient <strong>les</strong> positions sur <strong>les</strong> arbres, passent de l'un à l'autre, testent dans le ciel<br />

leurs formations.<br />

31<br />

Au bord du sentier, l'herbe est haute, l'air froid, l'atmosphère vaporeuse, un<br />

très faible brouillard entamant sa dispersion. Les sunis, petites gazel<strong>les</strong> pas-<br />

sablement familières ne nous surprennent plus tout à fait, restant à distance<br />

et s'en tenant, pour territoire, au camp qu'el<strong>les</strong> avaient partagé avec nous la<br />

veille au soir.<br />

A<br />

u loin d'abord et puis de plus en plus près dans <strong>les</strong> herbes hautes, un zè-<br />

bre et puis trois. Le souffle se retient et le pas se ralentit à entrevoir <strong>les</strong><br />

rayures de leur flanc et de leur croupe au trait si <strong>net</strong>, fin et élégant, délimi-<br />

tant ainsi des formes qui réhabilitent assurément <strong>les</strong> rondes. Ces formes et<br />

ces traits se précisent dans une clarté encore contenue qui entame de plus en<br />

plus délibérément la nuit.<br />

P<br />

Considérée au travers du prisme défor-<br />

mant du regard d'un père – elle se refuse<br />

souvent à avouer ses émotions - Pauline<br />

paraît tout émoi par <strong>les</strong> battements de<br />

son cœur et par la fascination du regard<br />

mais toute retenue par le silence et<br />

l'immobilité qu'elle impose à son corps.<br />

lus bas, auprès du barrage traversé hier soir en voiture, <strong>les</strong> hippos<br />

confirment leur présence et leur autorité paisible sur <strong>les</strong> lieux. La mani-<br />

festation la plus tangible de chacun est la présence en surface de deux na-<br />

seaux, de deux yeux et de deux oreil<strong>les</strong> en deux rangées de trois. <strong>So</strong>it 4 ronds<br />

noirs dont deux en plein et deux en creux et deux pointes qui moulinent à<br />

l'arrière. L'eau se veut parfaitement plate et immobile, tirée cependant vers<br />

le ciel par de fins traits de vapeur et par le reflet des troncs d'arbre à sa sur-<br />

face. Quelques ronds l'animent par épisode, annonçant la timide sortie d'un<br />

pachyderme. On a du mal à concevoir qu'un animal aussi lourd partant en


apnée ou bien faisant surface puisse venir caresser l'eau avec tant de délica-<br />

tesse. J'ai toujours observé que <strong>les</strong> gros sont heureux dans l'eau. Ils s'en font<br />

une amie. Les maigres, dont je suis, s'y agitent et s'y fatiguent.<br />

De l'ombre à la lumière…chaque jour est un avènement.<br />

Il nous revient d'en faire un évènement.<br />

32<br />

Une fois le monde retrouvé, <strong>les</strong> membres réchauffés et le petit déjeuner pris,<br />

le roadbook nous signifie qu'au terme de 430 km de route et de piste ce jour-<br />

là, nous passerons de nouveau la nuit dans nos tentes dans la Mopaya Game<br />

Reserve, une réserve privée de chasse tenue par Michel, un Français. Le lieu<br />

nous laissera sans protection particulière et en position de parfaits intrus face<br />

aux occupants de la réserve, dont des lions et des léopards. Quittant Milwane<br />

et passant à Mbabane, toute proche capi-<br />

tale du Swaziland, Philippe, Nadine, Lau-<br />

rent, David et Manu, deux équipages<br />

ayant solidement prévu l'aspect humani-<br />

taire de leur déplacement, étaient reçus<br />

à l'hôpital de la ville. Là, ils remettaient<br />

très officiellement aux autorités <strong>les</strong> car-<br />

tons de médicaments qu'ils avaient réunis<br />

et fait acheminer quelques semaines auparavant, bravant par eux-mêmes<br />

toute la complexité administrative d'un tel envoi. Laurent, médecin généra-<br />

liste, ne sera pas peu impressionné quand le médecin chef de l'hôpital dira<br />

combien de mois de consommation pour l'établissement représente chacun


des lots ainsi remis. Philippe, auquel je demandais à la fin de notre périple<br />

s'il organiserait lui-même un prochain voyage en Traction à l'étranger, me<br />

disait qu'il ne le fera que s'il parvient à lui donner, au travers de l'association<br />

Traction Sans Frontière crée pour la circonstance, cette dimension d'aide.<br />

L'équilibre de cette action paraît reposer, comme nos amis l'expliquent bien,<br />

sur un dosage équilibré d'ouverture et de partage de leur part et de la part<br />

des donateurs, de recyclage intelligent des médicaments et de l'argent que<br />

<strong>les</strong> laboratoires consacrent à leur promotion et d'aide financière toute mesu-<br />

rée et limitée pour que chaque membre de la petite équipe puisse réaliser<br />

son aventure Tracbar. Bravo <strong>les</strong> amis.<br />

Mopaya<br />

Les girafes ont eu le bon ton de se<br />

tenir très près de l'entrée de la ré-<br />

serve lors de notre arrivée à Mopaya.<br />

Il s'agissait des premières qu'il m'était<br />

donné de contempler ainsi. On s'inter-<br />

roge à leur propos comme à propos des zèbres : quel dessein a bien pu conce-<br />

voir et réaliser de tels jeux de traits, de matière et de formes sur ce qui tient<br />

lieu pour el<strong>les</strong>-mêmes et pour la nature de peau, de vêtement, de tapisserie,<br />

de décor et de parure ? L'élégance de leur silhouette laisse béat lorsque, leur<br />

corps entièrement tendu, el<strong>les</strong> s'affairent à chercher haut leur nourriture<br />

dans <strong>les</strong> arbres. Les galbes et la répartition des masses paraissent parfaits.<br />

L'une d'entre el<strong>les</strong> se retourne-elle pour vous considérer tandis que vous êtes<br />

33<br />

au spectacle ? Vous sentez alors se poser sur vous le regard mi-enjôleur, mi-<br />

innocent d'une muse. En trois pas lents, lassifs, retenus et non moins effica-<br />

ces, la muse passe hors du champ de l'objectif. Mais alors pourquoi - j'inter-<br />

roge la nature - malgré cette grâce presque intégrale, la mauvaise brisure et<br />

la bosse qui marquent le jarret et qui affectent le soubassement du cou au<br />

moment de la marche ? S'agissait-il, au travers d'une migration honteuse des<br />

tissus osseux et de la disgrâce qu'elle provoque à mon <strong>sens</strong>, de sanctionner la<br />

vocation de la girafe à paraître belle, absente et frivole ou encore de sanc-<br />

tionner son aptitude à toujours tout considérer de très haut ?<br />

J'ai souvent éprouvé de la tristesse à la vision d'une<br />

femme voûtée et nos sentiments nous accompagnent<br />

parfois là où on ne <strong>les</strong> attend pas.<br />

Nous sommes, bien sûr, sortis de la voiture pour par-<br />

tager le repas de nos hôtesses végétaliennes. Nous<br />

étions alors en grand danger, nous a-t-on assuré plus<br />

tard à la réserve. Ces notions-là resteront mystère<br />

pour moi. La carte du danger ne sert-elle pas d'alibi pour conserver au monde<br />

sauvage le peu de liberté qu'on lui concède ? Aucun ossement de touriste<br />

dépecé par <strong>les</strong> fauves ne lui ayant été présenté dans un parc, l'optimiste<br />

conclura que l'accident ne s'est jamais produit. Le pessimiste conclura qu'il<br />

s'agit d'une réalité que l'on tient à cacher. Eric, notre organisateur, appelait<br />

