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GUSTAVE MOREAU - Les portraits d'Hélène de Troie : des ... - proplus

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<strong>GUSTAVE</strong> <strong>MOREAU</strong> - <strong>Les</strong> <strong>portraits</strong> d’Hélène <strong>de</strong> <strong>Troie</strong> : <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s aux tableaux<br />

1 - Etu<strong>de</strong> 2 - Esquisse 3 – Tableau A 4 – Tableau B (Salon <strong>de</strong> 1880)<br />

5 – Tableau C 6 – Tableau D 7 – Tableau E<br />

Gustave <strong>MOREAU</strong>, Hélène sur les<br />

remparts <strong>de</strong> <strong>Troie</strong> (Musée Gustave<br />

Moreau)<br />

A propos <strong>de</strong> ‘Hélène sur les remparts <strong>de</strong><br />

<strong>Troie</strong>’, Huysmans, auteur contemporain <strong>de</strong><br />

Moreau, parle d’un "terrible horizon<br />

éclaboussé <strong>de</strong> phosphore et rayé <strong>de</strong> sang".<br />

On y voit une idole funeste, hiératique et<br />

altière, foulant au pied le carnage et les<br />

flèches. Une fleur à la main, elle ne semble<br />

pas se préoccuper du massacre qu’elle a<br />

causé. Sa robe et les rochers semblent une<br />

seule casca<strong>de</strong> minérale, et le visage blême<br />

d’Hélène se confond avec le ciel éteint, pâle<br />

d’horreur.


« JE VEUX FAIRE UN ART ÉPIQUE »<br />

<strong>GUSTAVE</strong> <strong>MOREAU</strong> - <strong>Les</strong> <strong>portraits</strong> d’Hélène <strong>de</strong> <strong>Troie</strong> : <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s aux tableaux<br />

Très tôt passionné <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin et d’histoire, Gustave Moreau, qui a fait <strong>de</strong> sérieuses et soli<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s classiques, déclare à son père qui l’avait autorisé à suivre les cours à l’École <strong>de</strong>s Beaux-Arts (1844 ?) : « Je<br />

veux faire un art épique qui ne soit pas un art d’école. » En 1850, il quitte les Beaux-Arts et s’installe dans un atelier voisin <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> son ami, le peintre Théodore Chassériau, qu’il admire à la fois comme<br />

homme et comme artiste.<br />

D’octobre 1857 à octobre 1859, Gustave Moreau séjourne en Italie pour se guérir du désarroi profond où l’ont plongé la mort <strong>de</strong> Théodore Chassériau et une vive déception sentimentale. Il découvre les<br />

gran<strong>de</strong>s villes d’art : Rome, Turin, Milan, Venise, Florence, écume les musées, les palais, les jardins, avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> beauté. Le jeune homme retrouve en Italie l’enthousiasme <strong>de</strong> sa jeunesse. Dès son retour à Paris, il se<br />

lance dans l’exécution <strong>de</strong> sujets antiques, qu’il abor<strong>de</strong> dans un style très personnel, plus proche du symbolisme que du romantisme. En réalité, influencé par son séjour italien, Gustave Moreau est l’héritier <strong>de</strong>s<br />

artistes du Quattrocento. Ses maîtres sont Carpaccio, Le Pérugin, Mantegna.<br />

ŒDIPE ET LE SPHINX<br />

Il faut attendre 1864 pour que l’artiste puisse présenter au Salon l’œuvre qui lui tient à cœur, Œdipe et le Sphinx. Vantée comme l’événement artistique du Salon, cette œuvre est reconnue comme une<br />

