29.09.2013 Views

Menant, Féodalité italienne XIe-XIIe s. - Département d'Histoire de l ...

Menant, Féodalité italienne XIe-XIIe s. - Département d'Histoire de l ...

Menant, Féodalité italienne XIe-XIIe s. - Département d'Histoire de l ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

François <strong>Menant</strong><br />

La féodalité <strong>italienne</strong> entre <strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong> siècles.<br />

dans Il feudalesimo nell’alto Medioevo (Spoleto, 8-12 aprile 1999), Spolète, 2000, I, p. 346-387<br />

(« Settimane di studio <strong>de</strong>l Centro internazionale di studi sull’alto medioevo, XLVII »).<br />

Supposons que le sujet <strong>de</strong> la Semaine <strong>de</strong> cette année ait été choisi lors <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong>s toutes premières<br />

rencontres <strong>de</strong> Spolète, il y a un <strong>de</strong>mi-siècle, ou même il y a seulement trente ans ; je crois que le<br />

thème qui m’a été proposé, « La féodalité <strong>italienne</strong> entre <strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong> siècles » aurait eu une<br />

signification assez claire : situer mon exposé entre <strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong> siècles aurait signifié <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce<br />

traiter « la fin <strong>de</strong> l’époque féodale et le début <strong>de</strong> l’époque communale ». On se serait attendu à ce que<br />

j’analyse la façon dont avait disparu la féodalité.<br />

Dans le même ordre d’idées, on peut rappeler que les <strong>de</strong>ux volumes <strong>de</strong> la Storia politica d’Italia<br />

rédigés par Carlo Guido Mor sous le titre « L’età feudale », justement à cette époque du début <strong>de</strong>s<br />

Semaines <strong>de</strong> Spolète, en 1952, concernaient la pério<strong>de</strong> 887-1024. Bref, pour la génération<br />

d’historiens qui nous a précédés, la féodalité a été une réalité politique dominante, dans l’histoire du<br />

royaume d’Italie, jusqu’à la fin du <strong>XIe</strong> siècle au plus tard.<br />

Traiter <strong>de</strong> la féodalité 1 entre <strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong> siècles, dans le cadre du royaume d’Italie, a une signification<br />

bien différente aujourd’hui. Ma leçon ne sera que la <strong>de</strong>rnière contribution en date –provisoirement- à<br />

une vaste construction historiographique, en cours <strong>de</strong>puis trois décennies : en l’espace <strong>de</strong> cette<br />

trentaine d’années, nos connaissances sur la féodalité <strong>italienne</strong> ont été complètement renouvelées, et<br />

les idées dominantes ont notablement évolué. L’impulsion initiale a été due pour l’essentiel aux<br />

travaux <strong>de</strong> Giovanni Tabacco et <strong>de</strong> Cinzio Violante, qui ont ensuite orienté <strong>de</strong>s élèves nombreux et<br />

brillants vers <strong>de</strong>s recherches qui concernaient peu ou prou le mon<strong>de</strong> féodal et ses institutions ; une<br />

troisième génération, celle qui a aujourd’hui trente ou quarante ans, a repris le flambeau 2 . L’intérêt<br />

pour la féodalité a cependant baissé chez beaucoup d’historiens italiens <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière génération,<br />

qui mettent désormais l’accent, dans le fil d‘une <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> réflexion ouvertes par G. Tabacco, sur<br />

l’allodialité du pouvoir : celle-ci est considérée comme prépondérante jusqu’aux gran<strong>de</strong>s<br />

reconstructions politiques en forme féodale que réalisent plus ou moins soli<strong>de</strong>ment au <strong>XIIe</strong> siècle<br />

l’empereur, le pape ou les communes 3 . C’est la seigneurie, bien plus que la féodalité, qui est<br />

actuellement au centre <strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong> l’historiographie <strong>italienne</strong> du pouvoir, pour l’époque qui<br />

va du Xe au <strong>XIIe</strong> siècle 4 . Les formes <strong>de</strong> pouvoir et <strong>de</strong> relations sociales qui ne relèvent ni <strong>de</strong> la<br />

seigneurie ni <strong>de</strong> la féodalité suscitent également beaucoup d’intérêt, sous l’influence en particulier <strong>de</strong>s<br />

historiens anglo-saxons, Chris Wickham surtout : on découvre que <strong>de</strong>s pans entiers <strong>de</strong> la société<br />

<strong>italienne</strong> ont réglé leurs rapports en ne recourant que marginalement à ces mo<strong>de</strong>s d’organisation 5 .<br />

Les relations féodo-vassaliques, provisoirement quelque peu négligées 6 , apparaissent en somme<br />

1 Je choisis le sens étroit du mot feudalesimo, qui donne son titre à cette Semaine <strong>de</strong> Spolète (« Il feudalesimo<br />

nell’alto Medioevo »), quitte à esquisser au passage <strong>de</strong>s aspects qui relèvent plutôt <strong>de</strong> « féodalisme » que <strong>de</strong><br />

« féodalité », à propos <strong>de</strong> la seigneurie rurale et surtout lorsque j’évoquerai, en fin d’article, la fonction<br />

économique du système féodal. Sur les contenus <strong>de</strong> ces mots, et sur leurs implications historiographiques, voir<br />

l’introduction <strong>de</strong> Chris WICKHAM à cette Semaine.<br />

2 Sur l’historiographie <strong>italienne</strong> <strong>de</strong> la féodalité, C. VIOLANTE, Presentazione, in F. MENANT, Lombardia feudale.<br />

Studi sull’aristocrazia padana nei secoli X-XIII, Milan 1992, pp. VIII-XVI.<br />

3 Voir l’introduction <strong>de</strong> Chris WICKHAM à cette Semaine.<br />

4 Voir ci-<strong>de</strong>ssous. La différence entre le titre et le contenu du colloque <strong>de</strong> la Mendola Chiesa e mondo feudale<br />

(ci-<strong>de</strong>ssous, n.27) est une illustration frappante <strong>de</strong> ce phénomène.<br />

5 Je me borne à indiquer globalement les travaux <strong>de</strong> C. WICKHAM rassemblés dans les volumes Comunità e<br />

clientele in Toscana nel XII secolo. Le origini <strong>de</strong>l comune rurale nella piana di Lucca, Rome 1994, et Land and<br />

Power. Studies in Italian and European Social History, 400-1200, Londres 1994, ainsi que son article Justice in<br />

the Kingdom of Italy in the Eleventh Century, in La giustizia nell’alto Medioevo (secoli IX-XI), Spolète 1997<br />

(Settimane di studio <strong>de</strong>l Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, XLIV), pp. 179-255.<br />

6 Remarquons cependant qu’un regain d’intérêt pour la féodalité, particulièrement méridionale, se manifeste<br />

actuellement chez les médiévistes européens, et que les historiens <strong>de</strong> l’Italie ne peuvent qu’y être entraînés : en<br />

témoignent cette Semaine <strong>de</strong> Spolète, mais aussi le colloque « Le fief dans tous ses états » <strong>de</strong> Toulouse-Conques<br />

<strong>de</strong> juillet 1998 (voir ci-<strong>de</strong>ssous, n. 19), la rencontre franco-germano-britannique annoncée à Göttingen en jullet<br />

2000, et la semaine d’Estella <strong>de</strong> juillet 2001. Autre témoignage <strong>de</strong> cette tendance : le contenu du volume Les


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 2<br />

aujourd’hui comme l’une <strong>de</strong>s réalités <strong>de</strong> la société <strong>italienne</strong> <strong>de</strong>s Xe-<strong>XIIe</strong> siècles, en concurrence avec<br />

d’autres formes d’organisation également importantes 7 .<br />

Une fois émises ces nuances sur l’état actuel <strong>de</strong> la recherche, il faut souligner que les historiens qui<br />

ont participé aux recherches <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnière décennies sur la féodalité <strong>italienne</strong> ont accompli un<br />

énorme travail <strong>de</strong> mise au jour <strong>de</strong> documents et d’élaboration <strong>de</strong> thématiques ; ils n’ont d’ailleurs pas<br />

toujours été à l’unisson entre eux, et les débats sur les problèmes féodaux ont permis <strong>de</strong> beaucoup<br />

affiner les hypothèses <strong>de</strong> départ, <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s modèles complémentaires ou parallèles. A l’issue<br />

du grand congrès <strong>de</strong> l’Ecole française <strong>de</strong> Rome <strong>de</strong> 1978 Structures féodales et féodalisme dans<br />

l’Occi<strong>de</strong>nt méditerranéen 8 , qui révélait le travail accompli <strong>de</strong>puis la première rencontre sur ce thème, à<br />

Toulouse en 1968, Philippe Contamine proposait <strong>de</strong> faire le point à nouveau dix ans après. On aurait<br />

dû l’écouter, et non pas attendre vingt ans, en tout cas en ce qui concerne l’Italie : pendant ces vingt<br />

ans les travaux se sont accumulés, et <strong>de</strong>s débats en ont surgi ; je ne citerai que le plus vif, qui a<br />

animé le milieu <strong>de</strong>s années 80 autour <strong>de</strong> l’A<strong>de</strong>lsherrschaft und städtische Gesellschaft <strong>de</strong> Hagen<br />

Keller 9 . Ce foisonnement <strong>de</strong> travaux rend passionnant mais difficile, en 1999, <strong>de</strong> tirer un bilan<br />

succinct.<br />

Les historiens s’accor<strong>de</strong>nt au moins sur un point : la féodalité n’a pas perdu toute importance dans le<br />

royaume d’Italie avec l’avènement <strong>de</strong>s communes, et encore moins –bien sûr- avec la constitution <strong>de</strong>s<br />

fiefs 10 . On sait maintenant que les liens féodo-vassaliques restent au <strong>XIIe</strong> siècle un <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

relations importants <strong>de</strong> l’aristocratie, et s’éten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> surcroît à <strong>de</strong> larges secteurs <strong>de</strong> la société<br />

sociétés méridionales à l’âge féodal (Espagne, Italie et sud <strong>de</strong> la France, Xe-XIIIe s.). Hommage à Pierre<br />

Bonnassie, Toulouse 1999.<br />

7 Le rôle <strong>de</strong> la concession en bénéfice aux Xe et <strong>XIe</strong> siècles reste en revanche bien étudié, essentiellement grâce<br />

à Cinzio Violante et Amleto Spicciani : C. VIOLANTE, Un beneficio vassallatico instaurato con una carta di<br />

livello (Cremona, 8 novembre 1036), in Cristianità ed Europa. Miscellanea di studi in onore di Luigi<br />

Prosdocimi, I, Rome 1994, pp. 191-200 ; ID., Bénéfices vassaliques et livelli dans le cours <strong>de</strong> l'évolution féodale,<br />

in Histoire et société. Mélanges offerts à Georges Duby, II, Aix-en-Provence 1992, pp. 123-133 ; ces <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong>rniers articles ont été réunis sous le titre Fluidità <strong>de</strong>l feudalesimo nel regno italico (secoli X e XI). Alternanze e<br />

compenetrazione di forme giuridiche <strong>de</strong>lle concessioni di terre ecclesiastiche a laici, Annali <strong>de</strong>ll’Istituto storico<br />

italo-germanico in Trento, XXI (1995), pp. 11-39 ; A. SPICCIANI, Benefici livelli feudi. Intreccio di rapporti fra<br />

chierici e laici nella Tuscia medioevale. La creazione di una società politica, Pise 1996.<br />

8 Ph. CONTAMINE, Conclusion générale, in Structures féodales et féodalisme dans l’Occi<strong>de</strong>nt méditerranéen (Xe-<br />

XIIIe s.) (Colloque international organisé par le Centre national <strong>de</strong> la recherche scientifique et l’Ecole française<br />

<strong>de</strong> Rome, Rome, 10-13 octobre 1978), Rome 1980, p. 768. Sur l’état <strong>de</strong> l’historiographie <strong>de</strong> la féodalité,<br />

particulièrement <strong>italienne</strong>, illustré par ce colloque, voir P. CAMMAROSANO, Le strutture feudali nell’evoluzione<br />

<strong>de</strong>ll’Occi<strong>de</strong>nte mediterraneo : note su un colloquio internazionale, Studi Medievali, ser. 3a, XXII (1981), pp.<br />

837-869.<br />

9 Le débat est bien présenté par H. KELLER lui-même dans l’introduction à l’édition <strong>italienne</strong> <strong>de</strong> son livre,<br />

Signori e vassalli nell’Italia <strong>de</strong>lle città, Turin 1995 ; éd. alleman<strong>de</strong> : H. KELLER, A<strong>de</strong>lsherrschaft und städtische<br />

Gesellschaft in Oberitalien (9.-12. Jahrhun<strong>de</strong>rt), Tübingen 1979. A la même époque, un essai <strong>de</strong> Philip Jones<br />

suscitait un débat également vif : lui aussi mettait en question, quoique <strong>de</strong> tout autre façon (et dans une<br />

chronologie qui sort pour l’essentiel du cadre <strong>de</strong> ma contribution), la réalité du pouvoir et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s élites<br />

citadines, et soulignait le rôle <strong>de</strong> l’aristocratie ancienne ou nouvelle et le poids <strong>de</strong> la campagne dans le mon<strong>de</strong><br />

communal : Ph. JONES, Economia e società nell’Italia medievale. La leggenda <strong>de</strong>lla borghesia, in Storia d’Italia.<br />

Annali, 1 : Dal feudalesimo al capitalismo, dir. R. ROMANO et C. VIVANTI, Einaudi, Turin 1978, pp. 183-372 ;<br />

rééd. sous le titre Economia e società nell’Italia medievale. Il mito <strong>de</strong>lla borghesia, in Ph. JONES, Economia e<br />

società nell’Italia medievale, Turin 1980, pp. 3-189. Sur ces tendances historiographiques, voir –parmi beaucoup<br />

d’autres réactions- R. BORDONE, Tema cittadino e ritorno alla terra nella storiografia comunale recente,<br />

Qua<strong>de</strong>rni Storici, 52 (1983), pp. 255-277 ; ID., Nascità <strong>de</strong>lle autonomie cittadine, in La storia. I grandi problemi<br />

dal medioevo all’età contemporanea, dir. N. TRANFAGLIA et M. FIRPO, II, Turin 1986, pp. 449-457.<br />