<strong>les</strong> cabriolets du rallye <strong>les</strong> gamel<strong>les</strong> du chien, façon de dire que nous avions<br />

vocation à être dévorés par <strong>les</strong> fauves ou enlevés par <strong>les</strong> éléphants.<br />

J<br />

e n'ai pas encore parlé du ciel austral mais mon intention ce soir-là était<br />

de dormir dans la voiture à l'air libre, tant <strong>les</strong> étoi<strong>les</strong> étincelaient et s'al-<br />

lumaient en grand nombre, façonnant pour nous une cloche protectrice. Mi-<br />

chel, notre hôte m'en aura fortement dissuadé. La portion de piste de part et<br />

d'autre de laquelle sont disposées <strong>les</strong> voitures et <strong>les</strong> tentes sera éclairée en<br />

soirée par une rangée de lampes tempêtes. Il nous a été demandé de ne sor-<br />

tir la nuit sous aucun prétexte après l'extinction des feux. Le signal du réveil<br />

nous sera donné au matin après qu'une battue par le personnel de la réserve


ait permis de s'assurer qu'aucun fauve n'était présent sur le secteur. Chacun,<br />

cette nuit-là, aura pratiqué la rétention.<br />

A<br />

Plus Pluriel que la Pluriel de Citroën !<br />

A Mopaya, le Cabriolet 15 Safari de<br />

Pauline et de Marc-André rivalise avec<br />

le Toyota qui conduira – sans nous - le<br />

groupe à la rencontre des fauves le<br />

lendemain.<br />

propos de Mopaya, Marie-Julie écrivait dans son car<strong>net</strong> qu'il s'agissait<br />

d'un parfait décor pour jouer Le Roi Lion. Le souvenir du lieu restera pour<br />

nous intense, tant <strong>les</strong> infrastructures, simp<strong>les</strong>, sobres et bel<strong>les</strong>, savaient se<br />

taire, plaçant au premier rang dans la conversation une nature plus sobre<br />

encore et dépouillée, tellement proche de l'Afrique que l'on rêve. En cette<br />

saison, nous n'aurons jamais souffert ni de la chaleur ni des moustiques. Cela<br />

n'aura pas été indifférent au charme des lieux rencontrés.<br />

Bon réveil, Paul et François, bon réveil petit Louis !<br />

34<br />

Mopaya - Kruger Park – Mozambique – Francistown (Botswana)<br />

A 6h45 ce 4 août 2004, Gérard et<br />

Brigitte Leclere étaient réveillés par<br />

Mozart. Ces jeunes retraités gâtés par<br />

la vie avaient, dans la nuit, abandon-<br />

né toutes leurs vanités et leurs privi-<br />

lèges (nuit du 4 août soit dit) en dor-<br />

mant juchés sur la galerie d'une<br />

vieille Traction en pleine savane Afri-<br />

caine. Déchargeant ce qui restait de<br />

batterie sur mon ordinateur portable,<br />

je leur offrais le bonheur - en ont-ils<br />

gardé le souvenir - d'un réveil "Out Of<br />

Africa". Deux heures plus tard, nous<br />

partions avec eux pour rejoindre le<br />

parc Kruger, l'une des plus belle et<br />

des plus grande réserve animalière au<br />

monde. 350 km du nord au sud et 60<br />

km en moyenne d'est en ouest.<br />

La veille au soir, la Blonde Nicky, associée de Michel s'était habillée en tenue<br />

d'hôtesse pour nous accueillir et, de la piste même par laquelle nous étions<br />

arrivés en voiture, nous orienter vers <strong>les</strong> tab<strong>les</strong>. Mark-Andrew, son ami, ser-<br />

vait l'apéritif. Le couple, au petit matin, avait accompli sa métamorphose et<br />

portait sa tenue de ranger : casquette à longue visière, chemise à poches et<br />

manches courtes, jean, chaussures montantes. (N'aurais-je pas à vrai dire<br />

quelque peu fantasmé sur la dite Nicky que l'on voit ici en photo ?) Nous se-<br />

rions alors partis en brousse avec eux pour une journée de marche en toute<br />

confiance et sans leur demander s'ils emportaient avec eux une arme pour<br />

nous défendre. Un simple habit, plus encore quand le décor s'y ajoute, fa-<br />

çonne des personnages de légende. Abel Gance racontait combien, lors du<br />

tournage de son film Napoléon, des figurants partageant la même origine et<br />

la même condition étaient, l'espace du tournage, devenus pour <strong>les</strong> uns des


officiers distingués et tyranniques, pour <strong>les</strong> autres, des soldats grossiers et<br />

soumis.<br />

C'est bien devant Becky l'autruche, non pas devant Nicky qu'André fait le paon.<br />

35<br />

Oliphants est l'un des beaux sites de Kruger. Le camp et <strong>les</strong> installations<br />

forment un belvé-<br />

dère sur la rivière<br />

du même nom. De<br />

cette hauteur, on<br />

domine le cours<br />

d'eau et ses bras au<br />

milieu d'une vaste<br />

plaine inondable.<br />

L'espace est déga-<br />

gé. On accède d'un<br />

coup à la vision de<br />

la faune, que celle-<br />

ci occupe l'eau, <strong>les</strong><br />

herbages, la forêt<br />

ou <strong>les</strong> rochers. A Letaba, dans l'Elephant Hall, sont exposées <strong>les</strong> défenses ou<br />

<strong>les</strong> reconstitutions partiel<strong>les</strong> des "7 magnifiques", <strong>les</strong> plus grands éléphants<br />

jamais découverts en Afrique du Sud. La visite de ce bâtiment tout entier<br />

dédié au gigantesque herbivore aurait mérité plus que la demi-heure que<br />

nous lui aurons consacrée.


V<br />

oyageurs trop pressés, toujours contraints par l'ambition de notre périple<br />

et par <strong>les</strong> jonctions à réaliser, nous aurons abordé Kruger par Phalabor-<br />

wa, à mi-chemin entre le nord et le sud. Bien que venant du sud, nous avions<br />

évité le parc pour rouler suffisamment vite. Nous lui consacrerions à peine<br />

trois demi-journées dans notre cas, deux pour certains de nos amis. Nous<br />

nous étions en effet séparés du groupe le matin pour partir à deux voitures<br />

seulement, <strong>les</strong> autres visitant une réserve privée. Après être redescendus<br />

légèrement vers le sud pour rejoindre Oliphants, il nous fallait remonter à<br />

Shingwezhi dans la partie nord. C'est de nuit que nous sommes arrivés dans ce<br />

camp pour y dormir. Dans ces conditions, il ne nous aura pas été donné d'être<br />

aux aguets aux meilleures heures, soir ou matin, ou d'attendre, aux heures<br />

chaudes, la venue des animaux aux points d'eaux. A vrai dire, c'est à ces der-<br />

niers qu'il revenait de nous attendre s'ils voulaient être au spectacle et voir<br />

passer nos voitures. Trop peu, parmi nos hôtes à quatre pattes, à Kruger du<br />

moins, auront ainsi compris notre venue. Les heures plus chaudes de la jour-<br />

née <strong>les</strong> auront vu préférer <strong>les</strong> parties ombragées du parc aux abords dégagés<br />

de la route. Nous avons la certitude cependant que Kruger regorge d'animaux.<br />

Ils s'offrent à ceux qui, respectant <strong>les</strong> rythmes de la nature, apprennent à<br />

connaître <strong>les</strong> espèces et se donnent le temps de la découverte. Cela est une<br />

bonne chose et c'était une perversion d'anthropomorphe que d'imaginer ren-<br />

contrer un lion sain et bien portant au bord d'une route. Pauline aura conçu<br />

un grand dépit certains soirs à l'idée de terminer le voyage sans avoir ren-<br />

contré de léopard. Le fauve était dans notre moteur. Il traçait notre route.<br />

