Esquisse de 2000 ans d'Histoire de la Turquie - Books From Turkey

Esquisse de 2000
ans d’Histoire
d e l a Tu r q u i e
Par
Süleyman SEYDİ
EDITIONS DU MINISTERE DE LA CULTURE
ET DU TOURISME DE LA REPUBLIQUE DE TURQUIE

© Direction Générale des Librairies et des Editions du Ministère
de la Culture et du Tourisme de la République Turque.
3253
Collections des Manuels
11
ISBN: 978-975-17-3475-4
www.kulturturizm.gov.tr
e-mail: yayimlar@kulturturizm.gov.tr
Seydi, Süleyman
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie/Süleyman Seydi.
1erè Edition-Ankara:
168 p.; 20 cm.- (Editions du Ministère de la Culture et du Tourisme; 3253.
Direction Générale des librairies et des Editions Collection des manuels;11)
ISBN: 978-975-17-3475-4
I. Titre. II. Séries.
956.1
Photo de couverture:
Collection du Musée du Palais de Topkapı. Istanbul / Turquie
Traduction en Français
Berna Tunalı - Nadia Temimi - Sandrine Belikırık
Imprimé par
Grafiker Ltd. Şti.
www.grafiker.com.tr
Nombre de Tirages: 3000
Imprimé a Ankara en 2010

Table des Matières
Introduction ............................................................................7
I Les anciens Etats turcs d’Asie ....................................................11
1. L’Empire des Huns.....................................................................11
2. Les Göktürks .............................................................................14
3. Les Ouïghours ...........................................................................18
4. Les Turgishs ...............................................................................20
5. Les Kirghizes .............................................................................21
6. Les Karlouks ..............................................................................21
7. Les Oghouzes ............................................................................22
II Les tribus et Etats turcs de l’Europe
de l’est à l’époque médiévale ...........................................................23
1. Les Huns de l’Ouest ...................................................................23
2. Le Khanat Avar ..........................................................................27
3. Les Sabars ..................................................................................27
4. Le Khanat Khazar .....................................................................28
5. Les Petchenègues .......................................................................28
6. Le Khanat de Kiptchak ..............................................................29
7. Les Oghours et les Etats bulgares ...............................................29
III Les premiers Etats musulmans Turcs ......................................32
1. Le Khanat Karakhanide (840 - 1212) .........................................33
2. L’Empire ghaznévide (963 - 1187) .............................................35
IV Le Grand Empire seldjoukide ..................................................38
V Les Etats turcs en Egypte et en Syrie ........................................45
1. Les Toulounides (868 - 905) .......................................................45
2. Les Ikhchidides (935 - 969) ........................................................46
3. Les Ayyoubides (1171 - 1252) .....................................................46
4. Les Mamelouks (l’Etat de Turquie) .............................................47
VI L’Etat seldjoukide (turc) d’Anatolie .........................................50
VII Les Etats turcs en Inde ............................................................58
1. Le sultanat turc de Delhi .............................................................58
2. L’Empire de Bâbur (1526 - 1858) ................................................60
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VIII Les Khanats turcs dans la région
Nord de la Mer Noire .....................................................................62
1. L’Etat de La Horde d’Or (Altınordu) .........................................62
2. Le Khanat de Kazan ...................................................................62
3. Le Khanat de Crimée .................................................................63
4. Le Khanat d’Astrakhan ..............................................................64
5. Le Khanat de Kasim (1445 - 1681) ............................................65
6. Le Khanat de Sibir .....................................................................65
7. Le Khanat de Nogaï ...................................................................65
IX Les Etats turcs fondés en Anatolie et en Perse .........................66
1. La dynastie timouride .................................................................66
2. La dynastie des Ak koynulu (Aq Qoyunlu) .................................67
3. La dynastie des kara Koyunlu (Qara Qoyunlu) ...........................68
4. La dynastie safavide ....................................................................68
X L’Empire Ottoman (1299 - 1922) ...............................................70
A. L’âge classique (1299 - 1600) .....................................................70
B. Les crises et les consolidations (1600 - 1774) .............................89
C. Le déclin (1774 - 1914) .............................................................98
D. La dissolution (1914 - 1922) ................................................... 114
XI La guerre d’indépendance turque (1919 - 1923) ..................... 124
XII La fondation de la République turque .................................. 137
A. L’ère Atatürk (1923 - 1938): Les réformes de base d’Atatürk .... 137
B. L’ère d’İnönü (1938 - 1950) ...................................................... 145
C. La politique étrangère turque pendant la Guerre froide ............ 154
Bibliographie et autres lectures ................................................... 161
Annexe
L’arbre généalogique de Seldjouk
La liste des sultans seldjoukides d’Anatolie
La liste des sultans ottomans
Les présidents de la République turque

Note
Le turc moderne fait usage de l’alphabet latin, modifié de façon à ce qu’il y ait
une lettre séparée pour chaque son principal. L’orthographe reste principalement
phonétique. Les consonnes ont plus ou moins le même son qu’en français à
l’exception de :
« ç » qui se prononce « tch » en français
« c » qui se prononce « dj » en français
« ş » qui se prononce « ch » en français
« ğ » (le g doux) dont la prononciation dépend des lettres qui l’entourent. Il peut
être pratiquement muet, allonger la voyelle qui le précède, ou être prononcé
comme un « r » doux.
« h » est marqué dans sa prononciation comme en anglais
En ce qui concerne les voyelles :
« ı » est une voyelle qui n’existe pas en français et qui se prononce comme un
« eu » retenu.
« ö » est une voyelle que l’on prononce « eu » de manière franche.
« ü » se prononce « u » en français
« u » lui se prononce « ou » en français.
« e » se prononce « é »
« y » se prononce « yé »
Le « x » et le « w » n’existent pas dans l’alphabet turc qui comprend au total 29
lettres
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Introduction
Les Turcs ont joué un rôle crucial dans l’Histoire. Durant les milliers
d’années de leur Histoire, les Turcs ont fondé plus d’une centaine de
petits ou grands Etats sur les continents d’Asie, d’Europe et d’Afrique.
L’un des Etats les plus importants établis par les Turcs au début de leur
Histoire a été le grand Empire des Huns. Le grand Empire seldjoukide
et l’Empire ottoman sont d’autres grands Etats turcs fondés pendant
la période islamique. L’Empire ottoman, en son temps, a réussi à créer
une atmosphère de paix sur trois continents, s’étendant sur plus de
20 millions de kilomètres carré, sur une période d’environ 4 siècles
avec des gens de religions et d’origines ethniques différentes. Ces
caractéristiques de l’Empire ottoman en font une des plus grandes
et des plus puissantes formations politiques jamais connues dans
l’Histoire, comparable aux Empires romain et anglais. Bien qu’ils aient
formé le seul grand Etat islamique du monde au début du vingtième
siècle, les Turcs ottomans sont restés en retrait du monde moderne
contemporain qui lui, s’éveillait à l’Ouest. C’était également vrai pour le
monde turc en dehors des frontières de l’Empire ottoman.
Les hommes d’Etat et les intellectuels ottomans ont entamé
un processus de modernisation au 18ème siècle afin d’éviter des
positions délicates. La modernisation s’est faite parallèlement à la
prise d’importance de valeurs telles que le sécularisme, la laïcité et le
nationalisme qui sont venus modeler la Turquie moderne. La Première
Guerre mondiale a marqué un tournant dans l’Histoire de la Turquie
puisque les Turcs ont perdu une grande partie de leur territoire. Après la
guerre, leur territoire sur la péninsule anatolienne a été occupée par des
troupes grecques soutenues par l’Ouest. Cependant, grâce à la présence
charismatique de Mustafa Kemal Atatürk, les Turcs d’Anatolie se sont
battus pour conserver l’indépendance de leur territoire dans les régions
d’Anatolie sur lequel ils avaient vécu un millier d’années et fondé la
République Turque en tant qu’Etat-nation. Faisant suite à un ensemble
de réformes, la Turquie a frappé aux portes de l’Union européenne, se
présentant comme le seul Etat démocratique et séculaire du monde
islamique.
Le concept de « turc » ne fait pas seulement référence aux personnes
vivant dans la République moderne turque mais aussi à ceux ayant des
liens avec la culture turque et vivant en dehors de la Turquie, soit dans
les états indépendants ou en tant que sujets d’autres nations. L’Histoire
du monde nous montre que des personnes ayant parlé des variantes
de la langue turque ont porté le nom de Hun, Tabghatch, Ouïghour,
Seldjoukide, Ottoman, Tatar, Kirghize, Ouzbek, Türkmen, Yakut,
Chuvash et Pomak. Les Turcs, durant leur Histoire, n’ont jamais été
réunis sous un même drapeau ni réunis au sein d’une même entité
politique. Il en fut ainsi à l’Epoque des Turcs de l’Histoire ancienne des
steppes de même qu’à l’époque des Empires hun, göktürk et ottoman.
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C’est toujours le cas aujourd’hui si nous considérons la République
turque et les Turcs vivant hors de ses frontières.
Il est d’usage de penser que le terme « turc » fait référence à une entité
politique plutôt qu’à une identité ethnique. Après la fondation de l’Etat
göktürk, le terme « turc » a tout d’abord été utilisé en tant que nom de
cet Etat, puis en tant que nom désignant les tribus nomades turques
sujets des Göktürks. Au fil du temps, « turc » a été utilisé pour désigner
toute société ayant un lien avec des groupes turcs. Aujourd’hui, une
distinction subsiste entre le terme « turc » et « turki » (Turkic). « turc »
fait référence aux personnes vivant dans la République moderne turque
et « turki » désigne toute personne turque vivant sur le territoire turc
ou à l’extérieur. Cette division entre les personnes vivant sur le sol turc
est un héritage des impérialistes russes du 19e siècle qui avaient des
raisons politiques particulières de différencier les Turcs de Russie et
ceux de l’Empire ottoman. Cette différenciation a persisté durant la
période soviétique de l’histoire de la Russie et est devenue encore plus
importante dans la politique de la Fédération russe post-soviétique. On
pourrait prétendre que cette distinction est inévitable pour distinguer
les Turcs vivant sur le sol turc des autres. Cependant, cela ne change en
rien le fait que le terme ‘’turc’’ est attribué à toute personne turque sans
considération de son lieu d’habitation. Le monde turc actuel comprend
une large ceinture de territoires s’étendant en Asie de la Méditerranée
de l’Est à la Mongolie, le bassin de la moyenne Volga à la frontière
sibérienne du kazakistan. Sur ce territoire, on compte six Etats turcs
indépendants de la République moderne turque :
L’Azerbaïdjan, le Kazakistan, la Kirghizie, le Turkménistan,
l’Ouzbékistan et la République turque de la partie Nord de Chypre

(qui est reconnue seulement par la République de Turquie). On compte
également de nombreuses républiques autonomes comme Bashir,
Chuvash, Yakut, Tatar, Kabardino-balkarie, KaraKalpak, Nakhitchevan,
Touva et Xinjiang Ouighours. Il y a également des régions turques
autonomes dont la République Altaï, Karachay-Cherkessia, Khakasses,
Gagaouze et Nogorno-Karabakh en Azerbaïdjan qui est passé sous
l’occupation arménienne en 1991. Certains Turcs sont des tatars de
Crimée, les Karaims et les Krymchaks dans la Péninsule de Crimée,
les Turcs de Meshetian, les Nogaïs et les Kumkys dans la République
autonome du Daghestan. De plus, il y a plusieurs régions turques en
Iran, en Irak, en Géorgie, en Bulgarie, en Grèce, en Macédoine, au
Tadjikistan, en Afghanistan et en Mongolie de l’Ouest
L’Origine des Turcs
L’origine et l’identité de la République turque contemporaine
remontent aux premiers Turcs et à leurs précurseurs d’Asie Mineure.
La location exacte de la mère patrie d’origine des Turcs avant leurs
migrations vers l’Ouest fait l’objet de discussions parmi les chercheurs
de différents domaines : En prenant en considération les archives
chinoises, les historiens considèrent les montagnes Altaï et les environs
comme frontières de cette probable mère patrie. Des archéologues
russes ont également leur avis sur la question et d’après eux, le
prototype de la culture turque se trouverait dans la culture Andronovo
de la région Munisinks, au Nord-Ouest des montagnes Altaï entre
1700 et 1200 avant J.C. La culture Andronovo a émergé d’une culture
Afanasyevo plus ancienne encore, datant de 2500 à 1700 avant J .C. La
culture Afanasyevo se composait de la race blanche des brachycéphales
ayant des caractéristiques distinctes de la race des dolichocéphales de
la Mongolie et des Méditerranéens. Les descendants de la race des
brachycéphales vivaient dans les montagnes Altaï du Sud-Ouest.
La première date de l’Histoire de la Turquie malheureusement n’a
pas été bien documentée. Cependant, les premiers Turcs connus sous
le nom des « Sakas » (Scythiques) vivaient près du Khazar et dans
différentes régions de l’Asie mineure au 8e siècle avant J .C. Le nom de
Hsiung-nu (Xiongnu) apparaît sur d’anciennes sources chinoises (2000
avant J.C.) et était attribué aux gens vivant dans les régions Ouest et
Nord-Ouest de la Chine. Bien qu’il y ait un débat entre chercheurs
concernant l’origine des Hsiung-nu (étaient-ils mongols ou turcs ?), le
fait que le terme décrive un mélange de Turcs et de Mongols en plus de
tribus nomades, est accepté à l’unanimité. Il est d’usage de croire que ce
sont les Turcs qui ont établi et dirigé les Hsiung-nu.
Les Turcs ont été obligés de quitter leur mère-patrie, le phénomène
commençant en Asie Mineure, pour s’installer dans des endroits
différents, se déplaçant principalement vers l’Ouest. Cette émigration
s’est faite sur plusieurs siècles. Le manque de terres disponibles, manque
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occasionné par des populations croissantes, le besoin de se déplacer
avec leurs troupeaux, à ceci s’ajoutant les guerres contre des forces
étrangères ou entre eux expliquent les émigrations des tribus turques
nomades ou semi nomades. Ces émigrations peuvent être répertoriées
en deux : celles qui se sont effectuées dans l’ancien temps, avant J.C. et
celles plus récentes après J.C.
D’après les trouvailles des archéologues, la première grande émigration
des Turcs s’est faite vers la portion Ouest de l’actuelle Chine et du
Turkestan au début de 2000 avant J.C. Avant cette émigration, les
Turcs s’étaient déjà installés dans les montagnes de l’Altaï, celles de
Tien Shan (Les montagnes célestes, Tangri Tagh en langue ouighours),
au Kazakhstan et en Harezm (Sud de Khawarizmi). Une autre grande
émigration vers l’Ouest s’est effectuée durant les siècles suivants lors de
la chute du Premier Empire turc d’Asie centrale : L’Empire des Huns
d’Asie.
Si nous observons la trajectoire historique suivie par les Turcs,
considérant un point de départ au niveau historique, nous voyons non
une seule route menant vers l’Ouest mais plusieurs routes partant de
l’intérieur de l’Asie de l’Est, se croisant sur leur chemin et se terminant
à des points différents en Eurasie et dans le monde entier. Certaines
Tribus turques ont émigré en Europe de l’Est et dans les Balkans,
passant par les terres au Nord de la Mer Noire où elles ont établi des
Etats puissants tels que celui de l’Empire des Huns de l’Ouest, l’Etat
des Avars et la Bulgarie. Ces Etats turcs ont fait pression sur les parties
Est et Ouest de l’Empire Romain. D’autres tribus turques, comme
celle des Petchenègues et des Kiptchaks se sont arrêtées et installées
sur les terres au Nord de la Mer Noire alors qu’elles allaient vers
l’Ouest. Un autre groupe de tribus turques, les Ghaznévides, se sont
dirigés vers l’Asie du Sud-Ouest. De nombreuses tribus sont restées en
Asie centrale. D’autres, particulièrement les Oghouzes, sont allées en
Anatolie et ont fondé de grands Etats, notamment l’Etat Seldjoukide et
l’Etat Ottoman qui ont joué de grands rôles dans l’Histoire du Monde.
L’objectif de ce livre est d’offrir une introduction à l’ensemble de
l’Histoire de la Turquie en étudiant certains de ses aspects les plus
importants des temps reculés à nos jours. Ce livre étant destiné à tout
le monde, des notes de bas de pages ou de fin n’ont pas été utilisées dans
le texte mais une bibliographie ainsi que des suggestions de lectures
complémentaires se trouvent à la fin du livre.

CHAPITRE 1
Les anciens Etats turcs d’Asie
1. L’empire des Huns
Bien que le premier Etat turc ayant laissé des traces dans l’Histoire soit
celui des Huns d’Asie au troisième siècle avant J.C., il est fortement
probable que de nombreux siècles avant, des Turcs aient émigré de la
région de l’Altaï, d’abord vers l’Est, puis vers le sud et vers l’Ouest. Ces
émigrations peuvent être expliquées par plusieurs raisons : Les Sakas
(Scythiques) composés principalement de tribus turques, s’étaient
installés sur des terres entre la rivière Dniepr et Dinitré, au sixième et
quatrième siècle avant J.C. Le deuxième Etat turc plus ancien et un peu
plus connu est celui des Hsiung-nu.
L’Etat Hsiung-nu est particulièrement important parce qu’il a fondé
le premier empire dans les Steppes. Les académiciens s’accordent à
dire qu’il s’agit du premier Etat organisé, établi par les Turcs en Asie
centrale. Les Hsiung-nu sont appelés les Huns par les historiens après
leur unification avec les Huns dans la deuxième moitié du quatrième
siècle avant J.C. Le premier document de leur histoire date de 318
Av. J.C. avec la trouvaille d’un compte rendu chinois de leur accord
avec les Huns. Le premier dirigeant connu aujourd’hui des Huns était
Tuman (Teoman). Son successeur a été Mete Khan (Mao-tun) (209-
174 avant J.C) sous le règne duquel, les Huns ont développé une armée
exceptionnelle.
Mete Khan, le dirigeant le plus capable et le plus charismatique des
Huns, a commencé une série de conquêtes. Les Huns ont rapidement
atteint l’apogée de leur puissance et de leur taille sous le règne de Mete
Khan. Ils conquirent le Tibet, les Tunguzs, les Yuechis et d’autres tribus.
Mete Khan s’est ensuite tourné vers la Chine pour la combattre en tant
qu’ennemie de la nation. La Chine avait été capable, jusqu’alors, de faire
face aux attaques des tribus des Steppes sur leur territoire sans grande
difficulté. Cependant, elle n’arrivait plus à protéger ses frontières de
manière efficace après l’unification des Huns sous le règne de Mete
Khan. Ayant vaincu l’armée chinoise, Mete signa un accord profitable
avec la Chine dans lequel les Huns prenaient possession d’une partie
conséquente du territoire chinois. La Chine devait également payer un
tribut aux Huns. Durant les années suivantes, les Huns maintinrent
une pression constante sur l’Empire chinois. Durant la longue guerre
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contre les Huns, des dynasties successives chinoises ont construit
plusieurs murs qui, ensemble, constituent aujourd’hui la Grande
Muraille de Chine : Une fortification militaire de 1 845 kilomètres
destinée à protéger les frontières Nord de la Chine contre les Huns.
Par ailleurs, lorsque l’Empire chinois retrouva un certain pouvoir, la
Grande Muraille servit aussi de tremplin pour les conquêtes chinoises
vers le Nord.
Quand Mete Khan mourut en 174 Avant J.C., l’Empire des Huns
était à son apogée. Les Huns avait fait passer vingt-six tribus sous
leur autorité, dont les Chinois, les Mongols et les Tunguz sur un vaste
territoire s’étendant de la Manchourie au lac Aral, et de la Sibérie de
l’Ouest au désert de Gobi. Kiok, le fils de Mete essaya de renforcer
la puissance de l’Empire des Huns durant son règne (174-160 Avant
J.C.). D’abord il força les Yuechis à l’exil et ensuite, il envahit la Chine,
détruisant le palais impérial près de Chang-an en l’incendiant. Pendant
cette campagne, Kiok prit pour épouse une princesse chinoise afin
d’améliorer les relations commerciales avec la Chine. D’après les sources
turques, c’était un mariage politique avec d’importantes répercussions
pour les Huns. Grâce à ce mariage, les diplomates et autorités chinois
ont gagné le droit de se déplacer librement dans le palais impérial et sur
le territoire, tous deux contrôlés par les Huns. Les diplomates chinois
ont donné naissance à des discordes à l’intérieur de la dynastie des
Huns et parmi les tribus vassales, en attisant une propagande contre
les Huns. Les effets inverses du mariage avec la princesse chinoise ne
se firent pas sentir durant le règne de Kiok mais durant celui de son
fils : Kun-chin (160-126) avant J.C. Durant le règne de Kun-Chin, la
dynastie chinoise Han consolida son pouvoir politique et renforça son
armée en suivant l’exemple du modèle de l’armée Hun observée par les
espions chinois à l’intérieur du palais des Huns. La dynastie des Hans
entama un programme rigoureux d’élevage de chevaux et de formation
d’une cavalerie comme celle des Huns.
L’un des objectifs de la Chine était de trouver de nouveaux marchés
à l’Ouest pour sa précieuse soie. Elle devait donc assurer un passage
pour la route de la soie qui mènerait à la Mer Méditerranée en passant
pas l’Asie intérieure et la Perse. Vu sous cet angle, nous pouvons
comprendre que le conflit entre la Chine et les Huns était avant tout
motivé par le désir de vouloir contrôler la profitable route de la soie.
Après 120 avant J.C., les Chinois ont réussi à retenir les attaques des
Huns au Nord et aussi à s’approprier des territoires bordant la route de

la soie en Asie intérieure. Les Chinois ont également arrêté de payer
un tribut aux Huns. Finalement, les Chinois ont pris comme objectif
non plus seulement de vaincre les Huns mais de les détruire. En
110 avant J.C., les Huns ont été repoussés au delà du désert de Gobi
dans les steppes du Nord et les zones forestières. Les choses avaient
radicalement changé pour les Huns. Les revenus de l’Empire des
Huns étaient à présent diminués du fait de la fin du tribut payé par les
Chinois et de la perte de leurs régions les plus fertiles.
En 60 avant J.C., une série de guerres commença. Les Chinois
demandaient à présent la reconnaissance de leur suzeraineté comme
condition aux traités à venir. La pression chinoise et des cadeaux de
valeurs offerts à certains membres de la dynastie des Huns créèrent un
environnement chaotique dans le système de régence des Huns, ce qui
généra la division de l’Empire entre Ho-Han-Yeh (58-31) et son grand
frère Chi-Chi. Ho-Han-Yeh était d’avis d’accepter la suzeraineté
chinoise afin de sortir de l’impasse financière mais cette proposition
fut rejetée par le Conseil d’Etat. Sur l’insistance de Ho-Han-Yeh, Chi-
Chi quitta le pays avec ses gens et partit vers l’Ouest. Il fonda un Etat
indépendant appelé l’Etat des Huns de l’Ouest dans la plaine de la
rivière Shu-Talas en 41 avant J.C., Etat possédant une nouvelle capitale
protégée par des remparts. Ce nouvel Etat avait pour but de recréer le
puissant Empire des Huns. Cependant, cet Etat fut rapidement détruit
en 36 Avant J.C. par soixante-dix mille troupes chinoises soutenues
par les hommes de Ho-Han-Yeh. Certaines tribus des Huns de l’Ouest
furent obligées d’émigrer sur les terres situées entre le lac Aral et la Mer
Caspienne.
En ce qui concerne l’Etat de Ho-Han-Yeh au Nord, il regagna son
indépendance envers la Chine en élargissant son territoire entre la
Manchourie et le Kachgar pendant le règne de Yu (18 avant J.C – 46
après J.C).
Les Huns divisèrent leur empire en un empire du Nord et un empire du
Sud en 48 après J.C. Ni l’un ni l’autre n’ont réussi à s’unifier pour faire
face à l’expansion chinoise. Bientôt, les tribus Huns du Nord furent
forcées d’émigrer vers les plaines Aral et Khazar. Les Huns du Sud eux
non plus ne purent résister à la Chine dont l’armée finalement, mit fin
à la souveraineté des Huns en 216. Plus tard, les Huns établirent une
série de petites principautés dont les vies furent de courtes durées telles
que : Hsia, Liang et Chao jusqu’à la fondation de l’Etat turc Tabghatch
(Tabgaç) en 315.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Apres avoir fondé leur Etat avec Tai comme capitale à Shanxi, les
Tabghatchs s’élargirent rapidement durant le quatrième et le cinquième
siècle. Tout d’abord, ils vainquirent ceux qui restaient de l’Empire des
Huns, puis ils étendirent leur souveraineté sur des terres chinoises. Les
Tabghatchs envahirent la Mongolie intérieure après avoir vaincu Juan-
Juan (Ruanruan) en 425, un autre Etat turc successeur des Huns et
appelé plus tard Avar. Ensuite ils firent la conquête de la route de la soie
en capturant kansu en 439. Le développement du bouddhisme parmi
les Tabghatchs a affecté l’Etat puisque la nature paisible du bouddhisme
diminuait leurs capacités militaires. L’Etat Tabghatch disparut finalement
au milieu du sixième siècle sous la domination chinoise.
L’un des Etats hunniques était celui des Akhums –‘’les Huns
blancs’’(Hephtalites) ou celui des Huns du Moyen Orient fondé par
les Hunniques qui s’étaient dirigés vers le sud de la Mer Caspienne
de la Volga alors que la grande partie des Hunniques se dirigeait vers
l’Ouest. Ils ont élargi leurs frontières de la Mer Caspienne au Nord
de l’Inde, à l’Afghanistan et à l’Asie intérieure au milieu du sixième
siècle. Les Akhuns ne purent cependant défendre leur territoire face à
l’alliance Sassanids-Göktürks en 557.
2. Les Göktürks
Les Göktürks, ou Kök-Türks, étaient originaires de la tribu des Ashinas,
des Altaics qui vivaient dans la partie Nord du territoire appelé
aujourd’hui Xinjiang Ouighours, région autonome de la Chine. Les
Göktürks étaient les descendants des Huns, d’après les archives chinoises
et ils ont hérite des traditions et des méthodes administratives des Huns.
L’Etat Göktürk a été le premier à porter le nom de ‘’turc’’. Plus tard, ce
nom a été porté par de nombreuses personnes et Etats dans l’Histoire.
L’Etat Göktürk a constitué le second empire turc (Le premier ayant été
l’Empire des Huns). L’Etat Göktürk a réuni sous sa direction toutes les
tribus d’origine turque sauf les Turcs Yakut à l’Est de la Sibérie et les
Turcs Oğurs à l’Ouest.
Les Turcs d’Asie centrale, du Turkestan, de Transoxiane
(Maveraunnehir), d’Inde du Nord, d’Iran, d’Anatolie, d’Irak, de
Syrie et des Balkans ont été « turquifiés » par les Göktürks. ‘’Göktürk’’
signifierait « les Turcs célestes », mais ceci est contesté. Des
interprétations alternatives seraient « les Turcs bleus », les « Turcs
nombreux », « Gök » ou « Kök » signifiant à la fois ciel et bleu en
langue Göktürk.