10 L’idée était déjà émise par Mitteis, voir ci-<strong>de</strong>ssous n. 54 ; cfr. G. TABACCO, L’ordinamento feudale <strong>de</strong>l potere<br />

nel pensiero di H. Mitteis, Annali <strong>de</strong>lla Fondazione Italiana per la Storia Amministrativa, 1 (1964), pp. 83-113,<br />

p. 99.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 3<br />

extérieurs à celle-ci. On place même parfois le plein développement <strong>de</strong> la féodalité au <strong>XIIe</strong> siècle 11 .<br />

C’est <strong>de</strong> ce constat que je partirai 12 .<br />

Autour <strong>de</strong> 1100.<br />

Les années où commencent mes observations ont au <strong>de</strong>meurant une valeur propre dans l’histoire <strong>de</strong><br />

la féodalité du Regnum. Parmi les grands événements qui les marquent <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, on peut<br />

choisir la dissolution du principal Etat féodal laïc, celui <strong>de</strong>s Canossa, à la mort <strong>de</strong> la comtesse<br />

Mathil<strong>de</strong> en 1115, et la progressive assimilation par les communes citadines <strong>de</strong> ses membra<br />

disjecta 13 . Mais ce n’est que la plus frappante <strong>de</strong>s évolutions qui touchent alors les réseaux féodaux<br />

italiens 14 : vers la même époque, à la suite <strong>de</strong>s bouleversements issus <strong>de</strong> la querelle <strong>de</strong>s Investitures<br />

et <strong>de</strong> la réforme <strong>de</strong> l’Eglise, la plupart <strong>de</strong>s curiae épiscopales per<strong>de</strong>nt leur fonction politique,<br />

supplantées par les premiers corps consulaires (qui ne leur sont d’ailleurs pas entièrement étrangers<br />

par le recrutement). La féodalité se laïcise en se dépouillant d’une partie <strong>de</strong>s liens qu’elle entretenait<br />

avec le haut clergé et <strong>de</strong>s églises qu’elle contrôlait. C’est l’époque aussi où l’on commence à<br />

rassembler les Consuetudines Feudorum, ce qui est un pas important vers la formalisation <strong>de</strong>s<br />

rapports entre seigneurs et vassaux 15 . Ces évolutions convergent pour <strong>de</strong>ssiner une image nouvelle<br />

<strong>de</strong> la féodalité <strong>italienne</strong>. J’aurais en somme parfaitement pu prendre mon sujet dans une acception<br />

chronologique étroite, et chercher à cerner <strong>de</strong> plus près ces transformations <strong>de</strong> la féodalité au cours<br />

<strong>de</strong>s décennies qui encadrent 1100, qui sont sans conteste une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s époques <strong>de</strong> changement<br />

du Regnum Italiae. J’ai préféré prendre du recul, et considérer un espace chronologique plus étendu,<br />

entre la fin du <strong>XIe</strong> siècle et celle du <strong>XIIe</strong>.<br />

Modèles <strong>de</strong> féodalités.<br />

Les clientèles vassaliques du royaume se rattachent à <strong>de</strong>s modèles que différencient la nature du<br />

seigneur duquel elles relèvent –laïc ou ecclésiastique-, sa puissance, la qualité <strong>de</strong>s biens qu’il a<br />

distribués en fief et le poids <strong>de</strong> ces fiefs dans les grands équilibres économiques, politiques et<br />

symboliques <strong>de</strong> chaque région 16 . Le Piémont, la marche <strong>de</strong> Treviso, et à un moindre <strong>de</strong>gré la Ligurie<br />

11 En reprenant en somme, consciemment ou non, l’idée <strong>de</strong> Tabacco citée précé<strong>de</strong>mment. Le chapitre consacré à<br />

l’Italie par S. REYNOLDS, Fiefs and Vassals. The Medieval Evi<strong>de</strong>nce Reinterpreted, Oxford 1994, pp. 181-257,<br />

est le <strong>de</strong>rnier et non le moins brillant <strong>de</strong> ces recentrages chronologiques. Son ignorance complète <strong>de</strong>s<br />

développements historiographiques <strong>de</strong>s vingt <strong>de</strong>rnières années lui enlève cependant presque tout intérêt en ce qui<br />

concerne l’Italie.<br />

12 Rappelons aussi que le thème <strong>de</strong> la « reféodalisation » d’une partie <strong>de</strong> la société et <strong>de</strong>s structures politiques,<br />

après la fin <strong>de</strong>s régimes communaux, a été beaucoup traité ces <strong>de</strong>rnières années. On peut toujours voir la<br />

synthèse <strong>de</strong> G. CHITTOLINI, Signorie rurali e feudi alla fine <strong>de</strong>l Medioevo, in Storia d’Italia, dir. G. GALASSO,<br />

UTET, IV, Turin 1981, pp. 591-676 ; développements et étu<strong>de</strong>s monographiques dans les articles du même,<br />

rassemblés dans <strong>de</strong>ux volumes : G. CHITTOLINI, La formazione <strong>de</strong>llo Stato regionale e le istituzioni <strong>de</strong>l contado.<br />

Secoli XIV e XV, Turin 1979 ; ID., Città, comunità e feudi negli stati <strong>de</strong>ll’Italia centro-settentrionale (secoli XIV-<br />

XVI), Milan 1996.<br />

13 G. FASOLI, Note sulla feudalità canossiana, in I° Convegno di Studi Matildici, Atti e Memorie <strong>de</strong>lla<br />

Deputazione di Storia Patria per le antiche Provincie Mo<strong>de</strong>nesi , ser. 9, t. III (1963), pp. 217-229 ; G. TABACCO,<br />

Discorso di chiusura, in II° Convegno di Studi Matildici (Mo<strong>de</strong>na-Reggio Emilia, 1-3 maggio 1970), Modène<br />

1971, pp. 429-436 ; et surtout : I poteri <strong>de</strong>i Canossa da Reggio Emilia all’Europa (Atti <strong>de</strong>l convegno<br />

internazionale di studi, Reggio Emilia-Carpi, 29-31 ottobre 1992), dir. P. GOLINELLI, Bologne 1994. A défaut <strong>de</strong><br />

synthèse récente sur l’histoire <strong>de</strong> l’héritage canossien, on doit toujours utiliser A. Overmann, Gräfin Mathil<strong>de</strong><br />

von Tuscien. Ihre Besitzungen, Geschichte ihres Gutes 1115-1230 und ihre Regesten, Innsbruck 1895 (trad. ital.<br />

La contessa Matil<strong>de</strong> di Canossa, Rome 1980).<br />

14 En Toscane, un autre grand réseau vassalique, celui <strong>de</strong>s Cadolingi, connaît un <strong>de</strong>stin comparable à celui <strong>de</strong>s<br />

Canossa exactement à la même époque, après l’extinction du lignage en 1114.<br />

15 On trouvera le <strong>de</strong>rnier état <strong>de</strong> la question dans ce même volume : G. DI RENZO VILLATA, La formazione <strong>de</strong>i<br />

Libri feudorum ; autre bonne synthèse récente : G. GIORDANENGO, Les féodalités <strong>italienne</strong>s , in Les féodalités,<br />

dir. E. BOURNAZEL et J.- P. POLY, Paris 1998, pp. 211-263. L’édition reste celle <strong>de</strong> K. LEHMANN, Das<br />

langobardische Lehnrecht, Göttingen 1896 ; ID., Consuetudines feudorum, I : Compilatio Antiqua, Göttingen<br />

1892.<br />

16 La définition et la délimitation mêmes <strong>de</strong>s « régions » que je prends pour cadre <strong>de</strong> mon tableau <strong>de</strong> la féodalité<br />

<strong>italienne</strong> exigeraient naturellement une longue discussion, qui prendrait en compte toutes sortes <strong>de</strong> facteurs ; il ne<br />

m’est pas loisible <strong>de</strong> la mener ici.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 4<br />

et certaines parties <strong>de</strong> la Toscane sont dominés par <strong>de</strong> hauts seigneurs laïcs issus pour la plupart <strong>de</strong><br />

marquis et <strong>de</strong> grands comtes post-carolingiens, à la <strong>de</strong>scendance ramifiée à l’extrême : les marquis<br />

<strong>de</strong> Monferrat, les Del Vasto, les Savoie, les Obertenghi, les Pallavicini, les Aldobran<strong>de</strong>schi sont parmi<br />

les plus puissantes <strong>de</strong> ces familles, et parmi celles qui ont été le mieux étudiées récemment 17 . La fin<br />

du <strong>XIe</strong> et le <strong>XIIe</strong> siècle sont pour eux le temps <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> seigneuries viables, découpées dans<br />

les grands ensembles qui les précédaient 18 ; peu étendues pour la plupart, elles sont parfois appelées<br />

à durer <strong>de</strong>s siècles et à connaître <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stins glorieux. Les clientèles vassaliques sont l’un <strong>de</strong>s<br />

moyens sur lesquels s’appuient ces nouvelles constructions territoriales, mais non le seul 19 .<br />

Un autre grand modèle <strong>de</strong> réseau vassalique se trouve autour <strong>de</strong>s évêques et <strong>de</strong> certains grands<br />

monastères ; il atteint son plus grand développement en Lombardie 20 . La hiérarchie féodale, assise<br />

17 Parmi les présentations d’ensemble du phénomène : G. SERGI, La feudalizzazione <strong>de</strong>lle circoscrizioni<br />

pubbliche nel regno italico, in Structures féodales cit., pp. 251-261 ; ID., I confini <strong>de</strong>l potere. Marche e signorie<br />

fra due regni medievali, Turin 1995 ; A. CASTAGNETTI, La feudalizzazione <strong>de</strong>gli uffici pubblici, dans le présent<br />

volume. Plusieurs colloques organisés par C. Violante ont donné <strong>de</strong>s analyses collectives <strong>de</strong> ces familles et <strong>de</strong><br />

leurs Etats : Formazione e strutture <strong>de</strong>i ceti dominanti nel medioevo : marchesi conti e visconti nel regno italico<br />

(secc. IX-XII), I (Atti <strong>de</strong>l I° convegno di Pisa, maggio 1981), Rome 1988 ; II (Atti <strong>de</strong>l II° convegno di Pisa,<br />

novembre 1993), Rome 1996 ; I ceti dirigenti in Toscana nell’età precomunale (Atti <strong>de</strong>l 1°convegno sui ceti<br />

dirigenti in Toscana, Firenze, 1978), Pise 1981, et I ceti dirigenti <strong>de</strong>ll’età comunale nei secoli XII e XIII (Atti <strong>de</strong>l<br />

II° convegno…, Firenze, 1979), Pise 1982. Monographies :G. SERGI, Anscarici, Arduinici, Aleramici, in<br />

Formazione e strutture cit., I, pp. 11-28 (aussi in Bollettino Storico-Bibliografico Subalpino, 82, 1984, pp. 301-<br />

319) ; R. BORDONE, Affermazione personale e sviluppi dinastici <strong>de</strong>l gruppo parentale aleramico : il marchese<br />

Bonifacio « Del Vasto » (sec. XI-XII), ibid., pp. 29-44 ; L. PROVERO, Aristocrazia d’ufficio e sviluppo di poteri<br />

signorili nel Piemonte sud-occi<strong>de</strong>ntale (secoli XI-XII), Studi Medievali, s. 3a, XXXV (1994), pp. 577-627 ; M.<br />

NOBILI, Alcune consi<strong>de</strong>razioni circa l’estensione, la distribuzione e il significato <strong>de</strong>l patrimonio <strong>de</strong>gli<br />

Obertenghi, in Formazione e strutture cit., I, pp. 71-83 ; L. PROVERO, Dai marchesi <strong>de</strong>l Vasto ai primi marchesi<br />

di Saluzzo. Sviluppi signorili entro quadri pubblici (secoli XI-XII), Turin 1992 ; R. MERLONE, Gli Aleramici.<br />

Una dinastia dalle strutture pubbliche ai nuovi orientamenti territoriali (secoli IX - XI), Turin 1995 ; G. SERGI,<br />

Una gran<strong>de</strong> circoscrizione <strong>de</strong>l regno italico : la marca arduinica di Torino, Studi Medievali, s. 3a, XII (1971),<br />

pp. 637-712 ; La contessa A<strong>de</strong>lai<strong>de</strong> e la società <strong>de</strong>l secolo XI (Atti <strong>de</strong>l convegno di Susa, 14-16 novembre 1991),<br />

Suse 1993 (=Segusium, a. XXIX, 1992) ; M. NOBILI, L’evoluzione <strong>de</strong>lle dominazioni marchionali in relazione<br />

alla dissoluzione <strong>de</strong>lle circoscrizioni marchionali e comitali e allo sviluppo <strong>de</strong>lla politica territoriale <strong>de</strong>i comuni<br />

cittadini <strong>de</strong>ll’Italia centro-occi<strong>de</strong>ntale (secoli XI e XII), in La cristianità <strong>de</strong>i secoli XI e XII in Occi<strong>de</strong>nte :<br />

coscienza e strutture di una società (Atti <strong>de</strong>ll’VIII Settimana internazionale di studio, Mendola, 30 giugno-5<br />

luglio 1980), Milan 1983, pp. 232-258 ; G. FASOLI, Signoria feudale ed autonomie locali, in Studi ezzeliniani,<br />

Rome 1963, pp. 7-33 ; S. COLLAVINI, « Honorabilis domus et spetiosissimus comitatus ». Gli Aldobran<strong>de</strong>schi da<br />

« conti » a « principi territoriali » (secoli IX-XIII), Pise 1998 ; E. SESTAN, I conti Guidi e il Casentino, in ID.,<br />

Italia medievale, Naples 1966, pp. 356-378 ; A. CASTAGNETTI, Enti ecclesiastici, Canossa, Estensi, famiglie<br />

signorili e vassallatiche a Verona e a Ferrara, in Structures féodales cit., pp. 387-412 ; ID., Aspetti feudali e<br />

conservatrici <strong>de</strong>lla società ferrarese dal dominio <strong>de</strong>i Canossa alla signoria <strong>de</strong>gli Estensi, in Spazio, società,<br />

poteri nell’Italia <strong>de</strong>i comuni, dir. G. ROSSETTI, Naples 1986, pp. 61-83.<br />

18 Un panorama <strong>de</strong> l’aboutissement <strong>de</strong> ces constructions politiques est offert par les contributions <strong>de</strong> P.<br />

CAMMAROSANO (arc alpin), G. CASTELNUOVO (Savoie), G. VARANINI (Italie padane) et A. ZORZI (territoire<br />

florentin) au volume L’organizzazione <strong>de</strong>l territorio in Italia e in Germania : secoli XIII e XIV, dir. G.<br />

