photsoc Junior sarcelles - La Revue des Ressources
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la Femme passe-muraille<br />
On se demande pourquoi elle n’est pas comme les murs, gris, interminables… mais elle pince ses<br />
doigts délicats alors les murs sont <strong>des</strong> fleurs. Pas <strong>des</strong> fleurs pour fermer les yeux, ces fleurs œillères<br />
comme celles qu’on nous vend à longueur d’années –- elle, regarde la dignité les yeux dans les yeux,<br />
droite et souple à la fois, de cette foi en la lutte qui plie et ne rompt pas. Je l’appelle : la femme passemuraille.<br />
la marchande d’œufs<br />
Fabrice marzuolo<br />
vous me payez et ne me regardez pas quand je vous rends la monnaie. d’ailleurs, me regardez-vous<br />
seulement lorsque je trie vos œufs ? lorsque je vous tends votre boîte ? vous seriez incapable de<br />
me reconnaître si j’étais loin de mon étal. les autres marchan<strong>des</strong> et moi sommes interchangeables,<br />
nous qui vous servons chaque semaine depuis <strong>des</strong> années. Pensez-vous que nous ne sommes que<br />
ça ? nous sommes <strong>des</strong> femmes qui menons <strong>des</strong> combats, éduquons nos enfants, faisons vivre la<br />
communauté. lorsque je sors d’ici, je ne suis plus qu’une main qui contribue à votre petit-déjeuner<br />
continental. Je suis quelqu’un d’entier avec <strong>des</strong> rêves et <strong>des</strong> ambitions. ma vie ne se limite pas à vos<br />
vingt-quatre œufs hebdomadaires. mais pour vous, ma vie se restreint au marché.<br />
*<br />
la nuit est tombée. notre salle de spectacle est la plus grande au monde. elle n’a ni mur ni plafond,<br />
ni fosse ni estrade, ni loge ni parterre. notre opéra est en plein air, illuminé par les étoiles, et peut<br />
accueillir le monde entier. les spectateurs prennent place dans <strong>des</strong> chaises en plastique. vous êtes<br />
là, vous aussi. vous ne pouviez pas passer à côté du dernier phénomène. les journalistes <strong>des</strong> quatre<br />
coins du globe viennent nous interviewer, nous filmer lors <strong>des</strong> répétitions.<br />
mais vous, vous ne me reconnaissez pas. le maestro nous guide, nous entamons O Fortuna. le sol<br />
vibre sous la force <strong>des</strong> instruments, la puissance <strong>des</strong> voix. Je ne cesse de frotter les cor<strong>des</strong> de mon<br />
violoncelle. les larmes gonflent mes paupières, j’ai la chair de poule. Je suis transportée, loin, si loin<br />
du marché, <strong>des</strong> œufs, de votre indifférence. ce soir, je suis une autre, je suis une étoile et je brille<br />
jusqu’à vous aveugler. vous applaudissez, vous nous acclamez.<br />
mais vous ne me reconnaissez toujours pas.<br />
moi, je sais qui vous êtes.<br />
Jo ann von haff<br />
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