Souffle de la Neira N° 40 - la neira et les volcans d'allegre, les fetes ...

SOMMAIRE
Éditorial : "La filière bio en jachère "
Les dossiers "Noirs" en 1936/1937 (suite) …
( Jean Claude BRUNELIN)
pages 2 à 7
La Neira et les volcans d'Allègre : 2 ème édition
(Jean Claude BRUNELIN)
pages 8 à 10
Bail d'un domaine agricole à Chaduzias, paroisse
d'Allègre (6 avril 1682)
(René BORE)
pages 11 à 13
Des parcs et du parcage en 1791
(Jean Claude BRUNELIN)
pages 14 à 21
Des parcs et du parcage en 1941
(Jean Claude BRUNELIN)
pages 22 à 24
La castration des agneaux
(Jean Claude BRUNELIN)
pages 25 à 27
Les ministres sous la 4 ème : Paul ANTIER (fin)
(Jean Claude BRUNELIN)
pages 28 à 31
Un Noël pas ordinaire
(Yvette MAURIN )
pages 32 à 37
Triste Cambodge
(Yvette MAURIN)
pages 38 à 40
Des recettes très anciennes…
(Jean Claude BRUNELIN)
pages 41 et 42
L'art de soigner des bergers
(Lucien VILLAR. Lou Semenaire)
page 43
La festa et lo lop
(Henri OLLIER)
pages 44 et 45
Plaser de la Revirada
La Bòria daus Animals. ORWELL
(Hervé QUESNEL-CHALELH)
pages 46 et 47
ISSN : 1774 - 7597
DECEMBRE 2009
N° N° N° 40 40
40
La filière bio en jachère
La France affiche une ambitieuse politique de développement
de l'agriculture biologique. L'objectif est
d'atteindre 6 % de la SAU, surface agricole utilisée, en
2012 et même 20 % en 2020. Une autre ambition est
d'approvisionner les cantines scolaires avec 20 % de
produits biologiques en 2012.
La demande est au rendez vous et les grandes surfaces
s'engouffrent dans ce créneau porteur. Les principales
enseignes annoncent environ 40 % de croissance en un
an.
L'offre française ne suit malheureusement pas. Fin
2008, l'agriculture biologique représente seulement 13
300 exploitations soit 2,6 % de l'ensemble, et 583 000
ha soit 2,12 % de la SAU française. L'Auvergne fait
figure de mauvais élève avec 1,8 % seulement de sa
SAU régionale en bio.
Aussi la France importe plus de 50 % de sa consommation
de pays voisins : Italie, Allemagne, Slovénie,
Bulgarie, République Tchèque… spécialisés sur cette
intéressante filière. Ces importations massives risquent
de banaliser l'image de l'agriculture biologique et de
ternir son image de produit de proximité.
Que se passe t'il donc ?
L'agriculture française a jadis tout misé sur des pratiques
intensives et peine à en sortir. La France est le 1 er
utilisateur européen de produits phytopharmaceutiques
et le 4 ème , au plan mondial, après les Etats-Unis, le
Brésil et le Japon. La puissante UIPP, Union des industries
de la protection des plantes, veille au grain.
Les organisations professionnelles dominantes ont
plombé l'agriculture biologique en lançant, soutenues
par les industries phytosanitaires et des engrais, le
concept fallacieux d'agriculture raisonnée.
Malgré des aides conséquentes et le doublement du
"crédit impôt", le processus de conversion est lourd.
L'essentiel de l'offre provient de microfilières associatives
de proximité les AMAP qui doivent souvent assumer
pour survivre une mission d'insertion sociale.
Cependant une reconfiguration de la distribution est en
marche avec une concentration des réseaux spécialisés,
une volonté de maillage du territoire, une montée en
puissance de la grande distribution.
Espérons un rééquilibrage de la politique agricole
française vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement
et de la santé, sous la pression de
consommateurs plus soucieux de la qualité de leur
alimentation. JCB

LES DOSSIERS NOIRS (suite)
Les concours spéciaux sont les moments forts
de la race ovine noire de Bains. Nous disposons
de la description et du palmarès de 1936
et 1937. Nous n'avons pas trouvé de documents
relatant les autres activités du syndicat
durant ces périodes.
Le Concours spécial de 1936
"Concours spécial de reproducteurs de la
race ovine noire de Bains, à Saint-Privatd'Allier",
tel est titré l'article de la Haute Loire
Agricole.
"Le concours s'est tenu le 16 novembre 1936,
sous la présidence de M. le Secrétaire général
représentant M. le Préfet, retenu par l'ouverture
du Conseil général, et M. Bailly, inspecteur de
l'Agriculture de la région du Centre.
A la demande de la municipalité de Saint-
Privat-d'Allier, le concours avait été reporté
d'un jour. Malheureusement, ce retard qui entraîna
la coïncidence avec le concours agricole
annuel du chef-lieu de canton, devait apporter
une certaine gêne dans l'organisation et éloigner
certains éleveurs au profit de la foire de
Loudes…
Les membres du jury, désignés par le Ministre
de l'Agriculture furent divisés en deux souscommissions.
La première sous la direction d'A. Chauvin
examina les mâles ; la seconde sous la direction
de M. Fabre, directeur des Services vétérinaires,
examina les femelles.
A midi, les opérations du jury étaient terminées
et n'avaient donné lieu à aucune réclamation
auprès du Commissaire général.
Le nombre des animaux présentés (21 élevages)
est nettement inférieur au chiffre record
atteint en 1935. Mais la qualité des sujets subsiste
et semble aller s'améliorant.
La diminution de la dotation du concours explique
en partie l'abstention de certains éleveurs
éloignés. Les raisons déjà signalées ont
aussi joué dans le même sens.
Les éleveurs de Noirs qui ont présenté le 16
novembre à Saint-Privat des sujets, trouveront
de ce fait au palmarès, la juste récompense de
leurs efforts.
En leur nom, nous remercions la Chambre
d'agriculture de la Haute-Loire qui a accordé
une dotation supplémentaire et bienvenue de
500 francs.
2
Nous nous plaisons à signaler aussi l'heureux
geste du Syndicat d'élevage du mouton Noir de
Bains qui a accordé 500 francs distribués en
primes supplémentaires à ses adhérents. Cette
somme n'est pas répartie au présent palmarès,
il appartiendra aux membres du Syndicat ayant
acquitté régulièrement leur cotisation d'en réclamer
le règlement auprès du Secrétairetrésorier
du Syndicat, M. Rouchon à Mercoeur
de Saint-Privat.
Un déjeuner amical et fort bien servi réunit
ensuite les invités de la municipalité et les
éleveurs.
M. Ramey, maire, remercia les présents, après
avoir excusé les absents notamment M. Boyer,
conseiller général du canton retenu à Loudes. Il
plaida ensuite éloquemment la cause du
concours spécial.
MM. Fabre et Chauvin donnèrent ensuite d'utiles
conseils aux éleveurs.
M. Bailly, inspecteur, exprime le plaisir et la
satisfaction qu'il éprouvait d'être à cette manifestation
et s'engagea, à faire tout son possible
pour en assurer le maintien et la prospérité.
M. le Secrétaire général termina ensuite la
série des discours en excusant M. le Préfet et
en se réjouissant d'être une nouvelle fois son
représentant au concours de Saint-Privat."
E. Archer
Commissaire général du Concours
PALMARES
MALES (animaux isolés)
1 ère section, agneaux
M. Dupuy Pierre à Connac de St-Privatd'Allier,
80 francs
M. Delouche Victorin au Pinet de St-Bérain,
70 francs
M. Rome Séverin au Bouchet de St-Bérain, 60
francs
M. Defix Cyprien au Vernet, 50 francs
M. Prunet Sylvain à Séneujols, 40 francs

M. Ayme Auguste à Dallas de St-Privatd'Allier,
40 francs
M. Bonnet Baptiste à St-Privat-d'Allier, 40
francs
M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-Privatd'Allier,
30 francs
M. Faisandier Eugène au Chier de St-Didierd'Allier,
30 francs
M. Vallet François à St-Didier-d'Allier, 20
francs
M. Torrent Henri à St-Bérain, 20 francs
2 ème section, antenais
M. Vigouroux Auguste Prades à Combret de
St-Bérain, 100 francs et une médaille de
bronze offerte par le ministère de l'Agriculture
M. Carlet Eugène à Vergezac, 75 francs
M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-Privatd'Allier,
60 francs
M. Prunet Sylvain à Séneujols, 50 francs
M. Faisandier Eugène au Chier de St-Didierd'Allier,
30 francs
3 ème section, béliers adultes
M. Mestre Jules à Bains, 115 francs et une
médaille d'argent offerte par le ministère de
l'Agriculture
M. Bruchet Victorien au Thiolent de Vergezac,
90 francs
M. Dupuy Pierre à Connac de St-Privatd'Allier,
75 francs
M. Vallet François au Chier de St-Didierd'Allier,
60 francs
M. Rome Séverin au Bouchet de St-Bérain, 50
francs
M. Besqueut Alexis à St-Bérain, 40 francs
M. Béraud Joseph à St-Privat-d'Allier, 40
francs
M. Ayme Auguste à Dallas de St-Privatd'Allier,
30 francs
M. Faisandier Eugène au Chier de St-Didierd'Allier,
30 francs
M. Eymard Joseph-Anatole à St-Privatd'Allier,
30 francs
M. Ravoux Félix à Bains, 25 francs
M. Prunet Sylvain à Séneujols, 25 francs
M. Rouchon Joseph à Mercoeur de St-Privatd'Allier,
25 francs
FEMELLES ( lots de 3 têtes minimum)
4 ème section, agnelles
M. Dupuy Pierre à Connac de St-Privatd'Allier,
60 francs
M. Rome Séverin au Bouchet de St-Bérain, 50
francs
3
M. Vigouroux Auguste Prades à Combret de
St-Bérain, 40 francs
M. Faisandier Eugène au Chier de St-Didierd'Allier,
30 francs
M. Mestre Jules à Bains, 30 francs
M. Delouche Victorin au Pinet de St-Bérain,
25 francs
M. Serre Louis au Chier de St-Privat-d'Allier,
25 francs
M. Rouchon Joseph à Mercoeur de St-Privatd'Allier,
25 francs
M. Carlet Eugène à Vergezac, 25 francs
M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-Privatd'Allier,
20 francs
M. Torrent Henri à St-Bérain, 20 francs
M. Bruchet Victorien au Thiolent de Vergezac,
20 francs
M. Vallet François au Chier de St-Didierd'Allier,
20 francs
M. Defix Cyprien au Vernet, 15 francs
M. Bonnet Baptiste à St-Privat-d'Allier, 15
francs
5 ème section, antenaises
M. Faisandier Eugène au Chier de St-Didierd'Allier,
100 francs et une médaille de bronze
offerte par le ministère de l'Agriculture
M. Torrent Henri à St-Bérain, 80 francs
M. Dupuy Pierre à Connac de St-Privatd'Allier,
60 francs
M. Carlet Eugène à Vergezac, 50 francs
M. Bruchet Victorien au Thiolent de Vergezac,
40 francs
M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-Privatd'Allier,
30 francs
M. Serre Louis au Chier de St-Privat-d'Allier,
30 francs
M. Vallet François à St-Didier-d'Allier, 30
francs
M. Delouche Victorin au Pinet de St-Bérain,
25 francs
M. Rome Séverin au Bouchet de St-Bérain, 20
francs

M. Eymard Joseph-Anatole à St-Privatd'Allier,
20 francs
M. Vigouroux Auguste Prades à Combret de
St-Bérain, 20 francs
6 ème section, brebis adultes
M. Torrent Henri à St-Bérain, 100 francs et
une médaille de bronze offerte par le ministère
de l'Agriculture
M. Faisandier Eugène au Chier de St-Didierd'Allier,
80 francs
M. Rome Séverin au Bouchet de St-Bérain, 70
francs
M. Serre Louis au Chier de St-Privat-d'Allier,
60 francs
M. Vigouroux Auguste Prades à Combret de
St-Bérain, 50 francs
M. Carlet Eugène à Vergezac, 40 francs
M. Dupuy Pierre à Connac de St-Privatd'Allier,
40 francs
M. Ravoux Félix à Bains, 30 francs
M. Vallet François à St-Didier-d'Allier, 25
francs
M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-Privatd'Allier,
25francs
M. Besqueut Alexis à St-Bérain, 25 francs
M. Rouchon Joseph à Mercoeur de St-Privatd'Allier,
25 francs
M. Delouche Victorin au Pinet de St-Bérain,
25 francs
M. Mestre Jules à Bains, 20 francs
M. Bruchet Victorien au Thiolent de Vergezac,
20 francs
M. Eymard Joseph-Anatole à St-Privatd'Allier,
20 francs
M. Bonnet Baptiste à St-Privat-d'Allier, 20
francs
M. Defix Cyprien au Vernet, 15 francs
4
Le Concours spécial de 1936
"Concours spécial de la race ovine noire de
Bains, à Saint-Privat-d'Allier" titre la Haute
Loire Agricole.
Le 22 novembre 1937, s'est tenu le Concours
spécial annuel de la race ovine noire de Bains.
Favorisé par une température extrêmement
clémente pour la saison, ce concours fut honoré
de la présence de M. Comtet, préfet de la
Haute-Loire et de celle de M. A. Boyer, président
du Conseil général et conseiller général
du canton.
En l'absence de M. l'Inspecteur régional de
l'Agriculture, M. Archer, directeur des Services
agricoles présidait le jury et remplissait les
fonctions de Commissaire général. M. Ruelle,
professeur d'agriculture et M. Girard, secrétaire
de mairie, faisaient fonction de commissaires
adjoints.
L'organisation matérielle de ce concours fut
réalisée dans d'excellentes conditions qui donnèrent
satisfaction à tous les usagers par M.
Ramey, maire et son distingué secrétaire, M.
Girard.
Le catalogue de tous les animaux exposés
comprenait :
Première section : agneaux sans dents, 18
sujets
Deuxième section : béliers ayant deux dents de
remplacement, 14 sujets
Troisième section : béliers ayant plus de deux
dents de remplacement, 15 sujets
Quatrième section : agnelles sans dents, 19 lots
Cinquième section : brebis ayant deux dents de
remplacement, 20 lots
Sixième section : brebis ayant plus de deux
dents de remplacement, 21 lots
Soit au total : 227 sujets
Deux sous-commissions du jury ont été constituées
à la mairie de Saint-Privat, par les soins
du Commissaire général.
MM. Chauvin Auguste, Ravoux, Pouderoux,
Carlet, Breuil eurent à examiner les animaux
des première, deuxième et sixième sections.
MM. Fabre, Badon, Boyer, Lafont, Vaure,
jugèrent les animaux des troisième, quatrième
et cinquième sections.
Les opérations du jury se terminèrent vers
midi. A 12 heures 30, la municipalité offrit un
banquet réunissant les membres du jury, les
commissaires et de nombreux invités. M. Comtet,
préfet de la Haute-Loire, présidait avec M.
Boyer, président du Conseil général. On remarquait
à leurs côtés, notamment Messieurs
Ramey, conseiller d'arrondissement, maire de

Saint-Privat-d'Allier, Chauvin Auguste, ancien
député, Jacquet, Ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées, Archer, directeur des Services agricoles,
Fabre, directeur des Services vétérinaires,
Joubert, conseiller d'arrondissement, le
docteur de Morangiès, Boyer, Ingénieur
TPE….
Au champagne, M. Ramey prit le premier la
parole pour saluer les personnalités présentes.
M. Fabre, directeur des Services vétérinaires
lui succède. Il donne d'utiles conseils aux éleveurs
et au sujet de la destruction du virus
aphteux qui se conserve et si l'on n'y prenait
garde, pourrait très bien donner de nouvelles
preuves de son activité au printemps prochain.
Pour le faire disparaître complètement, il incite
les éleveurs à désinfecter soigneusement leur
étable et leur fumier. Le crésyl, le lysol…
conviennent parfaitement pour cette opération.
M. Archer, directeur des Services agricoles,
présente les excuses de M. Bailly, Inspecteur
régional de l'agriculture, retenu par d'autres
obligations. Il se fait l'interprète de tous en lui
exprimant la gratitude des éleveurs pour le
maintien de la subvention que l'Etat accorde au
Concours spécial de la race ovine Noire.
Il adresse ses remerciements à M. Ramey,
maire de Saint-Privat-d'Allier et à son secrétaire,
M. Girard, pour l'organisation bien comprise
du concours.
Il dégage la leçon du concours et se déclare
satisfait de la belle réussite de cette manifestation
en dépit de l'épidémie de fièvre aphteuse
qui vient de sévir dans toute la région. L'effectif
des animaux présentés est même en légère
augmentation par rapport à celui de 1936 : 227
sujets contre 221 (23 élevages). Les membres
du jury se sont plu à reconnaître les nouveaux
progrès réalisés. Il les remercie de leur précieuse
collaboration en la personne des présidents
des sous-commissions : MM. Chauvin et
Fabre. Il tient aussi à adresser ses remerciements
à M. Lafont, vétérinaire sanitaire, pour
la façon dont il a rempli sa tâche.
M. Archer avise les éleveurs que le Syndicat
d'élevage de la race noire de Bains accordera
une surprime égale à 20 % des primes obtenues
par les lauréats ; toutefois, ceux-ci pour pouvoir
en bénéficier, devront être adhérents du
Syndicat et avoir acquitté leur cotisation de
l'année 1937, fixée à 10 francs.
M. Archer conseille vivement aux éleveurs de
faire partie de ce Syndicat et de le revivifier
afin qu'il puisse rendre les services qu'on est en
droit d'attendre de lui. Demain, sa tâche sera
5
d'envisager la constitution d'un livre généalogique
pour le mouton Noir de Bains. Au cours
de la tournée itinérante d'inscription des animaux,
la Commission pourra donner d'utiles
conseils aux éleveurs.
De la sorte, la sélection sera plus rapide et les
troupeaux plus homogènes. La participation
aux encouragements attribués par les Pouvoirs
publics devra progressivement être réservée
aux seuls éleveurs faisant l'effort d'amélioration
et d'organisation collective qui s'impose.
M. Jacquet, Ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées, s'adresse ensuite aux représentants
des municipalités pour leur montrer les résultats
qu'on peut retirer des prestations bien faites
pour l'améliorations des chemins vicinaux
et ruraux, organes de liaison indispensables
entre les villages et les voies de pénétration du
progrès dans les campagnes.
M. Chauvin Auguste, présente les excuses de
son fils retenu par les opérations de la Coopérative
de producteurs de lentilles. Il exprime le
désir que l'Assemblée départementale vote les
crédits nécessaires à l'organisation de la lutte
préventive contre la fièvre aphteuse par l'achat
de sérum distribué gratuitement aux éleveurs.
M. Alexandre Boyer prend ensuite la parole,
ainsi que M. Comtet, préfet de la Haute-Loire.
Leurs discours sont fréquemment salués d'applaudissements.
Ils remercient, l'un et l'autre,
M. Ramey de son aimable invitation, ainsi que
les principales personnalité présentes.
A la fin de ce déjeuner amical, M. Trescartes,
maire de Saint-Vidal, reçoit des mains de M.
Boyer, la décoration de Chevalier du Mérite
Agricole.

PALMARES
MALES
1 ère Section
Mâles n'ayant pas piqué, mais étant âgés de
plus de 6 mois.
1 er prix, M. Broussard Ferdinand à Bains, une
médaille de bronze offerte par le Gouvernement
de la République et 60 francs
2 ème prix, M. Delouche Victorin à Chardassac
de St-Bérain, 50 francs
3 ème prix, M. Vallet François au Chier de St-
Didier-d'Allier, 40 francs
4 ème prix, M. Dupuy Pierre à Connac de St-
Privat-d'Allier, 40 francs
5 ème prix, M. Defix Cyprien au Vernet, 30
francs
6 ème prix, M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-
Privat-d'Allier, 30 francs
7 ème prix, M. Rouchon Joseph à Mercoeur de
St-Privat-d'Allier, 25 francs
8 ème prix, M. Faisandier Eugène au Chier de St-
Didier-d'Allier, 25 francs
9 ème prix, M. Bonnet Baptiste à Varennes de
St-Privat-d'Allier, 25 francs
10 ème prix, M. Vaure Gabriel à Vergnes de St-
Bérain, 20 francs
11 ème prix, M. Rome Séverin au Bouchet de St-
Bérain, 20 francs
2 ème section
Mâles n'ayant que deux dents de remplacement
1 er prix, M. Rome Séverin au Bouchet de St-
Bérain, une médaille de bronze offerte par le
Gouvernement de la République et 80 francs
2 ème prix, M. Defix Cyprien au Vernet, 60
francs
3 ème prix, M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-
Privat-d'Allier, 50 francs
4 ème prix, M. Dupuy Pierre à Connac de St-
Privat-d'Allier, 40 francs
5 ème prix, M. Ménabé Edouard à Bains, 40
francs
6 ème prix, M. Vallet François au Chier de St-
Didier-d'Allier, 30 francs
7 ème prix, M. Faisandier Eugène au Chier de St-
Didier-d'Allier, 30 francs
8 ème prix, M. Eymard Joseph-Anatole à Nolhac
de St-Privat-d'Allier, 25 francs
9 ème prix, M. Charreyre Casimir à St-Privatd'Allier,
25 francs
10 ème prix, M. Béraud Joseph à St-Privatd'Allier,
25 francs
6
3 ème section
Mâles ayant plus de deux dents de remplacement
1 er prix, M. Dupuy Pierre à Connac de St-
Privat-d'Allier, une médaille d'argent offerte
par le Gouvernement de la République et 100
francs
2 ème prix, M. Gauthier JP à Ramourouscle de
Bains, 80 francs
3 ème prix, M. Vallet François au Chier de St-
Didier-d'Allier, 70 francs
4 ème prix, M. Besqueut Adrien à St-Bérain, 60
francs
5 ème prix, M. Mestre Jules à Bains, 50 francs
6 ème prix, M. Faisandier Eugène au Chier de St-
Didier-d'Allier, 40 francs
7 ème prix, M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-
Privat-d'Allier, 30 francs
8 ème prix, M. Ménabé Edouard à Bains, 30
francs
9 ème prix, M. Joubert Baptiste à Rochegude de
St-Privat-d'Allier, 20 francs
10 ème prix, M. Chacornac Baptiste à Fay de
Bains, 20 francs
4 ème section
Femelles n'ayant pas piqué mais étant âgées
de plus de 6 mois
1 er prix, M. Dupuy Pierre à Connac de St-
Privat-d'Allier, 60 francs
2 ème prix, M. Broussard Ferdinand à Bains, 50
francs
3 ème prix, M. Mestre Jules à Bains, 40 francs
4 ème prix, M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-
Privat-d'Allier, 30 francs
5 ème prix, M. Ménabé Edouard à Bains, 30
francs
6 ème prix, M. Joubert Baptiste à Rochegude de
St-Privat-d'Allier, 25 francs
7 ème prix, M. Faisandier Eugène au Chier de St-
Didier-d'Allier, 25 francs
8 ème prix, M. Vallet François au Chier de St-
Didier-d'Allier, 20 francs