CHITTOLINI et D. WILLOWEIT, Bologne 1994 (Istituto storico italo-germanico in Trento, Atti <strong>de</strong>lla XXXV<br />

settimana di studio, 7-12 settembre 1992).<br />

19 Un modèle différent et plus tardif <strong>de</strong> construction territoriale utilisant les liens féodaux est présenté par les<br />

baroni romains, étudiés par S. CAROCCI, Baroni di Roma. Dominazioni signorili e lignaggi aristocratici nel<br />

Duecento e nel primo Trecento, Rome 1993. Pour le développement antérieur <strong>de</strong> la féodalité en Latium, P.<br />

TOUBERT, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du IXe siècle à la fin du <strong>XIIe</strong><br />

siècle, 2 vol., Rome 1973. Voir en <strong>de</strong>rnier lieu S. CAROCCI, Feudo e potere pontificio nello Stato <strong>de</strong>lla Chiesa<br />

(XII – XIII), in Le fief dans tous ses états. Fiefs et tenures assimilées dans l’Europe méridionale (Italie, France<br />

du midi, Espagne) du Xe au XIIIe siècle (Actes du colloque international, Toulouse-Conques, 6-8 juillet 1998),<br />

sous presse.<br />

20 H. KELLER, A<strong>de</strong>lsherrschaft…cit. ; F. MENANT, Campagnes lombar<strong>de</strong>s du Moyen Age. L’économie et la<br />

société rurales dans la région <strong>de</strong> Bergame , <strong>de</strong> Crémone et <strong>de</strong> Brescia du Xe au XIIIe siècle, Rome 1993 ; ID.,<br />

Lombardia feudale cit. ; ID., Le monastère <strong>de</strong> S. Giulia et le mon<strong>de</strong> féodal. Premiers éléments d’information et<br />

perspectives <strong>de</strong> recherche, in S. Giulia di Brescia. Archeologia, arte, storia di un monastero regio dai<br />

Longobardi al Barbarossa, Brescia 1992 ; G. SERGI, Vescovi, monasteri, aristocrazia militare, in Storia d’Italia.<br />

Annali 9 : La Chiesa e il potere politico dal medioevo all’età contemporanea, Einaudi, Turin 1986, pp. 75-98 ;


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 5<br />

sur <strong>de</strong> vastes biens d’Eglise, joue ici un rôle très important, en termes politiques notamment. Ces<br />

réseaux vassaliques sont centrés sur les villes, à la différence <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> clientèles <strong>de</strong>s grands<br />

seigneurs laïcs, piémontais par exemple, et la constitution <strong>de</strong>s communes les concerne très<br />

directement. Un peu à part, l’évêché <strong>de</strong> Trente, à la frontière entre influences germanique et<br />

<strong>italienne</strong> 21 , et le patriarcat d’Aquilée, qui reste à cette époque le plus grand <strong>de</strong>s Etats féodaux<br />

ecclésiastiques à avoir conservé son indépendance politique 22 . A l’autre extrémité du royaume, le<br />

duché <strong>de</strong> Spolète présente <strong>de</strong>s réseaux vassaliques qui sont surtout centrés sur les grands<br />

monastères, et amalgament les influences venues d’Italie du Nord à celles qu’imposent les<br />

conquérants normands 23 .<br />

La <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> l’implantation féodale est d’ailleurs très variable selon les régions 24 , voire d’un contado à<br />

l’autre, pour autant qu’on puisse l’évaluer, et l’organisation <strong>de</strong>s réseaux vassaliques elle-même<br />

appellerait mille nuances parfois importantes, <strong>de</strong> même que le niveau social <strong>de</strong> leurs membres : la<br />

hiérarchie entre capitanei et valvassores est surtout lombar<strong>de</strong>, ou au moins septentrionale 25 , et les<br />

classements varient ailleurs entre les seigneurs <strong>de</strong> château, leurs vassaux nobles détenteurs du<br />

pouvoir banal, les simples milites et les vassaux paysans, conditionnels ou masnadiers.<br />

Pouvoir seigneurial et féodalité.<br />

Je note aussi, sans avoir le loisir <strong>de</strong> m’y attar<strong>de</strong>r, qu’il faudrait prendre en compte, dans ce tableau <strong>de</strong><br />

l’Italie féodale du <strong>XIIe</strong> siècle, les rapports <strong>de</strong> domination seigneuriale : je m’intéresse essentiellement<br />

aujourd’hui à la féodalité, mais le groupe féodal se confond largement avec les maîtres du ban 26 , et<br />

ID., I rapporti vassallatico-beneficiari, in Milano e i Milanesi prima <strong>de</strong>l Mille (VIII-X secolo) (Atti <strong>de</strong>l 10°<br />

Congresso Internazionale di Studi sull’Alto Medioevo, Milano, 26-30 settembre 1983), Spolète 1986, pp. 137-<br />

163 ; A. DEGRANDI, Vassalli cittadini e vassalli rurali nel Vercellese <strong>de</strong>l XII secolo, Bollettino Storico<br />

Bibliografico Subalpino, XCI (1993), pp. 5-46 ; P. RACINE, L’aristocratie <strong>italienne</strong> du Xe au XIIIe siècle :<br />

l’exemple <strong>de</strong>s lignages placentins, in Atti <strong>de</strong>l IX CeRDAC, 1977-1978, pp. 229-246. Situations comparables dans<br />

d’autres parties du royaume : G. RIPPE, L’évêque <strong>de</strong> Padoue et son réseau <strong>de</strong> clientèles en ville et dans le<br />

contado (Xe siècle – 1237), in Structures féodales cit., pp. 413-428 ; ID., Dans le Padouan <strong>de</strong>s Xe-<strong>XIe</strong> siècles :<br />

évêques, vavasseurs, « cives », Cahiers <strong>de</strong> civilisation médiévale, 27 (1984), pp. 141-150 ; A. CASTAGNETTI,<br />

Regno, signoria vescovile, arimanni e vassalli nella Saccisica dalla tarda età longobarda all’età comunale,<br />

Vérone 1997 ; D. RANDO, I vassalli <strong>de</strong>i vescovi nella diocesi di Treviso nella seconda metà <strong>de</strong>l secolo XII, in Le<br />

fief dans tous ses états cit. ; J.-P. DELUMEAU, Arezzo. Espaces et sociétés, 715-1230, 2 vol., Rome 1996, II,<br />

pp. 444-471.<br />

21 G. VARANINI et M. BETOTTI, I rapporti feodo-vassallatici nel principato vescovile di Trento dalla fine <strong>de</strong>l XII<br />

all’inizio <strong>de</strong>l XIV secolo, in Le fief dans tous ses états cit.<br />

22 P. SCHMIDINGER, Patriarch und Lan<strong>de</strong>sherr. Die weltliche Herrschaft <strong>de</strong>r Patriarchen von Aquileia bis zum<br />

En<strong>de</strong> <strong>de</strong>r Staufer, Graz-Cologne 1954 ; ID., Il patriarcato di Aquileia, in I poteri temporali <strong>de</strong>i vescovi in Italia e<br />

in Germania nel Medioevo (Istituto storico italo-germanico in Trento. Atti <strong>de</strong>lla settimana di studio, 13-18<br />

settembre 1976), Bologne 1979, pp. 141-175 ; P. CAMMAROSANO, dir., Il Medioevo, Tavagnacco 1988 (Storia<br />

<strong>de</strong>lla società friulana, dir. G. MICCOLI, I).<br />

23 L. FELLER, Les Abruzzes médiévales. Territoire, économie et société en Italie centrale du IXe au <strong>XIIe</strong> siècle,<br />

Rome 1998 ; ID., Le développement <strong>de</strong>s institutions féodales en Italie centrale (Xe-<strong>XIIe</strong> siècles), in Le fief dans<br />

tous ses états cit.<br />

24 Ainsi la Toscane, en dépit <strong>de</strong> la hiérarchie vassalique qui entoure l’évêque d’Arezzo (voir ci-<strong>de</strong>ssus, n. 20) et<br />

<strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s seigneuries comme celle <strong>de</strong>s Aldobran<strong>de</strong>schi (ci-<strong>de</strong>ssus, n. 17), est globalement bien<br />

moins féodalisée que le Nord : voir les excellentes réflexions <strong>de</strong> P. CAMMAROSANO, Feudo e proprietà nel<br />

Medioevo toscano, in Nobiltà e ceti dirigenti in Toscana nei secoli XI-XIII : strutture e concetti (Atti <strong>de</strong>l 4°<br />

convegno di studi sui ceti dirigenti in Toscana, Firenze, dicembre 1981), Florence 1982, pp. 1-11.<br />

25 Résumé du débat à ce sujet : H. KELLER, Signori e vassalli cit., pp. XXIV-XXV ; on peut voir aussi le bref<br />

compte-rendu <strong>de</strong> ID., A<strong>de</strong>lsherrschaft cit. par R. Bordone, Bollettino Storico-Bibliografico Subalpino, LXXX<br />

(1982), pp. 279-281, et surtout R. BORDONE, La società cittadina <strong>de</strong>l Regno d’Italia. Formazione e sviluppo<br />

<strong>de</strong>lle caratteristiche iurbane nei secoli XI e XII, Turin 1987, pp. 160-182. On disposera d’un panorama<br />

renouvelé lorsque seront publiés les actes <strong>de</strong> la rencontre sur les capitanei qui a été organisée par Andrea<br />

Castagnetti à Vérone, du 4 au 6 novembre 1999.<br />

26 Ce qui ne signifie pas que toutes les seigneuries soient tenues en fief : bien <strong>de</strong>s seigneuries et <strong>de</strong>s droits banaux<br />

isolés sont allodiaux. Mais voir ci-<strong>de</strong>ssous, n. 53, la tendance <strong>de</strong>puis Frédéric Ier à considérer que toute<br />

juridiction est par principe un fief tenu <strong>de</strong> l’empire. Sur la réception <strong>de</strong> cette notion par l’historiographie, G.<br />

TABACCO, Ordinamento pubblico e sviluppo signorile nei secoli centrali <strong>de</strong>l Medioevo, Bullettino <strong>de</strong>ll’Istituto<br />

Storico Italiano per il Medioevo e Archivio Muratoriano, 79 (1968), pp. 37-51 (rééd. in ID., Sperimentazioni <strong>de</strong>l<br />

potere nell’alto Medioevo, Turin 1993, pp. 304-319). Les rapports entre seigneurie, féodalité et pouvoir


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 6<br />

son revenu avec le prélèvement seigneurial ; la puissance et les ressources <strong>de</strong>s seigneurs et <strong>de</strong> leurs<br />

vassaux reposent en bonne partie –quoique pas seulement, nous le verrons- sur l’exploitation <strong>de</strong>s<br />

paysans 27 . Or la première moitié du <strong>XIIe</strong> siècle est probablement dans le royaume d’Italie -au moins<br />

dans beaucoup <strong>de</strong> régions, car sur ce point aussi les diversités sont gran<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’une à l’autre-<br />

l’époque classique <strong>de</strong> la seigneurie rurale, entre la mise au point <strong>de</strong>s coutumes locales et leur<br />

modification ultérieure au fil <strong>de</strong>s chartes <strong>de</strong> franchise 28 . Il ne serait pas inutile à la compréhension <strong>de</strong>s<br />

rapports féodo-vassaliques <strong>de</strong> montrer comment évoluent alors les moyens d’exploitation et <strong>de</strong><br />

domination <strong>de</strong>s paysans. Je me borne à remarquer qu’une partie <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers glisse vers une<br />

féodalisation <strong>de</strong> leurs rapports avec leurs seigneurs, formellement en prenant le nom <strong>de</strong> vassaux, ou<br />

effectivement en le servant comme soldats ou comme administrateurs et en recevant <strong>de</strong>s fiefs pour ce<br />

service 29 .<br />

aristocratique dans l’historiographie récente sont bien définis, à partir d’une synthèse régionale, par G.<br />

ANDENNA, Storia <strong>de</strong>lla Lombardia medioevale, Turin 1999, pp. 78-113.<br />

27 G. TABACCO, Fief et seigneurie dans l’Italie communale. L’évolution d’un thème historiographique, Le Moyen<br />

Age, 75 (1969), pp. 5-37 et 203-218. L’historiographie <strong>italienne</strong> désigne encore souvent comme « féodaux » les<br />

rapports entre le seigneur rural et les paysans qui dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> lui. Un bon exemple <strong>de</strong> cette confusion<br />

persistante est le récent congrès Chiesa e mondo feudale (sec. X-XII), Milan 1995 (Atti <strong>de</strong>lla XII Settimana<br />

internazionale di studio, Mendola, 24-28 agosto 1992) : en dépit <strong>de</strong> son titre, il concerne essentiellement le<br />

pouvoir seigneurial. Les essais <strong>de</strong> clarification n’ont pourtant pas manqué, sous la plume notamment <strong>de</strong> Cinzio<br />

Violante.<br />

28 L’exposé <strong>de</strong> Giovanni Tabacco reste un classique : G. TABACCO, Lo sviluppo <strong>de</strong>l banno e <strong>de</strong>lle comunità<br />

rurali, in Storia d’Italia, II, Einaudi, Turin 1974 (rééd. in ID., Egemonie sociali e strutture <strong>de</strong>l potere nel<br />

Medioevo italiano, Turin 1979, pp. 236-257, et in Forme di potere e strutture sociali in Italia nel Medioevo, dir.<br />

G. ROSSETTI, Turin 1979, pp. 236-257 ; traduction anglaise : ID., The Struggle for Power in Medieval Italy.<br />

Structures of Political Rule, Cambridge 1989, pp. 191-207). Autres bonnes synthèses : G. SERGI, Lo sviluppo<br />

signorile e l’inquadramento feudale , in La storia. I grandi problemi cit., II, Turin 1986, pp. 369-394 ; et tout<br />

récemment L. PROVERO, L’Italia <strong>de</strong>i poteri locali. Secoli X-XII, Rome 1998. On a ces <strong>de</strong>rnières années beaucoup<br />

travaillé sur la seigneurie (essentiellement considérée sous ses aspects institutionnels), en particulier dans les<br />

colloques organisés sous l’impulsion <strong>de</strong> Cinzio VIOLANTE : Strutture e trasformazioni <strong>de</strong>lla signoria rurale nei<br />

secoli X-XIII, dir. G. DILCHER et C. VIOLANTE, Bologne 1996 (Istituto storico italo-germanico in Trento, Atti<br />

