Plein les sens - So-net

A
Durban, la soirée qui précède le départ s’apparente d’une veillée d’armes. Il
serait plus juste, à vrai dire, de parler des ultimes préparatifs d’un mariage.
Mariage entre un équipage et une voiture mais tout autant mariage entre équi-
page et voiture d’une part, aventure passionnément attendue et désirée d’autre
part. L’atmosphère du garage de l’hôtel est unique. Chacun a retrouvé son véhi-
cule après 4 semaines de séparation et l’entoure de ses attentions. Les plus
aguerris se reconnaissent au numéro 0, 1, 2 ou 3 dont est doté leur véhicule. Ce
numéro représentera pour toujours, dans la petite histoire des Tracbar du moins,
leur numéro d’équipage. Cela correspond au fait d’avoir accompli l’un au moins
des quatre premiers rallies. On appelle ceux-là les grognards. Les autres, dont
nous sommes, sont appelés les bizuths. Leur numéro commence par 4. Il s'agit
largement d'enfantillages mais en qui l'enfant ne sommeille-t-il pas ? Ce dernier
reste, certes, plus vif chez certains que chez d'autres. Nous saurons, je le crois,
effacer ce numéro et voler par la suite de nos propres ailes.
Parmi les détenteurs des chiffres en 4, il est ceux qui découvrent leur nouvelle
compagne de location. Pour la première année, Globe Driver loue des voitures à
des non propriétaires. Ces derniers, rencontrés et démarchés par exemple à Ré-
tromobile, le salon de la voiture ancienne, se doutent-ils qu’ils deviendront eux-
mêmes des possédés de la voiture ?
Guy au travail Florence et Maxime sous le charme
20
Les Naudin sont de ceux-là. Ils sont venus père, fille et fils. Sur les 3 visa-
ges, le bonheur claque aussi fort que les portières de la voiture. Tout est,
sur celle-ci, sujet d’émerveillement ou d’étonnement : tissu des fauteuils,
boutons du tableau de bord, essuie-glace, disposition du coffre, galerie de
toit avec sa tente... Pris par la découverte commune, le frère et la sœur
paraissent ne plus connaître de retenue dans l’expression de leur joie et
des liens fraternels. C'est bonheur à contempler.
A propos de cette famille bien mise, on se prend à douter que le père ait
jamais passé autant de temps à frotter les meubles ou les vitres à la mai-
son qu’il en passe ce soir-là à faire briller sa nouvelle compagne. Il sera
d'ailleurs le seul, au cours du voyage (aïe, aïe, aïe Guy), à coucher cette
compagne au beau milieu de la piste à la faveur d'une glissade dans un
virage. Pour qui connaît la Traction, il s'agit d'un exploit que seule la mal-
chance autorise. Guy avait laissé son supermarché dans le sud-est de la
France pour venir en Afrique. Les Lusseaud avaient laissé, eux, leur hyper
dans le sud-ouest. Les commerçants étaient très présents dans le groupe.
Il s'agit d'une race d'entrepreneurs et d'aventuriers qui continue à bien
gagner sa vie. Il n'était pas d'industriels. Ces derniers sont moins bien trai-
tés par les nouveaux équilibres économiques d'un monde qui bouge.
Les Lusseaud Guy sur le flanc