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La famine n'est pas un problème de sciences naturelles, mais de ...

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Département d’Histoire<br />

Séminaire « Les sociétés européennes au Moyen Âge :<br />

modèles d’interprétation, pratiques, langages »<br />

ENS, 2011-2012<br />

Comment étudier les milieux populaires urbains <strong>de</strong> la fin du Moyen Âge ?<br />

François Menant<br />

18 novembre 2011<br />

« “<strong>La</strong> <strong>famine</strong> n’est <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>problème</strong> <strong>de</strong> <strong>sciences</strong> <strong>naturelles</strong>,<br />

<strong>mais</strong> <strong>de</strong> <strong>sciences</strong> sociales ” :<br />

Les crises alimentaires du bas Moyen Âge, <strong>un</strong> phénomène <strong>de</strong> marché»<br />

Le titre donné à cette séance est la traduction d’<strong>un</strong>e phrase <strong>de</strong> Jenny Edkins, Whose H<strong>un</strong>ger? Concepts of<br />

Famine, Practices of Aid, Minneapolis, 2000, p. 45. <strong>La</strong> phrase exacte <strong>de</strong> J. Edkins, qui commente les analyses<br />

d’A. Sen, est «« <strong>La</strong> <strong>famine</strong> n’est plus <strong>un</strong> <strong>problème</strong> <strong>de</strong> <strong>sciences</strong> <strong>naturelles</strong>, <strong>mais</strong> <strong>de</strong> <strong>sciences</strong> sociales », ce qui<br />

sous-entend que ce changement est récent. Mais notre propos montre qu’il y a plusieurs siècles qu’il s’est<br />

effectué, et nous nous sommes donc permis <strong>de</strong> modifier la formulation. Citons <strong>un</strong>e autre phrase d’Edkins (p.<br />

XV) qui peut également faire réfléchir sur les pénuries alimentaires <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers siècles du Moyen Âge : « Dans<br />

le mon<strong>de</strong> contemporain, les <strong>famine</strong>s ne sont <strong>pas</strong> l’antithèse <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité, <strong>mais</strong> son symptôme».<br />

Orientation bibliographique<br />

P. Benito, « Famines sans frontières en Occi<strong>de</strong>nt avant la “conjoncture <strong>de</strong> 1300”. À propos d’<strong>un</strong>e enquête en<br />

cours », dans Les disettes dans la conjoncture <strong>de</strong> 1300…<br />

M. Bourin, S. Carocci, F. Menant et L. To Figueras, « Les campagnes <strong>de</strong> la Méditerranée occi<strong>de</strong>ntale autour <strong>de</strong><br />

1300 : tensions <strong>de</strong>structrices, tensions novatrices », Annales HSS, juillet-septembre 2011, n° 3, p. 663-704.<br />

Les disettes dans la conjoncture <strong>de</strong> 1300 en Méditerranée occi<strong>de</strong>ntale. Actes du colloque <strong>de</strong> Rome (27-28<br />

février 2004), dir. J. Dren<strong>de</strong>l, M. Bourin et F. Menant, sous presse.<br />

W. C. Jordan, The Great Famine : Northern Europe in the Early Fourteenth Century, Princeton, 1992.<br />

S. L. Kaplan, Provisioning Paris. Merchants and Millers in the Grain and the Flour Tra<strong>de</strong> during the Eighteenth<br />

Century, Ithaca-Londres, 1984.<br />

C. <strong>de</strong> la Roncière, Prix et salaires à Florence au XIV e siècle, 1280-1380, Rome, 1982.<br />

B. Marin et C. Virlouvet (dir.), Nourrir les cités <strong>de</strong> Méditerranée. Antiquité - Temps Mo<strong>de</strong>rnes, Paris, 2004.<br />

M. Montanari, <strong>La</strong> faim et l’abondance. Histoire <strong>de</strong> l’alimentation en Europe, Paris, 1995.<br />

L. C. Newman (dir.), H<strong>un</strong>ger in history. Food shortage, poverty, and <strong>de</strong>privation, Oxford, 1990.<br />

C. Ó Gráda, Famine. A Short History, Princeton, 2009.<br />

A. Sen, Poverty and Famines : an Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford, 1981, rééd. 1999.<br />

A. Sen, Repenser l’inégalité, trad. fr., Paris, 2000 (éd. angl. 1997).<br />

E. P. Thompson, “The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century”, Past and Present, 50<br />

(1971), p. 76-136. Rééd. dans Id., Customs in Common, Londres, 1991, p. 185-254. Trad. fr. dans E. P.


