Regard sur la peine de mort
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La <strong>peine</strong> <strong>de</strong> <strong>mort</strong> et <strong>la</strong> loterie macabre du droit <strong>de</strong> grâce<br />
Selon le droit international (PIDCP art.6.4), toute personne condamnée à<br />
<strong>mort</strong> a le droit <strong>de</strong> se pourvoir en grâce ou <strong>de</strong> présenter un recours en<br />
commutation <strong>de</strong> <strong>peine</strong>, ce qui peut être accordé dans tous les cas <strong>de</strong><br />
condamnation à <strong>mort</strong>. L’accord <strong>de</strong> <strong>la</strong> grâce<br />
dépend souvent d’un seul haut responsable<br />
étatique qui agit selon ses propres convictions<br />
mais aussi selon les impératifs <strong>de</strong> sa politique.<br />
La grâce n’innocente pas le condamné, elle le<br />
dispense <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>peine</strong> prévue. Dans une justice<br />
rendue par les hommes, donc faillible, elle est<br />
une sorte <strong>de</strong> correction subjective, puisque<br />
celui qui l’octroie n’a pas à se justifier.<br />
La grâce n’est pas toujours du ressort du<br />
chef <strong>de</strong> l’État. Au Japon, le gouvernement est<br />
habilité à commuer les <strong>peine</strong>s <strong>de</strong> <strong>mort</strong>. Dans<br />
les pays qui appliquent le droit musulman<br />
(charia), quand il s’agit d’une condamnation<br />
à <strong>mort</strong> pour homici<strong>de</strong>, <strong>la</strong> grâce est du ressort<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> famille <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime, qui peut choisir<br />
une compensation financière. En Iran, <strong>de</strong><br />
nombreuses charges sont formulées en termes vagues, comme « l’inimitié<br />
à l’égard <strong>de</strong> Dieu » ou <strong>la</strong> « corruption <strong>sur</strong> terre ». Ces infractions sont<br />
considérées comme <strong>de</strong>s crimes contre Dieu et à ce titre, elles ne peuvent<br />
faire l’objet d’une grâce. (MDE 13/110/2007). En Chine, le droit <strong>de</strong> grâce<br />
n’existe pas.<br />
La question <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>peine</strong> <strong>de</strong> substitution<br />
Une idée ancienne<br />
Déjà Cesare Beccaria, comme Voltaire, avançait l’idée <strong>de</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce<br />
un « esc<strong>la</strong>vage perpétuel » et, en 1791, Pelletier <strong>de</strong> Saint-Fargeau proposa<br />
à l’Assemblée nationale <strong>de</strong> conserver le détenu au cachot durant douze<br />
à vingt-quatre ans : « Le condamné sera voué à une entière solitu<strong>de</strong> ;<br />
son corps et ses membres porteront <strong>de</strong>s fers ; du pain, <strong>de</strong> l’eau, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
paille lui fourniront pour sa nourriture et pour son pénible repos l’absolu<br />
nécessaire ». Plus près <strong>de</strong> nous, Victor Hugo a proposé les « travaux forcés<br />
à perpétuité, dans un bagne ».<br />
Aujourd’hui<br />
Tous les pays abolitionnistes ont prévu une <strong>peine</strong> d’emprisonnement pour<br />
<strong>la</strong> substituer à <strong>la</strong> <strong>peine</strong> capitale mais peu ont adopté une perpétuité réelle.<br />
Aux Pays-Bas, une condamnation à perpétuité n’inclut aucune possibilité<br />
<strong>de</strong> libération conditionnelle. Au Royaume-Uni existe une <strong>peine</strong> <strong>de</strong> prison<br />
à perpétuité réelle ou avec une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> sûreté <strong>de</strong> durée variable en<br />
fonction <strong>de</strong>s risques mais pouvant atteindre cinquante ans. Une libération<br />
ne peut être obtenue que par le ministre <strong>de</strong> l’intérieur, pour cause <strong>de</strong> santé.<br />
En France, en 1981, Robert Badinter a refusé une quelconque <strong>peine</strong> <strong>de</strong><br />
remp<strong>la</strong>cement à <strong>la</strong> <strong>peine</strong> <strong>de</strong> <strong>mort</strong> : « La <strong>peine</strong> <strong>de</strong> <strong>mort</strong> est un supplice, et<br />
l’on ne remp<strong>la</strong>ce pas un supplice par un autre ». Les Assises peuvent<br />
condamner à x ans, dont 18 incompressibles, à 22 pour certains<br />
crimes et même à 30 pour d’autres. (Articles 123, 221) La nouvelle<br />
version (février 2012) gar<strong>de</strong>ra les mêmes dispositions.<br />
20 <strong>Regard</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>peine</strong> <strong>de</strong> <strong>mort</strong><br />
Droit <strong>de</strong> grâce<br />
Quant au droit <strong>de</strong> grâce, il convient, comme Raymond Forni l’a<br />
rappelé, <strong>de</strong> s’interroger à son sujet. Lorsque le roi représentait Dieu<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre, qu’il était oint par <strong>la</strong> volonté divine, le droit <strong>de</strong> grâce avait<br />
un fon<strong>de</strong>ment légitime. Dans une civilisation, dans une société dont<br />
les institutions sont imprégnées par <strong>la</strong> foi religieuse, on comprend<br />
aisément que le représentant <strong>de</strong> Dieu ait pu disposer du droit <strong>de</strong><br />
vie ou <strong>de</strong> <strong>mort</strong>. Mais dans une république, dans une démocratie,<br />
quels que soient ses mérites, quelle que soit sa conscience, aucun<br />
homme, aucun pouvoir ne saurait disposer d’un tel droit <strong>sur</strong><br />
quiconque en temps <strong>de</strong> paix.<br />
Robert Badinter<br />
débats du 17 septembre 1981 - Assemblée nationale française