9 ème prix, M. Rouchon Joseph à Mercoeur de
St-Privat-d'Allier, 20 francs
10 ème prix, M. Defix Cyprien au Vernet, 20
francs
5 ème section
Femelles n'ayant que deux dents de remplacement
1 er prix, M. Rome Séverin au Bouchet de St-
Bérain, 80 francs
2 ème prix, M. Faisandier Eugène au Chier de St-
Didier-d'Allier, 60 francs
3 ème prix, M. Belledent Emile à Belvezet de St-
Jean-Lachalm, 50 francs
4 ème prix, M. Rouchon Joseph à Mercoeur de
St-Privat-d'Allier, 40 francs
5 ème prix, M. Ménabé Edouard à Bains, 40
francs
6 ème prix, M. Broussard Ferdinand à Bains, 30
francs
7 ème prix, M. Eymard Joseph-Anatole à Nolhac
de St-Privat-d'Allier, 30 francs
8 ème prix, M. Defix Cyprien au Vernet, 25
francs
9 ème prix, M. Bonnet Baptiste à Varennes de
St-Privat-d'Allier, 25 francs
10 ème prix, M. Charreyre Casimir à St-Privatd'Allier,
25 francs
11 ème prix, M. Parrier Pierre à Bergougeac de
St-Privat-d'Allier, 20 francs
12 ème prix, M. Dupuy Pierre à Connac de St-
Privat-d'Allier, 20 francs
6 ème section
Femelles ayant plus de deux dents de remplacement
1 er prix, M. Rouchon Joseph à Mercoeur de St-
Privat-d'Allier, une médaille de bronze offerte
par le Gouvernement de la République et 80
francs
2 ème prix, M. Eymard Joseph-Anatole à Nolhac
de St-Privat-d'Allier, 70 francs
3 ème prix, M. Delouche Victorin à Chardassac
de St-Bérain, 60 francs
4 ème prix, M. Vallet François au Chier de St-
Didier-d'Allier, 50 francs
5 ème prix, M. Broussard Ferdinand à Bains, 40
francs
6 ème prix, M. Belledent Emile à Belvezet de St-
Jean-Lachalm, 30 francs
7 ème prix, M. Faisandier Eugène au Chier de St-
Didier-d'Allier, 30 francs
8 ème prix, M. Parrier Pierre à Bergougeac de St-
Privat-d'Allier, 25 francs
7
9 ème prix, M. Rome Séverin au Bouchet de St-
Bérain, 25 francs
10 ème prix, M. Besqueut Adrien à St-Bérain, 20
francs
11 ème prix, M. Dupuy Pierre à Connac de St-
Privat-d'Allier, 20 francs
12 ème prix, M. Defix Cyprien au Vernet, 20
francs
13 ème prix, M. Chausse François à Rochegude
de St-Privat-d'Allier, 15 francs
14 ème prix, M. Bonnet Baptiste à Varennes de
St-Privat-d'Allier, 15 francs
15 ème prix, M. Blanc Joseph à Céaux de St-
Privat-d'Allier, 15 francs
NOTA : Ces primes seront mandatées directement
aux intéressés. Les médailles peuvent
être retirées dès maintenant chez M. Girard,
secrétaire de mairie à St-Privat-d'Allier.
Par ailleurs, le Syndicat d'élevage de la race
ovine noire de Bains avise les lauréats du
concours qu'il accordera à ceux d'entre eux,
membres du Syndicat et ayant payé leur cotisation
de 1937, une surprime qui pourra être
égale à 20 % du montant des primes figurant
dans le présent palmarès.
Les intéressés auront à s'adresser à M. Rouchon
Joseph, à Mercoeur de St-Privat-d'Allier,
trésorier du Syndicat.
( à suivre )

La Néira et les Volcans d’Allègre :
2 ème édition
Il fait encore frais ce matin du 16 août 2009.
La journée s'annonce caniculaire avec un petit
risque d'orage. Nous prenons la route pour
rejoindre Allègre et la deuxième édition de
cette fête dédiée à la Noire du Velay. Passage
à Fix au milieu des prés bordés de haies
d'épilobes roses aux graines floconneuses. Les
bois de sapins sont frais et dégagent des
fragrances de résine. Ils se succèdent avec des
villages en clairière. Nous descendons dans
une petite plaine avant d'engager la montée
d'Allègre. Scieries et collectes de champignons
témoignent du passé forestier de la région.
Guidés par de beaux panneaux, nous prenons
une route à droite pour rejoindre le site.
Le site
Un stock de "Souffle de la Neira" à déposer et
distribuer nous mènent au centre de
l'esplanade. Nous sommes en avance et
l'installation des artisans et producteurs
fermiers bat son plein. Gilbert Duflos, toujours
souriant, est très sollicité. Nous déposons nos
revues et partons nous garer à l'ombre
accueillante de grands arbres. Le troupeau de
brebis pomponnées est parqué à proximité.
Elles ne savent pas encore ce qui les attend en
ce dimanche de fête.
Equipés pour la randonnée, nous revenons vers
le centre névralgique de la manifestation entre
salle polyvalente et Maison du Mont Bar.
Brebis et agneaux nouveaux nés sont déjà en
place dans leur petit parc. Elles seront rejointes
8
dans la matinée par la cabane de berger, la
tueille, construite par Pierrot et Philippe
Chabanne et en début d'après midi par Clément
et Jean spécialistes de la fabrication
traditionnelle de paniers en viorne et de
pailhas.
Nous nous essayons aux jeux en bois installés
par "Brin de Ficelle" de Fontannes, près de
Brioude. Des jeux pour exercer l'habileté, la
mémoire, les sens... des petits et des grands !
La buvette se met en place et sera assiégée
dans la chaleur de l'après midi. Le podium de
l'Eveil s'apprête à animer la fête.
Prudemment nous avions retenu nos repas et
nous passons au stand de réservation retirer
nos tickets.
L'association des Artisans du Mont B'Art
présente les réalisations de ses adhérents dans
une pièce de la salle polyvalente. Nous y
remarquons une belle tête de Noire en
céramique. Les producteurs fermiers et artisans
s'installent autour de la place.
Les "cuisiniers" mettent les feux en batterie
derrière la salle polyvalente. Ils nous font
déguster de délicieux foies d'agneau grillés à
point pour aiguiser nos papilles.
Randonnée autour du Mont Baury
Les marcheurs de plus en plus nombreux se
regroupent entre le Musée du Mont-Bar et la
salle Polyvalente. Ils seront environ 250 à
suivre le troupeau. Le troupeau est prêt
pour une randonnée de 6,5 km autour du
volcan de Baury et en final la traversée du
bourg médiéval d’Allègre.
Stéphane Charrat donne le signal de départ.
Les brebis impatientes sont difficiles à contenir
dans la traversée du lotissement de la
Mouteyre. Les randonneurs s'échelonnent
suivant la largeur du chemin. Il faut stopper les
brebis de temps en temps pour attendre les
retardataires, à la faveur d'une zone ombragée,
en particulier avant de traverser la route
départementale qui mène à la Chaise-Dieu.
Nous empruntons un court instant la route de
Pouzols avant de rattraper un chemin plus
champêtre. Les prés sont verts. Les récoltes de
foin ont étés bonnes grâce à des orages en cet
été plutôt chaud et peu arrosé. Nous longeons
de superbes parcelles de maïs aux épis
abondants et bien remplis. Il fait de plus en
plus chaud. Nous passons dans un chemin en
tranchée et faisons halte à l'ombre. Les brebis
en profitent pour brouter délicatement
quelques buissons. Des chevaux étonnés

egardent passer cette caravane insolite. Loïc
Giral et sa cabrette nous accompagne au long
du chemin et nous régale d'airs traditionnels.
Nous approchons d'Allègre et longeons le mur
d'une belle propriété ayant appartenu à la
famille Grellet de la Deyte et d'un vaste parc
arboré.
A l'angle nous descendons une ruelle en degrés
qui nous conduit dans Allègre et bientôt nous
passons la porte de Monsieur. Les brebis se
pressent et se bousculent pour franchir ce
goulet d'étranglement. Cette porte ogivale,
surmontée de mâchicoulis et flanquée de deux
tours, donnait accès à l'intérieur de la première
enceinte du château au 14 ème siècle. Nous
suivons le troupeau place du Marchédial,
ancien foirail bordé de nombreux hôtels
particuliers de notables du 15 ème siècle : hôtels
des Sailhans-Mozac, de la Clède, des Grellet,
des Guérin de Pouzols, de Bar et d'Artasse. Le
troupeau progresse en direction de la Potence
et clin d'œil à l'une des chevilles ouvrières de
cette manifestation, Stéphane Charrat stoppe
devant la maison de Gilbert Duflos bien
reconnaissable à ses affiches annonçant la
présente fête. Bien à l'ombre, les brebis peinent
à reprendre la route vers la Potence où le
Crédit Agricole a organisé pour les
randonneurs une halte rafraîchissements. Les
brebis sont en liberté au pied de la motte
castrale, à l'ombre. Elles ont des fourmis dans
les jambes et s'échappent pour continuer seules
la randonnée. Il faudra la vivacité des chiens
pour les ramener à la raison. Les
9
rafraîchissements sont les bienvenus et les
randonneurs, un verre à la main, s'égaillent à la
recherche d'une ombre. Les enfants
infatigables escaladent le promontoire de la
Potence. Des promeneurs se repèrent grâce à la
table d'orientation émaillée et profitent d'une
vaste vue panoramique. La Potence, la mal
nommée, n'est en fait que l'impressionnant
vestige de 2 des 23 tours que compta le
château des seigneurs barons et marquis
d'Allègre, détruit en 1698 par un formidable
incendie. Dès lors, il servira de carrière et l'on
retrouve dans le bâti proche de nombreuses
pierres réemployées.
Le troupeau entreprend la descente en longeant
le bourg en direction de la salle des fêtes. Les
brebis sont parquées, un peu de calme avant les
évolutions de l'après midi.
Repas et marchés
A midi a eu lieu la bénédiction du troupeau, et
l’inauguration de la cabane de berger en
présence de Tony Bernard (Président du Parc
Naturel Régional du Livradois Forez), de
Marie-Agnès Petit (Conseillère régionale et
générale), de Jean Luc Fraisse (Maire
d’Allègre), de Jean-Noël Borget animateur du
CPIE du Velay, d’éleveurs venus du Monastier,
de géologues du Groupe Géologique de Haute-
Loire, et de Conseillers municipaux d’Allègre.
Chez nous, il ne s’était plus construit de tueille
depuis près d’un siècle, mais la technique ne
s'est pas perdue. Paul Marrel, ancien éleveur de
Noire, se souvient de celle de ses parents qu'il
utilisait comme cabane d'affût pour chasser les
grives.
Tout est maintenant en place pour le repas dans
la salle des fêtes. Il faut même installer des
tables à l'extérieur pour servir les 460
convives.
Le menu est prometteur :
Terrines d’agneau du Gaec de Combe d'Azou,
Grillades d’agneau noir du Velay,
Salade de lentilles vertes du Puy,
Fromages de Pays : brebis de Philippe
Cubizolles et vache de Nathalie Chalendard,
Tartes aux fruits rouges de Laurent et Raph,
Pain des bergers de Martial David.
Eau à volonté sur les tables.
Vin en supplément.
Bien restaurés, nous prenons le temps de faire
le tour du marché fermier, réponse de nos
petits producteurs à la mondialisation et à ses
produits banalisés et à la perte de valeurs de
nos circuits coopératifs pourtant bâtis avec

ferveur à l'origine. L'artisanat de la laine est
aussi présent avec une petite entreprise de
Langogne : chaussettes, pulls et autres lainages
tricotés à la main. Nous remarquons aussi les
réalisations en feutre des Ateliers de la Bruyère
de Saugues : chapeaux, bérets, sac à pain, boite
à œufs et même nichoir à oiseaux… Dire que
la laine ne vaut plus rien, quel gâchis !
Exposition géologique et Maison du
Mont Bar
Nous avons encore un peu de temps et nous
visitons la très riche mais gratuite exposition
"Richesses géologiques de la Haute-Loire"
concoctée par le très actif Groupe Géologique
de Haute-Loire présidé par Casimir Cortial, à
l'arrière de la Maison du Mont-Bar. Nous
enchaînons avec la visite payante de la toute
nouvelle Maison du Mont-Bar créée par la
commune d’Allègre, la Communauté des
communes des Portes d’Auvergne, le CPIE du
Velay et le Parc Naturel Régional du
Livradois-Forez. C'est une façon très ludique
de découvrir volcanisme local et
environnement.
Démonstrations et animations
Malgré quelques gouttes de pluie orageuse,
massés derrière les barrières, les nombreux
spectateurs assistent à la tonte moderne des
brebis avec tondeuse électrique à moteur
suspendu. Le tondeur utilise une potence et une
ceinture ventrale destinée à lui soulager le dos.
Jadis la tonte se pratiquait aux ciseaux ou aux
"forces" souvent lors du gardiennage. La laine
était utilisée à la maison et le surplus vendu
aux foires aux laines.
Les démonstrations de chiens de berger sont
toujours spectaculaires. La bonne exécution
d'une manœuvre est un compromis délicat :
volonté du berger transmise au chien qui prend
10
l'ascendant sur les brebis. Nos vieux bergers
élevaient d'excellentes souches bergères de
chiens de race indifférenciée. Puis sont
arrivées les races spécialisées et chez nous le
Bas-Rouge, gros chien vigoureux et de contact,
vite remplacé par le petit Border Collie, mieux
adapté à nos systèmes d'élevage. Les jeunes
éleveurs ont dû suivre avec leurs chiens des
sessions de formation au dressage. Bien
qu'ayant des aptitudes naturelles, un jeune
chiot doit subir toute une série d'apprentissages
pour devenir un auxiliaire précieux et même
indispensable.
Ces démonstrations donnent un aperçu du
métier assez complexe et passionnant de
berger.
Une fête de plus ?
Ces deux fêtes de la Noire, au printemps au
Monastier et l'été à Allègre, sont bien sûr des
moments conviviaux en famille et entre amis.
C'est aussi la manifestation d'un certain art de
vivre cher aux organisateurs.
C'est d'abord la joie d'avoir "sauvé" cette
brebis Noire du Velay, patrimoine génétique
précieux et symbole de biodiversité et joie de
faire percevoir sa beauté mystérieuse.
Nous aimons la voir évoluer dans ce contexte
volcanique car elle en semble directement
issue avec la nuit de sa toison de lave éclairée
par son étoile. Elle fait corps et âme avec ces
paysages volcaniques reconnus et mis en
valeur actuellement : tourisme vert et
économie touristique induite…
Nous voudrions voir apprécier et déguster les
produits issus de ce riche terroir et proposés en
vente directe ou circuits courts par nos petits
producteurs locaux.
Alors une autre fête de plus… oui mais une
fête utile !
Pour nous retrouver ?
Les organisateurs vous donnent rendez vous au
Monastier et l'été prochain à Allègre.
Vous trouverez aussi une foule d' informations
et bientôt peut-être votre "Souffle de la Neira"
sur un des sites suivants :
brebis-noire-gaec-combe-azou.org
amisdallegre.free.fr
Jean Claude Brunelin

Bail d’un domaine agricole à Chaduzias, paroisse
d’Allègre (6 avril 1682)
Le 6 avril 1682, le français Cavelier de La Salle atteint le golfe du Mexique et prend
solennellement possession de la contrée, baptisée Louisiane, en l’honneur de Louis XIV qui
va installer définitivement la cour, à Versailles, le mois suivant…
A Allègre, ce lundi 6 avril 1682, en l’étude du notaire royal Couderc, Barthélemy Grellet,
bourgeois, habitant de la ville d’Allègre, « assence », pour six ans, à Anthoine Boutaud, fils à
feu Anthoine Boutaud dit Flassadier, laboureur, habitant le village de Chambarel, paroisse
de Céaux, la borie et métairie qu’il possède à Chaduzias 1 . Il se réserve des prés, terres et bois
situés à Besses ainsi qu’une maison avec sa grange. La date du contrat de fermage est
traditionnelle puisque le début, officiel, de l’entrée en jouissance remonte à « la fête de
Notre-Dame de mars dernière », soit le 25 mars.
Nous ne connaissons pas les superficies des terres concernées, nous savons seulement
qu’il y a des pré et des « pâturaux » pour lesquels le fermier devra donner, chaque année, 7O
livres en argent, 25 livres (poids cette fois) de beurre, autant de fromage, ainsi que 4
chapons ; ces informations montrent la présence d’élevage bovins sur l’exploitation, ainsi
que l’élevage de volaille. L’ensemble doit être payé, selon la tradition, à la saint Michel
(29 septembre). Les terres mises en culture rapporteront au bailleur pour les céréales, le quart
1 Archives départementales de la Haute-Loire, 99 J 2. Le document n’est pas l’original, mais
l’expédition (copie faite par le notaire).
11

Bail d’un domaine agricole à Chaduzias - 1682
de ce qu’elles produiront, récolte à partager « à la gerbe et autour du plongon 2 », le fermier
devra apporter, dans la grange, en plus, deux setiers quatre cartons de seigle et deux setiers
d'avoine, indication des céréales cultivées. Pour aider au battage, le bailleur fournira « une
manœuvre », c’est–à-dire un homme, que le fermier devra nourrir.
Des légumes sont également cultivés et répartis « au carton », sans que nous en
connaissions le détail ; seules les raves sont précisées et en quantité définie : trois charretées,
ce qui excède vraisemblablement le quart, preuve de leur importance dans l’alimentation 3 .
Le chanvre est la dernière production mentionnée sur le domaine, avec cette fois, la moitié
de la production pour le bailleur 4 .
Le fermier est tenu, formule qui se retrouve dans tous les baux, de « bien labourer,
cultiver et fumer et semer les terres de la métairie » et entretenir les prés et leurs rases ; et à la
fin du bail de « rendre semblable quantité de terre labourée, cultivée, fumée et semée qui lui
sera baillée suivant la vérification qui en sera faite 5 ». La dernière année, il devra laisser « une
motte de foin dans la grange assancée, du côté de la maison d’Anthoine Ribaire, jusque au
second « saumier 6 » du côté de la porte de la hauteur de cinq pieds et demi 7 », ainsi qu’une
quantité de paille dont le volume n’est pas indiqué sur l’acte, un blanc n’a pas été rempli. En
outre, il faudra rendre l’étable garnie de crèches et râteliers, plus tout le « fiant » qui se fera
pendant l’hiver dans l’étable.
La dernière obligation, forme de corvée, consiste à effectuer chaque année huit
« bouades » à la demande du bailleur. Le mot correspond parfaitement, car ce domaine,
relativement important, doit posséder une paire de bœufs, ce qui est loin d’être général.
Ensuite nous connaissons les biens mis à la disposition du fermier pour la maison, il y a
« une garde-robe bois pin avec une serrure et la clé, plus un petit armoire de chêne, plus une
2 Le plongeon est la meule de blé, le gerbier, qui reste dans les champs jusqu’au battage.
3 La pomme de terre n’a pas encore avoir fait son apparition à Allègre et dans la région à cette date.
Actuellement, la date la plus ancienne connue est, en 1758, à Sassac, paroisse de Félines (R. Bore,
Cahiers de la Haute-Loire, « L’Hôtel-Dieu d’Allègre des origines à la Révolution », 2007).
4 Le chanvre d’Allègre avait bonne renommée, en 1755, Louis Estadieu, contrôleur du dixième ou du
vingtième en la généralité de Riom, écrit dans la vérification qu’il réalise à Allègre : « Les chènevières
sont bonnes et d’un produit considérable le chanvre étant très beau ».
5 Malheureusement, nous n’avons pas trouvé trace de cette vérification, document qui fournit les
quantités qui doivent de récolter.
6 Sommier : pièce de charpente.
7 Environ 1,80 mètres.
12

Bail d’un domaine agricole à Chaduzias - 1682
maie avec un couvert, plus le bois d’un lit et un grenier à quatre « meions », plus le « couvert
d’une table » ; les meubles indispensables pour pouvoir y vivre.
Pour les travaux sont fournis : un char neuf avec un « lian » de fer au bout de la roue et
un autre au timon, deux araires de « varene », une « relhe 8 de varene » pesant sept livres, une
« eguilhade 9 » avec son « esgulion » de fer, un joug garni, une chaîne de fer avec ses croches.
Les divers « outils » ne sont pas mentionnés, ils doivent appartenir en propre au fermier.
Ensuite, élément qui nous révèle l’élevage du mouton sur le domaine, la présence d’une
loge (cabane pour le berger) avec des roues 10 estimées quatre livres, et dix et huit claies de
parc. Cette mention est la plus importante originalité de ce document car la plus ancienne
que nous connaissons pour Allègre. Dans l’écurie se trouve aussi le bois d’un lit avec deux
« meyons » pour mettre les « canalles ».
Le contrat se termine par les classiques formules qui doivent garantir l’accord,
l’énumération des témoins et les signatures de ceux qui savent le faire, ce qui n’est pas le cas
d’Antoine Boutaud, et le paraphe du notaire royal.
Ce document, conservé, en partie par le hasard, depuis 327 ans, nous a permis de
retrouver - et d’imaginer - quelques aspects de la vie dans un monde qui nous paraît bien
lointain, avec une originalité dans les informations qu’il renferme, en peu de mots,
l’existence, à Allègre, de « loges » pour les bergers, sans doute assez semblables à celles que
l’on retrouvait encore au XX e siècle, sur les monts d’Auvergne.
13
René Bore
Brives-Charensac, 6 novembre 2009
8 Ou reille, soc de l’araire, la seule partie en fer, matière chère à l’époque, d’où l’indication de son
poids.
9 L’aiguillade ou pique-bœufs est une gaule armée d'une pointe pour piquer les bœufs. La grande
dimension du manche de l’araire (estève) faisait que l’aiguillade avait de 3 à 6 mètres.
10 Deux ou quatre ? Il n’y a pas la précision.