Thompson, F. Gauthier et G.-R. Ikni (éd.), <strong>La</strong> Guerre du blé au XVIIIe siècle : la critique populaire contre le<br />

libéralisme économique au XVIIIe siècle, Montreuil, 1988.<br />

When the Potato Failed : Causes and Effects of the “<strong>La</strong>st” European Subsistence Crisis, dir. E. Vanhaute, R.<br />

Paping et C. Ó Gráda, Turnhout, 2006.<br />

Liste <strong>de</strong>s documents<br />

1-<strong>La</strong> gran<strong>de</strong> <strong>famine</strong> <strong>de</strong> 1031-1033. Le célèbre récit <strong>de</strong> Raoul Glaber, avec scènes d’anthropophagie et<br />

nourritures immon<strong>de</strong>s. <strong>La</strong> <strong>famine</strong> est observée par Glaber en Bourgogne <strong>mais</strong> elle est générale en Europe ces<br />

années-là. Elle a été longtemps considérée comme la <strong>de</strong>rnière gran<strong>de</strong> <strong>famine</strong> avant la fin du XIIIe s., <strong>mais</strong> cette<br />

opinion est désor<strong>mais</strong> révisée : les <strong>famine</strong>s se sont poursuivies… Le récit illustre en tout cas le type <strong>de</strong> <strong>famine</strong><br />

ancien : il y a <strong>un</strong> marché, <strong>mais</strong> il semble bien limité, et les gens semblent bien mourir <strong>de</strong> faim sur place après<br />

avoir épuisé les ressources locales.<br />

2-<strong>La</strong> <strong>famine</strong> en Flandre, 1125.<br />

Un autre auteur célèbre, Galbert <strong>de</strong> Bruges.<br />

Une <strong>de</strong>scription qu’on peut interpréter comme <strong>un</strong> type <strong>de</strong> pénurie qui fait déjà intervenir le marché, l’attraction<br />

<strong>de</strong> la ville, le rôle d l’Etat, la diversification <strong>de</strong>s cultures (légumineuses, orge pour la bière) …<br />

3- Hauts prix du blé et agitation populaire à Florence et Sienne en 1329.<br />

On a <strong>un</strong> récit <strong>de</strong> Giovanni Villani, le grand chroniqueur florentin, sur le même épiso<strong>de</strong>, <strong>mais</strong> celui-ci, dû à <strong>un</strong><br />

chroniquer siennois bien moins illustre, Agnolo di Tura <strong>de</strong>l Grasso, est plus précis, montre mieux le lien entre la<br />

hausse <strong>de</strong>s prix et le désespoir <strong>de</strong> la foule. Par <strong>un</strong>e conjoncture exceptionnelle, ce texte est illustré par la<br />

miniature du Livre du Biadaiolo, n° 8 (et correspond aussi <strong>un</strong> peu au n° 7, qui montre le marché au blé en temps<br />

<strong>de</strong> pénurie).<br />

4- Variations du prix du blé à Parme, 1270-1330.<br />

Moins connu que les graphiques florentins analogues <strong>de</strong> <strong>La</strong> Roncière, Prix et salaires… (et pour cause : celui-ci<br />

est encore inédit), <strong>mais</strong> il est plus clair, et montre (<strong>un</strong> peu : il faut bien regar<strong>de</strong>r) la variation saisonnière dans <strong>un</strong>e<br />

même année.<br />

5-Succession <strong>de</strong>s disettes à Florence autour <strong>de</strong> 1300.<br />

Ce relevé effectué par Charles <strong>de</strong> la Roncière dans les sources florentines illustre la fréquence <strong>de</strong>s pénuries, et<br />

<strong>un</strong>e certaine diversité dans leur déroulement.<br />

6 – Les <strong>famine</strong>s les plus meurtrières dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis la fin du XVIIe s.<br />

Une liste éloquente dans son dépouillement, <strong>de</strong>s chiffres terribles, et <strong>un</strong>e énorme augmentation au XXe s. Les<br />