Le premier Empire göktürk a été fondé sur les bords de la rivière
Orkhon en réunissant huit tribus turques: les Ouïghours, les Oghouzes,
les Onoqs et les Karlouks. Au milieu du sixième siècle, ils vivaient sous
la souveraineté des Avars ou Juan-Juan, sous la direction de Bumin.
Bumin reçut le titre de ‘’Khan’’ par le Conseil d’Etat Göktürk en
reconnaissance de sa victoire face à l’Etat Juan-Juan en 552. Bumin
Khan a fait de Ötüken sa capitale. Cette ville était considérée comme
une ville sainte pour les Turcs. Bumin Khan donna la région Ouest
de l’Empire à son frère Istemi et lui accorda le titre de Yabghu. Istami
Yabghu était dépendant des affaires étrangères des Göktürks de
l’Est mais avait le pouvoir de décision en ce qui concerne les affaires
intérieures. Bumin Khan mourut à la fin de cette même année et sa
succession fut assurée par son fils Mukhan. Sous le règne de ce dernier,
L’Empire göktürk fut un grand empire. Mukhan envoya ceux qui
restaient encore des Juan-Juan en Europe et mit les Kirghizes, les tribus
turques, les Kitans et les tribus mongoles sous sa domination.
Istemi Yabghu élargit également sa souveraineté de l’Ouest des
montagnes Altaï au lac Issik et aux montagnes Tien Shan. Il prit
ensuite l’initiative d’établir des contacts avec l’Empire byzantin et les
Sassanids. Tout d’abord, Istemi vainquit les Ak-Huns avec l’aide des
Sassanids. Il passa ensuite une alliance avec les Byzantins contre les
Sassanids qui essayaient de prendre le contrôle de la route de la soie.
Ce contrôle faisait l’objet d’une forte rivalité entre les byzantins, les
Sassanids et les Göktürks. Sous le règne de Istemi, les frontières Ouest
de l’Empire allaient jusqu’à la Crimée sur la cote Nord de la Mer Noire.
Les Göktürks ont vu l’apogée de leur puissance à l’Ouest avec Istemi
Ybabghu et à l’Est avec Mukan Khan. Bien que ce système de double
régence fonctionnait assez bien avec Istemi et mukan, il se transforma
en faiblesse après leur mort et créa des rivalités parmi les Khanats de
l’Est et de l’Ouest. Les dynasties chinoises Sui et Tang en profitèrent
pour les monter les uns contre les autres. Tardu, le fils d’Istemi qui
s’était déjà déclaré indépendant du Khan après la mort de son père,
n’accepta pas de se ranger sous l’autorité de Ishpara Khan à l’Est et
entraîna une guerre civile qui créa une division de l’Empire göktürk en
une partie Est et une partie Ouest en 582. Suite à une campagne, qui se
solda par un échec, Ishpara devint un vassal de la Chine en 585. Bien
que des générations de Khans se soient battues pour leur liberté, les
Göktürks de l’Est furent conquis par la Chine en 630.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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La Chute des Göktürks
Ayant réussi à conserver leur liberté, les Göktürks de l’Ouest rêvaient
de rétablir la confédération Göktürk et d’élargir leurs frontières vers
l’Ouest. Tardu obtint des succès considérables (576-603). Ses succès
dérangèrent cependant la Chine qui provoqua une guerre civile afin
de contrer la campagne de Tardu. Des tribus turques, particulièrement
les Töles (Tiele) se rebellèrent contre Tardu qui ne put contrôler ces
rebellions. En 603, Tardu trouva refuge chez les Tu-Yu-Huns, une tribu
mongole, ce qui créa une atmosphère chaotique dans l’Etat göktürk de
l’Ouest jusqu’en 611. Durant le règne de She-Koei Khan (611-618) et
de Tong Yabghu (618-630), les Göktürks retrouvèrent une partie de
leur pouvoir en reprenant le contrôle des Töles qui s’étaient établis sur
un territoire allant des rivières Orkhun au lac Aral. Cependant, En 630,
le pouvoir des Göktürks commença à diminuer en raison de rebellions
tribales et de guerres contre la Chine. En 659, la Chine prit possession
de la partie Ouest de l’Etat Göktürk.
Ainsi, entre 630 et 680, les Göktürks durent se soumettre à la Chine.
Ces 50 ans de domination chinoise eurent des effets négatifs sur les
Turcs qui s’interrogèrent sur les raisons de la perte de leur Etat et de leur
esprit. D’après des écrits Orkhon, les raisons de la défaite du premier
Empire göktürk étaient les suivantes : Un Khan peu intelligent avait
succédé au trône et avait été entouré d’administrateurs incompétents,
l’attitude des turcs n’avait pas été adaptée aux circonstances et les
chinois, quant à eux, avaient usé de mensonges et de duperies.

La renaissance des Göktürks
Entre 679 et 681, les Turcs se retournèrent contre les Chinois à
plusieurs reprises. Ces retournements furent dirigés par des personnes
ayant gagné le statut de héro comme Kurshat. Bien que ces actions
soient insuffisantes pour atteindre le but à court terme désiré, elles
provoquèrent le réveil d’une conscience nationale chez les Turcs.
L’arrivée de Kutluk, un descendant de la tribu Ashina, marqua un
tournant puisqu’il réunifia et mobilisa les populations turques pour
fonder le deuxième Empire göktürk qui subsista de 681 à 745.
Kutluk reçut le titre de Ilterish. Il mena plusieurs campagnes contre
certaines tribus turques ou étrangères, de même que contre les Chinois
afin de renforcer l’économie et la position politique des Göktürks.
Quand il mourut en 692, les tribus turques et étrangères installées dans
les montagnes de Khentei au Nord, le long des rivières Onon et Kerulen
à l’Est et dans les montagnes Altaï à l’Ouest, étaient sous souveraineté
Göktürk. Kapgan (692-716), le fils de Kutluk, continua à appliquer la
politique de son père en matière d’unification des Turcs d’Asie sous
un drapeau Göktürk. Il tenta de dominer la Chine afin de ramener les
Turcs qui se trouvaient à l’intérieur des frontières chinoises. A cette fin,
il opéra vingt attaques contre des armées au Nord de la Chine. Sous la
menace turque, les Chinois firent une alliance avec les Kirghizes et les
Onoqs en 696 et incitèrent les Turgishs, les Karlouks et bien d’autres à
se retourner contre les Göktürks. Kapgan répondit de manière stricte
envers les tribus turques, une erreur peut-être de la part de Kapgan si
l’on pense que certaines tribus auraient pu être convaincues sans heurts
de cesser les hostilités envers les Göktürks. Au lieu de ça, elles devinrent
les pires ennemis de Kapgan. Les Chinois profitèrent de la situation.
En conséquence de cela, Kapgan fut tué par les Bayirkus, (Une des
tribus turques) avec l’aide des Chinois. Les Turgishs déclarèrent leur
indépendance et les Ouïghours passèrent sous contrôle chinois. Le
successeur de Kapgan, Inel Kagan, ne fut pas capable de faire face à la
situation. Il fut détrôné par Bilge Khan et Kül Tigin, les fils de Ilterish.
Quand Bilge Khan (signifiant le Khan sage) parvint au trône (716-
734), Kül Tigin se vit donner le commandement de l’armée Gökturk et
Kül Tigin devint Vizir. Suivant les conseils de Tonyukuk, Bilge Khan
et Kül Tigin déclarèrent qu’un Khanat ne pouvait pas être dirigé par
la guerre et la bravoure. Ils déclarèrent également la sagesse comme
étant de grande importance. C’est ainsi que Bilge Khan n’attaqua pas
la Chine. Au lieu de cela, il se concentra sur des réformes intérieures,
dont celle en vue de rétablir une relation amicale avec les tribus turques,
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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relations qui s’étaient dégradées sous le règne de Kapgan. Pendant ce
temps, les Chinois firent des alliances en 720 avec des tribus turques de
Kitan et Basmils dans le but de conduire des guerres contre les Göktürks.
Bilge Khan détourna les plans des Chinois grâce au conseil de son Vizir,
Tonyukuk. Les Kitans et les Basmils furent vaincus avant même de
pouvoir s’unifier aux troupes chinoises. Bilge Khan se tourna alors vers la
Chine et l’obligea à signer un accord en 724, par lequel elle consentait à
établir un marché commun sur les frontières turco chinoises. Cet accord
permit un avantage économique de taille pour les Göktürks.
Tonyukuk mourut en 725. Certains académiciens l’ont appelé « Le
Bismarck des Göktürks » en raison du rôle crucial qu’il a joué dans les
politiques internes et étrangères des Göktürks. Kül Tigin mourut en
732 et Bilge Khan en 734. Après la mort de ce dernier, les Göktürks
n’ont pas pu résister longtemps à une alliance faite entre les Karlouks,
les Basmils et les Ouïghours en 745.
Bilge Khan et Kül Tigin ont pris place parmi les Hommes d’Etat turcs
les plus sages et les plus héroïques de l’Histoire. Les premiers textes
écrits en langue turque sont des textes qui immortalisent les réussites
de ces Khans et de Tonyukuk.
3. Les Ouïghours
Le terme ‘’ Ouïghour’’ désignait une tribu parlant le turc dans les
montagnes Altaï. Comme les Göktürks, les Ouïghours était l’une
des plus larges tribus turques et l’une de celles qui vécurent le plus
longtemps en Asie centrale. D’après les archives chinoises, les ancêtres
des Ouïghours étaient les Huns d’Asie. Ils étaient appelés ‘’Kao-kü’’
durant la période Tabghatch (386-534).
Les Ouïghours ont installé une principauté dans les vallées au Sud
du lac Baïkal et près de la rivière Yenisei dans la deuxième moitié du
cinquième siècle. Bientôt, les Ouïghours participèrent à une coalition
avec les Töles qui dominaient la partie Nord de l’Asie centrale. Dans le
premier quart du septième siècle, ils prirent part à une coalition entre
six tribus Syr-Tardush. A l’époque de Kapgan Khan, les Ouïghours
étaient sous souveraineté Göktürk. Finalement, les Ouïghours avec
d’autres tribus (Les Basmils et les Karlouks) vainquirent les Khanats
göktürks et fondèrent l’Empire ouïghour sur le mont Ötüken. L’Empire
ouïghour s’étendait de la Mer Caspienne à la Manchourie et dura de
745 à 840. Sa capitale était Ordu Baliq, construite sur la rivière Orkhon
près de là où les Mongols ont, plus tard, construit Karakorum.

La tribu des Ouïghours qui vainquit les Göktürks était constituée des
Doquz Urug (la signification de ‘’Urug’’ n’est pas claire mais fait sans
doute référence à une large famille). En se joignant aux Doquz-Oghuz,
les Basmils et les Karlouks ont formé l’Empire ouïghour. Le premier
dirigeant de l’Etat ouïghour fut Kutluk Bilge Khan. Quand celui-ci
mourut en 747, il fut remplacé par Moyunchur (747-759). Durant
le règne de Moyunchur, la plus grande bataille entre les arabes et les
chinois eut lieu en Asie centrale. C’est ainsi que la bataille de Talas eut
lieu en 751, qui vit la défaite des Chinois. Cela engendra une guerre
civile en Chine, celle-ci devant appeler les Ouïghours à l’aide. Profitant
de la situation en Chine, les Ouïghours capturèrent le Tarim basin.
Alors qu’ils auraient pu conquérir l’Empire chinois, les Ouïghours
préférèrent mettre en place une politique commerciale pour drainer les
richesses de la Chine sans la détruire. Bögü Khan conserva la même
politique envers la Chine. Durant sa campagne chinoise, Böğü Khan
fut si impressionné par le Manichéisme qu’il ramena avec lui quatre
religieux Manichéistes en territoire Ouighours. Ainsi, les Ouïghours se
convertirent au Manichéisme en 762. Cela affecta leur perception de
la vie, le Manichéisme interdisant en effet la consommation de viande.
Leur esprit guerrier en fut affaibli.
En 840, suite à une famine et une guerre civile, l’Empire ouïghour passa
sous contrôle Kirghize, d’autres Turcs. En conséquent, la majorité des
tribus qui se trouvaient sous la souveraineté des Ouïghours avant,
émigrèrent en Asie Intérieure.
La plupart des Ouïghours quittèrent Ötüken pour arriver à Kan-Chou
(kansu) où ils rencontrèrent leurs cousins qui y vivaient depuis 150
ans. Les Ouïghours nouvellement arrivés créèrent un Etat en 911 sous
la direction de Tigin. Ce dernier, contrôlant une partie importante de
la route de la soie envoya des délégations en Chine afin d’établir de
bonnes relations basées sur le commerce.
Les Ouïghours ne réalisèrent pas d’exploit militaire important, passant
rapidement sous le contrôle des Kitans au dixième siècle, puis sous celui
des Tanguts au onzième siècle. En 1226, cette région était dominée par
les Mongols sous Gengis Khan.
Après leur chute, certains Ouïghours émigrèrent vers les montagnes
Tien Shan, Besh Baliq et vers la région Tourfan où ils créèrent un
nouvel Etat en 856 appelé l’Etat Tourfan Ouïghour ou encore, l’Etat
Ouïghour de l’Est. Cet Etat avait à sa tête Mengly, le neveu du dernier
Khan Ouighours à Ötüken. La Chine quant à elle, faisant face à des
guerres civiles, avait besoin de bons rapports de voisinage. L’Etat
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Ouïghour de l’Est passa sous contrôle Mongol grâce à Gengis Khan
de 1209 à 1368, puis ce fut Timur qui domina cette région Ouïghour.
Les descendants de Timur et des Mongols maintinrent leur autorité
dans la région jusqu’au milieu du dix-huitième siècle. Dans la deuxième
moitie du dix-neuvième siècle, la région Ouïghour devint une région
stratégique dans laquelle l’Angleterre, la Russie et la Chine désiraient
élargir leur influence. Aujourd’hui, une population de dix millions
d’Ouïghours vit encore dans cette région, passée sous contrôle chinois.
4. Les Turgishs
Les Turgishs formaient une partie de la branche Tardush de l’Union
tribale On-Oq (partie des Göktürks de l’Ouest). Leur nom apparut
tout d’abord dans les archives chinoises en 651 lorsqu’ils vivaient dans
la vallée Ili sous la souveraineté des Göktürks. Apres la défaite des
Göktürks, les Turgishs réussirent à prendre le contrôle des territoires
s’étendant jusqu’aux provinces de Tourfan et Kucha et prirent la
domination des tribus Onoqs. Ceci se réalisa sous la direction de
Ushyly qui reçut le titre de ‘’Baga Tarkan’’. A l’apogée de son règne,
Ushyly Kagan décida de s’allier avec les Chinois et les Kirghizes pour
freiner l’expansion des Göktürks qui s’étaient reformés et qui étaient
devenus puissants sous le règne de Kapgan Khan. Ushyly fut vaincu
et fait prisonnier à la bataille de Bolchu en 698 par Tonyukuk, le
commandant de l’armée Göktürk. Ainsi, les Turgishs devinrent des
vassaux des Göktürks.
La deuxième défaite des Turgishs face aux Göktürks arriva en 711 près
de Bolchu. Soko, le fils de Ushyly fit de nouveau une alliance avec la
Chine. Avant la bataille avec les Göktürks, Le frère de Soko Chemu
s’était rebellé contre lui et rallié à Kapgan Khan. Les Turgishs étaient
donc à cette époque déjà séparés en deux camps comme le montrent
des inscriptions Orkhun : Les Turgishs kara (noirs) et les Turgishs Sarı
(jaunes).
Le règne des Göktürks sur les Turgishs n’a pas duré très longtemps
puisqu’ils sont devenus indépendants en 717. Choisissant Chor Sulu
comme nouveau Khan, de nombreux chefs Göktürks et autres nobles
abandonnèrent Bilge Khan pour entrer au service de Sulu. Sulu installa
sa capitale à Balasaghun, au Nord Ouest de Talas. Talas était par ailleurs
l’endroit où Sulu avait empêché l’armée Umawwid d’avancer en Asie
Centrale. Après plusieurs victoires contre l’expansionnisme arabe des
Umawwids, une guerre civile de longue durée éclata entre les Turgishs
Kara et Sary en 738. Les deux camps furent en fait vaincus par une
autre tribu turque : les Karlouks en 766.

5. Les Kirghizes
Bien que des découvertes historiques récentes sur les Kirghizes fassent
état de 203 avant J.C, nous ne disposons pas d’informations sur leur
existence avant cette date. Les premiers Kirghizes vivaient dans la
vallée supérieure de la rivière Yenisey. Au sixième siècle, ils étaient
sous la domination des Göktürks. Quand les Göktürks sont tombés
sous domination chinoise entre 630 et 680, les Kirghizes sont devenus
une tribu indépendante. Cependant, ils sont à nouveau passés sous
contrôle Göktürk durant le deuxième Empire Göktürk, puis sous
contrôle Ouighours en 758. Au septième et huitième siècle, ils ont fait
connaissance avec la religion islamique par des commerçants arabes qui
utilisaient la route de la soie.
Apres avoir vaincu les Ouïghours en 840, les Kirghizes ont fait de
Ötüken leur capitale. En 920, ils ont été forcés par Khitan de quitter
Ötüken et sont retournés d’où ils venaient. En 1207 la domination
kirghize était réduite en raison des invasions mongoles. Les Kirghizes
finirent par émigrer vers le Sud.
6. Les Karlouks
Les Karlouks (ou Karluk) qui signifie ‘’masse de neige’’ étaient à
l’origine une tribu nomade turque qui s’est installée dans la région de
Kara-Irtish et Tarbagatay, à l’Ouest des montagnes Altaï. Les Karlouks
ont formé une partie de l’union Onoq avec trois autres tribus. Avec le
temps, les Karlouks se déplacèrent vers l’Ouest et vinrent s’ajouter aux
tribus membres des Göktürks. Ils jouèrent un rôle important dans la
défaite des Ouïghours et des Basmils face aux Göktürks en 745. Après
cela, la plupart des Karlouks reconnurent le Khanat Ouïghour comme
leur maître.
Les Karlouks se rangèrent dans le camp des Arabes lors de la bataille
de Talas en 751. Cette bataille se fit entre les Arabes umawwid et
la dynastie chinoise Tang pour le contrôle de la Transoxiane où les
autorités turgishes avaient perdu de leur pouvoir. En 766, les tribus
Karlouks formèrent un Khanat sous la direction d’un Yabgu après
que ceux-ci eurent pris le contrôle des Turgishs dans la région de
Talas. Leur capital fut Balasaghun tant qu’ils restèrent fidèles aux
Ouïghours. Après la défaite de ces derniers, les Karlouks déclarèrent
leur indépendance. Le peuple des Karlouks fut le premier peuple turc à
se convertir à l’Islam et joua un rôle important dans l’établissement du
premier Etat turc islamique Karakhanide (karahanly).
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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7. Les Oghouzes
Le nom Oghouze dérive du mot « ok » qui signifie « Tribu » ou
« flèche » en turc. La lettre « z » en suffixe permet de former le pluriel en
grammaire turque ancienne. « Okuz » se transforma au sixième siècle
en « Oguz » (Oghuz) ou « Uz » comme dans les archives byzantines.
Lorsqu’ils étaient sous contrôle göktürk, les Oghouzes étaient appelés
les Üç (Trois) Oghouzes ou Sekiz (Huit) Oghouzes, mais surtout
Dokuz (Neuf ) Oghouzes, et plus tard On (Dix) Oghouzes. Pendant
la création de l’Etat göktürk, les Tribus oghouzes habitaient la région
des montagnes Altaï et aussi la région de la rivière Tula. En tant que
communauté, ils étaient également présents près de la rivière Barlik.
A l’époque des Göktürks, Les Oghouzes se sont élargis grâce à
l’unification d’autres tribus turques avec eux. C’est pourquoi, le nom
de Oghouze fut donné à une succession de tribus turques nomades ou
semi-nomades en Asie Centrale qui s’étaient unifiées en une nouvelle
confédération tribale (bodun).
Suite à la chute des Göktürks, les Oghouzes se sont rangés sous l’autorité
ouïghour. A l’époque de Moyunchur (747-759) certains Oghouzes se
sont battus contre l’autorité Ouïghour mais ils furent vaincus par trois
fois près de la rivière Selenga. Ils peuvent être arrivés en Transoxiane
vers la fin du huitième siècle. Nous savons qu’ils vivaient sur un territoire
allant de l’Est de la Mer Caspienne à la rivière Seyhun (Syr-darya) aux
dixième et onzième siècles. Ils ont crée un Etat appelé Oghuz Yabghu
dans la première moitié du dixième siècle, ayant les Petchenègues et les
Khazars comme voisins hostiles. La relation avec les Karlouks à l’Est était
également tendue. Ces Oghouzes se faisaient appeler « Turcs » et aussi
« Turkmènes », qui devint le nom des Oghouzes après leur conversion
à l’Islam. Chaque confédération se composait de douze tribus, ce qui
veut dire que la confédération oghuze se composait de vingt-quatre
tribus turques. Les Oghouzes avaient été organisés par un système de
confédération tribale double sous le règne de Oghuz Yab’su, système qui
portait le nom de Üç-Ok. Cette confédération Üç-Ok comprenait la
tribu Kynyk (qui a plus tard fondé l’Etat Seldjoukide), et la tribu des
Boz-ok et des Kayy qui a fondé l’Empire ottoman.
L’Etat Yabghu Oghouze fut vaincu en raison des attaques des
Kiptchaks, des Khazars et des Karlouks. Une autre raison de cette
défaite peut être le départ des Seldjoukides de la confédération Oghuz
à l’Ouest. Suite à la défaite de l’Etat Yabghu Oghuz, certains Oghuz
émigrèrent vers l’Ouest à travers les terres au Nord de la Mer Noire et
atteignirent les Balkans où ils ont été renommés les « Uzs ». Les « Uzs »
sont les ancêtres des Gagaouzes en Roumanie. D’autres Seldjoukides
sont partis vers Khorasan. Certains Oghouzes sont restés sur leur
territoire dans la région des montagnes Altaï.