Des parcs et du parcage en 1791
Cet article consacré aux parcs et aux parcages
est extrait du Tome II de l' "Encyclopédie
méthodique : agriculture ", publiée à Paris
chez Panckoucke, hôtel de Thou, rue des Poitevins,
en 1791. Les auteurs en sont Tessier,
docteur-Régent de la faculté de médecine, de
l'académie royale des sciences, de la société
royale de médecine ; André Thouin et Louis
Augustin Guillaume Bosc de l'académie royale
des sciences.
Alexandre-Henri Tessier
est né à Angerville en 1741.
Il fait de brillantes études au
collège de Montaigu, prend
le titre d'abbé qu'il conserva
longtemps sans jamais rentrer
dans les ordres. Sorti du
collège, il se consacre aux
sciences naturelles et est
reçu docteur en médecine en
1776. Il s'occupe dès lors de
questions relatives à l'agriculture.
Membre de la Société
Royale de Médecine, il
est chargé d'étudier l'ergot
de seigle en Sologne, région
très touchée par ce fléau.
Cette mission le conduisit à
l'étude des maladies des
grains en Beauce et il publia un traité complet
en 1783. Ce voyage en Beauce fut aussi l'occasion
d'un mémoire sur les animaux de cette
province.En 1786, il était nommé Directeur de
la ferme de Rambouillet, créée par Louis XVI
pour faire des expérimentations sur les moutons
Mérinos et l'améliorations des toisons.
Pendant la révolution, la ferme fut déclarée
nationale. En 1805, Tessier est sollicité pour
créer des bergeries régionales. Il publie ses
Instructions sur les bêtes à laine et particulièrement
les Mérinos (Paris, 1810-1811). A 94
ans, il rédige Histoire de l'introduction et de la
propagation du mérinos en France (Mémoire
de la Société centrale d'Agriculture). Il décède
en décembre 1837.
André Thouin, botaniste et agronome
français, est né le 10 février 1747 et mort à
Paris le 27 octobre 1824. Fils de Jean-André
Thouin (mort en 1764), jardinier en chef du
Jardin du Roi, et frère du paysagiste Gabriel
Thouin (1747-1829), André apprend la
botanique auprès de Bernard de Jussieu (1699-
14
1777). Son père meurt alors qu’il a dix-sept
ans. Buffon (1707-1788) lui offre alors la place
de son père. Il collabore à l’Encyclopédie.
Grand maître des collections du Muséum, botaniste,
spécialiste des greffes et de la culture
des plantes exotiques, il devient membre de la
Société d’Agriculture en 1784, membre de
l’Académie des Sciences en 1786, en tout de
72 académies ou sociétés savantes. Il fait
l’inventaire, avec René Desfontaines (1750-
1831), des jardins botaniques des environs de
Paris possédés par les nobles et autres dignitaires
déchus. En 1791, il
est nommé professeur
administrateur du
Muséum d’histoire
naturelle, chargé du
cours de culture et de
naturalisation des végétaux
étrangers ; il y
crée en 1806 une école
d’agriculture pratique.
Il habite au Jardin des
plantes, avec ses frères
et ses sœurs, en annexe
des anciennes serres,
recevant parfois
Malesherbes,
Rousseau, etc. En
1794, il suit les armées
aux Pays-Bas où il est
chargé, avec Barthélemy Faujas de Saint-Fond
(1741-1819), de récupérer des collections. Il a
la même mission, en 1796, lors de la campagne
d’Italie de Bonaparte. Georges Cuvier (1769-
1832) prononcera son éloge devant l'Institut.
Louis Augustin Guillaume Bosc d'Antic est
un naturaliste français, né le 29 janvier 1759 et
mort le 10 juillet 1828 à Paris. Il fait ses études
à Dijon, élève du botaniste Jean-François Durande
(1732-1794) et du chimiste Louis-
Bernard Guyton-Morveau (1737-1816). Ne
pouvant entrer dans l’artillerie, il travaille
d’abord pour les services du contrôleur général
en 1777, puis à l’intendance des Postes. Il suit
les cours de botanique d’Antoine-Laurent de
Jussieu (1748-1836) et rencontre René Desfontaines
(1750-1831), Pierre Marie Auguste
Broussonet (1761-1807). Il fréquente également
le célèbre couple Jean Marie Roland
(1734-1793) et Madame Roland (1754-1793),
et entretient des relations suivies avec Johan
Christian Fabricius (1745-1808). Il refuse
d’embarquer aux côtés de Lapeyrouse (1744-
1818) dans son expédition autour du monde.

Roland lui permet d’accéder à un emploi plus
substantiel, mais la disgrâce du ministre
l’entraîne à sa suite et il est destitué le 31 mai
1793. La Révelière-Lépeaux, devenu membre
du Directoire, permet à Bosc d’Antic de partir
pour les États-Unis d'Amérique, d’abord
comme vice-consul à Wilmington en 1797,
puis comme consul à New York en 1798. Il
doit rentrer en France, devient un temps administrateur
des hospices et des prisons, et obtient
en 1803, après un voyage en Suisse et en Italie
et grâce à Georges Cuvier (1769-1832), un
poste dans les jardins et les pépinières de Versailles.
Il donne ses collections à ses amis naturalistes.
En 1825, il succède à André Thouin
(1746-1824) à la chaire de culture du Muséum
national d'histoire naturelle de Paris. Il meurt
précocement quelques années plus tard.
Voici donc la rubrique consacrée aux parcs
et parcages. La graphie a été actualisée pour
faciliter la lecture mais il reste quelques tournures
d'ancien français. Les illustrations techniques
sont prises dans l'ouvrage de Daubenton
"Instruction pour les bergers et les
propriétaires de troupeaux" publié en 1810.
"L'espace dans lequel est contenu un troupeau
de bêtes à laine, au dehors et sans abri, se
nomme parc.
On en distingue de deux sortes, l'un domestique
ou d'hiver, l'autre des champs ou d'été.
Il n'y a guère que des propriétaires, curieux
de s'instruire, qui, à l'exemple de Monsieur
Daubenton, aient leurs troupeaux ou une partie
de leurs troupeaux en hiver dans des parcs
totalement à découvert. Ils les ont formés avec
les claies qui servent pour les parcs des
champs, les uns, au milieu d'une cour de ferme,
profitant des murs des bâtiments ; les autres,
dans des endroits isolés et exposés à toutes les
injures de l'air. Je viens de rendre compte de
mon opinion sur cette pratique.
Beaucoup de cultivateurs, après avoir renfermé
leurs troupeaux dans les bergeries, pendant
l'hiver, les font coucher au printemps, en
attendant le temps du parc des champs, au
milieu de leur cour, sur le fumier, ayant soin de
leur fournir, tous les jours, de la litière fraîche,
et les contenant entre des claies. Cette manière
de les loger les soulage de la chaleur excessive
des bergeries et les accoutume à l'air.
La construction d'un tel parc est simple, et
n'exige point de frais. Il suffit d'attacher, à côté
les unes des autres, quelques claies, et de met-
15
tre dans l'enceinte les râteliers et les auges,
pour placer la nourriture.
Si l'on voulait établir un parc domestique,
particulier et entouré de murs, au lieu de claies,
il faudrait que ce fut d'après les principes de
M. Daubenton.
Les meilleures expositions sont celles du
Midi, du Sud-Ouest et du Sud-Est, parce que
les murs du parc mettent le troupeau à l'abri
des vents de bise et de galerne (vent de nordouest,
froid, humide et soufflant en rafales
violentes). Les moutons y résistent, comme aux
autres expositions, mais ils y sont fatigués. Des
bêtes à laine, qui seraient répandues dans la
campagne, comme les animaux sauvages, y
trouveraient des abris ; il faut donc placer leur
parc dans le lieu le plus abrité de la basse cour.
Il faut aussi que le terrain du parc soit en pente,
afin que les eaux de pluies aient de l'écoulement.
M. Daubenton a donné aux murs de son parc
sept pieds (un pied = 32, cm) de hauteur ; il ne
les a fait construire qu'en pierres sèches, et
cependant des loups qui en ont approché, n'ont
pu y entrer. Chacun peut les construire avec les
matériaux du pays qu'il habite, en pierres, en
pisé, en torchis ou en planches… L'étendue
que M. Daubenton a donné au sien, était telle,
que chaque bête avait dix pieds carrés. Il faut
cette étendue pour que les brebis pleines et les
agneaux nouveaux-nés, ne fussent point exposés
à être blessés.
On attache, dans le parc domestique, les râteliers
simples aux murs ou aux claies. On
place au milieu les râteliers doubles et on met
les auges sous les râteliers.
Tant qu'il y a du fumier dans le parc domestique,
il faut de la litière renouvelée, pour empêcher
les bêtes à laine de se salir. Si on n'avait
plus de litière à leur donner, il faudrait tous les
jours balayer le parc et en enlever les ordures.
On pourrait même le sabler. Le parc des
champs ou d'été, est celui qui est employé pour
le parcage. On appelle ainsi une opération rurale
par laquelle on enferme un troupeau dans
une enceinte, non couverte, qu'on transporte
dans différents champs et dans différentes places
de ces champs, pendant plusieurs mois de
l'année, pour les fertiliser par l'urine et la fiente
des animaux.
Cet usage tient le milieu, entre la vie sauvage
et le séjour habituel dans les bergeries.

L'enceinte du parc des champs est différemment
formée, suivant les pays. La meilleure
est toujours la plus simple et la plus économique.
Dans certaines provinces, où les
loups font rares, et le pays à découvert, cette
enceinte est un filet, à larges mailles, soutenu,
de distance en distance, par des piquets. On se
sert de cordes de spart (nom donné à diverses
herbes comme l'alfa, une graminée), pour filet,
dans les provinces maritimes, où cette plante
est commune. Les mailles, suivant M. l'Abbé
Rozier ont huit à dix pouces (un pouce = 2, 7
cm) de largeur et de longueur. Les cordes, dont
elles sont faites, sont de la grosseur du petit
doigt. Le filet, qui ordinairement est tout d'une
pièce, a trois à quatre pieds de hauteur, sur une
longueur proportionnée au nombre des bêtes
qu'il doit enfermer. Une corde passe dans toutes
les mailles du bas, et une, dans toutes celles
du haut ; elles servent à attacher le filet aux
piquets.
Le berger d'abord dresse son parc, en enfonçant
les piquets avec une massue à des distances
égales. Il tourne autour la corde qui passe
librement dans les mailles, et étend ainsi son
filet, en traçant un carré allongé. Le lendemain,
ou deux jours après, il le place plus loin, jusqu'à
ce qu'il ait parqué la totalité du champ. Si
les cordes sont de spart, comme elles sont très
légères, le berger porte sans peine tout le filet.
Tant qu'il est dans le même champ, il n'a besoin
que de le traîner.
Le berger couche dans sa cabane si le pays
est froid ; dans les provinces du midi, il se
contente d'un hamac, à tissu plus serré que le
filet et garni de paille. Il est soutenu par quatre
piquets, à un pied au-dessus du niveau du
champ.
J'ai dit plus haut que pour contenir leurs
troupeaux la nuit, les bergers espagnols ont des
filets de spart et qu'au lieu de cabane, ils portent
avec eux une tente, dans laquelle ils couchent.
Ces filets seraient insuffisants dans les pays
où il y a à craindre des loups, ou d'autres animaux
dangereux et des hommes même. Alors,
cet usage est le plus ordinaire, on forme l'enceinte
avec des claies, disposées de manière à
représenter un carré plus ou moins parfait et
soutenues par des crosses.
Les claies ne se ressemblent pas dans différents
pays. Le plus souvent, on les fabrique,
avec des baguettes flexibles de coudrier ou
d'un autre bois léger et pliant, entrelacées et
croisées en sens contraire, sur des montants
16
plus gros de même bois. Dans quelques endroits,
on assemble et on cloue des voliges sur
des montants. Dans d'autres, ce sont des barreaux
de bois arrondis, d'un pouce de diamètre,
fixés entre des barres plates, bien assujetties.
On donne, à chaque claie, quatre pieds et
demi à cinq pieds de hauteur sur sept, huit et
neuf pieds de longueur. Il faut laisser aux
claies de coudrier entrelacé, ou de voliges,
trois ouvertures d'un demi-pied carré, dans leur
partie supérieure, une à chaque extrémité, et
une au milieu ; celles des extrémités servent
pour passer et attacher les crosses ; à la faveur
de celle du milieu, le berger transporte facilement
la claie. On appelle ces ouvertures voies
ou éperreaux.
Dans les claies de barreaux de bois arrondis,
il n'y a point de voies aux extrémités, où elles
sont inutiles, parce qu'on passe les crosses
entre les barreaux qui sont distants, les uns des
autres, de trois pouces. Mais, vers le milieu de
la claie, deux de ces barreaux s'écartant par
degrés, sont à la partie supérieure distants l'un
de l'autre de six pouces. C'est par là que le
berger la prend pour la transporter. Les meilleures
claies sont celles qui sont à barreaux de
bois. Elles ne donnent point de prise au vent
qui passe au travers. Il n'y a que dans les
grands ouragans où quelquefois, mais rarement,
elles ont de la peine à résister. Les claies
de coudrier entrelacé, et celles de voliges font
très sujettes à cet inconvénient. Elles sont, en

outre désavantageuses, en ce que dans les
mauvais temps les bêtes à laine, pour se mettre
à l'abri, s'approchent toutes de celles qui sont
du côté du vent et ne fument pas l'espace qui
en est éloigné.
On fait les claies à barreaux de bon chêne ou
de châtaignier, afin qu'elles soient de durée.
Souvent les barres plates sont de châtaignier et
les barreaux de chêne. Les crosses sont des
bâtons de cinq à neuf pieds, traversés à un bout
de deux chevilles de bois, de dix pouces de
longueur, écartées l'une de l'autre de six pouces,
et percées à l'autre bout d'une mortaise à
jour, propre à recevoir une clef de bois ou de
fer, qu'on enfonce dans la terre avec un maillet.
Les crosses sont les arcs-boutants des claies.
Les meilleures sont d'orme surtout, de bouleau
ou de châtaignier ; on en fait aussi de chêne,
mais il faut que ce soit du bois de pied, afin
qu'il ne fende pas.
On peut se servir, pour assujettir les crosses,
de clefs de bois dans les terrains faciles à percer.
Mais celles de fer sont préférables dans les
terrains pierreux.
La cabane du berger, appelée baraque dans
beaucoup d'endroits, doit être regardée comme
une partie essentielle du parc. C'est une alcôve
formée quelquefois entièrement de planches de
longueur, ou couverte seulement de paille ou
de bardeaux. On lui donne six pieds de longueur
et quatre pieds de largeur et de hauteur
en dedans. Elle est portée sur quatre, ou trois
ou deux roues. Celles que j'ai vues à trois
roues, en ont une en avant, comme les brouettes.
Je donnerai au mot cabane la description
d'une de celles-ci, qui m'a paru bien entendue.
Les cabanes à deux ou quatre roues, ont un ou
deux essieux. Ces dernières sont solides, leur
assiette est commode. Moyennant deux chevilles,
ou, ce qui vaut encore mieux, deux crampons
de fer, qui saillent à la partie inférieure du
panneau, ou pignon de face, un cheval les
traîne facilement où l'on veut. Les cabanes à
deux roues se terminent par une limonière. Le
train de devant est soutenu par un chevalet,
tenant à la toiture, qui se plie et se dresse à
volonté. Les cabanes à quatre roues conviennent
dans les pays plats et unis. Celles qui sont
à deux roues, sont plus utiles dans les terrains
d'une surface inégale et quand on est obligé de
les traîner dans des chemins remplis d'ornières
profondes.
On pratique aux cabanes une ou deux portes,
fermant à clef ; on les garnit d'un lit, assez
grand pour coucher le berger et son aide, d'une
17
tablette pour poser leurs hardes, provisions et
instruments, et des petites commodités qu'il ait
possible de procurer dans un espace aussi borné.
La cabane du berger se place toujours auprès
du parc, sur un des côtés et non à un angle,
de manière que sa porte regarde le parc. À
mesure que le parc avance, le berger, ou seul,
ou avec son aide, la roulent. Quand le terrain
est difficile, on a recours à un cheval.
M. Daubenton, attentif à tout dans son ouvrage,
propose de faire une petite loge portative
pour les chiens. Les services que rendent
ces animaux méritent bien qu'on les soigne. Il
faudrait qu'on mît la loge près du parc, du côté
opposé à celui où est la cabane du berger et
toujours au vent. Elle serait tellement construite,
que sur le devant et dans la partie inférieure
il y aurait une planche aussi haute que le
corps des chiens. Ces animaux verraient par
dessus et pourraient ainsi sauter par dessus,
soit pour entrer, soit pour sortir. Je crois qu'il
vaudrait mieux qu'il y eût deux loges, dont
l'une serait du côté du parc opposé à la cabane
et l'autre près de la cabane. On pourrait peutêtre
dans la construction de la cabane ou au
bout de la cabane pratiquer une des loges. Le
chien qui toucherait serait plus à portée de
réveiller le berger, quand quelque chose l'inquiéterait.
En conseillant ces attentions, je ne puis dissimuler
qu'elles auront un grand inconvénient.
Les chiens couchés dans leurs loges deviendront
paresseux et perdront de leur surveillance.
Le loup les surprendra plus facilement.
Les bergers, qui veulent en tirer tout le parti
possible, les laissent coucher sur terre ; un rien
les réveille. Lorsqu'il fait des orages ou de
grandes pluies, ils se mettent à couvert sous la
cabane, où ils trouvent seulement une botte de
paille.
Avant qu'on commence à parquer une pièce
de terre, on la laboure deux fois, afin de la
mettre en état de recevoir les urines et la fiente
des animaux. Si les labours se font à plat, le
berger peut facilement y dresser son parc et
placer les claies de toute face, mais si c'est
dans des pays à planches bombées, on dresse
de deux côtés les claies, selon la longueur et
dans les raies des sillons ; pour asseoir celles
qui doivent occuper les travers, la charrue y
creuse un double sillon, elle peut en tracer
beaucoup en un jour.
Pour disposer son parc, le berger mesure le
terrain avec une perche ou avec ses pas. Le

plus ordinairement c'est avec ses pas. Il en faut
trois par chaque claie. Les gens de la campagne
sont aussi sûrs de cette manière de mesurer
que s'ils emploient une toise.
L'étendue d'un parc est proportionnée au
nombre des bêtes qu'on y renferme, à leur taille
et à leur espèce, à l'abondance de la nourriture
qu'elles y trouvent, à la saison de l'année et
enfin à la nature du sol à parquer. Plus le nombre
des bêtes est considérable, plus on doit
employer de claies ; il faut que les bêtes ne
soient pas trop à l'aise dans le parc ; il faut
aussi qu'elles n'y soient pas gênées.
De grandes bêtes, telles que les flamandes, à
nombre égal, exigent un plus grand parc que
des berrichonnes, des solognotes, des bocagères.
On observera que les brebis, dont la fiente
n'est pas sèche, et qui urinent fréquemment,
parquent mieux que les moutons ; la différence
est d'un vingt-sixième ; l'enceinte par
conséquent doit être un peu plus étendue. Les
bergers connaissent bien cette différence ; ils
savent qu'en général les brebis mangent davantage,
elles ont le ventre et les estomacs plus
amples que les moutons. La constitution physique
de ces derniers exige une attention particulière
de la part du. berger quand il veut les
faire passer d'un parc dans un autre. Les brebis,
dès qu'on les fait lever, fientent et urinent ; les
moutons sont plus longtemps à se vider. II ne
faut donc pas les presser d'en sortir, après les
avoir fait lever, si le parc qu'ils quittent n'est
pas suffisamment fumé.
Lorsqu'on parque au printemps, ou dans des
pays remplis d'herbes aqueuses, les bêtes à
18
laine rendent plus d'excréments ; alors on resserre
moins leur parc.
Enfin, si le lot sur lequel on parque, a précédemment
été bien amendé ou se trouve de
bonne qualité, ou a été longtemps en repos, on
parque moins fortement que dans des terrains
maigres, ou qu'on n'a pas laissé reposer.
Le berger, intelligent et docile, conduit par
un maître, bon cultivateur, ne manque pas
d'avoir égard à toutes ces circonstances.
Je ne puis donner un aperçu et les proportions
d'un parc que je ne spécifie un cas moyen
qui ne serve de règle et de base. Supposons un
troupeau de médiocre taille, dans un pays où
les terres ne sont pas de première qualité, où
elles se reposent trois ans, et où on les amende
tous les trois ans. Le parcage s'y fait sur les
jachères, avant que de semer du froment.
Pour former un parc, il faudra soixante et
une claies, de huit pieds de longueur, sur quatre
de hauteur. On les disposera de manière
qu'il y en ait vingt d'un côté et vingt de l'autre,
sept à chaque extrémité, et sept au milieu, pour
couper le parc en deux parties égales, dont
chacune aura dix claies, sur sept, par ce
moyen, ni la totalité du parc, ni chaque division
ne formera un carré parfait.
Les parties des claies, employées pour la
jonction de l'une à l'autre, se réduisent à sept
pieds.
Cette quantité de claies est nécessaire pour
un troupeau composé de quatre cent cinquante
bêtes, savoir : trois cents, tant brebis que moutons,
et cent cinquante agneaux, ou quatre
cents brebis seulement. Les bergers, qui n'ont
pas soixante et une claies, sont obligés, au
milieu de la nuit, d'en transporter pour renouveler
leur parc, ce qui est très incommode. Les
claies d'un parc durent longtemps, la dépense
première en étant une fois faite, il ne s'agit plus
que de l'entretien.
Le berger, en arrivant le soir, avant le serein,
dans les pays humides, fait entrer son troupeau
dans une des deux divisions. À minuit, ou un
peu plus tôt, ou un peu plus tard, selon l'heure
où il est arrivé, il ouvre deux ou trois claies de
la traverse du milieu et y chasse son troupeau
dans la seconde division, pour y séjourner le
même temps. Ordinairement, c'est de quatre à
cinq heures. J'observerai, qu'autant qu'il est
possible, les crosses des claies doivent être
mises hors du parc. Car lorsqu'elles sont en
dedans, les bêtes à laine peuvent les renverser
dans un moment d'effroi, ou en se frottant, ce
qui leur arrive souvent. Le berger même est

obligé, quelquefois, de retourner, par cette
raison, les crosses de la traverse du milieu,
quand il fait passer son troupeau, la nuit, d'une
division dans l'autre.
Dans les jours longs, il revient au parc, selon
la chaleur, à neuf ou dix heures, en étant
sorti le matin, après que la rosée a été dissipée,
dans les pays humides ; car dans les pays secs,
la rosée et le serein ne sont point à craindre ;
ils sont même recherchés. Alors il met son
troupeau dans une division pareille à une de
celles de la nuit ; ou bien, il dispose tellement
les claies, qu'il ne forme qu'un seul parc étroit
de la longueur des deux divisions réunies de la
nuit mais n'embrasant que l'étendue du terrain
semblable à une des divisions. Il lui en donne
quelquefois plus qu'il n'en faudrait pour que
l'espace fût égal à une des divisions de la nuit ;
c'est seulement quand le troupeau doit y rester
plus longtemps.
Quelquefois même, après avoir complété
deux parcs égaux dans la nuit, il en commence
un troisième, sans que cela l'empêche de faire
ensuite un parc complet an milieu du jour. Au
mois d'octobre, temps où les jours sont courts,
le berger ne revient pas au parc au milieu du
jour ; mais il rentre de bonne heure le soir, et
fort tard le matin. Dans cette saison, il fait
deux changements de parc la nuit ; c'est-à-dire,
que changeant deux fois de parc, après avoir
fumé le premier, il parque autant de terrain que
s'il revenait le jour.
Chaque changement de parc, dans quelques
pays, s'appelle un coup de parc.
II y a des bergers, qui lorsqu'ils font un troisième
parc, à cinq heures du matin, n'environnent
pas leur troupeau de claies. Les chiens le
retiennent dans l'espace marqué. A cette heure,
ils n'ont plus à craindre les loups. Cette manière
de parquer, qui s'appelle parquer en
blanc, me parait très vicieuse, parce que les
bêtes tourmentées par les chiens, ne se tiennent
pas en place à des distances égales. Une fois le
parc établi, dans un champ, pour parquer successivement
toutes les parties du champ, le
berger, à chaque changement, transporte les
claies. Chacune de celles, qui sont à barreaux
de bois pèse de 15 à 10 livres. Il lui est plus
commode de les porter sur les épaules, en passant
son bras à travers la voie du milieu. Quelquefois
il en porte deux, une à chaque épaule,
et les crosses à la main. Un des côtés du parc
lui sert pour le second. Il n'a besoin que d'aligner,
mesurer et garnir de claies les trois autres.
Parvenu au bout du champ après avoir
19
placé des parcs, à la file les uns des autres, il
en fait un nouveau, à côté du dernier, et il suit
une seconde file, en revenant jusqu'au bout
d'où il est parti, et ainsi de suite, jusqu'à ce que
la totalité du champ soit parquée.
Dans les pays où les loups sont communs,
indépendamment des claies, qui forment les
parcs, on tend, en avant, des filets ; les loups,
sans les apercevoir, se jettent dedans, se débattent
et avertissent les chiens.
Autant qu'on le peut, on doit disposer le
parc du Levant au Couchant ; si on est obligé
de le diriger du Nord au Midi, on a soin, lors
du parcage du milieu du jour, de faire entrer le
troupeau par le Midi, afin que, n'ayant pas le
soleil dans le nez, il avance plus aisément à
l'autre extrémité du parc.
On peut faire parquer, en hiver, suivant M.
Daubenton, sur les terrains secs, tant que le
berger peut supporter le froid dans sa cabane.
Alors, les bêtes à laine trouvant peu de nourriture
aux champs, on ne fait qu'un parc, en une
nuit. Il est plus utile de les ramener au hangar,
ou à la bergerie, pour engraisser les litières.
D'ailleurs, dans cette saison, dès que le froid
commence à être cuisant, elles s'amassent, par
pelotons, se rapprochent et se serrent, pour
s'échauffer. Elles ne fument que quelques parties
éparses du parc.
Il y a plus d'avantages de parquer avec un
grand troupeau qu'avec un petit. Les frais du
berger sont les mêmes. On économise le transport
des fumiers, qui devraient remplacer le
parcage. L'engrais du parcage est préférable à
celui du fumier de bergerie. C'est l'urine et la
transpiration, beaucoup plus que la fiente, qui
amendent les terres. Il ne s'agit que de savoir si
le pays peut nourrir abondamment les bêtes à
laine.
Après le parcage, on laboure une fois la
terre, dans les pays où la charrue ne la renverse
pas entièrement, mais la remue seulement ; car
il est nécessaire de la labourer deux fois, si la
charrue la renverse, afin que la seconde de ces
deux façons rapproche l'engrais de la surface.
Le parcage sur les prairies naturelles et artificielles
réussit bien. Mais il faut qu'elles
soient sèches, si on ne veut pas exposer les
bêtes à laine à la pourriture. La luzerne, le
trèfle, le fromental (avoine élevée), le raygrass,
la coquiole (fétuque ovine), la pimprenelle
(la grande pimprenelle est à cette époque
cultivée comme fourrage), le pastel… s'accommodent
bien du parcage.