36<br />

S<br />

hingwedzi et ses lodges nous offraient ce soir-là le confort d'un village<br />

vacances qui aurait été très bien équipé dans la France des années 1970.<br />

Cela était bien suffisant mais la surenchère de raffinement et de décoration<br />

que nous avons rencontrée dans certains hébergements en hôtel ou en lodge<br />

nous rendait exigeants. Heureusement, <strong>les</strong> soirées de camping ramenaient<br />

bien à propos le compteur de nos espérances à un étiage raisonnable. Quel-<br />

ques uns dans le groupe avaient fait, au moment de leur inscription, le choix<br />

de dormir chaque soir ou presque dans une chambre. S'ils se privaient des<br />

joies du camping, le confort du voyage pour eux se trouvait <strong>sens</strong>iblement<br />

accru. Il aura été plus d'un équipage de campeurs, certains soir, pour transi-<br />

ger et demander une chambre quand il en était de disponib<strong>les</strong>. Le parc de<br />

voitures comptait 28 Traction et 2 voitures modernes. Le groupe dans son<br />

ensemble représentait 75 personnes à nourrir et faire dormir. Les participants<br />

ont tous su gré à l'organisation d'un gîte et d'un couvert qui n'auront jamais<br />

défailli. Globe Driver s'était fait relayer, pour ces tâches, comme pour le<br />

franchissement des frontières, par la société Akilanga, un opérateur implanté<br />

en Afrique du Sud.


a liberté n'est pas un choix facile et nous étions libres de choisir nos pistes<br />

Lpour circuler dans Kruger ce jeudi 6 août. A la condition d'en sortir avant<br />

e midi fut piquant et rempli d'aventure. Ayant rencontré Olivier et Manon,<br />

Lc'est<br />

avec eux que nous cheminerons jusqu'au soir. Olivier tient à Cannes<br />

15 heures si nous voulions respecter <strong>les</strong> consignes de l'organisation. La ren- une entreprise de mercerie en gros dont le stock aura considérablement pâti<br />

contre d'un troupeau de buff<strong>les</strong> dès notre premier écart de la route principale<br />

pour rejoindre par la piste la rivière Mphongolo paraissait le bon choix. Hélas,<br />

si nous nous en tenons aux récits de certains équipages et à notre légère frus-<br />

tration en fin de journée, il ne semble pas que cela était la carte à jouer ce<br />

matin-là. Il n'était pas, en principe, de Tartarin de Tarascon parmi nous. Les<br />

seu<strong>les</strong> armes autorisées étant la photo et la vidéo, c'est par écran et pixels<br />

interposés qu'aurait pu se jouer la confrontation et présentation des tro-<br />

phées. Nous n'en aurons pas pris le temps durant le voyage.<br />

Pour notre plus grande déception, <strong>les</strong> films et <strong>les</strong> photos prises par le camé-<br />

raman et la photographe qui nous accompagnaient durant le trajet répon-<br />

dront furieusement absents au retour.<br />

37<br />

d'un violent orage suivi d'un dégât des eaux ces jours mêmes où nous voya-<br />

gions ensemble. La mécanique et <strong>les</strong> pièces d'usure de sa Traction 11 BL de<br />

1954 sont d'origine. Le compteur aura affiché ses 99 999 km ce jour-là. Re-<br />

partir à zéro est une belle aventure après 50 ans d'existence. C'est mon âge.<br />

Manon aura été l'amie de Pauline durant le Tracbar.<br />

Concours de sieste à la confluence du Limpopo et de la rivière Pafuri<br />

La cohabitation douce entre hippos et crocos sur <strong>les</strong> bancs de sable à Corner Hooks,<br />

point de rencontre du fleuve Limpopo et de la rivière Pafuri, alimentera désormais à<br />

vie mes envies de sieste. Elle pourrait tout autant faire rêver de relations enfin pacifiées<br />

entre Georges Bush, actuel président des Etats-Unis, et le reste du monde.


L'entrée au Mozambique aura pris pour <strong>les</strong> enfants la tournure de l'arrivée d'un marathon,<br />

avec plateau repas au finish. Ils n'avaient pas oublié que la partie orientale du<br />

continent africain héberge <strong>les</strong> meilleurs coureurs mondiaux sur très longues distances.<br />

Manon, Marc-André et Pauline seront moins valeureux dans <strong>les</strong> instants qui suivront<br />

pour s'aventurer sans visa dans le pays.<br />

A<br />

notre palmarès de grand voyageur en Afrique Australe, le Mozambique<br />

devait en principe manquer. Cette destination, parmi bien d'autres lé-<br />

gendes, était réputée difficile. Et bien non, la juste dose de culot – celle qui<br />

sied au voyageur et plus encore à celui qui voyage en Traction - allait nous<br />

permettre d'accrocher sur nos passeports cette destination, via le poste fron-<br />

tière de Pafuri. Nos voitures placées bien en évidence mais tenues à distance<br />

suffisante du poste frontière sud-africain, nous nous sommes attachés dans un<br />

premier temps à apprivoiser le petit monde en uniforme qui tournait sur le<br />

secteur. Il aura été plus difficile, à vrai dire, de conjurer l'angoisse de nos<br />

propres enfants devant nos audaces de parents, tant l'enfant d'aujourd'hui est<br />

tout sauf un aventurier.<br />

Le montage fut, en définitive le suivant : le chef du poste de police Sud Afri-<br />

cain de Pafuri appelait son homologue du Mozambique, éloigné de 300 mè-<br />

tres. Celui-ci détachait un policier pour venir nous chercher. Nous franchis-<br />

sions la frontière Sud Africaine accompagnés d'un policier de chaque nationa-<br />

lité et remettions nos passeports au poste frontière du Mozambique.<br />

38<br />

Marie-Julie solidement encadrée : un policier sud-africain, un autre du Mozambique<br />

Accompagnés par nos deux acoly-<br />

tes, nous marchions jusqu'au pre-<br />

mier village. Parvenus à ce point,<br />

nous offrions à l'un et à l'autre une<br />

bière et un coca extraits d'un mi-<br />

nuscule étal en bois. Ils choisis-<br />

saient alors de prolonger la pause,<br />

nous conduisant dans un bar plutôt<br />

glauque. Le fonctionnaire du Mo-<br />

zambique posait ici pour une pho-<br />

to avec la jeune fille du village<br />

dont il aimerait probablement qu'elle soit sa promise. L'autre nous disait dans<br />

le même temps combien le service qui nous était rendu était dérogatoire du<br />

droit commun, représentait pour eux un risque et méritait récompense. A ce<br />

moment, le doute m'aura effleuré quant à nos chances de quitter à l'heure<br />

non seulement le Mozambique mais aussi le parc Kruger. Je me suis toujours<br />

refusé à payer <strong>les</strong> menus services et faveurs qu'un fonctionnaire peut offrir


pour le compte de son administration et je ne transigerais pas cette fois-là.<br />

Mon idée était que le filet tendu menaçait nos accompagnateurs en défaut<br />

vis-à-vis de leur règlement plus que nous. Ma compréhension limitée du por-<br />

tugais d'un côté et de l'anglais de l'autre côté, compensés par la richesse du<br />

vocabulaire et l'exubérance de Marie-Julie pour exprimer l'extase et le re-<br />

merciement, nous auront permis de nous dé<strong>sens</strong>abler. Nous avons d'un coup<br />

pressé le pas en direction de la frontière, nos préposés se trouvant alors<br />

contraints de nous suivre. Quelques minutes plus tard, nous manifestions au<br />

chef de poste Mozambicain notre contentement et notre reconnaissance infi-<br />

nie pour le passage qu'il avait autorisé. Il nous remettait aussitôt nos précieux<br />

documents. Toujours accompagnés, nous avons rejoint nos véhicu<strong>les</strong>. A 14h<br />