œuvre capitale. Gustave Moreau, jusqu’alors inconnu, est salué quasi unanimement par la critique pour son réel talent <strong>de</strong> coloriste. Encouragé par ce succès, Moreau s’engage plus avant dans sa réflexion<br />

artistique et présente au Salon <strong>de</strong> l’année suivante (1865) <strong>de</strong>ux autres toiles du même esprit : Le Jeune homme et la mort et Jason et Médée. Toutes <strong>de</strong>ux également empreintes <strong>de</strong> cette « belle inertie »<br />

sur laquelle repose son art et qui va désormais caractériser l’ensemble <strong>de</strong> son œuvre. Se refusant à peindre <strong>de</strong>s actes, le peintre rejette toute idée <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong> l’action. Au profit <strong>de</strong> la réflexion. Ce qui<br />

l’intéresse, ce sont <strong>de</strong>s états, <strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong>s sentiments, seuls dignes, selon lui, d’être représentés. Dès lors, Gustave Moreau ne se départit plus <strong>de</strong> ses choix. Son art s’inscrit dans la lignée <strong>de</strong> ses amis et<br />

hommes <strong>de</strong> lettres, Jean Lorrain, Robert <strong>de</strong> Montesquiou, Théodore <strong>de</strong> Banville, Joris-Karl Huysmans. Dont il partage le goût pour la luxuriance, la sensualité exaltée, l’idéalisation extrême.<br />

DU SALON DE 1876 AU SALON DE 1880<br />

Pourtant, Gustave Moreau se tient durant quelques années à l’écart <strong>de</strong> la scène artistique. Encouragé par ses amis, il se déci<strong>de</strong> à présenter ses œuvres au Salon <strong>de</strong> 1876. Un envoi qui comporte Hercule et<br />

l’Hydre <strong>de</strong> Lerne, Salomé dansant <strong>de</strong>vant Héro<strong>de</strong>, L’Apparition et Saint Sébastien et un ange. Cet ensemble produit un vif effet sur le public, tant par la maîtrise d’exécution que par la richesse <strong>de</strong> la<br />

palette.<br />

Fort <strong>de</strong> ce succès, l’artiste accepte <strong>de</strong> réunir plusieurs <strong>de</strong> ces toiles pour l’Exposition Universelle <strong>de</strong> 1878. Outre les œuvres les plus récentes, Gustave Moreau présente Le Sphinx <strong>de</strong>viné, David méditant,<br />

Jacob et l’ange, Moïse exposé sur le Nil, ainsi que <strong>de</strong>s aquarelles. Cette manifestation lui assure notoriété et reconnaissance dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la peinture. Et poètes et hommes <strong>de</strong> lettres, admiratifs <strong>de</strong> son<br />

art, lui consacrent leurs plus belles pages. Ainsi <strong>de</strong> José Maria <strong>de</strong> Hérédia, ou <strong>de</strong>s pages brûlantes <strong>de</strong> Huysmans dans À Rebours. Après le Salon <strong>de</strong> 1880, où le peintre présente sa Galatée et Hélène sur les<br />

remparts <strong>de</strong> <strong>Troie</strong>, Gustave Moreau se retire définitivement <strong>de</strong> la scène artistique. Il continue son œuvre visionnaire (<strong>Les</strong> Chimères, La Vie <strong>de</strong> l’humanité), loin <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s manifestations.<br />

LE MUSÉE DE LA RUE LA ROCHEFOUCAULD<br />

Nommé professeur à l’École <strong>de</strong>s Beaux-Arts en 1892, Gustave Moreau est le maître <strong>de</strong> Matisse, Rouault, Marquet. Considéré par certains comme le précurseur <strong>de</strong> l’abstraction, il a exercé une véritable<br />

fascination sur André Breton.<br />

À sa mort, survenue à Paris le 18 avril 1898. Gustave Moreau laisse une œuvre immense. Dont il a fait don à l’État par testament. 797 peintures, 575 aquarelles, plus <strong>de</strong> 7 000 <strong>de</strong>ssins, 23 cartons <strong>de</strong> calques.<br />

Cette œuvre est conservée dans l’atelier-hôtel particulier qui était le sien, 14, rue <strong>de</strong> La Rochefoucauld à Paris.<br />

Gustave Moreau a confié à l’un <strong>de</strong> ses carnets : « Personne ne croit moins que moi à l’œuvre <strong>de</strong> l’homme en tant qu’importance absolue et définitive, puisque pour moi rien n’est que rêve sur cette terre, mais<br />

en vivant avec l’œuvre <strong>de</strong> génie <strong>de</strong>s morts, œuvre triée et choisie, je vis avec ce qui a le plus ressemblé sur la terre au divin, à l’immortel. »<br />