<strong>famine</strong>s contemporaines d’Afrique et d’Asie (fin XXe- début XXIe s.) paraissent minimes, en comparaison. <strong>La</strong><br />

liste, qui date <strong>de</strong> 2007, est déjà bien dé<strong>pas</strong>sée…<br />

L’auteur, Cormack Ó Gráda, est <strong>un</strong> <strong>de</strong>s spécialistes majeurs <strong>de</strong>s <strong>famine</strong>s <strong>de</strong>s XIXe-XXe s. (son champ d’étu<strong>de</strong><br />

initial était la <strong>famine</strong> d’Irlan<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1846), il a écrit <strong>de</strong> bons ouvrages <strong>de</strong> synthèse (auc<strong>un</strong> ne semble traduit en<br />

français). C’est vraiment lui qui réussit le mieux à harmoniser <strong>un</strong>e vision d’historien et la prise en compte <strong>de</strong>s<br />

données et <strong>de</strong>s réflexions <strong>de</strong>s économistes du développement.<br />

Iconographie <strong>de</strong> la pénurie :<br />

Deux enluminures –assez connues, au moins dans le milieu <strong>de</strong>s médiévistes et italianisants- du « Livre du<br />

biadaiolo » (Florence, 1310-1355) (Domenico Lenzi, Specchio umano, Florence, Bibliothèque laurentienne, Ms.<br />

Tempi 3, f° 57-58) ; éd. G. Pinto (éd.), Il libro <strong>de</strong>l biadaiolo. Carestie e annona a Firenze dalla metà <strong>de</strong>l 200 al<br />

1348, Florence, 1978 ; les <strong>de</strong>ux images sont prises dans Véronique Rouchon Mouilleron, « Miracle et charité :<br />

autour d’<strong>un</strong>e image du Livre du Biadaiolo (Florence, Bibliothèque <strong>La</strong>urentienne, ms. Tempi 3) », Revue<br />

Mabillon, n. s., t. 19 (= t. 80), 2008, p. 157-189 :<br />

7-Le marché au blé <strong>de</strong> Florence, à Orsanmichele, en temps <strong>de</strong> pénurie<br />

Les cuves à blé sont vi<strong>de</strong>s, la colère gron<strong>de</strong> dans la foule, la police veille… Cf. le texte 3, qui décrit <strong>un</strong>e situation<br />

analogue à Sienne. Le Livre du Biadaiolo contient <strong>un</strong>e enluminure symétrique : le marché au blé d’Orsanmichele<br />

en temps d’abondance.<br />

8-Les pauvres <strong>de</strong> Sienne, affamés et chassés <strong>de</strong> leur ville, sont nourris par les Florentins <strong>de</strong>vant les portes<br />

<strong>de</strong> la ville (cette enluminure correspond au texte 3: c’est le même épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1329, représenté dans le « livre du<br />

Biadaiolo », florentin, et raconté par le chroniqueur siennois).<br />

2


9- Témoignages carpologiques et archéologiques <strong>de</strong> la variété <strong>de</strong>s céréales et autres produits végétaux<br />

trouvés ces <strong>de</strong>rnières années dans <strong>de</strong>s fouilles <strong>de</strong> sites médiévaux du Midi <strong>de</strong> la France.<br />

Ce document provient du dossier accompagnant <strong>un</strong>e comm<strong>un</strong>ication encore inédite, dont <strong>un</strong>e partie sera publiée<br />

dans Les disettes en Méditerranée… : Carole Puig, « L’apport <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> du stockage à notre connaissance <strong>de</strong> la<br />

conjoncture alimentaire <strong>de</strong> 1300 (<strong>La</strong>nguedoc, Catalogne) ».<br />

Une vue d’ensemble <strong>de</strong>s résultats carpologiques dans tout le Sud <strong>de</strong> la France, utile pour illustrer la variété <strong>de</strong>s<br />

ressources alimentaires <strong>de</strong>s paysans, en contrepoint au « tout-pain blanc » que montrent les textes et images sur<br />

les villes dans le reste du dossier. Cf. M.-P. Ruas, Les plantes consommées au Moyen Âge en France<br />

Méridionale d'après les semences archéologiques, dans Archéologie du Midi Médiéval, 15-16, 1997-1998, p.<br />