59, nous rassurions nos organisateurs en franchissant la sortie du parc, der-<br />

niers équipages sur la liste. Il nous restait à subir le stress d'une station d'es-<br />

sence non approvisionnée et d'une réserve prêtée par Olivier qui n'en finissait<br />

pas de se vider. Nous sommes cependant arrivés à notre destination sans en-<br />

combre.<br />

Le Dongola Ranch,<br />

qui nous accueille ce<br />

soir-là, est un sommet<br />

de sophistication dans<br />

l'art d'accueillir à la<br />

ferme. Trente person-<br />

nes sont toute entières<br />

dévouées aux hôtes de<br />

passage. D'immenses<br />

huttes ou abris d'une<br />

taille comparable à celle de hangars abritent sous des moustiquaires des<br />

campements individuels : bungalows et loggias, caravanes, voitures…Une<br />

volière comparable aux plus bel<strong>les</strong> que nous aurons rencontrées en Indonésie<br />

est adossée aux bâtiments et <strong>les</strong> dépasse en hauteur. Le sol est une succes-<br />

sion de placettes, de cheminements et de terrasses recouverts de brique<br />

posée en mosaïque. Un bâtiment présente une collection de matériel agricole<br />

ancien. Bar, restaurant, piscine… Une épaisse pelouse accueillera nos tentes.<br />

Un piton rocheux en forme de dôme domine l'ensemble. Il offre 360 degrés<br />

39<br />

d'une vision qui paraît infinie sur une terre qui alterne la couleur ocre d'un<br />

rocher cisaillé par l'érosion et le vert d'une belle végétation arbustive.<br />

L'étape suivante nous conduira à Francistown, au Botswana, au terme de 430<br />

km. Raphaël, le tout jeune caméraman qui accompagne le voyage, est des<br />

nôtres dans la voiture, comme le sera à l'occasion Tatiana, jeune femme pho-<br />

tographe et Russe.<br />

Le cabriolet offre<br />

une place de choix<br />

pour filmer et rap-<br />

porter des images<br />

en vue du film qui<br />

retracera l'aventure<br />

Zulu 2004. Globe<br />

Driver disposera de<br />

tant et tant de<br />

films ou de photos<br />

à l'issue des deux<br />

rallyes que chaque<br />

équipage est fondé<br />

à s'interroger sur la<br />

petite part qui<br />

pourra bien revenir<br />

à lui-même ou à<br />

son véhicule dans<br />

<strong>les</strong> reportages qui<br />

suivront le rallye.<br />

Globe-Driver pro-<br />

met en effet un<br />

film et un livre qui<br />

retracent ce der-<br />

nier. Nous savons<br />

ce que produit


Raphaël pour avoir vu le film qu'il a monté à partir des 70 ans de la Traction<br />

organisés par au Château de Versail<strong>les</strong> le 24 avril de cette année. La produc-<br />

tion est alerte, créative et très enlevée. Nous étions donc impatients de voir<br />

<strong>les</strong> images à venir. Quant aux livres déjà parus, <strong>les</strong> photos sont souvent at-<br />

tractives, voire exceptionnel<strong>les</strong> pour certaines, du fait de l'alliance inatten-<br />

due entre des lieux peu ordinaires et souvent mythiques qui servent<br />

de décor<br />

et des<br />

voitures qui ne manquent pas d'étonner.<br />

Au moment de reprendre ou de rédiger ce texte, nous avons connaissance du<br />

film et de l'ouvrage. Les participants du mois d'août conçoivent quelque dépit.<br />

L'essentiel des images et des reportages concerne le trajet effectué en juillet<br />

ou bien <strong>les</strong> organisateurs eux-mêmes. Tatiana semble ne pas exister, ni sa<br />

personne, ni ses œuvres.<br />

Cela nous conforte dans l'indépendance à laquelle nous sommes attachés et<br />

sonne comme une invitation, pour chacun, à se faire l'auteur de son propre<br />

voyage et récit. Nous n'éprouvons que plus de satisfaction, en ce mois de dé-<br />

cembre à écrire et composer notre texte en famille tout en rêvant de notre<br />

prochaine destination de l'été 2005. Pour tous, il reste de bel<strong>les</strong> pages blan-<br />

ches à écrire mais attention, si le numérique offre de plus en plus de ressour-<br />

ces, écrire reste un labeur… Il est plus facile de tourner la clé de contact et de<br />

tirer sur le démarreur de la voitur e.<br />

Raphaël – on revient à lui - est pré-<br />

occupé durant toute cette matinée par<br />

la perte, la veille, de son passeport.<br />

Le lendemain, il doit impérativement<br />

rentrer en France pour rejoindre une<br />

autre destination. Pauvre Raph… A la<br />

frontière du Botswana, alors que nous<br />

avons tous quitté nos voitures pour<br />

satisfaire aux obligations de contrôle<br />

de la douane et de la police, le policier zélé qui l'aborde n'est pas long à dé-<br />

couvrir sa situation irrégulière. A la surprise de tous – ou presque - il menotte<br />

Raphaël, le charge malgré sa résistance dans un véhicule de patrouille et<br />

démarre en trombe, passant de l'autre côté de la frontière. Au sein du<br />

40<br />

groupe, la tension est rapidement désamorcée. Chacun réalise qu'il s'agit d'un<br />

vieux truc de Eric pour marquer au fer ses participants préférés au Tracbar.<br />

Un ami Suisse aura ainsi passé plusieurs heures dans une prison aux Etats-Unis<br />

lors de la traversée du pays en 2002. Arrivé tôt au poste frontière et fort de<br />

complicités établies lors des passages précédents - deux reconnaissances et le<br />

rallye de juillet – notre bon Général Tracelaroute<br />

aura convaincu <strong>les</strong> policiers<br />

locaux de simuler une arrestation arbitraire.<br />

té. On en retiendra l'humour.<br />

On<br />

oubliera<br />

ce qu'était le régime politique du pays dix ans en arrière.<br />

J'accepterai avec d'autant plus de cœur le lendemain<br />

de coller sur nos canti-<br />

nes<br />

<strong>les</strong> stickers publicitaires de l'hôtel Thampana.<br />

Humble mais<br />

pratique mobilier pour une activité qui consiste à camper et<br />

décamper.<br />

C'est Caroline qui avait subtilisé le<br />

passeport la veille. Raphaël revien-<br />

dra 10 mn. plus tard, passablement<br />

marqué au moment où le policier lui<br />

enlèvera <strong>les</strong> menottes, heureux ce-<br />

pendant d'avoir vécu une expérience<br />

extrême. <strong>So</strong>n récit est éloquent<br />

quant à l'art de l'intimidation et de la<br />

mise en scène dont aura témoigné le<br />

policier Sud Africain qui l'avait arrê-<br />

A Francistown, notre ordinaire d'une chambre pour quatre et deux grands lits<br />

quand nous dormons à l'hôtel se transforme en deux pièces spacieuses dotées<br />

de deux lits chacune. Nous trouverons mieux encore à Walvis Bay par la suite.<br />

e soir, ma curiosité me conduit à pénétrer, non loin de l'hôtel, dans une<br />

C galerie marchande dont <strong>les</strong> boutiques viennent de fermer. Celle-ci débouche,<br />

à son extrémité, sur un marché qui doit être important la journée. Il<br />

est 18h30. La nuit étant tombée, <strong>les</strong> commerçants ont plié boutique. Restent<br />

seulement, au bord du trottoir un alignement de femmes, chacune installée<br />

derrière une table de pique-nique faisant pour elle office de vitrine et d'étal.