C'est une assez bonne méthode que de parquer
sur des champs de froment ensemencés et
levés. Les bêtes à laine mangent les feuilles du
froment, et affaissent le terrain, en l'imprégnant
de leur fiente et de leur urine. J'ai vu et
je vois encore cette méthode réussir, mais il ne
faut l'employer que dans des terres légères,
auxquelles on ne saurait trop procurer de compacité.
Dans des terres fortes, elle produirait un
mauvais effet.
L'engrais du parcage est sensible les deux
premières années. Le froment, qu'on met
d'abord dans le champ parqué, et le grain, qui
lui succède, viennent mieux que s'il était
amendé par tout autre fumier. Dans les pays de
grandes exploitations, les fermiers ne font pas
parquer deux fois de suite la même terre, parce
que ne pouvant parquer qu'une petite partie de
leur sol, ils veulent faire jouir, tour à tour, toutes
leurs terres du même avantage.
On ne doit point entreprendre de parquer,
avant qu'il y ait aux champs une suffisante
quantité de pâturages. La circonstance du parc
augmente du double l'appétit des bêtes à laine.
Selon le plus ou moins de ressources d'un pays,
on a des raisons d'accélérer ou de retarder le
parcage. Tel fermier ne parque que trois mois
de l'année, commençant à la récolte des seigles,
et finissant à la Toussaints. Tel autre peut
parquer quatre ou cinq mois, parce qu'il a des
dragées (mélange de végétaux semé pour servir
de fourrage), ou bizailles d'hiver (fourrages
semés sur les jachères, généralement lentillon,
pois et vesce), qu'il peut faire manger, au mois
de mai, sur place, à son troupeau.
La rigueur de l'hiver, dans quelques-unes
des provinces septentrionales de France, la
difficulté des pâturages, et la nécessité de
consommer les fourrages, empêchent d'y parquer
de bonne heure. Ne pourrait-on pas, dans
ces provinces, au milieu du printemps, ramener,
deux fois par jour, les troupeaux à la bergerie,
pour y prendre leur repas, et les mener
coucher au parc ?
Dans les provinces méridionales, on commence
le parcage dès le mois d'avril. L'époque
la plus ordinaire, dans les pays cultivés, est la
Saint-Jean. Le retour du parc, ou le départ a
lieu dès les premières pluies abondantes d'automne,
dans les pays à terres glaiseuses, qui
retiennent l'eau, et se délayent au point de ne
former qu'une boue. On le prolonge jusqu'aux
froids suivants, si les terrains sont pierreux ou
sablonneux. Le terme le plus commun de ce
retour est la Saint-Martin.
20
M. Carlier assure que, dans certains pays
montueux, les troupeaux sont tout le jour renfermés
dans leur parc, où on leur porte à manger.
On y gagne sans doute le transport des
fumiers. Mais c'est une question, de savoir si la
nourriture qu'on cueille, et qu'on présente aux
bêtes à laine, leur est plus profitable, que si on
leur abandonnait les pâturages pour les brouter
sur pied. Je ne connais aucune expérience sur
cela. On croit qu'il est nécessaire que celles
qu'on ne veut que nourrir, marchent et fassent
de l'exercice. Celles qu'on engraisse pour les
boucheries n'ont pas besoin d'en faire.
Les troupeaux, qui parquent, au lieu d'appartenir
à un seul maître, appartiennent quelquefois
à différents particuliers, membres d'une
communauté. Quelques-uns ont plus de bêtes
que la quantité respective de leurs terres. D'autres
ont, par proportion, plus de tènement que
de bétail. Ceux-ci possèdent un petit troupeau,
sans être cultivateurs. Ceux-là jouissent de
plusieurs portons d'héritages, et n'ont pas de
troupeau pour les amender. Le cultivateur, qui
est plus riche en bétail qu'en fonds de terre,
cède une part de ses droits à ses consorts,
moyennant une rétribution ou une compensation
d'intérêt. Celui qui cultive des terres, sans
troupeau, paie une somme, par nuit, à la communauté
ou au berger, ou à des marchands de
moutons, ou à des bouchers, qui ne gardent
leurs bêtes qu'un temps de l'année.
Avant d'entrer au parc, le berger, soit de
ferme, soit de communauté, reçoit en compte
les bêtes qu'on lui livre. S'il périt quelque bête,
par accident, il est obligé d'en représenter la
peau, ou de payer la valeur de l'animal. On ne
prend pas cette précaution, quand on a un berger
ancien et connu.
Pendant le parcage, la conduite des bêtes à
laine aux champs se règle comme dans le reste
de l'année.
Le berger doit alors redoubler d'attentions.
Toutes ses vues se portent sur l'égalité du parcage,
d'après les intentions et les instructions
de son maître. Par les temps humides, on s'aperçoit
facilement qu'un terrain est parqué
inégalement, parce que la fiente est entièrement
à découvert, mais s'il fait sec, la poussière
en cache une partie, et masque la négligence
du berger, qui ne se découvre que quand
le froment a une certaine force.

Le repos du berger est nécessairement interrompu
aux heures de changer le parc. L'habitude
le rompt à ce genre d'exercice, comme
elle rompt les marins au quart. Il connaît
l'heure aux étoiles, et dans les temps obscurs, à
une certaine estime, qu'il acquiert par l'usage.
Si les chiens, par leurs abois, annoncent la
présence de quelque loup, ou d'un chien enragé,
ou d'un voleur, si un orage et des coups de
tonnerre jettent la frayeur dans le troupeau, le
berger ouvre la porte de sa cabane, tire un coup
de fusil, ou fait entendre sa voix, selon la circonstance,
qui excite sa diligence.
La prudence exige quelquefois qu'il emmène
son troupeau à la ferme, ou qu'il gagne
les hauteurs, aux premiers indices d'un orage
considérable, surtout si, parquant aux pieds des
coteaux, il craint d'être submergé par l'eau des
torrents, ou si l'aspect des nuées lui présage de
la grêle.
Le parcage n'est établi que dans quelques
parties de la France. Il est difficile d'en connaître
l'origine. Je sais que, dans une province très
fertile, où il est généralement adopté maintenant,
il n'est introduit que depuis trente ans. Je
l'ai vu successivement gagner de ferme en
ferme. Les avantages qu'il procure détermineront,
sans doute, les autres provinces à suivre
cet exemple. Il suffit que quelqu'un commence.
Ses succès vaudront mieux que tous les
conseils.
21
Quelques circonstances locales, sans doute,
ne permettent pas toujours d'employer ce
moyen d'engraisser les terres, par exemple,
lorsqu'un pays est partagé en petites possessions,
ou lorsqu'on est dans l'usage de
conduire, en été, les troupeaux dans les montagnes,
encore pourrait-on parquer quelques
mois auparavant, et quelques mois après.
On distingue facilement les terres parquées,
de celles qui font fumées d'une autre manière,
à la beauté et à l'égalité des productions. Le
parcage évitant le transport des fumiers
convient, par cette raison , aux terres éloignées
des fermes et des métairies.
Le bétail, qui parque, se porte mieux que
s'il rentrait le soir à la bergerie. Sa laine acquiert
de la qualité et de la valeur. Toutes ces
considérations doivent engager les cultivateurs,
qui ont des troupeaux assez considérables, à
parquer aussi longtemps qu'ils le pourront, et
les communautés à réunir leurs bêtes à laine,
afin de former un bon parc.
On a essayé, en Suisse, le parcage, où l'on
assure qu'il n'a pas réussi, excepté dans le pays
de Vaud. Dans les cantons allemands, on ne
fait aucun cas de l'engrais qu'il procure. Il ne
paraît pas suffisant pour tenir lieu du fumier de
vaches. Peut-être cette manière de penser
vient-elle de ce que le pays ayant d'excellents
pâturages à vaches, toutes les vues se tournent
du côté de ces animaux. En général, la bête à
laine n'est pas en grande considération en
Suisse, elle n'y est pas bonne, et a moitié moins
de laine qu'en France. Aussi la relègue-t-on,
avec les chèvres, dans les sommets des hautes
montagnes, où les vaches ne peuvent pâturer.
C'est d'ailleurs, dans ce pays, le seul pâturage
qui lui convienne. On pourrait en améliorer
l'espèce, sans l'augmenter de beaucoup, parce
que les terres des montagnes étant, en général
légères, le fumier de vache y est le plus convenable
".
Jean Claude Brunelin

Des parcs et du parcage en 1941
Pierre Mélet, que nous vous avons déjà présenté,
diplômé de l'Ecole Nationale des bergers
de Rambouillet, est assistant-berger dans
les Bouches-du-Rhône, puis dans les Hautes-
Alpes
Il s'adonne aussi à l'écriture et publie en 1947
" Le Galvaudeux, vie toute simple, toute nue
d'un berger…" aux Editions Clair Matin à
Gap.
Bien que l'auteur précise, selon la formule
consacrée, que "les personnages de ce livre
sont imaginaires", son ouvrage contient certainement
des éléments autobiographiques.
Le héros du livre quitte son emploi de comptable
à Nantes pour réaliser son rêve : devenir
berger. Il engage une formation au centre de
formation accélérée de Rambouillet. Il reçoit
un cours théorique dispensé par le directeur
du centre, un cours vétérinaire, une formation
pratique donnée par le maître-berger très
expérimenté (manipulation des bêtes, clôtures,
soin des animaux malades, tonte…), des leçons
de dressage de chien par un ancien conducteur
de bestiaux du marché de la Villette. La formation
pratique dure deux mois et elle est
complétée par dix mois de stage dans un
élevage ovin.
Son diplôme en poche, il trouve un engagement
en Normandie tout prêt d'Evreux, dans une
ferme possédant 280 brebis de race Berrichonne
du Cher.
Ce roman vaut non pas pour son intrigue mais
pour son récit quasiment ethnographique de la
vie pastorale dans cette Normandie encore peu
touchée par la guerre. Les extraits suivants
montrent la pérennité d'un système de gardiennage
très ancien comme nous l'avons vu
dans les articles précédents. L'auteur décrit
par le menu la vie de tous les jours d'un ber-
22
ger, dans des conditions souvent très rudes.
Les illustrations sont de Pierre Mélet.
La cabane
"J'ai quatre chiens… Ils sont là tous quatre,
enchaînés à la cabane avec chacun sa gamelle à
soupe. Ils couchent sous la roulotte, sur de la
paille d'avoine. Deux morceaux de vieille tôle
ondulée, installés l'un au midi, l'autre au couchant,
les abritent des courants d'air et de la
pluie…
Ma cabane, je devrais dire notre cabane, est
montée sur deux anciennes roues de faucheuse.
Lorsqu'elle est en place, elle est calée en position
horizontale par quatre pieds mobiles, de
hauteur réglable, disposés à chacun des angles.
Ces pieds de bois, de section carrée, coulissent
dans une gorge de fer munie d'un trou destiné
au passage d'une cheville de métal. A chaque
déménagement, il faut retirer puis remettre les
chevilles après avoir remonté les pieds.
La porte, formée de deux battants pleins superposés,
donne sur le côté gauche, les charnières,
près des limons. Un tour de clé, "crac", j'ouvre
le battant supérieur de la porte. Je lève un loquet,
le battant inférieur s'ouvre à son tour. La
porte, ainsi libérée m'invite à rentrer chez
moi… Près de l'entrée, je ne me redresse pas
trop parce que je n'ai pas tout à fait ma hauteur.
Sur le panneau, devant moi, est le portemanteau
avec toute ma garde robe. Sur le panneau
de gauche qui donne sur les limons est
fixée ma table. Une table qu'il m'est possible
de rabattre à ma fantaisie. Le lit est à droite, il
occupe tout le fond de ma roulotte et comme
emplacement la moitié de la surface de l'appartement.
Sous mon lit s'ouvrent deux placards
séparés où il m'est possible de ranger bien des
choses. Comme literie, de la paille et dessus
une bonne couette de duvet d'oie et en plus
naturellement un traversin, deux draps, des
couvertures et un édredon. Le tout plutôt usa-

gé, mais propre. Une chaise complète l'ameublement
et une lampe pigeon assure l'éclairage.
Dans l'épaisseur de chacun des trois panneaux
pleins, ouvre une lucarne dessinant un losange
d'une douzaine de centimètres de côté. Cette
lucarne dépourvue de vitre est fermée par un
volet à glissière qui coulisse à l'intérieur. Qu'un
bruit insolite se fasse entendre, j'ouvre le battant
supérieur de ma porte ou tire le volet qui
regarde dans la bonne direction et, tout de
suite, je suis renseigné. Le plafond est constitué
par des planches assemblées dessinant la
double pente du toit. C'es pourquoi, au milieu
de mon appartement, il m'est très facile de me
tenir debout.
Dehors, la-dessus, il y a de la tôle ondulée. Je
suis donc bien comme il faut, entièrement à
l'abri du vent et de l'humidité. Pour la température,
il n'en est pas tout à fait de même : l'hiver,
c'est plutôt froid, et l'été, plutôt chaud.
Je vis donc là-dedans, ayant sous moi mes
quatre chiens, mes amis, mes indispensables
compagnons de travail…
Le parc
Je parque dans la pièce qui est derrière la
ferme…
Après le petit déjeuner à la ferme, je donne
mou coup de parc. Imaginez un carré de dix
claies de côté que je déplace chaque jour, dans
le sens de la longueur du terrain. Comme il y a
un côté commun à l'ancien et au nouveau parc,
je n'ai donc que trois fois dix claies à transporter.
Je mets ces claies en place et je les fixe à
l'aide de crosses et de chevilles. Pendant toute
l'opération qui dure une bonne heure, Lisette et
Mignard montent la garde pour empêcher les
23
brebis de se disperser ou de courir aux betteraves.
Puis je sors avec le troupeau pour une
première attelée qui dure un peu plus d'une
heure et qui me ramène à midi à la ferme…
C'est vers deux heures, au moment où le soleil
a déjà commencé à glisser dans le ciel, que je
pars pour la seconde attelée. Tout l'après midi
je suis dehors avec mes bêtes… Sur les sept
heures et demie, je rentre au parc, dans la tiédeur
du crépuscule.
L'hiver
Encore une nuit et demain pour la Saint-
Sylvestre ce sera réglé. Quand François est
arrivé vers neuf heures du matin avec Papillon,
tout était prêt et rangé pour le départ. Une fois
Papillon attelé, nous avons glissé les trois brebis
dans la cabane. Sans hâte, parce que la
charge est lourde et le chemin mauvais, en
faisant toutes les haltes nécessaires, ma maison
aménagée en ambulance, a pris la direction de
la ferme.
La cabane a maintenant pris place dans la cour
de la ferme, en face et à quatre mètres des bergeries.
J'ai fait mon calcul pour le choix de
l'emplacement et je me suis installé sur la pelouse
auprès d'un marronnier aux trois quarts
mort. Mon habitation ouvre au Nord-Ouest ; ce
n'est pas mon orientation préférée, mais en la
circonstance, c'est la meilleure solution puisque
je tourne le dos à la maison des patrons et
que j'ai un regard facile sur les bergeries…
Dans le domaine du confort, il y a un progrès
incontestable. Un fil électrique relie à présent
ma cabane aux bergeries et j'y vois chez moi
que c'en est une splendeur. Je suis inondé de
lumière et j'en ressens une joie secrète et profonde.
Je reviens de loin, c'est un peu comme
le sentiment de s'arracher aux terreurs de la
nuit et à la misère…. Je songe à cette lampe
pigeon que je viens de remiser et qui a été ma
compagne pendant des mois. Fumeuse, alimentée
au pétrole, elle mettait dans l'atmosphère
cette âcre odeur de naphte dont je me passe
volontiers. L'éclairage pauvre et parcimonieusement
distribué ne me permettait ni de lire, ni
d'écrire mais seulement de trouver l'emplacement
de ma gamelle sur la table et pas toujours
de différencier la pomme de terre de la pomme
au four autrement qu'en y enfonçant les doigts.
C'était bien l'image vivante et fidèle de ma
propre détresse…
François me dit :
- Vous devriez coucher dans la petite bergerie
; là il y a un lit et vous n'auriez pas froid.

A la maison, il y a des lits et des chambres
inutilisées, mais ce n'est pas pour la valetaille.
Le lit de la bergerie est une installation infecte,
une espèce de caisse bâtie de planches à demi
vermoulues et juchée dans un angle à deux
mètres du sol et à cinquante centimètres du
plafond paillé, malpropre et ravagé par les rats.
Le mur en terre battue se dégrade, ça croule de
partout, ce n'est qu'une forêt de toiles d'araignées
dans une inimaginable couche de poussière
et de gravats. Les toits en torchis sont
crevés par place… L'eau et la neige passent au
travers, corrompent le foin du grenier et viennent,
goutte à goutte, au gré des jours et de la
température, sortir ici et là, dans les bergeries.
Il y a une gouttière juste au-dessus du pied du
lit. Evidemment, comme c'est collé au plafond,
c'est dans le local le plus chaud emplacement
possible. Pour y accéder il y a un escabeau
mobile. Une fois grimpé à son perchoir, le
berger remonte et accroche l'escabeau au mur,
à tâtons, car il n'y a pas de va-et-vient et que le
seul commutateur se trouve près de la porte
d'entrée de la bergerie. Comme les bêtes sont
serrées et que les litières fermentent, l'ammoniaque
qui monte aux yeux et fait pleurer masque
les odeurs de moisi. Il n'y a pas de bouches
d'aération… Pour moi, mon choix est fait : je
continuerai à coucher dans ma cabane auprès
de mes chiens qui sont ici mes seuls et véritables
amis…
Dans la nuit de lundi à mardi, les nuages se
sont dissipés, aussi le ciel est-il d'une clarté
sereine. Le matin le froid s'est encore accru et
il pique dur. La veille j'avais eu l'idée de fermer
en partie le battant supérieur de ma porte,
ce qui fait que l'air glacé pénètre moins en
plein. Lorsque je me suis avisé de prendre mes
sabots, ils n'ont pas voulu me suivre. Il a fallu
que je m'y prenne à deux mains, d'un coup sec,
24
pour les dégager. La neige, ramassée avec les
pieds par là en entrant, a dû fondre en partie,
puis l'eau geler. Ca a fait glace entre la semelle
et le parquet, c'est pourquoi ça tient si dur.
Pour y pallier comme pour atténuer le froid, je
dispose une bonne couche de paille dans ma
cabane. J'en étends aussi devant les chiens.
Tout gèle. Je ne peux plus écrire à l'encre. Voilà
déjà plusieurs jours que j'ai dû camoufler
dans ma paillasse mon encrier et les quelques
récipients menacés de destruction par le gel…
Il n'est plus question pour moi de lire, d'écrire,
de parler, de faire une quelconque gymnastique
du cerveau, je me contente simplement de durer.
La saison est tellement rigoureuse que tenir
contre le froid et soigner mes bêtes suffit pour
absorber toutes mes forces presque jusqu'à
l'épuisement…
Finalement notre berger rencontre la femme
de sa vie, passe avec elle clandestinement la
ligne de démarcation au sud de Bourges pour
rejoindre un ami dans les Alpes et s'y installer
à son tour… Mais si voulez en savoir plus…
lisez le Galvaudeux…
Jean Claude Brunelin

Les différentes méthodes de castration
des agneaux
Cet article technique, paru en 1936 dans La
Haute-Loire Agricole, est signé par M. Depois.
La castration n'est plus guère utilisée en ovins.
Dans notre région, la commercialisation
d'agneaux très jeunes lui ôte de son intérêt.
Elle a aussi l'inconvénient d'obliger à vendre
des agneaux plus légers car ils ont tendance à
déposer du gras précocement.
Au niveau technique, la pince Burdizzo est
toujours d'actualité pour les sujets un peu
âgés. Pour les jeunes agneaux, on procède
plutôt par pose d'anneaux de gomme compressifs,
avec une pince spéciale, amélioration de
la méthode décrite dans l'article suivant (emploi
d'une ligature en caoutchouc). Ce procédé
est d'ailleurs surtout utilisé pour la caudectomie.
La partie privée d'irrigation se dessèche
et tombe. Cette méthode non sanglante est
assez sûre et n'entraîne généralement pas d'infection.
Castration d'un taureau par martelage,
en 1887
Cet article ne prend guère en compte la
notion actuelle de bien-être animal. C'est un
changement de mentalité et du degré de perception
des traitements infligés aux animaux.
Certains pays sont en pointe et tirent les législations
européennes dans ce sens, parfois
d'une façon que l'on peut juger excessive. Au-
25
tre temps, autres mœurs et ce ne sont certainement
pas les animaux qui s'en plaindront !
L'alimentation intensive des animaux ne
suffit pas à amener un engraissement rapide. Il
leur faut en plus le calme, la tranquillité, l'absence
d'excitations extérieures, ce que Baudement
(voir note 1) a appelé "le repos au sein
de l'abondance".
Or, "les glandes génitales tourmentent autant
et plus les bêtes à l'engrais que les insectes
de toutes sortes pendant les grosses chaleurs et
sous la lumière crue..." (Baron) (voir note 2).
L'ablation de ces organes amène des modifications
physiologiques profondes, particulièrement
intéressantes lorsqu'on vise la production
de l'animal de boucherie.
Pratiquée sur l'agneau, la castration se traduit
par les effets suivants :
a) Elle accentue l'aptitude à la production de
graisse ;
b) Elle évite à l'animal une conformation trop
masculine (développement de l'avant-train,
du cou, de la tête) ;
c) Elle augmente le rendement en viande
nette ;
d) Elle évite à cette viande une couleur foncée
et une odeur trop prononcée.
Les agneaux castrés sont plus faciles à
conduire, ne risquent pas de se fatiguer inutilement
en voisinant avec les agnelles d'engraissement.
Soulignons que la castration n'est pas avantageuse
quand elle est pratiquée sur des
agneaux mâles destinés à la vente à moins de
quatre mois : elle risque dans ce cas précis de
retarder de 10 à 15 jours leur mise en état. Pour
toutes les autres productions d'animaux de
boucherie, elle apparaît comme extrêmement
avantageuse.
Les méthodes de castration
Quatre procédés peuvent être utilisés pour
castrer les agneaux.
1) Par bistournage
Les testicules sont tournés plusieurs fois sur
eux-mêmes à l'intérieur des bourses, de manière
à tordre les cordons et, par suite, les vaisseaux
nourriciers de ces glandes qui finissent
par s'atrophier. Pour éviter la détorsion, on
ligature immédiatement au-dessous des testicules.

