une cascade dans le marais - Parc naturel régional des Caps et ...

PARC NATUREL RÉGIONAL DES CAPS ET MARAIS D'OPALE
Parcelles de marais,
parcelles de mémoire
Union européenne - Fonds Européen de Développement Régional
Europese Unie - Europees Fonds voor Regionale Ontwikkeling

Eperlecques
Houlle
Moulle
Watten
Serques
Tilques
Longuenesse
Salperwick
1
Saint-Martin-au-Laërt
5
Saint-Momelin
Nieurlet
2
6
7
14
8
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Saint-Omer
9
10
11
3
16
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Clairmarais
Clairmarais
4
13
Noordpeene
Arques

Le marais audomarois
2010
Rivières, quartiers et rues cités dans le texte
1
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Le Grand Large
Le Ketestrom
Le Zieux
La Grande Meer
Le Tourniquet
La Houtte
Le Doulac
Lederzeele
Les Iles Flottantes
Le Cordier
Le Romelaëre
Le Moulin Rouge
L'étang de Malhôve
Rue des Faiseurs de Bâteaux / Faubourg du Haut-Pont
Rue de la Poissonnerie / Rue des Maraîchers
Route de Clairmarais / Faubourg de Lyzel
1

2
Enfants se rendant à l'école en bacôve

Les légendes populaires perdurent dans l’Audomarois… Malheur
aux enfants imprudents, trop enclins à jouer sur les rives défendues
de l’Aa ou des canaux du marais ! La Marie Groëtte,
sorcière du marais, les saisirait de son crochet (groët, un crochet
à fumier à trois ou quatre dents recourbées) et les entraînerait
parmi les roseaux et la vase jusqu’en son antre humide. Combien
d’enfants par le passé ont entendu leurs parents répéter en
patois : « Marie Groëtte saque les éfants au fond de l’iau aveucque
sin groët qu’elle a toudis din s’main ! »
"Ils nous ont fait peur avec ça ! Oui ! Mais on y croit un petit
moment et puis après on n'y croit plus, on y croit vraiment que
tout petit." Léa Bafcop
"Mais elle n’existe pas ! Moi, je le sais de bonne part, parce que
mon frère est tombé dans l’eau, il est arrivé tout trempé et il a
dit : « tu sais maman, Marie Groëtte n’existe pas, je suis tombé
dans l’eau je ne l’ai pas vue, donc elle n’existe pas ! ». Un copain
lui avait dit « si tu tombes dans l’eau, tu tapes du pied dans le
fond, tu vas remonter. ». Il est tombé dans l’eau,
il n’a pas vu Marie Groëtte, il a tapé du pied et il
est remonté."
Odile Westeel
Le secteur des Iles
Flottantes est nommé ainsi
car l’histoire rapporte qu’autrefois,
plusieurs îles composées par des amas
de végétaux se déplaçaient lentement sur
l’eau. On dit que Louis XIV lui-même est venu
admirer les îles flottantes et que les habitants
du marais pouvaient faire voyager ces nobles
personnes en attachant une île à une corde que l’on
tirait depuis la berge.
"[…] C’est là aussi que le Roi Louis XIV est allé visiter le
marais. Ensuite ses flottants ils ont pris racines et ils se
sont effondrés. Puis il y a eu des remises de terrain dessus.
Moi, je ne les ai pas connus parce que là on parle de Louis
XIV. Je ne pense pas que ça soit une légende le fait que l’on
dise qu’il y avait des îles flottantes, non. Ça devait exister
parce que je vous cite un petit exemple : ce sont des joncs,
des racines, des débris qui font que vous êtes sur un
flottant. Si par exemple vous passez à travers, parce que
vous pouvez passer à travers, et bien vous vous trouvez
dans une eau qui est excessivement glacée en dessous.
Mais si, les flottants ça existe ! Ça existait dans ce
secteur-là d’ailleurs le mot est resté : secteur des Iles
Flottantes, on l’a remis en vigueur avec le remembrement,
les aménagements."
Jacques Berteloot
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6
Autrefois, tout se faisait à la main : cultures, semis et entretien des
terres. Le métier était très pénible pour les « brouckaillers ».
On bêchait encore les parcelles à la main car le niveau de mécanisation
ou de motorisation était très faible.
La herse :
que deux ou trois personnes, hommes ou femmes,
tiraient avec une corde. Elle permet, en brisant les
La machine à braquer : avec cet outil, encore appelé
« poussante », le maraîcher peut nettoyer entre les

La rasette : appelée aussi « braquette », cet
servait à couper les mauvaises herbes entre
Le rouleau : cylindre de bois, de
pour le tirer. Aplanir et
tasser la terre ou briser
les mottes sont les principales
fonctions de cet outil. Le
rouleau était souvent tiré par le
maraîcher et sa femme.
Le plantoir :
pointe acérée pour pénétrer la terre, creuser un trou pour
la mise en place de plants.
La machine à semis :-
planter en terre.
Le rateau traceur :
outil permettant
de réaliser un
pour planter
les choux-fleurs
à bonne distance
les uns
des autres.
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Couple de maraîchers tirant une herse
8
Longtemps, les maraîchers ont rentabilisé au maximum leurs terres en
produisant eux-mêmes semences et plants, en intercalant poireaux, céleris,
pommes de terre et endives du pays entre les rangs de choux-fleurs
et effectuant deux récoltes (chou-fleur précoce et tardif, méthode encore
-
système hydraulique et la mise en valeur intensive du marais et, plus
Cette culture en intercalaire de deux légumes permit de combiner deux
récoltes sur une lègre mais aussi de freiner les attaques parasitaires ou
semenciers industriels ne nécessitent plus la phase de semis et de mise
-
La majeure partie des exploitations sont spécialisées : chou-fleur en été
Couple de maraîchers devant leur châssis