Angèle Paoli


JULES LAFORGUE, Sur l’Hélène <strong>de</strong> Gustave Moreau<br />

<strong>GUSTAVE</strong> <strong>MOREAU</strong> - <strong>Les</strong> <strong>portraits</strong> d’Hélène <strong>de</strong> <strong>Troie</strong> : <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s aux tableaux<br />

[Ce poème a été écrit en 1880 après qu'il a été charmé par la beauté divine <strong>d'Hélène</strong> sur un tableau <strong>de</strong> Gustave Moreau. En 1880, Laforgue, bien que très jeune, est déjà bien marqué<br />

par la dureté <strong>de</strong> la vie. Il a 20 ans et a déjà perdu sa mère. Son père, mala<strong>de</strong>, est obligé <strong>de</strong> quitter Paris. Il se retrouve seul avec sa sœur. Il échouera même trois fois au baccalauréat.<br />

Sa propre maladie, sa tristesse, la perte <strong>de</strong> ses êtres chers, se reflètent dans ce poème.]<br />

Frêle sous ses bijoux, à pas lents, et sans voir<br />

Tous ces beaux héros morts, dont pleurent les fiancées,<br />

Devant l'horizon vaste ainsi que ses pensées,<br />

Hélène vient songer dans la douceur du soir.<br />

« Qui donc es-tu, Toi qui sèmes le désespoir? »<br />

Lui râlent les mourants fauchés là par brassées,<br />

Et la fleur qui se fane à ses lèvres glacées<br />

Lui dit : Qui donc es-tu ? <strong>de</strong> sa voix d'encensoir.<br />

Hélène cependant parcourt d'un regard morne<br />

La mer, et les cités, et les plaines sans borne,<br />

Et prie : « Oh! c'est assez, Nature! reprends-moi!<br />

Entends ! Quel long sanglot vers nos Lois éternelles ! »<br />

- Puis, comme elle frissonne en ses noires <strong>de</strong>ntelles,<br />

Lente, elle re<strong>de</strong>scend, craignant <strong>de</strong> « prendre froid ».


BIOGRAPHIE<br />

<strong>GUSTAVE</strong> <strong>MOREAU</strong> - <strong>Les</strong> <strong>portraits</strong> d’Hélène <strong>de</strong> <strong>Troie</strong> : <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s aux tableaux<br />

Laforgue est né le 16 août 1860 à Montevi<strong>de</strong>o (Uruguay). Son père, Charles Laforgue, d'origine tarbaise, est employé <strong>de</strong> banque et sa mère, née Pauline Lacollay, d'origine<br />

havraise, est la fille d'un fabriquant <strong>de</strong> chaussures. Atteint <strong>de</strong> phtisie, Jules Laforgue meurt le 20 août 1887, à l'âge <strong>de</strong> 27ans.<br />

Sous le pseudonyme d'Ouraphle, il publiera son premier poème le 1er aout 1879 intitulé « la Chanson <strong>de</strong>s Morts ». En août et septembre, <strong>de</strong> la même année, sous son nom,<br />

Laforgue publiera trois autres poésies dans La Guêpe.<br />

En 1881, il compose <strong>de</strong>s poèmes qu'il compte publier sous le titre « Le Sanglot <strong>de</strong> la terre », mais finalement, il renoncera à son projet en 1883. En 1885, publication <strong>de</strong>s<br />

Complaintes, l'Imitation <strong>de</strong> Notre-Dame la lune. Après sa mort, en 1890, parution <strong>de</strong>s Fleurs <strong>de</strong> bonne volonté, 1901-1903 : Publication <strong>de</strong>s Œuvres complètes <strong>de</strong> Laforgue.<br />

LAFORGUE ET HÉLÈNE DE TROIE<br />

Le mythe <strong>d'Hélène</strong>.<br />

o Le comparatiste Jean-Louis Backès, qui a étudié le mythe <strong>d'Hélène</strong> <strong>de</strong> <strong>Troie</strong>, conclut qu'il s'agit d'une figure à la fois très connue – c'est l'une <strong>de</strong>s plus notoires<br />