Opérer sur les animaux à jeun. L'âge le plus
propice est de deux mois et demi à trois mois.
Ce procédé permet d'éviter une opération
sanglante, mais on lui reproche de laisser aux
moutons une ardeur prolifique et de conserver
à la viande l'odeur de bélier.
2) Emploi d'une ligature en caoutchouc
Beaucoup d'éleveurs utilisent de nos jours
ce procédé. Avec un fil de caoutchouc de 2
mm et demi de diamètre, on exécute au-dessus
des testicules et après les avoir descendus au
fond des bourses, une ligature triple qu'on arrête
à l'aide d'un nœud de gros fil de cuisine.
Les testicules s'atrophient peu à peu. La région
située au-dessous de la ligature noircit, puis se
dessèche : on la coupe avec des ciseaux, puis
on lave la plaie avec un liquide antiseptique.
Il se développe souvent au niveau de la ligature
une ulcération qui peut devenir cause
d'infection, de tétanos en particulier.
3) Castration aux dents (arrachement)
Bien pratiquée, cette méthode que beaucoup
considèrent comme primitive et antihygiénique
est probablement la meilleure de
toutes ; elle est rapide, occasionne peu de souffrances
de l'animal, est toujours effective et
présente le moins de risques d'accidents.
L'opération doit se pratiquer très tôt, entre
quinze jours et trois semaines au plus tard. Un
aide maintient l'agneau assis sur une table, le
ventre en avant. L'opérateur tire légèrement les
bourses et en coupe l'extrémité avec un couteau
propre et bien tranchant ; en pressant, les
testicules sortent à l'extérieur. Sans que ses
lèvres bien écartées touchent le bord de la
plaie, l'opérateur saisit avec ses dents le cordon
et exerce progressivement une traction sur les
glandes jusqu'à l'arrachement. Dans ce mouvement
régulier et sans à-coups, les vaisseaux
sanguins se trouvent allongés, écrasés et obstrués.
La plaie ne vient en contact d'aucun matériel
ou de mains souillés.
Certains éleveurs modifient ce procédé en
opérant l'arrachement des testicules à l'aide de
petites pinces spéciales (pince de Reuillard) :
la méthode est moins rapide et comporte de
plus grands risques d'infection.
26
4) Castration à la pince Burdizzo ( note 3)
Le principe est d'écraser le cordon testiculaire
à travers la peau des bourses sans les couper.
L'opération est faite entre quinze et trente
jours (un mois et demi au maximum) car chez
les très jeunes agneaux, il y a une certaine
difficulté à isoler et à maintenir le cordon entre
les mors de la pince.
L'agneau est placé par un aide dans une position
qui dégage bien les bourses. L'opérateur,
maintenant un testicule au fond des bourses,
isole et délimite sous la peau le cordon : il
coince celui-ci un peu au-dessus du testicule
entre les mâchoires de la pince, ferme celle-ci
à fond et maintient serrée pendant dix à quinze
secondes.
La Burdizzo, ancien modèle 1926
La même opération est recommencée sur le
second testicule en évitant que le mors de la
pince ne vienne recouper la première trace de
l'écrasement.
Au bout d'une quinzaine de jours, les testicules
isolés de toute circulation s'atrophient.
Un certain nombre d'éleveurs utilisent la
pince Burdizzo. Ce procédé est, avec l'arrachement,
un des plus recommandables et nous
ne saurions trop encourager son emploi pour
l'émasculation des agneaux.

Note 1 : M. Emile Baudement
Le comte Adrien de Gasparin fut le premier
à distinguer explicitement, dans l'introduction
de son Cours d'agriculture (1843), deux matières
: l'agriculture proprement dite et la zootechnie.
Ceci le conduira, lors de la création
de l'Institut agronomique de Versailles en
1848, à ouvrir une chaire de zootechnie. Cette
chaire "spéciale" sera confiée à Emile Baudement,
en qui l'on peut voir le véritable créateur
de la zootechnie classique. Ce concept sera
repris par Maison-Alfort. Cette période sera
celle des ouvrages et manuels de zootechnie.
Elle est marquée par les noms de Baudement,
Magne, Gayot, Tisserant, Sanson, Cornevin,
Diffloth, Dechambre et bien d'autres.
Note 2 : M. Raoul Baron
A la retraite de Magne, en 1871, l'enseignement
est confié à Casimir Baillet. Lorsque
celui-ci quitte Alfort, en 1878, la chaire qu'il
occupait est scindée en deux, l'une dite de Botanique
et Zoologie (y compris la Parasitologie),
l'autre dite de " Zootechnie et d'Hygiène -
Agronomie dans ses rapports avec la Production
Animale ". Cette chaire échoit à Raoul
Baron qui l'occupe jusqu’à 1908, se livrant à
des travaux nombreux et divers auxquels sa
vaste culture lui donne accès ; il établit, notamment,
une doctrine morphologique d'une
portée très générale, à laquelle les anthropologistes
réserveront un très favorable accueil.
A sa mort, en 1908, il est remplacé par son
disciple Paul Dechambre qui, depuis 1898,
enseignait déjà la Zootechnie.
Note 3 : la pince Burdizzo et ses concurrentes
Depuis des siècles, la castration par martelage
qui évitait les plaies et hémorragies, était
d'un usage courant dans le Sud de l'Europe.
Ce procédé mis en œuvre par des châtreurs
professionnels, consistait à écraser avec un
marteau les cordons testiculaires maintenus
entre deux bâtons. Au début du 20 ème siècle, ce
procédé évolua avec la difficile mise au point
de pinces métalliques spéciales.
Un vétérinaire français, Victor Even (1853-
1936), qui avait exercé en Argentine de 1886 à
1904, présente en 1905 une pince de son invention
qui porte son nom. Cette pince comporte
une mâchoire inférieure fixe et une mâchoire
supérieure mobile s'appliquant avec un
levier.
27
Le vétérinaire italien Reggiani publie en
1907 une méthode rapide de castration des
bovins. Il utilise une pince à levier à deux bras,
assez massive.
Victor Even (1853-1936)
Anonyme, 1927
Déjà en 1906, un autre vétérinaire italien
Napoleone Burdizzo de La Morra originaire
de Cuneo, avait conçu une pince beaucoup
plus maniable et multi-espèces. Il prend soin
de faire breveter son invention, l'améliore sans
cesse et fait de la publicité pour sa "Tenaglia
Brevettata Burdizzo".
En 1920, un concurrent, le vétérinaire Eschino
Eschini met au point une nouvelle pince
adaptée également aux chevaux.. L'instrument
comporte des morailles interchangeables
adaptées pour chaque espèce. Lui aussi fait de
la publicité mais sa pince ne démontre pas sa
supériorité et ne connaît pas le succès escompté.
La Burdizzo connaît une large diffusion en
Europe et aux Etats-Unis. Elle est moins appréciée
en France qui lui préfère toujours celle
d'Even. Cependant en 1925, Degois, vétérinaire
à Rambouillet, publie une note attestant
la supériorité de la pince italienne pour la
castration des taureaux et des béliers. Rapidement,
les autres modèles tombent dans l'oubli
et l'on utilise alors exclusivement la pince
de Burdizzo. Napoleone Burdizzo (1868-1951)
se retire des affaires à 59 ans et confie sa
firme, "la Burdizzo" créée à Turin en 1906, à
son adjoint, le vétérinaire Fransesco Veglia
(1881-1966). Le fils de ce dernier est actuellement
propriétaire de l'entreprise.
Jean Claude Brunelin

Les ministres de l'agriculture sous la
IVème République
Notice biographique
ANTIER (Alphonse, Paul) (Suite et fin)
L'accession au Ministère de l'agriculture
Directeur du journal L'Unité Paysanne, président
du Parti Paysan, il se range résolument
dans l'opposition et harcèle le gouvernement de
questions et de demandes d'interpellations.
Mais, le 2 juillet 1950, il accepte le poste de
secrétaire d'Etat à l'agriculture dans le deuxième
Cabinet Queuille, qui ne dure d'ailleurs que
quelques jours ; il retrouve le même poste le 2
octobre 1950 dans un Cabinet Pleven. Il le
conserve dans le troisième Cabinet Queuille,
qui succède le 10 mars 1951 au Cabinet Pleven
et restera en fonction jusqu'à la fin de la première
législature. Le 23 octobre 1950, il préside
au Monastier le concours agricole, première
visite ministérielle à son département. Il est reçu
en gare par le préfet et le chef de gare. Il se rend
à la préfecture pour une prise de contact avec
l'administration départementale. Les représentants
du corps préfectoral et les politiques sont
présents : Chambriard sénateur-maire de
Brioude, Deshors député, Soulier maire du Puy,
Couturier DSA, Reynier CGA, Tonson MSA,
Grenier-d'Albine président de la Chambre
d'agriculture. A 11 h 10, c'est le départ en cortège
pour Le Monastier. L'accueil est assuré par
le maire M. Royer. Après un dépôt de gerbe au
monument aux morts, M. Courty ingénieur des
Services agricoles guide le ministre sur le foirail.
Des discours sont prononcés à la tribune
d'honneur.
Au sein du Parti Paysan, des dissensions commencent
à apparaître. Camille Laurens penche
pour un rassemblement avec le CNI, Centre
National des Indépendants. Paul Antier plus
réticent finit par s'incliner. Le 15 février 1951,
le CNI devient Centre National des Indépendants
et Paysans. C'est une association "sans
reniement" et qui ne chasse pas sur les mêmes
territoires électoraux : au Parti Paysan les départements
pauvres du Massif Central, aux Indépendants
le nord de la Loire.
La droite gagne les élections législatives de juin
1951. Le Parti Paysan est fort de 47 députés et
obtient 4 ministères dans le premier gouvernement
de la législature : Ribeyre à la Santé Publique,
Bruyneen secrétaire d'état à la présidence
du conseil, Camille Laurens secrétaire
28
d'état à l'agriculture, et Paul Antier, président du
Parti Paysan, ministre de l’agriculture le 11 août
1951 (2 ème cabinet Pleven). Mais il démissionne
le 21 novembre en désaccord avec ses collègues.
Il entre en conflit avec René Mayer, ministre
des finances, à propos d'un prélèvement
exceptionnel et du blocage des billets de 5000
francs.
L'été 1951, il participe à un repas qui réunissait
les prélats et les parlementaires à l'évêché du
Puy : Noël Barrot MRP, Pébellier, Chambriard,
de La Chomette, Indépendant et Paysan. Dans
son discours, il fait de la propagande pour les
écoles chrétiennes et réclame des subventions
pour l'ouverture d'écoles privées.
En septembre 1951, il expose devant la Commission
des boissons de l'assemblée nationale la
politique viticole du gouvernement.
Une période de turbulences
Le 29 novembre 1951, le Groupe paysan
d'union sociale compte 21 députés, 16 inscrits et
5 apparentés, sur les 47. Paul Antier en est président,
et Jean Raffarin, député de la Vienne,
secrétaire général chargé de la coordination
avec les organisations professionnelles. La coalition
est fragile et des divergences se font jour.
Une réconciliation a lieu en juin 1952, à l'occasion
du 6 ème congrès national du parti. Camille
Laurens et ses amis Jean Sourbet et André Muter
entrent au comité directeur. Une paix est
conclue entre PUS et CRAPS, Centre républicain
d'action paysanne et sociale de Camille Laurens.
La fixation du prix du blé le 23 juillet 1952 par
Pinay fait rebondir le débat sur la place de la
petite paysannerie dans la société française.
Paul Antier redevient le porte-parole du mécontentement
paysan amplifié par la conjoncture
: sécheresse estivale favorable au blé mais
critique pour la pomme de terre, la betterave à
sucre et le secteur de l'élevage. A partir de mai,
un épisode de fièvre aphteuse pèse sur la production
laitière. Paul Antier est favorable à des
élections au niveau des Chambres d'agriculture
en sommeil depuis la Libération. René Blondelle
est élu à la présidence de l'assemblée permanente
et ouvre la voie à une mainmise de la
FNSEA. Paul Antier critique la politique agricole
gouvernementale jugée favorable aux
consommateurs et à l'industrie. Trois députés
paysans, Paul Antier, Jean Deshors et Jacques
Le Roy-Ladurie votent contre le gouvernement
en décembre 1952 sur la loi de finances rectifiée.
L'autorité d'Antoine Pinay reste cependant

assez forte. Camille Laurens n'aide pas Pinay à
prendre conscience du malaise paysan.
En mars 1953, le conseil national est assez agité.
Paul Antier demande à Camille Laurens,
ministre de l'agriculture, de démissionner. René
Mayer convoque Duchet (PTT) et Laurens
(Agriculture) et leur demande de rester à leur
poste. Paul Antier mène alors une vive campagne,
l'Unité paysanne condamne les "éternels
attentistes" et déclare que "si les paysans doivent
continuer à être trahis, que ce ne soit pas
par un des leurs".
Un débat sur
l'Europe se déroule
en novembre 1953.
Il est question d'une
Communauté Européenne
de Défense.
Paul Antier, avec
d'autres, est hostile
au projet d'une
Europe "amputée,
continentale et
asservie que les
pangermanistes
avaient dessinés
avant 14, et que
l'Allemagne hitlérienne
avait repris
avant 1939".
L'atmosphère est
tendue au 7 ème
congrès de décembre 1953. La politique agricole
est jugée insuffisante et Paul Antier approuve
les barrages de routes. Ce dernier s'inquiète
aussi du développement du Centre des
Indépendants. C'est la période Mendès France
avec Jean Raffarin secrétaire d'état à l'agriculture,
gouvernement que désapprouve Camille
Laurens. Avec 17 de ses amis, Paul Antier
démissionne du groupe des indépendants
paysans. Sourbet en prend acte en regrettant
cette scission. Cette nouvelle formation s'allie
avec le groupe paysan soit 14 députés exploitants
agricoles plus un apparenté et un groupe
annexe, le Centre démocratique et social des
indépendants et paysans avec 4 personnes.
Malgré la déclaration de Mendès France "l'agriculture
est la première des grandes chances de
la France", juste avant le congrès de Villefranche
de décembre 1954, les rapport avec le Centre
des Indépendants posent problème : Paquet
est pour, Le Roy-Ladurie très réservé. On opte
pour une poursuite des contacts et des relations
de pure courtoisie.
29
Raffarin au gouvernement, le parti ne se laisse
pas tenter par une offensive contre le gouvernement.
Paul Antier est un des plus favorables à
Mendes-France. Les dirigeants paysans se montrèrent
alors très modérés pour ne pas gêner les
leurs au gouvernement.
Durant la période 1955-56, les députés paysans
Paul Antier et Camille Laurens ont souffert de
la concurrence des listes poujadistes et des listes
patronnées par Dorgères. C'est aussi le début de
l'influence croissante sur la droite classique des
jeunes agriculteurs de la JAC qui prennent le
contrôle des syndicats locaux
dans l'Ouest et l'Est de la
France grâce à un véritable
programme technique (aménagement
foncier, prêts et
organisation des marchés…) et
non une démarche clientéliste
(demande de prix favorables
aux agriculteurs…). Les Jeunes
de la JAC conquièrent en 1961
le secrétariat national de la
FNSEA.
Réélu le 2 janvier 1956 à la tête
de la liste d'Union des
Indépendants et Paysans avec
37 281 voix sur 116 172
votants, Paul Antier dépose
deux propositions de loi
relatives à la lutte contre la
tuberculose bovine et une autre
tendant à amnistier les délits commis à
l'occasion de conflits d'origine fiscale
(19 décembre 1957).
Elus sur la liste d'Union des Indépendants et des
Paysans en 1956, les 14 députés paysans n'ont
pas accepté de se fondre dans le groupe des
IPAS, indépendants paysans d'action sociale, et
choisissent un simple apparentement.
Cette volonté d'indépendance est réitérée au
congrès de 1956. Paul Antier propose de "poursuivre
la collaboration cordiale avec le CNI"
tout en sauvegardant "la personnalité propre du
parti qui devra continuer à s'exercer par l'action
de son groupe parlementaire, en liaison étroite
avec les militants de ses fédérations".
Rapprochement avec Poujade et Dorgères
En mai 1957, de forts remous accueillent la
déclaration commune de Paul Antier, Dorgères
et Poujade pour appeler à la création d'un Rassemblement
paysan. C'est un ultime avatar de la
stratégie de Paul Antier de plus en plus isolé au
sein de son propre parti engagé dans le CNIP

depuis 1951. Dans cette déclaration, il accepte
de servir de force d'appoint au poujadisme en
perte de vitesse et sans assise agricole. 9 des 14
députés du groupe rejoignent le CNI et créent le
Mouvement d'union paysanne et sociale avec
leur journal "La France Paysanne". Le 17 juillet
1957, le groupe paysan (10 députés et 2 apparentés),
s'apparente au groupe UFF de L. Reoyo
Le Congrès constitutif du Rassemblement
paysan se déroule le 29 septembre 1957 : Paul
Antier pour le PPUS, Poujade pour l'Union de
défense des agriculteurs français, Dorgères pour
le Syndicat agricole de défense paysanne. A
cette période, la ligne de démarcation entre la
droite parlementaire et les extrêmes est parfois
imprécise. Suite à des divergences entre les
dirigeants, la déclaration officielle sera rendue
publique seulement le 18 janvier 1958. Puis
l'opération tourne court. En juin 1957, le comité
exécutif du PPUS condamne l'accord conclu
entre Paul Antier, l'UDCA et Défense paysanne.
Le 17 juillet, est créé un groupe Paysan d'action
sociale et rurale apparenté IPAS (4 membres).
Le 22 juillet, 3 députés rallient les IPAS.
Le 24 juillet, Paul Antier reçoit en renfort le
ralliement de Dorgères et 6 députés poujadistes.
Paul Antier reste président et s'apparente UFF.
Son parti compte 12 membres en octobre 1957.
M. Antier conserve le journal L'Unité Paysanne
et les autres La France Rurale.
Le Congrès du PPUS en janvier 1958 ratifie
l'exclusion de Paul Antier, confirme l'unité d'action
avec les IPAS et son appartenance au CNIP.
Le mercredi 19 novembre 1958, L'Unité
Paysanne, organe du Parti paysan d'union sociale,
se positionne pour la défense du monde
rural, des classes moyennes et des travailleurs
indépendants. "Toutes les 40 minutes, une exploitation
agricole française disparaît. A quand
la vôtre ? Halte au dirigisme. 2 à millions de
ruraux refusent la servitude. Pour conserver vos
libertés, votre patrimoine familial, Votez
Paysan ! "
A l'occasion du scrutin des 23 et 30 novembre
1958, Paul Antier dans l'Unité Paysanne publie
un manifeste politique et une réponse du Parti
paysan d'union sociale au questionnaire et au
manifeste de la FNSEA. Paul Antier est candidat
sur Le Puy-Est et Jean Deshors sur Le Puy-
Ouest. Les poujadistes vont à la bataille en ordre
dispersé et c'est l'échec électoral. Paul Antier
est battu dans son fief ainsi que son colistier
Eugène Pubellier demeuré fidèle au CNIP.
Bien que rallié depuis mai 1958 au néogaullisme,
Paul Antier n'est pas très satisfait de
30
la politique agricole de la 5 ème république : "un
pouvoir qui se veut fort et grand n'a pas le droit,
alors qu'il dispose de moyens exceptionnels,
qu'il a lui-même sollicités, de laisser pourrir des
questions vitales pour le pays". Il se préoccupe
alors de la représentation, surtout au conseil de
la République, des Établissements français de
l'Océanie : à ce sujet, il intervient plusieurs fois
et dépose deux propositions de loi. Mais ses
préoccupations essentielles ne varient pas : le 7
octobre 1952, il demande à interpeller le Gouvernement
sur le prix du blé, puis le 22 février
1955, sur l'intervention de la police contre un
rassemblement d'agriculteurs. Toutefois, dès le
lendemain, il entre dans le deuxième Cabinet
Edgar Faure, qui demeure en fonction jusqu'à la
fin de la deuxième législature.
Il est ministre de la Marine marchande du 23
février 1955 au 1 er février 1956.
Paul Antier dépose et fait voter trois projets de
loi relatifs à la Compagnie générale transatlantique
(juin 1955), à l'exercice de la profession
de marin et à la protection contre la pollution
des eaux de mer (octobre 1955). Ses opposants
et les humoristes le qualifie de "marin d'eau
douce".
Puis en 1958, il ne se représente pas et son siège
revient à Noël Barrot.
La présidence de la République ?
Il envisagea d'être candidat à la présidence de la
République en 1965. Voici un extrait de sa
conférence de presse du 27 octobre 1965 à l'Hôtel
Lutétia : "Enfin pour les décennies qui viennent,
chargées du lourd héritage de ces années
perdues, il est indispensable que soit réalisé une
totale réconciliation nationale et personnellement
je ne puis admettre qu'aient été prolongées
des querelles, des misères et des déchéances. Je
ne puis admettre que l'oubli ne soit pas venu
déjà.
Je crois défendre une juste cause en demandant
que la Paix que chacun réclame soit faite entre
nous, chez nous, parmi nous et tout de suite,
pour que nous puissions tous ensemble et chacun
avec nos idées politiques, mettre en œuvre
une véritable démocratie moderne et dynamique
orientée vers le monde de demain ce qui implique
que la présidence de la république ne soit
pas exercée de manière égocentrique, autoritaire,
personnelle et capricieuse, dans le dédain
des organismes parlementaires constitutionnels,
dans le mépris de ce qui, national ou international,
n'a pas été l'œuvre du détenteur des pouvoirs
élyséens.