<strong>de</strong>lla XXXVII settimana di studio, 12-16 settembre 1994) ; La signoria rurale nel medioevo italiano, dir. A.<br />

SPICCIANI et C. VIOLANTE, 2 vol., Pise 1997 et 1998. La présentation la plus complète <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> C. VIOLANTE<br />

est sans doute son introduction à Strutture e trasformazioni cit. ; voir aussi C. VIOLANTE, La signoria rurale nel<br />

secolo X. Proposte tipologiche, in Il secolo di ferro : mito e realtà <strong>de</strong>l secolo X (Settimane di studio <strong>de</strong>l centro<br />

internazionale di studio sull’alto Medioevo, XXXVIII), Spolète 1991, pp. 329-385 ; ID., La signoria rurale come<br />

quadro <strong>de</strong>lle strutture organizzative <strong>de</strong>l contado nella Lombardia <strong>de</strong>l secolo XII, in Histoire comparée <strong>de</strong><br />

l’administration (Actes du XIVe colloque historique franco-allemand, Tours, 27 mars-1 er avril 1977), dir. W.<br />

PARAVICINI et K.F. WERNER, Munich 1980, pp. 333-344. Pour apprécier les diversités régionales, voir l’inégal –<br />

et globalement faible- développement seigneurial en Toscane, dans les analyses <strong>de</strong> Chris Wickham : C.<br />

WICKHAM, La signoria rurale in Toscana , in Strutture e trasformazioni <strong>de</strong>lla signoria rurale cit., pp. 343-409 ;<br />

ID., Property Ownership and Signorial Power in Twelfth-Century Tuscany , in Property and Power in the Early<br />

Middle Ages, dir. W. DAVIES et P. FOURACRE, Cambridge 1995, pp. 221-244 ; R. FRANCOVICH et C. WICKHAM,<br />

Uno scavo archeologico ed il problema <strong>de</strong>llo sviluppo <strong>de</strong>lla signoria territoriale : Roccca San Silvestro e i<br />

rapporti di produzione mineraria, Archeologia Medievale, XXI (1994), pp. 7-30 ; à nuancer par <strong>de</strong>s<br />

monographies <strong>de</strong> puissances seigneuriales : P. CAMMAROSANO, La famiglia <strong>de</strong>i Berar<strong>de</strong>nghi. Contributo alla<br />

storia <strong>de</strong>lla società senese nei secoli XII-XIII, Spolète 1974, ou l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> S. COLLAVINI sur les Aldobran<strong>de</strong>schi,<br />

citée ; voir aussi P. CAMMAROSANO, Feudo e proprietà nel Medioevo toscano cit. Autre exemple majeur <strong>de</strong>s<br />

diversités régionales : la construction, tardive mais <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> ampleur, <strong>de</strong>s seigneuries <strong>de</strong>s baroni romains : S.<br />

CAROCCI, Baroni di Roma cit. ; mais le Latium présente d’autres types <strong>de</strong> développement seigneurial : ID.,<br />

Ricerche e fonti sui poteri signorili nel Lazio meridionale nella prima metà <strong>de</strong>l XIII secolo : Villamagna e<br />

Civitella, in Il Sud <strong>de</strong>l Patrimonium Sancti Petri al confine <strong>de</strong>l Regnum nei primi trant’anni <strong>de</strong>l Duecento. Due<br />

realtà a confronto (Atti <strong>de</strong>lle giornate di studio, Ferentino, 28-30 ottobre 1994), Rome 1997, pp. 111-114.<br />

29 On trouve au coeur <strong>de</strong> cette évolution les vassaux conditionnels, libres mais ne jouissant pas <strong>de</strong> tous les<br />

privilèges <strong>de</strong> la coutume féodale, et les masna<strong>de</strong>s, composées <strong>de</strong> ministériaux d’origine servile qu’un serment <strong>de</strong><br />

fidélité (différent <strong>de</strong> celui, collectif, <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> la seigneurie banale) lie personnellement à leur maître : G.<br />

FASOLI, Prestazioni in natura nell’ordinamento economico feudale : feudi ministeriali <strong>de</strong>ll’Italia nord-orientale,<br />

in Storia d’Italia, Annali, 6 : Economia naturale, economia monetaria, Einaudi, Turin 1983, pp. 65-89 ; F.<br />

MENANT, Les écuyers (scutiferi), vassaux paysans d’Italie du Nord au <strong>XIIe</strong> siècle, in Structures féodales et<br />

féodalisme cit., pp. 285-297 (trad. ital. in ID., Lombardia feudale cit., pp. 277-293) ; ID., Campagnes lombar<strong>de</strong>s


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 7<br />

L’évolution du revenu seigneurial, extrêmement variable selon les moyens dont disposent les<br />

seigneurs, a aussi une influence évi<strong>de</strong>nte dans le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l’aristocratie féodale 30 : tel lignage qui<br />

tient en fief la dîme d’un village ou le fodrum, l’impôt royal, peut prospérer grâce à ces revenus<br />

adaptés à l’essor économique et à la multiplication <strong>de</strong>s hommes ; <strong>de</strong> même celui qui, disposant <strong>de</strong><br />

vastes terres vagues, souvent d’origine fiscale, sait tirer profit <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> croissante dont elles font<br />

l’objet. En revanche beaucoup <strong>de</strong> familles <strong>de</strong> la vieille aristocratie féodale, enfermées dans le cadre<br />

<strong>de</strong> prélèvements coutumiers immuables, per<strong>de</strong>nt pied <strong>de</strong>vant les exigences économiques <strong>de</strong> l’époque<br />

communale.<br />

La formalisation <strong>de</strong>s rapports féodo-vassaliques<br />

D’autres leçons <strong>de</strong> ce congrès ont abordé cette question sous tel ou tel aspect, et je serai donc rapi<strong>de</strong><br />

sur ce point. C’est le <strong>XIIe</strong> siècle qui a réalisé la codification <strong>de</strong>s rapports entre seigneur et vassal, dont<br />

les bases avaient été jetées par la loi <strong>de</strong> 1037 et par les commentaires rassemblés dans les<br />

Consuetudines Feudorum. L’affinement <strong>de</strong> la théorie et celui <strong>de</strong> la pratique sont allés <strong>de</strong> pair : nous<br />

voyons la conception <strong>de</strong>s rapports entre seigneur et vassal s’approfondir au fil <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s<br />

consilia, que les comptes-rendus <strong>de</strong>s réunions <strong>de</strong> curiae féodales nous restituent <strong>de</strong> façon très<br />

vivante ; bornons-nous à un exemple : l’appel, en 1148, à <strong>de</strong>s capitanei et <strong>de</strong>s juristes milanais et<br />

brescians parmi les plus connus, pour résoudre un problème <strong>de</strong> fief particulièrement épineux qui<br />

oppose l’évêque <strong>de</strong> Vérone à son chapitre cathédral. 31 . La coutume est, simultanément, commentée<br />

dans les traités rédigés par ces mêmes juristes qui conseillent les curiae : ainsi Obert <strong>de</strong> Orto dans la<br />

célèbre lettre à son fils qui est insérée dans les Consuetudines, puis les romanistes <strong>de</strong> Bologne 32 .<br />

Le parallélisme est remarquable entre cette codification <strong>de</strong>s usages et la diffusion <strong>de</strong> l’écrit dans la<br />

pratique féodale : à partir du milieu du <strong>XIIe</strong> siècle se multiplient les contrats écrits, puis les registres <strong>de</strong><br />

vassaux et <strong>de</strong> fiefs. Je cite seulement, parce qu’il a été récemment publié, le registre <strong>de</strong>s<br />

manifestationes feudorum <strong>de</strong> S. Zeno <strong>de</strong> Vérone, compilé à partir du début du XIIIe siècle 33 . Mais à<br />

l’époque où on commence à le rédiger, ce genre d’écrits existe <strong>de</strong>puis au moins une trentaine<br />

d’années. La mise par écrit du contrat féodal n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel dans la documentation<br />

contemporaine : c’est également dans les <strong>de</strong>rnières décennies du <strong>XIIe</strong> siècle que contrats agraires,<br />

prêts d’argent et toutes sortes d’autres opérations commencent à faire normalement l’objet d’un<br />

enregistrement écrit.<br />

Mais la particularité du contrat féodal, au sein <strong>de</strong> ce mouvement général <strong>de</strong> rédaction, c’est que ces<br />

mises par écrit <strong>de</strong>s obligations, ce croissant souci <strong>de</strong> rédaction et <strong>de</strong> définition <strong>de</strong>s rapports,<br />

correspon<strong>de</strong>nt généralement à un désengagement, à un <strong>de</strong>sserrement <strong>de</strong>s liens entre seigneur et<br />

vassal : un bel exemple <strong>de</strong> cette coïnci<strong>de</strong>nce entre acte écrit et désengagement féodal est constitué<br />

cit., pp. 691-705 ; A. BARBERO, Vassalli, nobili e cavalieri fra città e campagna. Un processo nella diocesi di<br />

Ivrea all’inizio <strong>de</strong>l Duecento, Studi Medievali, s.3a, XXXIII (1992), pp. 619-644 ; P. BRANCOLI BUSDRAGHI,<br />

«Masnada» e « boni homines » come strumento di dominio <strong>de</strong>lle signorie rurali in Toscana (secoli XI-XIII), in<br />

Strutture e trasformazioni cit, pp. 287-342 ; B. CASTIGLIONI, Il feudo condizionale in area veneta tra XII e XIII<br />

secolo : contributo allo studio <strong>de</strong>i rapporti di dipen<strong>de</strong>nza personale, tesi di dottorato di ricerca, Università<br />

Statale di Milano, VI ciclo, 1993-94.<br />

30 Cet aspect, pourtant fondamental, est généralement négligé dans les étu<strong>de</strong>s récentes sur les relations féodovassaliques<br />

; les monographies <strong>de</strong> lignages le prennent en revanche en compte. On peut renvoyer pour un exposé<br />

global du problème à P. CAMMAROSANO, L'economia italiana nell'età <strong>de</strong>i comuni e il "modo feudale di<br />

produzione" : una discussione, Società e Storia, 5 (1979), pp. 495-520 ; quelques notions complémentaires dans<br />

ID.,La situazione economica <strong>de</strong>l Regno d’Italia all’epoca di Fe<strong>de</strong>rico Barbarossa, in Fe<strong>de</strong>rico I Barbarossa e<br />

l’Italia nell’ottocentesimo anniversario <strong>de</strong>lla sua morte (Atti <strong>de</strong>l convegno, Roma, 24-26 maggio 1990), dir. I.<br />

LORI SANFILIPPO, Rome 1992 (Bullettino <strong>de</strong>ll’Istituto Storico Italiano per il Medioevo, 96, 1990), pp. 157-173.<br />

Pour <strong>de</strong>s évaluations globales <strong>de</strong>s ressources d’origine féodale, voir H. KELLER, A<strong>de</strong>lsherrschaft cit.., F.<br />

MENANT, Campagnes lombar<strong>de</strong>s cit..<br />

31 P. CLASSEN, Richterstand und Rechtswissenschaft in italienischen Kommunen <strong>de</strong>s 12. Jahrhun<strong>de</strong>rts, in ID.,<br />

Studium und Gesellschaft im Mittelalter, éd. J. FRIED, Stuttgart 1983, pp. 55-57.<br />

32 Sur l’évolution <strong>de</strong> la coutume féodale, voir en <strong>de</strong>rnier lieu G. GIORDANENGO, Les féodalités <strong>italienne</strong> cit. On<br />

trouvera aussi d’excellentes analyses <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> 1037 et <strong>de</strong> sa réception dans ID., Le droit féodal dans les pays<br />

<strong>de</strong> droit écrit : l’exemple <strong>de</strong> la Provence et du Dauphiné (<strong>XIIe</strong>-début XIVe siècle), Rome 1988, pp. 122-139. La<br />

bibliographie sur le sujet est au <strong>de</strong>meurant considérable, mais ne fournit guère <strong>de</strong> vue d’ensemble. Le <strong>de</strong>rnier<br />

commentaire <strong>de</strong> la législation est celui, purement juridique, <strong>de</strong> R. Del Gratta, Feudum a fi<strong>de</strong>litate. Esperienze<br />

feudali e scienza giuridica dal Medioevo all'età mo<strong>de</strong>rna, Pise, 1994.<br />

33 Il Liber feudorum di S. Zeno di Verona (sec. XIII), éd. F. SCARTOZZONI, introd. G. VARANINI, Padoue 1996.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 8<br />

par les accords d’avouerie qui se multiplient au milieu du siècle : au <strong>XIe</strong> siècle, les évêques<br />

attaquaient les armes à la main les avoués, gonfaloniers ou vidames qui refusaient <strong>de</strong> les servir, et<br />

dont les prérogatives rognaient sérieusement leur autorité sur leurs propres domaines ; au <strong>XIIe</strong>, ils<br />

concluent avec eux <strong>de</strong>s traités qui échangent ces prérogatives contre <strong>de</strong>s revenus monétaires ou un<br />

prix global 34 . Lorsqu’ils ne prennent pas acte d’un tel relâchement <strong>de</strong>s liens, les documents écrits<br />

doivent au contraire favoriser la pérennité <strong>de</strong>s rapports féodo-vassaliques : on voit ainsi <strong>de</strong> très<br />

anciennes emphytéoses se transformer en bénéfice, puis être renouvelées régulièrement à la mort du<br />

titulaire et à celle <strong>de</strong> l’abbé ou <strong>de</strong> l’évêque bailleur.<br />

Les rites se perfectionnent en même temps que se diffuse le contrat écrit. Nous ne croyons plus<br />

aujourd’hui que les actes d’investiture écrits aient remplacé <strong>de</strong>s rites gestuels ou verbaux : en fait<br />

l’investiture féodale du <strong>XIe</strong> siècle semble bien avoir été extrêmement dépouillée, et guère différente<br />

<strong>de</strong> n’importe quelle autre investiture pour laquelle le symbolisme se résume à la transmission d’un<br />

bâton ou d’une charte, ou d’un autre objet passe-partout. Comme le souligne Jacques Le Goff 35 , c’est<br />

au cours du <strong>XIIe</strong> siècle que la cérémonie s’enrichit –parfois mais pas toujours-, la principale addition<br />

