N° 41. Mars 2008. - Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie

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éditorial Vie littéraire et actualité du livre en Basse-Normandie. Arnaud Fontaine Président du Centre régional des Lettres de Basse-Normandie. Livre/échange Sale temps pour la culture en ce début d'année... Malgré tout vous l’aurez remarqué votre Livre/échange compte quelques pages de plus ce trimestre-ci. Et ce, afin de mieux coller à l’actualité littéraire de ce début d’année, manifestations et nouvelles parutions confondues, mais aussi au souhait du CRL de toujours mieux soutenir et défendre les éditeurs installés en Basse-Normandie. Nous avons dans un supplément de huit pages donné la parole à douze d’entre eux, plus précisément à ceux que nous aurons le plaisir d’accueillir sur notre emplacement au prochain Salon du livre de Paris. Tous très différents, que ce soit dans leurs domaines ou leurs fonctionnements, ils reflètent très bien la vivacité et la pluralité de ce secteur en Basse-Normandie. Le CRL qui vient de réactualiser son répertoire des éditeurs dénombre 72 structures en région. Ce nouveau trimestre sera aussi pour le CRL l’occasion de lancer une grande campagne en faveur de la librairie indépendante en Basse-Normandie. Secteur pour lequel notre structure entend se mobiliser. C’est l’autre priorité du secteur Economie du livre au CRL. Fidèle à son esprit d'ouverture sur le monde des lettres et des idées, le CRL fait sienne la devise de Gandhi : « Je ne veux pas que ma maison soit murée de toutes parts, ni mes fenêtres bouchées, mais qu'y circule librement la brise que m'apportent les cultures de tous les pays. » En action, cela commence dès le 17 mars par la journée d’information et de sensibilisation à la culture islandaise organisée comme toujours en partenariat avec la bibliothèque centrale de Caen. L’occasion d’accompagner professionnels, bibliothécaires et enseignants qui accueilleront un auteur nordique en novembre prochain. A ce propos, prenez date : les prochaines Boréales se dérouleront du 17 au 30 novembre 2008 à Caen et en région et nous aurons le plaisir d’accueillir l’Islande comme invitée d’honneur. 2008 sera aussi la grande année du bicentenaire de la naissance de Barbey d’Aurevilly. L’auteur des Diaboliques, né à Saint-Sauveur-le-Vicomte, sera au cœur de nombreuses manifestations (lectures, colloques, expositions, rencontres). Nous lui consacrons un dossier spécial de quatre pages qui vous permettra de vous tenir informés durant toute l’année. J’espère vous voir nombreux, professionnels et amoureux des livres, à ces prochains rendez-vous. A toutes et tous, je souhaite une nouvelle année riche de découvertes littéraires. #41 Livre/échange Mars 2008 Journal trimestriel publié par le Centre régional des Lettres de Basse-Normandie 10, rue du Château d’eau - 14000 Caen. Tél. 02. 31. 15. 36. 36. Fax 02. 31. 15. 36. 37. Le CRL est une association loi 1901, soutenue par la Région Basse-Normandie et le ministère de la culture - Direction Régionale des Affaires Culturelles de Basse-Normandie - avec le concours des Conseils généraux du Calvados, de la Manche et de l’Orne. Directeur de la publication : Arnaud FONTAINE Textes et reportages : Nathalie COLLEVILLE Conception graphique et réalisation : www.aprim-caen.fr. Impression : Imprimerie Presse Calvados Ont participé à ce numéro : Bruno Fran, Ingrid Guibey, Sophie Houtteville, Nathalie Mangin, Adina Margan, Sylvie Marivingt, Guillaume Patard-Legendre, Gérard Poulouin, Jérôme Rémy, Valérie Schmitt. ISSN : 1274-3712 Dépôt légal à parution. Abonnement Pour recevoir gratuitement Livre / échange chez vous tous les trimestres, écrivez au Centre régional des Lettres, en indiquant votre nom, votre adresse. www.crl.basse-normandie.com Belinda Cannone Belle rencontre que cet entretien avec Belinda Cannone, auteure de plusieurs essais remarqués dont le dernier La Bêtise s’améliore (Calmann-Lévy, 2007). Méfiante vis-à-vis du conformisme et du consensus qui déforment nos propos et malmènent notre faculté à penser de façon autonome, Belinda Cannone élabore dans une belle langue fluide, une pensée joyeuse, à l’image de ce que le monde et l’homme sont aussi parfois. Le Désir d’écriture, Le Sentiment d’imposture et La Bêtise s’améliore portent la signature d’une auteure soucieuse de ses pairs et attentive au monde. Il en est de même pour ses romans qui explorent ce désir de vivre qui nous tient et nous fait nous lever chaque matin. S’y ajoutent pour Belinda Cannone, le désir d’écrire, la joie de penser. Livre/échange : Vous affectionnez romans et essais. Qu’est-ce