CHAPITRE 2
Les Tribus et Etats turcs de l’Europe
de l’est à l’époque médiévale
1. Les Huns de l’Ouest
Depuis deux cents ans, des savants de différentes branches des sciences
sociales proposent des théories différentes en ce qui concerne l’origine
des Huns de l’Ouest. Des sources ethnographiques et culturelles
récentes ont mis en évidence le fait que les Huns de l’Ouest étaient
d’origine turque et qu’ils étaient les descendants des Huns d’Asie.
Les Huns du Nord ont commencé à émigrer vers l’ouest au début du
deuxième siècle où ils se sont unis avec les tribus Chi-chi. En raison de
pressions de tribus nomades au milieu du quatrième siècle, les Huns ont
émigré massivement vers l’Ouest et sont arrivés à la rivière Itil (Volga)
en 374. Sur leur chemin, ils ont rencontré deux peuples germaniques
installés le long de la côte Nord de la Mer Noire : les Ostrogoths qu’ils
ont vaincus et les Visigoths auxquels les romains avaient permis de
s’établir en tant que nation dans l’Empire romain au Sud du Danube en
remerciement à des services militaires rendus.
Alors que les Huns rencontraient les peuples germaniques, une autre
bataille plus amère devenait inévitable entre deux groupes nomades :
Les Huns, sous le commandement de Balamir (Premier chef connu
des Huns de l’Ouest) vainquirent les Ostrogoths en 374. Les attaques
des Huns continuèrent à l’Ouest grâce à l’efficacité surprenante de leur
cavalerie. Quand ils atteignirent la rivière Dniepr en 375, les troupes
des Huns provoquèrent la chute des Visigoths. Leur roi: Atanarik partit
avec ses troupes en territoire sous contrôle romain à l’Ouest vers 395
alors que l’Empire romain était divisé en Empire de l’Est et Empire de
l’Ouest. Cependant, la pression exercée par les Huns avec leur entrée
en Europe de l’Est engendra une grande fluctuation dans la population
européenne. Ainsi, tous les gens de l’Est et d’Europe Centrale ont
été expulsés de leur pays, créant une émigration qui a profondément
changé la composition ethnique de l’Europe.
Les attaques soudaines des Huns semaient la terreur parmi les tribus
d’Europe de l’Est. Le monde occidental a été marqué par l’apparence
des escadrons de Huns qui arrivaient là où on ne les attendait pas.
De nombreux écrivains latins ou grecs de l’époque ont exprimé une
profonde hostilité envers les Huns, ce qui a joué dans la mise en place
d’une image négative excessive dans la culture occidentale.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Durant la dernière décennie du quatrième siècle, les Huns ont porté
une série d’attaques en Anatolie et au Moyen Orient qui prit fin avec
l’attaque contre Jérusalem à travers le Caucase, sous le commandement
de Basil et Kursik. L’Empire romain de l’Est ne put mettre en place de
mesures défensives contre ces attaques. En 400, une autre campagne
des Huns sous le commandement de Uldiz contre les Goths au Sud du
Danube fut le point de départ d’une autre vague d’émigration massive
des Goths qui trouvèrent refuge dans l’Empire romain. Les Romains
étaient soucieux de l’intégrité territoriale de l’Empire, menacée par
ces barbares. Les Romains demandèrent de l’aide aux Huns afin
d’affronter les Visigoths. Ce fut à Uldiz que cette demande fut faite,
Uldiz qui vainquit Radagais, le commandant des Goths. Durant le
règne de Uldiz, les Huns mirent en place une politique étrangère qui
durera jusqu’à la fin de l’époque d’Atilla. Cette politique étrangère
préconisait un soutien aux forces en puissance contre les forces plus
faibles. Ainsi, les Huns établirent de bonnes relations avec l’Empire
romain de l’Ouest alors qu’il faisait pression contre les Byzantins.
Les Huns ont ainsi gagné un certain nombre de victoires contre les
Byzantins. Comme leur dictait leur politique, les Huns ont soutenu
les efforts de l’Empire romain de l’Ouest pour prendre avantage sur
les Visigoths et les Byzantins. Theodious, voyant à l’arrivée sur le trône
Valentinianus âgé de quatre ans, envoya une armée et la marine en
Italie afin de prendre possession de Rome. L’Empire romain de l’Ouest
demanda à Theodious que Rua, le chef des Huns, mette sur pieds une
expédition en Italie avec soixante-mille cavaliers. Theodius ne put
déclarer la guerre aux Huns mais dut payer un tribut de 350 pounds
romains aux Huns. L’attitude de Theodious II envers les Huns resta
hostile.
En 432, les Huns étaient réunis sous la direction de Rua. Après sa mort
en 434, ses neveux Attila et Bleda furent portés à la tête du contrôle de
toutes les tribus huns réunies. Au moment de leur accession, les Huns
parlementaient avec les envoyés de Theodious II au sujet du retour de
plusieurs tribus rebelles qui avaient trouvé refuge dans l’Empire byzantin.
L’Empire byzantin signa un accord qui consentait sur quelques termes
présentés par les Huns à Margus. Les Byzantins acceptèrent non
seulement de relâcher les tribus fugitives mais aussi de doubler leur tribut
précédent et d’ouvrir leur marché aux commerçants Huns.
Comme Theodious tardait à appliquer cet accord, Atilla déclencha une
guerre contre les Byzantins par la Trace. Aetius, le commandant de
l’armée romaine occidentale, empêcha cette guerre en garantissant que
Theodious respecterait les conditions du traité. Mais rien ne changea

du côté de Theodious. Cette fois, il fit encore plus fort puisqu’il
envisagea de faire assassiner Atilla en 448. Son projet ne fut pas mis
à exécution puisque l’assassin fut arrêté avant sa tentative d’assassinat.
Une atmosphère de peur s’installa sur la capitale byzantine sachant
que la réaction d’Atilla pouvait être terrible et causer des conflits
mortels. Prenant conscience de cette menace, Theodious II ne tarda
pas à présenter des excuses. Il évita une catastrophe immédiate grâce au
fait qu’Atilla ne considérait pas l’Empire byzantin comme une menace
immédiate. En effet, et il donnait la priorité à la question romaine de
l’Ouest et préparait une campagne militaire et politique de deux ans.
En 450, la sœur de l’Empereur Valentinien III, Honoria, envoya à Atilla
une bague de fiançailles afin d’éviter un mariage forcé à un sénateur
romain. Atilla y vit une occasion de demander la moitié de l’Empire
de l’Ouest en tant que dote. Quand Valentinien III découvrit ceci,
seule l’influence de sa mère l’empêcha de faire tuer sa sœur et de l’exiler
plutôt. İl écrivit à Atilla, niant la légitimité d’une telle proposition de
mariage. Atilla, non convaincu, envoya un représentant à Valentinien
III pour proclamer la légitimité de cette demande et pour annoncer
qu’il viendrait prendre ce qui lui était dû.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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La question de l’Ouest ne se limitait pas à ce mariage. Une lutte de
succession sévissait entre les deux fils du Roi de Salian Franks et cette
lutte opposait Attila, qui soutenait le fils aîné alors que Aetius (un
dirigeant de facto) soutenait le plus jeune. Atilla déclara son intention
d’attaquer les Visigoths qui avaient passé une alliance avec Valentinien
III contre les Vandals, qui à leur tour, demandèrent le soutien des Huns.
Le but principal d’Atilla était d’empêcher les Romains d’étendre leur
supériorité sur les tribus de l’Ouest acceptant le Christianisme, devenu
la religion officielle de l’Empire romain en 330. Des 451, Attila réunit
deux cent mille troupes (incluant ses vassaux slaves et germaniques)
et alla vers l’Ouest jusqu’à Orléans. Aetius agit afin de l’opposer aux
Bourguignons et aux Visigoths sous la régence du Roi Théodoric I.
Les deux armées se firent face à la bataille de Chalons dont l’issue fait
l’objet de discussions entre les historiens. Cependant, le fait que les
tribus occidentales n’étaient plus en mesure d’aider les Romains dans
une guerre entre Valentinien et Atilla en 452 laisse penser qu’Atilla en
était sorti vainqueur.
Pensant que les Romains n’étaient pas en mesure de rassembler des
troupes parmi les tribus occidentales, Atilla porta une dernière attaque
avec cent mille soldats contre Valentinien pour réclamer son mariage
avec Honoria. Il arriva à Rome en passant par Venise dont les habitants
s’enfuirent vers de petites îles du lagon vénitien. Un climat de terreur
s’installa sur Venise. Aetius n’eut pas le courage de rencontrer Atilla en
personne et une délégation composée de Trigetius, du Consul Aviennus
et du Pape Léo I, fut envoyée pour obtenir le pardon d’Atilla. Cette
requête fut accordée par Atilla. La paix fut établie et Atilla renvoya son
armée, sans avoir obtenu quoique ce soit.
Cette action a été interprétée de manières différentes : Le fait que
Rome se soit rendue à Atilla a pu être suffisant à ce dernier, y voyant
la fin d’une menace romaine de Rome contre les Huns. D’autre part,
la campagne du nouvel Empereur byzantin Marciano contre les Huns
peut également avoir influencé le retrait d’Atilla. Toujours est-il que
Atilla quitta l’Italie et retourna dans son palais de l’autre côté du
Danube. Il prévoya une campagne contre l’Est mais il mourut au début
de 453.
Atilla avait trois fils : Ilek (Ellak), Dengizik (Dengizich) et Irnek
(Ernakh). Aucun d’entre eux ne possédaient le charisme d’Atilla. Ilek
fut le premier à accéder au trône mais il fut vaincu et mourut lors d’une
bataille contre les tribus germaniques à Nedao en 454. Les efforts de
Dengizik en vue d’une unification furent un échec en raison de sa
défaite contre l’Empire byzantin en 469. Irnek comprit que les Huns

dispersés ne pourraient survivre en Europe Centrale. Il emmena donc
les Huns sur les côtes Ouest de la Mer Noire, sur un territoire allant
des bouches du Danube à la rivière Volga. Là-bas, il rencontra les
tribus Oghours qui venaient de l’Est des montagnes Oural en raison
des attaques des Sabars.
2- Le Khanat Avar
Les Avars étaient des nomades turcs d’Eurasie. Ils étaient parmi les
successeurs des Etats turcs des Huns d’Asie Centrale. Des sources
chinoises montrent que les Avars étaient des Jun-Juan (Rouran) et
qu’ils furent menés vers l’Ouest par les Göktürks en 552. Ils sont ensuite
apparus en Europe Centrale et de l’Est suite à leur victoire contre les
Sabars en 557. Leur règne sur une grande partie de l’Europe Centrale
dura jusqu’au début du neuvième siècle. Puis ils entrèrent en Allemagne,
comme Atilla avait fait un siècle avant, atteignant la Mer Baltique au
Nord. Les Avars se sont ensuite intéressés à la plaine de Pannonien
que se disputaient plusieurs tribus germaniques (Les lombards et les
Gepids). Apres les avoir vaincu, les Avars créèrent un Etat sur les bords
du Danube. Les attaques des Avars forcèrent les Lombards à aller vers le
Nord de l’Italie, ce qui fut par ailleurs le dernier déplacement massif de
population germanique dans la période d’émigration.
En 626, les Avars tentèrent de capturer Istanbul (Constantinople)
mais ce fut un échec. Ils se replièrent donc vers leur centre. Ils prirent
le contrôle des Balkans au profit de tribus slaves. A part ceux de
Pannonie, la plupart des sujets avars prirent leur indépendance. Des
pressions internes et externes commencèrent à affaiblir l’Etat avar
au début du neuvième siècle. Ils furent finalement vaincus par le Roi
de France Charlemagne en 805. Les Avars furent ensuite assimilés
aux populations indigènes d’Europe Centrale, principalement à la
population hongroise.
3. Les Sabars
Si nous savons peu de leur naissance, nous savons que les Sabars étaient
des Turcs vivant sous la souveraineté de l’Empire des Huns d’Asie.
Leur terre natale allait de l’Est des montagnes Tien Shan à la rivière Ili.
Ils formaient l’un des Etats turcs qui dominaient la Sibérie de l’Ouest
et le Caucase du Nord au cinquième et sixième siècle. Ils émigrèrent
vers l’Ouest à cause des pressions des avars dans la deuxième moitie
du cinquième siècle. Ils s’installèrent dans le bassin de la Volga Don
au début du sixième siècle. Là, ils établirent un Etat politique et
militaire puissant. Pendant ce temps, ils s’allièrent aux Sassanids contre
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
28
les Byzantins. Ils avancèrent vers le centre de l’Anatolie. Les forces
Sabares furent cependant affaiblies après la deuxième attaque des Avars
en 557. Bientôt, ils devinrent des sujets Göktürks. Au septième siècle,
les Sabars formèrent le corps principal de l’Etat Khazar.
4. Le Khanat Khazar
Les Khazars étaient des Turcs semi-nomades d’Asie Centrale. Avant
leur émigration vers l’Ouest, les Khazars composaient l’une des tribus
vivant sous la souveraineté des Huns d’Asie. Certains historiens russes
considèrent les Khazars comme des indigènes du Nord Caucase. Ils
étaient parents des tribus Ashina, les fondateurs du premier Empire
göktürk. Après la chute de ce dernier, les Khazars rejoignirent
une confédération tribale de l’Ouest dirigée par les tribus Ashina.
L’organisation étatique des Khazars ressemblait à celle des Göktürks.
La première apparition notable des Khazars dans l’Histoire remonte
au début du septième siècle quand ils ont rallié leurs forces à celles
de l’Empereur byzantin Héraclius contre les Sassanids. Les Khazars
ont alors épargné une défaite aux Byzantins. Du septième au neuvième
siècle, les Khazars ont entretenu de bonnes relations avec l’Empire
byzantin. A cette même époque, les Khazars avaient de sérieuses
altercations avec le Califat des Umawwids Abbassids qui freinèrent
leur expansion dans le Caucase en formant un front unifié avec les
Göktürks en Transoxiane. Les Khazars ont prospéré dans la région de
la Mer Caspienne, celle du Nord de la Mer Noire et en Europe de l’Est.
En Europe de l’Est, les Khazars réunirent plusieurs tribus qui vivaient
déjà dans cette région. Lorsque Khazaria devint un pouvoir régional
majeur, les Byzantins mirent fin à leur alliance avec les Khazars. Les
Byzantins se tournèrent vers la Russie (Les proto-Russes) et les
Petchenègues pour former une alliance contre les Khazars. En 965 les
Khazars furent conquis par les Russes de Kiev.
La Royauté et la noblesse khazar se convertirent au Judaïsme durant les
dernières décennies du huitième siècle et au début du neuvième siècle.
Une partie de la population Khazar se convertit aussi au Judaïsme alors
qu’une autre partie se convertit à l’Islam et au Christianisme.
5. Les Petchenègues
Après la défaite des Göktürks, les Petchenègues, alors sujets des
Göktürks, se déplacèrent vers l’Ouest. Les Petchenègues dominèrent

le territoire entre la basse Volga, le Don et le Diniester au neuvième
siècle. Ils ne parvinrent pas à établir un Etat et gardèrent leur forme
d’organisation de confédération tribale. En tant que confédération
tribale, ils jouèrent un rôle important dans l’Histoire mondiale en
obligeant les Oghours à se déplacer de la Mer Azov vers l’Europe
Centrale (aujourd’hui la Bulgarie). Ils obligèrent aussi les tribus
Finno-ougrien à se déplacer vers l’Europe. Ils empêchèrent également
les Russes de pénétrer la Mer Noire pendant un certain temps. Ils
attaquèrent les territoires russes à de nombreuses reprises. Après une
alliance de longue date, les Petchenègues commencèrent à déranger les
Byzantins. En 1091, les Petchenègues furent vaincus par une alliance
entre les Kiptchaks et les Byzantins. Ils ne se remirent jamais de cette
défaite.
6. Le Khanat de Kiptchak
Il représenta la tribu la plus nombreuse et la plus puissante de la
dernière vague massive d’émigrations.
Sa première apparition dans l’Histoire n’est pas très claire. Cependant
on estime que son histoire remonte au huitième ou au début du
neuvième siècle en Asie Centrale de l’Est. Ils devinrent les voisins des
Oghouzes lorsque les Qara-Khitaïs les obligèrent à se déplacer vers
l’Ouest. Les Kiptchaks virent leur nombre augmenter et ils s’allièrent
avec les kimseks. Ils commencèrent à déranger les Oghouzes et
provoquèrent leur émigration vers l’Ouest. Puis ils s’attaquèrent aux
principautés russes. Ils dominèrent bientôt le territoire de la Mer
Caspienne au Sud de l’Ukraine. Ce territoire s’appelait les Steppes
kiptchakes. Ils envahirent la Moldavie, la Valachie et une partie de la
Transylvanie au onzième siècle puis commencèrent à attaquer l’Empire
Byzantin et le royaume de Hongrie. En 1239, les Kiptchaks furent
vaincus par les envahisseurs mongols à la bataille de Khalka. Après la
chute de l’Empire mongol, les Kiptchaks qui restèrent sur leur terre
constituèrent une partie importante de la Horde d’or. Les Kiptchaks
étaient présents sur ce qui est aujourd’hui la Russie, l’Ukraine et
le Kazakhstan. Ils ont joué un rôle important en ce qui concerne la
turquisation des Mongols.
7. Les Oghours et les Etats bulgares
Les Oghours, comme les Oghouzes, formaient l’une des principales
confédérations tribales turques. Ceux qui émigraient vers l’Ouest en
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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passant par les montagnes du Nord Tien Shan étaient appelés les
« Oghours ». Ils s’installèrent dans la région du Nord de la Mer Noire
et formèrent une union tribale indépendante, comme les Oghouzes
l’avaient fait. L’union tribale des Oghours se composait des Dokuz-
Oghurs dans les steppes de la région Dniepr, les On-Oghours dans le
Caucase du Nord et les Otuz-Oghours sur une terre s’étendant entre
le Don et la Volga. Les Oghours de l’Ouest passèrent sous contrôle
göktürk en 576. Quand l’Empire göktürk s’effondra en 630, les On-
Oghours fondèrent la Grande Bulgarie dans le Caucase du Nord sous
l’autorité du Kurt. Kurt venait des Huns d’Asie et il fit une alliance
avec Byzantium. La Grande Bulgarie passa sous contrôle Khazar en
665. Bientôt, les Oghours se déplacèrent vers les Balkans au nord du
Danube sous la direction de Asparuh, le fils de Kurt. Dans les Balkans,
ils fondirent l’Etat bulgare du Danube en 679 sur le territoire au sud de
l’actuel Bobrudzha (Dobruca).
L’Etat bulgare du Danube entretint de bonnes relations avec les
Byzantins. Il défendit Constantinople quand celle-ci fit assiégée par
les Arabes Umawwids en 717-718. Ce faisant, les Bulgares obtinrent
des avantages économiques considérables et purent sécuriser leurs
frontières Est. Cependant, cela ne dura pas longtemps puisque les
Byzantins attaquèrent les Bulgares lors d’une lutte interne pour le trône
bulgare au milieu du huitième siècle.
En 814, les Byzantins se trouvèrent dans une situation difficile
lorsque Krum Khan assiégea Constantinople. Heureusement pour les
Byzantins, Krum Khan mourut brusquement. Sous la direction de son
fils: Omurtag Khan (814-831), la Bulgarie connut son apogée dans de
nombreux domaines. Pendant ce temps, la population turque de l’Etat
bulgare du Danube commençait à perdre son identité en raison d’une
immigration massive de Slaves. Quand l’Etat bulgare fut converti au
Christianisme Orthodoxe en 864 par Boris (852-889), les Bulgares du
Danube s’éloignèrent des pratiques culturelles turques pour adopter
celles des slaves.
Un autre Etat crée après la chute de la Grande Bulgarie fut l’Etat
bulgare Itıl (Volga). Cet Etat fut fondé au croisement des rivières Itil
et Kama. Sa capitale était Bulgar qui était aussi le principal centre
commercial d’Europe de l’Est du neuvième siècle au douzième siècle.

Cet Etat bulgare Volga se convertit à l’Islam en 922. Certains historiens
déclarent qu’il s’agit du premier Etat turc entré dans l’Islam. Les
Bulgares Volga furent vaincus en 1237 par les Mongols. Les Bulgares
Volga ont appartenu à la Horde d’Or jusqu’à la moitié du quinzième
siècle.
Le cours de l’Histoire turque commença à changer quand les Turcs
rencontrèrent les Etats musulmans des Umayyades et Abbassides
en émigrant vers le Moyen Orient et vers l’Anatolie. A travers ces
rencontres, les Turcs se convertirent progressivement à l’Islam.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
32
CHAPITRE 3
Les premiers Etats musulmans turcs
Le fait que les Turcs se soient convertis à l’Islam peut être analysé d’un
point de vue social, historique ou encore politique. Il n’en est pas moins
que cette conversion fut un évènement d’une grande importance.
Considéré d’un point de vue socio-économique, le changement de
religion est sans doute l’un des évènements les plus importants qu’une
personne ou une nation puisse vivre. Quand la question se pose pour
une nation, ce changement a des effets directs sur les structures sociales,
politiques et économiques de cette nation. La conversion des Turcs à
l’Islam eut donc des répercussions importantes sur l’Histoire de la
Turquie et sur l’Histoire du Monde puisqu’il s’agit d’un évènement
d’une grande importance. En termes historiques, cet évènement
marqua un tournant dans l’Histoire turque, la divisant entre l’époque
pré-islamique et l’époque islamique. Ce fut en effet le point de départ de
l’Histoire turque islamique. D’un point de vue politique, cet évènement
marqua la base d’une nouvelle ère dans l’Histoire de la Turquie, qui a
continué jusqu’au vingtième siècle.
Les Turcs n’ont pas pris connaissance de l’Islam durant la vie du Prophète
Mohammed et donc, n’ont pas pu développer une connaissance de
l’Islam tirée directement du Prophète. Les relations des Turcs avec les
Arabes commencèrent durant la période du deuxième Calife Omar. Les
Turcs rencontrèrent l’Islam lorsqu’ils aidèrent les Perses dans leur lutte
contre les envahisseurs arabes. Cette première rencontre n’engendra pas
de conversion. Mais leur découverte de l’Islam se fit lorsque les armées
islamiques conquirent la Perse au milieu du septième siècle. En 651, les
armées islamiques commencèrent leurs expéditions vers la Perse. Elles
passèrent la rivière Amu Darya (Ceyhun) reconnue comme la frontière
turque, et conquirent la Transoxiane en 705. En raison de la mauvaise
administration des Umayyades dans cette région, les dirigeants turcs
ne laissèrent pas les armées islamiques Umayyades arriver facilement.
Le Khanat Turgish conduisit une lutte efficace contre les Umayyades.
En 750, les Abbassides prirent en main l’administration de l’Etat
islamique. A ce moment s’opéra un changement dans les relations
turco-arabes. En Transoxiane, alors que la lutte turco-arabe continuait,
certains groupes turcs demandèrent l’aide de la Chine. Pensant qu’il
s’agissait là d’une grande opportunité de dominer le Turkménistan,
la Chine envoya une armée importante à l’Ouest en 747. L’attitude

grossière des Chinois dans cette région cependant fit que les Turcs
se détachèrent de cette force. Ils demandèrent l’aide du gouverneur
de Khorasan de l’Etat islamique contre les Chinois. Le gouverneur
Ebu Muslim accepta d’offrir son aide et envoya une armée contre les
Chinois. En juillet 751, les Chinois et les Turcs aidés par les musulmans
se sont battus près de ce qui est aujourd’hui Almaty, sur les bords de la
rivière Talas. Lors de cette guerre, qu’on a appelée la guerre Talas, les
Chinois furent vaincus.
Cette guerre Talas représente une pierre angulaire de l’Histoire
turque. En effet, les disputes entre Turcs et Arabes cessèrent, de
bonnes relations furent établies. La paix commença. Les relations
commerciales commencèrent et les Turcs purent développer leur
connaissance de l’Islam. C’est ainsi que l’Islam se répandit parmi les
Turcs. Avant d’adopter cette religion, les Turcs croyaient en d’autres
religions comme le Manichéisme, le bouddhisme et le Zoroastrisme.
Ils avaient donc déjà avant changé de religion. Cependant, aucune des
précédentes religions n’avait été acceptée par une majorité aussi forte.
Pendant la période Umayyade, la conversion à l’Islam concerna des
groupes d’individus regroupés. Durant la période Abbasside, l’Islam
étendit son influence et commença à être adopté par beaucoup. Une
politique modérée des Abbassides envers les musulmans non arabes
joua une grande importance dans ce processus. A partir du neuvième
siècle, une conversion à l’Islam de masse se fit parmi les groupes turcs.
Ils servirent tout d’abord l’Etat islamique puis fondèrent des Etats
indépendants qui devinrent par la suite suffisamment puissants pour
décider du destin du monde islamique.
1. Le Khanat Karakhanide (840-1212)
Ce Khanat fut fondé par les clans Yaghma, Cigil et Tohsi en 840. Ce
Khanat fut fondé après la chute de l’Etat ouïghour suite à la victoire
des Kirghizes et après que les Karlouks Yabghu se soient déclarés
comme étant les seuls descendants de droit des maîtres des Steppes. En
893, il devint le centre de l’Etat Kashgar. Les Européens orientalistes
donnèrent le nom de Karakhanide au premier Etat islamique qui
régna au Turkestan de l’Ouest et de l’Est. Ce nom vient du mot ‘’Kara’’
(puissant) qui était souvent utilisé comme titre parmi les gens de cet
Etat. Par exemple, lorsque le Qarluq Yabghu se déclara maître des
Steppes, il utilisa le nom de Kara Khan.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Le Khanat Karakhanide, conformément à la structure traditionnelle de
l’Etat turc, se divisait en deux parties : une partie droite et une partie
gauche. Le Grand Khan qui était le dirigeant de tout l’Etat, se situait sur
la partie droite. Dans la partie gauche se trouvait la deuxième personne
au pouvoir, qui aurait du être appelée Yabghu, mais qui, à cause du titre
du Khan utilisé dans l’Etat était plutôt appelé « le Khan dépendant ».
Les provinces autonomes qui existaient des deux côtés étaient
administrées par les fils du Sultan ou par des gouverneurs militaires
qui dépendaient de la dynastie. Après que le Khanat Karakhanide
eut été divisé en partie Est-droite et Ouest-gauche, la tradition
d’avoir une administration divisée s’installa. Aucune information n’a
été enregistrée dans les textes historiques sur les grands Khans de la
partie Est. La seule information disponible sur cet Etat vient des khans
secondaires de l’Ouest qui entretenaient de bonnes relations avec le
monde islamique et qui présidaient la plupart des affaires de l’Etat.
Il est parfois difficile d’être sur quant à la personne à la tête de l’Etat.
Au début du Khanat khanid, (sur lequel nous avons peu d’informations)
le premier dirigeant connu a été le Khan Bilge Kül Kadir. Seule sa
bataille contre les Samanids a fait l’objet de récits écrits. Après lui, ses
fils Khan Ogulcak Kadir et Khan Bazir Arslan ont gouverné l’Etat.
Le neveu de Khan Ogulcak Kadir : Satık Bughra arriva au pouvoir
après avoir détrôné son oncle. Il fit de l’Islam la religion officielle des
provinces dont il avait le contrôle. Durant son règne, il prit le nom de
Abdulkerim après sa conversion à l’Islam et cette religion se répandit
rapidement parmi les tribus turques. Durant le règne de ses successeurs,
principalement celui de Baytash Arslan Khan Suleyman, l’Islam se
répandit dans tout le pays. Le Khanat Karakhanide poursuivit donc sa
vie en tant qu’Etat musulman turc à partir de 960.
En ce qui concerne son histoire politique, le khanat Karakhanide s’est
battu contre les Samanids, les Ghaznévides et plus tard, contre les
Seldjoukides. Pendant le règne de Kılıç Bughra Khan, l’Etat samanid
fut détruit et la région Transoxiane conquise. Cependant, les Khanids
ne réussirent pas à prendre Khorasan des Ghaznévides. Après que sa
domination sur de nombreuses régions eut été établie dans les années
1030, des luttes pour le pouvoir commencèrent à l’intérieur du Khanat
et cela entraîna la division du pays en deux Etats indépendants en 1042 :
le Khanat occidental et le Khanat oriental. Le Khanat Karakhanide
occidental dominait les régions allant de la Transoxiane à Fergana.
Son centre fut d’abord Özkent puis Samarkand. En 1074, cet Etat fut