vendu sur le marché soit bien blanc ! Aussi, dans les champs quelques
-
tés
locales anciennes :
les plants de choux-fleurs dans des petits pots en argile, un par un, dans
-
larves produisent une sécrétion qui dégrade les cellules végétales du
Cette maladie est aussi appelée
Culture sous châssis :
vue en coupe
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Quelques variétés anciennes,
un peu oubliées pour
céder aux lois du marché,
continuent néanmoins à
être cultivées par
quelques maraîchers et
retrouvent leur place
auprès des consommateurs.
La culture de
la carotte de
Tilques
développée sur
des terres
argilo-limoneuses
à la fin du
19 ème et a connu son
apogée dans les années
carotte très rustique,
très odorante, de gros
calibre, avec un cœur
tendre et sucré, garnie
dont la racine mesure de
20 à 30 cm de long. On la
conserve avec sa terre en
silo, recouverte de
paille.
vert de Laon a
été introduit
par la Société
de Saint-Omer en
1856 dans le
marais audoma-
très bien
adapté. Depuis
est multiplié par œille-
prélevant des plants du
pied-mère.
Cet artichaut a une
pomme éclatée, aux
écailles bien charnues
et teintées de violet à
la base. Il possède une
saveur fine et délicate.
On le conserve dans un
endroit frais et humide
pendant quatre à cinq
jours.
Le poireau Leblond est
une variété importée des
née
par Elie Leblond en
1930. Ce poireau résiste
au gel, aux températures
hivernales. De plus, il
est peu sensible aux
maladies et aux inondations.
Il a connu ses
heures de gloire
dans le
marais parce que tout se
mange dans ce légume
qui est particulièrement
apprécié pour sa texture
très tendre et non
filandreuse.
Le cresson demande pour
croître une eau pure et
vive. Cette eau est
nourrie par des « puits
artésiens » (nom donné
spontanément en
surface). Cultivé
dès le 19 ème , le
développé à Tilques
et Serques mais
aussi à Saint-
Martin-au-Laërt au
début du 20 ème .
On le sème de mai à
juillet
dans des
parcelles
nivelées et entourées de
le niveau au fur et à
mesure de la croissance.
Après six semaines, a
lieu une première coupe
pour supprimer la mise en
fleurs puis vient une
seconde coupe une dizaine
de jours plus tard. Plus
dru, le cresson peut
alors être commercialisé.
La période de production
avril, mais certains
producteurs en produisent

La culture de l'endive et du chou-fleur sont les plus importantes.
En 2009, la SIPEMA a produit près de 5 millions de
têtes de choux-fleurs et 3400 tonnes d'endives.
En parallèle de ces grosses productions, d'autres légumes
tés
anciennes subsistent, parfois accompagnés de labels, comme
la Marque Parc qui signe la garantie d'un mode de production
traditionnel : carotte de Tilques, artichaut Gros Vert de Laon
et endives de pleine terre.
En plus des légumes (choux-fleurs, endives, poireaux, artichauts,
salades, etc.), les agriculteurs plantaient parfois des
betteraves sucrières, ou quelques céréales, surtout de
rir
le bétail, les porcs, les lapins et les volailles et pour
faire le pain. Certains moulins édifiés dans le marais, comme
le moulin ruiné ou le moulin Lambert, servaient surtout à pomper
les eaux mais aussi parfois à moudre le grain.
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Déchargement des choux-fleurs gare de Saint-Omer
Carte d'expédition
des choux-fleurs audomarois en 1939

Le marché au cadran
La vente directe représente moins de 1% de la commercialisation
des légumes. Les légumes sont essentiellement vendus au marché
au cadran par enchères dégressives depuis 1973.
très rapide a remplacé un mode de vente où les maraîchers dépen
leurs légumes, le négociant les vendant et les dédommageant
plusieurs semaines plus tard.
au cadran par Internet sans se déplacer.
Le cadran
Pupitre d'achat
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Il reste quarante six
familles de maraîchers
se partageant
437 hectares de
terre.
On dénombre soixante
cinq éleveurs gérant
1100 hectares de
prairie.
Chiffres 2009 15

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Tirer la vase à la baguernette
une construction humaine. Les terres ont
depuis le 7 ème siècle sous la conduite des
ème
au 20 ème , les « brouckaillers » ont aménagé,
assaini et mis en valeur le marais en
réhaussant, en enrichissant des terres, en
creusant des « watergangs », en améliorant
le réseau fluvial et son entretien, en
luttant contre les inondations périodiques.
peut être perturbé à tout moment. Tout
doit être entretenu pour maintenir le
ses atouts touristiques.
Qui prend en charge les différents réseaux
Trois réseaux coexistent :
- le canal, géré par les VNF (Voies Navigables
de France),
- les rivières wateringuées entretenues par
la 7 ème section des Wateringues,
- les watergangs, gérés par leurs propriétaires.
la Houlle, qui terminent leur course dans
les ports. Ils assurent la circulation et
la navigation des péniches en maintenant un
dans les ports par tirage à marée basse ou
pompage à marée haute.
wateringues permet la
eaux à la mer. La 7 ème section des Waterin-
gues cure et drague, avec des pelles méca-
dont les grosses artères : le Grand Large
Les boues, les sédiments sont déposés sur
faucarde
algues situées dans le lit des rivières,
avec la Limnée, un bateau-faucardeur (du
Les propriétaires de terrains dans le
marais ont eux aussi une obligation
riverains pour permettre le bon fonctionne-

Le trousspa
extraire la tourbe, la grèpe était utilisée
soit depuis la berge, soit depuis le
bacôve, suivant la largeur et la profon-
grand manche en bois de 5 m de long environ,
muni de cale-pieds pour prendre appui
tranchant métallique pour retirer les
matières solides épandues ensuite sur les
et même 80 de tourbe ou de vase.
Le grèpeur avait une technique et un
entamée. Un travail harassant effectué
La tourbe, combustible peu efficace mais
peu coûteux, a été extraite à la grèpe
dans de nombreux secteurs du marais,
ère et la 2 ème
guerre mondiale, pour le chauffage des
ème siècle, elle a été
ouest, les extractions ont souvent été
au Romelaëre, les gisements exploités
ème , laissent place à
La baguernette, composée d'un
filet relié à un long manche par
un cerceau métallique
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Extraction de la tourbe à la grèpe
1 2 3
La grèpe
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Le stoploss ou
piège américain,
interdit aujourd'hui
Le conibear ou
piège en X, piège utilisé
de nos jours
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Gérard Colin a été le dernier charpentier à avoir fabriqué bacôves et escutes
relève. Il crée ou répare des bacôves et escutes en utilisant comme auparavant,
le chêne de Clairmarais, des clous de fer forgé, du goudron de Norvège
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Pic arrière, souvent coupé pour y
placer le moteur, de nos jours
Escute
Dromelot
Wrang :
le nombre
de wrangs
indique
la taille
du bateau
Plat bord

Bacôve en coupe latéral
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Vue avant le creusement du canal - Grande Cléminghe
Vue après le creusement du canal
Grande Cléminghe (après Guerre)