"femmes fatales" – et très secondaire, "épisodique" même, au sens d'"accessoire" : aucune œuvre importante n'est centrée sur elle ; elle n'apparaît que dans <strong>de</strong>s<br />

passages <strong>de</strong> textes qui ne lui sont nullement entièrement consacrés. Une exception cependant, qui semble une ironie du sort : Offenbach et sa Belle Hélène <strong>de</strong> 1864<br />

! Bref, "un mythe littéraire aberrant". Hélène, dit-il, est une façon <strong>de</strong> parler : là où elle est nommée, il suffit <strong>de</strong> lire "la Beauté", et "le seul élément constant du<br />

mythe semble être son nom : c'est peu".<br />

o On pourrait en dire autant <strong>de</strong> l'Hélène <strong>de</strong> Laforgue ; cependant, certains <strong>de</strong>s éléments traditionnels du mythe sont à considérer. Il y eut en Grèce un culte<br />

<strong>d'Hélène</strong>, et le soupir final du narrateur d'Hamlet, plaignant l'infidèle Kate rossée par son amant, paraît s'en souvenir : "…Et cependant elle était si belle, Kate,<br />

que, en d'autres temps, la Grèce lui eût élevé <strong>de</strong>s autels". Selon les mythographes, Hélène à la fin <strong>de</strong> sa vie aurait été transportée dans une "Ile blanche" (Leukè)<br />

interdite aux mortels, où elle récitait les vers d'Homère, ce qui a pu inspirer les "Iles Blanches Esotériques" <strong>de</strong> Laforgue.<br />

o <strong>Les</strong> composantes fondamentales du récit mythique sont, en premier lieu, un adultère féminin aux conséquences particulièrement meurtrières ; ensuite, le doute ou<br />

le débat sur la responsabilité <strong>de</strong> la protagoniste ; le scénario oscille entre tragédie et pantalonna<strong>de</strong>. L'invective, les reproches faits à Hélène font partie du mythe<br />

dès l'Ilia<strong>de</strong>, mais il s'y ajoute une certaine indulgence : non seulement elle n'est peut-être pas coupable, n'étant que l'instrument <strong>de</strong>s dieux, mais <strong>de</strong> plus son<br />

exceptionnelle beauté pousse à tout lui pardonner, comme le pensaient les vieillards troyens à la porte Scée dans une célèbre scène d'Homère. Ambivalence<br />

résumée par l'Hélène du Second Faust <strong>de</strong> Goethe qui se présente ainsi : "tant admirée, couverte <strong>de</strong> tant d'outrages, je suis Hélène". La dérision qu'on trouvera<br />

chez Laforgue est bien une manière d'outrage… D’ailleurs, toutes les Hélène postérieures à l'opéra-bouffe d'Offenbach seront un peu <strong>de</strong>s "Belle-Hélène", et c'est<br />

la figure mythique qui ne s'en est pas remise : il <strong>de</strong>vient difficile <strong>de</strong> la prendre au sérieux.<br />

Le tableau <strong>de</strong> Moreau ou le rhume <strong>d'Hélène</strong>.<br />

o Le seul texte <strong>de</strong> Laforgue entièrement consacré à Hélène <strong>de</strong> <strong>Troie</strong>, qu'on peut donc considérer comme une (courte) reprise du mythe, est son sonnet <strong>de</strong> 1880 "Sur<br />

l'Hélène <strong>de</strong> Gustave Moreau". Il est très probable qu'il a visité le Salon où fut présentée la toile, car ses textes <strong>de</strong> critique d'art nomment d'autres tableaux du<br />

Salon <strong>de</strong> cette même année : Galatée <strong>de</strong> Moreau, Ismaël <strong>de</strong> Cazin, Caïn <strong>de</strong> Cormon ; <strong>de</strong> plus, la famille du poète conserve une brochure du Salon <strong>de</strong> peinture <strong>de</strong><br />