intégré au Grand Empire Seldjoukide. Quand les Seldjoukides furent
vaincus par les Qara-Khitaï, l’Etat passa aux mains des vainqueurs. En
1212 les Harzemshahs mirent fin à la vie de l’Etat.
Le centre politique et militaire du Khanat occıdental Karakhanide était
Balasagun, son centre culturel et religieux Kashgar. Le Khanat dominait
les régions de Balasagun, Talas, Tashkent, Kashgar, Yarkent et Hotan.
Ils luttèrent pour répandre l’Islam parmi les turcs non musulmans à
l’Est de l’Etat. En 1089, l’Etat passa aux mains du Grand Empire
seldjoukide et fut détruit en 1211 par les Qara-khitaï. En dehors des
Khanats Karakhanides occidentaux et orientaux, un troisième khanat
Karakhanide fut fondé en 1141, le Khanat Fergana, dont le centre était
Ozkent. Il disparut en 1212.
2. L’Empire ghaznévide (963-1187)
Il s’agissait d’un Etat islamique turc fondé en 963 en Afghanistan.
Cet Empire emprunta son nom de Ghazna, la ville où il fut fondé.
Devenant un pouvoir régional important, particulièrement au Nord de
l’Inde, cet empire prit une place importante parmi les premiers Etats
turcs islamiques.
Aux neuvième et dixième siècles, les Turcs avaient commencé à
participer et à servir dans les Etats islamiques. Avec le temps, ils
devinrent un groupe de gouverneurs et commandants d’élite dans
ces Etats. Ceux qui ont fondé l’Etat ghaznévide étaient des Turcs qui
avaient d’abord servi l’Etat samanid. Lors de la désintégration de l’Etat
samanid, Alptegin qui était l’un des commandants de l’Etat samanid
fut nommé gouverneur de Khorasan. Bel’ami, le vizir de l’Etat samanid
de l’époque, défia Alptegin pour la suprématie de l’Etat samanid mais
ne réussit pas. Alptegin vainquit l’armée envoyée contre lui et vint
dans la ville de Ghazna en Afghanistan d’où il fit fuir les résidents, les
Leviks, en 962. Il commença à dominer la ville et se déclara dirigeant
de la région en 963 puis fondit l’Empire Ghaznévide.
Du temps de son successeur, Ebu Ishak Ibrahim, Ghazna fut reprise
par les Leviks. Puis reprise à nouveau par les Ghaznévides. Comme
Ebu Ishak Ibrahim n’avait pas de fils, l’administration de l’Etat
passa aux mains de son commandant. Bilge Tegin, le premier de ces
commandants, déclara sa dépendance vis-à-vis des Samanids. Après
Bilge Tegin, Bori Tegin arriva au pouvoir mais les Ghaznévides
n’apprécièrent pas son administration et invitèrent les leviks à dominer
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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la cité. Un autre commandant : Sebüktigin, tout d’abord empêcha les
Leviks d’entrer dans la ville, puis détrônant Bori Tegin, prit sa place en
977. Alors que Sebüktigin était indépendant dans sa région, il accepta
la domination des Samanids.
Après l’arrivée au pouvoir de Sebuktigin, un changement important
dans l’administration de l’Etat Ghaznévide se fit. L’Etat avait jusque
là été administré par des commandants. Sous Sebuktigin, le système
administratif fut changé en dynastie. Il avait probablement pensé que
la meilleure façon de préserver l’Etat était d’en élargir les frontières
car à peine arrivé au pouvoir, il changea le système administratif et
commença à élargir son territoire. Bientôt, le territoire comprit aussi
le Toharistan, le Zabulistan, le Zemindaver, le Gur et le Belucistan.
Plus tard, Sebuktigin envoya une expédition militaire vers l’Inde afin de
pouvoir l’inclure dans son territoire. Ce faisant, Sebüktigin joua un rôle
important dans la dissémination de l’Islam jusqu’à Peshaver, au Nord
de l’Inde. Il aida également son fils Mahmut à réprimer la rébellion
samanid dans la région Khorasan. Afin de le remercier de ses efforts,
l’Etat samanid lui attribua le titre de ‘’Nair al-din’’, (celui qui propage la
religion) et nomma son fils Mahmut gouverneur de Khorasan. Quand
il mourut en 997 à Ghazna, Mahmut lui succéda.
Ce dernier devint un personnage important de l’Empire ghaznévide
mais aussi, de l’Histoire turque. Il fut le premier dirigeant à utiliser le
titre de Sultan. Au début de son règne, il lutta contre son frère pour
le pouvoir. Lors de cette lutte pour le pouvoir au sein de la famille, les
Samanids envahirent Khorasan et y installèrent un gouverneur. Après
qu’il ait vaincu son frère et après avoir garanti sa domination dans
l’Etat, Mahmut demanda au dirigeant samanid de quitter Khorasan.
Sa demande étant rejetée, il envahit Khorasan. L’Etat samanid fut si
affaibli après la perte de Khorasan que le Khanat Karakhanide finit pas
disparaître. C’est ainsi que les Ghaznévides devinrent indépendants.
La première tâche du Sultan Mahmut fut de signer un traité avec les
Karakhanides. D’après ce traité, les terres des Samanids furent partagées
et la partie Nord de l’Etat fut sécurisée contre les invasions étrangères.
Le Sultan Mahmut captura ensuite Sistan, Huttal et Khwarezm. Suite
à cette série de victoires, il envoya des expéditions militaires en Inde.
Ces expéditions avaient un double enjeu : répandre l’Islam en Inde et
prendre possession des richesses. Mahmut envoya donc 17 expéditions
en Inde entre 1001 et 1027. Ce faisant, il étendit la domination des
Turcs sur toute la partie Nord de l’Inde, incluant les régions de Pencap,

Indus, Und, Moltan, Tanisar, Lokhot, Gwalior et Somnat. L’Islam
se répandit massivement au Nord de l’Inde grâce à ses expéditions.
C’est également à cette période que les fondations de l’actuel Pakistan
furent posées. Mahmut jouissait d’un grand prestige dans le monde
islamique. Il fut l’un des plus grands dirigeants de l’Histoire islamique
turque. Quand il arriva au pouvoir, l’Etat ghaznévide était une petite
principauté. Mais à sa mort, en 1030, c’était devenu un empire dont les
frontières s’étendaient à l’Ouest à l’Azerbaïdjan, à l’Est aux vallées du
Gange de l’Inde, en Asie mineure de Kharezm à l’Océan Indien.
Dans la lutte pour le pouvoir qui suivit la mort de Mahmut entre ses
fils, Mesut sortit vainqueur et prit la succession. Il se montra aussi
capable que son père dans la gestion de l’Empire. Durant son règne,
l’armée du Grand Empire seldjoukide tenta d’envahir Khorasan et
présenta donc une réelle menace pour les Ghaznévides. Ceux-ci furent
battus à la bataille de Dandanaqan. Les Ghaznévides durent donc se
retirer de l’Inde et perdirent Khorasan, Khwarezm et toutes les régions
du Nord. Mesut fut assassiné lors d’une rébellion lors de la retraite. Les
Ghaznévides ne purent pas récupérer après ces évènements. Ibrahim,
qui devint le sultan en 1059 accepta la domination des Seldjoukides.
Cette dépendance continua jusqu’à la défaite de ces derniers face
aux Qara-Khitaï à la bataille de Katvan. La domination seldjoukide
prenant fin à Ghazna, le Alauddin Ghorid Afghan captura la ville.
En 1187, les Ghorids prirent également le nouveau centre de Lahor et
tuèrent son dernier dirigeant : Husrev Melik. Ils mirent fin à l’empire
ghaznévide.
L’Empire ghaznévide occupe une place importante dans l’Histoire
islamique turque en raison de projets audacieux concernant l’Inde qui
contribuèrent à répandre l’Islam.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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CHAPITRE 4
Le Grand Empire seldjoukide
Cet empire fut fondé par les Turcs Oghouzes et est aussi connu sous
le nom de Kınık Seljuk. L’Empire tira son nom de Seldjouk Bey, un
commandant dans l’Etat Yabghu Oghouz qui immigra dans la région
Cend avec son clan sous son règne et fonda l’Etat seldjoukide. Son
père, Dukak, était également commandant dans l’Etat Seljoukide. Son
fils prit sa succession. En quittant le Yabghu, il émigra vers le Sud, vers
la région Cend sur les bords de la rivière Syr-Darya. Une autre raison
de cette émigration, comme dans de nombreuses émigrations, était la
recherche de terres pour nourrir la population croissante.
L’arrivée des Seldjoukides dans cette région marqua le commencement
d’une période importante dans l’Histoire. La région avait été habitée
par des musulmans venus de la Transoxiane et d’une ville frontalière
entre les pays islamiques et les Turcs. A ce moment, de nombreux
clans turcs s’étaient déjà convertis à l’Islam. Seldjouk, lui, n’était pas
encore musulman. Il fit venir des guides religieux des pays islamiques
des alentours comme de Boukhara et de Khwarezm (Harezm).
Ceux-ci permirent une bonne installation de Seldjouk à Cend. En
960, Seldjouk se convertit à l’Islam avec les Oghouzes vivant sous
sa domination. Ces derniers convertis à l’Islam se firent appelés les
« Turkmens ». Ce nom fut porté aussi par les Oghouzes qui émigrèrent
vers les pays musulmans.
Après avoir adopté l’Islam, Seldjouk gagna du pouvoir dans la région.
Il décida de rompre ses liens politiques avec les Yabghus et renvoya
les collecteurs d’impôts du Yabghu Oghouz en déclarant qu’il ne
payerait pas de taxes à des non musulmans. Ce faisant, il s’affirmait
en tant que vétéran prêt à se battre pour l’Islam. Il reçut ainsi le titre
de El-Melikul Ghazi. Cela offrait deux avantages aux Seldjoukides :
d’abord, ils obtenaient le soutien de nombreux musulmans et les
Turcs se décidèrent à se joindre à eux et d’autre part, ils diminuèrent la
domination des Yabghus autour d’eux afin d’établir une administration
indépendante. Alors que l’Etat seldjoukide devenait plus puissant dans
la région, il fut reconnu par les pays voisins comme une force majeure
sur la scène internationale. Les Seldjoukides gagnèrent tant d’estime
que quand les Samanids et les Karakhanides se battaient, les Samanids
demandèrent leur aide. Celle-ci fut accordée et les Samanids furent
victorieux. Ils remercièrent les Seldjoukides en leur donnant comme

terre Nur, entre Bukhara et Samarkand en 985. Dans les décennies qui
ont suivi, les Seldjoukides ont continué à jouer un rôle important dans
la lutte entre les Samanids et les Karakhanides.
Seldjouk Bey mourut vers l’âge de 100 ans, à Cend. Son successeur fut
Arslan qui arriva au pouvoir avec le titre de Yabghu. Les petits-enfants
de Seldjouk Bey, Tugrul et Çağrı (Fils de Mikhail qui mourut quand
son père était toujours vivant) rentrèrent dans l’administration avec
le titre de Bey. Ils envisageaient le futur du pays avec une vaste terre.
Tugrul se dirigea donc vers des déserts difficiles d’accès alors que son
frère conduisait une expédition vers l’Anatolie de l’Est avec une force
militaire importante de 1016 à 1021. L’armée de Çağrı se composait à
l’origine de cinq ou six milles soldats auxquels s’ajoutaient des hommes
qui se joignirent à eux lors de leur passage par Khorasan. Ils firent
face aux Géorgiens et aux Arméniens en Anatolie de l’Est. Ce fut une
victoire pour Cağrı qui considéra qu’il n’y avait plus dans la région de
force capable de leur résister. Cette confiance en eux les poussa à prendre
des décisions militaires et économiques importantes. Pendant ce temps
Arslan Yabghu et son successeur Yusuf moururent. Musa Inanç Yabghu
vint à la tête des Seldjoukides. Cependant, c’est Tugrul Bey et Çağrı
Bey qui détenaient leur vrai pouvoir. Les expéditions en Anatolie de
l’Est augmentèrent l’importance des deux frères de telle manière que
l’Empire ghaznévide commença à considérer les Seldjoukides comme
une menace.
En 1035, les Seldjoukides entrèrent dans Khorasan sans l’autorisation
des Ghaznévides qui dirigeaient la ville. Ils rassemblèrent les groupes de
Turkmens de Khorasan sous leur influence et demandèrent qu’on leur
donne la ville. Le Sultan Mesut refusa et pour leur faire quitter la ville,
mit en place deux attaques militaires contre l’Etat Seldjoukide, l’une
en 1035, l’autre en 1038. Les Seldjoukides y résistèrent et comprirent
aussi qu’ils pouvaient trouver un soutien à Khorasan. Ils y installèrent
un pouvoir permanent. D’autre part, à Khorasan, un Khutba (ensemble
de sermons sacrés faits la vielle de la prière du vendredi) fut lu au nom
de Tugrul Bey. Des nouvelles terres conquises furent distribuées parmi
les membres de sa famille. Mesut, le sultan ghaznévide voulut mettre
fin définitivement à ce problème et se dirigea avec une grande armée
vers Khorasan.
Les deux armées se rencontrèrent près du château de Dandanaqan.
Après une bataille de trois jours (22-24 mai 1040), les Ghaznévides
furent durement vaincus. Les conséquences politiques de cette bataille
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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en font une bataille importante de l’Histoire. Elle était en effet
devenue pour les Seldjoukides une guerre d’indépendance. Ils étaient
parvenus à créer un Etat indépendant à Khorasan, ce qui avait constitué
un but important depuis leur établissement à Cend. Tugrul Bey fut
déclaré Sultan (1040-1063) après la bataille et l’Etat seldjoukide fut
officiellement crée avec son centre dans la ville de Nishapur.
La montée de l’Etat seldjoukide
La première action de Tugrul Bey en tant que souverain fut de
distribuer les nouvelles terres de l’empire parmi les membres de
sa famille. Il envoya également un délégué au Calife Abbassid à
Bagdad pour déclarer sa reconnaissance de l’autorité du Calife et son
désir de suivre la voie de l’Islam. Sous Tugrul Bey, les frontières de
l’Empire seldjoukide s’élargirent rapidement. En dix ans, les frontières
atteignirent Herat, Sistan, Khwarezm, Kirman et Amman. Rendant les
dynasties de Perse dépendantes, Tugrul prit contrôle de la ville de Rey.
Il déplaça ensuite le centre de l’Etat seldjoukide à Rey.
En dehors de sa politique expansionniste, l’une des réussites de Tugrul
Bey fut la série d’attaques qu’il porta en Anatolie avec le soutien des
Turkmens. Les Oghouzes commencèrent à émigrer en masse sur les
terres sous contrôle seldjoukide. Afin d’établir l’ordre sur ces terres et
afin de trouver une terre d’accueil pour les Turkmens qui semaient
le trouble là où ils allaient, Tugrul Bey les dirigea vers l’Anatolie qui
était sous domination byzantine à ce moment. En 1048, les Turkmens
portèrent plusieurs attaques en Anatolie. Ils vainquirent les Byzantins,
les Arméniens et les Géorgiens plusieurs fois. Tugrul Bey commanda
lui-même l’une de ces attaques en 1054. Après son départ d’Anatolie,
les attaques et conquêtes furent continuées par les Princes, Emirs et
Beys turkmens désignés par Tugul Bey. Toutes ces actions préparaient
en réalité le terrain pour l’appropriation de l’Anatolie en tant que terre
natale par les Turcs.
Un autre fait remarquable durant le règne de Tugrul Bey fut
l’établissement de bonnes relations avec le Calife Abbassid. Ainsi, les
Seldjoukides devinrent un Etat important du monde islamique. Au
début de son règne, Tugrul Bey avait annoncé sa dépendance vis-àvis
du califat et un Khutbe avait été lu en son honneur. Un lien fut
établi entre les deux parties avec le mariage du Calife Abbassid Kaim
Biemrillah et la fille de Çağrı Bey. En dehors de cet arrangement, il
y avait également une autre raison de ce respect et de cette place de
marque dans le monde islamique gagné par les Seldjoukides : A cette

époque, les Abassids souffraient d’une oppression exercée par les Shiites
Fatimides et les Buveyhogullarıs. A la demande du Calife de libérer
Bagdad de l’oppresseur Shiite en 1055, l’armée de Tugrul Bey entra
dans la ville et la libéra des Fatimides et des Buveyhogullarıs. C’est
ainsi que les Seldjoukides devinrent les leaders du monde islamique
et les protecteurs de l’Islam Sunnite. Tugrul Bey mourut un an après
l’expédition de Bagdad, alors que son empire s’étendait de Amu Darya
aux rivières Euphrates.
Avant sa mort, Tugrul Bey avait désigné son neveu : Suleyman en
tant que successeur. Cependant, après la mort de son oncle, Suleyman
dut faire face à une lutte pour le pouvoir avec son frère : Alparslan.
C’est lui qui arriva au pouvoir en 1064, fit certains changements dans
l’administration et nomma Nizamulmulk, l’auteur de Siyasetnama,
Vizir. Il plaça ses gens aux postes importants et partit en conquêtes. Au
printemps 1064, Alparslan partit pour une expédition en Azerbaïdjan.
Les Arméniens de Arran furent placés sous sa dépendance. Ani, le
centre des Arméniens Bagrat et ville célèbre pour ses remparts, et Kars
furent conquis. Ani était l’une des villes chrétiennes les plus importantes
de l’Est. C’est pourquoi sa prise eut un grand succès dans le monde
islamique. En récompense, Alparslan reçut le titre de Ebul Feth (Le
père de conquête). Plus tard, Alparslan mit en place une expédition vers
l’Est de la région et alla vers le Turkestan. Il captura Cend après une
série de conflits. Cependant, l’un des plus grands mérites d’Alparslan
fut sa victoire contre les Byzantins à la bataille de Manzikert. Cette
victoire eut de grandes conséquences sur l’Histoire du Grand Empire
seldjoukide et sur l’Histoire turque. L’évènement qui mena à la bataille
de Manzikert fut l’entrée de Alparslan en Anatolie qui était sous
domination Byzantine à cette époque. Il captura aussi la Géorgie lors
de sa deuxième expédition caucasienne. En 1069, il entra en Anatolie
et prévit d’attaquer l’Etat Fatimi en se déplaçant vers l’Egypte. En
1070, il prit Manzikert, Ercis, Siverek, Aleppo et envisagea d’aller vers
Damascus. Cependant, apprenant que l’Empereur byzantin Romanos
Diogenes avait envoyé une grande armée pour éliminer la menace
turque de la région, il changea d’avis et resta en Anatolie pour lutter
contre les armées byzantines.
La bataille de Manzikert (26 Août 1071)
Les armées seldjoukides et byzantines se firent face le 26 Août 1071
à Manzikert. Ce fut une grande victoire pour Alparslan contre les
forces ennemies. L’Empereur byzantin Diogenes fut capturé. Il fut
libéré et renvoyé chez lui par la signature d’un traité le 3 septembre
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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1071. D’après ce traité, les Byzantins payeraient un impôt annuel aux
Seldjoukides et les aideraient militairement quand cela leur serait
demandé. Cependant, ce traité ne fut pas appliqué en raison d’un
changement de pouvoir du coté byzantin.
Une des plus grandes conséquences de cette bataille fut qu’elle établissait
un précédent pour les attaques turques en Anatolie dans le but d’en faire
une terre de résidence permanente. La victoire fut le point de départ de
la réalisation de ce projet. Alparslan donna à ses commandants la mission
de conquérir toute l’Anatolie. Cette bataille ainsi que son dénouement
sollicita bien sûr des réactions en Europe. Si le monde islamique se
réjouissait, ce n’était pas le cas de l’Europe qui s’indignait et se préparait
aux croisades pour sauver l’Empire byzantin des Turcs.
Le Sultan Alparslan mourut le 24 novembre 1072 alors qu’il se dirigeait
vers la Transoxiane pour se battre contre le Khanat Karakhanide. Son
fils, Melikshah prit sa succession comme l’avait voulu son père. Il
garda avec lui le Vizir de son père Nizamulmulk. Au début de son
règne, il dut faire face à une rébellion organisée par son oncle Kavurt.
Il dut également faire face à la violation par les Karakhanides et
les Ghaznévides des frontières de l’Empire. Après avoir résolu ces
problèmes, il s’attela à d’autres conquêtes. L’Anatolie était le territoire
que Melikshah convoitait le plus et sa conquête fut précipitée par
la direction de Beys efficaces et de commandants compétents. En
1075, toute l’Anatolie sauf les régions côtières de l’Ouest, était passée
sous contrôle turc. On pouvait même rencontrer des turkmens dans
des régions aussi lointaines que Sapanca ou Izmit (Nicomedia). En
profitant de luttes internes dans l’Empire byzantin, Melikshah captura
la ville de Iznik (Niceae) et les territoires avoisinants.
A Iznik, il établit les fondations de l’Empire seldjoukide Anatolien.
La lutte contre les Shiites faisait également partie de la politique des
Seldjoukides. Cette politique continua sous Melikshah. La lutte contre
les Fatimids aussi. En 1072, La Palestine et Jérusalem furent prises.
En 1076, Tripolidamascus et la Syrie furent incluses dans l’Empire
seldjoukide. En 1085, l’Etat Mervani près de Diyarbakir fut détruit.
En 1089, le Khanat Karakhanide occidental et en 1090, le Khanat
Karakhanide oriental furent détruits. Ainsi, les frontières de l’Etat
furent élargies jusqu’à la Grande Muraille de Chine. En 1092. le Yemen
et Aden furent pris. A la Mecque, un Khutbe fut lu en l’Honneur de
Melikshah et ce dernier se vit remettre par le Calife le titre de ‘’dirigeant
de l’Est et de l’Ouest’’. Le 20 novembre 1092, il fut empoisonné.

La désintégration
Après la mort de Melikshah, une période qu’on appela « la période
Hiatus » commença. Cette période fut caractérisée par des luttes
internes pour le pouvoir et par une certaine stagnation. Durant cette
période, chacun des quatre fils de Melikshah prirent le pouvoir :
Mahmud ( 1092), Berkyaruk (1092-1104), Muhammed Tapar (1105-
1118) et Sencer (1118-1156).
Sous le règne de Sencer, une période de rémission et de réorganisation
de l’Empire seldjoukide commença.
Sencer rétablit le pouvoir seldjoukide sur les Etats qui s’en étaient
défait après la mort de son père. Il renouvela et renforça la domination
seldjoukide en Irak, en Azerbaïdjan, en Iran, en Transoxiane et sur les
terres ghaznévidees. Malgré cela, l’Empire perdit son pouvoir ancien
en raison d’une série d’évènements négatifs. Le Calife Abbassid
commença à se battre contre les Seldjoukides afin de retrouver sa force
politique d’autrefois. En 1141, l’Empire seldjoukide fut vaincu par les
Qara-Khitais près de Samarqand (ce conflit est enregistré comme la
guerre de Katvan)
En 1153, les Oghouzes se révoltèrent contre l’Empire seldjoukide
au sujet des impôts. Ils avaient été avant pourtant les plus fervents
supporters de l’Empire. Le Sultan seldjoukide fut capturé par les
Oghouzes durant cette rébellion. Trois ans plus tard, il fut libéré
et retourna au pouvoir. Cependant, l’Empire ne se remit pas de ses
blessures et tomba en 1157 avec la mort de Sencer.
D’après les règles du système administratif turc, Le Grand Empire
seldjoukide avait partagé ses terres ainsi que celles nouvellement
conquises entre les membres de la dynastie. Si les Etats comme celui
de Iraqı, de Khorasan, de Kirman, de Syrie et celui des Seldjoukides
d’Anatolie avait été dépendants du système d’administration centralisée
sous le Grand Empire seldjoukide, ils devinrent des structures
indépendantes après s’être renforcés suite à la mort de Melikshah.
Les Etats des Seldjoukides d’Iraqi et de Khorasan (1092-1194) furent
fondés par Le petit-fils de Melikshah : Mahmut. Celui-ci avait été en
lutte pour le pouvoir avec son oncle Sencer pendant un certain temps
mais Sencer en était sorti victorieux. Quand Sencer devint le sultan
seldjoukide, il laissa les régions Ouest (la Région d’Irak) à son neveu.
C’est ainsi que l’Etat seldjoukide d’Irak furent formé. Ils se sont fait
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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connaître grâce à leur lutte contre le Calife Abbassid qui voulait
regagner son pouvoir politique d’autrefois. Cet Etat disparut à cause
des Harzemshahs.
Les Seldjoukides de Kirman (1092-1187) virent leur Etat fondé à
Kirman (Au Sud de l’Iran) par le fils de Çagri : Kavurd. Celui-ci s’était
battu pour le pouvoir dans le Grand Empire seldjoukide après la mort
de Alparslan mais il mourut pendant cette bataille. Les descendants
de Kavurd gardèrent Kirman sous la dépendance du Grand Etat
seldjoukide. Les Seldjoukides de Kirman furent détruits par les
Oghouzes qui s’étaient rebellés contre le Grand Etat seldjoukide.
L’Etat seldjoukide de Syrie (1092-1117) fut fondé par le frère de
Melikshah : Tutup. Celui-ci resta dépendant du Grand Empire
seldjoukide jusqu’en 1092. Quand Melikshah mourut, Tutup déclara
son indépendance et mit en place son propre Etat. Cependant, quand il
mourut, l’Etat fut divisé en deux parties : la première Alep, la deuxième
Damascus. A cause des croisades, ces deux parties s’affaiblirent et
disparurent respectivement en 1118 et 1105.
Les Seldjoukides d’Anatolie ou les Seldjoukides de Turquie (1092-
1277) seront traités dans la partie intitulée « Les Etats turcs anatoliens ».
Les Khwarezmshahs (Harzemsahlar)
Le bassin où se jette la rivière Amu Darya dans le lac Aral était
appelé Khwarezm. Les dirigeants de cette région étaient appelés
les Khwarezmshahs. Les fondateurs de l’Etat khwarezmshah, les
gouverneurs khwarezm du Grand Etat seldjoukide étaient les petits
fils de Anushtegin. Les gouverneurs successeurs de Anushtegin
tentèrent d’obtenir leur indépendance. Mais ils ne purent le faire tant
que l’Empire seldjoukide était puissant. A la mort de Sencer en 1157,
Il-Arslan déclara l’indépendance des Khwarezmshahs. La capitale de
l’Etat était Gulgenç. L’Etat Khwarezmshah se développa et se renforça
rapidement sous Il-Arslan. Ses frontières s’étendirent à la Transoxiane,
à l’Est au Turkistan, vers l’Iran et à l’Ouest de l’Azerbaïdjan. L’Etat
connut son apogée sous Alaaddin Muhammed. Il prit le contrôle
des Gurlus et vainquit les Qara-Khitais. Il ne réussit pas aussi bien
cependant face aux Mongols. Ne résistant pas aux attaques mongoles,
l’Etat khwarezmshah entama son déclin en 1220. Si l’Etat retrouva un
peu de sa force sous Celaleddin Khwarezmshah, sa chute fut inévitable.
Sa population fuit les invasions mongoles en émigrant à l’Ouest.
Certains vinrent en Anatolie.