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-
-
-
-
-
Section H
du marais de Lyzel
avant remembrement

Section H du marais de Lyzel
après remembrement :
création de chemins
pour désenclaver le marais
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Le cortège nautique

Joute nautique
Mariage sur l'eau
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ducasses
-
-

La hutte d'acajou
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Le programme "Dans le sillon des artistes" du
Parc naturel régional des Caps et Marais d'Opale permet de
sensibiliser des habitants à leur patrimoine de proximité en utilisant l'art.
Les pages suivantes sont l'aboutissement d'un travail réalisé par la classe de Seconde Nord-Sud
du Lycée Blaise Pascal et par le cours de dessin de l'Ecole des Beaux-Arts de Saint-Omer. Tout au long
de l'année, ils ont découvert le marais audomarois, son milieu, mais aussi ses habitants, grâce aux témoignages
qui ont composé le corps des pages précédentes.
Les lycéens ont écrit 6 nouvelles, certaines drôles, d'autres graves, imagées, certes, mais prenant racine dans le vécu des
personnes enquêtées. Elles sont un éclairage intéressant de cette "vie d'avant" qu'ils ont découverte. Les élèves des Beaux-
Arts ont illustré ces nouvelles en jouant le jeu du professionnel de l'illustration.
Le résultat est plein de contrastes et présente encore le territoire du marais audomarois comme un terrain de jeux, d'histoires, de
morceaux de vie et parfois de légendes irrésolues !
Elèves de seconde du Lycée Blaise Pascal :
Audrey Blanquart, Maxime Bocquet , Pierre Boubault, Valentin Bourbiaux, Marion Ciurlick, Juliette Coche, Laurie Deram, Pauline
Dumainil, Alexis Dufour, Valentin Dufour, Tenessee Evrard, Antonin Foucaut, Sébastien Grehl, Paul Lasagesse, Camille Lardeur,
Aurélie Legrain, Ludovic Leleu, Gwendal Libessart, Marie Lombard, Marie Louchart, Florent Mequignon, Florian Rochet, Valentin
Rys, Alexis Ryckelynck, Amandine Vankammelbecke, Anne-Sophie Viart et Danielle Wilcox.
Elèves des Beaux-Arts de Saint-Omer :
Viviane Bailly, Isabelle Dirand, Albane Lacroix, Jeanne Laureau, Mathilde Motte, Adrien Pouille, Rémy Sorrant,
Léontine Thilliez.
Les noms cités dans les nouvelles ci-après sont issus de l'imagination des élèves.
Un livret a été réalisé en 2008, avec la même dynamique sur le jeu de quilles
boulonnaises : "Roule le boule, frappe les quilles. La passion des quilles
dans le canton de Desvres".
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A MAURICE
Où suis-je ? Où vais-je ? Que vais-je faire ? Je ne sais pas. Je veux juste
sauver Maurice. Je cours. Ils me suivent. Ils sont juste derrière moi. Je vais
tout vous raconter.
Je m’appelle Jean Flandrin,
j’ai huit ans et demi. Je suis chez
mes grands-parents depuis une
semaine. Aujourd’hui, mercredi,
toutes les familles de la route
de Clairmarais se réunissent
chez mes grands-parents pour
la série. Nous la faisons
aujourd’hui car demain, jeudi, il
n’y a pas école. Les femmes
tricotent, parlent, les hommes
jouent aux cartes, battent le
carton, celui qui perd donne
de l’argent et quand il y a dix
francs, une famille organise la tripée. Cette fois-ci, ce sont mes grands-parents qui la
préparent. Celui que je préfére chez Papy et Mamie, c’est Maurice. Oh la là ! Ce
Maurice, c’est un sacré personnage ! Comment vous expliquer notre amitié ?
Comment vous expliquer notre admiration mutuelle ? Comment vous
expliquer notre complicité ? J’aime le regarder s ‘amuser. J’aime lui
donner à manger. J’aime le chouchouter…
J’étais entrain de jouer dans la cour lorsque Mamie m’a dit : « Il
faudrait peut-être que tu doubles la ration de Maurice !! ». Etonné, je
suis parti, sans rien dire, voir mon copain, mon ami, mon compagnon,
mon protégé. « Pourquoi Mamie me demande-t-elle de te donner
plus à manger ? Tu as faim ? Je ne te nourris pas assez ? Dis-moi
tout ». Maurice rigole, comme un cochon. Je
pars avec Papy ramasser du bois
pour le feu de la veillée et installer
les bancs sur lesquels nous
allons nous asseoir. Puis nous
allons chercher Maurice
pour une promenade en
NOUVELLES INVENTÉES
forêt. Papy m’explique qu’à la tripée, les cochons sont tués et qu’on enlève les
tripes pour les manger le jour de la série. Alors, soudain, je réalise. Stupéfait, pétrifié,
horrifié, je reste bouche bée et me sauve, entraînant derrière moi mon fidèle copain.
Papy n’a pas compris. Il me laisse poursuivre ma route croyant probablement
que je retourne à la ferme...
Nous avons couru comme
des lapins –un comble
quand on y pense- jusqu’à
ce que Maurice, trop essoufflé
pour continuer, s’arrête.
Nous ne sommes pas loin de
la ferme. Je cours chercher
une brouette pour transporter
Maurice comme je le
faisais avec Mamie Lucie.
Quelques minutes plus tard
je reviens, j’aide Maurice à
monter, mais Maurice est
lourd, gros, énorme. Ça y est, j’y suis arrivé. Comme c’est dur de pousser cette
brouette ! J’avance mais je trébuche, les roues s’embourbent, s’enlisent. Je
pousse encore, puis je tire. Héroïquement, je continue mon chemin…
Pendant ce temps, je ne l’apprendrai que plus tard, mon grand-père
est déjà revenu à la ferme et, étonné de ne pas m’y trouver,
comprend ce qui se passe dans ma petite tête d’enfant
perdu. J’entends mes grands-parents hurler « Jean, reviens !
Marie Groëtte va t’attraper ! Reviens, petit Jean ! ». Je ne
crois plus à cette histoire de Marie Groëtte. Non, je ne suis
pas petit ! Il n’y a plus de petit Jean. A l ‘école, tous mes
copains m’ont dit que cette histoire de Marie Groëtte
n’était qu’une simple légende ! Je continue à m’enfuir.
Maurice et moi commençons à avoir faim. Heureusement,
j’ai un peu de nourriture sur moi. Nous nous reposons sur
une souche pour manger mes quelques gaufres à la cassonade.
Cette pause est de courte durée. Nous reprenons la
route, sans vraiment savoir vers quoi nous allons. J’ai aban-