étant l’hommage, qui reste cependant peu répandu 36 . Le rite du baiser, dans le cadre italien, est<br />

surtout une marque <strong>de</strong> soumission attachée à l’hommage servile, et non pas un geste qui<br />

manifesterait l’égalité entre seigneur et vassal <strong>de</strong> même origine sociale 37 . Au total le rituel <strong>de</strong> la<br />

vassalité reste assez pauvre, et sa froi<strong>de</strong>ur correspond assez bien aux limitations que présente<br />

l’engagement <strong>de</strong>s vassaux. Cet engagement se concrétise principalement par le service, et c’est <strong>de</strong><br />

celui-ci que traitera le reste <strong>de</strong> mon exposé.<br />

Le fil conducteur <strong>de</strong> ce qui suit sera en effet <strong>de</strong> recenser et d’étudier les fonctions que remplissent les<br />

relations féodo-vassaliques au premier âge communal, entre l’affirmation <strong>de</strong>s nouveaux groupes<br />

dirigeants, à la fin du <strong>XIe</strong> siècle, et la rupture du consensus dans les communes cent ans plus tard. Je<br />

prendrai en compte sous le nom <strong>de</strong> féodalité aussi bien les fidélités personnelles, même faiblement<br />

formalisées (comme celles <strong>de</strong>s paysans armés) que les concessions politiques <strong>de</strong> haut niveau –entre<br />

commune et seigneur châtelain, par exemple- qui sont au contraire entourées d'un appareil formel<br />

développé, mais n’engendrent guère <strong>de</strong> rapports personnels 38 . L’éventail <strong>de</strong>s relations qu’on peut<br />

englober sous le nom <strong>de</strong> féodalité, dans la secon<strong>de</strong> moitié du <strong>XIIe</strong> siècle, est sûrement assez différent<br />

<strong>de</strong> ce qu’il <strong>de</strong>vait être cent ans plus tôt : les groupes sociaux concernés ne sont plus exactement les<br />

mêmes, les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> relations se sont modifiés et précisés, les fonctions du système ont en partie<br />

changé aussi.<br />

Fonction militaire.<br />

Il faut commencer par la fonction militaire, puisqu’en principe elle est à la base du système. Les<br />

concessions <strong>de</strong> fiefs <strong>de</strong>vraient servir avant tout à recruter <strong>de</strong>s cavaliers ; idéalement, ils se réunissent<br />

aux contingents féodaux allemands pour constituer l’armée impériale lorsque le souverain vient en<br />

34 Références : F. MENANT, Campagnes lombar<strong>de</strong>s cit., p. 713 n. 166. De l’exposé <strong>de</strong> J. RIEDMANN, Vescovi e<br />

avvocati, in I poteri temporali <strong>de</strong>i vescovi cit., pp. 7-35,on retiendra surtout <strong>de</strong>s informations sur la marche <strong>de</strong><br />

Vérone.<br />

35 J. LE GOFF, Le rituel symbolique <strong>de</strong> la vassalité, in Simboli e simbologia nell’alto Medioevo, Spolète<br />

1976 (Settimane di studio <strong>de</strong>l Centro italiano di studi sull’alto medioevo, XXIII), pp. 679-788 ; rééd. in<br />

ID., Pour un autre Moyen Age. Temps, travail et culture en Occi<strong>de</strong>nt, Paris 1977, pp. 349-420. Voir<br />

aussi H. Keller, Die Investitur. Ein Beitrag zum Problem <strong>de</strong>r "Staatssymbolik" im Hochmittelalter,<br />

Frühmittelalterliche Studien, 27 (1993), p. 51-86.<br />

36 P.S. LEICHT, L’omaggio feudale in Italia, Rivista di Storia <strong>de</strong>l Diritto Italiano, 26-27 (1953-1954), pp. 57-67 ;<br />

P. BRANCOLI BUSDRAGHI, La formazione storica <strong>de</strong>l feudo lombardo come diritto reale, Milan 1965, pp. 100-<br />

120.<br />

37 Je m’écarte sur ce point <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> J. LE GOFF, Le rituel symbolique cit. ; cfr. F. MENANT, Campagnes<br />

lombar<strong>de</strong>s cit., p. 681 et n. 27. Sur ce rite, voir désormais Y. CARRE, Le baiser sur la bouche au Moyen Age.<br />

Rites, symboles, mentalités, <strong>XIe</strong>-XVe siècle, Paris 1992.<br />

38 Il peut sembler bien artificiel <strong>de</strong> réunir sous une même étiquette « féodale » <strong>de</strong>s situations sociales et <strong>de</strong>s<br />

mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> dépendance aussi différents ; il me semble néanmoins justifié <strong>de</strong> le faire, pour saisir toutes les facettes<br />

d’un rapport personnel qui –en-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> tout formalisme juridique- se veut fondé sur les mêmes principes, d’un<br />

bout à l’autre <strong>de</strong> cette gamme <strong>de</strong> situations extrêmement étendue. Voir comme exemple <strong>de</strong> cette démarche R.<br />

BORDONE, Lo sviluppo <strong>de</strong>lle relazioni personali nell’aristocrazia rurale <strong>de</strong>l regno italico, in Structures féodales<br />

cit., pp. 241-249. Je remercie Sandro Carocci d’avoir attiré mon attention sur ce problème.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 9<br />

Italie 39 . Il est bien clair que ce principe est très loin <strong>de</strong> la réalité dès la fin du <strong>XIe</strong> siècle : d’abord parce<br />

qu’une partie <strong>de</strong>s vassaux <strong>de</strong> l’empereur lui est presque toujours opposée, et c’est justement contre<br />

ces dissi<strong>de</strong>nts que l’armée est le plus souvent rassemblée. Ensuite parce que la concession <strong>de</strong> fiefs<br />

est en fait largement pratiquée dans les rapports entre personnes privées, hors <strong>de</strong> tout lien avec le<br />

service <strong>de</strong> l’empereur. L’armée impériale ne réunit donc qu’une petite partie <strong>de</strong>s vassaux et arrièrevassaux,<br />

sur une base le plus souvent partisane.<br />

Le principe même du service <strong>de</strong>s vassaux reste d’autre part entouré <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> flou, et prête à<br />

<strong>de</strong>s approches contrastées. D’une part, les vassaux nobles ne s’engagent pas à un service précis<br />

lorsqu’ils prêtent serment, et n’énoncent souvent même pas la formule vague du service « tel que le<br />

rend un bon vassal ». Le partage successoral et la vente plus ou moins dissimulée <strong>de</strong>s fiefs auraient<br />

d’autre part, si l’on en croit les constitutions impériales <strong>de</strong> 1136, 1154 et 1158 qui tentent <strong>de</strong> les<br />

endiguer, réduit à néant les potentialités militaires <strong>de</strong> cette énorme machine qu’est la féodalité<br />

relevant du souverain.<br />

Mais il est bien évi<strong>de</strong>nt par ailleurs que les troupes vassaliques constituent <strong>de</strong>s forces militaires<br />

appréciables, qu’on voit à l’oeuvre en particulier pendant les longues luttes entre partisans <strong>de</strong><br />

l’empereur et partisans du pape et <strong>de</strong> la réforme, au <strong>de</strong>rnier quart du <strong>XIe</strong> et au début du <strong>XIIe</strong> siècle .<br />

Donizo célèbre les troupes canossiennes 40 , qui ne sont qu’un exemple <strong>de</strong> ces contingents. Ici et là,<br />

<strong>de</strong>s textes diplomatiques ou narratifs attestent qu’à l’époque où Frédéric Ier monte sur le trône, le<br />

service du roi est encore bien présent à l’esprit <strong>de</strong> certains au moins <strong>de</strong>s vassaux, qui se pressent à<br />

sa suite –poussés il est vrai par l’intérêt ou la haine partisane- lors d’épiso<strong>de</strong>s militaires aussi<br />

éprouvants que les sièges <strong>de</strong> Milan en 1158 et <strong>de</strong> Crema en 1162, ou l’expédition romaine <strong>de</strong> 1167 41 .<br />

Quant aux assemblées <strong>de</strong> Roncaglia, elles ont un aspect assez impressionnant <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> revue<br />

militaire 42 . De cette époque date même une reviviscence du service vassalique : Frédéric Ier en<br />

rappelle en 1158 l’obligation, dans le cadre <strong>de</strong> l’armée royale, et les documents <strong>de</strong> la pratique<br />

contemporains multiplient les procès contre les vassaux qui refusent <strong>de</strong> servir 43 . Mais ces refus <strong>de</strong><br />

service relèvent en bonne partie <strong>de</strong> choix politiques qui s’effectuent au niveau <strong>de</strong>s communes 44 .<br />

Rappelons par ailleurs que les vassaux conditionnels (écuyers) et les masnadiers constituent à<br />

l’époque communale une partie importante <strong>de</strong>s contingents féodaux ; cette cavalerie <strong>de</strong> paysans et <strong>de</strong><br />

petits employés seigneuriaux, astreints à un service lourd, apporte un notable appoint aux contingents<br />

<strong>de</strong> vassaux nobles raréfiés 45 .<br />

La constitution <strong>de</strong>s communes ne transforme pas d’emblée le recrutement <strong>de</strong>s armées : encore dans<br />

les guerres <strong>de</strong> Frédéric Ier, les contingents vassaliques côtoient les troupes communales rangées par<br />

portae et par viciniae. Les étu<strong>de</strong>s d’Aldo Settia sur la sociologie <strong>de</strong>s armées communales 46 laissent<br />

entrevoir ce recrutement composite <strong>de</strong>s armées du <strong>XIIe</strong> siècle, et encore du XIIIe : les fidélités<br />

personnelles sont un <strong>de</strong>s moteurs du service militaire, au même titre que l’obligation civique. Un <strong>de</strong>s<br />

articles <strong>de</strong> Settia met en lumière les rivalités qui peuvent opposer, au sein <strong>de</strong> l’armée communale, la<br />

cavalerie recrutée dans l’aristocratie féodale à l’infanterie populaire. Ces rivalités peuvent aller jusqu’à<br />

l’abandon pur et simple, en pleine bataille, <strong>de</strong>s « camara<strong>de</strong>s » d’origine sociale différente, lorsque<br />

39<br />

Sur ce qui suit, voir surtout G. TABACCO, Gli orientamenti feudali <strong>de</strong>ll’impero in Italia, in Structures féodales<br />

cit., pp. 219-240.<br />

40<br />

A. FALCE, Bonifacio di Canossa padre di Matil<strong>de</strong>, I, Reggio Emilia 1927, pp. 225-226.<br />

41<br />

Voir par exemple G. TABACCO, Il regno italico nei secoli XI-XII, in Ordinamenti militari in Oci<strong>de</strong>nte nell’alto<br />

medioevo, Spolète 1968 (Settimane di studio <strong>de</strong>l Centro italiano di studi sull’alto medioevo, XV), pp. 763-790.<br />

En revanche je n’ai rien tiré sur ce point <strong>de</strong> P. BREZZI, L’esercito feudale e gli eserciti comunali, in Storia <strong>de</strong>lla<br />

società italiana. 6 : La società comunale e il policentrismo, Milan 1986, pp. 140-147.<br />

42<br />

Celle <strong>de</strong> 1154 dans le récit <strong>de</strong> Otton <strong>de</strong> Freising : Ottonis episcopi Frisigensis et Ragewini Gesta Fre<strong>de</strong>rici, éd.<br />

F.-J. SCHMALE, Darmstadt 1965, II, 12.<br />

43<br />

F. MENANT, Campagnes lombar<strong>de</strong>s cit., pp. 690-691. Ces textes se font aussi l’écho <strong>de</strong>s efforts <strong>de</strong> Frédéric<br />

pour imposer l’hommage et surtout la réserve <strong>de</strong> fidélité envers le souverain, qui doivent en principe permettre<br />

d’obtenir plus aisément l’accomplissement du service.<br />

44<br />

Sur la politique impériale en matière féodale, le point <strong>de</strong> départ reste, avec les travaux <strong>de</strong> G. TABACCO cités,<br />

A. HAVERKAMP, Herrschaftsformen <strong>de</strong>r Frühstaufer in Reichsitalien, 2 vol., Stuttgart 1970-1971 ; voir aussi ID.,<br />

Friedrich I. und <strong>de</strong>r hohe italienische A<strong>de</strong>l, in Beiträge zur Geschichte Italiens im 12. Jahrhun<strong>de</strong>rt, Sigmaringen<br />

1971, pp. 53-92 ; G. Tabacco, I rapporti tra Fe<strong>de</strong>rico Barbarossa e l’aristocrazia italiana, in Fe<strong>de</strong>rico I<br />

Barbarossa e l’Italia cit., pp. 61-83.<br />

45<br />

Voir ci-<strong>de</strong>ssus, n. 29.<br />

46<br />

A. A. SETTIA, Comuni in guerra. Armi ed eserciti nell’Italia <strong>de</strong>lle città, Bologne 1993.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 10<br />

l’esprit <strong>de</strong> classe triomphe <strong>de</strong> la solidarité citadine, annonçant ainsi les luttes civiles entre societas<br />

militum et Popolo 47 .<br />

Nous savons par la fameuse réaction indignée d’Otton <strong>de</strong> Freising que, dès le milieu du <strong>XIIe</strong> siècle,<br />

les communes cherchent à corriger cette fracture au sein <strong>de</strong> l’armée par l’adoubement <strong>de</strong> citadins non<br />

nobles, qui forment une cavalerie « populaire » - dans le sens politique du terme 48 . Pour leur<br />

permettre matériellement le coûteux service à cheval, les communes sont amenées à leur concé<strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong>s fiefs, et il n’est pas rare <strong>de</strong> rencontrer à partir <strong>de</strong> cette époque, voire même plus tôt, <strong>de</strong>s vassaux<br />

directs <strong>de</strong> telle ou telle commune urbaine : il peut s’agir <strong>de</strong> citadins auxquels a été donnée en fief une<br />

terre communale –pour constituer la garnison d’un bourg franc par exemple- , ou d’anciens vassaux<br />

<strong>de</strong> seigneurs dont la commune a acheté ou confisqué les biens. Ces chevaliers, ou vassaux,<br />

communaux, ne constituent cependant pas <strong>de</strong>s troupes bien nombreuses, et en tout cas ils ne se<br />

distinguent pas longtemps <strong>de</strong> l’aristocratie qui forme les vieux réseaux vassaliques et fournit le gros<br />