CHAPITRE 5
Les Etats turcs d’Egypte et de Syrie
1. Les Toulounides (868-905)
L’Egypte fut conquise par les armées islamiques en 639. Elle devint
alors l’une des régions les plus importantes de l’Etat islamique. Un
gouverneur ainsi que des administrateurs furent nommés en Egypte
par l’Etat islamique pour relever les impôts, des informations secrètes
et assurer la communication. Cette organisation avait pour but de
protéger l’autorité centrale de l’Etat en empêchant la concentration
de pouvoirs dans les mains des administrateurs locaux. Ce système
cependant présentait quelques faiblesses en ce qui était de résoudre
des problèmes. Il était donc nécessaire de nommer des gouverneurs
puissants dans la région. Parfois, c’était des gouverneurs turcs d’origine
qui étaient nommés.
L’un de ces gouverneurs fut Ahmet Tolunoglu. Il fut nommé à la place
de son père Bayik Bey comme gouverneur. A son arrivée en Egypte, il
renvoya les administrateurs abbassids. Il se déclara tout puissant dans
la région puis déclara son indépendance. En peu de temps, il construisit
une armée et une flotte solides. Des découvertes et développements
se firent dans l’agriculture qui améliorèrent nettement la condition
économique de l’Egypte. Fustat (l’ancien Caire), la capitale de l’Etat
devint un centre culturel prospère. Tolunoglu fit construire la mosquée
qui porte son nom, qui existe toujours aujourd’hui et qui est considérée
comme un travail architectural important. Il fit également construire
un hôpital sans précédent en Egypte.
Il prit la Syrie en 878. Les terres entre l’Euphrate et le Maghreb furent
unifiées sous son règne. Il tomba malade lors de son voyage à Antioche
pour réprimer la rébellion et mourut à son retour en Egypte. Durant
ses seize années de règne, non seulement il sauva l’Egypte d’une crise
économique mais aussi, en fit un centre culturel important. Après
sa mort, l’Etat perdit de son pouvoir. En 905, il fut détruit par les
Abbassids et rattaché de nouveau au Califat.
Les Toulounides eurent une grande importance dans l’Histoire
islamique turque. Cette famille établit la première dynastie turque
musulmane dans une région où une toute petite partie de la population
était turque. Ils administrèrent le pays correctement et fondèrent un
Etat puissant.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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2. Les Ikhchidides (935-969)
Environ trente ans après la fin de la dynastie Tolunogullari, la famille
Ihshid créa une nouvelle dynastie en Egypte. Il s’agissait d’une famille
de militaires de Fergana. Le fondateur de cette dynastie était Ebubekir
Muhammed. Son père Togaç était l’un des gouverneurs de Damascus
au temps des Toulounides. Muhammed était un gouverneur qui avait
d’abord travaillé en Syrie, puis en Egypte. Il fut nommé gouverneur
d’Egypte en 935 et déclara son indépendance en s’appuyant sur la
population turque locale. Tout d’abord, il établit de bonnes relations
avec le Calife Abbassid mais plus tard, il rompit les liens avec celui-ci.
Alors que le pouvoir de Muhammed se faisait plus fort, il voulut
protéger l’Egypte de la menace Fatimide venant de l’Ouest et prendre
sous son contrôle de nouveaux territoires. En 941, il prit la Syrie, la
Mecque et la Médina en 942 et élargit son territoire jusqu’au Yemen.
L’époque de Muhammed, comme celle d’Ahmed Tolunoglu fut une
période importante. Ses descendants par contre n’eurent pas autant de
succès. Les Fatimids mirent fin à la dynastie Ihshid en 969.
3. Les Ayyoubides (1171-1252)
Le fondateur de l’Etat Ayyoubides fut Selahaddin Eyyubi. Il était un
commandant dans l’armée de Mosul Atabey Mahmud Zengi. En 1171,
Selahaddin Eyyubi sauva l’Egypte des Fatimids qui avaient détrôné les
Ikhchidides. Se débarrassant du Calife fatimid, il fit faire des pièces
pour le Calife abbassid et fit lire un Khutbe en son nom. Il servit en
tant que gouverneur sous l’autorité de Nureddin Mahmud jusqu’à la
mort de ce dernier en 1174. Cette année là, Selahaddin Eyyubi déclara
son indépendance et constitua son propre Etat. Les fonctionnaires de
l’administration de cet Etat et une grande partie de l’armée étaient
turcs. La langue officielle de l’Etat ayyubi était le turc. Sa politique était
basée sur l’idéologie islamique sunnite. Sa doctrine était donc la même
que celle de l’Etat seldjoukide.
Avec son frère Turan Shah, Selahaddin fit la conquête de la Syrie et
étendit son royaume jusqu’à l’Irak. De nombreuses tribus turques se
joignirent à lui, augmentant son pouvoir. En 1187, Selahaddin vainquit
les Croisés dans la bataille de Hittin et prit Jérusalem ainsi que la
région côtière de la Syrie. Après la bataille de Hittin, une troisième
croisade fut organisée mais les Croisés ne réussirent pas à venir à bout
de Selahaddin.

Après sa mort, une lutte pour le pouvoir se fit parmi les membres
de sa famille pour la succession au trône. Pendant cette lutte, les
commandants Memluk réussirent à prendre le pouvoir. Turan Shah fut
le dernier des sultans Ayyoubides. Il fut éloigné du pouvoir par Ayberg,
l’un des commandants Mamelouk. Les Mamelouks étaient d’origine
turque.
4. Les Mamelouks (L’Etat de Turquie)
L’Etat mamelouk turc fut fondé en Egypte au treizième siècle. Les
écrivains arabes de l’époque en parlent en tant que l’Etat de Turquie.
Contrairement aux autres Etats turcs islamiques, cet Etat ne fut pas
fondé par une dynastie. Mamelouk signifie « Esclave blanc », quelqu’un
qui devient un esclave soit en ayant été capturé pendant la guerre
ou bien en ayant été acheté. Dans l’Histoire islamique turque, le
terme « mamelouk » finit par désigner les personnes travaillant pour
une dynastie en tant que gardes salariés bénéficiant d’une position
sociale et juridique distinguée. Dans le monde islamique, les Turcs
mamelouks étaient souvent utilisés comme esclaves militaires venant
de la période abbasside. Ils devinrent ensuite un facteur important
duquel dépendaient de nombreux pays islamiques du Moyen Orient.
L’Etat Mamelouk fut fondé par les Mamelouks dans l’Etat ayyubi.
Le fondateur de l’Etat était Aybbek et-Turkmani. Selahaddin Eyyubi,
arrivé au pouvoir en 1159, perpétua la tradition abbasside qui voulait
qu’on forma une armée d’esclaves. Ces esclaves faisaient preuve d’une
grande force physique. Ils étaient soit capturés ou achetés dans la
région de la Mer Noire par l’armée ayyubi. Bien qu’il y ait quelques
Circassiens parmi eux, la plupart était des Turcs. Après Selahaddin
Eyyubi, les Ayyoubides suivirent la tradition de l’armée d’esclaves en
allant un peu plus loin : Ils employèrent les plus intelligents à des postes
importants de l’Etat.
Ces Soldats esclaves étaient entraînés dans deux casernes. L’une se
situait sur l’Ile de Ravda sur le Nil près du Caire. Dans cette caserne, il y
avait des Turcs, principalement des soldats Kiptchaks qui étaient appelés
Memalik-i Bahriye (Esclaves marins). L’autre caserne était aussi près
du Caire et accueillait les soldats circassiens qui étaient appelés Malik-i
Çerakise. Les soldats esclaves qui ont fondé l’Etat mamelouk étaient de
la caserne de Malik-i Bahriye. Plus tard, ces soldats prirent le contrôle
de l’administration de l’Etat mamelouk. Les soldats esclaves devinrent
influents dans l’armée et dans l’administration de la dynastie ayyubi.
Ils formèrent une rébellion. Le dernier sultan ayyubi Turan Shah
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prit de sévères mesures contre les soldats esclaves et officiers esclaves
rebelles avant que ceux-ci ne le tuent. Les rebelles nommèrent ensuite
Muizzüddin Ayberg commandant de l’armée. Fiecer-Ud-Dur se maria
avec Ayberg et lui offrit la couronne. L’Etat mamelouk fondé par des
soldats esclaves et des officiers esclaves vécut plus de 250 ans. Durant le
règne de Ayberg, il y eut de nombreux conflits internes. Après sa mort,
son fils, Nurettin Ali prit sa succession. Le système administratif des
Mamelouks cependant n’était pas une dynastie et donc ne reconnaissait
pas la passation du pouvoir de père en fils. En 1259, Nurettin Ali fut
remplacé par Seyfettin Kutuz.
En 1260, alors que les Mamelouks tentaient de résoudre leurs conflits
internes, les armées mongoles occupèrent Bagdad, tuèrent le Calife
et se rapprochèrent des frontières égyptiennes. Le sultan mamelouk
Kutuz envoya une armée commandée par Baybars pour faire face aux
attaquants mongols. Ils se firent face dans la région Ayn Calud où les
Mongols se firent vaincre. La victoire des Mamelouks à Ayn Calud
empêcha les Mongols d’occuper la Syrie et l’Egypte. Elle rapprocha
également l’Egypte et la Syrie. Les Turcs fuyant l’invasion mongole se
réfugièrent dans l’Etat mamelouk et entrèrent dans l’armée en tant que
militaires salariés.
Après Kutuz, Baybars prit la direction de l’Etat. Il comprit que si les
Chrétiens et les Mongols formaient une alliance contre lui, ce serait
une grande menace pour l’Etat mamelouk. Cette alliance inclurait
la petite principauté arménienne du Nord, les Francs sur la côte, le
Royaume de Chypre, les Ismails et Nuseyris de Syrie et d’Egypte qui
étaient contre les politiques des Mamelouks Sunnites. Baybars prit des
mesures diplomatiques pour éviter la formation de cette alliance. Il
établit sa propre alliance avec la Horde d’Or (L’Etat Altınordu) contre
les Mongols ilkhanates en Iran. Il forma également une alliance avec
les Byzantins contre les croisés en Syrie. Alors que Baybars rétablissait
le Califat abbassid en Egypte, l’Etat Mamelouk commença à dominer
le monde islamique. Baybars non seulement défendit la Syrie contre
de nouvelles attaques ilkhanates mais il élimina également la présence
ilkhanate en Syrie. En 1277, il pénétra l’Anatolie et vainquit les
Mongols à Elbistan pour la deuxième fois. Plus tard, il élimina le
Royaume Arménien Cilicia et repoussa les croisés de Antioche.
Les conquêtes de Baybars renforcèrent l’Etat mamelouk. Après sa mort,
ses fils Berke et Sulemish montèrent sur le trône. Ils furent bientôt
renversés par Kalavun qui devint le nouveau dirigeant des Mamelouks.

Les descendants de Kalavun dirigèrent le pays de 1279 à 1382. Berkuk
mit fin à la dynastie des Kalavuns en 1382 quand il prit la tête de l’Etat.
Ce fut possible grâce à la prise de pouvoir des Mamelouks Circassiens.
Ce fut le point de départ d’une nouvelle période dans l’Histoire des
Mamelouks.
Sous la direction de Berkuk, les Mamelouks passèrent des alliances avec
les Ottomans, la Horde d’Or et la principauté de Kadi Burhanettin. Ces
alliances avaient pour but de se protéger de la menace que représentait
Timur. Après la mort de Berkuk en 1399, ces alliances furent dissolues.
Le quinzième siècle ne fut pas clément pour les Mamelouks. Après une
guerre entre les successeurs de Berkuk Ferec et Timur, le territoire de la
Syrie fut perdu. De plus, l’Egypte perdit de son importance sur la route
commerciale trans-continentale comme les Portugais commencèrent à
transporter des marchandises de l’Inde par le Cap de bonne Espérance.
L’économie mamelouk en fut fort atteinte.
Les relations entre les Mamelouks et les Ottomans se dégradèrent à
cette période. Ils se battirent au sujet de la domination des principautés
Turkmens du Sud de l’Anatolie.
Les Mamelouks commencèrent à prendre partie lors des luttes entre
les différents princes Shahzades dans l’Empire ottoman. Ces luttes
donnèrent naissance à une guerre entre les Mamelouks et les Ottomans
qui dura de 1485 à 1490. Personne ne sortit victorieux de cette guerre.
L’Etat ottoman cependant se développait plus rapidement que l’Etat
mamelouk et finalement, il en fit la conquête en 1517.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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CHAPITRE 6
L’Etat seldjoukide (turc) d’Anatolie
Les Sultans seldjoukides dirigèrent systématiquement les Turcs vers
l’Anatolie. Bien que leur Etat n’ait pas été établi avant la bataille de
Manzikert en 1071, les Turcs avaient commencé à s’installer dans la
région bien avant.
L’intérêt des Turcs pour l’Anatolie et leur établissement là-bas remonte
à la période pré-islamique. Comme nous l’avions déjà mentionné, les
Huns avaient fait certaines attaques de courte durée en Anatolie entre
395 et 398. La plus grande attaque turque en Anatolie cependant a
été faite après la conversion à l’Islam. Kılıçarslan Bey, le père du sultan
seldjoukide Alparslan était arrivé à l’Est de l’Anatolie par Khorasan
et par l’Iran avec une armée de trois mille soldats. Le succès de cette
opération montra aux Seldjoukides qu’il n’y avait dans la région aucune
force capable de leur résister. Ils considérèrent l’Anatolie comme un
endroit convenable pour s’y installer. Pendant le règne du premier
Empereur seldjoukide Tugrul Bey (1040-1063), ils firent plusieurs
expéditions en Anatolie. Bien qu’il n’y ait pas d’installation turque
permanente dans la région, les Turcs avaient commencé à se battre
contre les Byzantins au sujet de ces terres. L’intérêt des Seldjoukides
pour l’Anatolie est encore démontré dans le changement de capitale
de Nishabur à Rey. Rey est située plus à l’Ouest que Nishabur et
donc, plus près de l’Anatolie. Ce grand intérêt conduisit Tugrul Bey
lui-même en Anatolie et le conduisit à prendre les commandes de la
bataille contre les Byzantins.
L’avancée des Turcs en Anatolie du temps de Çagri Bey et de sa
première expédition à celui de la mort de Tugrul Bey représente une
série de grandes conquêtes. Elles se firent entre la fondation du Grand
Empire seldjoukide et la bataille de Dandanaqan. Pendant le règne
de Tugrul Bey, l’autorité des Byzantins avait été affaiblie en Anatolie.
Cela représentait une opportunité pour la préparation de l’Anatolie en
tant que terre pour les Turcs. La bataille de Manzikert en 1071 rendit
possible l’installation des Turcs en Anatolie. A partir du douzième
siècle, pendant le règne de Alparslan, l’Anatolie prit le nom de Turquie
(Turkiye). Ayant vaincu les Byzantins à la bataille de Manzikert, les
Turcs réalisèrent qu’aucune force ne pourrait leur résister dans la
région. Ils firent donc plus d’attaques en Anatolie dans l’intention d’y
établir leur terre natale.

Alparslan chargea ses commandants et ses princes de conquérir
l’Anatolie. Alors que cette conquête touchait à sa fin, un autre Etat
naquit qui fut appelé l’Etat Turc seldjoukide d’Anatolie.
Après la victoire de Manzikert en 1071, l’Etat Seldjoukide d’Anatolie
ne fut pas le seul état fondé en Anatolie. Des princes et commandants
turkmens tels que Artuk, Danishmend, saltuk, Mengucuk, Savteginet
Afshin qui s’étaient battus avec Alparslan contre les Byzantins
conquirent aussi d’autres régions d’Anatolie pour fonder leur propre
principauté. Alparslan leur avait donné le droit d’établir leur royaume
sur les terres qu’ils prendraient.
L’Etat seldjoukide d’Anatolie naquit grâce à l’intense émigration des
Turcs en Anatolie après la bataille de Manzikert. Le fondateur de l’Etat
fut Shah Suleyman Kutalmıyoğlu, le petit fils de Arslan Yabghu, l’un
des quatre fils de Seldjouk. Shah Suleyman fut l’un des commandants
ayant pris part à la conquête de l’Anatolie commencée en 1074. Il prit
part aux opérations tout d’abord dans le clan sur la côte des rivières
Euphrate et Urfa. Il assiégea aussi Antioche et Aleppo. Cependant, il
est ensuite rentré en conflit avec Atziz, le dirigeant seldjoukide de Syrie
et s’est ensuite tourné vers l’Ouest.
Pendant ce temps, l’Empire byzantin était secoué par des conflits
internes et des rébellions dans les Balkans. C’est pourquoi les Byzantins
ne purent pas s’intéresser aux attaques turques en Anatolie et aux clans
turcs qui commençaient à émerger. Profitant de la situation, Le Shah
Suleyman pénétra en Anatolie centrale et prit la forteresse qui entourait
Konya. Ensuite, il profita de la lutte pour le pouvoir dans l’administration
byzantine et s’empara de nombreuses villes et forteresses sans difficulté.
Finalement, il conquit la grande ville byzantine historique de Iznik
en 1078 et en fit la capitale de l’Etat. A travers ces conquêtes, le Shah
Suleyman établit les fondations de l’Etat seldjoukide d’Anatolie.
Il continua ses conquêtes et élargit les frontières de l’Etat au détriment
des Byzantins. Ayant vaincu l’armée byzantine venue à Iznik pour
reprendre la ville, il continua vers Uskudar, (connu sous le nom de
Chrisopolis pendant l’ère byzantine), un quartier d’Istanbul. Avec le
bureau de douane qu’il mit en place là-bas, il commença à percevoir
des droits de douane des bateaux qui passaient le Bosphore. Quand
Alexis Commenos arriva au pouvoir à Byzance, la situation changea
et les Turcs commencèrent à se replier. Un traité signé en 1082 déclara
Dragos, dans le golfe d’Izmit, comme étant la frontière entre les deux
Etats. Ce traité était en faveur du Shah Suleyman.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Après la signature, il retourna en Anatolie et conquit Tarsus, Adana
et Missis. Il commença également à percevoir des taxes de Malatya.
D’autre part, il alla à Antioche sur invitation des Chrétiens qui n’étaient
pas satisfaits de la création de la principauté des Arméniens dans cette
ville. Avec le soutien des Chrétiens, il prit la ville. Puis il y eu la conquête
d’Antep et d’Iskenderun. Tutuş, l’Emir de la Syrie, fut mécontent des
conquêtes et du prestige du Shah Suleyman. Dans une guerre qui éclata
entre ces deux personnes le 5 juin 1086, le Shah Suleyman fut vaincu et
tué. Comme il l’avait souhaité, Ebul Kasim reprit les rennes du pouvoir
dans l’Etat seldjoukide d’Anatolie, empêcha cet Etat nouveau de se
désintégrer et mena avec succès des attaques contre Byzance. A ce
moment là, le grand sultan seldjoukide Malikshah envoya une grande
armée pour prendre le contrôle des Turcs seldjoukides. Il mourut et ne
put donc venir à bout de ce projet. Sa mort eut également une autre
conséquence : Kılıçarslan I,l’un des fils du Shah Suleyman qui était
alors avec Malikshah, revint de Khorasan à Iznik vers la fin de 1092 et
devint le Sultan de l’Etat seldjoukide d’Anatolie.
La Lutte pour l’unification entre les Turcs
et les Croisés
Quand Kılıçarslan I arriva au pouvoir, il vit qu’une autorité puissante
centrale manquait à l’Etat, qui aurait pu unifier la région.
Les commandants turcs des différentes régions d’Anatolie avaient
crée leur propre principauté. Les Byzantins devaient quant à eux faire
face aux Turcs et aux Croisés. Kılıçarslan pensa également que son
beau-père Çaka Bey représentait une grande menace pour les Turcs
d’Anatolie. Il avait déjà fondé un Etat à Izmir, créé sa propre flotte et
pris le contrôle des îles avoisinantes et des Dardanelles.
Kılıçarslan I passa à l’action. D’abord il signa un contrat avec Byzance
contre Çaka Bey et le renversa en 1094. Ayant éliminé cette menace de
l’Ouest, Kılıçarslan I se tourna vers l’Est. En 1096, il assiégea Malatya
qui était aux mains des Arméniens. Durant ce siège, Kılıçarslan apprit
que les premiers Croisés arrivaient en Anatolie. Il mit fin au siège et
retourna à la capitale. Les Croisés furent vaincus par l’armée seldjoukide
dirigée par le frère de Kılıçarslan I : Davud. Quand Kılıçarslan I arriva
à Iznik, la deuxième vague de Croisés avait déjà pris la ville. Il ne put
rentrer dans Iznik. Le siège durant un certain temps, Iznik fut accordé
aux Byzantins par un contrat en 1097. Kılıçarslan I déplaça alors la
capitale à Konya. Avec l’aide militaire de la Dynastie des Danishmends,

Kılıçarslan se battit contre les Croisés près de Eskisehir. Il en sortit
vainqueur mais ne put arrêter les Croisés. Considérant cela, il décida de
se battre avec les Croisés non en menant des attaques ponctuelles mais
en suivant la politique d’affaiblissement de l’ennemi. Il le fit jusqu’en
1102, date à laquelle il les détruisit complètement et élimina la menace
qu’ils représentaient.
Après la fin de la première croisade, les Turcs commencèrent un
processus de reconstruction politico-sociale. Iznik était passé aux mains
des Byzantins et Konya était la nouvelle capitale. Mais le désir était de
faire de l’Anatolie une région sure à nouveau. Kılıçarslan se battit avec
les principautés turques pour établir une certaine unité dans la région et
pour élargir son Etat. Ainsi, l’Etat seldjoukide d’Anatolie devint voisin
du grand Etat seldjoukide. Kılıçarslan I avait également prit Mosul
durant son expansion et cet évènement était désapprouvé par le grand
Etat seldjoukide. Ce désaccord régional se transforma rapidement en
conflit entre les deux Etats. La guerre se fit sur les bords de la rivière
Habur 1107. Kılıçarslan fut vaincu et tué.
Comme celle du Shah Suleyman, la mort de Kılıçarslan I créa un
problème administratif dans l’Etat. Profitant de la situation, les
Byzantins repoussèrent les Turcs jusqu’en Anatolie Centrale. Shehin
Shah, le fils de Kılıçarslan prit le pouvoir mais fut renversé par son
frère Mesud avec l’aide de la dynastie des Danishmend. Mesud prit
Konya en 1116 et monta sur le trône. Pendant son règne qui dura
environ quarante ans, Mesud sauva l’Etat seldjoukide d’Anatolie de la
disparition et en fit le pouvoir le plus important en Anatolie.
Les premières années de gouvernement de Mesud passèrent sous la
direction de Emir Gazi, le dirigeant de la dynastie des Danishmends,
le pays le plus puissant de la région. Emir Gazi était aussi le beau père
de Mesud. Cette situation dura jusqu’à la mort de Emir Gazi en 1134.
Ayant l’opportunité d’agir librement, Mesud reprit Ankara, Çankırı
(autrefois Changra) et Kastamonu des Danishmends. En 1144, il prit
Elbistan et se dirigea vers Maraş qui appartenait aux Croisés. Quand
il apprit que l’Empereur Byzantin Manuel Comnenos se dirigeait vers
Konya, il retourna à la capitale et vainquit les Byzantins.
Alors que Mesud renforçait ses troupes, les seconds Croisés conduits
par le Roi allemand Konrad III et le Roi des Francs St. Louis sont
arrivés en Anatolie. Mesut vainquit l’armée allemande en 1147 aux
alentours de Eskisehir. Saint Louis renonça alors à entrer en Anatolie.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Au lieu de cela, Il alla à Antalya par la côte, puis à Akka par voie de
mer. Mesud fit alors de sérieuses attaques sur les Arméniens ciliciens.
Il rendit les Danishmends dépendants de lui. Il mourut en 1155, après
avoir fait de l’Etat seldjoukide d’Anatolie, l’Etat le plus puissant de la
région.
Avant sa mort, il avait divisé le pays entre ses fils. D’après ce partage,
Kılıçarslan II resterait à Konya et ses frères dépendraient de lui.
Cependant les frères n’acceptèrent pas cela et entamèrent une lutte
pour le pouvoir avec Kılıçarslan II. Il dut faire face à ses frères et en
même temps, à des forces extérieures qui essayaient de profiter de la
situation, parmi lesquelles : l’Empereur byzantin Manuel Commenos,
le Prince arménien de Cilicie, Musul, Aleppo, Atabeg, Nureddin Zengi
et le Yaghibasan Bey Danishmend. Il gagna tout d’abord sa lutte contre
ses frères et rétablit l’ordre à l’intérieur de l’Etat seldjoukide d’Anatolie.
Ensuite il renforça les frontières de l’Ouest en signant un pacte de nonagression
avec les Byzantins en 1162. Puis il se concentra sur l’Est. En
1163, il rendit la dynastie danishmend impuissante et reprit les terres
autrefois prises par Nureddin Zengi. Il résolut aussi les problèmes avec
les autres principautés.
La bataille de Myriokephalon (1176)
Le succès de kılıçarslan II commençait à déranger Byzance. La
situation étant favorable, les Turcs de l’Est commencèrent à intensifier
leurs attaques sur les régions byzantines de l’Ouest. Pour faire face à
ce problème, l’Empereur byzantin Manuel Comnenos leva une grande
armée contre les Turcs et refusa toutes les offres de paix exprimées
par Kılıçarslan II. L’armée byzantine, renforcée par les troupes des
Francs, des Hongrois, des Serbes et des Petchenègues, quitta Istanbul
au printemps 1176. Le premier septembre 1176, ils furent vaincus par
les Turcs conduits par Kılıçarslan II dans la vallée de Myriokephalon,
près de Denizli. Comnenos fut libéré à la condition d’enlever ses
fortifications d’Anatolie et de payer de lourdes amendes. Ce fut la fin
de l’espoir byzantin de reprendre l’Anatolie des Turcs après la bataille
de Manzikert. Cela montrait que l’Anatolie n’était pas envahie par les
Turcs comme les Chrétiens voulaient bien le dire mais que l’Anatolie
était la véritable terre des Turcs. Après la bataille de Myriokephalon, les
Byzantins n’osèrent plus attaquer les Turcs.
Après que ce problème ait été réglé, Kılıçarslan II mit fin à la dynastie
des Danishmends et élimina ainsi son ennemi de l’Est. Les forces