La continuité, la pérennité, la grandeur de la
France n'exigent pas le reniement du passé,
surtout de celui qui, par les accords internationaux,
garantissait sécurité et expansion économique.
Il faut penser à l'avenir, donc de ne pas
rejeter mais appliquer, améliorer et poursuivre
ce qui le préparait."
Il consacre une partie de sa conférence à l'agriculture
: "Une autre considération a déterminé
ma décision : plus de 25 millions de français
vivent actuellement dans des communes de
moins de 10 000 habitants, cette France, que
j'appelle rurale, est en péril parce que son pivot
d'activité est la paysannerie et que la paysannerie,
elle, est gravement menacée. Le déséquilibre
entre les différents secteurs économiques
n'est certes pas un fait nouveau mais son aggravation
continue est devenu l'obstacle principal à
l'expansion harmonieuse de la production nationale.
En effet, le secteur agricole irradie sur
d'autres secteurs économiques, notamment dans
les secteurs tertiaires, la distribution et la
consommation.
La détérioration de la condition paysanne, à
laquelle j'avais voulu remédier en établissant
une parité entre les prix agricoles et les prix
industriels, s'est malheureusement poursuivie,
cette politique d'égalité ayant été abandonnée et
c'est à une véritable déchéance économique que
le gouvernement actuel a conduit la paysannerie
en supprimant l'indexation des prix.
Cette opération devait avoir cependant pour
contre partie, d'un part le retour à la stabilité du
franc et à la confiance… et d'autre part la promesse
d'une politique d'orientation agricole.
Comme dans tous les autres domaines le gouvernement
qui avait feint de comprendre les
paysans n'a pas tenu ses engagements…"
Finalement, il se retira au profit de Jean Lecanuet.
Il abandonna peu à peu la vie politique en Haute-
Loire et se retira à Antibes où il décéda en 1996.
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Edgar Faure, dans ses Mémoires, dresse un
portrait de Paul Antier " Paul Antier était un
homme difficile, qui attirait souvent la raillerie,
car beaucoup de personnes le tenaient
pour dépourvu de toute compétence, voire de
tout sérieux, et le prenaient pour un pur et
simple démagogue. Ce jugement m'a toujours
paru sommaire. Ses défauts et ses lacunes ne
devaient pas faire oublier ses qualités et ses
singularités. Ce greffier de campagne avait
trouvé le moyen de traverser le Congo à la
nage pour rejoindre la France Libre. Cette
démonstration de patriotisme et d'énergie
m'avait incité à porter sur lui un jugement plus
nuancé que ne le faisaient nombre de nos collègues.
Il avait sans doute manqué de loyauté
envers un gouvernement dont il faisait partie,
mais c'était selon nos propres critères et non
pas selon les siens. On ne pouvait lui reprocher
d'avoir agi par carriérisme : il était déjà
ministre de l'agriculture et ne pouvait espérer
une promotion à un poste plus élevé. Il croyait
sincèrement que le gouvernement devait se
retirer, laisser la place à un autre, et puisque
les méthodes de la persuasion ne réussissaient
pas, il avait employé celle de la sape ; de
même, sa démagogie, qui devait le conduire à
s'instituer le coadjuteur de Pierre Poujade,
n'était-elle pas inspirée par l'ambition personnelle.
Il croyait de toute son âme à la vox populi.
Il croyait que la révolte du papetier de
Saint-Céré exprimait un mouvement populaire
profond, comme l'avait été le gaullisme et, en
fait, bien que la comparaison soit excessive et
choquante, il faut reconnaître que le poujadisme
n'a pas été seulement un accident ou un
épiphénomène.
Paul Antier aimait certes intriguer, agir dans
la coulisse. Mais il était capable d'éclat aussi
bien que de complot…"
Jean Claude Brunelin

UN NOEL PAS ORDINAIRE
Mademoiselle Célestine Paletot était bibliothécaire
dans une grande ville du centre de
la France. Certes, son prénom et son nom eussent
davantage convenu à une bonne de curé
(quoique ces derniers se faisant aussi rares que
Pâques en Carême, elle eût peut-être été au
chômage !)
Comment la décrire ? Rien en elle n'accrochait
le regard. Ses cheveux noirs, parsemés de
quelques cheveux gris, étaient ramenés en
arrière et noués en chignon inséré dans une
résille. Vêtue d’un tailleur gris de bonne coupe
éclairé par un chemisier blanc, chaussée de
chaussures à talons plats, elle officiait depuis
vingt ans derrière le même bureau. Elle était
froidement aimable tant avec ses clients
qu’avec ses collègues. Elle coupait court à
toute tentative de dialogue ne concernant pas
les livres. Au début, on avait jasé, imaginé
pour elle une autre vie après les heures de bureau,
un secret bien croustillant. Puis les bavards
s’étaient lassés, on avait oublié Célestine.
Oublié n'est peut-être pas tout à fait
exact : tout le monde la saluait, échangeait
trois mots avec elle. Elle était invitée lorsqu’il
y avait un pot de départ, une modeste festivité
à l’occasion du Nouvel An. Elle acceptait
l’invitation, mais peu de personnes auraient pu
affirmer qu’elle était présente. Que voulezvous,
elle était aussi grise que son tailleur, on
ne la voyait pas.
Elle avait eu une jeunesse plutôt heureuse.
Comme elle était restée fille unique, ses parents
avaient pu travailler tous les deux. Leurs
deux salaires avaient permis d’acheter une
villa, pas très grande, mais coquette, entourée
d’un petit jardin fleuri, sise dans un lotissement
on ne peut plus tranquille, proche de la ville.
Elle avait mené la vie de toutes les jeunes filles
de l’époque : sorties entre amies, vacances au
bord de la mer avec ses parents. Elle aimait
aller au cinéma, lire, discuter. C’était une fille
cultivée, un peu bas-bleus. Rien de tel pour
éloigner les prétendants, ils préfèrent de loin
les ravissantes idiotes ! Célestine n’était ni
belle, ni laide, elle était plutôt réservée, incapable
d’aguicher un garçon, et faisait donc
régulièrement tapisserie lorsqu’elle allait au
bal.
Les mois, les années avaient passé ; ses
amis s’étaient mariés, avaient eu des enfants.
Quelques-uns avaient divorcé, puis refait leurs
vies. Enfin, en un mot, ils avaient vécu. Pas
32
elle. Nul prétendant ne lui avait proposé de
l’épouser. Les rares hommes qu’elle fréquentait
dans le cadre de son travail ou de
l’association "Questions pour un champion "
de sa ville étaient mariés pour la plupart. Ils
l’aimaient bien, c’était la bonne copine à qui
on pouvait tout aussi bien raconter son plus
récent chagrin d’amour que demander de recoudre
un bouton. Quelques-uns lui avaient
fait la cour, mais ils cherchaient une courte
aventure, non une relation durable.
Elle coiffa sainte Catherine, entourée de
ses amies, toutes mariées ou fiancées. Toutes
les fois qu’elle assistait à un mariage, qu’elle
allait rendre visite à une nouvelle maman, elle
avait le cœur gros en sortant de l’église ou de
la maternité.
A trente ans, elle était toujours célibataire.
Décidée à ne pas finir dans la peau d’une
vieille fille, elle se fit violence et alla s’inscrire
dans une agence matrimoniale, puis dans un
club de rencontres. Le nombre de tarés qu’elle
rencontra en ces lieux la dégoûta à jamais de
ces sortes d' intermédiaires !
Elle voyagea. Même déconvenue : elle ne
côtoya que des couples ou des hommes à la
recherche d’une aventure.
A quarante-cinq ans, elle était plus seule
que jamais. Ses parents étaient décédés. Ses
amis l’invitaient souvent à déjeuner, à passer
un moment avec eux, mais c’était encore plus
triste de se retrouver sans personne à son côté

dans un dîner, lors d’une soirée. Finalement,
elle s’était résignée. Elle avait gardé la maison
familiale, l’avait arrangée à son goût. Elle
s’était installé une pièce où elle avait réuni
home cinéma dernier cri, chaîne stéréo, multiples
CD, DVD, sans oublier des dizaines de livres.
Un jour, en montant dans sa voiture, elle
avait failli marcher sur un petit chat, miaulant
lamentablement. Elle l’avait recueilli et depuis,
Minette l’attendait tous les soirs derrière la
porte. Un chat, c’est vivant, ça miaule, ça ronronne.
C’est une présence, quoi !
Ce soir-là, c’était Noël, le premier qu’elle
passerait seule. D’habitude, un cousin, une
cousine, se souvenant de son existence,
l’invitait à réveillonner. Cette année, elle
n’avait reçu aucune invitation. C’était la première
fois, mais sans doute pas la dernière,
alors autant en prendre son parti et s’apprêter à
une soirée télévision en compagnie d’un plateau
bien garni et de Minette.
Il faisait nuit lorsqu’elle arriva chez elle.
Elle rentra sa voiture dans le garage attenant à
la maison, sortit ses nombreux paquets, et sursauta
en apercevant devant sa porte une petite
silhouette toute vêtue de rouge du bonnet aux
bottes. Il avait l’apparence du Père Noël, mais
c’était seulement un enfant. Elle se précipita
vers lui, lâcha tous ses paquets, mit ses mains
sur les épaules de l’enfant et interrogea :
- Que fais-tu là, mon petit bonhomme, tu
vas attraper froid ! Tu es perdu ?
- Non, Madame, répondit le petit.
Puis comme récitant une leçon bien apprise :
- Je m’appelle Pierre. C’est mon papa
qui m’a dit d’attendre votre arrivée. Il m’a
donné une lettre pour vous, ajouta-t-il en tendant
une enveloppe.
33
Mademoiselle Célestine prit la missive,
ouvrit la porte, récupéra ses paquets et dit au
garçonnet en le poussant à l’intérieur :
- Rentre au chaud, mon garçon.
Une fois à l’intérieur, elle regarda l’enfant.
Il était chaudement vêtu, bonnet, parka, bottes
et portait sur le dos un gros cartable ;
- Quitte ton anorak et ton bonnet. Ma maison
est bien chauffée !
- Pas tout de suite, Madame. Mon papa
m’a bien recommandé de vous dire de lire la
lettre d'abord.
Sans même prendre le temps de quitter son
manteau, Mademoiselle Célestine ouvrit
l’enveloppe :
" Mademoiselle, je vous connais un peu
pour avoir échangé quelques mots avec vous à
la bibliothèque. Vous avez l’air gentille, douce
et réservée. C’est pour cela que je vous demande
de bien vouloir accueillir mon petit
garçon pour cette nuit de Noël. Je sais qu’il
sera en sûreté avec vous. Je ne peux pas le
garder avec moi, nous n’avons plus de logis
depuis ce matin. Moi, je peux aller dormir à
l’asile de nuit, mais si je me présente avec
Pierre, ils vont me le prendre et l’envoyer dans
un foyer de la DDASS. Si cela vous ennuie, renvoyez-le,
il sait où me retrouver. Sinon, je
viendrai le reprendre demain dans la matinée.
Merci ".
Mademoiselle Célestine n’hésita pas un
instant. Elle posa la lettre sur la tablette du
téléphone, quitta son manteau, tout en disant à
Pierre :
- Tu peux quitter tes vêtements chauds
et poser ton cartable, je crois que je vais t’avoir
pour compagnon cette nuit.
- Chouette ! Dehors, on se les caille ! Oh
pardon ! On doit dire " dehors, il fait très
froid ". Papa ne serait pas content de
m’entendre parler grossièrement.
- J’ai rien entendu, c’est promis ! Que
dirais-tu d’un bon chocolat avec une tartine?
Sans attendre de réponse, elle se dirigea
vers la cuisine, Pierre sur ses talons. L’enfant
suivait tous ses gestes avec attention.
- Assieds-toi, Pierre.
Elle posa devant lui un grand bol de la
boisson odorante, accompagnée d’une tartine
de beurre et de confiture.
- Il est bon, votre chocolat.
Mademoiselle Paletot avait très envie de
questionner l’enfant, mais se retint. Il parlerait
s’il en avait envie, plus tard. Pour l’instant, il
était tellement attendrissant. Il mordait avec

ardeur dans la tartine, puis buvait une gorgée
de chocolat qui lui laissait, lorsqu’il reposait le
bol, une moustache brune.
- Tu veux une autre tartine ?
- Oui, s’il vous plait. Elles sont fameuses.
Et votre chocolat est presque aussi bon que
celui que faisait ma maman.
- Moi aussi je trouve que celui de ma
maman était bien meilleur que le mien.
- Votre maman est morte, à vous aussi ?
- Oui, il n’y a pas très longtemps.
- Elle était vieille, vieille alors ?
- On peut dire ça ! Son temps était venu
d’aller rejoindre mon papa au ciel… Enfin, si
on y croit !
- La mienne était jeune, jeune. Son
temps n’était pas venu, comme vous dites.
Papa et moi sommes très malheureux sans elle.
Mademoiselle Célestine ne sut quoi
répondre, tant elle sentait la grande détresse de
Pierre. C’est Minette qui sauva la situation :
elle s’était cachée sous le placard à l’arrivée de
sa maîtresse accompagnée de l’intrus. Finalement,
elle se décida à sortir de sa cachette,
juste à cet instant et sauta sur les genoux de
Mademoiselle Célestine.
- Je t’avais oubliée, toi ! Pierre, je te
présente Minette, ma petite chatte. Minette, je
te présente Pierre ; c’est un gentil garçon avec
qui nous allons partager la maison ce soir.
Pierre s’approcha :
- Je peux la prendre dans mes bras ?
- Essaie. Mais elle est un peu sauvage, ça
n’est pas sûr qu’elle accepte.
Minette se laissa prendre, grimpa sur les
épaules de Pierre, promena sa truffe sur son
cou, ses oreilles, ses cheveux. L’enfant ne
bougeait pas. Satisfaite sans doute de son inspection,
elle s’installa dans les bras de Pierre et
se mit à ronronner. Pierre était radieux.
Mademoiselle Célestine suggéra à Pierre :
34
- Allons nous installer au salon. J’allumerai
la cheminée, si tu veux.
Pierre la suivit, Minette toujours installée
au creux de ses bras. Pendant que la demoiselle
s’affairait près du feu, l’enfant se blottit au
creux d’un fauteuil et parcourut la pièce des
yeux :
- C’est drôlement beau chez vous, et
bien rangé. Mais pourquoi vous n’avez pas
d’arbre de Noël, ni de crèche, ni des guirlandes
et des grosses boules dorées ?
Le feu flamba presque tout de suite et Mademoiselle
Célestine s’assit sur le second fauteuil
et expliqua :
- Je n’attendais personne ce soir, ni demain.
A vrai dire, je devais être seule jusqu’à
ce que je reprenne mon travail le deux janvier.
Je n’ai pas de frère, pas de sœur, donc pas de
neveux. Je suis célibataire, et aucune de mes
connaissances n’a pensé à m’inviter. Mais,
depuis que tu es là, je ne suis plus triste. Veuxtu
me parler de toi ? Rien ne t’y oblige, si tu
préfères que nous causions d’autre chose…
- Je veux bien parler de moi, mais je
vous avertis, ce n’est pas très gai ! Mon papa et
ma maman se sont mariés très jeunes, et je suis
arrivé neuf mois après. Papa, lorsqu’il veut me
taquiner, me dit que je suis la plus jolie tuile
qui leur soit tombée sur la tête ! Nous habitions
un tout petit appartement. Papa et maman faisaient
des petits boulots, on n’était pas riches,
mais pourtant, ils riaient tout le temps. Chez
nous, c’était toujours en désordre. Mes parents
disaient que c’était plus important de jouer ou
de nous faire des bisous tous les trois, plutôt
que de ranger. On était heureux, quoi !
C’est ma maman qui m’a emmené à
l’école le jour de ma rentrée en CP. J’avais un
beau cartable tout neuf, un jean et un pull avec
Spider man dessus, des tennis rouges et blancs.
Elle devait venir me chercher, mais elle n’était
pas à la sortie, c’est la voisine qui m’a ramené
chez elle. Je l’ai questionnée, mais elle me
répondait " ton papa t’expliquera ". Elle voulait
me faire goûter, mais je n’ai rien voulu manger,
je suis resté à la fenêtre pour guetter papa.
Lorsqu’il est arrivé, j’ai compris qu’il s’était
passé quelque chose de grave. Il m’a pris dans
ses bras, on est monté chez nous, et il s’est
assis sur le vieux fauteuil que l’on avait déglingué
en s’asseyant tous les trois dessus
quand on chahutait. Il pleurait, et moi aussi. Il
m’a dit que ma jolie maman était morte, tuée
par une grosse voiture qui avait pris la fuite.
Tout ce qui s’est passé après se mélange dans

ma tête. On était très malheureux, papa a perdu
son boulot, on a dû quitter l’appartement, il ne
pouvait plus le payer. On avait trouvé une
chambre d’hôtel, affreuse, mais on était tous
les deux. Ce matin, le patron nous a chassés.
Ce soir, papa ne savait pas où il coucherait,
peut-être dehors ; il n’a pas voulu me garder.
Mais demain, il va venir me chercher, il l’a
promis. De toute façon, ça m’est égal de coucher
sous les ponts si je suis avec papa.
A la fin de son récit, de grosses larmes
coulaient sur les joues de l’enfant. Mademoiselle
Célestine se leva, s’assit à côté du petit
bonhomme et de la chatte qui se cramponnait à
l’enfant, l’entoura de ses bras :
- Pleure pas, mon Pierre ! Ton papa m’a
fait le plus joli cadeau que j’aie jamais reçu en
te confiant à moi pour la nuit de Noël. J’étais
si triste et seule. Maintenant, nous sommes
deux…
- Trois avec Minette !
- Tu as raison, trois avec Minette. Et tu ne
te trompes pas quand tu dis que ma maison est
trop bien rangée, qu’elle n’a rien qui rappelle
que nous sommes à Noël. Après tout, c’est
fête ! Suis-moi au grenier, c’est bien le diable
si nous ne trouvons pas quelques guirlandes,
quelques boules de Noël que maman installait
quand j’étais petite.
- Il n’y a pas d’araignées dans ton grenier
?
- Ca risque pas, il est aussi bien rangé que
le reste de la maison.
En disant cela, mademoiselle Célestine se
sentit vaguement coupable : quelle idée de
ranger un grenier ! En effet pas une toile
d’araignée sous ses combles, pas de vieilleries
couvertes de poussière, pas de vieilles malles
à explorer pour trouver peut-être un trésor. Au
lieu de ça des boîtes soigneusement empilées,
étiquetées. Elle n’eut pas grand mal à trouver
un carton où était inscrit ce simple mot : Noël.
En moins de temps qu’il n’en faut pour
l’écrire, les trésors que contenait la boite
s’éparpillèrent dans le salon. Le Ficus se transforma
en arbre de Noël fort honorable, des
guirlandes furent accrochées un peu partout ;
les boules multicolores, sauf une que
s’appropria Minette pour jouer, se balancèrent
partout où la moindre aspérité permettait de les
suspendre.
- Superbe, commenta Pierre, le travail fini.
- Ce n’est pas tout, mais il faut que nous
nous préparions un réveillon pour nous deux.
Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
35
Pierre, en petit garçon bien élevé, répondit
:
- J’aime tout ! Faites ce qui vous fait plaisir
à vous.
- Pierre, tu es mon invité, je tiens à ce que
tu choisisses le menu. Allez, parle, ne sois pas
timide, tu vois bien que je suis ton amie.
- Je sais que vous êtes mon amie, vous
avez fichu la pagaille dans votre salon rien que
pour me faire plaisir.
Et il lui sauta au cou pour un gros, gros bisou
! Mademoiselle Célestine crut que son
cœur allait éclater, tellement c’était bon de
sentir ses petits bras autour de son cou, son
baiser sonore et tendre à la fois !
- Tu sais, maintenant que nous nous
connaissons bien, je serais content que tu
m’appelles Célestine et si tu me tutoyais, ce
serait encore mieux.
- Moi, je veux bien ! Surtout que tu as un
joli nom, il fait penser au ciel !
- Alors, jeune homme, que mangeonsnous
?
- Tout des trucs sucrés !
- Par exemple, interrogea mademoiselle
Célestine ?
- Des gâteaux du pâtissier avec plein de
crème.
- J’ai une bûche de Noël qui devrait faire
l’affaire.
- Vous savez faire les crêpes ?

- Oui, et elles sont paraît-il très bonnes !
- Vous avez des fraises tagada ?
- Non, je ne sais pas même ce que c’est !
- C’est des bonbons en forme de fraises,
toutes rouges. On en mangeait en cachette avec
maman parce que papa disait que c’était plein
de colorants chimiques. Mais ce que c’était
bon !
- J’ai des chocolats du pâtissier. Tu crois
que ça pourra faire l’affaire !
- Ma foi, ce n’est pas mauvais non plus !
Et on pourra regarder la télé en mangeant ?
- Tant que tu voudras. C’est la fête des
enfants ce soir, c’est donc ta fête, mon Pierre !
Le feu flambait joyeusement, Célestine et
Pierre s’étaient assis sur le tapis, la table de
salon était recouverte de tout ce que Célestine
avait pu dénicher dans ses placards en plaisirs
sucrés dont ils se goinfrèrent allègement, tout
en regardant un vieux film de Laurel et Hardy.
Minette avait d’abord pris un air offensé
devant tous ces débordements bien inhabituels
en ce lieu, mais sa réprobation n’avait pas résisté
à la crème si délicieusement parfumée de
la bûche.
Ce fut un joyeux réveillon, comme n’en
avait jamais connu Célestine.
A minuit passé, Pierre avait de la peine à
garder les yeux ouverts ! Mademoiselle Célestine
trouva un pyjama dans le sac à dos, déshabilla
le petit bonhomme et le coucha à moitié
endormi dans son propre lit.
Elle ne dormit guère, cette nuit là. Tous les
souvenirs de la soirée tournaient dans sa tête,
sans oublier le trop plein de gâteaux dans son
estomac !
36
A sept heures, elle était dans sa cuisine à
mitonner un repas digne d’un 25 décembre :
foie gras, dinde, marrons, fromage et bûche
glacée sortie du congélateur. Et même de fraises
tagada que, par bonheur, sa boulangère
avait en rayon.
Le lendemain, lorsque Mademoiselle Célestine
ouvrit la porte au papa de Pierre, la
maison brillait de tous les feux des bougies
disséminées un peu partout. Les guirlandes
scintillaient, les boules se balançaient en lançant
des reflets rouges et or.
Pierre, tout juste levé et habillé, se jeta
dans les bras de son père :
- Joyeux Noël papa ! Célestine a préparé
un fameux repas. Moi, je ne l’ai pas beaucoup
aidée, j’ai dormi trop tard à cause du réveillon
génial qu’on a fait ! Viens t’asseoir là, le dos à
la cheminée pour te réchauffer.
- Joyeux Noël, Monsieur le papa de Pierre.
- Mais, Madame, je ne sais…
- Pas Madame, Mademoiselle, ou plutôt
non, Célestine. Je devais être seule en ce jour,
et j’ai le bonheur d’avoir des invités. Ne gâchez
pas ma joie de vieille fille à qui tombe du
ciel une famille.
Un peu étourdi, Jacques, le papa, céda
bientôt au bonheur de voir son fils heureux. Le
repas fut des plus joyeux. Après le dessert,
Pierre se blottit sur les genoux de son père et
s’endormit, épuisé par la fête. Jacques le déposa
doucement sur le canapé et alla aider Célestine
à mettre de l’ordre. Il s’apprêtait à donner
des explications sur sa conduite. Elle l’arrêta
d’un geste de la main :
- Jacques, je sais de votre histoire tout ce
que j’ai à savoir. Je suis une vieille fille bien
seule, habitant une maison deux fois trop
grande pour moi. Vous, vous avez l’âge d’un
fils pour moi, vous n’avez pas de toit, pas de
travail, pas de famille, je suppose.