<strong>de</strong> la cavalerie. Au contraire, les nouveaux cavaliers, ou nouveaux vassaux, se mêlent à leurs<br />

commilitones plus anciens au sein <strong>de</strong> la militia, groupe professionnel <strong>de</strong>s combattants à cheval, mais<br />

surtout groupe social et parti politique. La concession <strong>de</strong> fiefs par la commune ne paraît pas constituer<br />

un élément important dans les ressources ni dans le statut <strong>de</strong> ces cavaliers : beaucoup plus<br />

importantes sont les sol<strong>de</strong>s et in<strong>de</strong>mnités <strong>de</strong> toutes sortes (en particulier pour le restor <strong>de</strong>s chevaux<br />

tués) qu’ils reçoivent <strong>de</strong> la commune, ainsi que le butin. La militia ne se constitue donc pas sur une<br />

base féodale, mais sur le partage d’un genre <strong>de</strong> vie et d’une activité militaire semi-professionnelle,<br />

voire <strong>de</strong> la culture juridique, <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> gouvernement, <strong>de</strong> l’exercice du pouvoir seigneurial.<br />

L’appartenance à la hiérarchie féodale est sans doute l’un <strong>de</strong>s facteurs <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité collective,<br />

mais il est loin d’être exclusif 49 .<br />

Fonction politique.<br />

Deuxième fonction majeure du système féodal : la fonction politique. Si l’expression <strong>de</strong> « monarchie<br />

féodale » est discutable pour la France capétienne, l’Angleterre ou le royaume <strong>de</strong> Germanie, elle ne<br />

s’applique en tout cas sûrement pas à l’Italie ; le projet –ou le rêve- en ce sens qu’exprime sans doute<br />

la constitution <strong>de</strong>s fiefs <strong>de</strong> 1037 n’est en tout cas plus d’actualité un siècle plus tard. Le tournant <strong>de</strong>s<br />

<strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong> siècles est précisément le moment où s’efface la possibilité d’édifier, ou <strong>de</strong> maintenir, cet<br />

Etat féodal 50 : les rapports <strong>de</strong> l’empereur avec les communes, même s’ils reprennent formellement<br />

quelques éléments du contrat vassalique et <strong>de</strong> son rituel, ne forment pas, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, les<br />

structures d’une monarchie féodale. Les grands vassaux dont les Canossa étaient l’exemple le plus<br />

parfait sont au <strong>XIIe</strong> siècle trop périphériques dans l’organisation du royaume pour assurer un relais<br />

entre le souverain et les réalités locales 51 . Les évêques, quant à eux, restent formellement vassaux du<br />

souverain auquel ils prêtent serment ; le concordat <strong>de</strong> Worms a même précisé leur place dans l’ordre<br />

féodal, puisqu’on peut désormais considérer qu’ils tiennent <strong>de</strong> l’empire tous leurs biens temporels ;<br />

mais ils n’exercent plus assez <strong>de</strong> pouvoir politique pour assurer la dépendance <strong>de</strong>s villes qu’ils<br />

gouvernaient au <strong>XIe</strong> siècle. Dans l’organisation territoriale <strong>de</strong> la majeure partie du royaume, c’est en<br />

effet le territoire citadin qui tient à peu près la place qu’occupe la principauté (duché, comté,<br />

marche…) en France ou en Allemagne. Or ce territoire, <strong>de</strong> plus en plus contrôlé par les communes,<br />

échappe globalement à la hiérarchie féodale ; et les rapports <strong>de</strong>s communes urbaines avec l’empire<br />

ne rentrent pas eux non plus franchement –pas exclusivement en tout cas- dans le modèle féodovassalique.<br />

Le regnum Italiae n’est donc pas une monarchie féodale, mais l’institution féodale apparaît au temps<br />

<strong>de</strong> Frédéric Ier comme un outil politique, pour lui et pour les autres puissances, à commencer par les<br />

communes. Cet usage <strong>de</strong>s relations féodales n’est, bien entendu, nullement exceptionnel à cette<br />

47<br />

A.A. SETTIA, Fanti e cavalieri in Lombardia (secoli XI-XII), in Comuni in guerra cit., pp. 93-114.<br />

48<br />

Ottonis episcopi … Gesta Fre<strong>de</strong>rici cit., II, 14, p. 308.<br />

49<br />

Comme le suggèrent les travaux en cours <strong>de</strong> Jean-Clau<strong>de</strong> MAIRE VIGUEUR : voir ci-<strong>de</strong>ssous, n. 67. Voir aussi<br />

S. GASPARRI, I « milites » cittadini : studi sulla cavalleria in Italia, Rome 1992 ; R. BORDONE, La società<br />

cittadina <strong>de</strong>l Regno d’Italia. Formazione e sviluppo <strong>de</strong>lle caratteristiche iurbane nei secoli XI e XII, Turin 1987 ;<br />

G. TABACCO, Nobili e cavalieri a Bologna e a Firenze tra XII e XIII secolo, Studi Medievali, s. 3a, XVII (1976),<br />

pp. 41-79.<br />

50<br />

G. TABACCO, Le strutture <strong>de</strong>l regno italico fra XI e XII secolo, in III° Convegno di Studi Matildici (Reggio<br />

Emilia, 7-9 ottobre 1977), Mo<strong>de</strong>na 1978.<br />

51<br />

On peut en voir un reflet dans la rareté <strong>de</strong>s chroniques centrées sur une dynastie princière, qu’on opposera à la<br />

floraison <strong>de</strong> la littérature généalogique en France à la même époque. En Italie, ce sont les chroniques urbaines<br />

qui ont du succès.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 11<br />

époque : bornons-nous à rappeler la façon dont les utilise Philippe Auguste. L’attention portée par<br />

Frédéric Ier au maintien et à la reconstruction (ou à la construction) d’une hiérarchie féodale se traduit<br />

par un ensemble <strong>de</strong> textes, <strong>de</strong>puis les lois <strong>de</strong> 1154 et <strong>de</strong> 1158 jusqu’à l’introduction <strong>de</strong> l’hommage et<br />

à la réserve <strong>de</strong> la fidélité due au souverain 52 . Giovanni Tabacco a bien montré comment Frédéric avait<br />

tenté <strong>de</strong> reprendre le contrôle <strong>de</strong>s droits régaliens, dispersés entre une infinité <strong>de</strong> seigneurs ou <strong>de</strong><br />

simples alleutiers, en posant le principe que leur détention ne pouvait être que l’effet d’une inféodation<br />

concédée par le souverain 53 . La féodalisation <strong>de</strong> certains rapports politiques n’est donc nullement au<br />

<strong>XIIe</strong> siècle l’expression <strong>de</strong> la faiblesse du pouvoir central –empire ou communes selon les cas- ni <strong>de</strong><br />

l’émiettement <strong>de</strong> son autorité, mais elle sert au contraire la reconstruction ou l’extension <strong>de</strong> cette<br />

autorité 54 . L’indice le plus clair en ce sens est la classique cession <strong>de</strong> leur château à la commune par<br />

<strong>de</strong>s consorterie seigneuriales, suivie <strong>de</strong> sa reprise en fief. Ces fiefs <strong>de</strong> reprise sont un <strong>de</strong>s moyens<br />

principaux qu’utilisent beaucoup <strong>de</strong> communes pour s’assurer <strong>de</strong>s forteresses et autres points<br />

stratégiques <strong>de</strong> leur contado.<br />

La féodalité joue ainsi dans l’organisation politique un rôle qui n’est pas négligeable, mais qui n’est<br />

pas non plus exclusif : elle assure le « raccord <strong>de</strong>s pouvoirs » 55 au niveau le plus élevé, parallèlement<br />

à d’autres formes <strong>de</strong> relations politiques utilisées par les empereurs ou les communes pour organiser<br />

leur domination. C’est, je crois, cette « mixité » <strong>de</strong> l’organisation du royaume sous Frédéric Ier qui<br />

ressort <strong>de</strong> la série <strong>de</strong> travaux qui ont approfondi cette question il y a une vingtaine d’années, ceux <strong>de</strong><br />

Giovanni Tabacco et d’Alfred Haverkamp surtout 56 . Malgré l’intérêt qu’il manifeste aux questions<br />

féodales, Frédéric Ier ne semble pas avoir cherché systématiquement à instaurer un Etat féodal, mais<br />

plutôt à jouer <strong>de</strong>s différents moyens <strong>de</strong> domination que lui offraient les institutions et les situations<br />

concrètes 57 : il utilise parallèlement –selon les cas et les lieux 58 - l’administration directe et la<br />

délégation aux communes, essaie une restauration féodale dans le mon<strong>de</strong> aristocratique qui n’avait<br />

pas perdu ses liens avec l’empire, et adapte les institutions féodales aux rapports avec les communes.<br />

La mixité <strong>de</strong>s formes d’organisation.<br />

Cette mixité <strong>de</strong>s formes d’organisation politique et sociale, employant la féodalité parallèlement à<br />

d’autres systèmes <strong>de</strong> relations, semble générale dans l’Italie du <strong>XIIe</strong> siècle, à tous les niveaux : <strong>de</strong>puis<br />

les rapports avec l’empereur jusqu’à une organisation, elle aussi « mixte », <strong>de</strong>s relations personnelles<br />

au fin fond <strong>de</strong>s campagnes 59 , comme dans l’aristocratie où les consorterie familiales, à base en partie<br />

<strong>de</strong> parentés artificielles, offrent <strong>de</strong>s moyens d’alliances parallèles à ceux <strong>de</strong> la féodalité, ou combinés<br />

avec eux 60 . A tous les niveaux, les relations féodales concurrencent d’autres mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> relations et<br />

52 H. APPELT, Der Vorbehalt kaiserlicher Rechte in <strong>de</strong>n Diplomen Friedrichs Barbarossas, Mitteilungen <strong>de</strong>s<br />

Instituts für österreichische Geschichtsforschung, 68 (1960), pp. 80-97 ; A. HAVERKAMP, Herrschaftsformen<br />

cit., pp. 342-348.<br />

53 G. TABACCO, L’allodialità <strong>de</strong>l potere nel Medioevo, Studi Medievali, s. 3a, X (1970), pp. 565-616 ; ID., Alleu<br />

et fief considérés au niveau politique dans le royaume d’Italie (Xe-<strong>XIIe</strong> siècles), Cahiers <strong>de</strong> Civilisation<br />

Médiévale, XXIII (1980), pp. 3-15.<br />

54 G. TABACCO, La costituzione <strong>de</strong>l regno italico al tempo di Fe<strong>de</strong>rico Barbarossa, in Popolo e stato in Italia<br />

nell’età di Fe<strong>de</strong>rico Barbarossa. Alessandria e la Lega Lombarda. (Relazioni e comunicazioni al 33° Congresso<br />

storico subalpino per la celebrazione <strong>de</strong>ll’VIII centenario <strong>de</strong>lla fondazione di Alessandria, 6-9 ottobre 1968),<br />

Turin 1970, pp. 161-177 ; ID., L’ordinamento feudale <strong>de</strong>l potere cit., pp. 98-99 ; H. MITTEIS, Lehnrecht und<br />

Staatsgewalt, Weimar 1933, particulièrement pp. 406-407 ; ID., Der Staat <strong>de</strong>s hohen Mittelalters, Weimar 1955,<br />

particulièrement pp. 272-282.<br />

55 Selon l’expression passée dans l’usage chez les médiévistes italiens.<br />

56 A. HAVERKAMP, Herrschaftsformen <strong>de</strong>r Frühstaufer cit. ; ID., Friedrich I. und <strong>de</strong>r hohe italienische A<strong>de</strong>l cit. ;<br />

parmi les exposés <strong>de</strong> ces idées par G. TABACCO, voir par exemple Egemonie sociali cit., pp. 257-275. Voir aussi<br />

son compte-rendu <strong>de</strong> Herrschaftsformen… dans Studi Medievali, s. 3a, XIV (1973), pp. 226-237. La question<br />

vient d'être reprise par S. HAUSER, Staufische Lehnspolitik am En<strong>de</strong> <strong>de</strong>s 12. Jhdts, 1180-1197, Francfort, 1998.<br />

57 G. TABACCO, La costituzione <strong>de</strong>l regno italico cit.<br />

58 Par exemple <strong>de</strong> façon différente avant et après 1167, ou en imposant l’administration directe en Lombardie<br />

après 1158, mais en Toscane après le traité <strong>de</strong> Constance.<br />

59 Voir par exemple R. BORDONE, Lo sviluppo <strong>de</strong>lle relazioni personali cit.<br />

60 Voir les contributions sur l’Italie au recueil Famille et parenté dans l’Occi<strong>de</strong>nt médiéval (Actes du colloque <strong>de</strong><br />

Paris, 6-8 juin 1974), dir. G. DUBY et J. Le GOFF, Rome 1977 (édition <strong>italienne</strong> <strong>de</strong> ces contributions : Famiglia e<br />

parentela nell’Italia medievale, Bologne 1981), en particulier C. VIOLANTE, Quelques caractéristiques <strong>de</strong>s<br />

structures familiales en Lombardie, Emilie et Toscane aux <strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong> siècles, pp. 87-148 (pp. 19-82 <strong>de</strong> l’éd.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 12<br />

d’autorité, ou se mêlent à elles. Tout en bas <strong>de</strong> l’échelle sociale, la concession <strong>de</strong>s tenures rurales<br />

peut comprendre <strong>de</strong>s clauses <strong>de</strong> fidélité et <strong>de</strong> service armé, combinées avec les re<strong>de</strong>vances<br />

agricoles ; on va ainsi vers la féodalisation d’une partie <strong>de</strong> la société paysanne, qui est un mouvement<br />

diffus entre <strong>XIIe</strong> et XIIIe siècles. Au niveau politique le plus élevé, on trouve un entrelacs d’un autre<br />

genre entre fidélité vassalique et appartenance à une commune urbaine : bien <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s<br />

groupes dirigeants consulaires sont aussi les vassaux d’un ou plusieurs seigneurs –l’évêque, <strong>de</strong>s<br />

monastères, <strong>de</strong>s comtes ou d’autres citadins-. L’insertion du droit féodal dans les gran<strong>de</strong>s sommes du<br />

droit romain, et –à petites doses- dans les statuts urbains n’est que le volet théorique <strong>de</strong> cette<br />

intégration.<br />

Encadrement et ascension sociale.<br />

Quittons maintenant les questions politiques, pour nous tourner vers les implications sociales <strong>de</strong>s<br />

rapports féodo-vassaliques. L’appartenance à une équipe vassalique est sans doute un instrument<br />

d’encadrement social, mais aussi d’ascension sociale . Cette double possibilité joue surtout pour les<br />

petits vassaux : les capitanei et autres seigneurs châtelains peuvent tirer <strong>de</strong> leur lien vassalique avec<br />

un évêque, un comte ou quelque autre puissant seigneur, un accroissement <strong>de</strong> leur puissance et <strong>de</strong><br />

leur fortune, et <strong>de</strong>s possibilités <strong>de</strong> stratégies politiques ; mais nous avons vu que leur seigneur<br />

exerçait sur eux un contrôle très limité, et d’autre part leur position <strong>de</strong> vassal n’est certes pas pour eux<br />

un progrès dans l’échelle sociale.<br />

L’appartenance à une curia vassalique est cependant un atout important pour les membres <strong>de</strong><br />

l’aristocratie urbaine du <strong>XIIe</strong> siècle, quelle que soit leur place exacte dans la société : la cour<br />