J'éprouve à cet instant le sentiment de partager avec ces femmes la précarité<br />

du sans sol et du sans domicile, celle qui voit l'être précaire se poser le soir<br />

pour disparaître au petit jour. Nous sommes tous éphémères. "La vie est<br />

courte, le monde est vaste. Plutôt vivre ses rêves que rêver sa vie". Cette<br />

tautologie, écrite par Eric comme dédicace sur un livre offert à Marc-André,<br />

emporte nécessairement l'adhésion. La vie est si bien faite qu'elle insuffle à<br />

chacun, pour une part au moins, des rêves à sa porté e. Il est, de par le<br />

monde, des petites fil<strong>les</strong> qui rêvent de disposer ainsi d'une table pour la poser<br />

à Francistown et y développer leur commerce.<br />

Les visages de ces femmes qui commercent sont éclairés par une minuscule<br />

lampe à économies autant qu'à pétrole. Derrière chacun sourd un rêve, une<br />

pensée, une préoccupation. Les expressions varient d'un étal à un autre,<br />

d'une femme à une autre : la dominante est grave mais le pétillant et l'en-<br />

joué sont représentés eux aussi. Les expressions de force, d'espérance ou de<br />

confiance côtoient la lassitude, l'abandon, <strong>les</strong> attentes déçues. Sur <strong>les</strong> tab<strong>les</strong>,<br />

des bonbons ou d'autres confiseries chaque fois vendus à l'unité ou par petits<br />

lots de 5, des biscuits pauvres en goût, un peu de salé, quelques artic<strong>les</strong> de<br />

bazar... Rien cependant qui permettrait ici de prendre un repas ou de s'éton-<br />

ner devant l'originalité d'un produit. Pas même un réchaud, gaz ou charbon<br />

de bois allumé, pour signaler le confort d'une boisson qu'on prépare ou d'un<br />

échange à venir.<br />

Je regrette alors <strong>les</strong> rues de Tananarive ou de Tamatave à Madagascar pour<br />

<strong>les</strong> brochettes de viande ou de légumes, le riz, <strong>les</strong> beig<strong>net</strong>s et <strong>les</strong> fruits qu'on<br />

y trouve en abondance. Je regrette la médina de Dakar pour ses briques<br />

d'arachide caramélisées et pour <strong>les</strong> décoctions de kinkiliba qu'y servent <strong>les</strong><br />

Maliens, au raz du sol, à l'angle des rues. Chez ces derniers, le geste qui sert<br />

la personne qui s'arrête et qui consomme est magnifique. Dans <strong>les</strong> métiers <strong>les</strong><br />

plus humb<strong>les</strong>, <strong>les</strong> gestes sont d'autant plus beaux que le métier a du prix dans<br />

la vie de celui qui l'exerce. Peu de chose représente tout pour celui qui n'a<br />

rien.<br />

41<br />

Cet homme ne vit pas à<br />

Francistown mais au<br />

Lesotho. A l'aide de sa<br />

machine à coudre, il a<br />

réparé la fermeture<br />

latérale de notre ca-<br />

pote. Il nous a demandé<br />

20 cts d'euros. Nombre<br />

de ses proches rêvent<br />

d'une telle machine.<br />

Demi-gros et détail : le commerce commence avec un kilo acheté<br />

au grossiste, kilo ensuite fractionné et vendu au détail


Cela est parfois le secret du bon-<br />

heur, de la joie ou de l'espérance<br />

chez ceux qui sont pauvres. Je<br />

songe également à Ziguinchor en<br />

Casamance pour <strong>les</strong> fêtes qui<br />

sonnent ou qui dansent au pas-<br />

sage. Je regrette Tanger ou Mar-<br />

rakech pour la richesse de leur<br />

artisanat et pour le travail qui s'y<br />

accomplit sous <strong>les</strong> yeux du pas-<br />

sant. Si l'ambiance à Francistown est ce soir au repli, au recueillement et à la<br />

nuit, la ville et le pays ne sont pas la principale raison de cet engourdisse-<br />

ment je suppose et j'espère. L'hiver est une saison rude sur tous <strong>les</strong> marchés<br />

du monde. La nuit tombée trop tôt rompt le lien du commerce. Pour <strong>les</strong><br />

femmes qui sont là ce soir, l'objectif est d'assurer, au moyen de quelques<br />

pièces à gagner, le passage de demain à après-demain. On entrevoit l'espoir<br />

cependant qu'au printemps ou durant l'été qui suivra l'hiver où nous sommes,<br />

le tout s'éveillera. Je serais étonné que la joie du commerce et de la rue<br />

puisse ainsi se mettre en veilleuse et s'éteindre. Montesquieu, voyageait bien<br />

avant nous et disait déjà que, là où il y a du commerce, on trouve des mœurs<br />

douces.<br />

P<br />

our la trentaine de femmes présentes sur ce trottoir, la valeur marchande<br />

cumulée de ce qu'el<strong>les</strong> offrent à la vente représenterait-elle 250 euros ?<br />

Un paradoxe heureux des pays pauvres, c'est la ressource considérable que<br />

représente la pauvreté quand cette dernière s'accompagne de la nécessité et<br />

de l'envie de chacun de faire face, à partir de rien ou de presque rien. Le<br />

commerce commence avec le paquet d'un kilo de biscuits acheté au grossiste<br />

à raison d'un par jour ou bien tous <strong>les</strong> deux jours et puis revendu le soir sur le<br />

bord du trottoir. En cela, il est capital de se le dire, c'est une grande res-<br />

source et richesse pour nos propres pays qu'on dit riches de recevoir autant<br />

d'étrangers dont le mobile du voyage et dont l'envie sont de travailler, d'ap-<br />

prendre, de s'élever et d'assurer à leurs enfants plus qu'ils auront reçu pour<br />

eux. Le travail au noir lui-même en vient à être une ressource. La société<br />

42<br />

officielle n'est en mesure d'absorber ni l'offre de travail ni la demande. A trop<br />

protéger <strong>les</strong> uns, on expose <strong>les</strong> autres. Imagine-t-on que Paris, Londres ou<br />

New-York sauraient se passer un seul jour du labeur des cohortes de travail-<br />

leurs qu'el<strong>les</strong> accueillent en provenance des pays <strong>les</strong> plus pauvres ? Cela non<br />

seulement en raison des services qu'on en reçoit mais tout autant pour le rêve<br />

qui <strong>les</strong> porte, pour la force qui <strong>les</strong> anime, pour la nécessité qu'ils ont d'exis-<br />

ter.<br />

Francistown, Kasane, Livingstone<br />

L<br />

a longue étape de 540 km qui nous conduira de Francistown à Kasane,<br />

toujours au Zimbabwe, nous rapproche de Livingstone et des chutes Victo-<br />

ria, point le plus au nord de notre périple et que je considère depuis notre<br />

départ comme étant le point d'orgue de notre voyage. Le road book nous<br />

prévient : "l'après-midi, faire une ligne droite d'environ 300 km vers Kasane,<br />

tourner à gauche en entrant dans Kasane, puis à droite vers le Thebe River<br />

Safari Camping…".<br />

Pour la circonstance, la<br />

famille se disperse, favori-<br />

sant le brassage des équi-<br />

pages. Pauline roulera avec<br />

Manon et son père. Marc-<br />

André approfondira sa<br />

connaissance de l'Airbus A<br />

380 avec David et Manu<br />

tandis que Laurent, le troi-<br />

sième de cet équipage TSF,<br />

rejoint Marie-Julie et moi-<br />

même. Je lui confierai le<br />

volant pour partager le<br />

plaisir de la conduite. A<br />

Toulouse, le bureau de<br />

David surplombe le premier


A 380 en cours de montage. Laurent a laissé en France sa famille – faute que<br />