179-204.<br />

____________________________________<br />

Les documents<br />

1- <strong>La</strong> <strong>famine</strong> <strong>de</strong> 1031-1033<br />

Raoul Glaber, Histoires, IV, 11 (éd. et trad. M. Arnoux, Brepols, Turnhout, 1996).<br />

Au moment <strong>de</strong> la récolte les champs étaient couverts <strong>de</strong> mauvaises herbes... Le muid <strong>de</strong> grain monta à 60 sous.<br />

Quand il n'y eut plus d'animaux à manger, les hommes, tenaillés par la faim, se nourrirent <strong>de</strong> charognes et<br />

d'autres choses immon<strong>de</strong>s. Ils allèrent jusqu'à dévorer <strong>de</strong> la chair humaine. Les voyageurs, attaqués par <strong>de</strong>s<br />

hommes plus robustes qu'eux, étaient découpés, cuits et mangés. En plus d'<strong>un</strong> endroit on déterra les cadavres qui<br />

servirent eux aussi à apaiser la faim. On vit même quelqu'<strong>un</strong> porter <strong>de</strong> la chair humaine cuite au marché <strong>de</strong><br />

Tournus pour la vendre.... On tenta <strong>de</strong>s moyens ja<strong>mais</strong> expérimentés jusqu'alors : beaucoup tiraient du sol <strong>un</strong>e<br />

poudre blanche semblable à l'argile pour la mélanger au peu <strong>de</strong> farine dont ils disposaient ; ils en cuisaient <strong>de</strong>s<br />

pains grâce auxquels ils espéraient échapper à la mort, <strong>mais</strong> en vain... Pendant trois ans cette <strong>famine</strong> ravagea la<br />

terre.<br />

2- <strong>La</strong> <strong>famine</strong> en Flandre, 1125<br />

Galbert <strong>de</strong> Bruges, Le meurtre <strong>de</strong> Charles le Bon, I, 2-3 (d’après la trad. J. Gengoux, Anvers, 1978, p. 78-81).<br />

Le Seigneur envoya le fléau <strong>de</strong> la <strong>famine</strong> et ensuite celui <strong>de</strong> la mort sur tous ceux qui vivaient dans notre<br />

royaume, <strong>mais</strong> tout d’abord Il daigna, par <strong>de</strong>s présages effrayants, rappeler à la pénitence ceux qu’Il voyait<br />

enclins au mal. [En août 1124 se produit <strong>un</strong>e éclipse <strong>de</strong> soleil], <strong>mais</strong> comme les hommes ne se corrigeaient <strong>pas</strong><br />

[… ], survint la <strong>famine</strong> et, à sa suite, frappèrent les fléaux <strong>de</strong> la mortalité. Comme il est dit dans le Psaume : « Il<br />

appela la <strong>famine</strong> sur la terre et enleva au pain toute sa force ». [Suit <strong>un</strong>e <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la <strong>famine</strong> : ceux qui ne<br />

meurent <strong>pas</strong> <strong>de</strong> faim succombent à l’indigestion en avalant <strong>de</strong>s quantités excessives <strong>de</strong> nourriture pour se<br />

rassasier]. Dans le voisinage <strong>de</strong> Gand, on se nourrit <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> en plein carême, faute <strong>de</strong> pain. Certains, en se<br />

rendant vers les cités et les autres villes pour s’y procurer du pain, mouraient <strong>de</strong> faim avant d’avoir parcouru la<br />

moitié du chemin. Près <strong>de</strong>s domaines et <strong>de</strong>s fermes <strong>de</strong>s riches, près <strong>de</strong>s forteresses et <strong>de</strong>s châteaux, les pauvres,<br />

se traînant avec peine, mouraient en mendiant. Chose étonnante, auc<strong>un</strong> dans notre pays n’avait conservé son teint<br />

naturel <strong>mais</strong> sur tous on voyait <strong>un</strong>e pâleur semblable à celle <strong>de</strong> la mort imminente […] L’excellent comte<br />

d’efforçait par tous les moyens <strong>de</strong> soulager les pauvres, distribuant <strong>de</strong>s aumônes. A Bruges et dans chac<strong>un</strong>e <strong>de</strong><br />

ses villes, il nourrissait chaque jour cent pauvres, <strong>de</strong>puis avant le début du carême jusqu’à la moisson, en faisant<br />

donner à chac<strong>un</strong> d’eux <strong>un</strong> très gros pain. Il ordonna que dans tout le comté, pour toute mesure <strong>de</strong> terre semée en<br />

blé, on en sème <strong>un</strong>e autre en fèves et en pois, parce que comme ces légumes poussent plus tôt, les pauvres<br />

pourraient être nourris plus vite si la misère <strong>de</strong> la <strong>famine</strong> et la pénurie ne cessaient <strong>pas</strong>. [...] Il fit honte à <strong>de</strong>s<br />