- Ma femme et moi étions de la DDASS.
- Vous ne voulez pas que Pierre connaisse
ce que vous avez connu ? Je vous propose de
vous installer chez moi, le temps de retrouver
du travail, un foyer pour votre petit bonhomme.
Je vous aiderai de mon mieux, et ce
sera un bonheur, à l’éducation de Pierre. Acceptez
sans remords : je vous offre un toit pour
un temps, en échange vous me donnez
l’illusion d’avoir une vraie famille.
Jacques était un homme à bout de courage
: il accepta l’offre aussi simplement
qu’elle était proposée.
Lorsque Mademoiselle Célestine revint à
la bibliothèque, elle avait beaucoup changé. On
la voyait enfin, elle n’était plus grise. Pourtant,
elle n’avait pas rajeuni, elle n’avait changé ni
de coiffure, ni de vêtements. Simplement, elle
était heureuse et ça se voyait. Pour couper
court à tous les ragots, elle déclara qu’elle
logeait pour quelques mois un jeune neveu
veuf avec un enfant.
Elle qui, avant, s’attardait toujours à la
bibliothèque après l’heure, guettait maintenant
la pendule : il ne s’agissait pas de se passer du
plaisir d’aller attendre Pierre à l’école,
d’écouter son rire quand il se jetait dans ses
bras en criant " ma Nine ", diminutif qui lui
faisait toujours autant plaisir que la première
fois qu’il l’avait dit dans un élan de tendresse.
Une année fut nécessaire pour que Jacques
retrouve du travail, puisse louer un appartement.
Il fallut négocier avec Pierre, qui refusait
obstinément de quitter sa Nine… et Minette !
Enfin, un appartement se libéra à cent mètres
du domicile de Célestine. Pierre partageait son
temps entre les deux logis. Jacques ne passait
pas un jour sans venir voir Célestine… qu’il
avait fini par nommer Nine lui aussi.
Et voilà la fin de l’histoire : trois années se
sont écoulées. Mademoiselle Célestine, en
grande toilette, regarde sortir de l’église Jacques
et une jolie jeune femme en robe de mariée.
Entre eux, cramponné à chacune de leurs
mains, Pierre est là, tout fier. Les larmes montent
aux yeux de la demoiselle. Jacques a réappris
à vivre, il fonde un nouveau foyer où
elle sait qu’elle aura sa place ! La jeune femme
qu’il épouse a su gagner le cœur de Pierre.
Quelqu’un s’adresse à elle :
- Félicitations, Madame : votre fils, votre
petit-fils et votre belle-fille font un beau trio !
Mademoiselle Célestine se retourne, surprise.
Le Monsieur qui vient de l’interpeller est
un bel homme d’une cinquantaine d’années,
37
cheveux gris, visage souriant, costume de
bonne coupe.
- Vous êtes de la famille de la mariée ?
interroge t-elle aimablement, soucieuse de ne
pas faire un impair.
- Pas du tout. Je passais devant l’église, et
le tableau était si beau pour un vieil homme
sans famille comme moi que je me suis arrêté
et je n’ai pas pu m’empêcher d’aborder la maman
du marié. Oh, excusez-moi, je ne me suis
pas même présenté : Baptiste Dupont, professeur
de français.
- Et moi, Célestine Paletot, bibliothécaire.
Voulez-vous vous joindre à la noce, les enfants
ne verront pas d’inconvénient à avoir un invité
de plus, j’en suis certaine. Offrez-moi votre
bras, allons les rejoindre.
Il lui tendit son bras, elle posa sa main
gantée dessus, et ils s’éloignèrent en direction
des invités. On entendit seulement, pendant
qu’ils s’approchaient de la noce, Célestine
expliquer :
- Ce n’est pas mon vrai fils, mais c’est une
longue histoire…
Yvette Maurin

TRISTE CAMBODGE
Nous venions de parcourir une bonne partie
de la Thaïlande (nous, c'est-à-dire le quatuor
habituel et six compagnons de voyage).
Nous étions ravis : gentillesse des Thaïlandais,
douceur de vivre, enfin un pays où les habitants
avaient un emploi, disposaient d’écoles
gratuites et obligatoires, de soins, d’un réseau
routier digne de ce nom. En Asie, et dans bien
d’autres continents il n’en est pas de même.
Nous devions repartir de Bangkok en direction
de la France, mais nous avons trouvé dommage
d’être aussi près du mythique temple d’Angkor
sans prolonger notre séjour d’une petite semaine
pour le visiter. Pour ce faire, nous avons
quitté le groupe et nous nous sommes joints à
deux couples, au demeurant forts sympathiques,
qui avaient eu la même idée que nous.
J’étais persuadée qu’il n’y avait qu’un
temple d’Angkor, démesuré, noyé dans une
immense forêt d’arbres impressionnants d’où
pendaient des lianes servant de balançoire aux
singes. Naturellement, serpents, panthères et
autres félins tout aussi sympathiques peuplaient
la jungle, prêts à bouffer le touriste
imprudent. Ce n’est pas pour rien que, dans ma
jeunesse, je ne ratais pas un seul des films de
Tarzan ! Et je ne serais pas surprise que parmi
vous, amis lecteurs, il n’y en ait pas quelquesuns
qui partagent mes… illusions !
Adieu les rêves d’aventuriers ! D’abord, il
n’y a pas UN temple d’Angkor, mais une petite
dizaine de visitables. Les autres, dont on ne
connaît pas le nombre ni l’emplacement exact
sont encore enfouis au fin fond de la jungle,
difficilement atteignables, j’imagine. Un de
ceux que l’on peut voir a été conservé plus ou
moins dans l’état où on l’a découvert, c'est-àdire
que les édifices, ou du moins ce qu’il en
reste, sont étroitement enlacés par les troncs et
les racines d’arbres gigantesques. Les autres
ont été aménagés pour que les touristes puissent
les admirer à leur aise. La forêt a été repoussée
pour faire place à de vastes étendues
de gazon pelé où peuvent se garer à l’aise voitures
et cars de touristes et où fleurissent une
multitude d’échoppes vendant des souvenirs.
Nous n’avons pas beaucoup vu de touristes
occidentaux, mais beaucoup d’Asiatiques.
Chinois ? Vietnamiens ? Thaïlandais ? Je suis
bien incapable de vous le dire, je les confonds.
Je reconnais seulement les Japonais. Pas à
leurs visages, mais à divers signes : les groupes
de voyageurs arborent des casquettes absolu-
38
ment identiques dans la forme et la couleur ; ils
ont souvent un masque chirurgical sur le nez et
la bouche et ils se serrent comme une couvée
de poussins autour de leur guide brandissant
bien haut un drapeau de la couleur des couvrechefs.
Pas un ne s’écarte du groupe à plus de
deux mètres, et encore pour se mitrailler mutuellement
(eux, pas les monuments) avec leurs
appareils photo dernier cri ! C’est ainsi qu’on
les reconnaît à Venise, en Egypte, à Paris, en
bref dans tous les lieux touristiques.
Je ne vous décrirai pas les temples : vous
allez dans n’importe quelle bonne librairie,
vous achetez un gros bouquin sur papier glacé,
et ce sera tout aussi beau que la réalité. Pour
moi, ces édifices n’ont pas d’âme, de toute
façon ! Cette affirmation n’engageant que moi,
naturellement.
Ceci dit, la perte de mes illusions ne
m’aurait pas affectée outre mesure, j’aurais
profité de la grandeur et de la beauté des merveilles
sauvées de l’ensevelissement sous la
jungle, en me moquant intérieurement de ma
naïveté si…
Si, à la descente du car nous n’avions pas
été assaillis par une horde de petits enfants
déguenillés nous proposant des cartes postales
et je ne sais quoi encore. Je crois avoir suffisamment
voyagé pour savoir que les touristes

sont la cible favorite des petits vendeurs à la
sauvette : lorsque ces derniers sont barbouillés,
dépenaillés, pieds nus, mais visiblement bien
nourris, avec au fond des yeux cette petite
étincelle coquine des enfants heureux, ça ne
me dérange pas le moins du monde. Une poignée
de bonbons calme très vite leur ardeur
commerciale ! Seulement, les enfants cambodgiens
étaient loin de respirer la santé, et leurs
yeux n’avaient pas la fameuse petite étincelle.
Ils avaient un regard suppliant. Le guide les a
chassés, ils se sont un peu éloignés, suffisamment
pour ne plus nous " importuner ", mais
pas assez pour ne plus montrer la tristesse de
leurs yeux. Souvent, sur le chemin des sites,
nous avons rencontré des femmes cherchant à
nous vendre des tissus, des objets artisanaux,
des couples d’enfants à l’affût afin de voler à
un touriste négligeant son portefeuille, son
appareil photo, sa caméra ou son téléphone
portable. Régulièrement, le guide les chassait,
mais d’autres surgissaient quelques centaines
de mètres plus loin. La police doit être bien
faite : ils n’apparaissaient jamais sur les lieux
mêmes des sites.
Sauf une fois. Nous gravissions quelques
marches pour atteindre une terrasse, vestige du
palais dit "du roi lépreux ". Sur le dernier degré,
à l’ombre du mur, une femme était assise.
Une femme ? Plutôt une adolescente selon nos
critères occidentaux. Elle tenait serré dans ses
bras un bébé qui dormait. Elle était pieds nus,
elle portait un sarong décoloré, un chemisier
informe, ses cheveux semblaient ramassés en
un semblant de chignon. Elle ne vendait rien,
elle ne mendiait pas. Elle n’était pas aveugle,
cependant elle ne nous voyait pas. Ses yeux
étaient vides, vides de tout intérêt, de toute
perception du monde qui l’entourait. Ils regardaient
en dedans d’elle. La vision devait être
terrible, il se dégageait de cette femme-enfant
un désespoir sans nom. Désespoir n’est pas
même le terme exact, c’était au-delà de la désespérance.
Elle s’est animée à deux reprises :
un touriste a voulu lui donner un bonbon, un
autre un peu d’argent. Ses yeux se sont remplis
de colère, elle a jeté les deux présents loin
d’elle. Puis elle est retombée dans son apathie,
pauvre petite statue, image d’un indicible malheur.
Je me suis éloignée d’elle, mes compagnons
ont fait de même : nous ne pouvions rien
pour elle. Je suis certaine qu’elle n’aurait pas
même accepté que nous tentions de
l’approcher, de lui parler. Au mieux, elle nous
aurait ignorés, au pire, elle se serait enfuie de
39
son fragile abri. Son image me poursuit, et
c’est seulement presque une année après que
j’arrive à vous en parler. J’ai mal, j’ai honte,
même si, raisonnablement, je sais bien que je
ne suis pas coupable.
Notre guide, un homme d’une soixantaine
d’années, avait sans doute surpris notre émotion.
Il n’a fait aucune allusion à la pauvre
petite vierge à l’enfant du malheur que nous
avions croisée, mais il nous a parlé de lui, par
quelques phrases brèves, glissées au milieu des
explications données sur les temples. Nous
avons pu reconstituer peu à peu, durant les
cinq jours que nous avons passés en sa compagnie,
une partie de sa vie. Il était professeur,
lorsque les Khmers Rouges ont pris le pouvoir
au Cambodge. Il a dû quitter sa famille et se
cacher dans la jungle durant trois années. Il
était seul, il n’avait rien. Il a survécu en se
nourrissant de baies, des animaux qu’il pouvait
attraper : serpents, petits rongeurs, scorpions,
mygales. Devant notre dégoût lorsqu’il nous a
montré une mygale, il a dit simplement :
"Même les araignées sont bonnes lorsqu’on se
refuse à mourir de faim".
Avait-il une famille lorsqu’il a dû fuir ? Si
oui, a-t-elle été épargnée ? A-t-elle disparu
dans la tourmente qui a privé le pays d’une
génération entière ? Deux millions de morts ou
de disparus, soit un quart de la population du
Cambodge d’alors. Pas n’importe lesquels,
d’ailleurs. Un paysan illettré, s’il courbait suffisamment
l’échine et obéissait aux ordres
stupides des Khmers Rouges, avait de grandes

chances de survivre. Mais tous les autres, de
celui qui avait un peu d’instruction à celui qui
avait acquis des diplômes importants, étaient
exterminés sans pitié, ou mouraient dans des
camps de travail. Beaucoup de livres ont paru
sur cette période de l’histoire cambodgienne :
prenez la peine d’en lire un, et vous comprendrez
que le monde entier est coupable d’avoir
laissé perpétrer un tel massacre.
Il nous a montré d’innombrables impacts
de balles sur les murs, à l’intérieur des temples
: ainsi étaient morts les malheureux qui
avaient tenté de s’y réfugier.
Au début, il nous avait bien recommandé
de ne pas mettre les pieds hors des sentiers
balisés. Nous pensions que c’était pour éviter
de nous faire piquer par un serpent. Pas du
tout, mais la forêt recelait encore des mines
antipersonnelles, prêtes à exploser sous les pas
d’un touriste non averti.
Notre guide nous a indiqué l’immeuble en
forme d’immense caserne où les prisonniers
étaient enfermés afin de pouvoir les torturer à
loisir. Je crois que c’est devenu un musée,
mais, même s’il nous l’avait proposé, je ne suis
pas fière de le dire, je n’aurais pas eu le courage
d’aller le visiter.
Le pays se relève tout doucement avec
l’aide internationale, surtout américaine. Des
immeubles sortent de terre, en majorité des
hôtels. Pourquoi ne pas profiter de la manne
touristique apportée par la visite des temples
d’Angkor. Soyez certains cependant que la
crise économique ralentira l’arrivée des dollars.
En janvier 2009, certains travaux étaient
déjà interrompus.
Nous avons appris, aussi, que les Khmers
Rouges sont de retour. Cette fois, ils reviennent
non pas en soldats, mais en hommes
d’affaires. Si le pays se relève, connaît de nouveau
la prospérité, c’est dans leurs poches
qu’iront les bénéfices.
Sur le chemin de l’aéroport s’élève un hôpital
pour enfants, flambant neuf, dans un parc
fleuri et arboré, construit grâce à l’argent de la
communauté internationale. Seulement, une
file d’attente d’au moins un kilomètre s’étirait
sur le trottoir, à l’ombre d’arbres rachitiques,
puis dans le jardin, jusqu’à la porte de
l’hôpital. C’étaient des parents, des femmes
surtout, portant dans leurs bras des enfants
malades. Ils patientaient, sans cris, sans bousculades,
attendant leur tour pour voir un médecin.
Nous les avons vus le soir, en rentrant
d’excursion. Le lendemain de bonne heure, en
40
allant prendre l’avion du retour, ils étaient
toujours aussi nombreux. Je n’ai pas
d’explication. Le guide n’a pas répondu à nos
questionnements.
C’est la dernière image que je garde de
Siem Reap, au Cambodge.
Alors, au diable les fantastiques vestiges
d’une civilisation disparue, les Bouddhas hauts
comme des immeubles, les danseuses finement
gravées sur les murs, comme prêtes à s’envoler
dans un impossible ballet, les animaux mythiques
sculptés dans la pierre. Au diable les temples
que la forêt a dévorés. Que jamais on ne
les retrouve m’importe peu !
Dieu Universel, si Tu existes et quel que
soit Ton Nom, tourne ton Regard vers ces
hommes, ces femmes, ces enfants qui crèvent
de misère, alors que s’étale, sous leurs yeux,
l’insolent bien-être des touristes. Pires sont
encore leurs concitoyens, ceux qui ont choisi le
parti de s’enrichir de leur misère, de les écraser
de leur opulente et puante richesse. La ville, le
soir, brille de tous ses feux, une jeunesse dorée
se promène en riant, les terrasses des cafés sont
pleines de consommateurs, l’alcool coule à
flot, les voitures de luxe sont légion. Savent-ils
seulement, ces nantis, que la misère existe à
deux pas ?
Yvette Maurin

Des recettes très anciennes
En feuilletant des archives, nous avons trouvé
de vieilles recettes du Velay qui remonteraient,
selon l'auteur, à la cuisine des moines
de l'Hôtel-Dieu du Puy. A voir les ingrédients
utilisés, ces recettes ne s'adressaient sans
doute pas au commun des mortels mais plutôt
à quelques prélats bien bedonnants… Notons
les fortes influences du pays d'Oc dans ces
recettes : farigoule, romarin, huile d'olive…
Les sources indiquées sont trop imprécises
pour permettre une recherche digne de ce
nom. Alors authenticité ou simple supercherie…
Finalement peu importe, l'essentiel est
de se régaler. Avec un spécialiste, nous les
avons mises au goût du jour. Alors tous à vos
fourneaux !
Blanquette des bergers à l'ancienne
Les ingrédients : 1 kilo de viande d'agneau
noir du Velay (épaule et haut de côtelettes) ;
75 g de beurre ; 1,5 cuillerée de farine ; 30 cl
de vin blanc sec ; 1 bouquet garni avec les
queues de persil ; 2 oignons ; 150 gr de champignons
émincés ; 2 jaunes d'œufs ; 1 cuillerée
à soupe de crème épaisse ; 1 filet de vinaigre,
sel, poivre.
Dans une marmite de fonte ou de terre cuite,
saisir la viande découpée en morceaux dans le
beurre fondu. Ne pas les faire dorer trop longtemps.
Les retirer et singer le fond de cuisson.
41
Mouiller pour moitié d'eau portée à ébullition
et de vin blanc. Incorporer le bouquet garni.
Saler. Donner un tour de poivre.
Réintroduire la viande. Laisser mijoter 1 heure
40 environ.
50 minutes avant le terme de la cuisson, ajouter
les oignons découpés en rondelles et les
champignons émincés. Retirer le bouquet garni.
Hors du feu, lier aux jaunes d'œufs avec la
crème épaisse. Touiller. Adjoindre le vinaigre
avant de servir chaud.
Carrés d'agneau noir du Velay au sel
Les ingrédients : 4 carrés d'agneau noir du
Velay ; 4,5 cl d'huile d'olive ; chapelure, sel,
poivre.
Parer les carrés d'agneau (4 côtes par personne).
Les inciser côté peau pour que la
graisse puisse s'évacuer. Les badigeonner au
pinceau d'huile d'olive. Jeter une bonne pincée
de sel sur chacun d'eux. Poivrer.
Les cuire à four chaud 25 mn environ.
Les retirer pour les saupoudrer de chapelure.
Les passer sous la salamandre quelques minutes
avant de les servir.
Epaule d'agneau noir du Velay aux fleurs de
romarin et au chutney aux pommes
Les ingrédients : 750 g de pommes ; 1 épaule
d'agneau noir du Velay de 1,2 kilo ; 1,5 tasse
de vinaigre ; 375 gr de sucre roux ; cannelle,
quatre épices, 1 clou de girofle, 3 à 4 cuillerées
de gingembre, fleur de sel, fleurs de romarin,
sel
Apprêter le chutney : dans un rondeau déposer
le vinaigre, le sucre, la cannelle, les quatre
épices, le clou de girofle, le gingembre et le
sel. Amener à ébullition.
Adjoindre les pommes épluchées, épépinées et
débitées en dés. Laisser mijoter à feu moyen
40 mn environ jusqu'à une consistance épaisse
en fin de cuisson.
Assaisonner l'épaule. La saisir sur toutes ses
faces. Y répandre de la fleur de sel et des fleurs
de romarin.
Préchauffer le four 10 mn. Rôtir la viande
(180-200°C) de 25 à 30 mn.
Passer le jus au chinois et en arroser l'épaule
avant de servir conjointement au chutney qui
sera présenté séparément.
Gigot d'agneau noir du Velay à la farigoule
La farigoule est le nom provençal du thym.

Les ingrédients : 1 gigot d'agneau noir du
Velay ; gousses d'ail ; huile d'olive ; 12 cl de
rosé de Provence ; 2 flocons de beurre ; farigoule,
sel, poivre concassé.
Parer le gigot. Introduire les gousses d'ail non
épluchées dans la chair le plus près possible de
l'os. Poudrer de sel et de poivre.
Déposer la viande dans le lèchefrite.
Préchauffer le four 10 mn (th 4/5). Laisser
cuire la viande 25 mn environ en l'arrosant de
son jus de temps à autre.
Retirer le gigot. Dégraisser son jus.
Le mouiller d'un vin rosé et d'une larme d'eau.
Laisser réduire en remettant la viande au four.
Introduire le beurre et laisser quelques minutes
à la chaleur.
Détailler le gigot en tranches. Les napper de
jus.
Servir après avoir poudré de farigoule.
Gigot d'agnelet noir du Velay au miel et
à la chiffonnade d'oseille
Les ingrédients : 1 gigot d'agnelet noir du
Velay de 1,250 kilo ; 10 cl d'huile d'olive ; 6 cl
de miel liquide ; un bouquet de 500 g de feuilles
d'oseille ; 10 cl de vin blanc aux notes florales
; 1 noix de beurre, sel, poivre
Désosser le petit gigot d'agneau. Le ficeler
avec du fil de cuisine.
Le badigeonner d'huile. Assaisonner à l'intérieur
comme à l'extérieur en pratiquant quelques
incisions.
Laver les feuilles d'oseille (oseille de jardin ou
oseille sauvage ou feuilles de renouée bistorte).
Les sécher sur du papier absorbant. Les équeuter.
Réunir les feuilles en un rouleau serré et
tronçonner.
Les mettre à suer 5 mn à feu doux dans une
noix de beurre fondue. Les réserver au chaud.
Déposer la viande sur la grille du four pour la
rôtir. Mettre la grille sous un plat creux. Arroser
de son jus en cours de cuisson. Saisir la
viande d'abord à feu vif 15 mn puis baisser la
température.
Couler encore un peu de miel liquide à la surface
et poursuivre la cuisson 10 mn. Laisser
cuire durant 40 mn.
La passer 3 ou 4 mn sous la salamandre pour la
caraméliser légèrement.
Une fois la cuisson terminée, laisser la porte du
four entrouverte.
Dégraisser et déglacer avec une note de vin
blanc après avoir gratté les sucs.
Tamiser le jus.
42
Servir la viande aux côtés de l'oseille avec un
vin léger.
Langues de mouton à la mode des bergers
du Velay
Les ingrédients : 8 langues de mouton noir
du Velay (légèrement pigmentées) ; 6 cl
d'huile d'olive ; romarin
Parer les langues en ôtant leur graisse et les
mettre à l'eau froide 1 heure environ.
Changer l'eau et les cuire dans un pot-au-feu
durant 3 heures au moins (ou 1 heure 30 mn à
l'autocuiseur).
Les dépouiller de leur peau trop épaisse. Les
partager en 2 dans le sens de la longueur.
Les badigeonner d'huile d'olive.
Saupoudrer de romarin.
Cuire sur le gril ou sur la braise 20 mn environ
jusqu'à ce que la viande ait atteint la tendreté
souhaitée.
Ragoût de mouton noir à l'orge du Devès
Les ingrédients : 850 g de viande de mouton
noir du Velay (poitrine et collier) ; 40 g de
graisse de mouton ; 3 cuillerées à soupe de
miel du Velay ; 1 cuillerée à soupe de farine ;
150 g d'orge ; persil, 1 gousse d'ail, 100 g de
pulpe de tomates, sel, poivre
Cuire l'orge mondé 40 mn à couvert. Egoutter.
Récupérer le bouillon.
Rissoler dans un peu de matière grasse la
viande de mouton détaillée en gros morceaux
irréguliers. Assaisonner de sel et de poivre.
Couler le miel liquide sur les morceaux de
viande.
Laisser caraméliser en augmentant le feu puis
baisser à nouveau la température. Singer.
Mouiller du bouillon de cuisson de l'orge.
Adjoindre au mouton un hachis de persil et
d'ail mêlé à la pulpe de tomates. Laisser cuire 1
h 30 environ. Egoutter.
Réincorporer l'orge avec la viande.
Servir chaud en plat unique.
Et… bon appétit !