turkmènes détruisirent la principauté arménienne de Cilicie et prirent
leurs terres. Elles prirent également Silifke et s’étendirent jusqu’en Syrie
et Al Jazeera. Les frontières à l’Ouest des Seldjoukides allaient jusqu’à
Denizli.
Le partage du pays entre les princes
et les temps qui ont suivi.
Après une longue vie à diriger et à se battre, Kılıçarslan II devint vieux
et fatigué. Il divisa donc le pays entre ses onze fils en 1186. Il resta à
Konya et dirigea le pays avec l’aide d’un Vizir. Cette situation engendra
bientôt une lutte pour le pouvoir entre les fils. Ce désordre s’ajouta
à la menace d’une troisième croisade. En 1187, alors que Salahaddin
Eyyubi prenait Jérusalem, les Chrétiens décidèrent d’envoyer une
troisième croisade. Alors que Kılıçarslan tenta d’être prévoyant et
chercha un terrain d’entente avec les Croisés, ses fils se comportèrent
différemment. Les Croisés entrèrent dans Konya et saccagèrent
la ville. Suite à cette catastrophe, Kılıçarslan se réfugia chez son fils
Giyaseddin Keyhusrev, chez qui il resta jusqu’à sa mort en 1192. Après
sa mort, Giyaseddin Keyhusrev arriva au pouvoir. Ses frères par contre
n’acceptèrent pas cet état de fait. Quiconque arriva au pouvoir à cette
période était destiné à faire face à des difficultés et ce fut la principale
faiblesse de l’Etat. Giyaseddin Keyhusrev ne resta pas au pouvoir très
longtemps. En 1196, son frère Ruknuddin Suleyman Shah dirigea ses
forces contre Konya. Giyaseddin, refusant de prendre le risque de se
battre contre son frère, se réfugia à Byzance. Ruknuddin Suleyman
Shah arriva donc au pouvoir dans l’Etat seldjoukide d’Anatolie.
Il fit de nombreux efforts pour réunifier les Turcs. Il vainquit le roi
arménien Léon et l’Empire byzantin. Il obligea cet empire à payer un
tribut aux Turcs. Il prit des terres des Mengudjeks et des Artuqids. En
1201, il mit fin à la principauté Saltuk qui était une autre principauté
turque d’Anatolie. Quand Suleyman Shah mourut en 1207, comme
son fils Kılıçarslan III était très jeune, les commandants Turkmens
invitèrent Giyaseddin Keyhusrev de Byzance à Konya. Son deuxième
règne fut un succès. L’Empire rum de Trebizond fut vaincu et la route
commerciale de la Mer Noire fut mise sous son contrôle. Avec la
conquête d’Antalya en 1207, les Turcs eurent accès à une voie maritime.
La royauté arménienne fut vaincue et les Ayyoubides ne purent prendre
la Syrie ni l’Anatolie. Giyaseddin mourut en 1211.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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L’apogée des Seldjoukides d’Anatolie
Après la mort de Giyaseddin, Izzedin Keykavus occupa le trône
seldjoukide (1211-1220). Il fut suivi par Alaadin Keykubad. Avec une
flotte formée en 1226 à Sinop, Alaadin Keykubad forma le dessin de
conquérir Sagduk, un important port de commerce de la Crimée. Après
cette conquête, il prit le contrôle de nombreuses principautés russes
et de commandants Kiptchaks. Les soldats de l’armée de terre prirent
toutes les régions côtières jusqu’à Silifke. Un autre évènement de poids
dans le monde de la marine fut la prise d’un centre important de la
Mer Méditerranée. Keykubad assiégea ce qui constitue aujourd’hui la
forteresse de Alanya de la terre et de la mer et en prit possession en
1223. La ville et la tour furent reconstruites et renommées « Alaiye »
en mémoire du Sultan. Le premier port militaire de l’Etat seldjoukide
d’Anatolie y fut établi par Keykubad. Alaiye devint un lieu de
villégiature des sultans pour les saisons d’hiver.
Alors qu’Alaadin s’occupait de problèmes internes à l’Anatolie, la
menace mongole née au cœur de l’Asie se rapprochait rapidement par
l’Ouest. Celaleddin, le dirigeant des Khwarezmshahs, fuit les Mongols
en 1225 et arriva en Azerbaïdjan. Les relations entre Celaleddin et
Alaaddin étaient tout d’abord bonnes. Cependant, quand Celaleddin
détruisit Ahlat qui appartenait aux Seldjoukides, les deux leaders
s’affrontèrent. Keykubad reçut le soutien de ses alliés ayyoubians et se
battit contre Celaleddin. Alors qu’ils auraient du unifier leurs forces
contre leur ennemi commun, les deux armées se rencontrèrent le 10
août 1230 à Yassi Cemen près de Erzincan. L’armée khwarezm fut
vaincue. Pendant ce temps, la menace mongole avait atteint les portes
de l’Anatolie. Keykubad, conscient de la menace, accepta les exigences
des Mongols afin d’éviter l’invasion. Il prit cependant des précautions
et renforça les tours des remparts de la ville et se mit à la recherche
d’alliances. Il mourut cependant en 1237, avant d’avoir pu mener ses
projets à bien. Son époque fut cependant la meilleure des Seldjoukides
d’Anatolie, d’un point de vue militaire, politique et économique.
Les expéditions organisées sécurisèrent les routes commerciales.
Les caravansérails ainsi que sa politique commerciale permirent
un développement économique. Il s’appliqua aussi à permettre le
développement des sciences et de la culture dans le pays. Grâce à sa
façon de gouverner, le calife Abbassid lui donna le titre de « Grand
Sultan ».

Le déclin
Après la mort de Keykubad, les personnalités dominantes de l’Etat
portèrent Giyaseddin Keyhusrev II au pouvoir. Il n’avait cependant
pas les capacités de son père dans les domaines de l’administration et
de l’armée. Il resta tout d’abord sous l’influence de son commandant
Saadettin Kopek qui lui fit se débarrasser de tous les hommes d’Etat
qui auraient pu être ses adversaires. Il continua ainsi jusqu’en 1239.
Kopek fut pendu et des hommes d’Etat influents recommencèrent leur
activité dans l’Etat. Bien que cela ait apporté un peu de mieux à l’Etat,
celui-ci ne put se débarrasser de ses faiblesses politiques et religieuses.
La rébellion Baba Ishak qui émergea pour des motifs religieux et
économiques fut difficilement réprimée. Elle montra que l’Etat était
trop faible, ne serait-ce que pour réprimer une rébellion ou résoudre
ses problèmes internes.
Finalement, les Mongols entrèrent en Anatolie avec une grande
armée et se battirent contre l’armée Seldjoukide d’Anatolie en 1243 à
köşedağ, près de Sivas. En juillet 1243, les Seldjoukides furent vaincus
et les Mongols gouvernèrent l’Anatolie pendant près d’un demi siècle.
Les sultans seldjoukides qui succédèrent à Giyaseddin Keyhusrev
gouvernaient comme des marionnettes aux mains des Mongols. L’Etat
seldjoukide d’Anatolie finit par disparaître totalement en 1308.
Après la guerre de Köşedağ en 1243, l’Etat seldjoukide d’Anatolie
fut sur la pente rapide du déclin. Les sultans au pouvoir avant 1308
gouvernaient sur les ordres des Mongols qui, finalement, gouvernaient
indirectement le pays. La situation administrative entraîna une crise
économique qui entraîna à son tour la disparition de l’Etat seldjoukide
d’Anatolie. Les commandants turkmens, voulant profiter de la situation,
se séparèrent des Seldjoukides et créèrent leur principauté dès que les
Mongols furent plus faibles. Ainsi, Eretna, Karamans, Germiyans,
Aydins, Hamids, Karasi, Dulkadir et Ramazan furent construites. Ceci
marqua le début de la seconde période des principautés qui se battirent
contre les Byzantins et jouèrent un rôle important dans l’islamisation
et la turquisation de l’Anatolie.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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CHAPITRE 7
Les Etats turcs en Inde
1. Le Sultanat turc de Dehli
L’Islam arriva en Inde du temps des Umayyads mais les conversions
se firent en masse du temps de l’Etat ghaznévide turc. Après la
destruction des Ghaznévides, les Ghoris (Gurlular) commencèrent à
dominer. Ensuite, les dynasties Ghoris furent fondées et gouvernées
dans la région. La domination turque continua avec les Qutbis, les
Shemsis, les Balabans et les Halacs de 1206 à 1414.
Muizuddin Muhammed, le dirigeant des Ghoris qui arriva au pouvoir
en 1203, donna la mission au commandant Turc Aybak de conquérir
l’Inde. L’importance de Aybak augmenta avec cette conquête. Il fit
construire des mosquées et des Médressées (écoles théologiques) sur
les terres qu’il conquit. Il y instaura la paix, la tranquillité et la justice. A
la mort de Muizuddin Muhammed en 1206, Aybak prit Delhi, déclara
son indépendance et fondit son propre Etat. Bien qu’il occupa Ghazna
pour quelques temps, il ne put contrôler cette région bien longtemps. Il
prit tout le Nord de l’Inde de Peshaver aux montagnes du Tibet. Quand
il mourut en 1210, Aram Shah devint le Sultan. En 1211, Shemseddin
Iltutmush, le beau fils de Aybak et un de ses commandants, renversa
Aram et s’auto proclama Sultan.
Iltutmush, le fondateur de la dynastie shemsi qui dura jusqu’en 1266,
prit d’abord sous son autorité les commandants qui s’étaient déclarés
indépendants après la mort d’Aybak. Il réussit ensuite des conquêtes
et élargit sa domination. Il inclut dans son domaine Punjap, Lahor
et Multan. Recueillant les populations turques fuyant les Mongols, il
aida la culture turque à se développer dans le Nord de l’Inde. Il fut le
premier sultan de Delhi à être accepté par le Calife Abbassid. Après la
mort de Iltutmush en 1236, sa fille dirigea le pays pendant un certain
temps. Mais bientôt, les commandants se rebellèrent et une lutte pour
l’accession au trône s’engagea qui mit le pays sens dessus dessous. Les
Mongols entrèrent dans Sind, Multan et Punjap. En 1241, ils ruinèrent
Lahor. Balaban, l’un des commandants de Iltutmush mit sur pied une
solide armée et repoussa l’attaque mongole en 1258 et 1259. Il récupéra
le trône et devint Sultan, portant le nom de Giyaseddin.
Il établit une nouvelle dynastie du nom de Giyaseddin et renforça son
autorité en obtenant le soutien des Turcs qui s’étaient réfugiés en Inde

à cause de l’invasion mongole. Il réprima sévèrement les rébellions
éventuelles qui pouvaient se faire contre son autorité. Il établit une
forte domination turque en Inde jusqu’en 1287. Cependant, comme
Giyaseddin n’avait pas de son vivant formé un bon successeur, les
sultans qui lui succédèrent restèrent sous l’influence et l’autorité des
commandants. En 1290, trois ans après la mort de Giyaseedin, le chef
des Turcs Halac (Firuz Shah) mit fin à la Dynastie Bablaban et devint
le nouveau sultan de New Delhi avec le nom de Celaleddin.
Le Shah Celaleddin Firuz réussit à empêcher les invasions mongoles
de 1291 à 1292 et captura la plupart des Mongols. Ceux qui étaient
musulmans furent placés près de Delhi et commencèrent à servir le
Sultanat turc de Delhi. Quand Celaleddin mourut en 1296, Alaadin
Muhammed Shah devint son successeur. Alaadin Muhammed
Shah qui devint l’un des plus importants dirigeants de Halac, fit de
nombreuses réformes économiques et administratives qui permirent
au pays de devenir prospère. Repoussant les Mongols et les Indous, il
élargit les frontières de l’Etat aux régions côtières du Sud de l’Inde, prit
le contrôle de presque tout le Nord de l’Inde. Après sa mort en 1316,
son fils Mubarek Khan prit sa succession. Il ne fut pas aussi bon que
son père dans les affaires de l’Etat. Il fut critiqué et désapprouvé dans
son utilisation de méthodes violentes afin de réprimer les rébellions. Il
fut assassiné en 1320. Après sa mort, le commandant des régions du
front, Melik Tugluk mit fin à la dynastie des Halacs et commença l’ère
de la dynastie des Tugluklars en devenant le nouveau sultan de Delhi.
Peu après son arrivée au pouvoir, Gazi Melik Tugluk rétablit la paix et la
tranquillité dans l’Etat et partit à la conquête de nouveaux territoires. Il
prit Varandal et Birdar. Quand il mourut en 1325, son fils Muhammed
Tuluk Shah devint son successeur. Afin de garder le contrôle sur les
terres, Devletabad fut crée en tant que nouveau centre administratif.
Muhammed mourut en 1351. Après cela, ce fut une période de grand
Chaos dans le pays. Les commandants se déclarèrent indépendants et
cinq différents Etats émergèrent. Quand le Shah Firuz vint au pouvoir,
il rétablit l’Etat et l’unité dans le pays. Il mit en place de nombreuses
réformes financières, économiques et administratives. Il réorganisa le
système des impôts. Son administration juste et équitable lui valut de
la reconnaissance parmi les musulmans comme les non musulmans.
Cependant, quand il mourut en 1388, le chaos revint dans le pays et les
Shahzades se battirent pour accéder au trône. Cela continua jusqu’à ce
que Timur Khan prennent les terres du Sultanat de Delhi. Les Seyidis
Afgans mirent ensuite fin à la dynastie Tugluk.
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2. L’Empire de Bâbur (1526-1858)
Vers la fin du seizième siècle, hormis l’Empire ottoman, deux Etats
jouaient un rôle décisif dans la politique du monde islamique: L’Empire
de Bâbur et les Safavides.
L’Empire de Bâbur fut fondé en 1526 en Inde par Bâbur, le petit fils
de Chagatay Turk, Timur Kan. Baur, le fils du Shah Omer Mirza de
la dynastie Fergana, vint au pouvoir au lieu de son père. Pendant la
lutte entre les Safavides et les Ouzbeks qui eut lieu dans la région au
début du seizième siècle, il s’installa à Samarqand avec le soutien des
Safavides. Quand les Ouzbeks vainquirent les Safavides en 1512, il dut
se retirer à Kabul. Pensant qu’il ne pourrait survivre en Asie centrale, il
se tourna vers l’Inde. En 1526, après avoir gagné la bataille de Panipat,
il alla vers le Sultanat de Lodi et créa un Etat en Inde. Sa capitale était
Agra. Quand le Shah Bâbur mourut en 1530, les frontières de son Etat
s’étendaient des montagnes Vindiya au Sud à la rivière Amu Darya au
Nord. Son fils Humayun lui succéda à sa mort.
Humayun passa les premières années de son règne à rétablir l’ordre
et l’unité dans son pays. A cette époque, son plus grand ennemi : le
Shirshah afgan le vainquit et l’obligea à se retirer à Lahor. Humayun
dut quitter Agra et trouva refuge dans la Dynastie des Safavides. Les
Suris (Pashtuns) prirent le gouvernement de l’Inde. Humayun qui resta
avec les Safavides les soutint et prit l’Afghanistan, Punjap et les régions
avoisinantes. Il vainquit les Suris à la bataille de Machivera en 1555 et
put ainsi de nouveau diriger l’Inde. Cette victoire est considérée comme
la deuxième date de la fondation de l’Empire de Bâbur Le fils de
Humayun, Akbar, prit la succession de son père à la mort de ce dernier.
Le Shah Akbar fut l’un des plus grands dirigeants des Bâbur. Il prit
des terres somme Bengal, Kabul et Kashmir et élargit les frontières
de l’Etat. Il fit des réformes dans le domaine de l’économie et
d’administration. Il établit de bonnes relations avec les Ottomans, les
Safavides et les Ouzbeks et suivit une politique de paix. Il proposa que
les Ottomans suivent une politique commune contre les Portugais qui
étaient actifs dans l’Océan Indien. En raison de la distance entre les
deux Etats, cela ne fonctionna pas. Cihangir, qui arriva au pouvoir en
1603 après Akbar, réprima la rébellion afghane au Bengale. Pendant le
règne de Cihangir, les Pays bas, le Portugal, la France et l’Angleterre
mirent en place des politiques colonialistes en Inde. Cihangir donna
aux Européens la permission de faire du commerce. Ainsi, il y prépara
la future domination anglaise. Quand Cihangir mourut en 1627, son
fils le Shah Cihan prit le pouvoir.

Le Shah Cihan prit le contrôle de tous les Etats musulmans existants
en Inde et les unifia. Il établit également de bonnes relations avec les
Ottomans, les Safavides et les Européens. Cependant, en 1632, alors
que les colonies portugaises à Hugli commencèrent à chercher des
esclaves au Bengale, il intervint et les força à rester seulement dans
une ville et à ne pas entrer dans d’autres villes sous le règne d’autres
gouvernants. Le Shah Cihan tomba malade et mourut en 1652. Après
sa mort, ses fils se battirent pour lui succéder. Evrengzib Alemgir en
sortit victorieux et se déclara Sultan d’Agra en 1658.
C’est sous le règne de Evrengzip que les Bâburs connurent leur apogée.
L’amitié avec les Safavides continuait. Des délégués d’amitié furent
envoyés à la Mecque et un grand soutien financier se mit en place. Du
temps du Sultan Suleyman II, les Ottomans envoyèrent un délégué
dans l’Empire de Bâbur L’amitié avec les Ottomans n’en était que
renforcée. Afin de faire un équilibre entre les Musulmans et les Indous,
une population musulmane importante fut transférée dans la région,
venant du Turkestan. Elle fut installée dans les grandes villes et enrôlée
dans l’armée. Evregzip tomba malade et mourut en 1707.
Après lui, l’Etat s’affaiblit et les dirigeants qui lui succédèrent ne
furent pas aussi bons que lui pour protéger l’Etat des menaces et des
intrusions. Pendant ce temps, Le Shah Nadir Afshar qui avait détruit
les Safavides en Perse et y avait fondé sa propre dynastie, mit en place
une expédition en Inde en 1738. D’abord il envahit Kabul puis Punjcap
et Delhi. A la fin de l’expédition, il emmena les trésors indous en Perse.
Les Européens profitèrent aussi de la situation. Le Shah Alem, arrivé
au pourvoir en 1760, fut le premier Sultan à accepter la domination des
Anglais. Sous son règne, les Anglais rendirent leur domination en Inde
plus permanente et élargirent leur sphère d’influence. Avec le temps, les
noms des dirigeants de Bâbur disparurent de la surface des pièces de
monnaie et lire des « Khutbe » en leur nom fut interdit.
Le dernier Empereur de Bâbur, le Shah Bahadır, mit sur pied une
grande rébellion contre les Anglais en 1857. Il fit frapper des pièces de
monnaie à son effigie et fit lire des « Khutbe » à son nom. Les Anglais
réprimèrent durement cette rébellion. 30 000 personnes furent tuées à
Delhi. Le Shah Bahadır fut capturé et mourut en 1862, aux mains des
Anglais. C’était la fin de l’Empire de Bâbur . Après cela, les Anglais
firent de l’Inde leur colonie et l’administrèrent de Londres en 1858.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
61

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
62
CHAPITRE 8
Les Khanats turcs dans la région Nord de la Mer Noire
1. L’Etat de la Horde d’Or
L’Etat de la Horde d’Or fut fondé en 1241 par le petit fils de Genghis
Khan : Batu Khan, sur une terre s’étendant de la Mer Noire à la Hongrie.
Sa capitale était Sarai ou Saray, l’une des plus grandes villes du monde
médiéval. Batu Khan prit les régions de la basse et moyenne Volga, les
terres Caucasiennes entre Khwarezm et l’Azerbaïdjan et les steppes
Kiptchak. En 1257, le frère de batu : Berke, devint Sultan. Berke fut
le premier dirigeant mongol à se convertir à l’Islam. Ayant passé une
alliance avec Baybars, le sultan égyptien, il attaqua Hulagu, le dirigeant
perse, l’Irak et l’Anatolie et détruisit son administration en 1262.
Durant le règne de Berke Khan, l’Islam se répandit rapidement parmi
les Mongols qui venaient dans les régions Nord de la Mer Noire.
Après leur conversion à l’Islam, les Mongols sous le règne de la Horde
d’Or, se trouvant dans les régions turques de Kiptchak et Kuman
commencèrent à être influencés par la culture turque. Ils oublièrent
leur langue natale et devinrent turcs. Après Berke Khan, des dirigeants
musulmans vinrent au pouvoir. Uzbek Khan (1313-1341) et tous les
dirigeants qui lui succédèrent étaient musulmans. Uzbek Khan fit de
l’Islam la religion officielle de l’Etat. Sarayberke devint la capitale de
l’Etat. Après la mort de Canibek Khan en 1359, des conflits internes
commencèrent dans la Horde d’Or qui eurent comme conséquence
l’affaiblissement de l’Etat. Les Russes en profitèrent et vainquirent la
Horde d’or en 1380. L’unité et la reconstruction de l’Etat achevées par
Toktamış Khan arrivé au pouvoir un peu plus tard, continuèrent jusqu’à
ce que commence l’expédition militaire de Timur contre la Horde d’Or
en 1395. En 1398, Toktamış Khan dut se réfugier chez le Prince de
Lituanie. L’Etat se désintégra ensuite en Etats tels que la Grande
Horde d’Or (1432-1502), le Khanat d’Astrakhan (1466-1557), le
Khanat de Kazan (1445-1552), le Khanat de Crimée (1430-1783) et
le Khanat Uzbek.
2. Le Khanat de Kazan
Le Khanat de Kazan fut fondé en 1437 dans la région où les Bulgares
Volga vivaient du temps de Ulug Muhammed Khan, l’un des anciens
Khans de la Horde d’Or. Sa population se composait de Turcs nomades
ou sédentaires et de Finns. Ulug Muhammed Khan (1437-1445) se
battit contre les principautés de Moscou. Vaincus, les Russes acceptèrent

la domination de Ulug Muhammed Khan ainsi que de payer un impôt
annuel, de laisser les officiers kazans travailler dans les villes russes et de
donner la région sur les bords de la rivière Oka à Shahzade Kasim pour
qu’il y installe son Etat. Grâce au Khanat de Kasim fondé sur les bords
de la rivière Oka, Moscou Kniaz fut gardé sous contrôle.
Alors que la lutte pour le trône se faisait plus intense, Ivan III de
la principauté de Moscou se maria avec Sofia de la famille royale
Byzantine et déclara son indépendance face à la domination turque
en 1480. Les Russes entrèrent dans Kazan en été 1487. Alors que le
Khan Kazan Muhammed Emin (1502-1518) repoussa les Russes hors
de Kazan en 1506, il ne put faire disparaître complètement la menace
qu’ils représentaient. Kazan devint le domaine du Khanat de Crimée en
1521 et du Khanat d’Astrakhan en 1552. Pendant cette période, il dut
faire face en permanence à des attaques russes. Ivan le Terrible, avec le
support des Européens, entra dans Kazan au début d’Août 1552. Après
une lutte féroce entre les deux camps, les Russes entrèrent dans Kazan
et capturèrent Muhammed Khan et ses gens. Des édifices culturels et
historiques furent saccagés pendant l’invasion. Les trésors de la ville et
de l’Etat furent pris par les Russes. Finalement, la domination russe fut
établie à Kazan. Les rébellions qui se firent pour l’indépendance furent
sévèrement réprimées. Les Turks kazans qui ont survécu sont connus
sous le nom de Tatars.
3. Le Khanat de Crimée
Le fondateur du Khanat de Crimée fut le frère de Batu Khan : Haci
Giray. Le Khanat de la Horde d’Or et son dirigeant Toktamış furent
secoués par leur défaite devant Timur en 1391-1395. Après cette
défaite, les commandants de la Crimée commencèrent à se battre
pour leur indépendance. Haci Giray, l’un de ses commandants, déclara
son indépendance en 1441 et fonda le Khanat de Crimée. Alors qu’il
était le Khan, Haci Giray prit le contrôle de Taman Kabartay et de
Kiptchak. Il fit une alliance avec les principautés de Moscou contre
la Horde d’Or et avec les Ottomans contre les Genevois. La lutte
pour le pouvoir qui arriva après sa mort rendit le pays vulnérable aux
attaques externes. Les administrateurs de Crimée demandèrent l’aide
des Ottomans contre la Horde d’or et les Genevois. Sur ce, Mehmed
II prit les colonies genevoises sur la côte de la Crimée grâce à une
grande flotte qu’il envoya dans la région et plaça le Khanat de Crimée
sous la protection de l’Empire ottoman en 1475. Avec la protection des
Ottomans, les Criméens réussirent à tenir les Russes à distance de leurs
terres pendant longtemps.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
63

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
64
Quand l’Empire ottoman commença à s’affaiblir au dix-septième
siècle, les Russes qui voulaient étendre leur domination à la Mer Noire,
ont commencé à intensifier leurs attaques pour envahir la Crimée. En
1736, la péninsule de Crimée fut envahie pour la première fois. La
guerre entre les Ottomans et les Russes qui se déroula entre 1768 et
1774 mit fin au Khanat de Crimée. Avec le traité de Küçük Kaynarca
(Kuchuk Kainarji), signé par les Ottomans vaincus, ces derniers durent
accepter l’indépendance de la Crimée. Cette indépendance fut de
courte durée puisque les Russes prirent la Crimée en 1783.
4. Le Khanat d’Astrakhan
Le Khanat d’Astrakhan fut fondé en 1466 par Kasim Khan, un
descendant du Khan Muhammed de la Horde d’Or. Le Khanat
d’Astrakhan fut fondé dans la ville d’Astrakhan (Ejderhan, Astragan)
et dans ses environs, dans la région où la rivière Itil (Volga) se jette
dans la mer Caspienne. Astrakhan, la capitale du Khanat, se situait
sur une route commerciale importante. Elle devint riche grâce à des
contacts avec des pays prospères et des tribus nomadiques faisant leur
commerce dans la ville. L’autorité centrale commença à s’affaiblir avec
le temps en raison d’attaques étrangères permanentes. Un autre facteur
de cet affaiblissement fut que la population était nomadique et que
les principautés locales gagnaient du pouvoir pendant les attaques
étrangères. C’est pourquoi Le khanat n’ayant réussi à assurer une
certaine force et permanence ne put vivre longtemps.
Du temps de Kasim Khan (1466-1490) et de son frère Abdulkerim
Khan (1490-1504), des alliances furent passées avec la Russie et la
Horde d’Or, ce qui permit une atmosphère de paix. Quand la Horde
d’Or s’effondra en 1502, Le Khanat de Crimée et de Nogaï tentèrent
de prendre Astrakhan. Ainsi, le Khanat fut marqué par des batailles
avec ces Etats, batailles qui continuèrent jusqu’en 1525 ainsi que par
le changement constant de Khan. Bien que Huseyin Khan ait signé
un accord avec le Khanat de Crimée en 1523, le Khanat souffrait de
la pression de la Russie, désireuse d’étendre son territoire vers l’Est.
Le Khan de Crimée : Shahin Bey, entra dans Astrakahan en 1549.
Il détruisit la ville et captura une grande partie de la population, y
compris Yagmurcu Khan. Ce dernier réussit à se libérer et à remonter
sur le trône grâce à l’intervention des Ottomans.
Cette lutte entre la Crimée, les Khanats de Kazan et d’Astrakhan
servaient les intérêts de la Russie. Profitant de la situation, les Russes
rayèrent le Khanat de Kazan en 1552 de l’Histoire et attaquant
soudainement Astrakhan en 1552, ils mirent également fin au Khanat
d’Astrakhan en 1556.