Gantois qui avaient laissé périr d’inanition <strong>de</strong>vant la porte <strong>de</strong> leur <strong>mais</strong>on <strong>de</strong>s pauvres qu’ils auraient pu nourrir.<br />

Il interdit aussi <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la bière, pour que les pauvres soient nourris plus facilement. Il ordonna <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />

pains d’avoine pour que les pauvres puissent au moins se maintenir en vie. Il commanda que le vin soir vendu 6<br />

<strong>de</strong>niers le quart et <strong>pas</strong> davantage, afin que les marchands cessent d’acheter du vin en quantité, et que, eu égard à<br />

la <strong>famine</strong>, ils achètent plutôt d’autres <strong>de</strong>nrées, ce qui permettrait <strong>de</strong> subvenir plus facilement aux besoins <strong>de</strong>s<br />

pauvres. De sa propre table, il faisait emporter chaque jour <strong>de</strong> quoi nourrir 113 pauvres […] et, après avoir<br />

entendu la messe, il distribuait <strong>de</strong>s <strong>de</strong>niers aux pauvres.<br />

3


3- Hauts prix du blé et agitation populaire à Florence et à Sienne en 1329<br />

Agnolo di Tura <strong>de</strong>l Grasso, Cronaca senese, Rerum Italicarum Scriptores, 2 e série, t. 15/6, Bologne, 1935, p.<br />

483.<br />

Il y eut <strong>un</strong>e gran<strong>de</strong> cherté [carestia, que nous traduirons tantôt «cherté» et tantôt «disette» selon le contexte] <strong>de</strong><br />

toutes les victuailles dans toute l’Italie. A Florence et dans son contado <strong>un</strong> setier coûtait <strong>un</strong> florin ; c’était<br />

abordable pour ceux qui avaient <strong>de</strong> l’argent, <strong>mais</strong> pour les pauvres cela signifiait privations et souffrances.<br />

Sachez qu’il y eut <strong>un</strong>e telle disette à Sienne, Pérouse, Pistoia et d’autres villes <strong>de</strong> Toscane, que les habitants<br />

chassèrent les pauvres mendiants ; il en résulta que beaucoup <strong>de</strong> mendiants allèrent à Florence, où la comm<strong>un</strong>e<br />

les accueillit et leur alloua <strong>de</strong> la nourriture pour survivre. Les Florentins rassemblèrent <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s réserves <strong>de</strong><br />

nourriture ; ils envoyèrent chercher du blé en Sicile et l’importèrent par Talamone et même <strong>de</strong> Romagne, à<br />

grands frais, et ils le mirent en vente sur la place pour <strong>un</strong> <strong>de</strong>mi-florin d’or le setier, en le mêlant à <strong>un</strong> quart<br />

d’orge. A cause <strong>de</strong> l’agitation populaire, les officiers florentins durent faire gar<strong>de</strong>r les réserves par <strong>de</strong>s hommes<br />

armés et faire sortir le billot et la hache du bourreau, prêts à châtier quiconque susciterait <strong>un</strong>e émeute. En <strong>de</strong>ux<br />

ans, Florence employa 60 000 florins à nourrir le peuple et les pauvres.<br />

A Sienne le peuple était agité et manifesta violemment sur le Campo. Mais la disette s’aggrava : en janvier le<br />

setier coûtait 40 sous, et il atteignit ensuite <strong>un</strong> florin [67 sous]. En avril, on ne voyait pratiquement plus <strong>de</strong> grain<br />

à Sienne. Il n’avait <strong>pas</strong> plu, et comme la future moisson avait vilaine allure, on ne trouvait plus du tout <strong>de</strong> grain,<br />