donné la brouette. Trop lourde, trop mal aux mains, à
en avoir des cloques. Maurice trotte maintenant à
mes côtés. J’aperçois, au loin, des nuages orageux
puis le tonnerre gronde. Trouver un abri avant la
tombée de la nuit. Vite. Je pense soudain aux livres
que je lis. Ces romans pleins de héros, d’aventures,
d’exploits… Me voilà Ivanhoé, Arthur et Ulysse à la fois.
En guise de refuge, une cabane abandonnée s’offre
à moi ; dans cette cabane, un tapis de feuilles nous
servira de litière. Je m’endors tandis qu’à mes côtés,
Maurice me veille...
Quand je me réveille le lendemain, je me retrouve
dans mon lit. Je cherche après Maurice. Il n’est plus là.
Je me lève, dévale les escaliers, cours jusqu'à son
enclos. Pas là non plus. Dans le jardin ? Rien ; dans la
cuisine ? Encore moins. Et soudain, dans la
brume, j’aperçois sur le canal s’éloigner
Maurice sur un bacôve...
Mamie tente de
me consoler. Elle me
dit que les enfants
ne peuvent pas être
amis avec des êtres
comme Maurice.
Pour me distraire de
mon chagrin, Mamie
et Papy me proposent
de travailler
pour la tripée du soir.
Durant les préparatifs,
Maurice n’est
pas sorti de ma tête.
Il me manque
tellement… Lors de
la veillée, tout le
monde est
joyeux, chante, rit, boit. Moi, je suis seul, avec
Maurice dans la tête. Tout le monde danse et
parle, et parle et danse. Maurice est parti.
Jusqu’à la fin de mon séjour, je ne trouve
plus d’amis pour jouer avec moi, ma
seule occupation, c’est d’aider Mamie à
préparer le cortège nautique du
Haut-Pont. Il est très beau ce cortège,
souvent il y a un cortège le jour et un la
nuit !! Moi je préfère celui de la nuit car il
y a plus de lumières et j’aime les formes
qui se dessinent à la surface de l’eau.
J’aide aussi Mamie à préparer la
traditionnelle tripsop. J’adore ça.
Pendant ce temps, Papy est enfermé
dans le garage, il m’interdit d’y entrer. Il
me fait sûrement la tête. Ça me rend
triste. Mais j’aide quand même en plus de
Mamie, les voisins qui font un joli char. C’est un char
décoré de fleurs qui montrent enfin un beau visage
de Marie Groëtte. Papy n’a jamais voulu que je
vienne dans le garage...
Le jour du cortège, je me suis retrouvé aux premières
loges, tout content finalement de faire la fête
avec toute la famille, les amis, les voisins. Je parlais
avec Mamie quand Papy m’a saisi par la taille et
m’a dit de regarder le spectacle. Et là, soudain,
quelle surprise ! Maurice a surgi de nulle part, il
trônait sur son char, plus beau, plus grand, plus rose
que jamais ! Papy m’a glissé à l’oreille : « Voilà,
Jeannot, tu vois, Maurice est revenu… » et il
m’a fait un clin d’œil. J’ai serré très fort sa
main. Papy a longtemps gardé le char
dans le garage et Maurice est
longtemps resté près de moi.
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40
L'OMBRE DE MARIE GROËTTE
« Non, ne te penche pas en avant ! Marie Groëtte va t'attraper ! » Cette phrase, je
m'en souviens comme si c'était hier. C'était la phrase favorite de ma mère quand
nous approchions un peu trop des watergangs. Maman tomba d'ailleurs malade lors
de mes dix ans. Nous habitions à Clairmarais, dans une petite maison isolée au milieu
du marais audomarois, et à cette époque, nous n'avions pas accès au téléphone
ni à l'électricité. Josiane, ma mère, était malade depuis six mois mais son cas
vint à s'aggraver soudainement un jour pluvieux et maussade d'automne.
Je suis donc parti, avec mes deux frères, Lucien et André, suivis de notre
chien Norbert à la recherche du médecin du village. En montant
dans le bacôve, notre père nous recommanda vivement de ne pas
nous pencher au-dessus de l'eau car autrement, Marie Groëtte
NOUVELLES INVENTÉES
allait nous attraper et nous manger. Il nous équipa ensuite d'une lampe à huile et de
couvertures : la fraîcheur du soir tombait. Nous partîmes enfin.
Après quelques minutes qui nous semblèrent interminables, le soleil couchant
laissa place aux nuages éclaircis par la pleine lune. Soudain Norbert aboya inexplicablement
en direction de l'eau, on sentait sa nervosité et son angoisse. L'eau se
troubla et une brume légère recouvrit les flots. En passant la main à la surface, je
sentis quelque chose m'effleurer ; je ne savais pas ce que c'était ; un nénuphar, un
poisson, un Rat musqué, peut-être pire encore... Norbert se jeta alors à l'eau. Lucien
se précipita pour rattraper la laisse, la tira et vit avec stupéfaction le collier déchiqueté
de notre chien. Après plusieurs appels sans réponse, désespérés, nous comprîmes
qu'il avait été attrapé et englouti sous les eaux par Marie Groëtte. Il avait été
piégé comme un rat. Plus rien n'était possible. Résignés, nous continuâmes notre
chemin avec un goût amer, les larmes aux yeux dans l'espoir de revenir à temps.