son épouse supporte l'avion - et sa Traction. Sa Traction est un cabriolet 1937<br />

dont il a récemment fait l'acquisition par un quasi hasard. Il s'agit d'une voi-<br />

ture exceptionnelle par son état d'origine, par l'historique complet et <strong>les</strong> do-<br />

cuments dont il dispose et par la famille qui l'a détenue depuis son origine. Il<br />

s'agit de la famille de François Mauriac. L'expert chargé par l'assurance d'en<br />

fixer la valeur lui a attribué une cote peut-être jamais atteinte par un tel<br />

modèle.<br />

La longueur et la monotonie du trajet seront compensées ce jour-là par le<br />

plaisir d'un arrêt prolongé dans un village et par la vitesse élevée à laquelle<br />

nous aurons roulé. Celle-ci nous aura permis d'arriver alors qu'il faisait jour,<br />

de choisir notre emplacement au bord de la rivière Thébé et de préparer<br />

l'apéritif du soir. Il s'y est ajouté le bonheur visible de Laurent au volant de la<br />

voiture. Pour ceux qui connaissent le motonautisme, notre équipier d'un jour<br />

aura qualifié notre engin de Riva de la piste. Le Riva est le bateau le plus<br />

43<br />

puissant et le plus confortable qu'on rencontre pour affronter <strong>les</strong> vagues à<br />

grande vitesse. Sensation confirmée par <strong>les</strong> amis qui auront pris le volant<br />

durant le voyage. La difficulté pour certaines voitures sur <strong>les</strong> pistes était<br />

d'atteindre et de conserver suffisamment longtemps la vitesse de 80 km/h et<br />

plus, c'est-à-dire la vitesse qui permet d'atténuer <strong>les</strong> vibrations provoquées<br />

par l'irrégularité de la chaussée et <strong>les</strong> vaguelettes qui se forment en surface,<br />

qu'on appelle tôle ondulée. La moindre côte ralentissant la voiture, le<br />

conducteur est alors contraint de réduire encore plus sa vitesse pour réduire<br />

la souffrance du véhicule. En cela, certains passages auront représenté pour<br />

quelques participants une véritable épreuve physique et nerveuse.<br />

L'homme qui nous aura introduit à son village réparait la clôture de sa maison.<br />

Bien que paraissant âgé, il était accompagné de jeunes enfants qui<br />

étaient <strong>les</strong> siens. Après quelques<br />

mots au cours desquels il nous<br />

disait n'avoir pour ainsi dire ja-<br />

mais vu une voiture inconnue<br />

quitter la route et pénétrer le<br />

village, nous lui avons demandé<br />

s'il acceptait de nous présenter<br />

ce dernier et de monter à bord,<br />

ce qui permettrait aux enfants<br />

de profiter de cette drôle de<br />

voiture. Il aura souhaité nous<br />

montrer la partie traditionnelle avec <strong>les</strong> cases rondes montées en torchis et<br />

couverte de chaume. Les habitants aiment à préserver ce type d'habitation<br />

mais ils cèdent progressivement à l'envie de constructions plus fonctionnel<strong>les</strong><br />

et plus durab<strong>les</strong>, <strong>les</strong> cases demandant une reconstruction périodique. Il nous<br />

aura montré le terrain de foot et <strong>les</strong> travaux de recherche d'eau au fond de la<br />

rivière, en lien avec le déficit de précipitations cet hiver. Il aura attaché une<br />

grande importance au fait de désigner un arbre au milieu d'une place à<br />

l'écart. Il s'agissait du lieu où se règlent <strong>les</strong> conflits entre <strong>les</strong> personnes au<br />

sein du village. La justice traditionnelle prévaut pour gérer <strong>les</strong> atteintes qui<br />

ne constituent pas des crimes au <strong>sens</strong> de la loi.


A<br />

Kasane, notre camp ce soir-là donnait sur la rivière et nous avions orien-<br />

té la tente au couchant. Aux abords immédiats, le terrain paraissait rava-<br />

gé par <strong>les</strong> traces d'animaux venus se désaltérer par un sol probablement plus<br />

humide <strong>les</strong> semaines précédentes que celui sur lequel nous plantions la tente.<br />

Il est impressionnant de voir ce<br />

que <strong>les</strong> hippopotames et <strong>les</strong> élé-<br />

phants peuvent laisser de traces<br />

sur leur passage, qu'il s'agisse du<br />

sol défoncé, des arbustes rava-<br />

gés, des branches qui jonchent<br />

le sol ou de l'abondance des ex-<br />

créments. Ces derniers sont peu<br />

dérangeants à vrai dire et se<br />

présentent comme autant de<br />

galettes, de bou<strong>les</strong> ou de cylin-<br />

dres de végétaux broyés, prêts à repartir illico pour un recyclage naturel.<br />

J'avoue mon inquiétude cependant quand j'ai vu combien <strong>les</strong> excréments des<br />

éléphants, à cet endroit, contenaient de sacs plastiques visiblement ingérés<br />

44<br />

par <strong>les</strong> pachydermes lors de repas pris chez l'habitant ou bien sur une dé-<br />

charge proche du lieu. Les campagnes de limitation et de suppression de ces<br />

sacs distribués dans <strong>les</strong> commerces trouvent là tout leur <strong>sens</strong>, dans un regis-<br />

tre qui n'a rien de symbolique. De la même façon qu'el<strong>les</strong> le trouvent au Ca-<br />

nada quand on sait que <strong>les</strong> ours blancs, en prise avec le recul de la banquise,<br />

viennent s'alimenter aux abords des villages et des vil<strong>les</strong>. Une fois de plus, la<br />

consigne était de ne pas s'éloigner du camp ni marcher au bord de la rivière.<br />

C'est avec de grandes<br />

précautions que je l'ai<br />

fait, redoutant autant<br />

<strong>les</strong> crocos que <strong>les</strong><br />

autres carnivores ou<br />

<strong>les</strong> herbivores. Entre<br />

celui qui observe et<br />

celui qui est observé,<br />

entre l'occupant légi-<br />

time des lieux et l'in-<br />

trus, je serai resté<br />

l'intrus, probable sujet<br />

de moquerie pour <strong>les</strong><br />

singes présents en<br />

grand nombre et prompts à me narguer, objet d'évitement ou d'indifférence<br />

pour <strong>les</strong> hôtes que j'imaginais rencontrer. Le produit anti-moustique pulvérisé<br />

sur ma peau sitôt l'arrivée au bord de la rivière aura-t-il opéré comme un<br />

répulsif au-delà du rôle attendu ? Du lieu, Marie-Julie retient qu'il aura été le<br />

plus inhospitalier de notre long périple. Un autre type de sachet plastique<br />

l'aura autrement indisposée, elle qui était restée au camp. Il s'agissait d'un<br />

préservatif usagé découvert à proximité de notre tente. L'homme se pose<br />

bien comme l'acteur majeur des tords irrémédiab<strong>les</strong> infligés à la nature et à<br />

l'environnement. Il en subira de plus en plus la sanction dans son corps.<br />

Puisse notre science de la vie et de la survie se mettre au service de la re-<br />

constitution d'équilibres dont on rêve qu'ils puissent être encore. A cet égard,<br />

le discours et <strong>les</strong> dispositions qui font florès autour du développement dura-<br />

ble répondent à une situation de grande urgence. Ils sont l'annonce d'une


elation nouvelle à l'environnement et d'une relation nouvelle et responsable,<br />

espérons-le entre <strong>les</strong> pays, entre <strong>les</strong> peup<strong>les</strong> et entre <strong>les</strong> hommes.<br />

L<br />

es deux ou trois bouteil<strong>les</strong> que nous avions prévues ce soir-là pour offrir<br />

l'apéritif à nos voisins me sont apparues peu de choses au regard de cel<strong>les</strong><br />

apportées par nos invités. Les apéritifs au Tracbar se puisaient souvent dans<br />

