Plein les sens - So-net

J'éprouve à cet instant le sentiment de partager avec ces femmes la précarité
du sans sol et du sans domicile, celle qui voit l'être précaire se poser le soir
pour disparaître au petit jour. Nous sommes tous éphémères. "La vie est
courte, le monde est vaste. Plutôt vivre ses rêves que rêver sa vie". Cette
tautologie, écrite par Eric comme dédicace sur un livre offert à Marc-André,
emporte nécessairement l'adhésion. La vie est si bien faite qu'elle insuffle à
chacun, pour une part au moins, des rêves à sa porté e. Il est, de par le
monde, des petites filles qui rêvent de disposer ainsi d'une table pour la poser
à Francistown et y développer leur commerce.
Les visages de ces femmes qui commercent sont éclairés par une minuscule
lampe à économies autant qu'à pétrole. Derrière chacun sourd un rêve, une
pensée, une préoccupation. Les expressions varient d'un étal à un autre,
d'une femme à une autre : la dominante est grave mais le pétillant et l'en-
joué sont représentés eux aussi. Les expressions de force, d'espérance ou de
confiance côtoient la lassitude, l'abandon, les attentes déçues. Sur les tables,
des bonbons ou d'autres confiseries chaque fois vendus à l'unité ou par petits
lots de 5, des biscuits pauvres en goût, un peu de salé, quelques articles de
bazar... Rien cependant qui permettrait ici de prendre un repas ou de s'éton-
ner devant l'originalité d'un produit. Pas même un réchaud, gaz ou charbon
de bois allumé, pour signaler le confort d'une boisson qu'on prépare ou d'un
échange à venir.
Je regrette alors les rues de Tananarive ou de Tamatave à Madagascar pour
les brochettes de viande ou de légumes, le riz, les beignets et les fruits qu'on
y trouve en abondance. Je regrette la médina de Dakar pour ses briques
d'arachide caramélisées et pour les décoctions de kinkiliba qu'y servent les
Maliens, au raz du sol, à l'angle des rues. Chez ces derniers, le geste qui sert
la personne qui s'arrête et qui consomme est magnifique. Dans les métiers les
plus humbles, les gestes sont d'autant plus beaux que le métier a du prix dans
la vie de celui qui l'exerce. Peu de chose représente tout pour celui qui n'a
rien.
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Cet homme ne vit pas à
Francistown mais au
Lesotho. A l'aide de sa
machine à coudre, il a
réparé la fermeture
latérale de notre ca-
pote. Il nous a demandé
20 cts d'euros. Nombre
de ses proches rêvent
d'une telle machine.
Demi-gros et détail : le commerce commence avec un kilo acheté
au grossiste, kilo ensuite fractionné et vendu au détail