L'art de soigner des bergers
Depuis la nuit des temps, les bergers pratiquent
une médecine vétérinaire empirique transmise
de génération en génération. Cette pratique a
quasiment disparu. Elle reste cependant connue
des bergers actuels et nous l'avons vue encore
appliquée dans les années 1970.
Citons la technique du bâillon utilisée en cas
de météorisation : en général une branche souple
de genêt torsadée, passée entre les mâchoires
de la brebis, liée sous les yeux. Ce procédé
déclenche la rumination.
Mentionnons aussi pour les agneaux surchargés
alimentairement, les "saignées" pratiquées
en sectionnant le bout de l'oreille ou plus délicat
vers l'œil.
Lucien Villar cite deux autres techniques traditionnelles
(Lou Semenaire N° 70. Juin 2004).
La petite courroie
Le berger a sa façon de parler et d'agir et celui
qui n'a pas connu ce monde des bergers ne peut
guère comprendre son adresse et son savoirfaire.
Savoir placer un lacet, c'est là l'adresse du berger,
le remède qui sauve bien des moutons. Le
berger doit savoir soigner avec les moyens du
bord : son couteau, une courroie, un peu de
benjouin…
Quand une brebis a les yeux qui coulent du
pus, le bon remède est de placer un "lacet" : on
fait un trou dans l'oreille de la bête et on passe
un lacet de cuir de 5 à 8 centimètres noué à
chaque extrémité. De temps en temps il faut
faire coulisser le lacet afin qu'il ne fixe pas
avec le sang et le pus qu'on veut faire couler.
Le temps de quelques jours et l'œil est guéri !
De même pour un mouton qui a perdu sa vitalité,
qui se traîne, ne mange pas, que faire ? On
place une courroie au ras de la queue, on fait
une ganse bien serrée. Deux ou trois jours
après, la queue va enfler, c'est là qu'il faut faire
une saignée avec le couteau : les humeurs vont
s'écouler peu à peu et la bête va reprendre de la
vigueur et sera bientôt sauvée.
Que dites-vous de cette façon de faire ? Peutêtre
vous paraît-elle d'un autre temps, mais
soyez-en sûrs, foi de berger, c'est un remède
efficace !
Lucien Villar
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Lou courrejoun
Lou pastre a soun biàis de parlar e de far a
aquéu qu'a pas couneissu lou mounde de la
pastrilha pouò gaire coumprendre soun gàubi e
soun saber.
Saupre plaçar un courrejoun acò ei lou gàubi
dòu pastre, lou remèdi que sauva bien de bèstiei
d'aver. Lou pastre déu souagnar emè ço
qu'a soui la man : soun coutèu, ena courriéa, un
pauc de pega…
Quant ena fiéa a les ueich que li couloun, emé
de pus dedinc, lou bouon remèdi ei de plaçar
un courrejoun de cuër de cinq à uëch centimètres
en l'arrestant m'un nouc en chasque bout.
De téms à autre chau far coulissar la courriéa
pre que se préni pas dinc lou sang e lou pus
que dévoun souortre. Lou mau s'en vai e dinc
l'afar de quauquei jouts l'ueilh ei garri.
De meima per una bestia d'aver qu'a gis de
voia, que tirassa e manja pas, que far ? L'on
plaça un courrejoun òu ras de la coua, l'on fai
ena gansa bien sarà. Dous ou trei jouts après la
coua coufla, es aqui que chau far ena sagnà
emé lou coutèu. Lei marriéas umours van coular
à cha pauc e la bestia vai prendre de voia e
seré lèu escap !
Que n'en disè d'aquou biàis de far ? Blèu vous
parés d'un autre tèms, mè séià n'en bèn segur,
fé de pastre, es un remèdi eficace !
Lucien Villar

La festa e lo lop
Un còp èra un vièlh e na vièlha que demoravan élh
mitan d'un gran boès. Avian un chat e n'anhél e vivan
tranquiles. Un jorn, lo chat viguèt un bichon de gima
frescha sobre lo rebòrd de la fenèstra.
Dengus lo gaitava : sautèt vistament e se botèt à
licar. D'un cóp, ausiguèt la vièlha e se sauvèt .
Mas dinc sa precipitacion, tombèt lo bichon, que se
petafinèt sobre lo planchièr.
- N'ai pro d'aquelh chat ! cridèt la vièlha en colèra.
servís à ren, manja la gima, espeça tot ! Le vòle pus
veire aicí.
Lo chat filèt retrobar l'anhèl dinc lo prat :
- Anhèl ! nos chal sauvar dinc lo gran boès ! lo vièlh
et la vièlha vòlon nos tuar ! ai tot ausit !
- Mas lo claus es sarrat ! bialèt l'anhèl espaurit.
pòde pas sortre !
Lo chat levèt la claveta, possèt la porta, e los dos
amics se botèran a galaupar à corsa sobre lhurs
pautas, sans tròp saber v-ont anavan. Penetrèran
dinc lo gran boès.
D'un còp, s'arrestèran, paralisats de pavor; a costat
d'un boisson aparéissava na testa de lop. Mas coma
la testa bolegava pas, lo chat s'avancèt tot belament
e viguèt qu'aquò s'èra na testa copada sans lo
còrs.
- Fasem la segre ! sabem pas se quò pod servir !
Se botèron en rota, mas la nuèit tombava.
Charchavan n'endreit per dormir, quand
apercebrèran n'esclaire dinc los arbres.
S'aprochèran e viguèran , élh mitan de na clarièra,
dotze lops recampats a l'entorn d'un fuòc. Lo chat
eisaminèt un moment, puèis parlèt bas a l'aurelha de
l'anhèl :
- Ai n'ideia, me chal sègre !
Los lops ausiguèran na votz :
- Bon ser, mossurs los lops !
N'en creidèran pas lhurs eyes quant viguèran un
chat e n'anhèl que venian vèrs z-elos. E se botèran à
se licar las babinas. Lo chat s'assetèt a costat delh
fuòc e diguèt a nauta votz :
- Hòla compaire, amène la sauvatjina qu'avem tuada
totara , anem regalar nos amics !
- La sauvatjina ? figuèt l'anhèl.
Puèis compriguèt e coriguèt dinc los boissons. Just
après, tornèt venir en portant gloriósament la testa
delh lop. Los dotze lops mudejavan d'estupor. Lo
chat diguèt:
- Pas quela d'aquí, vesem ! es tròp petiòta, vas n'en
quèrre na melh grossa !
L'anhèl tornèt partir e revinguèt just darrièr en
acampant la mesma testa de lop. Lo chat diguèt:
- Mas non ! se te plai, portas la pus grossa, nos
amics an fam !
44
La fête et le loup
Il était une fois un vieux et une vieille qui habitaient
au milieu de la forêt. Ils avaient un chat et un
agneau, et vivaient tranquilles. Un jour, le chat vit un
pot de crème fraîche sur le rebord de la fenêtre.
Personne ne le surveillait : il sauta lestement et se
mit à laper. Soudain, il entendit la vieille et s'enfuit.
Mais dans sa précipitation, il renversa le pot, qui se
fracassa sur le plancher.
- J'en ai assez de ce chat ! cria la vieille en colère.
Il ne sert à rien, il mange la crème, il casse tout ! Je
ne veux plus le voir ici.
Le chat fila retrouver l'agneau dans le pré :
- Agneau ! sauvons nous vite dans la forêt ! Le vieux
et la vieille veulent nous tuer ! J'ai tout entendu !
- Mais l'enclos est fermé ! bêla l'agneau terrifié. Je
ne peux pas sortir !
Le chat leva le loquet, poussa la porte, et les deux
amis se mirent à courir de toute la vitesse de leurs
pattes, sans bien savoir où ils allaient. Ils
s'enfoncèrent dans la forêt.
Brusquement, ils s'arrêtèrent, figés de peur : près
d'un buisson apparaissait la tête d'un loup. Mais
comme la tête ne bougeait pas, le chat avança
doucement et vit que c'était une tête coupée sans
corps.
- Emportons-la ! on ne sait jamais, ça peut servir !
Ils se remirent en route, mais la nuit tombait. Ils
cherchaient un coin pour dormir, quand ils
aperçurent une lumière dans les arbres. Ils
s'approchèrent et virent, au milieu d'une clairière,
douze loups rassemblés autour d'un feu. Le chat
réfléchit un moment, puis chuchota à l'oreille de
l'agneau :
- J'ai une idée, suis-moi !
Les loups entendirent une voix :
- Bonsoir, messieurs les loups !
Ils n'en crurent pas leurs yeux quand ils virent un
chat et un agneau qui venaient vers eux. Et ils se
mirent tous à se lécher les babines. Le chat s'assit
près du feu et dit à haute voix :
- Holà compère, apporte le gibier que nous avons tué
tout à l'heure, nous allons régaler nos amis !
- Le gibier ?, fit l'agneau.
Puis il comprit et courut dans les buissons. Un
instant plus tard, il revenait en portant fièrement la
tête du loup. Les douze loups restèrent muets de
stupeur. Le chat dit :
- Pas celle-là, voyons ! elle est minuscule, vas en
chercher une plus grosse !
L'agneau repartit et revint au bout d'un instant en
ramenant la même tête de loup. Le chat dit :
- Mais non ! s'il te plait, apporte la plus grosse, nos
amis ont faim !

L'anhèl tornèt n'autre còp, totjorn embé la mesma
testa de lop, lo chat diguèt :
- Bon, aquò fara ! fasem la rostir !
Los lops s'asaimèran espaventats.
Quatre d'entre z-elos se levèran.
- Anem quèrre un pauc de boès per lo fuòc !
E partiguèron dinc lo gran boès. Un moment après,
quatre autres lops se levèran.
- Nos companhons vènan pas . Anem los quèrre !
Mas dengus revinguèt. Adoncas los quatre darrèirs
lops se levèran a lhur torn.
- Devon s'esser perduts. Partem per los trobar !
- Bien bon ! diguèt lo chat. Mas tornetz vistament !
N'ors trobèt los dotze lops desalenats e vergonhòs.
- Mas de que vos arriba ?
- Avem mancats d'esser esmaselar per un chat e
n'anhèl !
L'ors s'espetava de reire.
- Un chat e n'anhèl ! setz mas que de foirós. Chaliá
vos getar sobre z-elos e los manjar tot reide ! anem
i ensemble !
Quand lo chat e l'anhèl veguèron los dotze lops
retornar embé l'ors, d'abriau, sautèran dinc
n'arbre. Lo chat se jucèt vistament, mas l'anhèl
podiá pas fare parièr, figuèt se que podiá per
montar e demorèt apencat a na brancha.
L'ors e los lops veguèran dengus e s'assetèran a
l'entorn delh fuòc.
L'anhèl diguèt tot bas élh chat :
- N'en pode pus , vai lachar !
- Tenes bon ! diguèt lo chat, von partir totara !
Aquelh moment, la brancha cassèt, e l'anhèl tombèt
just sobre la testa de l'ors. Sans esitar, lo chat se
botèt a cridar :
- Tenes bon, anhèl ! Lo laches pas ! Tues-lo ! Le
manjarem per nostre dinar !
L'ors terrorisat se pincèt en bolegant la testa e
l'anhèl seguèt balançat dinc los boissons. Los lops
s'éron deja sauvats en bramant e l'ors filèt sans
sonhar darrièr, lo chat davalèt tranquillament de
l'arbre e diguèt :
- N'a pro d'aventuras, tornem a l'estau !
- Ieu demande pas melh ! diguèt l'anhèl.
Lo vièlh e la vièlha seguèran benaises de veire
revenir lhurs fidèls companhons; Avian eissublar lo
pichon cassat e lhur figuèran festa.
Enric OLIÈR (revirada d'un cònte romanès)
45
L'agneau revint encore une fois, toujours la même
tête de loup. Le chat dit :
- Bon, ça ira ! faisons la rôtir !
Les loups échangeaient des regards épouvantés.
Quatre d'entre eux se levèrent.
- Nous allons chercher un peu de bois pour le feu !
Et ils filèrent dans la forêt. Un moment après,
quatre autres loups se levèrent.
- Nos camarades tardent beaucoup. Allons les
chercher !
Mais aucun ne revint. Alors les quatre derniers loups
se levèrent à leur tour.
- Ils ont dû se perdre. Nous partons à leur
recherche !
- Très bien ! dit le chat. Mais revenez vite !
Un ours rencontra les douze loups essoufflés et
penauds.
- Que vous arrive t-il ?
- Nous avons failli être massacrés par un chat et un
agneau !
L'ours éclata de rire.
- Un chat et un agneau ! vous n'êtes que des
poltrons, il fallait vous jeter sur eux et les dévorer
allons-y ensemble !
Quand le chat et l'agneau virent les douze loups
revenir avec l'ours, ni une ni deux, ils sautèrent dans
un arbre. Le chat eut vite fait de grimper, mais
l'agneau était incapable d'en faire autant ; il fit ce
qu'il pu pour se hisser et resta accroché par les
pattes à une branche.
L'ours et les loups ne voyant personne, s'assirent
autour du feu.
L'agneau chuchota au chat :
- Je n'en peux plus, je vais lâcher !
- Tiens bon ! dit le chat. Ils vont bientôt partir !
A ce moment, la branche cassa, et l'agneau tomba
pile sur la tête de l'ours. Sans hésiter, le chat se
mit à crier :
- Tiens bon, agneau ! Ne le lâche pas ! Tue-le ! Nous
le mangerons pour dîner !
L'ours terrifié, se dressa en secouant la tête, et
l'agneau fut projeté dans les buissons. Les loups
s'étaient déjà enfuis en hurlant et l'ours fila sans
regarder derrière lui. Le chat descendit
tranquillement de l'arbre et dit :
- Assez d'aventures, rentrons à la maison !
- Je ne demande pas mieux ! dit l'agneau.
Le vieux et la vieille furent heureux de voir revenir
leurs fidèles compagnons. Ils avaient déjà oublié le
pot cassé et leur firent fête.
Henri OLLIER (traduction d'un conte roumain)

Traduire en occitan de la Haute-
Loire ou d’ailleurs est un exercice
irremplaçable non seulement pour
apprendre la langue, mais surtout
pour améliorer la connaissance que
l’on en a déjà. Que dirait-on de
quelqu’un qui se contenterait de ce
qu’il a appris seulement de ses parents
pour parler français ? Qu’il est
ignare.
Dans la traduction de grands textes
littéraires, on se heurte rapidement à
de nombreux problèmes qu’il faut
résoudre. C’est là le jeu, mais aussi
l’intérêt. En travaillant, en cherchant,
en passant du temps dans ce
qui fut écrit, en discutant avec les
anciens qui parlent encore correctement
(peu de mots de français, des
formes idiomatiques propres à nos
parlers), en tachant de respecter une
orthographe, on respecte la langue
et ce qu’elle peut représenter autant
sentimentalement que comme instrument
d’expression dans tous les
domaines.
Dans la transmission de la langue,
si l’on considère que ce patrimoine
doit être offert aux générations suivantes,
l’écrit n’est pas à négliger.
Certes, cela fait « connaisseur »
sans réplique de clamer un peu trop
facilement, surtout si l’argument de
fond n’est que l’autorité de sa position
sociale : « Eux (qui d’ailleurs ?)
ils l’écrivent (le patois), moi, je le
parle ». Propos irresponsable visant
à enfermer ceux qui travaillent et ont
travaillé réellement à la conservation
de la langue en Velay, dans le cercle
fermé des spécialistes, toujours regardés
avec mépris tant il vrai que
les affirmations populistes sont de
vrais pistolets à l’égard de ce qui
peut ressembler plus ou moins à de
la culture ; et il existe des gens assez
stupides pour se contenter d’une
telle affirmation, pour justifier la
médiocrité de leur position à l’égard
du patois.
Depuis que je propose du texte
dans cette revue, je le répète, je n’ai
pas eu une seule remarque positive
ou négative pour mon travail.
PLASER DE LA REVIRADA
(PLAISIR DE LA TRADUCTION)
Cela ne m’empêche pas de continuer,
car ce n’est plus pour les gens de ma
génération que je consacre du temps,
que je discute avec des personnes âgées
assez intelligentes pour bien vouloir
communiquer leurs connaissances naturelles
de la langue, que je recherche et
transcris tout ce que je peux trouver
comme textes de patois du Velay édités
ou écrits dans un carnet confié à mes
soins.
Le travail d’orthographie est aujourd’hui
largement avancé et est
transmissible au niveau des institutions.
J’attends que les responsables de ces
institutions (toutes sortes d’administrations
publiques ou privées) me demandent
d’intervenir. Je n’irai pas les chercher,
et surtout pas pour obtenir une
subvention. Ils n’ont pas encore prouvé
qu’ils avaient en ce domaine une
attitude ouverte, volontaire et entreprenante.
Je donnerai bientôt un tableau
des aides financières sérieuses apportées
par les différentes territorialités aux
acteurs et actions de sauvegarde et
transmission des langues régionales
ailleurs qu’en Haute-Loire ou en R2A
[Région Administrative Auvergne].
Les politiques, particulièrement, sont
massacreurs de la langue. De façon
sous-entendue, en Haute-Loire, ils
semblent réfléchir comme si nous étions
quarante ans en arrière, à un moment où
la jeunesse de l’époque avait pensé
trouver dans les différents mouvements
nationalistes une réponse à leurs incertitudes.
Leur siège ne sera pas
ébranlé parce qu’on parlera patois ; mais
ils ont une trouille pas croyable si on
leur parle occitan. C’est pourtant la
même chose, patois ou occitan. Sauf
que, si je dis patois, je dis intimité de
famille ou de communauté rurale. Pas
de risque ressenti. Mais si je dis occitan,
ou là là, mais ça fait peur ma
pauv’dame ! N’importe quoi ! Appelez
la langue comme vous le voulez.
Personnellement, je m’en fiche ; je
préfère le mot occitan, bien sûr, car j’y
vois non seulement le niveau de
solidarité proche du monde d’autrefois
(plus imaginé que réel : ce n’était pas
non plus le paradis), mais aussi tout
l’apport culturel contenu dans ce terme
d’occitan : langue sérieusement struc-
46
H. QUESNEL
turée, relations interdialectales (par
exemple, la parenté évidente avec le
provençal ou le languedocien
méridional), le jeu continuel de nos
parlers du Velay avec les parlers
voisins d’Auvergne, du Gévaudan,
voire du Rouergue) qui invite naturellement
à l’approche non seulement
de l’ensemble des parlers de la
langue d’oc comme le souhaitait F .
Mistral, mais aussi des autres langues
latines.
Une part importante de ceux qui,
de gauche ou de droite, prétendent à
la vie intellectuelle se sont aussi
imaginé que favoriser les langues
locales, menaçait la langue française
académique. Pfouf ! Aujourd’hui, je
les entends parler un français truffé
d’anglais et d’anglicismes. Ça fait
bien, ça fait homme universel, ça fait
personnage du monde. Mais quel
monde ? Je ne parle pas, bien sûr,
des termes techniques plus ou moins
internationaux dont l’introduction
est précisément le signe des capacités
humaines de communication, on
les retrouvera aussi dans les langues
d’origine latine, dont l’occitan, et ce
depuis déjà une centaine d’années.
Ce choix de la société française, le
rejet des langues locales, n’est pas
pour rien dans notre incapacité, en
France, au multilinguisme. Nous
avons perdu en rejetant nos langues
de pays, cette façon naturelle que
beaucoup d’autres sociétés possèdent,
à savoir la facilité
d’apprentissage des langues ; nous
sommes en partie fermés aux cultures
du monde.
Quotidiennement, je me heurte à
des gens qui, certes, n’affichent pas
leur phobie de l’étranger, mais qui
dans l’intimité ont des mots très
durs. Pour moi, ils sont, d’une certaine
manière, perdus pour eux-mêmes,
leurs concitoyens, leurs enfants,
l’humanité.
Qui vole un œuf vole un bœuf. Qui
méprise sa langue locale, tue les autres
langues, méprise les autres
puisqu’il n’a pas travaillé à se comprendre
lui-même dans sa langue et
à les comprendre dans leurs langues.

La Bòria daus Animals
/la bworiå douz agnimaws/
1945
Le texte à traduire sont les premières lignes de La Ferme des Animaux d’Orwell.
Évidemment, le choix n’est pas hasardeux, car cet auteur pose bien le problème de la manipulation des
gens par ceux qui détiennent une part de pouvoir, voire le pouvoir lui-même.
Cet ouvrage figure en bonne place dans les écoles anglo-saxonnes ; il est parfois donné en France.
On trouvera sur la toile, le texte anglais et une traduction en français.
M. Jones, lo proprietari de la bòria delh
Chastelet, aviá, per la nuèit, enclaus la
volalha, mas aviá tròp begut, èra confle ;
quò fai qu’aviát eissublat de sarrar las
traponèiras. Sa lantèrna e son redond de
lumnèira, dançàvan d’aicí d’ailai : es que,
en traversar la calada, M. Jones
tranquelava. Quitèt sas botas en tabustar
la pòrta de la solharda, se saquèt e se tirèt
delh tonèl un dernièr veire de bièira, puèis
s’anèt coijar èlh denaut, en son lèit ont
dejás Mma Jones ronflava dempuèis un
moment.
Un còp la lampa de la chambra
amortada, de tots los bastiments de la
bòria s’ausiguèt un bruisiment d’alas, e
bien lèu tot un rabestajament. De matin
sera, una paraula s’èra espandida que lo
vèlh Comandant – aquel qu’aviá ganhat lo
second prètz delh Verri Blanc – aviá fat
un pantais estranh, la nuèit de davants :
aquò fai que ne’n voliá parlar aus autres
animals. S’acòrdèron per s’assemsar
totes, vas la bèla granja, de redde que M.
Jones se seriá eslonhat perat. Lo “ Vèlh
Comandant “ (l’apelàvan com aquò,
amais que passèsse lo concors sotz lo
nom de « La Belesa Willington ») èra tan
respeitat a la bòria que chascús èra
d’acordi de quitar una ora de sòm per
escoutar çò qu’aviá a dire.
S’èra plaçat de l’autre latz de la grange,
sobre una mena d’estrada (aquela estrada
èra son jaç de palha esclarada per una
lantèrna pendolada ad una jasena). Aviá
dotze ans, e sobre lo tard de son atge, aviá
pres quauque pauc de ventre : aquò
l’empaitava pas per faire bon semblant ;
aquò vos fasiá un brave caion mais que
jamais sos clavèls seguèssan talhats. Los
autres animals arribèron santz tardar. Se
bailèron d’aise, chascús d’après son biais
de viure. Dinc un promièr, arribèron tres
chins, lo Barbilhaud e la Fineta e la
Princessa, e après aquò seguèt lo torn
47
daus caions que, tot continent,
s’esvedelèron dins la palha, fàcia a
l’estrada. Las polas s’anèron jucar sobre
lo relais de la fenèstra, los pichons se
juquèron sobre los chabrons. Las vachas
amais los moutons se coigèron as arrièrs
los caions, e doncás se botèron a raunhar.
Los dos chavalhs de tirar, lo Boxer e la
Clover arribèron ensems ; marchàvan tot
d’aise ; pausèron sobre la palha lur batas
amé pro d’ensonha per pavor
d’escachinar quauca bèstia petiòta que
lais se seriá esconduda. La Clover èra una
mèstra maire quazi a la meitat de sa vida,
qu’aviá jamais trobat tornar sa fòrma de
joina èga dempuèis son quatrème
acochament. Lo Boxer èra una crana
bestiassa que fasiá quasiment dos metres
èlh còlh e tan fòrt coma dos chavalhs
ordinaris totes dos enjonhts. Una raja
blancha lo long de son nas li bailava un
semblant un pauc nesci, e de fat d’aquò,
aviá pas una finessa de promèira ;
pasmins tot lo monde lo respeitava a
causa qu’èra generós e que barniava coma
dengús. A la seguida daus chavalhs
venguèron, Blancheta, la chabra blancha e
l’ase Martin. Aquel d’aquí èra l’animal lo
mais vèlh amais lo mais raunhaire de la
bòria. Èra pas un grand solaçaire ; si de
còps que i a, parlava, aquo-èra pre faire
de remarcas que ponhàvan. Per eisemple,
li arribava d’afortir que Dieu li aviá bailat
una coa per escartar las móscias, mas
auriá puslèu vougut aveire ni coa ni
móscias. D’entremei tots los animals de la
bòria, èra mas solet a pas jamais reire. Si
li demandàvan per de qué risiá ges,
respondiá que i aviá pas de que reire.
Estapauc, santz v-o vodre dire, se
devoava a Boxer. Aquelos d’aquí
passàvan lur diumenchada dins lo petiòt
enclaus darrièrs lo verdièr e santz bofar
una paraula, brostàvan i-un a costat de
l’autre.

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BRUNELIN
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