<strong>les</strong> stocks constitués sous <strong>les</strong> doub<strong>les</strong> planchers rapportés au fond des voitu-<br />

res. Ces planchers permettent à certains de transformer leurs Tractions<br />

commercia<strong>les</strong> ou familia<strong>les</strong> en voitures à dormir. Notre mérite à nous était de<br />

proposer une table et des sièges. A ce propos, je me suis résolu tard à l'idée<br />

de transporter ainsi pour m'asseoir et manger dans la nature autre chose que<br />

mon séant. C'était me priver et priver <strong>les</strong> miens du grand bonheur qu'il y a à<br />

inventer un lieu de repas, de détente et de convivialité là où beaucoup ne<br />

font que passer. On peut ainsi choisir des lieux où il ne viendrait pas à l'idée<br />

qu'on puisse s'offrir une villégiature. C'est ainsi qu'à Paris, il nous arrive de<br />

descendre la voiture sur <strong>les</strong> berges de la Seine pour un pique-nique domini-<br />

cal. Les passants, comme <strong>les</strong> policiers, ont toujours été très respectueux de<br />

45<br />

cette intimité ainsi conquise et improvisée. Là encore, notre voiture ouvre<br />

bien des portes.<br />

L'âme humaine est ainsi faite, la mienne du moins : au-delà de mes satisfac-<br />

tions et de mes déceptions, il me faut parfois ressentir jusqu'à l'amertume<br />

pour rendre crédible mon enthousiasme, serait-ce à mes propres yeux.<br />

Marie-Julie croit devoir se défendre contre <strong>les</strong> moustiques au moyen d'un Pastis<br />

Le trajet de Kasane à Livingstone, donc aux chutes Victoria, m'aura comblé,<br />

de ce sinistre point de vue. En raison certainement de mon très fort désir de<br />

rencontrer ces chutes. En raison également de l'impossibilité dans laquelle je<br />

me suis trouvé, en situation et encore à ce jour, de dire la part qui revenait<br />

dans ce cas à l'impéritie de notre organisation et celle qui revenait aux impa-<br />

rab<strong>les</strong> aléas d'une telle randonnée. Le ferry que nous devions prendre pour<br />

entrer en Zambie et rejoindre en milieu de matinée notre destination du jour<br />

nous aura échappé. Cela du fait du grand nombre de camions qui, ce matin-


là, se réclamaient indûment d'une priorité de passage et devant <strong>les</strong>quels nous<br />

avons dû céder malgré toutes nos accréditations. Le kilométrage prévu initia-<br />

lement pour l'étape faisait plus que doubler. Il s'ajoutait le franchissement de<br />

deux postes frontières pour entrer au Zimbabwe et en sortir : 2 heures d'at-<br />

tente encore et la ponction de 120 dollars de frais de visa dont l'organisation<br />

avait fait, elle, l'économie en <strong>les</strong> encaissant avant de se rabattre finalement<br />

sur le bac et puis en nous <strong>les</strong> faisant payer une seconde fois. Cinq heures ainsi<br />

perdues alors que nous attendait le spectacle si longtemps attendu des chu-<br />

tes et l'environnement exceptionnel de l'hôtel qui nous accueillait… Heureux<br />

Livingstone qui s'était donné, lui, 140 ans plus tôt que nous, le temps du tra-<br />

jet, de l'attente et de la découverte.<br />

Couchant sur la rivière Chobé<br />

46<br />

"welcome to Zimbabwé"<br />

Couchant sur le fleuve Zambèze


VVicttoorriaa ic i FFaall ll l ss, , LLivvinnggsttoonnee i i s<br />

47<br />

Syympphhoonniiee S i dee d l laa<br />

nnatuure, at re, l lees<br />

s cchhuutes tes VVi ictoori ict ri i aa pproovvooquueennt r q t uunn eennvaahhiisseemennt<br />

v iss e t<br />

eet t uunnee juubbiillati j ilati i oonn dee d toouus t s l lees<br />

s seenns. s s.<br />

PPoouur r lleess l yyeeuux x et<br />

vues de face, el<strong>les</strong><br />

représentent, là où<br />

le puissant Zambèze<br />

vient se confronter<br />

avec le vide, un long<br />

drapé de 1700 mè-<br />

tres de muraille en<br />

mouvement, compo-<br />

sé de dentelle, de<br />

creux et d'escarpe-<br />

ments. On découvre<br />

l'ensemble par pans<br />

uniquement, au fur et à mesure du cheminement sur la corniche qui fait face.<br />

La chute plonge dans l'abîme, une marmite de titan profonde de 10 mètres.<br />

Cette vision est rehaussée, de jour, par <strong>les</strong> couleurs de deux arcs en ciel,<br />

familiers des lieux. Ceux-ci se fichent dans <strong>les</strong> chutes selon un axe vertical et<br />

non pas horizontal comme on <strong>les</strong> connaît d'ordinaire. Cela se passe entre le<br />

fond des gorges et le mur de pluie ou de condensation qui remonte droit de-<br />

puis le fond après avoir frappé le côté de la roche où nous sommes. Ce mur<br />

atteint 100 mètres au dessus de nos têtes et se voit de très loin. <strong>So</strong>ir et ma-<br />

tin, au couchant comme au levant, le soleil, autre familier, inonde de feu ou<br />

de pastel l'eau, l'air et le paysage.<br />

PPoouur r ll' l''oouuï<br />

ïïee, <strong>les</strong> chutes engendrent le tumulte et le grondement - permanents<br />

mais jamais violents car toujours égaux et présents - de milliers des mètres<br />

cubes d'eau qui se déversent en un instant. A entendre cette eau se précipi-<br />

ter, on se réjouit qu'elle apporte la vie aux six nations que baigne ou que<br />

borde le fleuve, en amont comme en aval des chutes.


Poouur PP r llaa l peeauu p a eet t ppouur o r l lee<br />

toouuchheerr, t c <strong>les</strong> chutes occasionnent une brumisation<br />

permanente et bienfaisante aux heures chaudes où l'eau monte haut et se<br />

condense en nuages. Par contre, au petit matin ou <strong>les</strong> jours froids quand l'air<br />

resté frais n'assure pas la transformation de cette eau en vapeur, el<strong>les</strong> en-<br />

gendrent la pluie. On aime ou l'on redoute.<br />

Pour le visiteur avide de souvenirs, la multiplicité des passages, des sentiers,<br />

des ponts, des escaliers qu'on monte et qu'on descend, des ang<strong>les</strong> de vue et<br />

des belvédères protégés pour <strong>les</strong> uns, exposés pour <strong>les</strong> autres, est la garantie<br />

d'une empreinte physique forte et durable, là où <strong>les</strong> chutes auront choisi de<br />

frapper.<br />

<strong>Plein</strong> <strong>les</strong> <strong>sens</strong>, à pieds comme dans <strong>les</strong> airs<br />