qui vous séduit dans ces deux formes littéraires ? Belinda Cannone : J’avoue que c’est le roman qui m’intéresse et me tient le plus à cœur. Le roman est un objet esthétique très complexe, et pour cela très attirant. Pour moi, c’est un peu comme courir un marathon ou escalader l’Annapurna ! C’est une sorte de défi. Néanmoins, il se trouve que j’aime comprendre, penser et argumenter de manière plus rationnelle – plus délibérément rationnelle, disons, que dans le roman. D’où les essais. Jusqu’en 1999, outre les romans, j’avais écrit des ouvrages de réflexion universitaire. Quand Anne Dufourmantelle m’a commandé un essai, j’ai été tentée par la liberté de cette forme littéraire. Cela a donné L’Ecriture du désir. Je l’ai vraiment écrit dans un élan joyeux. À cette époque, j’avais l’impression de n’entendre que des discours qui soulignaient la difficulté et le malheur de l’existence, et qui interprétaient le désir comme un manque. Moi je voulais montrer un autre aspect du désir, sa force de propulsion, d’élan, sa joie. Et je dirais qu’au fond, mon sujet de prédilection, que ce soit dans les romans ou dans les essais, c’est toujours cette énigme merveilleuse : comment se fait-il que chaque matin, même devant la perspective d’une journée médiocre, banale ou difficile, on a pourtant envie de se lever, envie de vivre ! C’est là vraiment le grand et délicieux mystère de l’existence. L/é : Le désir de vivre est aussi, par effet de miroir, au cœur de vos deux derniers romans : Lent delta et L’Homme qui jeûne. C’est l’amoindrissement des forces vitales que vous explorez dans ces deux textes, qu’il soit dû à la vieillesse ou au jeûne. B. C. : Lorsque j’ai écrit Lent delta, mon quatrième roman, je venais de terminer Trois nuits d’un personnage, qui explorait le désir dans sa forme vitale et érotique. Un personnage de roman accédait à l’exis- mars 2008 - livre / échange 2
Belinda Cannone enseigne la littérature comparée à l’Université de Caen et partage son temps entre le Cotentin et Paris. « Danser la pensée » tence durant trois nuits, mû par la force de son désir – de vivre, d’aimer. Je me suis donc demandé comment on pouvait se résigner et accepter de mourir alors qu’on avait eu cet immense désir de vivre. J’ai imaginé la vieillesse comme un fleuve arrivant au delta, comme une lente dilution du désir dans l’océan du monde. En revanche, la question qui domine dans L’Homme qui jeûne serait plutôt « Qu’en est-il lorsqu’on ne veut plus se lever le matin, plus manger, lorsqu’on dit non à tout ? » C’est ce qu’expérimente mon personnage. L/é : Dans les deux romans, cette très vieille femme et l’homme qui jeûne convoquent les morts et les vivants ; ils s’adressent à eux. B. C. : Oui, dans Lent delta elle parle aux morts, aux vivants mais aussi à des personnages imaginaires, notamment à son alter ego. Dans L’Homme qui jeûne interviennent tout un bestiaire qui incarne l’imaginaire du corps, ainsi que de multiples personnages, en chair et en os ou rêvés. C’est que je crois depuis toujours que nous ne sommes pas une seule voix. Nous sommes tissés de la multiplicité des voix que nous entendons, lisons, imaginons, avec lesquelles nous dialoguons sans cesse. Nous ne sommes pas seuls, renfermés en nous-mêmes. Je crois profondément qu’une des vocations de la littérature est de faire surgir ces voix. L/é : La polyphonie est d’ailleurs présente aussi dans vos essais où la pensée avance toujours dans le dialogue. C’est le cas notamment des trois personnages de La Bêtise s’améliore, clin d’œil au Bouvard et Pécuchet de Flaubert d’ailleurs. B. C. : C’est une pensée en chemin, oui. Car la pensée n’est jamais définitive, arrêtée. Elle est provisoire, polyphonique, contradictoire. Faire advenir les voix qui nous traversent, c’est leur rendre justice. Et c’est surtout faire surgir l’altérité, seule manière d’appro- cher la vérité. Il n’y a pas qu’une seule façon d’envisager les questions et les problèmes, et les solutions sont toujours temporaires. Je dirais que ma pensée est une pensée modeste : le monde est un tel chaos ! Nous ne pouvons donc cesser d’essayer d’y appliquer notre réflexion et nos solutions sont souvent provisoires. L/é : Votre dernier essai porte sur la bêtise. Pourquoi ce sujet ? B. C. : La bêtise me fait souffrir. Je veux parler de la bêtise des gens dignes d’être écoutés et non pas celle des gens limités. Je voulais comprendre ces personnes cultivées, intelligentes, raisonnables, informées… et qui pourtant tombent dans le panneau ! Essentiellement à cause du conformisme. Cela me chagrine vraiment. De tous mes essais, c’est d’ailleurs celui qui a été le plus écrit sous