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Du Fabliau à la Farce: encore la question performancielle?

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98 Brian J. Levy<br />

plus fidèle au récit comique du 13 e siècle que ne l’est <strong>la</strong> <strong>Farce</strong> du Meunier<br />

au Pet au vi<strong>la</strong>in de Rutebeuf. Nous sommes donc, <strong>à</strong> notre avis, en présence<br />

d’une vraie version dramatisée du texte narratif. 42 Les diverses modifications<br />

apportées au récit original, qui tracent <strong>la</strong> mouvance logique d’un genre<br />

<strong>à</strong> l’autre, nous permettront aussi de faire <strong>la</strong> distinction entre ces deux pièces<br />

jumelles, sur le p<strong>la</strong>n de <strong>la</strong> performance. Dans <strong>la</strong> <strong>Farce</strong> du Prêtre crucifié, <strong>la</strong><br />

présence sur scène de <strong>la</strong> mansio indispensable explique l’importance de <strong>la</strong><br />

porte comme élément du décor. Ce sera devant cette porte qu’auront lieu<br />

ces discours théâtraux que nous ne trouvons pas dans le fabliau: entretien<br />

commercial entre prêtre et imagier (bon ressort de l’action, dans une scène<br />

première assez réussie 43 ); monologue du prêtre soupirant; et dialogue amoureux<br />

entre prêtre et femme comp<strong>la</strong>isante. Mais il ne faut pas oublier que<br />

<strong>la</strong> porte d’entrée joue aussi son rôle (narratif) dans notre fabliau: cachette<br />

efficace pour le mari espion, pour le couple adultère elle servira de barrière<br />

de protection beaucoup moins efficace. . . 44 L’autre scène unique <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>Farce</strong>,<br />

celle du prêtre brûlé, comprend un épisode fort visuel et mouvementé. Typique<br />

du genre farcesque, notons qu’elle n’en est pas moins fidèle <strong>à</strong> l’humour<br />

noir et brutal de beaucoup de nos fabliaux.<br />

La <strong>Farce</strong> du Prêtre crucifié (on se demande si elle n’était pas destinée <strong>à</strong><br />

accompagner un Mystère de <strong>la</strong> Passion) est doublement remarquable, pour<br />

avoir conservé <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois l’action et l’esprit de son prédécesseur. (L’adaptation<br />

par André de <strong>la</strong> Vigne du Pet au vi<strong>la</strong>in perd, au contraire, par son amplification<br />

outremesurée, beaucoup de l’effet comique de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie grossière<br />

de Rutebeuf.) C’est <strong>à</strong> travers ce rollet, même dans son état fragmentaire,<br />

qu’on apprécie de près le procédé de <strong>la</strong> dramatisation directe d’un texte<br />

narratif. Mais c’est aussi au moyen de cette farce, aux discours assez conventionnels<br />

et aux péripéties scéniques attendues, que l’on appréciera <strong>à</strong> son<br />

tour le drame narratif du texte comique, et – aussi et surtout – ses qualités<br />

<strong>performancielle</strong>s.<br />

Brutal, le fabliau du Prestre crucefié est tout de même fort bien charpenté<br />

(si c’est le mot juste . . . ). Oscil<strong>la</strong>nt entre l’andante et l’allégro, le<br />

rythme de ses petits épisodes est souple et dramatique. Le début est lent<br />

42 Si Graham Runnalls hésite <strong>à</strong> exprimer le même avis (‘I am avoiding saying the farce<br />

is necessarily a <strong>la</strong>ter, dramatised version of the fabliau’, p. 13), c’est parce qu’il est trop<br />

conscient d’un écart chronologique entre les deux textes. La présence du Prestre crucefié<br />

dans le MS Bodmer du 15 e s. sert, cependant, <strong>à</strong> combler tout écart.<br />

43 Scène aussi pleine d’ironie: voici le prêtre qui commande <strong>à</strong> l’imagier un crucifix<br />

sculpté, alors qu’<strong>à</strong> <strong>la</strong> fin, ce sera lui-même que l’imagier ‘taillera’ comme un crucifix. . .<br />

44 Les fabliaux comprennent, et manient, parfaitement les qualités dramatiques de<br />

l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur. Voir, <strong>à</strong> ce sujet, l’article excellent de R. Brusegan,<br />

‘La représentation de l’espace dans les fabliaux. Frontières, intérieurs, fenêtres’,<br />

Reinardus 4 (1991), pp. 51–70.

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