Prenant du champ par rapport au<br />

spectacle humide et rugissant qu'of-<br />

fre la découverte des chutes à<br />

pieds, nous aurons survolé ces der-<br />

nières à la façon des aig<strong>les</strong> ou des<br />

grands migrateurs. Le survol en<br />

hélicoptère permet d'embrasser d'un<br />

coup le site : vaste plateau amont<br />

et son delta que se partagent le<br />

fleuve, la terre et un ensemble<br />

d'îlots à la faune abondante; cassure<br />

<strong>net</strong>te et profonde de la roche avec<br />

son alignement de colonnes d'eau<br />

descendantes et son halo de vapeurs<br />

en suspension ; cent mètre plus bas,<br />

au fond du canyon aux parois verti-<br />

ca<strong>les</strong>, sans que la plaie en surface<br />

représente jamais plus de 30 mètres<br />

de large pour 1700 mètres de long,<br />

fantastique bouillonnement des<br />

eaux et sévère mise au pas de cel-<br />

<strong>les</strong>-ci.<br />

48<br />

Pour un temps, toute divagation leur<br />

sera interdite. La verticalité des<br />

parois et l'étroitesse de leur lit de<br />

rochers dicteront la route à suivre.<br />

La partie du plateau qui se trouve en<br />

aval des chutes est marquée par la<br />

présence de la route et du pont mé-<br />

tallique qui enjambe le canyon,<br />

permettant le passage des voitures<br />

et du train. L'homme aura ainsi tenu à marquer son emprise sur <strong>les</strong> lieux. Non<br />

satisfaites d'occuper mes heures en journée, <strong>les</strong> chutes auront animé mes<br />

nuits. Le Zambezi Sun, notre hôtel pour deux nuits, est situé à leur abord<br />

immédiat. Depuis <strong>les</strong> chambres, on perçoit distinctement le tumulte des<br />

eaux, même assourdi. Le calme de la nuit m'a plusieurs fois offert la trou-<br />

blante et néanmoins rassurante <strong>sens</strong>ation de côtoyer ici une force et une<br />

puissance ne connaissant ni <strong>les</strong> limites du temps, ni la résistance des élé-<br />

ments, ni <strong>les</strong> atteintes dont l'homme est capable. La puissance d'un continent


entier qui, sur un point de rupture de l'écorce terrestre, vient déverser géné-<br />

reusement et sans compter tout ce qu'il compte d'eau en surplus. Une eau<br />

tellement précieuse et nécessaire pour <strong>les</strong> pays et <strong>les</strong> populations qu'elle sert<br />

! Cette eau semble avoir toujours coulé ici et devoir le faire longtemps en-<br />

core. Eau définitivement plus forte et plus bienfaitrice que l'action de<br />

l'homme quand cette dernière en vient à détruire. La réalité, j'en suis<br />

convaincu et affecté, est plus<br />

fragile que mes rêves.<br />

L<br />

a proximité d'une ville, Livingstone, nous permettrait lors de ce stop de<br />

36 heures de sacrifier au rituel de la <strong>les</strong>sive. Si j'utilise une terminologie<br />

quasi religieuse pour parler d'une telle contingence matérielle, c'est que la<br />

<strong>les</strong>sive représentait l'une des graves interrogations de Marie-Julie, voire une<br />

source de discorde entre nous, cela une année déjà avant de partir : où,<br />

comment et selon quel procédé pourrions-nous bien laver notre linge dans<br />

des pays si dépourvus et rester propres sur nous durant ces six longues semai-<br />

nes de voyage ? D'autres interrogations de même nature nous opposaient, soit<br />

quant à leur bien fondé, soit quant aux réponses à prévoir : le couchage, <strong>les</strong><br />

vêtements à emporter, <strong>les</strong> toilettes, l'habillage et déshabillage en famille ou<br />

en public, l'eau potable, <strong>les</strong> vaccins, la trousse de secours... Dans <strong>les</strong> quel-<br />

ques jours qui ont suivi notre retour, au terme du voyage, Marie-Julie m'aura<br />

concédé le fait qu'elle jugeait a posteriori bien vaines nombre de ses appré-<br />

hensions initia<strong>les</strong> et qu'elle regrettait <strong>les</strong> oppositions qui avaient pu en résul-<br />

ter. Pour avoir abordé ce point avec des amis, il semble que ces éléments<br />

sont au cœur du débat chez bien d'autres que nous. Il ne va pas de soi de<br />

déplacer ainsi son intimité et de véhiculer ses appréhensions sur une aussi<br />

49<br />

longue distance. Bien sûr, pour revenir au sujet qui nous préoccupait, <strong>les</strong><br />

hôtels nous offraient leur service de blanchisserie mais nous n'avions pas tou-<br />

jours le temps de faire et puis ce service finit par être coûteux. A mi voyage<br />

cependant, il nous fallait recourir à une laverie. Après recherche, nous avons<br />

trouvé la seule qui fût en ville.<br />

Linge sale en famille, à Livingstone : on trie, on compte, on marque… on frotte<br />

… même la voiture, on s"y met à 4


Studio de photo improvisé à Livingstone<br />

50<br />

Gilbert Dry Cleaners Ltd… Zambezi Road…<br />

Le patron<br />

L'agent de sécurité


T<br />

rois personnes, le gérant et deux salariées, se sont mises au tri du linge<br />

devant nous sur le comptoir. Marie-Julie rougissait de honte à voir ainsi<br />

exhiber devant elle un linge aussi sale. Elle s'attachait à expliquer pourquoi<br />

et dans quel<strong>les</strong> circonstances nous en étions venus à une telle extrémité. Elle<br />

ne s'en laissa pas moins convaincre par la qualité du service et l'empresse-<br />

ment à bien faire de nos interlocuteurs. Chaque article faisait l'objet d'un<br />

marquage spécifique, le numéro de la commande étant reporté sur une ban-<br />

delette de tissu découpée devant nous et cousue ou nouée sur le linge. Ce fut<br />

une grande réassurance et une vraie rencontre. Nous convînmes de l'heure du<br />

retour en fin de journée. A l'heure dite, le travail avait pris du retard du fait<br />

d'une panne d'électricité. Dans l'attente, notre voiture aura fait l'étonnement<br />

d'un quartier totalement dépourvu d'éclairage alors que la nuit était tombée.<br />

Elle se sera transformée, ce soir- là, en salon de photographie, la place de<br />

choix pour <strong>les</strong> modè<strong>les</strong> revenant à être assis sur le pare-choc avant, adossé à<br />

la calandre. J'orientais sur eux la lumière des anti-brouillards. Nous avons<br />

ainsi réussi de très beaux portraits, celui du patron de la laverie et de son<br />

agent de sécurité notamment. De ce dernier nous avons appris qu'il était spé-<br />

cialement recruté ce soir-là pour protéger notre linge, la ville et le quartier<br />

étant réputés peu sûrs. Marie-Julie n'était pas le moins souriant des person-<br />

nages de la revue. Devant le retard prévisible – le linge tournant et tournant<br />

dans un sèche-linge qui refusait désespérément de chauffer - nous nous som-<br />

mes résolus à partir bredouil-<br />

<strong>les</strong>, avec l'assurance que le<br />

tout nous parviendrait à l'hôtel<br />

pour 22 heures, sec et repassé.<br />

Nous devions quitter Living-<br />

stone le lendemain matin de<br />

bonne heure. J'avoue avoir<br />

connu quelques frissons durant<br />

le repas ce soir-là et durant <strong>les</strong><br />

30 minutes de retard passées à attendre devant l'hôtel. Ma confiance n'était-<br />

elle pas allée un peu loin ? Le contrat a finalement bien été honoré, à cela<br />

près que le gérant de la laverie était venu avec son propriétaire. Ce dernier<br />

plaidait un devis largement sous-estimé du fait d'une erreur sur le change.<br />

51<br />

Le portier de l'hôtel a magnifiquement joué la médiation. Nous avons ajouté<br />

au décompte en euros quelques kwatchas, la monnaie locale, tout en restant<br />

dans une fourchette de prix raisonnable au regard des tarifs pratiqués par<br />

l'hôtel. Le linge était repassé mais pas sec. Rien ne sèche à Livingstone. Nous<br />

avons dépensé des trésors d'imagination pour étendre et suspendre le plus<br />

gros dans notre chambre, au détriment du sommeil des enfants. Ces derniers<br />

étaient réputés dormir pour partir tôt le lendemain.

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