la poussée de la nécessité. Selon moi, nous sommes chacun absolument responsables à l’endroit où nous nous trouvons. Nous ne pouvons être des figures christiques portant l’ensemble du monde sur nos épaules, mais nous sommes absolument responsables de ce que nous disons, de ce que nous faisons à l’endroit où nous nous trouvons. Débusquer les préjugés, les idées toutes faites et les réflexes intellectuels qui entravent la liberté de penser est une des tâches de l’écrivain. D’où cet essai sur la bêtise du conformisme. Au fond je dirais que ce sont là les deux pôles de ma position d’écrivain : d’un côté, une position critique, réflexive et engagée, et de l’autre, une position de célébration, célébration du monde et de l’homme, qui peuvent être si beaux, et de la pensée. Ce sont les deux extrémités de mon spectre d’intervention littéraire. L/é : Vous employez cette expression : « Réenchanter la pensée ». Qu’entendez-vous par là ? B. C. : Vouloir réenchanter le monde serait vraiment une formulation utopique car dans sa plus grande mars 2008 - livre / échange 3 © Ulf Andersen / portrait partie, le monde est donné et ne dépend pas de nous. Mais ce donné ne constitue que partiellement la réalité. Je crois que la réalité est à mi-chemin entre le regard, c’est-à-dire l’interprétation que nous proposons du monde, et le donné. Donc, réenchantons le regard que nous portons sur le monde, c’est-à-dire la pensée. Même si cela n’empêche pas d’avoir connaissance des désastres. Des désastres et de la beauté. J’ai envie de danser la pensée, d’en faire ce feu follet joyeux, plein d’élan, qui part à la rencontre du monde et ainsi, peut-être, le transforme un peu. L/é : Il y a cette célébration joyeuse de la pensée dans votre essai L’Ecriture du désir. Peut-on parler d’hédonisme ? B. C. : L’hédoniste jouit de l’instant et des plaisirs uniquement. Je préférerais parler de recherche du bonheur. Vous savez, j’ai un très vieux rêve humaniste : que l’être humain développe toutes ses potentialités, la sensibilité, le corps et l’intelligence. Ce sont tous ces aspects que j’essaie de déployer dans mes romans. Car c’est ça pour moi, un être humain complet. L/é : Vous êtes sévère envers le conformisme, thème récurrent dans vos essais. B. C. : Sans doute à cause de –ou grâce à– mon père qui était un homme spontanément anticonformiste. Il avait horreur de la pensée formatée, c’est ce qu’il m’a transmis, si je puis dire, au biberon, en même temps que le goût de la liberté. Il avait aussi le sens du collectif : je me suis toujours vue comme simple élément de l’univers. C’est pourquoi nous étions par exemple écologistes bien avant que ça n’existe ! En fait, j’ai été formée à combattre le conformisme ! Et surtout, je suis une maniaque de la liberté. C’est même une passion. Se rendre libre est un désir capital, et un effort constant, pour chacun. L/é : Vous racontez dans L’Ecriture du désir que c’est votre père aussi qui vous a implicitement incitée à écrire. B. C. : J’avais neuf ans. Mon père m’avait offert un grand cahier pour y tenir un journal et sur le haut de l’étiquette il avait écrit mon nom. Je lui ai fait remarquer que le reste de l’étiquette était vide. Alors il a noté, et c’était une indication pour toute ma vie : « À présent il n’y a plus de vide ». En écrivant, on combat le vide et l’absurde. L/é : Sur quoi portera votre prochain livre ? B. C. : En ce moment je travaille à un roman. Puis j’ai l’intention d’écrire un essai sur les femmes. Je suis depuis toujours une féministe convaincue, mais je ne me retrouve pas dans le discours féministe actuel, plaintif et victimiste. Je pense qu’il faut rendre au féminisme l’aspect joyeux et positif qu’il avait dans les années 60. J’aime les hommes et je veux simplement qu’eux et nous-mêmes admettions que nous avons les mêmes capacités intellectuelles – c’est la condition pour bien vivre ensemble. Mon roman… je ne peux pas vraiment en parler. J’essaie d’écrire quelque chose sur l’écho de la rumeur du monde en nous… Dans un essai, je maîtrise à peu près ce que je fais, je sais où je veux aller. Mais écrire un roman, c’est avancer à l’aveugle. Propos recueillis par Nathalie Colleville B I BLIOGRAPHI E NON EXHAUSTIVE : Trois nuits d’un personnage, roman, (Stock, 1994) Lent delta, roman, (Verticales, 1998) L’Écriture du désir, (Calmann-Lévy, 2000). Prix de l’essai de l’Académie française 2001. Le Sentiment d’imposture, (Calmann-Lévy, 2005). Grand prix de l’essai de la Société des Gens de Lettres 2005. L’Homme qui jeûne, roman, (L’Olivier, 2006) La Bêtise s’améliore, essai (Stock, 2007)
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