PIPPO DELBONO | PATRICK LAVAUD JAZZ EN LIBERTÉ ... - Spirit
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3 5 taBles & comptoirs / <strong>Spirit</strong>#73 / juiL-août 2011<br />
Vino submarine<br />
Puisque l’été est là, In Vino Veritas s’offre une escapade<br />
gustative au Pays basque. Emmanuel Poirmeur,<br />
œnologue et viticulteur aux mille vies professionnelles,<br />
y élabore un vin blanc sec, élevé au fond de la<br />
baie de Saint-Jean-de-Luz. Parfait avec une douzaine<br />
d’huîtres du Bassin.<br />
C’est l’histoire d’un gamin qui aurait pu<br />
être un enfant sage. Un môme né dans<br />
une communauté de polytechniciens,<br />
de parents pionniers de l’informatique.<br />
Emmanuel Poirmeur a choisi la pantoufle<br />
et de faire du vin au pays des pottoks<br />
et des espadrilles. Il a planté ses<br />
deux hectares de vignes entre Urrugne<br />
et Socoa, sur un petit bout de corniche<br />
où la présence d’une déchetterie reflète<br />
assez mal le caractère protégé du lieu.<br />
À la fin de l’été, il récoltera ses premiers<br />
chardonnays et élaborera enfin une cuvée<br />
made in Euskadi. N’en déplaise<br />
aux amateurs de txakoli et d’irouléguy,<br />
le trentenaire a déjà mis sur le marché<br />
son Egia Tegia, un vin blanc sec élaboré,<br />
pour le moment, à partir de raisins<br />
achetés dans la région.<br />
L’initiative pourrait être confidentielle<br />
s’il n’avait eu la folie d’immerger une<br />
partie de sa production dans la baie de<br />
Saint-Jean-de-Luz. Trois cuves, auparavant<br />
en béton et aujourd’hui dans un<br />
innovant plastique américain, sont bercées<br />
au gré des courants qui déferlent<br />
autour de la jetée de l’Artha. Elles y<br />
bénéficient de conditions de température,<br />
de pression et d’immersion optimales.<br />
Emmanuel Poirmeur a déposé<br />
le brevet. L’innovation a son intérêt :<br />
le vin y acquiert une étonnante saveur<br />
de papaye, si intense qu’il n’en intègre<br />
que 10 % à son assemblage final. L’Egia<br />
Tegia est à l’image de l’océan dans le<br />
pays, il claque sur la langue avec quelques<br />
bulles en guise d’écume.<br />
Si un vin est une histoire, avec souvent<br />
un peu de lyrisme, le parcours d’Emmanuel<br />
Poirmeur tient plus de celui d’un<br />
golden boy agricole. Certes, il revendique<br />
un grand-père chef de gare à Guéthary,<br />
à qui il affirme qu’il plantera des<br />
ceps sur les flancs de la Rhune, et des<br />
aïeuls viticulteurs dans le Lot-et-Garonne,<br />
chez qui il fait des cabanes dans<br />
les chais. À l’école primaire, quand<br />
d’autres veulent « faire pompier ou<br />
policier », il veut devenir « ingénieur<br />
agronome et œnologue ». C’est que le<br />
petit est entouré de têtes bien faites.<br />
Alors, puisque, paraît-il, la valeur n’attend<br />
pas le nombre des années, il se<br />
fixe pour objectif, à 13 ans, de vinifier<br />
château-margaux 2000. Il y arrivera, ce<br />
sera son stage de fin d’études. Dès lors,<br />
il mettra toujours la barre très haut,<br />
entraîné, on le devine, par les conventions<br />
familiales, sublimées par sa passion<br />
pour le vin. « Les diplômés d’Agro<br />
sont destinés à devenir les grands cadres<br />
de l’agriculture. Choisir la filière viticole<br />
était irrationnel. Elle n’est pas attractive<br />
à qui est en quête d’argent, mais elle l’est<br />
pour qui est en quête de sens. J’ai essayé<br />
de m’affranchir de tout dogme. »<br />
Il ne tarde pas à plonger dans le grand<br />
bain et vinifie, alors qu’il est encore étudiant,<br />
un grand cru de Saint-Émilion,<br />
puis part au Mexique pour la société<br />
Miguel Torres. « Un stage sauvage ! J’accompagnais<br />
un winemaker néo-zélandais<br />
sur un domaine de 900 hectares qui appartenait<br />
au petit-fils d’un révolutionnaire<br />
qui avait lutté avec Zapata. Il était<br />
la troisième fortune du pays et marié à la<br />
deuxième ! Les conditions climatiques et<br />
de travail étaient extrêmes. Six hommes<br />
sont morts dans des accidents pendant<br />
que nous étions sur place. »<br />
Le Crédit agricole ne tarde pas à<br />
s’intéresser à ce jeune homme<br />
touche-à-tout qui vient de monter une<br />
agence de conseil avec quelques coreligionnaires<br />
d’Agro. Il pense comme un<br />
viticulteur, sa clé du succès : il refond<br />
l’offre bancaire pour la filière, fusionne<br />
les caves coopératives de Rivesaltes<br />
et de Maury, tente de limiter les effets<br />
de la crise viticole. Emmanuel Poirmeur<br />
a aussi une marotte : inventer<br />
de nouveaux outils pour faire du vin.<br />
Alors qu’il rencontre des ostréiculteurs<br />
à Arcachon, il imagine son procédé<br />
d’immersion. « J’avais enfin trouvé un<br />
process non reproductible qui justifiait<br />
de faire du vin à Saint-Jean-de-Luz. »<br />
Emmanuel Poirmeur lance le projet en<br />
2007, un peu fou, assez génial, sacrément<br />
ambitieux : Egia Tegia signifie en<br />
basque « L’atelier des vérités ».<br />
— [estelle Gentilleau]<br />
Chronique<br />
in vino<br />
veritas