épiscopale, celle du comte ou <strong>de</strong>s grands monastères, selon les lieux, constitue un lieu d’influence et<br />

<strong>de</strong> sociabilité essentiel dans bien <strong>de</strong>s villes ; le pouvoir politique s’exerce sans doute désormais dans<br />

le corps consulaire, où se retrouvent d’ailleurs en partie les mêmes personnages. Mais la curia<br />

conserve un certain rôle : c’est là que se perpétuent les solidarités entre les lignages aristocratiques,<br />

scellées par les mariages, les souvenirs <strong>de</strong> combat, et les associations politiques ou financières <strong>de</strong><br />

toutes sortes. La societas militum qui naît à la fin du siècle dans bien <strong>de</strong>s villes est en gran<strong>de</strong> partie<br />

une version <strong>de</strong> la curia politisée et déchirée par les prises <strong>de</strong> parti.<br />

En ce qui concerne les simples milites et surtout les vassaux conditionnels, ils sont à la fois mieux<br />

contrôlés par leur seigneur, et susceptibles <strong>de</strong> s’élever dans la société grâce au service qu’ils lui<br />

prêtent. Le service militaire à cheval reste en effet à l’époque communale un grand moyen <strong>de</strong><br />

promotion sociale et statutaire. Les modalités <strong>de</strong> cette promotion se sont modifiées entre <strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong><br />

siècle : jusqu’à l’édit <strong>de</strong>s fiefs un paysan peut <strong>de</strong>venir miles en entrant dans la hiérarchie féodale et en<br />

accédant à ses privilèges ; après 1037 cela lui est impossible, au moins en théorie, et le service <strong>de</strong>s<br />

armes ne lui ouvre que <strong>de</strong>s catégories inférieures comme celle <strong>de</strong>s écuyers 61 . La charte <strong>de</strong> franchise<br />

<strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> Guastalla, <strong>de</strong> 1102, montre cependant bien que trois quarts <strong>de</strong> siècle après l’édit <strong>de</strong><br />

Conrad II l’accès aux privilèges <strong>de</strong> la noblesse militaire n’est pas entièrement fermé, puisque la charte<br />

élève en bloc au statut <strong>de</strong>s vassaux tous ceux qui auront les moyens d’entretenir un cheval et <strong>de</strong> faire<br />

la guerre, en les séparant <strong>de</strong>s agricolae soumis aux re<strong>de</strong>vances, aux corvées et à la justice<br />

seigneuriale 62 . Une promotion collective analogue est possible en milieu urbain, comme le montre<br />

l’intégration <strong>de</strong>s valvasini milanais aux privilèges <strong>de</strong> l’ordo militum. La frange inférieure <strong>de</strong> la société<br />

aristocratique, que le statut vassalique ai<strong>de</strong> à gar<strong>de</strong>r son rang, ou à changer <strong>de</strong> classe sociale, paraît<br />

extrêmement nombreuse : dès qu’on dispose d’une documentation un peu abondante sur un village<br />

du <strong>XIIe</strong> siècle, on voit pulluler les minuscules domini ou milites qui ont un peu <strong>de</strong> mal à se distinguer<br />

<strong>de</strong>s paysans aisés, et que leur rattachement vassalique à un seigneur ai<strong>de</strong> à ne pas plonger dans la<br />

masse <strong>de</strong>s rustici. Dans bien <strong>de</strong>s communes rurales on les voit apparaître à la fin du <strong>XIIe</strong> siècle en<br />

corps constitué, sous le nom <strong>de</strong> commune militum ou valvassorum, juxtaposé au commune<br />

rusticorum.<br />

<strong>italienne</strong>) ; P. CAMMAROSANO, Aspetti <strong>de</strong>lla struttura familiare nelle città <strong>de</strong>ll’Italia comunale (secoli XII-XIV),<br />

Studi Medievali, s. 3a, XVI (1975), pp. 417-435 ; C. VIOLANTE, Le strutture familiari, parentali e consortili<br />

<strong>de</strong>lle aristocrazie in Toscana durante i secoli X-XII, in I ceti dirigenti in Toscana nell’età precomunale cit., pp.<br />

1-57 ; F. MENANT, Ancêtres et patrimoine. Les systèmes <strong>de</strong> désignation dans l’aristocratie lombar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>XIe</strong>-<br />

<strong>XIIe</strong> siècles, in Nomen et gens. Zur historischen Aussagekraft frühmittelalterlicher Personennamen, dir. D.<br />

GEUENICH, W. HAUBRICHS et J. JARNUT, Berlin 1997, pp. 176-189.<br />

61 H. Keller, A<strong>de</strong>lsherrschaft cit. ; et le compte-rendu <strong>de</strong> F. <strong>Menant</strong>, La société d’ordres en Lombardie. A propos<br />

d’un livre récent, Cahiers <strong>de</strong> Civilisation Médiévale, 26 (1983), pp. 227-237.<br />

62 Ed. L. ASTEGIANO, Co<strong>de</strong>x diplomaticus Cremonae 715-1334, II, Turin 1898, p. 63 n° 27 (1102).


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 13<br />

Pour la plupart <strong>de</strong>s paysans du <strong>XIIe</strong> siècle qui y sont appelés, le service du seigneur, par les armes ou<br />

comme administrateur, ne permet cependant pas <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> statut ; mais il hisse malgré tout ces<br />

ministériaux au sommet <strong>de</strong> la société rurale. Même les non libres que sont les hommes <strong>de</strong> masna<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>viennent, grâce à leur lien personnel avec leur maître, <strong>de</strong>s notables, et parfois <strong>de</strong>s riches. En fait,<br />

selon les cas, le groupe social intermédiaire entre paysannerie et aristocratie se rattache à l’une ou à<br />

l’autre, comme écuyers ou masnadiers, ou comme milites.<br />

Fonction économique<br />

La féodalité me paraît enfin jouer un rôle économique important, encore en plein <strong>XIIe</strong> siècle. Je<br />

rappelle tout d’abord que je distingue bien le prélèvement seigneurial <strong>de</strong>s relations féodales, puisque<br />

beaucoup <strong>de</strong> profits seigneuriaux sont perçus <strong>de</strong> façon allodiale, et que vice versa les fiefs ne<br />

consistent pas forcément en droits seigneuriaux. Ceci étant bien précisé, il me semble que <strong>de</strong>s<br />

revenus très importants transitent, aux <strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong> siècles, par les mains <strong>de</strong>s vassaux <strong>de</strong> tout niveau.<br />

Rappelons d’abord que la concession en fief présente d’amples marges <strong>de</strong> contact avec <strong>de</strong>s contrats<br />

qui à nos yeux pourraient sembler très différents : la mise en gage (fief - gage), l’affermage (fief <strong>de</strong><br />

gastaldat), la sol<strong>de</strong> annuelle (feudum camerae ou fief - rente), sans compter les contrats agraires dans<br />

le cas <strong>de</strong>s paysans - soldats qui doivent à leur seigneur <strong>de</strong>s services à la fois agraires et militaires. La<br />

concession en fief fournit un instrument relativement commo<strong>de</strong>, à une époque qui en manque, pour<br />

<strong>de</strong>s relations que nous pourrions croire purement économiques : la mise en gage d’une seigneurie par<br />

exemple. Dans cette fonction, la concession féodale s’inscrit dans une série <strong>de</strong> modèles <strong>de</strong> relations<br />

qui se succè<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong>puis l’emphytéose ou le livello du Xe siècle, jusqu’à l’affermage domanial pur et<br />

simple du XIIIe. Chaque fois il s’agit pour un puissant seigneur, presque toujours ecclésiastique, <strong>de</strong><br />

s’attirer la bonne volonté ou le service d’un grand laïc a priori hostile, ou <strong>de</strong> lui emprunter <strong>de</strong> l’argent.<br />

Relations politiques et économiques s’entremêlent 63 .<br />

D’autre part le système féodal <strong>de</strong>vient un important réseau <strong>de</strong> redistribution. Il ne permet pas <strong>de</strong>s<br />

prélèvements directs, sinon <strong>de</strong> façon très marginale, à travers les ai<strong>de</strong>s ou ca<strong>de</strong>aux dus par les<br />

vassaux ; mais il distribue <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> prélèvement considérables sous forme <strong>de</strong> fiefs.<br />

Le grand problème, une fois établies ces notions <strong>de</strong> principe, est <strong>de</strong> déterminer quels sont les revenus<br />

concédés, et quelle est leur emprise sur le spectaculaire essor <strong>de</strong> l’économie <strong>italienne</strong> : sont-ils ou<br />

non par exemple limités à <strong>de</strong>s secteurs à la traîne comme les prélèvements fixes en monnaie qui<br />

per<strong>de</strong>nt rapi<strong>de</strong>ment leur valeur ? ou portent-ils surtout sur <strong>de</strong> vieilles terres sans avenir? En fait<br />

certains fiefs sont assis sur <strong>de</strong>s revenus commerciaux importants comme le trafic du Pô ou les péages<br />

<strong>de</strong>s portes et les poids et mesures dans certaines villes 64 . Un bon exemple <strong>de</strong> féodalité immergée<br />

dans le grand commerce est offert par la charte accordée par l’abbesse <strong>de</strong> S. Sisto <strong>de</strong> Plaisance aux<br />

habitants <strong>de</strong> Guastalla en 1102, que nous avons déjà rencontrée : le texte qui instaure, dans ce port<br />

du Pô, une division sociale fondée sur la guerre, fourmille par ailleurs d’indices d’une intense activité<br />

commerciale et monétaire, telle qu’elle encore rare en ce temps. Cette intimité entre féodalité et<br />

économie d’échanges, que la charte <strong>de</strong> Guastalla présente au niveau élémentaire <strong>de</strong> simples<br />

cavaliers, nous la retrouvons à gran<strong>de</strong> échelle ailleurs : les fiefs qui comportent <strong>de</strong>s prélèvements sur<br />

le commerce sont souvent d’anciens biens fiscaux, et d’autres fiefs d’origine fiscale –en montagne par<br />

exemple- comprennent <strong>de</strong>s mines, <strong>de</strong>s pâturages, <strong>de</strong>s forêts qui engendrent d’importants revenus à<br />

partir du <strong>XIe</strong> siècle : ils permettent en effet <strong>de</strong>s prélèvements sur <strong>de</strong>s produits dont l’économie<br />

communale a grand besoin et encourage la production.<br />

Les vassaux ont d’autre part conservé une part non négligeable <strong>de</strong>s prélèvements d’origine<br />

ecclésiastique sur lesquels étaient assis beaucoup <strong>de</strong> fiefs, et que la réforme du <strong>XIe</strong> siècle leur a<br />

laissés : beaucoup <strong>de</strong> dîmes sont partagées entre <strong>de</strong>s vassaux épiscopaux ou abbatiaux, qui n’en<br />

laissent que le quart à l’église locale. Pour les familles qui en disposent, c’est l’assurance d’un revenu<br />

facile à percevoir et in<strong>de</strong>xé sur la production agricole 65 .<br />

63 Sur ces aspects, je me permets <strong>de</strong> renvoyer à F. MENANT, Campagnes lombar<strong>de</strong>s cit., pp. 368-383, 742-765,<br />

772-786. Voir aussi G. RIPPE, « Feudum sine fi<strong>de</strong>litate ». Formes féodales et structures sociales dans la région<br />

<strong>de</strong> Padoue à l’époque <strong>de</strong> la première Commune (1131-1236), Mélanges <strong>de</strong> l’Ecole française <strong>de</strong> Rome. Moyen<br />

Age, 87/1 (1975), pp. 187-239. Le mot feudum, rare ou absent selon les régions jusqu’à la fin du <strong>XIe</strong> siècle,<br />

apparaît d’abord dans ces usages particuliers avant <strong>de</strong> remplacer beneficium. Je rappelle que les utilisations <strong>de</strong>s<br />

clauses empruntées aux contrats féodaux pour <strong>de</strong>s opérations financières complexes sont déjà nombreuses aux<br />

Xe et <strong>XIe</strong> siècles ; cfr. Les travaux <strong>de</strong> C. VIOLANTE et A. SPICCIANI cités ci-<strong>de</strong>ssus, n. 7.<br />

64 Des exemples dans F. MENANT, Campagnes lombar<strong>de</strong>s cit., pp. 736-739.<br />

65 A. CASTAGNETTI, Le <strong>de</strong>cime e i laici, in Storia d’Italia. Annali, 9 cit., pp. 507-530 ; C.E. BOYD, Tithes and<br />

Parishes in Medieval Italy. The Historical Roots of a Mo<strong>de</strong>rn Problem, Ithaca-New-York 1952.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 14<br />

Des sources <strong>de</strong> revenus importantes et en plein essor sont donc tenues en fief ; l’ampleur exacte <strong>de</strong><br />

ce secteur reste cependant à déterminer, car la féodalité n’a presque pas été étudiée sous l’angle<br />

économique. Il faut dire, pour justifier la rareté <strong>de</strong>s travaux, que la documentation reste très discrète à<br />

ce sujet : les sources <strong>de</strong> revenus les plus fructueuses, comme les péages ou les mines, ne donnent<br />

guère lieu à <strong>de</strong>s relevés détaillés comme les productions agricoles ; et, dans les patrimoines <strong>de</strong> ceux<br />

qui les détiennent, les revenus tenus en fief <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s générations se distinguent rarement <strong>de</strong> ceux<br />

qui sont possédés en pleine propriété.<br />

Prélèvement féodal, économie communale, marché urbain.<br />

Cette évocation d’un vaste secteur économique qui relève <strong>de</strong>s concessions féodales nous amène à<br />

abor<strong>de</strong>r un autre problème peu étudié, le rapport entre les prélèvements qui transitent par les mains<br />