Le croassement des corbeaux, le hululement
d'une chouette et le grincement des arbres nous
donnaient la chair de poule. Nous étions transis
de froid : un vent glacial nous transperçait. Les
éclaboussures avaient éteint la lampe à huile.
Des bulles remontaient à la surface de l'eau.
L'odeur de la vase nous montait à la tête. Je crus
apercevoir à ce moment une ombre. Marie
Groëtte était là, je la sentais. L'angoisse
commença à me reprendre.
Quand, enfin, à l'horizon, André aperçut la petite
« samsuffit » de Monsieur Jack, le médecin. Par
chance, il était encore éveillé. Nous nous précipitâmes
pour l'avertir et nous partîmes sur le champ.
C'était un vieil homme, d'une soixantaine
d'années, respecté dans tout le marais pour son
savoir. Il connaissait bien notre famille pour avoir
soigné notre grand-mère deux ans auparavant. Le
retour à la maison se déroula sans encombres.
Nous racontâmes notre mésaventure
à Monsieur Jack. Une certaine
tristesse nous envahit cependant
lorsque nous passâmes
à l'endroit où
Norbert avait sauté.
Seul le nom de Marie
Groëtte nous
occupait l'esprit. Cela
se lisait sur nos visages,
c'est pourquoi le
médecin nous réconforta
: « Mais elle
n'existe pas ! Moi je le
sais de bonne part car quand mon frère avait votre
âge, il est tombé dans l'eau, il est arrivé tout trempé et
il a dit : « Tu sais Maman, Marie Groëtte n'existe pas, je
suis tombé dans l'eau, je ne l'ai pas vue donc elle
n'existe pas ! ». Nous nous demandions tout de
même où avait bien pu passer Norbert. Comment
pouvait-on expliquer ces phénomènes étranges
qui nous avaient ralentis sur notre route ?
En rentrant, Monsieur Jack s'empressa d'aller
soigner notre mère, et, contre toute attente, notre
chien était blotti au coin du feu, mouillé jusqu'aux os.
Ma joie était si forte que rien au monde ne pouvait
la combler. Quelques semaines plus tard, notre
mère était rétablie ; tout était rentré dans
l'ordre. Cependant, une ombre valsait
encore sur les flots et des bulles
continuaient à remonter à la surface
de l'eau...
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42
PARTIE DE CHASSE
Comme tous les samedis matins, Guy Legris, la quarantaine, se rendait au café du
Romelaëre pour rejoindre les chasseurs du village. La chasse, c’était sa passion. Il y
consacrait beaucoup de temps dans la semaine bien qu'il ne soit qu'un amateur. Il
chassait pour le plaisir…
Or ce matin, il arriva au café, s'assit face au comptoir, commanda une
bière et consulta la une de « La Voix du Marais ». Un chasseur l'interpella :
« Alors Guy, tu vas nous en ramener combien ce matin? » lui lança-t-il
ironiquement.
Les autres chasseurs éclatèrent de rire : le café s'était transformé
en vrai poulailler. Guy, vexé, baissa la tête honteusement. C'était la
NOUVELLES INVENTÉES
même histoire tous les samedis mais cette fois-ci, cela ne se passerait pas comme
cela. D'un bond il se leva et cria à la cantonade qu'il reviendrait le lendemain avec
la plus grosse prise du village. Puis sans même finir sa bière, il se rua sur la porte et
rejoignit sa voiture.
Guy se précipita chez l'expert en chasse de la région, le père Flandrin. Guy tenait
à lui demander conseil pour attraper son gibier : « Ch'père » était un chasseur
renommé dans la région. Le père Flandrin habitait une sorte de cabane dans la
forêt de Rihoult, à Clairmarais. Notre chasseur passionné traversa donc une longue
allée de Saules, Chênes, Peupliers et Aulnes. Il aperçut enfin la maison du vieillard
qu’il trouva assis dans son rocking-chair, la pipe à la bouche.
« Qu'est-ce qui t'amène ici, fiston? demanda le père avec son patois bien
marqué.
- Ch'père, j'ai besoin de conseils, j'ai promis une grosse prise de chasse au village,
mais je n'ai pas encore acquis assez de technique pour tuer le gibier!
- Assied-toi là, fieu, je vais te raconter quelque chose »
Guy prit place sur le banc en bois de chêne tandis que le père Flandrin préparait
deux cafés. Pendant ce temps, Guy distingua les récompenses de chasse du père
et contempla avec émerveillement les photos sur lesquelles se tenait Ch'père
entouré de ses plus belles prises : oies cendrées, rieuses, canards siffleurs, colverts et
sarcelles. Il admira également une magnifique oie des moissons qui trônait en
majesté au milieu du salon du vieil homme.
- « De mon temps, mon gars, il y avait des canards partout dans les marais. Maintenant
il y en a de moins en moins car il n'y a plus l'esprit de chasse d'antan. Avant, on
était modéré sur les prélèvements, aujourd'hui, c'est la course au tableau. »
Après avoir longtemps parlé des différences entre la chasse d'aujourd'hui et celle
d'il y a trente ans, avoir pesté contre les chasseurs du dimanche, ces « bourgeois
bouseux », le père Flandrin donna à Guy quelques conseils pour la chasse :
« Pour ch'gibier d'eau, faut utiliser des appelants, toujours des appelants!
- Plutôt que des appâts ? l'interrogea Guy.
- Évidemment mon gars ! Ensuite quand tu tires, faut être sûr de le tuer sur le coup,
faut pas les faire souffrir ces bêtes… Et surtout limite-toi mon petit! Limite-toi à une
dizaine de canards, pas plus. Après c'est pas respectueux envers la nature ! »
Guy était perplexe. Il ne pourrait pas remporter son pari auprès des villageois s'il
suivait les conseils du père Flandrin.
« Quelque chose te tracasse, mon gars ? demanda le père en sortant Guy de sa
rêverie. Allez viens-y, j'ai quelque chose pour toi »

