Téléchargez le e-book (pdf) - Bruno Massé

L’étrangère tient une bouteille de vin dans la main – une
main toute blanche, sertie de griffes argentées aux doigts – et de
longues mèches rouges coulent sur sa cape.
« Messaline… », chuchote–t–elle.
Et la marquise se retourne.
Son visage de porcelaine est marqué par la souffrance. Ses
yeux – écarlates – sont toujours entourés de fines ramilles.
Vengeance remarque les lèvres noires, la soie rouge de son
corsage. Elle s’approche, délicatement, et l’enlace avec une toute
nouvelle tendresse, un sentiment de compréhension qui brûle
en son sein – une réconciliation, en quelque sorte
Messaline lui offre sa bouteille avec un air distant, détaché.
Celle–ci la prend avec reconnaissance, avale trois bonnes
gorgées et s’agenouille devant la tombe. Songeuse, elle
remarque :
« C’est effroyable ce qu’ils ont inscrit sur sa tombe… »
Et la marquise murmure, sympathique.
« C’est n’importe quoi. »
Puis, elle s’agenouille près de la peintre et lui caresse la joue,
le visage rempli de pitié et de tendresse. Elle regarde un peu en
direction du centre–ville : de la fumée, des hélicoptères, et ces
tours insaisissables; érigées contre le ciel gris. Il y a de la peine
dans sa voix, comme si elle assumait la détresse de cinq siècles
de révolte. Elle demande, incertaine :
« Qu’est–ce qui arrive, maintenant? »
Erynie soupire. Elle s'est posée la question cent fois déjà.
« Je ne sais pas. La guerre civile, probablement. La loi
martiale – si ce n’est pas déjà décrété. Peut–être qu’il y aura un
soulèvement populaire, probablement une réforme, l’élection
d’une gauche anémique et institutionnelle. Puis, l’histoire va se
répéter, encore. Ou peut–être que l’Aube Noire va croître, avec
une résistance clandestine. Encore plus d’explosions. Plus de
répression. Et la Mégapole… »
« ... va devenir un immense cimetière? »
Vengeance acquiesce. L'autre lui demande :
« Tu crois que la Révolution va venir? »
Elle hoche la tête en signe de non.
« Je crois que la violence va venir. »
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