à auc<strong>un</strong> prix, et tout le mon<strong>de</strong> était plongé dans la consternation. Ceux qui avaient du grain le gardaient pour le<br />

vendre le plus cher possible ou pour que leur <strong>mais</strong>onnée n’en manquât <strong>pas</strong>. Les Neuf ordonnèrent alors à tous<br />

ceux qui avaient du grain <strong>de</strong> le mettre en vente sur la place. Mais ceux qui n’avaient <strong>pas</strong> d’argent ne pouvaient<br />

<strong>pas</strong> en avoir, car il valait 3 livres [60 sous] le setier. <strong>La</strong> comm<strong>un</strong>e fit faire du pain taxé ; il était <strong>de</strong> froment, orge<br />

et sorgho mêlés, pesait 4 onces pièce, et se vendait 2 quattrini l’<strong>un</strong>. <strong>La</strong> comm<strong>un</strong>e fit également faire du pain <strong>de</strong><br />

froment pur, à 2 sous le pain <strong>de</strong> 6 onces. <strong>La</strong> campagne souffrait plus que la ville.<br />

4


4- Les variations du prix du blé à Parme (1270-1330)<br />

Pierre Savy, « Les disettes en Lombardie d’après les sources narratives (fin XIII e -début XIV e siècle) », dans Les<br />

disettes dans la conjoncture <strong>de</strong> 1300 en Méditerranée occi<strong>de</strong>ntale, dir. M. Bourin, J. Dren<strong>de</strong>l et F. Menant, sous<br />

presse. Source : Chronicon Parmense.<br />

Les colonnes noires indiquent le prix le plus bas <strong>de</strong> l’année, les colonnes grises le prix le plus haut (exprimé en<br />

sous par setier ; <strong>un</strong> setier équivaut environ à 30 litres).<br />

5


5- <strong>La</strong> succession <strong>de</strong>s disettes à Florence autour <strong>de</strong> 1300<br />

C . <strong>de</strong> la Roncière, dans Les disettes en Méditerranée… (version mise en ligne) :<br />

Voici la liste et les dates <strong>de</strong>s occurrences <strong>de</strong> chertés et <strong>de</strong> pénuries, signalées selon les cas par<br />

les mots carestia (pénurie), caro (cherté) et fames (<strong>famine</strong>) que suit le plus souvent le nom <strong>de</strong> la<br />

<strong>de</strong>nrée menacée :<br />

1282 (gran carestia);<br />

1285 juillet (intollerabilis carestia di vino e carne),<br />

1286 mai (carestia grani et bladi ac aliorum victualium ultra solitum modum), 1289 avril mai<br />

(gran caro di victuaglia),<br />

1302 printemps (gran caro di vittuaglia), 1302 déc. (victualium carestia);<br />

1303 (gran carestia, gran fame) qui atteint son maximum en juin, juillet, août 1305 (gran caro)<br />

1310-1311,déc.-mai (grandissimo caro)<br />

1316 (gran caro)<br />

1317-1318 déc. janv. (magna… caristia bladi)<br />

1322-1323 (caro a F./ grandissima fame a Pistoia, Luca e Pisa)<br />

1328 in fino nel 1330 gran<strong>de</strong> caro di grano e di vittuaglia in Firenze<br />

1339 été automne (caro) ; nov. (carestia vicuaglium);<br />

1340 janvier (carestiam... incivitate et comitatu); février (crescenteme carestiam); mars<br />

(carestiam victuaglium)<br />

1341 janvier (carestia victualium)<br />

1344 (grandissimo caro di victuaglia, tanto che molta gente morì in città e in contado)<br />

1347 janvier (non solum carestia sed fames) février (maximam carestiam<br />

1351-1352, hiver (generale carestia di pane e sformata di vino)<br />

1353 janvier -juin (gran caro) ;<br />

mars (caristiam gran et bladi in civitate, comitatu)<br />

avril (caristiam)<br />

juillet (caristiam..in civitate F. <strong>de</strong> grano, vino, at aliis necessariis ad victus hominis<br />

août (maxima caristia olei… propter incanovationem olei..)<br />

1368, nov. (consi<strong>de</strong>rantes necessitatem grani et bladi que ad presens occurrit....grani<br />

penuria... maxima penuria)<br />

1369 mars (grandis carestia)<br />

oct. (magnam penuriam frumenti)<br />

1370 febbraio- maggio (gran<strong>de</strong> carestia d’ogni cosa, .. grandissima di frumento.. vino e carne)<br />

fev. (caristiam frumenti et bladi)<br />

juin (cum res sint adh<strong>un</strong>c et esse credant care et in pretio satis magno)<br />

oct. (propter caristiam incumbentem) (propter magnam penuriam et caristiam omnium victuaglium<br />

imminentem<br />

1374 janv. fév. caristia<br />

oct. (propter penuriam fructuum)<br />

nov. (<strong>de</strong>puis août maxima caristia grani et bladi et omnium aliarum rerum fuit et est in c. Flor;)<br />