Guy suivit ch’père jusque dans son jardin. Le
vieillard s'arrêta et siffla entre ses doigts. Un chiot sortit
d'une niche et se jeta sur Guy. Le visage de Guy
devint radieux lorsque la petite boule de poils se mit à
renifler ses jambes.
« Il est à toi désormais, lui apprit Flandrin, je suis trop
vieux pour pouvoir m'en occuper correctement et je
vois que tu devrais être un bon maître.
- Merci beaucoup, je suis très touché que vous me
fassiez confiance au point de me donner votre chien…
- T'en fais pas, min fieu. Au fait, il s'appelle Rikiki. C'est
un épagneul breton mâle qui devrait devenir un très
bon chien de chasse »
Après avoir remercié mille fois le père Flandrin pour
sa générosité, ses précieux et sages conseils puis vidé
sa tasse, notre jeune chasseur grimpa dans sa voiture
accompagné de son nouvel ami. Il se rendit chez lui et
commença à préparer ses affaires pour la nuit.
Celle-ci était tombée subitement mais on distinguait
très bien des milliers de petits points scintillant dans la
nuit paisible. Après avoir mis dans son coffre de voiture
fusil, gibecière, cartouches et autres casse-croûtes
pour la nuit, sans oublier les fameux appelants, Guy sauta dans sa 4 L. La lune était pleine et malgré l'heure
tardive, on distinguait très bien la hutte de Guy,
dissimulée entre deux mares. Guy sortit de sa voiture,
Rikiki sur les talons. On entendait beaucoup de coup
de fusils qui venaient briser le silence du marais.
Le lendemain, au café du Romelaëre, les chasseurs
se préparaient à accueillir comme il se doit le
chasseur amateur qui ne devait pas avoir tué plus de
deux canards.
« Il arrive ! Et il n'est pas seul !
Guy entra dans le café, accompagné de son
fidèle Rikiki.
- Je parie sur moins de trois ! lança un premier
chasseur.
- Moi soixante-douze ! renchérit un autre avec
ironie.
Guy leur répliqua en sortant de sa gibecière une
oie, deux colverts, quatre siffleurs et une sarcelle :
- J'aurais pu faire mieux mais je respecte le marais,
moi ! »
Bouches bées, les autres chasseurs le dévisagèrent
longuement. Guy commença à leur faire un
discours sur l'importance de ne pas tirer trop
de canards afin de préserver la biodiversité.
Les chasseurs le regardèrent sortir du
café, ne comprenant toujours pas
comment un tel exploit de sa part
avait été possible.
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UNE CASCADE DANS LE MARAIS
NOUVELLES INVENTÉES
Léon était un maraîcher. Il n’était pas très riche
et au lieu de labourer sa terre avec un cheval, il
devait se contenter d’un mulet. Son mulet était
gris, la crinière en brosse bien épaisse et il avait
les yeux clairs. Ses petits-enfants l’avaient
nommé Paco.
Un matin comme tous les autres, Léon, comme
à son habitude, se leva de bonne heure pour
pouvoir embarquer Paco sur le bacôve qu’il
avait loué. Il prépara l’embarcation et partit
chercher son mulet. Léon monta à bord le
premier afin que Paco le suive sans avoir peur.
Dès qu’ils furent tous deux à bord, le mulet resta
immobile car dans ce bateau, la têtière qui
évitait aux animaux de trop amples mouvements
avait été enlevée. Mais, même lorsqu’il
n’y en avait pas, il était rare que les bêtes
tombent à l’eau. Ils commencèrent à avancer
tout doucement. Coup de rame après coup de
rame. Mètre après mètre.
Tout d’un coup, le bacôve heurta trop violemment
un pieu vermoulu d’un ancien pont
aujourd’hui détruit. Pauvre Papy Léon ! Il n’eut
que le temps de voir son mulet tomber à l’eau.
La pauvre bête paniqua et se mit à braire de
plus belle. Léon avait beau essayer de le
ramener, ce fut en vain. Paco, de son côté,
cherchait à regagner le bateau. Il réussit à poser
un sabot antérieur sur le rebord. Un bruit sec
résonna dans le creux de l’embarcation : en
projetant sa patte, le malheureux animal fit
basculer le bacôve et provoqua de grandes
ondes sur la berge. Le retour de vague fut fatal à
Papy Léon qui glissa et tomba heureusement
dans la coque du bateau. Paco n’en hurla que

davantage. Papy Léon se releva, héla un homme qui
passait sur la rive. Il implora son aide. L’inconnu
accepta. Papy Léon lui lança la corde qui se trouvait
à l’extrémité du bacôve, sous une planche, là où il
conservait tous ses outils de travail. L’homme la saisit,
l’accrocha au modeste quai qui permettait aux
habitants d’accéder aux maisons isolées auxquelles
on ne pouvait se rendre que par voie d’eau.
Sorti du bacôve, Papy Léon s’en alla au plus vite
chercher de l’aide dans la maison la plus proche.
L’homme qui ouvrit la porte lui expliqua qu’il
avait un Boulonnais dans une étable située à 5
minutes de là. Les deux maraîchers partirent le
chercher et furent de retour 10 minutes
plus tard avec le cheval de trait. Il
mesurait deux mètres au garrot, une
bien belle bête de couleur blanche.
Les deux hommes lui mirent un filet
en cuir et y attachèrent une
corde avec une boucle. Papy
Léon remonta dans le bacôve
alors que le maraîcher lui
lançait la corde pour
pouvoir l’enfiler autour
du cou de Paco. La
corde solidement
attachée, l’homme
tira sur le filet du
boulonnais et le
frappa doucement
avec une cravache.
Le Boulonnais
commença à reculer.
Quelques minutes et
efforts plus tard, Paco
était sauvé.
Il était désormais
trop tard pour aller
labourer, et le
pauvre mulet était exténué. Le père Léon
reprit donc, mais cette fois par la route,
le chemin du retour. Il se jura que,
dorénavant, il ne partirait plus jamais
sans tétière !
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OCCUPES…
Fernand marche près d’un chemin qu’il connaît très bien. Il s’arrête à quelques
mètres d’une maison en ruine. On lit dans son regard la tristesse d’un homme
plongé dans ses souvenirs. Il se rappelle de cette nuit de Janvier 1942. Il neigeait
beaucoup…
On mangeait près du feu des haricots, de la soupe et du pâté sur une tartine de
pain que ma mère achetait à Saint-Momelin. Ma petite sœur jouait à la poupée et
ma grand-mère nous racontait une de ses histoires entre deux gorgées de soupe
quand tout à coup, on entendit frapper à la porte. Mamie Ginette alla ouvrir. Un
homme grand, solidement bâti se tenait devant elle.
« Bonsoir madame, je suis envoyé par la Kommandantur pour vous informer que
deux soldats allemands seront logés chez vous » Un side-car entra à l’instant dans la
cour, deux militaires étaient à son bord. Le premier était plutôt petit, il avait les yeux
bleus et les cheveux blonds. Le second en enlevant son casque laissa apparaître
une large cicatrice qui barrait son œil gauche. Il mit alors son cache-œil pour le
recouvrir. Ils s’avancèrent en direction de ma grand-mère et de l’officier et saluèrent
leur supérieur en levant le bras droit.
« Bien messieurs »
Il se tourna vers Mamie Ginette et poursuivit :
-Voici Hans Schweinsteiger. L’homme à la cicatrice s’inclina devant elle.
-Et Helmut Graff. Le chauffeur de la moto imita le précédent.
-Ces hommes, en échange de votre hospitalité, vous aideront dans vos travaux
quotidiens, quand ils seront disponibles. Bonsoir. »
L’officier salua ma grand-mère puis se retira.
Les deux Allemands parlaient assez mal notre langue. Pendant la première
semaine, il n’y eut pas beaucoup de dialogue entre nous.
Un jour, alors que les températures remontaient et que la couverture blanche
qui recouvrait le paysage commençait à fondre doucement, les chemins,
les rues, les routes devinrent glissantes. Mamie et moi-même devions
prendre la charrette pour aller au marché de Saint-Omer. Sur la route,
celle-ci s’embourba et nous fûmes incapables de bouger. Nous
marchâmes jusqu’à la maison, traînant les pieds dans la neige.
NOUVELLES INVENTÉES
Durant le repas, nous reparlâmes de nos péripéties matinales quand Helmut entra
dans la cuisine.
« Pardonnez-moi mais je crois avoir compris que vous aviez des soucis avec votre
charrette. Je peux peut-être vous aider ? Mon side-car est très puissant vous savez !
-Euh … C’est très gentil de votre part, Monsieur Graff, mais nous ne voudrions pas
vous importuner.
-Mais vous ne m’embêtez pas du tout. C’est tout à fait naturel. Nous pourrions y
aller cette après midi ! »
Vers 14h, nous étions à l’endroit où nous avions laissé l’engin le matin-même.
Helmut attacha des cordes pour désembourber la charrette. Il appuya un gros
coup sur l’accélérateur. Deux hommes étaient venus pousser à l’arrière. Le véhicule
sortit de son lit boueux et atteignit la route qui était plus dégagée que les bas-côtés.
De jour en jour, des liens se tissèrent entre Hans, Helmut et ma
famille. Hans était un très bon cuisinier. Un soir, il nous
prépara une spécialité de son pays. On
aurait dit des saucisses qui nageaient
dans une marre de sauce à la bière

