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JEAN-MARIE GHEERARDIJN - Espace 251 Nord

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Liège, le 1/04/92.<br />

Cela faisait trois jours que j’avais délaissé mon appartement<br />

du centre-ville ; je décidai d’y retourner.<br />

rouvris la porte d’entrée, elle donnait sur un couloir<br />

qui donnait accès aux différents étages, et qui juxtaposait<br />

le magasin de chaussures dont le propriétaire<br />

était également le mien, lorsque je remarquai une<br />

présence de mouches anormale malgré la chaleur qu’il<br />

faisait ce jour-là. D’où pouvaient-elles bien venir ? Je<br />

pensais surtout à certains locataires de l’immeuble.<br />

Plus je grimpais les étages et plus je croisais de ces<br />

mêmes insectes. J’atteignis le troisième, celui de<br />

mon appartement. rouvris la porte et la refermai, et<br />

me retrouvai face à celle de la pièce-atelier. Et là il<br />

faut vraiment se l’imaginer, il faisait très calme et<br />

cela me rassura un moment, je me dis que ces mouches<br />

croisées au rez-de-chaussée et dans les escaliers<br />

ne provenaient peut-être pas de chez moi. Je poussai<br />

la porte. Un bruit assourdissant m’envahit, j’étais<br />

terrifié, des milliers de mouches me fonçaient dessus.<br />

J’avançai en me protégeant les yeux et la bouche<br />

tout en marchant sur un amoncellement de mouches<br />

répandues sur le plancher. J’avais évidemment compris<br />

que cela venait de mes élevages et je repérai<br />

tout de suite l’origine de la fuite ; je m’empressai<br />

d’y remédier si ce n’était pas déjà trop tard. Jimi la<br />

grosse mouche était pris au piège, et il n’avait pas<br />

de quoi les gazer. Il ne voulait pas ouvrir les fenêtres<br />

de l’atelier car il ne pouvait se permettre de laisser<br />

s’échapper toutes ces mouches et les perdre, elles lui<br />

étaient trop précieuses. Je m’imaginais déjà qu’on<br />

allait me mettre la camisole de force pour avoir lâché<br />

quatre mille Calliphora un dimanche après-midi rempli<br />

de touristes, et avoir perturbé l’équilibre biologique<br />

de la rue Pont-d’île. Je devais continuer l’exploration<br />

de l’appartement qui était devenu un immense caisson<br />

d’élevage. J’avais laissé deux seaux remplis d’eau<br />

savonneuse qui contenaient des draps. Ils étaient recouverts<br />

de centaines de mouches agonisant dans le<br />

savon. Comment faire pour rincer ces draps dans ces<br />

conditions cauchemardesques ? Je devais absolument<br />

essayer de toutes mes forces de faire abstraction<br />

de toutes ces mouches qui me fonçaient sur la tête<br />

et qui voulaient pénétrer dans mes oreilles ou dans<br />

ma bouche. Il fallut que j’enlève le plus possible de<br />

mouches pour pouvoir rincer les draps tout en évitant<br />

qu’elles ne s’écrasent dessus. Je réussis à les essorer<br />

puis à les faire sécher au grenier. Ensuite je quittai<br />

l’appartement. J’étais en nage; cela avait duré<br />

presqu’une demi-heure. Je re- montai lentement la<br />

rue Pont-d’île et lorsque je croisai une famille avec<br />

un gosse en train de hurler, je ne l’entendais plus,<br />

tellement ma tête était remplie de ces mouches<br />

hurlantes. J’étais soulagé en pensant que lundi soir<br />

je dormirais dans un lit propre après avoir nettoyé<br />

tout le rez-de-chaussée, les escaliers, mon appartement,<br />

et récupéré toutes ces précieuses mouches.<br />

J’estimais que j’avais eu un dimanche bien servi et<br />

je me suis dirigé tout naturellement vers la Batte<br />

pour déguster quelques consommations fraîchement<br />

méritées. Je racontai à Juju l’accordéoniste que je<br />

venais d’être victime d’une des plus belles fuites de<br />

mouches en appartement, ce premier avril mil neuf<br />

cent nonante-deux. On ne devait plus revoir Juju...<br />

Le lundi vers 8 heures, je pénétrais à peine dans la<br />

maison que j’entendis la gérante du magasin me rattraper<br />

et me dire:<br />

“- Dites monsieur, ça vient de chez vous, toutes ces<br />

mouches? “<br />

“- Oui, j’ai eu un petit problème ! “,<br />

“- Je vous demande cela car il yen a partout dans le<br />

magasin, en plus elles sont bizarres, elles ont l’air<br />

bêtes car on les attrape facilement.”<br />

“- Ah oui. Mais si vous les capturez, vous pourriez me<br />

les mettre de côté, s’il vous plaît ? “<br />

“- Ah ça non, je les tape directement à la poubelle!<br />

“<br />

Dommage, on pouvait essayer...<br />

En allant vers le deuxième étage je devais croiser<br />

Mlle Feron, ma voisine du dessous âgée de septante-six<br />

ans, qui me dit qu’elle avait plein de<br />

mouches chez elle et qu’elle avait regardé par la<br />

fenêtre de son espèce de terrasse, et qu’elle s’était<br />

dit que cela ne devait pas venir de très loin...Et<br />

toi, t’en as aussi ? Oui, oui, un petit peu, madame.<br />

Bon, je vous souhaite une bonne soirée, madame...<br />

Texte de Jean-Marie Gheerardijn, 1992<br />

P 16

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