6


6- Les <strong>famine</strong>s les plus meurtrières dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis la fin du XVIIe siècle<br />

C. Ó Gráda, Making <strong>famine</strong> history, The Journal of Economic Literature, 45 (2007), p. 5-38 :<br />

“Estimated <strong>de</strong>ath tolls from selected <strong>famine</strong>s”.<br />

Year Co<strong>un</strong>try Excess Mortality Death Observations<br />

(million)<br />

Rate %<br />

1693–94 France 1.5 7 Poor harvests<br />

1740–41 Ireland 0.3 13 Cold weather<br />

1846–52 Ireland 1 12 Potato blight; policy failure<br />

1868 Finland 0.1 7 Poor harvests<br />

1877–79 China 9.5 to 13 3 Drought, floods<br />

1876–79 India 7 3 Drought, policy failure<br />

1921–22 USSR 9 6 Drought, civil war<br />

1927 China 3 to 6 1 Natural disasters<br />

1932–33 USSR 5 to 6 4 Stalinism; harvest shortfall<br />

1942–44 Bengal 2 3 War; policy failure; supply shortfall<br />

1946–47 Soviet Union 1.2 0.7 Poor harvest, policy failure<br />

1959–61 China 15 2 Drought, floods; Great Leap Forward<br />

1972–73 India 0.1 0.03 Drought<br />

1974–75 Bangla<strong>de</strong>sh 0.5 0.5 War, floods, harvest shortfall<br />

1972–73 Ethiopia 0.06 0.2 Drought; poor governance<br />

1975–79 Cambodia 0.5 to 0.8 7 to 11 Human agency<br />

1980–81 Uganda 0.03 0.3 Drought, conflict<br />

1984–85 Sudan 0.25 1 Drought<br />

1985–86 Ethiopia 0.6 to 1 2 War; human agency;drought<br />

1991–92 Somalia 0.3 4 Drought, civil war<br />

1998 Sudan 0.07 0.2 Drought<br />

1995-2000 North Korea 0.6 to 1 3 to 4 Poor harvests; policy failure<br />

2002 Malawi Negligible 0 Drought<br />

2005 Niger Negligible 0 Drought<br />

7


7- Le marché au grain d’Orsanmichele, à Florence, en temps <strong>de</strong> pénurie<br />

8


8- Les pauvres affamés sont secourus aux portes <strong>de</strong> Florence.<br />

9


9- Témoins carpologiques <strong>de</strong> la diversité alimentaire dans les campagnes : fréquence <strong>de</strong>s<br />

différentes espèces sur 53 sites <strong>de</strong> la France méridionale (greniers silos, dépotoirs)<br />

Carole Puig, « L’apport <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> du stockage à notre connaissance <strong>de</strong> la conjoncture alimentaire <strong>de</strong> 1300<br />

(<strong>La</strong>nguedoc, Catalogne) », à paraître dans Les disettes en Méditerranée…<br />

FROMENT<br />

ORGE<br />

AVOINE<br />

SEIGLE<br />

MILLET COMMUN<br />

FEVEROLE<br />

GESSE CHICHE<br />

POIS<br />

MILLET ITALIEN<br />

ENGRAIN<br />

LENTILLE<br />

LIN<br />

VESCE CULTIVEE<br />

AMIDONNIER<br />

ERS<br />

SORGHO<br />

POIS CHICHE<br />

EPEAUTRE<br />

CHANVRE<br />

AIL<br />

CORIANDRE<br />

0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52<br />

fréquence <strong>de</strong>s espèces cultivées (sauf fruits)<br />

sur tous les contextes (53 contextes) : du Xe-<br />

XIIe au XVIe s.<br />

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