ou quelque chose comme çà. On se régala puis on
joua aux cartes. Nous lui apprîmes à jouer à la belote,
il n'était pas très doué... Ensuite ce fut à son tour de
nous apprendre un jeu de cartes allemand mais je ne
me rappelle plus de son nom.
Quand Mars arriva, Helmut partit aider ma grandmère
dans les parcelles cultivées du marais. Elle lui
apprit à se servir d’une baguernette et à conduire
notre bacôve. Il me semble avoir entendu qu’il avait
failli tomber à l’eau mais qu’il s’était rattrapé de
justesse !
Le jeudi, c’était la journée où les deux allemands
devaient aller faire leur rapport à la Kommandantur.
J’étais triste ce jour-là, on ne s’amusait pas
beaucoup.
Quelques fois, d’autres officiers venaient voir Helmut
et Hans et ce dernier fut très fier de leur apprendre à
jouer à la manille. Un jour, je me souviens que c’était
un dimanche et qu’il faisait beau, ils jouaient dehors,
sur le capot de la Jeep. Ce jour-là, ma petite sœur
sortit et courut vers Helmut qui la prit dans ses bras
pour lui montrer à quoi il jouait.
« Papa ! » s'écria-t-elle.
L’Allemand éclata de rire et ma mère qui se tenait
à côté de moi devint écarlate. Elle se sentit très
gênée. En fait, ma sœur n’avait jamais vu notre père
car il était parti quatre ans auparavant après la
mobilisation des hommes en mesure de combattre.
Nous n’avions plus de nouvelles de lui.
Au mois d’Avril, Hans partit avec ma grand-mère
pour aller voir l’état des cultures. Il raconta, au cours
du dîner, que des rats musqués
avaient fait beaucoup de dégâts
dans l’une des parcelles mais que
ça aurait pu être plus grave. J’avais
remarqué qu’il était très intéressé
par la botanique et tout ce qui y
touche. D’ailleurs je crois me
rappeler qu’il m’avait raconté qu’il
était agriculteur dans sa « vraie Vie
» comme il l’appelait et qu’il avait
un énorme potager. Il m’avait
même dit « J’aime mon jardin et
mon jardin m’aime, je m’occupe
de lui avec beaucoup d’attention
et il me le rend en me donnant de
magnifiques légumes ! ».
Helmut et Hans se plaignaient souvent de la guerre.
Plus Helmut que Hans, je pense. Un jour, il avait montré
à maman des photos de deux très belles femmes et il
lui avait demandé :
« Excusez-moi Madame, mais laquelle des deux
dois-je épouser ? »
Ma mère fut très surprise par cette question mais
elle lui répondit :
-Celle qui vous aura attendu, Hans. Elle sourit puis
continua. Vous le méritez ! Vous êtes tellement gentil,
serviable, attentionné…
-Oh, c’est très aimable de votre part Madame… »
Les jours, les semaines, les mois passèrent et bientôt,
on entendit une voix qui nous deviendrait familière
annoncer à la radio :
« Mes chers compatriotes, l’armistice a été signée
! Paris est libre ! La France est libre ! Vive Paris ! Vive
la France ! »
Les deux Allemands ne semblèrent
pas abattus par cette
annonce. Ils étaient plutôt heureux,
ils allaient enfin revoir leur famille.
Hans retournerait dans son petit
village près de Berlin et Helmut à
Hambourg. Mais d’un autre côté,
ces trois longues années de « vie
commune » ne pouvaient pas
s’effacer comme ça, d’un seul
coup… La guerre est horrible mais
pour une fois, elle avait bien fait les
choses ! Je savais déjà que ces
hommes, je ne pourrais jamais les
oublier, qu’ils resteraient à jamais
gravés dans ma mémoire… La
mémoire, ça c’est une belle chose, pouvoir revoir les
plus belles images, les plus beaux moments de son
existence rien qu’en fermant les yeux … Enfin, ce
devait être vers la mi-juin 1945, un gendarme français
nous annonça que les Allemands qui logeaient chez
nous devaient se rendre à la gare de Saint-Omer
pour retourner en Allemagne.
Le lendemain, Helmut et Hans fermèrent leur valise et
descendirent dans le séjour, effleurant les meubles de
leurs doigts longs, rugueux, burinés par les travaux des
champs. Hans remit son cache-œil puis passa les mains
autour de son cou pour y décrocher un médaillon qu’il
me déposa dans le creux de la main. Ensuite, ils nous
saluèrent, sortirent et refermèrent la porte.
Quelques instants plus tard, on entendit le
ronronnement du side-car qui démarrait,
sortait de la cour et qui s’éloignait dans la
rue puis, plus de bruits, plus rien, plus jamais,
la fin du rêve d’un gosse de 8 ans…
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UNE ENFANCE PENDANT LA GUERRE
Je ne savais pas tout ce que la guerre pouvait causer. Tout semblait normal mis à
part l'absence de mon père. On jouait toujours à la poupée, ma mère pouvait aller
travailler dans le marais, elle plantait des haricots. On en mangeait beaucoup, bien
plus que la viande qui manquait.
Tout a changé le jour où, au lieu de me réfugier lors d’une alerte, j'ai voulu observer
les avions de plus près. Tout le monde allait se mettre à l'abri sous la voûte où on
mettait les betteraves pour les chevaux. Alors que je m'éloignais de plus en plus, un
bombardement éclata.
J'étais terrifiée et je courus me cacher derrière un arbre abattu. Longtemps je suis
restée blottie contre celui-ci. Soudain j'entendis des pas se rapprocher de moi puis
sentis des mains autour de ma taille. Je me débattis, apeurée, tétanisée et
horrifiée. C'était un homme, il était grand, sale mais dégageait une odeur
agréable qui me rappelait quelque chose, mais quoi ? Il me rassura
d'une voix étrange qui me fit éclater de rire, me prit dans ses bras et
me raccompagna chez moi. Lorsque je vis ma mère, je criai :
« Maman ! Maman ! J’ai retrouvé Papa ! ». Pour moi, il l'était
NOUVELLES INVENTÉES
forcément car il avait pris soin de moi. L'homme sourit tandis que ma mère ne savait
plus où se mettre. Elle me répondit : « Mais non ! Tu ne reconnais pas l'uniforme ?
C'est celui d'un soldat allemand. » J'étais abasourdie. Je pensais avoir retrouvé mon
père mais en quelques secondes tout s'effondra.
L'Allemand repartit, je restai seule avec ma mère. Elle me raconta tout : la mobilisation,
les adieux, la tristesse, les pleurs, les lettres, l'espoir et l'attente du retour. Elle
me montra les dernières lettres où mon père disait que nous lui manquions énormément,
qu'il espérait rentrer bientôt. Quant à moi, je compensais son absence grâce
à Hans le soldat allemand. Il m'apprit à compter, à lire, à écrire, jouait avec moi, on
s'amusait bien. Il me donnait aussi du chocolat mais ma mère ne voulait pas que j'en
mange car elle se méfiait de sa provenance. Elle le jetait dans le marais !