1880, sur lequel Laforgue avait inscrit son nom.<br />

o Il faut rappeler que Laforgue apprécie Moreau, un <strong>de</strong>s rares peintres "littéraires" qui trouvent grâce à ses yeux. Il décrit sa "Jeune fille thrace à la tête<br />

d'Orphée" dans Le Symboliste, et ses notes d'art voient en elle une "sœur immédiate <strong>de</strong> notre éphémère [...] avec son regard mo<strong>de</strong>rne".<br />

o <strong>Les</strong> comptes rendus <strong>de</strong> presse du Salon <strong>de</strong> 1880 soulignent tous l'impassibilité <strong>d'Hélène</strong>, son hiératisme et son intemporalité : "C'est l'indifférence immortelle, la<br />

force irrésistible <strong>de</strong> la femme" (Le Phare <strong>de</strong> la Loire, 4 juin 1880) ; "Ne reconnaissez-vous pas en cette effrayante et candi<strong>de</strong> figure la source <strong>de</strong> vos amours, <strong>de</strong><br />

vos désespoirs, <strong>de</strong> vos délires ?" (Le Gaulois, 20 juin 1880). Pour Huysmans, Hélène a "une pose cataleptique" ; inquiétante comme la Dame <strong>de</strong> Pique <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong>


<strong>GUSTAVE</strong> <strong>MOREAU</strong> - <strong>Les</strong> <strong>portraits</strong> d’Hélène <strong>de</strong> <strong>Troie</strong> : <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s aux tableaux<br />

cartes, majestueuse comme Salammbô, elle est "semblable à une divinité malfaisante qui empoisonne, sans même qu'elle en ait conscience, tout ce qui l'approche ou<br />

tout ce qu'elle regar<strong>de</strong> et touche".<br />

o Or, le tableau <strong>de</strong> Moreau a disparu : on a perdu sa trace lors <strong>de</strong> la dispersion en 1913 <strong>de</strong> la collection Jules Beer à laquelle il appartenait. Il reste un <strong>de</strong>ssin envoyé<br />

par le peintre à Jean Bour<strong>de</strong>au, ainsi qu'une esquisse intitulée Hélène aux portes Scées, sans qu'on sache s'ils sont liés au tableau <strong>de</strong> 1880, avec lequel ils<br />

présentent <strong>de</strong>s différences parfois importantes. Une photo ancienne en noir et blanc, reproduite dans le catalogue <strong>de</strong> la vente <strong>de</strong> 1913 puis dans les ouvrages sur<br />

Moreau du début du siècle, permet, couleurs mises à part, <strong>de</strong> se faire une idée du tableau perdu. Hélène apparaît blon<strong>de</strong> comme Galatée, vêtue <strong>de</strong> robes cousues <strong>de</strong><br />

joyaux comme Salomé ; d'une rai<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> statue, sa verticalité accentuée par les murs <strong>de</strong> l'arrière-plan, elle tient une fleur et se dresse sur une sorte <strong>de</strong> pié<strong>de</strong>stal,<br />

dominant un amas <strong>de</strong> jeunes guerriers morts, gracieux, amoureusement enlacés, transpercés <strong>de</strong> flèches comme autant <strong>de</strong> saint Sébastien.<br />

o Tel est donc le tableau auquel Laforgue consacre ce qui semble un sonnet-d'hommage-au-peintre comme Moreau en reçut beaucoup. Le même tableau inspira <strong>de</strong>s<br />

poèmes à Théodore <strong>de</strong> Banville, Henri <strong>de</strong> Régnier, Paul Bourget ; André Breton le mentionne dans Le Surréalisme et la peinture. Sonnet très traditionnel au<br />

<strong>de</strong>meurant : si la rime finale est bien pauvre, les vers, à une exception près (le cinquième), sont <strong>de</strong>s alexandrins régulièrement balancés à césure médiane ; la<br />

disposition <strong>de</strong>s rimes est régulière, la construction sans surprise.<br />

o Que reste-t-il du mythe ? Hélène n'apparaît ici qu'en référence au tableau. Aucune allusion donc à la guerre <strong>de</strong> <strong>Troie</strong> (sinon les "héros morts"), à l'infidélité<br />

<strong>d'Hélène</strong> ni aux vieillards <strong>de</strong> la porte Scée. Il traite par contre <strong>de</strong> la responsabilité <strong>d'Hélène</strong>, qui souhaite mourir pour ne plus faire mourir ("Oh ! c'est assez,<br />

