Il avait une drôle d’o<strong>de</strong>ur et seulement trois doigts à <strong>la</strong> main gauche.
2 Putain, je ne peux pas <strong>la</strong> b<strong>la</strong>irer, je ne peux vraiment pas <strong>la</strong> b<strong>la</strong>irer ! Pourquoi elle est tout le temps assise là ? J’avais l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> me poser un moment sur le banc après l’entretien <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>tombe</strong> pour reprendre le fil <strong>de</strong> mes pensées. J’essayais <strong>de</strong> trouver un petit bout <strong>de</strong> ficelle auquel m’accrocher et qui me permettrait d’avancer encore un jour ou <strong>de</strong>ux. À <strong>la</strong> ferme, quand je cavale entre tout ce qu’il y a à faire, je n’arrive pas à penser. Si je ne me concentre pas sur ce que j’ai en main, inévitablement arrive une minicatastrophe qui me donne un jour <strong>de</strong> travail supplémentaire. Je p<strong>la</strong>nte le tracteur sur un rocher et l’essieu arrière pète. Une vache s’abîme un trayon parce que j’ai oublié d’attacher son protège-pis. Me rendre sur <strong>la</strong> <strong>tombe</strong> est mon seul bol d’air, mais même là, j’ai du mal à me dire que j’ai le droit <strong>de</strong> faire une pause et <strong>de</strong> simplement penser. Il me faut d’abord biner et p<strong>la</strong>nter et m’activer, avant <strong>de</strong> m’autoriser à m’asseoir. Et alors je <strong>la</strong> trouve assise là. Décolorée comme une vieille photo couleur qui a trôné dans une vitrine pendant <strong>de</strong>s années. Des cheveux blonds fanés, le teint pâle, <strong>de</strong>s cils et sourcils b<strong>la</strong>ncs, <strong>de</strong>s vêtements ternes et dé<strong>la</strong>vés, toujours un truc bleu ciel ou sable. Une femme beige. Toute sa personne est une insulte – un peu <strong>de</strong> maquil<strong>la</strong>ge ou un joli bijou auraient indiqué à l’entourage qu’elle prête attention à son image et à l’opinion <strong>de</strong>s autres, sa pâleur en revanche ne dit que : « Je m’en fous <strong>de</strong> ce que vous pensez, je ne vous vois même pas. » J’aime les femmes dont l’apparence c<strong>la</strong>me : « Regar<strong>de</strong>z-moi, voyez ce que j’ai à <strong>of</strong>frir ! » Je me sens presque f<strong>la</strong>tté. Elles doivent avoir du rouge à lèvres bril<strong>la</strong>nt et <strong>de</strong> petites chaussures pointues avec <strong>de</strong> fines <strong>la</strong>nières, et remonter <strong>de</strong> préférence leurs seins sous votre nez. Rien à foutre si le rouge à lèvres s’étale, si <strong>la</strong> robe est trop serrée sur les bourrelets, si <strong>de</strong> fausses perles géantes se bousculent autour du cou – tout le mon<strong>de</strong> ne peut pas avoir bon goût, c’est l’effort qui compte. Je <strong>tombe</strong> toujours un peu amoureux quand je vois une femme plus toute jeune qui a consacré une <strong>de</strong>mi-journée à se pomponner pour qu’on <strong>la</strong> remarque, surtout si elle a <strong>de</strong>s faux ongles, <strong>de</strong>s cheveux cramés par les permanentes et <strong>de</strong>s talons aiguilles casse-gueule. Ça me donne envie <strong>de</strong> <strong>la</strong> prendre dans mes bras, <strong>de</strong> <strong>la</strong> consoler et <strong>de</strong> lui faire <strong>de</strong>s compliments. Je ne le fais pas, évi<strong>de</strong>mment. Je les vois à <strong>la</strong> poste ou à <strong>la</strong> banque, jamais <strong>de</strong> plus près, et les seules femmes qui passent à <strong>la</strong> ferme sont l’inséminatrice ou <strong>la</strong> véto. Munies <strong>de</strong> longs tabliers bleus en caoutchouc, <strong>de</strong> grosses bottes, un fou<strong>la</strong>rd sur les cheveux, elles brandissent <strong>de</strong>s tubes avec du sperme <strong>de</strong> taureau à tout bout <strong>de</strong> champ. Elles sont toujours trop pressées pour rester boire un café – même si j’avais eu le temps d’entrer en préparer. Maman n’arrêtait pas <strong>de</strong> me tarabuster les <strong>de</strong>rnières années pour que je « sorte » me trouver une fille. Comme si elles étaient là <strong>de</strong>hors quelque part, un troupeau <strong>de</strong> filles dociles, et qu’on n’avait que l’embarras du choix. On prend bien le fusil pendant <strong>la</strong> saison <strong>de</strong> chasse pour sortir se tirer un lièvre, alors… Elle savait, bien avant moi, que le cancer <strong>la</strong> rongeait lentement <strong>de</strong> l’intérieur et que j’al<strong>la</strong>is me retrouver seul avec tout le travail <strong>de</strong> <strong>la</strong> ferme, mais aussi avec tout ce qu’elle avait assumé au fil <strong>de</strong>s ans : une maison chau<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s draps propres, une salopette <strong>de</strong> travail <strong>la</strong>vée tous les <strong>de</strong>ux jours, <strong>de</strong> bons petits p<strong>la</strong>ts, toujours du café au chaud et <strong>de</strong>s gâteaux qui sortaient du four. Il y avait un boulot énorme <strong>de</strong>rrière tout ça dont je n’avais pas eu à me soucier – le bois à fendre, le chauffage, les baies à cueillir, <strong>la</strong> lessive, les tâches que je n’ai jamais le temps d’accomplir maintenant. La salopette tient <strong>de</strong>bout toute seule, imbibée <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong>it caillé, les draps sont grisâtres, <strong>la</strong> maison g<strong>la</strong>cée quand on entre et le café se résume à une tasse d’eau chau<strong>de</strong> du robinet avec du Nés. Et jour après jour cette putain <strong>de</strong> saucisse <strong>de</strong>
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