PIPPO DELBONO | PATRICK LAVAUD JAZZ EN LIBERTÉ ... - Spirit
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0 8 sono / <strong>Spirit</strong>#73 / juiL-août 2011<br />
Une histoire de rencontres<br />
En 1992, il y a eu une seule nuit : la grande nuit atypique. Mais était déjà en germe tout ce qui<br />
a fait l’histoire des Nuits atypiques de Langon depuis. À la fois une manifestation et une soirée<br />
sur les musiques du monde, et plutôt des musiques populaires parfois de tradition orale.<br />
Avec l’envie de faire un événement. Vingt ans plus tard, les Nuits atypiques ont imposé un<br />
modèle peu repris cependant,<br />
celui d’un festival musical, lieu<br />
d’agitation altermondialiste.<br />
C’était bien là l’intention de<br />
Patrick Lavaud, le directeur.<br />
Patrick Lavaud : L’évolution s’est faite presque<br />
naturellement, car je crois que quand on<br />
s’intéresse aux musiques du monde, il y a,<br />
sous-jacente, une vision sans doute politique et<br />
aussi, on pourrait dire, une vision ethnologique.<br />
L’intérêt se porte naturellement vers l’ensemble<br />
des cultures et des sociétés qui produisent ces<br />
musiques. On a souhaité dès les deuxième et<br />
troisième années des rencontres, des débats sur<br />
des thèmes de société, ainsi que des rencontres<br />
avec les artistes pour qu’ils puissent s’exprimer<br />
sur leur musique et parler de leur pays. Très rapidement<br />
on a rajouté des projections de films,<br />
puis de la poésie, du théâtre. Les musiques du<br />
monde sont un excellent prétexte, et un formidable<br />
moyen de s’intéresser au monde, sous les<br />
aspects sociétal, politique, culturel…<br />
Ce n’est pourtant pas le cas de tous les festivals<br />
de ce type…<br />
Non, car je crois que la programmation est liée à<br />
la personnalité de celle ou celui qui l’a construite.<br />
Moi, ces thèmes m’intéressent depuis très<br />
longtemps. De la même façon, pour moi, les<br />
cultures du monde sont aussi celles de France.<br />
Dès 1992, on s’intéressait aux cultures régionales.<br />
Je trouve qu’il existe un lien très fort entre<br />
musique et politique, entre éthique et esthétique.<br />
Quand je programme des musiciens, je<br />
ne peux pas m’empêcher de réfléchir au pays<br />
dont ils viennent, à la langue qu’ils parlent, à<br />
la religion, à la façon dont s’exprime la culture,<br />
combien ce pays a d’ethnies, qui le dirige,<br />
si c’est une démocratie, un régime plus dur…<br />
C’est une interrogation globale, les musiques<br />
disent beaucoup de choses sur l’état de la société<br />
au travers des instruments et des paroles.<br />
Par exemple, cette année, nous accueillons Benda<br />
Bilili, et dans les paroles de ce groupe sont<br />
dites énormément de choses, non seulement<br />
sur la situation des handicapés à Kinshasa, mais<br />
également sur la pauvreté ou la partition des<br />
deux Congos. Les musiques du monde, davantage<br />
que d’autres types de musique<br />
peuvent servir de révélateurs<br />
de l’état du monde actuel.<br />
Ce positionnement ne vous<br />
conduit-il pas à sélectionner des<br />
artistes autant pour leurs préoccupations<br />
politiques ou leur engagement<br />
que pour leur talent ?<br />
Bien entendu. Les artistes qui<br />
viennent ne sont pas tous estampillés<br />
« artistes engagés » ou en tous les<br />
cas, l’engagement n’est pas toujours le même.<br />
Je trouve qu’il peut y avoir déjà beaucoup d’engagement<br />
à valoriser sa propre culture, si celleci<br />
ne s’exprime pas dans la langue dominante<br />
ou si celle-ci est menacée ou rejetée. Parfois, il<br />