<strong>de</strong>s féodaux et l’économie communale, autrement dit le rapport entre ces prélèvements et le marché<br />

urbain. Il me semble d’ailleurs qu’il ne faut pas poser isolément la question <strong>de</strong> savoir où vont les<br />

revenus <strong>de</strong>s fiefs. Il vaut sans doute mieux se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, globalement, quelle est la part dans<br />

l’économie <strong>de</strong> l’époque communale, et tout particulièrement dans le marché urbain, <strong>de</strong>s produits qui<br />

sont prélevés grâce aux concessions <strong>de</strong> longue durée : fiefs, mais aussi affermages, emphytéoses,<br />

gages fonciers…. Sandro Carocci et Paolo Cammarosano ont posé en ce domaine <strong>de</strong> précieux jalons,<br />

en se <strong>de</strong>mandant où allaient les produits du prélèvement seigneurial 66 . Le premier insiste sur<br />

l’importance <strong>de</strong> la flexibilité : le prélèvement perd <strong>de</strong> son efficacité dès lors qu’il ne sait pas s’adapter à<br />

l’évolution <strong>de</strong> la production. 67 Quant à Paolo Cammarosano, il conclut que les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> prélèvement<br />

dont disposent les seigneurs –qu’ils les tiennent en fief ou autrement- sont assez peu efficaces et<br />

laissent aux producteurs (les agriculteurs principalement) une part consistante du profit que dégage<br />

l’essor agricole ; à partir du XIIIe siècle, les nouveaux systèmes d’exploitation, dont le métayage est le<br />

plus connu, permettent au contraire à la ponction effectuée par les maîtres du sol <strong>de</strong> suivre la<br />

progression du revenu paysan. Les seigneurs <strong>de</strong>s <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> siècles seraient en somme assez mal<br />

armés pour profiter <strong>de</strong>s surplus dégagés par l’essor agricole. Remarquons cependant que certains<br />

<strong>de</strong>s prélèvements redistribués par les réseaux féodaux drainent <strong>de</strong>s quantités considérables <strong>de</strong><br />

produits et suivent l’essor <strong>de</strong> la production : je veux parler <strong>de</strong> la dîme, du fodrum lorsqu’il est à<br />

volonté, et <strong>de</strong>s prélèvements lourds en nature qu’ont conservés certains propriétaires, comme le quart<br />

<strong>de</strong>s récoltes et le tiers du vin dans une bonne partie <strong>de</strong> la Lombardie. Ce type <strong>de</strong> prélèvements fournit<br />

sans nul doute une fraction très importante <strong>de</strong> l’approvisionnement <strong>de</strong>s marchés urbains. Il est en<br />

revanche moins sûr que le fer, le cuir et la laine qui passent entre les mains <strong>de</strong>s seigneurs <strong>de</strong>s mines<br />

et <strong>de</strong>s pâturages aient une importance significative dans l’approvisionnement <strong>de</strong> l’artisanat en<br />

matières premières. Il serait en tout cas intéressant (mais bien difficile) <strong>de</strong> savoir dans quelle mesure<br />

l’essor économique <strong>de</strong>s communes a été alimenté par les paysans –qui en auraient donc tiré profit-, et<br />

dans quelle mesure les fournisseurs ont été <strong>de</strong>s intermédiaires, appartenant ou non aux milieux<br />

féodaux, qui disposaient <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> prélèvement sur la production paysanne et en détournaient le<br />

surplus à leur avantage.<br />

____________<br />

Plaçons-nous à la fin du <strong>XIIe</strong> siècle, à l’issue <strong>de</strong> ce trop rapi<strong>de</strong> parcours parmi les expressions<br />

qu’assument les rapports féodaux entre <strong>XIe</strong> et <strong>XIIe</strong> siècle. A ce moment où la constitution communale<br />

connaît sa première gran<strong>de</strong> crise, la féodalité <strong>italienne</strong> peut donner l’impression d’un système en<br />

pleine maturité, à son apogée. Les documents <strong>de</strong> la fin du <strong>XIIe</strong> siècle, rédigés dans un véritable<br />

« style féodal » qui a trouvé son vocabulaire et ses formulations propres, sont beaucoup plus<br />

explicites que ceux du temps <strong>de</strong> l’archevêque Aribert, ou même du temps <strong>de</strong> la comtesse Mathil<strong>de</strong>. La<br />

militia <strong>de</strong> ce temps-là a <strong>de</strong>s allures bien plus caractéristiques que celle <strong>de</strong> l’an mil : elle développe un<br />

style <strong>de</strong> vie aristocratique, qui imprime sa marque à la vie urbaine. Ce style <strong>de</strong> vie inclut l’usage <strong>de</strong> la<br />

violence et d’un sens <strong>de</strong> la justice très élitiste, et comporte toute une culture à base d’épopée, <strong>de</strong><br />

tournois… ; la conscience i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong>s milites va les amener bientôt à se former en un parti politique<br />

où l’on retrouve à peu près tous ceux qui font partie <strong>de</strong>s réseaux féodaux <strong>de</strong> chaque ville. La société<br />

féodale <strong>italienne</strong> semble, au déclin <strong>de</strong> l’époque consulaire, forte et consciente <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité –<br />

davantage même qu’elle ne l’était lorsque la constitution <strong>de</strong>s fiefs l’a reconnue comme un <strong>de</strong>s ordres<br />

<strong>de</strong> la société. L’ascension d’élites nouvelles, celles qui commencent alors à se désigner comme le<br />

Popolo, n’est sans doute pas pour rien, par contrecoup, dans l’intensité <strong>de</strong> ces sentiments collectifs<br />

66 S. CAROCCI, La signoria rurale nel Lazio, in La signoria rurale nel medioevo italiano cit., I, pp. 179-180 ; P.<br />

CAMMAROSANO, L’economia italiana nell’età <strong>de</strong>i comuni cit.<br />

67 S. CAROCCI, La signoria rurale nel Lazio, cit.


Spolète 99 – <strong>Menant</strong>, <strong>Féodalité</strong> <strong>italienne</strong> <strong>XIe</strong>-<strong>XIIe</strong> s. - 15<br />

qu’éprouvent les membres <strong>de</strong> la société féodale. Mais l’appartenance aux curiae vassaliques n’est<br />

que l’une <strong>de</strong>s composantes <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité, qui est faite aussi <strong>de</strong> partage d’une même culture<br />

aristocratique, <strong>de</strong> comportements que le Popolo réprouve, <strong>de</strong> privilèges fiscaux ou judiciaires, et <strong>de</strong><br />

monopole du pouvoir jalousement défendu 68 . Le style <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> l’élite communale <strong>de</strong> la fin du <strong>XIIe</strong><br />

siècle est aristocratique et seigneurial, bien plus qu’il n’est féodal.<br />

La gran<strong>de</strong> machine féodale fonctionne pourtant, avec bien moins <strong>de</strong> heurts sans doute qu’au temps<br />

où la querelle <strong>de</strong>s Investitures et le partage effréné <strong>de</strong>s profits seigneuriaux multipliaient les petites<br />

guerres et les ruptures <strong>de</strong> fidélités. S’il est une époque où la fameuse image <strong>de</strong> la pyrami<strong>de</strong> est moins<br />

inexacte qu’à d’autres, c’est sans doute alors, lorsque empereurs et communes multiplient les<br />

« raccords » - selon le terme consacré- en forme d’investiture <strong>de</strong> fiefs pour harmoniser les pouvoirs<br />

autonomes <strong>de</strong> toutes sortes. Les institutions féodales s’affinent, trouvent leur place dans le droit<br />

savant et dans la pratique écrite quotidienne. Les réseaux <strong>de</strong> fidélités s’éten<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong> nouveaux<br />

groupes sociaux, en particulier dans la paysannerie, et disposent <strong>de</strong> profits supplémentaires à<br />

distribuer. Les relations féodales présentent en somme, dans le royaume d’Italie <strong>de</strong> la fin du <strong>XIIe</strong><br />

siècle, une image prospère, stabilisée, rénovée même par leur diffusion dans <strong>de</strong>s milieux extérieurs à<br />

la vieille aristocratie. L’empereur et les communes les ont érigées en moyen privilégié <strong>de</strong><br />

gouvernement. Poussons un peu le paradoxe : les guerres civiles qui s’annoncent d’un bout à l’autre<br />

<strong>de</strong> l’Italie communale promettent <strong>de</strong> beaux jours aux relations clientélaires, sur le modèle <strong>de</strong> ce qui<br />

s’était passé autour <strong>de</strong> l’an mil ou lors <strong>de</strong> la querelle <strong>de</strong>s Investitures.<br />

Cette impression d’un épanouissement <strong>de</strong> la féodalité <strong>italienne</strong> en plein âge communal est sans doute<br />

cependant trompeuse. Dans la réalité, le temps <strong>de</strong>s fidélités personnelles, récompensées par <strong>de</strong>s<br />

concessions <strong>de</strong> terres ou <strong>de</strong> pouvoir, semble bien avoir vers la fin du <strong>XIIe</strong> siècle passé son apogée et<br />

perdu sa vigueur juvénile. Il y a peut-être bien, formellement, davantage <strong>de</strong> fiefs et <strong>de</strong> vassaux vers<br />

1200 que vers 1050 ; leurs <strong>de</strong>voirs sont infiniment mieux réglementés, et les rapports politiques se<br />

coulent couramment dans le formulaire <strong>de</strong>s concessions féodales. Mais l’essentiel est désormais<br />

ailleurs, au moins dans la plus gran<strong>de</strong> partie du royaume : le pouvoir s’exerce au sein <strong>de</strong>s conseils<br />

citadins 69 , les armées sont levées par les communes pour <strong>de</strong>s guerres qu’elles ont seules décidées, et<br />

les canaux par lesquels circule la richesse sont <strong>de</strong> plus en plus l’impôt communal, le prélèvement <strong>de</strong>s<br />

propriétaires du sol (et non plus celui <strong>de</strong>s seigneurs), et le prêt à intérêt. Les hommes qui dirigent et<br />

exploitent ces réseaux <strong>de</strong> pouvoir et <strong>de</strong> profit sont en gran<strong>de</strong> partie ceux-là même qui constituent les<br />

curiae vassaliques. Mais la féodalité n’est sans doute plus dans le royaume d’Italie, à la fin du règne<br />

<strong>de</strong> Frédéric Ier ou au début <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Frédéric II, le principal système d’organisation politique et<br />

sociale, ni le principal réseau <strong>de</strong> redistribution <strong>de</strong>s prélèvements. Vingt-cinq ans <strong>de</strong> travaux menés par<br />

un groupe nombreux <strong>de</strong> chercheurs me paraissent en somme avoir abouti globalement (et un peu<br />

paradoxalement) à la confirmation <strong>de</strong> la vieille idée que la féodalité est à son apogée au <strong>XIe</strong> siècle en<br />

tant que système <strong>de</strong> gouvernement. L’époque suivante est bien celle <strong>de</strong>s communes et non plus <strong>de</strong><br />

l’organisation féodale 70 .<br />

68 Ces réflexions doivent beaucoup à Jean-Clau<strong>de</strong> Maire Vigueur, qui prépare un livre sur ces thèmes et en a<br />

donné un aperçu lors d’une série <strong>de</strong> séminaires et <strong>de</strong> conférences tenus à Paris en 1998 ; on en trouvera quelques<br />

éléments dans J.-C. MAIRE VIGUEUR, Gli « iudices » nelle città comunali : i<strong>de</strong>ntità culturale ed esperienze<br />

politiche, in Fe<strong>de</strong>rico II e le città italiane, dir. P. TOUBERT et A. PARAVICINI BAGLIANI, Palerme 1994, pp. 161-<br />

176. Sur les éléments qui contribuent à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> ce groupe social, voir aussi G. TABACCO, Nobiltà e potere<br />

ad Arezzo in età comunale, Studi Medievali, s. 3a, XV (1974), pp. 1-24 ; S. GASPARRI, I « milites » cittadini cit.,<br />

et la discussion <strong>de</strong> H. KELLER, Signori e vassalli cit., p. XXVI.<br />

69 Mais voir <strong>de</strong> beaux exemples <strong>de</strong> persistance du pouvoir politique exercé par les curiae épiscopales dans P.<br />

CAMMAROSANO, Italia medievale. Struttura e geografia <strong>de</strong>lle fonti scritte, Rome 1991, pp. 129-131.<br />

70 Ce point <strong>de</strong> vue lapidaire <strong>de</strong>vrait évi<strong>de</strong>mment être nuancé <strong>de</strong> multiples façons : comme le remarque J.-C.<br />

Maire Vigueur dans la discussion ci-<strong>de</strong>ssous, il convient surtout aux communes padanes et toscanes. Dans<br />

d’immenses régions périphériques à ces <strong>de</strong>ux pôles <strong>de</strong> la culture politique communale, du Piémont au Frioul, du<br />

Latium et et <strong>de</strong> l’Ombrie à la Vénétie et à la Romagne, subsistent et se développent <strong>de</strong>s dominations féodales<br />

plus ou moins caractérisées et plus ou moins appuyées sur la militarisation <strong>de</strong> fractions <strong>de</strong> la paysannerie. A<br />

l’intérieur même <strong>de</strong>s territoires <strong>de</strong>s cités communales, on trouve <strong>de</strong>s îlots autonomes qui présentent <strong>de</strong>s traits<br />

analogues. D’une certaine façon, la « reféodalisation » qui commence au XIVe siècle (voir ci-<strong>de</strong>ssus, n. 12) ne<br />

fera qu’étendre et renforcer ce modèle <strong>de</strong> rapports socio-politiques. Il resterait à définir ce qu’il y a <strong>de</strong><br />

précisément « féodal » dans le pouvoir <strong>de</strong>s seigneurs du XIIIe siècle, et ce qui relève d’autres formes <strong>de</strong><br />

domination comme les droits seigneuriaux, la propriété foncière, le prêt à intérêt, le contrôle <strong>de</strong>s églises ou <strong>de</strong>s<br />

communes rurales, ou l’appropriation par divers moyens <strong>de</strong> fractions <strong>de</strong> l’autorité communale.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!