5. Le Khanat de Kasim (1445-1681)
Ce Khanat fut fondé en 1445 par Kasim, le fils du Kazan Kahn Ulug
Muhammed. Ce Khanat se situait dans la ville de Gorodets (Kasım),
qui se trouvait sur les bords de la rivière Oka afin de garder un
contrôle sur Moscou. Cependant, ce Khanat devint une propriété des
principautés de Moscou en peu de temps et fut utilisé par ces dernières
afin de contrôler les Turcs. Les administrateurs du Khanat, contrôlés
par des Gouverneurs russes, restèrent à leur poste en 1681.
6. Le Khanat de Sibir
Ce Khanat fut parmi ceux qui émergèrent de la désintégration de la
Horde d’Or. Son fondateur était Taybuga. Sa capitale était la ville de
Sibir, à coté de la ville actuelle de Tumen et son territoire s’étendait de
la Mongolie actuelle du Nord vers la Sibérie.
Avec le règne de Sibir Khan (1563-1598), l’Etat prit son nom. Sibir
Khan repoussa les Russes de Sibérie en 1584. Cependant, les forces
russes puissantes rentrèrent à nouveau bientôt dans la Sibérie. A la
mort de Sibir Khan en 1598, le principal obstacle qui se dressait devant
les Russes tomba et ils envahirent toute la Sibérie jusqu’en 1683.
7. Le Khanat de Nogaï
Nogaï, l’un des commandants important de la Horde d’Or, fit preuve
d’une certaine indépendance lorsqu’il était sous les ordres de la Horde.
Avec la désintégration de cette dernière, il créa le Khanat de Nogaï
avec les tribus sous son autorité. La capitale du Khanat de Nogaï était
Saraycık, la région où la rivière Yayık se jetait dans la mer Caspienne.
La population du Khanat se composait principalement de Turcs
kiptchak. Le Khanat était influent dans les territoires qui composent
le Kazakhstan actuel. Le Khanat se divisait en quelques branches
après sa destruction par les Kazans et les Astrakhans. Certaines de ces
branches formaient la Grande Horde Nogaï qui accepta la domination
russe. Ceux qui n’acceptèrent pas la domination russe continuèrent leur
existence dans différentes parties du Nord Caucase. A la fin, la Russie
prit l’ensemble de la Sibérie en 1604. Elle étendit sa souveraineté sur
les Kirghizes vivant sur la partie haute de la rivière Yenisei, puis sur la
Crimée en 1783, au Nord du Caucase en 1859, sur Tachkent (capitale
de l’Ouzbékistan) en 1865, et sur le Khanat de Bkuhara en 1868.
Finalement, en prenant le contrôle du Turkménistan en 1884, tous les
pays ou régions turcs de Sibérie, de la Mer Noire du Nord, du Nord
Caucase et d’Asie centrale, sauf les Ouïghours de l’Est, furent placés
sous domination russe.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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CHAPITRE 9
Les Etats turcs fondés en Anatolie et en Perse
1. La Dynastie Timouride
Cette dynastie fut fondée par Timur Khan qui était d’origine mongole
mais proche de la culture turque. Dans la deuxième moitié du
quatorzième siècle, il y eut un chaos dans le Khanat de Chagatai du
Turkestan. L’autorité des Khans qui descendaient de Gengis Khan fut
ébranlée et l’administration passa aux mains des chefs de tribus. Timur,
un membre de la tribu des Barulas, forma un petit Etat en Transoxiane
en 1370 et arriva au pouvoir à Samarqand.
Timur Khan est le meilleur stratège militaire que l’Histoire ait connu.
Il organisa de nombreuses expéditions afin d’étendre le territoire de
l’Etat. Tout d’abord, grâce à la première expédition qu’il organisa
en 1371 et 1379, il rattacha Khwarzem à sa dynastie. Il mena cinq
expéditions contre les Ouïghours jusqu’à ce qu’il prenne leur contrôle.
Il soutenu Toktamış Khan durant la bataille pour le pouvoir au sein
de la Horde d’Or et l’aida à monter sur le trône. Cependant, Toktamış
devint plus puissant et commença à voir en Timur Khan un adversaire
et ils s’affontèrent. Toktamış fut vaincu par trois fois et Timur Khan
devint le maître de l’Etat de la Horde d’Or. Puis il alla jusqu’à l’Ukraine
et prit possession des colonies genevoises et vénitiennes en Crimée
ainsi que des alentours. Il vainquit aussi les groupes chrétiens, unifia
les princes slaves au Nord du Caucase et prit le Nord de l’Inde et Delhi
en 1399.
En 1399, après que Timur ait gagné toutes les batailles, il mit sur pied
une expédition qui dura sept ans. Il força le royaume de Géorgie à
lui obéir. Le dirigeant Kara Yusuf des Kara Koyunlu (Qara Qoyunlu
ou Turkmen moutons noirs) déserta l’Irak après que Timur soit entré
dans la région. Timur prit Sivas, Malatya et Besni puis se dirigea vers
la Syrie. Il prit Antep, Aleppo, Hama, Humus et Damascus sous son
autorité. Le gouvernement de la Syrie et du Liban aux mains des
Mamelouks passa également sous son contrôle.
Le pouvoir croissant de Timur fit de lui le principal adversaire des
Ottomans dans la région. Quand la principauté qui avait été prise
par Bayezid I passa aux mains de Timur et quand les commandants
le fuyant trouvèrent refuge dans l’Etat ottoman, une guerre inévitable
éclata. La guerre d’Ankara vit la victoire de Timur mais cette victoire

allait avoir des conséquences négatives sur l’Histoire de la Turquie
dans les années suivantes. Après la guerre d’Ankara, Timur occupa
la capitale ottomane Bursa et saisit les trésors de l’Etat ottoman. Il
redistribua leurs terres aux commandants d’Anatolie en leur faisant
jurer fidélité à son pouvoir.
C’est ainsi que l’unité turque en Anatolie fut touchée. Il força également
les Byzantins à payer des impôts. Ainsi, Timur avait fait des Ottomans,
des Mamelouks, des Byzantins, des Rums de Trebizonds, de la Horde
d’or et des Etats indous, des Etats dépendants de son empire. Sur les
terres qu’il prit, il remplaça la loi Genghis qui était en application
depuis longtemps avec la loi islamique. Ensuite, il commença son
expédition vers l’Est. Timur mourut pendant cette expédition en 1405,
alors qu’il faisait route vers la Chine.
L’Empire fut partagé parmi ses fils et ses petits-fils. L’Etat perdit de
son pouvoir. Après une bataille pour le pouvoir de quinze ans avec ses
frères et ses neveux, Shahruh devint le dirigeant. A sa mort, la lutte
pour le pouvoir reprit. Ulug Bey en sortit vainqueur et monta sur le
trône Timouride après avoir été un astronome et mathématicien se
consacrant à la recherche dans les librairies et les observatoires. Il était
alors un sage, détaché de la politique. En 1449, il fut tué par son fils,
encouragé par ses adversaires politiques. Les luttes pour le pouvoir
recommencèrent de nouveau dans la dynastie Timouride, affaiblie par
des conflits internes. Elle fut détruite par les Ouzbeks en 1507.
2. La dynastie des Ak Koyunlu (Aq Qoyunlu)
Cette dynastie dominait au quinzième siècle l’Anatolie de l’Est,
l’Azerbaïdjan et l’Irak. Les fondateurs de cette dynastie venaient de la
tribu Bayindir des Oghouzes. Cette dynastie apparut dans l’Histoire
en 1340 sous le règne de Tur Ali Bey. Le véritable fondateur de l’Etat
fut Karayuluk Osman Bey qui établit d’abord une alliance avec Kadi
Burhaneddin contre les Kara Koyunlu puis, peu après, repoussa l’attaque
des Kara Koyunlu et tua Kadi Burhaneddin. Il établit une alliance cette
fois avec les Mamelouks contre les Ottomans. Son armée fut détruite
par Timur entré en Anatolie. Il s’installa ensuite en Anatolie avec l’aide
et le soutien de Timur.
Uzun Hasan Bey (1453-1478), l’un des fils de Osman Bey, vainquit
les Kara Koyunlu et les Timourides et prit le contrôle d’une partie de
l’Anatolie de l’Est et de la Perse. Il soutint la principauté Karaman
contre les Ottomans. Il tenta également d’établir une alliance avec les
Croisés contre les Ottomans. Après cette tentative, le sultan ottoman
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
68
Mehmed II vainquit Hasan lors de la bataille de Otlukbeli. La dynastie
des Ak koyunlu ne put se remettre de cette défaite. Hasan mourut en
1478. Après sa mort, il y eu des luttes pour le trône qui eurent comme
conséquence la mise à mort de la dynastie des Ak koyunlu par le
dirigeant Safavide Shah Ismail.
3. La dynsatie des Kara Koyunlu (Qara Qoyunlu)
Cette dynastie fut fondée dans la seconde moitié du quatorzième siècle
à Ercis, sur les bords du lac de Van, sur un territoire allant de Erzurum
au Nord à Mosul au Sud. Le fondateur de cet Etat était Bayram Hoca,
le chef des Turkmens kara koyunlu. La dynastie des Kara Koyunlu
fut renforcée dans la région en se joignant à d’autres tribus turques.
La dynastie des Kara koyunlu commença à dominer toute la Perse
et l’Azerbaïdjan excepté Khorasan. En mettant fin à la domination
mongole dans la région, cette dynastie joua un rôle important dans la
turquisation de l’Azerbaïdjan.
Après la mort de Bayram Hoca, son successeur Kara Mehmed (1380-
1389) vainquit les Artuqids. La lutte avec les Timourides eut pour
conséquence la prise de Tabriz, transformée en capitale. Du temps
de Kara Yusuf (1389-1420) monté au pouvoir après Kara Mehmad,
les Kara Koyunlu continuèrent leur lutte contre les Timourides. A la
fin de cette lutte, Kara Yusuf fuit Timur et trouva refuge auprès du
sultan ottoman Bayezid I. Ce fut une des raisons principales de la
Guerre d’Ankara. Yusuf reprit l’Etat après la mort de Timur. Il mit fin
aux Artuqids en 1409. En 1415, il prit Bagdad et mit fin à l’autorité
timouride en Azerbaïdjan.
Avec la mort de Kara Yusuf en 1420, des luttes internes commencèrent
entre ses descendants. Ces luttes affaiblirent la dynastie des Kara
Koyunlu. Par ailleurs, ils furent vaincus par deux fois par la dynastie des
Ak koyunlu en 1457 et 1467. En 1469, la dynastie disparut.
4. La dynastie Safavide
Il s’agissait d’un Etat turc fondé en Perse au début du seizième siècle. Le
nom de l’Etat provient de Safiyuddin, un dirigeant de la secte religieuse
safavideye. Bien que Safavide ait été d’abord une secte religieuse, elle
devint ensuite une dynastie politique. Elle resta Sunnit jusqu’en 1392
puis devint chiite.
La secte safiyuddin s’étendit en Anatolie, en Perse et en Irak. Même
les sultans ottomans, Timur et les Ak koyunlu s’y intéressèrent pour
quelque temps. Timur Khan donna même à Hoca Ali, l’un des petits-

fils Safiyuddin, la ville de Erdebil ainsi que le droit à l’indépendance.
Sheik Cuneyd, un autre petit-fils de Hoca Ali, se sépara de la secte de
ses prédécesseurs par l’influence de la secte Batini (une secte ésotérique
de l’Islam Shi’i). Tirant profit de l’intérêt et du respect accordés aux
Safavides à l’époque de son grand-père, il s’engagea dans la politique.
Ayant soulevé une rébellion contre les Kara koyunlu, il dut déserter
sa patrie et trouver refuge chez les Ottomans et les Karamans. Ne
changeant cependant pas d’attitude, il ne put y rester non plus. Il tenta
de fonder une principauté dans le Sud de l’Anatolie et en Syrie en y
exposant ses opinions parmi les Turkmens. Il dut faire face cependant
à l’opposition des Mamelouks. Les Ak koyunlu établirent une royauté
avec lui par voie d’alliance afin d’utiliser son influence. Cependant, les
Safavides ne purent établirent de structure administrative indépendante
avant l’arrivée au pouvoir d’Ismail en 1499.
En 1499, Ismail devint le leader des Safavides et rassembla autour
de lui les tribus turques d’Anatolie sous influence et contrôle des
Safavides. En 1501, il vainquit la dynastie Ak Koyunlu et prit Tabriz. Il
se proclama Shah et créa l’Etat Safavide en faisant de Tabriz sa capitale.
En 1509, il occupa Bagdad. Il se dirigea ensuite vers les Ottomans à
l’Ouest. Afin de provoquer l’effondrement de l’Empire ottoman de
l’intérieur, il envoya des califes shiites chargés de faire de la propagande
et de monter une rébellion religieuse et politique contre l’Etat. Ces
califes de nom devinrent si influents que l’un d’entre eux, Shahkulu
réussit à soulever une rébellion. Celle-ci fut éliminée de justesse par
l’Etat ottoman.
Selim I, arrivé au pouvoir en 1512 dans l’Empire ottoman, était
conscient de la menace Safavide. Ainsi, il envoya une expédition en
Perse en 1514 pour mettre fin à cette menace et en même temps, il
vainquit durement les Safavides à la bataille de Caldiran. Ensuite,
les Ottomans entrèrent dans Tabriz et prirent l’Anatolie de l’Est,
l’Azerbaïdjan et Diyarbakir. Après la défaite de Caldiran, Shah İsmail
ne fit rien d’autre contre les Ottomans. Il mourut en 1524. Du temps
de son successeur Tahmasp (1524-1576), la lutte contre les Ottomans
fut finie. La lutte entre les Ottomans et les Safavides fut officiellement
terminée par la signature du traité de Amasya en 1555.
L’Etat Safavide commença à sombrer au milieu du dix-septième siècle.
Différents groupes tentèrent de prendre leur indépendance par rapport
à l’autorité centrale en se rebellant contre l’Etat. Nadir Shah mit fin à la
dynastie safavide en 1736, profitant de la situation chaotique et fonda
la dynastie afsharid.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
70
CHAPITRE 10
L’Empire ottoman (1299-1922)
L’histoire de l’Empire ottoman est conventionnellement divisée en
quatre périodes : L’Age classique (1299-1600), la Consolidation (1600-
1774), le Déclin (1774-1914) et la Dissolution (1914-1922).
A. L’âge classique (1299-1600)
Le terme « ottoman » provient du nom du fondateur de la dynastie,
Osman (Ottoman en anglais). La Dynastie ottomane était un membre
de la tribu Kayi des Turcs oghouzes (Turkmens) qui commencèrent
à se déplacer vers l’Iran au neuvième siècle. Ils se sont installés à
Merv, dans la région de Khorasan avec les Seldjoukides et les Kayis
qui furent obligés d’émigrer vers l’Azerbaïdjan. En Anatolie de l’Est,
ils s’installèrent avec d’autres tribus turques. Une partie des Kayis
s’installa d’abord à l’Ouest d’Ankara au milieu du treizième siècle.
Puis ils s’installèrent dans les environs de Sogut et de Domanic,
sur les frontières de l’Empire byzantin, qui avaient été donnés à
Ertuğrul Ghazi, le leader des Kayis par le Sultan Alaadin en 1231. Ce
territoire correspond globalement à la province romaine de Bithynia
que les Seldjoukides avaient prise aux Byzantins un siècle auparavant.
Osman Bey fut nommé commandant avec l’accord de toutes les tribus
oghouzes. Il s’installa à la frontière de Byzance quand Ertugrul mourut
en 1281 ou 1288. Osman épousa la fille de Sheikh Edebali, qui s’était
montré un bon maître spirituel. Cela permit à Osman d’établir son
autorité sur la communauté. Bientôt, il prit les territoires s’étendant de
Eskishehir à la frontière de Bursa et d’Iznik. Il mit en place de bonnes
relations avec le dirigeant Tekfur byzantin (Dirigeant d’une ville ou
d’une localité d’Anatolie ou de Roumélie). Bien que Osman ait déclaré
sa principauté indépendante de l’Etat seldjoukide anatolien en 1299, il
reconnut le sultanat des Ilkhanates comme son maître.
Pendant ce temps, de nombreuses tribus turques échappaient aux
Mongols et se dirigeaient vers l’Anatolie plus sûre que le Turkestan
de l’Ouest. Quand la menace mongole diminua dans la seconde partie
du treizième siècle, de nombreuses principautés turques apparurent
en Anatolie centrale et en Anatolie du Nord Ouest. La principauté
Karaman, la plus puissante, déclara être le successeur des Seldjoukides.
Les autres principautés étaient les Hamids, les Germiyans, les Aydins,
les Karesis, les Menteshes, les Saruhans et les Candars. Ils étaient

Osman Bey
tout d’abord occupés à se battre entre eux afin d’élargir leur territoire
respectif. La priorité des modestes Ottomans était de se battre contre
les Byzantins et ils se tenaient à distance de la lutte pour le trône de
l’Etat seldjoukide d’Anatolie. Ils eurent donc l’avantage de se battre
contre les Byzantins plutôt que contre les principautés consanguines.
La plupart des guerriers turcs qui avaient fui la cruauté mongole au
Turkestan à la fin du treizième siècle participèrent à la guerre sainte
contre les infidèles avec un grand enthousiasme. Un autre avantage
de la principauté ottomane consistait en la position plus faible des
Byzantins qui créa une atmosphère souhaitable pour leur expansion
vers l’Ouest. De nombreux Chrétiens sous la direction de Byzance ne
résistèrent pas aux attaques ottomanes et se montrèrent contents de
passer sous l’autorité d’une politique expansionniste avec des impôts
assez bas. Pendant ce temps, Osman Bey eut la possibilité de coopérer
avec les populations locales de la région, même avec quelques tekfurs
byzantins. L’un de ses tekfurs, Mikhail, se convertit plus tard à l’Islam.
Les Ottomans renoncèrent à cette pratique de partage de leurs territoires
entre plusieurs héritiers comme cela était d’usage chez les tribus
nomades turques. En effet, les sanglantes batailles pour le trône entre
les successeurs légaux entraînaient le plus souvent la désintégration rapide
de ces Etats. L’abandon de cette pratique serait l’une des raisons
principales qui expliquerait qu’une principauté aussi modeste que celle
des Ottomans ait été capable un siècle plus tard de se hisser au rang des
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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plus grands empires non seulement dans l’histoire du monde musulman
ou turc, mais tout autant dans l’histoire mondiale.
C’est en 1302, lors de la bataille de Bapheus près d’Izmit et la défaite
des Byzantins, que la principauté ottomane est mentionnée pour la
première fois. Quelques places fortes furent occupées par Osman Bey
après une série de campagnes contre les Byzantins, prenant avantage
de leur infériorité et exploitant l’affaiblissement de leur autorité. En
1320, il désigna son fils Orhan (ou Orkhan) chef de l’armée avec pour
mission de conquérir les villes de Bursa et d’Iznik (Nicée). Lorsque
ce dernier fut entré dans la ville de Bursa en 1326, son père Osman
était mourant. Par la suite, Orhan transféra sa capitale de Bilecik (Mocadène)
à Bursa (Brousse) et poursuivit la politique d’expansion des
territoires ottomans aux dépens de l’Empire byzantin. L’une des plus
importantes conquêtes pour Orhan fut celle de la ville d’Iznik (Nicée/
Nikaia en grec) en 1331 dont les Seldjoukides d’Anatolie avaient perdu
le contrôle lors de la première croisade en 1096. Deux ans plus tard, en
1333, l’Empereur byzantin dut accepter de payer un tribut contre l’assurance
de ses territoires restants en Anatolie. Une fois le pouvoir des
Ilkhanides ruiné, la principauté ottomane amorça sa transformation en
un Etat, encore loin cependant de ce qu’il sera à son apogée.
En s’emparant de la ville d’Izmit (Nicomédie) en 1337, les Ottomans
privèrent les Byzantins de leur dernier territoire en Anatolie. Continuant
sur sa lancée, Orhan annexa en 1345 la principauté de Karesi
située dans la région des Dardanelles et la mer de Marmara, permettant
ainsi aux Ottomans de prendre pied durablement sur la rive européenne
des Dardanelles. Quelques années plus tard, en 1354, Suleyman Pacha,
fils d’Orhan Ghazi, étendit son contrôle sur la péninsule de Gallipoli
(rive nord des Dardanelles), puis après sa mort survenue en 1357, Murad,
un autre fils d’Orhan, prit le contrôle d’Edirne (Andrinople) avant
d’achever la conquête de toute la Thrace orientale.
Au fur et à mesure que leurs conquêtes s’étendaient vers les Balkans,
les Ottomans mirent en place une politique d’implantation signifiant
clairement la restriction des actes de razzias et de pillages. La conquête
des Balkans ne fut donc pas le seul fait de la force, mais tout aussi
le résultat d’une politique ottomane de pacification et de conciliation
qui garantissait aux non musulmans la sécurité de leurs vies, de leurs
biens et leur liberté de culte. Cette politique fut le gage de la loyauté
des populations indigènes qui avaient subi des pressions politiques et
religieuses de la part des anciennes autorités féodales. Cette politique

d’implantation prévoyait entre autres d’installer des populations yürük
et turkmène ne possédant pas de terres cultivables en Anatolie dans
les régions balkaniques récemment occupées où ils établirent fermes
et villages, une migration qui accéléra le processus de turquisation des
régions de la Thrace occidentale et orientale, de la Macédoine, de la
Dobroudja et de la Ludogorie.
Le sultan Murad Ier C’est sous le règne de Murad Ier (1359-1389) que les Ottomans entrent
dans le champ de la macro-politique. La principauté ottomane se mua
en un Etat aux frontières toujours plus élargies à mesure que les Ottomans
avançaient dans les Balkans. Dès lors, une réorganisation des
institutions de l’Etat s’imposait afin de conserver les nouveaux territoires
conquis. Les deux premiers chefs ottomans, Osman et Orhan, ne
se sont jamais attribués des titres au-delà de Bey ou Ghazi, et ce pour
deux raisons principales: d’abord, ils dépendaient encore des Khanats
(bien que cette dépendance relevait davantage d’une simple formalité) ;
ensuite, ils n’étaient pas encore capables de mener un Etat. Murad fut
le premier gouvernant ottoman qui prit le titre royal de Hünkar et de
Sultan.
Les Ottomans développèrent une force de cavalerie constituée par les
officiers spahis et soutenus par les timariotes. Le timar était une forme
de dotation foncière ou plus précisément de dotation fiscale sur une
terre concédée par le sultan à une personne en contrepartie des services
rendus, notamment militaires. Le système du timar était d’autant
plus nécessaire que l’extension de l’Empire ne pouvait plus compter
sur la seule base des volontaires. Murad I er fonda un nouveau groupe
militaire, celui du corps d’infanterie constitué d’esclaves appelés janissaires
(Yeniçeri). Les janissaires servaient aussi de garde personnelle du
sultan (les Kapı Kuları ou esclaves de la Porte). Ils étaient recrutés périodiquement
à travers une pratique appelée Devchirmé, littéralement
‘ramassage’ ou ‘récolte’ d’enfants des sujets ottomans non-musulmans, y
compris en temps de paix. Ainsi fut créée une élite d’esclaves devenue
très vite indispensable à l’Etat ottoman. Le rôle des janissaires et des
Kapı Kuları fut crucial dans la survie et l’unification de l’Etat en 1413,
du fait que leur identité et leur statut dépendaient du pouvoir de leur
maîtres ottomans. De nouvelles organisations administratives, autres
que militaires, furent entreprises tel l’établissement de deux Beylerbeyi
(Bey des Beys ou gouverneur général), l’un en Anatolie, l’autre en Roumélie
(partie européenne de l’Empire).
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
74
Lorsque Murad Ier conquit la
ville de Philippoupoli (Plovdiv
en bulgare), le pape Urbain
V appela à la croisade afin de
contenir l’avancée des Ottomans
dans les Balkans. L’esprit
des croisades, quoique affaibli,
était toujours vivant. Les Etats
de l’Europe de l’ouest convinrent
donc d’affronter les Ottomans.
Mais les croisés furent
écrasés par les troupes ottomanes
en Bulgarie, en Serbie,
en Hongrie, en Valachie (Eflak
en turc) et en Bosnie — d’abord
à Chernomen lors de la bataille
de Maritsa, puis au Kosovo en 1389. Après cette victoire, le sultan Murad
Ier fut assassiné par un nationaliste serbe, Miloch Obilich. Avec
la guerre du Kosovo, aucun pouvoir ne subsista, hormis la Hongrie,
capable d’affronter les Ottomans au sud du Danube. A la mort de
Murad Ier Mehmed II
, les territoires ottomans couvraient quelques 500.000 km².
D’une modeste principauté, les Ottomans étaient passés à un Etat avec
de nouvelles institutions, maintenant ils se préparaient à devenir un
Empire.
Efforts avortés de construction d’un Empire
En Anatolie, les principautés turques sous souveraineté ottomane commencèrent
à se rebeller à l’annonce de la mort de Murad Ier. En 1392,
son fils le sultan Bayezid Ier (1389-1402), appelé Yıldırım (la foudre),
parvint à annexer les principautés de Saruhan, d’Aydin, de Candars,
de Menteche et de Germiyan en Anatolie et poursuivit la politique
d’expansion de son père dans les Balkans. Il défit la principauté de Valachie
en 1391, annexa la province de Thessalonique et mit le siège
devant Constantinople (Istanbul) pour achever d’unifier ses territoires
en mettant fin à l’Empire byzantin. Une nouvelle croisade commandée
par le roi de Hongrie, Sisigmond Ier, fit route vers Nicopolis (Niğbolu
en turc) en vue de chasser les Turcs des Balkans et porter secours à
Constantinople. Mais encore une fois, les Ottomans défirent l’armée
croisée à la bataille de Nicopolis en 1396. Il devenait clair que plus
aucune puissance en Europe n’était capable de secourir Byzance. Cette
victoire fit la célébrité de Bayezid Ier dans le monde musulman.