Hans était à ma connaissance le seul Allemand
sympathique que nous ayons rencontré. En effet
quelques mois auparavant, alors que je me trouvais
devant la porte d'un café avec une amie, nous vîmes
un petit chien se diriger vers un champ de chouxfleurs.
Nous le pointâmes du doigt. Au même moment,
un groupe d'Allemands passa, l'un d'eux crut que
nous le désignions et que nous nous moquions de lui.
Il descendit de sa moto, prit deux seaux d'eau et nous
les jeta sur la tête. C'est pour cela que ma mère se
méfiait des Allemands, et puis aussi à cause de
l’absence de mon père et de bien d’autres choses
dont elle ne parlait pas.
Les heures, les jours, les semaines et les mois
passaient. Je me posais de plus en plus de questions.
Qui était mon père ? Comment était-il ? Que faisait-il
en ce moment ? Se souvenait-il de moi ?
Le 10 novembre 1944, le temps était
maussade, il pleuvait, les branches des
arbres se balançaient au rythme du vent.
Soudain, on entendit frapper à la porte.
Ma mère ouvrit. C'était les gendarmes
français. Ils lui tendirent une lettre en
bredouillant quelques mots. La lettre
venait d’Allemagne. Elle déchira l'enveloppe
; ses mains tremblaient d'angoisse
et de désir. Ses yeux parcoururent les
quelques lignes. Elle devint livide et
éclata en sanglots. Je n'eus pas besoin
de lui demander pourquoi. J'avais
compris, je ne connaitrais jamais mon père.
Comme tous les après-midi, Hans vint nous rendre
visite. Il essaya de me réconforter, en vain. Je ne me
rendais plus compte du temps qui passait, je restais
isolée dans ma chambre,
assise devant la fenêtre,
espérant que le corps de mon
père soit rapatrié.
Les mois passèrent. Ne voyant
pas revenir le corps de mon
père, j'avais l'espoir qu'il soit
encore vivant.
Le 20 mai 1945, par la fenêtre,
j'aperçus un soldat à vélo. Ce
n'était pas Hans ; il était français.
Il s'approcha de la porte, il avait
l'air impatient. Ma mère ouvrit et
j'entendis des cris de joie. Je
compris tout de suite. Je sortis de
ma chambre en courant,
descendis les escaliers à toute
vitesse et m'arrêtai brutalement devant lui. Mon père.
Il me sourit mais je n'osai pas avancer car je sentais en
moi une certaine appréhension. Il s’accroupit, me
tendit les bras. J'hésitai mais finis par faire un pas, puis
deux et enfin je me jetai dans ses bras. Papa. Papa
était là. Vivant.
Nous nous dirigeâmes vers le salon. Il nous raconta
son aventure à la guerre, les bombardements
incessants qu'il ne supportait plus. Voilà maintenant
cinq ans qu'il était parti, il ne comptait plus les
soldats gisants sur le sol. L'horreur était omniprésente
dans sa tête. Nous comprîmes alors l'origine des
dernières lettres. Lors d’un terrible combat, l’un de
ses amis avait été grièvement blessé. Mon père
l’avait couvert de sa vareuse juste avant qu’une
contre-attaque allemande ne le fasse prisonnier
alors que son ami était abandonné, moribond, sur le
champ de bataille. Les identités furent malencontreusement
permutées…
Me tournant vers ma mère je déclarai:
« Tu vois maman, je savais que papa
n'était pas mort ! »
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Union européenne - Fonds Européen de Développement Régional
Europese Unie - Europees Fonds voor Regionale Ontwikkeling
" Aussi loin que la vue s’étende, on aperçoit qu’une campagne
plate toute remplie de potagers, régulièrement découpés
comme si la nature portait un habit d’Arlequin, fait de
pièces rouges, jaunes, vertes et blanches. Pas un chemin
mais uniquement des canaux ! "
Germaine Acremant,
la Hutte d’Acajou, 1924
En 2008, le marais audomarois
obtient le label RAMSAR qui
reconnait, au niveau international,
les zones humides d'exception.
Imp. Ledoux - 03 21 46 60 00