peut y avoir des choix uniquement esthétiques,<br />
il y a une qualité musicale qui m’intéresse, on ne<br />
demande pas aux artistes d’être des porte-drapeaux<br />
de telle ou telle idée. Mais je pense que<br />
dans le champ des musiques du monde, quand<br />
il y a des croisements ou des rencontres entre<br />
artistes, il se dit déjà beaucoup de choses sur<br />
comment on considère l’autre. C’est une façon<br />
de militer pour la rencontre entre les peuples ou<br />
d’aller à l’encontre d’idées racistes, xénophobes,<br />
qui tendent vers la haine de l’étranger.<br />
à travers le festival, vous avez favorisé pas mal<br />
de rencontres entre musiciens venus d’horizons<br />
très différents. Ces rencontres sont-elles<br />
fécondes par définition ?<br />
Effectivement, je me méfie un peu des idées<br />
de métissage, comme si on pouvait faire du<br />
métissage à tous crins en quelques heures<br />
de studio. Ça ne m’intéresse pas parce que je<br />
pense que toutes les musiques sont métissées,<br />
et que le métissage existe sur la durée ; sur la<br />
très longue durée même. En revanche, ce qui<br />
“ CE QUI M’INTéREssE, CE sONT LEs R<strong>EN</strong>CONTREs<br />
HUMAINEs. C’EsT CE QUI sE PAssE RéGULIèREM<strong>EN</strong>T<br />
À LANGON, ET PAs TOUjOURs sUR sCèNE.„<br />
m’intéresse, ce sont les rencontres humaines.<br />
C’est ce qui se passe régulièrement à Langon, et<br />
pas toujours sur scène. On y voit des musiciens<br />
qui se parlent, échangent, éprouvent une curiosité<br />
les uns pour les autres. C’est ce que nous<br />
essayons de bâtir à Langon, que Langon soit un<br />
carrefour, une plate-forme d’échange. La finalité<br />
n’est pas que des artistes montent sur scène et<br />
fassent une création, ce qui me semble fondamental<br />
dans notre démarche, c’est de faciliter<br />
les échanges. On se nourrit de l’autre, l’identité<br />
n’existe que dans le rapport à l’altérité. Sinon<br />
c’est une identité qui se replie sur soi, et ça,<br />
ça ne m’intéresse pas.<br />
Comment analyseriez-vous l’évolution des<br />
Nuits atypiques depuis vingt ans ?<br />
Le ferment originel demeure. Et, selon les années,<br />
nous pouvons nous concentrer davantage<br />
sur telle musique ou telle problématique.<br />
Ce que j’aime dans le champ des musiques du<br />
monde, c’est qu’il peut nous permettre d’inviter<br />
des artistes qui sont très près d’une certaine<br />
tradition, il nous est arrivé d’accueillir des musiciens<br />
de village, qui ne sont pas des professionnels,<br />
qui peuvent être agriculteurs par exemple,<br />
mais qui ont une fonction sociale chez eux.<br />
Là, on est très près de formes très rituelles de<br />
musique. Et dans le même temps, nous recevons<br />
des professionnels au sens occidental,<br />
et qui se permettent des<br />
mélanges très heureux<br />
dans des musiques très<br />
diverses. Dans le nom<br />
même du festival, Nuits<br />
atypiques, il y a une assez<br />
grande liberté de<br />
choix. On se retrouve à<br />
être très attentifs à différents<br />
mouvements musicaux<br />
ou sociétaux. Parce<br />
qu’il m’arrive aussi de faire des programmations<br />
en fonction de sujets que j’ai envie de<br />
traiter, ou d’aborder des choix musicaux en<br />
fonction d’un pays parce que le pays offre<br />
des questions intéressantes à soumettre aux<br />
spectateurs de Langon.<br />
— [Propos recueillis par josé ruiz]<br />
20es Nuits atypiques,<br />
du jeudi 28 au samedi 30 juillet, Langon (33210).<br />
Renseignements<br />
05 57 98 08 45 www.nuitsatypiques.org/<br />
—<br />
Staff Benda Bilili