Nature ! reprends-moi !"). Elle soupire : "Si seulement je savais pourquoi Moi plutôt qu'une autre ?" - à quoi son frère est tenté <strong>de</strong> lui répondre : "C'est toi qui as<br />

commencé!". Chez Offenbach, Oreste signalait que sa tante, qui "a eu <strong>de</strong>s aventures", "se rattrape en disant que c'est la fatalité"… Comme le conte du Miracle <strong>de</strong>s<br />

roses, le poème hésite à innocenter Hélène. Elle se pose volontiers en victime fragile, mais n'en est pas moins bourreau….<br />

o Dans le nom d’Hélène – on songe aux lettres O,L,N, aux sonorités du nom <strong>d'Hélène</strong>, qui contient "Elle", "ailes" et peut-être "haine" ; Hélène est l'occasion - et la<br />

victime - d'un jeu sur les sons plus que sur le sens du nom, c'est-à-dire le mythe. Dans "Hélène", il y a certes en puissance toutes les "Elle", Hélène étant la femme<br />

immémoriale, les "L" <strong>de</strong> Lili (Ophélie), peut-être aussi les "ailes" du poète pour se libérer et fuir : "Elles ! ramper vers elles d'adoration ?". Pointe ici un autre type<br />

<strong>de</strong> dérision, celui qui prend le nom comme objet sonore ou même comme tracé, déconstruisant ainsi l'i<strong>de</strong>ntité mythique, même s'il en subsiste un peu (car c'est<br />

toujours la Femme, victime et fatale).<br />

o L'année 1880, c'est pour Laforgue l'époque exaltée <strong>de</strong>s "spleens cosmiques", l'année <strong>de</strong>s poèmes "philo" du Sanglot <strong>de</strong> la terre, dont nombre <strong>de</strong> sonnets, qui<br />

disparaîtront ensuite. Ce sanglot apparaît d'ailleurs dans le sonnet : "Nature [...] / Entends ! quel long sanglot vers nos Lois éternelles", soupire Hélène. <strong>Les</strong><br />

questions qui lui sont adressées sont celles, métaphysiques, qui rythment le Sanglot : "qui es-tu ? est-il quelqu'un là-haut? quel est ton but ? pourquoi ces choses ?"<br />

et ne reçoivent jamais <strong>de</strong> réponse, leur sens étant <strong>de</strong> rester à jamais <strong>de</strong>s interrogations. Hélène s'égale au dieu muet, à la Nature insensible et cruelle. Mais par<br />

ses "vastes pensées", celle qui regar<strong>de</strong> "la mer, et les cités, et les plaines sans borne" joue aussi au poète-philosophe. Elle est en position dominante : une rêverie<br />

perchée qui traverse toute l'œuvre (<strong>de</strong> "j'étais sur une tour..." du Sanglot à "Solo <strong>de</strong> Lune" en passant par Hamlet). En cela, c'est bien au Poète rêvant face aux<br />

étoiles qu'elle s'i<strong>de</strong>ntifie, et pas seulement à la femme meurtrière. De fait, le sonnet illustre, au-<strong>de</strong>là du personnage mythique, les attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> nombre <strong>de</strong> poèmes<br />

<strong>de</strong>s années 1880 : interrogations, plaintes métaphysiques, postures romantiques attardées …<br />

o … Si ce n'était la pirouette finale, le texte conférant à Hélène in fine la préoccupation toute quotidienne et bourgeoise d'éviter les rhumes. <strong>Les</strong> guillemets à<br />

"prendre froid" visent à faire pardonner, mais aussi à souligner la familiarité <strong>de</strong> l'expression finale, à moins qu'ils ne suggèrent l'absurdité d'une qui appelle la<br />

mort mais a peur <strong>de</strong>s courants d'air. Quoi qu'il en soit, la chute du sonnet vient court-circuiter les angoisses cosmiques, celles du poète et celles <strong>d'Hélène</strong>. La fleur<br />

et sa "voix d'encensoir", écho d'"Harmonie du soir" <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>laire, sent déjà la parodie. La fin du sonnet implique un jugement moqueur, et les "lèvres glacées" et le<br />

"frisson" <strong>d'Hélène</strong> y trouvent une explication très prosaïque : l'opéra-bouffe n'est pas loin…

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