En écartant toute menace susceptible de se retourner contre lui, Bayezid,
avec l’assurance acquise à Nicopolis, se tourna vers la principauté
de Karaman afin de cimenter l’unité turque. Il commença par annexer
Karaman en 1398, puis poussa ses frontières de l’est jusqu’à l’Euphrate
en annexant au passage Malatya (Mélitène) et Elbistan où les Mamelouks
étaient stationnés. Ainsi, en joignant tous les Etats turcs de
l’Anatolie centrale et d’une partie de l’Anatolie de l’Ouest, Bayezid Ier
mit fin au système de vassalité et réussit à centraliser son Etat. Dès lors,
il prit le titre de Sultan des Roums (Anatolie), titre porté auparavant
par les sultans seldjoukides, se revendiquant par là comme successeur
des Seldjoukides.
Toutefois, le succès ne fut que de courte durée puisqu’en 1402 Tamerlan
lança l’assaut contre les Ottomans. Se réclamant héritier des
Seldjoukides et des Ilkhanides, Tamerlan avait fondé un puissant empire
au Turkestan et s’étendait vers l’ouest. Il considérait les Ottomans
comme constituant une principauté frontalière sous sa dépendance. Ce
fut pour Bayezid Ier une infortune de vivre au temps de Tamerlan, bien
qu’il ait régné sur un Empire couvrant un million de km² et qu’il fût
victorieux des armées croisées. Lorsque les deux puissants gouvernants,
pleins d’assurance, devinrent voisins, le conflit semblait inévitable.
L’imminent conflit éclata quand Ahmed, chef des Jalâyirides, et Kara
Yusuf, chef des Kara Koyunlu (moutons noirs), se réfugièrent auprès
de Bayezid. Lorsque certains beys prirent la fuite et vinrent se réfugier
auprès de Tamerlan, celui-ci prit avantage de l’opportunité qui se présentait
à lui.
Hiatus (1402-1413)
Bayezid Ier fut vaincu et capturé avec ses deux fils, Musa et Mustapha,
par Tamerlan, lors de la bataille d’Ankara en 1402. Par la suite, Tamerlan
tenta de restaurer les anciennes principautés, de sorte que les frontières
anatoliennes furent repoussées, retrouvant les limites de l’époque
de Murad Ier . Devant reconnaître la supériorité de Tamerlan après cette
défaite, l’Etat ottoman était sur le point de s’effondrer et, en tout cas,
n’avait plus de prétention à être une grande puissance. Le sultan Bayezid
supportait mal d’être prisonnier malgré les égards avec lesquels il
fut traité par Tamerlan. Au départ de Tamerlan d’Anatolie, le territoire
ottoman était divisé entre les trois fils de Bayezid : Suleyman prit le
contrôle d’Edirne, Mehmed celui d’Amasya et Isa administrait Bursa.
Comme le veut le système de succession ottoman - qui datait des
temps anciens en Anatolie centrale - tous les membres de la famille
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
76
régnante pouvait prétendre légitimement au trône, et même les Etats
turcs étaient partagés entre les membres de la famille régnante. Cependant,
les Ottomans avaient abandonné cette pratique au tout début
de leur histoire. Ils refusaient d’associer quiconque au gouvernement
afin d’éviter le morcellement du territoire et les cruelles luttes de succession.
Pour régner sur l’Empire, le souverain ottoman du moment,
préparait le jeune prince en lui assignant les fonctions de gouverneur
d’une province. Cet exercice, pratiqué depuis le temps de Murad I er , ne
fut entériné que sous Mehmed II.
Ces changements intervenus dans les procédures administratives furent
l’une des principales causes de la guerre civile qui s’ensuivit et qui
dura près de 11 ans (1402-1413), période appelée ‘ère hiatus’. Finalement,
Mehmed I er réalisa l’unité de l’Etat ottoman et accéda au trône en
1413. Bien que l’autorité ottomane fût affaiblie durant cette ère hiatus,
la plupart des provinces balkaniques sont demeurées loyales aux Ottomans.
Après avoir éliminé ses frères, Mehmed I er évita toute provocation
envers les Byzantins et les croisés afin de se donner le temps de
regagner les territoires anatoliens perdus suite à la bataille d’Ankara.
Il parvint à réunifier une partie des territoires appartenant à la principauté
et à affaiblir l’influence des Karamanides en Anatolie en matant
les rébellions de Cheikh Bedreddin et de son frère Mustapha Chelebi
(Mustafa Çelebi). A sa mort, il lègue à Murad II un Etat réorganisé qui
a recouvré sa puissance après un an de troubles.
Nouvelle tentative pour reconstruire l’Empire
Au début de son règne, Murad II dut affronter les rébellions de son
oncle Mustafa Çelebi et de son frère cadet Mustapha et ne réussit à
les écraser qu’au prix de grandes difficultés. Puis, il assiégea Istanbul,
profitant des conflits internes au pouvoir byzantin. Ensuite, il visa le
renforcement du gouvernement ottoman dans les Balkans : en 1430,
il s’empara de Thessalonique et écarta l’influence de la Hongrie sur la
Serbie et la Valachie. Mais en 1440, l’échec du siège ottoman devant
l’importante et stratégique ville de Belgrade, incita les Hongrois à attaquer
les Ottomans et remportèrent même des victoires décisives, ce
qui amena Murad II à adopter une politique extérieure plus conciliante.
Il signa un accord avec les Hongrois s’engageant à ne pas traverser le
Danube. Désormais, plus aucun danger ne pesait sur l’Etat, Murad
II se retira et laissa le trône à son fils Mehmed. Les Byzantins et les
Hongrois y virent l’occasion de mener une croisade qui écarterait la
menace turque. Mais ils se rendirent vite compte de leur erreur quand

en 1444 les croisés furent sévèrement défaits à la bataille de Varna par
l’armée ottomane commandée par Murad II qui reprit provisoirement
les choses en main face à l’imminence du danger. Jean Hunyadi fit une
nouvelle tentative en 1448 qui se solda par une autre défaite. Après
ces succès militaires, l’autorité ottomane n’en fut que plus forte au
sud du Danube, et les croisés perdirent tout espoir de porter secours à
Constantinople face aux Turcs.
Au temps de Murad II, la cité-capitale d’Edirne devint un centre de
culture et de science. Elle attira nombre d’activités culturelles et scientifiques
qui avaient lieu dans les principautés anatoliennes. A sa mort
en 1451, son fils Mehmed II hérita d’un Etat puissant ayant étouffé
les expéditions croisées et réparé les effets désastreux de l’invasion de
Tamerlan. Les frontières ottomanes étaient alors revenues comme au
temps d’avant la bataille d’Ankara.
Le sultan Mehmed II:
La construction d’un Empire, une puissance mondiale
Lorsque Mehmed II accéda au trône, aucune menace sérieuse ne
pesait sur l’unité ottomane, sauf que, prenant en compte l’expérience
passée, il vit qu’un danger pouvait venir des Byzantins. Et bien que
vivant constamment sous le blocus ottoman, les empereurs byzantins
cherchaient à provoquer des luttes intestines parmi les membres de
la dynastie ottomane et ne cessaient de faire appel à l’aide des croisés.
L’un des principaux objectifs de Mehmed II était d’établir une administration
centralisée capable de juguler toute force qui risquerait de
rompre l’union de l’Empire ottoman ; aussi, les Byzantins constituaient
à ses yeux un obstacle à cet objectif. Rappelons aussi que la plupart
des conquérants musulmans et turcs visaient la conquête de Constantinople,
non seulement pour sa position extrêmement stratégique et
symbolique, mais également en raison d’un dire du prophète Muhammad
qui a déclaré sacré le but de conquête de la ville. En somme, pour
le sultan Mehmed II, la centralisation de l’Etat signifiait ôter toute
influence aux dynasties d’Anatolie et aux puissantes familles telle la
famille des Çandarlı (Tchandarli) dont certains membres furent nommés
grands vizirs depuis le règne de Murad Ier . Mehmed II chercha de
même à se débarrasser des princes susceptibles de menacer le pouvoir
et même l’existence de la dynastie ottomane.
Pendant que les préparatifs de la conquête de Constantinople étaient
à leur comble en 1452-1453, le grand vizir Çandarlı Halil Pacha tenta
de dissuader le sultan Mehmed II d’assiéger la ville, arguant que toute
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
78
action entreprise contre les Byzantins déclencherait d’autres croisades.
Mais le sultan n’en fut pas convaincu. Il demanda à Urbain (qui était
d’origine hongroise) de préparer des canons pour abattre les remparts
byzantins et de construire la forteresse de Roumélie sur la rive européenne
du Bosphore afin de faire barrage à la flotte vénitienne qui viendrait
au secours des Byzantins. Constantinople, aujourd’hui Istanbul
(mais les Ottomans continuèrent très longtemps à utiliser le premier
nom), fut finalement conquise le 29 mai 1453. Cela valut à Mehmed
II le surnom de Fatih (le conquérant, le victorieux). A partir de ce moment,
les Ottomans devenaient une puissance mondiale. Les sultans
ottomans dès lors pouvaient prétendre être les héritiers de l’Empire
romain. Le Pape Pie II se résigna à accepter cette prétention. Il écrivit
au Conquérant que tout ce qui pourrait faire de lui « le plus grand
homme de votre temps avec votre consentement universel est un peu
d’eau avec laquelle vous seriez baptisé ». Mais Mehmed le Conquérant
rejeta cette invitation à se convertir au christianisme, son but n’étant
pas seulement d’étendre son pouvoir vers l’Ouest, mais plus fondamentalement,
comme chez tous les sultans antérieurs et futurs, d’ériger un
Empire mondial, ou plutôt un nouvel ordre mondial bâti sur le bonheur
de l’humanité tel qu’il est défini par les enseignements islamiques et les
traditions turques.
La conquête d’Istanbul permit d’unifier les territoires ottomans et de
consolider la position de leur Empire devenu la puissance prééminente
en Europe du sud, dans la Méditerranée orientale et dans toute la Mer
Noire. La capitale fut transférée d’Edirne vers Istanbul peu de temps
après la conquête de cette dernière. Il est à souligner que l’un des effets
de la conquête d’Istanbul fut le maintien d’une capitale internationale
qui était périssante. La cité demeura le centre ecclésiastique de l’Eglise
grecque orthodoxe dont Mehmed II se déclara le protecteur et désigna
un nouveau patriarche comme le veut la coutume chez les empereurs
byzantins. En effet, il se considérait comme le successeur direct des empereurs
byzantins et pour cette raison, il écartait quelconque dynastie
qui prétendait au trône byzantin comme le fit David Comnène à Trébizonde,
et Démétrios et Thomas, frères du dernier empereur byzantin,
dans la péninsule de Morée (le Péloponnèse). Mehmed le Conquérant
ne tarda pas à envahir la péninsule et mit fin au pouvoir des deux frères
en 1460. L’annexion de Trébizonde un an plus tard allait déclencher
une guerre entre les Ottomans et la République de Venise, guerre qui
dura 16 longues années en raison de la faiblesse de la flotte ottomane.
Entre temps, Venise s’était alliée aux Ak Koyunlu plutôt qu’avec la

Hongrie ou l’Albanie. Voyant son empire encerclé d’est en ouest, Mehmed
II mena une double campagne contre l’Albanie en 1466 et 1467.
De son côté, Uzun Hasan, le chef des Ak Koyunlu, s’allia avec la principauté
karamanide et aux chevaliers de Chypre et de Rhodes, et chercha
à s’étendre vers l’Asie centrale. Mais Mehmed II s’empressa d’annexer
la principauté karamanide en 1468 et soumit Hasan en écrasant son
armée à la bataille de Otlukbeli en 1473, neutralisant de fait les principaux
adversaires venant de l’est. Et ce fut l’un des plus grands exploits
de Mehmed II d’avoir pu restaurer le pouvoir ottoman parmi les autres
Etats turcs en Anatolie et d’avoir écarté toute menace venant de l’est.
Il poursuivit ses conquêtes en annexant des territoires sur les côtes de
la Mer Noire et en soumettant le Khanat de Crimée à la suzeraineté
ottomane. La Mer Noire devint ainsi un ‘lac ottoman’. De son côté,
ayant perdu l’un de ses principaux alliés, Venise dut signer un accord
avec les Ottomans selon lequel elle devait céder Shkodra (en Albanie)
et les îles de Lemnos (Limni en turc) et d’Evia (Egriboz) et consentit
à payer un tribut. L’une des dernières campagnes de Mehmed II fut
menée contre l’Italie. Il espérait conquérir Rome, capitale de l’Empire
romain d’Occident, vu qu’il se considérait comme le véritable héritier
de tout l’Empire romain. La prise d’Otrante eut lieu en 1480, mais la
conquête de l’Italie s’interrompit au décès du sultan en 1481.
Comme il a été dit, l’objectif principal de Mehmed II était de constituer
un Empire centralisé, ce qu’il fit en éliminant tout membre d’une
dynastie qui se serait avisé de prétendre un droit au trône, et une
quelconque classe influente aristocratique ou privilégiée qui aurait pu
devenir un pouvoir alternatif. L’exécution du grand vizir Halil Pacha
peut être envisagée comme faisant partie de cette politique. En outre,
il ‘nationalisa’ plusieurs domaines privés afin d’affaiblir le pouvoir des
aristocrates et de consolider la situation financière de l’Empire.
Asseoir l’Empire sous l’ombre
d’une lutte de succession
La pratique du fratricide et de l’assassinat des enfants d’un prince qui
accède au trône fut légitimée par le sultan pour éviter toute rébellion
ou prétentions rivales au trône. En d’autres termes, cette politique était
prévue par les Ottomans pour faciliter la réalisation d’un nouvel ordre
mondial (Nizam-ı Alem). Lorsque Mehmed II mourut, deux de ses
fils, Cem et Bayezid, entrèrent en lutte pour le pouvoir. La plupart des
fonctionnaires de l’Etat étaient en faveur du dernier. D’autres, comme
le grand vizir Karamani Mehmed Pacha, soutenaient plutôt le premier.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Finalement, la succession revint
à Bayezid II, mais la division en
deux factions rivales était déjà
palpable parmi les fonctionnaires
de l’Etat. Les janissaires
assassinèrent le grand vizir à
cause du soutien apporté à Cem
qui s’était déclaré sultan dans la
ville de Bursa et avait proposé
à son frère de diviser l’Empire
en deux parties : l’une en Anatolie,
l’autre en Roumélie. Mais
cette idée fut catégoriquement
rejetée. L’affrontement entre les
armées des deux frères devenait
inévitable. L’armée de Cem fut
Soliman le Magnifique
écrasée sur le champ de bataille
de Yenichehir (Yenişehir) le 20
juin 1481. Il prit alors la fuite d’abord vers Konya, ensuite il se réfugia
en Egypte. Puis, lorsque Karamanoglu Mehmed Bey fit appel à lui,
il revint en Anatolie mais fut une nouvelle fois défait par Bayezid II.
Cette fois, il prit refuge chez les Hospitaliers de Rhodes, et de là chercha
à rejoindre la Roumélie pour fomenter la lutte de succession ; mais
il finit prisonnier des Etats européens, et parmi eux la papauté, qui
usèrent de lui comme moyen de pression sur les Ottomans. C’est ainsi
que Bayezid II dut payer gros ses ravisseurs pour qu’ils le gardassent
prisonnier.
Au moment où Cem prit refuge chez les Hospitaliers de Rhodes,
Bayezid décida de faire exécuter Gedik Ahmed Pacha. Celui-ci avait
joué un rôle crucial dans le rétablissement de l’autorité ottomane en
Anatolie. Le grand vizir Ishak Pacha fut également démis de sa fonction.
En écartant ainsi les deux personnages prééminents de l’Empire
qui l’avaient aidé dans sa lutte contre Cem, Bayezid II s’est arrogé un
pouvoir exclusif.
Nonobstant, grâce au soulèvement de Cem, Bayezid II dut changer de
stratégie et adopter une politique plus conciliante dans les affaires intérieures
et extérieures. Il chercha à s’attirer la bienveillance de ceux dont
les terres et les biens avaient été confisqués par Mehmed II en les leur
rendant. A l’égard de Venise et de la Hongrie, les Ottomans voulaient
éviter de provoquer une nouvelle croisade du moment que Cem était

encore entre leurs mains. Cela ne l’empêcha pas d’annexer Belgorod
(Akkerman en turc) et Kili en Bogdan - qui était un point stratégique
sur les routes de commerce de la Mer noire. Après la mort de Cem
en 1495, Lépante, Modon et Coron furent conquises après une série
de batailles avec Venise entre 1499 et 1503. A partir de ce moment,
les Ottomans devinrent la plus grande puissance navale dans la Mer
Méditerranée. L’un des plus grands amiraux ottomans était un certain
Kemal Reis qui sauva des milliers de musulmans et de juifs persécutés
et chassés du royaume d’Espagne. Sous les instructions du sultan, il
transféra un grand nombre de musulmans d’Espagne (les Morisques)
en Afrique du nord et dans les territoires ottomans. C’est ainsi que
l’Empire ouvra ses portes aux musulmans et juifs d’Espagne afin qu’ils
puissent vivre au sein de l’Empire.
Durant le règne de Bayezid II, les Ottomans durent également faire
face à deux autres menaces : l’une venant de l’Etat musulman mamelouk,
l’autre de l’Etat safavide. Alors que le conflit avec les Mamelouks
était plutôt d’ordre politique, celui avec les Safavides relevait davantage
de paramètres idéologiques et sectaires. Depuis le règne de Mehmed
II, les Ottomans se considéraient comme les leaders du monde musulman,
d’où leur intérêt croissant à incarner ce rôle et c’est pourquoi ils
menèrent une longue campagne contre les Mamelouks de 1485 à 1491
lorsque ceux-ci interférèrent dans les affaires des Dulkadirites - un Etat
tampon dont le centre était Marach-Elbistan. Au final, aucun des deux
ne pouvaient se prétendre victorieux. Avec le temps, les relations entre
Ottomans et Mamelouks se sont améliorées depuis que ces derniers
ont fait appel à l’aide ottomane contre la flotte portugaise qui commençait
à étendre sa domination sur l’Océan Indien et la Mer Rouge visant
à contrôler la route et le commerce des épices. La flotte ottomane se
joignit donc à la flotte mamelouk dans son combat contre cet ennemi
venu d’ailleurs.
La souveraineté ottomane sur le monde musulman
La menace que faisaient peser les Safavides était d’une tout autre nature
que celle ressentie du côté des Mamelouks. L’émergence de la dynastie
safavide en Iran avec Shah Ismail, donna naissance à un Etat
militairement puissant et idéologiquement hostile aux Ottomans. Le
chiisme, branche de l’islam favorisée par les Safavides, attirait aussi au
sein même de l’Empire ottoman beaucoup de forces dissidentes qui se
sont ralliées à la nouvelle dynastie en Iran à l’incitation de Shah Ismail.
Une série de soulèvements d’inspiration chiite parmi les tribus de l’est
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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anatolien durant les dernières années du règne de Bayezid II ont vu
le jour et se sont multipliés sous l’effet de la propagande safavide. Le
soutien apporté par les Turkmènes aux Safavides n’était pas seulement
d’ordre religieux sectaire, mais aussi politique, dans la mesure où ils
étaient mécontents du système de taxation tel qu’il était établi par les
Ottomans. Tirant avantage de ces mécontentements, Shah Ismail en
usa pour faire pression sur les Ottomans. Aussi, en 1511, un soulèvement
mené par les Shahkulu éclata dans l’ouest de l’Anatolie. Mais la
difficulté à écraser ce soulèvement fit l’objet de critiques de la part du
prince Selim, gouverneur de la province de Trébizonde et très attentif
aux agissements de Shah Ismail. Il pensait que les précautions prises
contre le Shah étaient loin d’être satisfaisantes et qu’il était nécessaire
d’adopter une attitude plus ferme.
En attendant, une lutte de succession éclata entre les fils du sultan
vieillissant. Selim qui avait l’appui des janissaires, accéda au trône en
1512 après avoir renversé son père, malgré le soutien apporté par plusieurs
fonctionnaires de l’Etat au prince Ahmad. Une fois son règne
consolidé à Istanbul, Selim Ier (dit ‘le Cruel’ ou ‘l’Inflexible’, ‘Yavuz’ en
turc) entreprit des pourparlers de paix avec les Etats européens, car sa
priorité était de traiter avec Shah Ismail et les Mamelouks. Sous son
règne, le mouvement de conquête changea de direction de l’Ouest vers
l’Est. C’est ainsi qu’en 1514 il vainquit les Safavides à la bataille de
Tchaldiran obligeant Shah Ismail à s’échapper du champ de bataille.
Poursuivant son objectif de détruire l’Etat safavide, le sultan Selim progressa
aussi loin que Tabriz, mais dut rebrousser chemin à cause des
troubles surgis au sein de l’armée. L’est anatolien fut sécurisé pour un
temps et la menace d’un séparatisme religieux écartée. Les Ottomans
s’emparèrent au passage des plus importants centres de commerce sur
la route de la soie qu’étaient Tabriz-Alep et Tabriz-Bursa, ce qui assura
de grands profits au Trésor ottoman. D’autre part, l’annexion du territoire
des Dulkadirites en 1515 mit pour la première fois les Ottomans
en contact direct avec l’Empire mamelouk. Les Portugais avaient alors
détruit une grande partie du commerce arabe musulman dans l’Océan
Indien et menaçaient les Villes Saintes de la Mecque et de Médine. Les
gouverneurs de ces deux villes espéraient envoyer un émissaire auprès
du sultan Selim I er pour solliciter son aide contre les Portugais, mais le
sultan mamelouk s’y opposa. Selim I er avait hâte de prendre le contrôle
des possessions mamelouks afin de sécuriser la route commerciale de
l’est qui a été dévoyée aux dépens des Ottomans suite à l’incursion
portugaise dans l’Océan Indien et dans la Mer Rouge. Finalement, en
1516, Selim conquit la Syrie et un an plus tard envahit le Caire mettant

ainsi fin au pouvoir politique et militaire mamelouk et ramenant de
facto les Villes Saintes et tout le Hedjaz sous le contrôle ottoman. Le
chérif de la Mecque s’empressa de faire acte d’obédience aux Ottomans
et reconnut le sultan ‘serviteur des deux Lieux Saints’ qui impliquait la
remise des saintes reliques du Prophète Mohammad. Ce qui fit de Selim
le chef le plus illustre du monde musulman. L’une des conséquences
de la défaite mamelouk c’est que le califat passa au sultanat ottoman.
En son temps, le califat abbaside était passé sous la protection des Mamelouks
du Caire lorsque ceux-ci réussirent à battre les Mongols en
1258. En fait, les sultans ottomans utilisaient déjà ce titre de Calife
depuis Murad I er , convaincus qu’ils devaient suivre l’exemple du Calife
en garantissant la sécurité des routes du hadj (pèlerinage à la Mecque),
la protection des Lieux Saints et en assurant l’expansion et la défense
de l’islam.
Selim le Terrible visait, entre autres objectifs, à étendre son hégémonie
sur l’Inde pour chasser la flotte portugaise de la région, car les Portugais
faisaient peser la menace sur les terres saintes de l’islam autant
que sur les routes traditionnelles du commerce des Ottomans. La campagne
d’Egypte montra cependant les limites de la puissance navale
ottomane. C’est ainsi qu’au retour de la campagne d’Egypte fut créé
un chantier naval sur la Corne d’Or. A la mort de Selim I er en 1520,
l’Empire s’étendait de la Mer Rouge à la Crimée, de Tabriz à la Bosnie,
devenant de fait un sérieux rival et un élément incontournable dans les
relations politiques internationales de l’époque. En outre, les migrations
massives des Turcs musulmans vers les Balkans ancrèrent durablement
les mutations des structures démographiques et ethniques de
cette région.
L’âge d’or de l’Empire ottoman (1520-1566)
Soliman hérita du trône sans autre prétendant et entama le gouvernement
d’un Empire puissant. Son règne aura été le plus long de tous les
sultans ottomans, de 1520 à 1566. Il fut connu en Occident comme le
Magnifique et pour les Turcs il était célèbre comme étant le Législateur
(Kanuni) en vertu des réformes profondes qu’il apporta au système
juridique ottoman. Il était également connu pour être un souverain
équitable et un fervent adversaire de la corruption et s’était distingué
comme un grand poète islamique. Considéré comme l’un des souverains
les plus importants d’Europe au XVIème siècle, il était un rival
respecté du Saint Empereur Romain Charles Quint (1519-1556), de
François Ier de France (1515-1547), d’Henri VIII d’Angleterre (1509-
1547), de Sigismond II de Pologne (1548-1572) et d’Ivan IV de Russie
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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dit Ivan le Terrible (1530-1584). Sous son règne, l’Empire ottoman
connut son âge d’or et devint une puissance mondiale incontournable.
En succédant à son père, Soliman dut affronter une révolte menée par
le gouverneur ottoman nommé à Damas et provoquée par Shah Ismail.
Une fois les frontières de l’est consolidées, Soliman le Magnifique porta
son attention vers l’Ouest où deux obstacles entravaient l’expansion ottomane
: la Hongrie et Rhodes. Sa priorité était de conquérir Belgrade,
deux fois assiégée sans succès par Mehmed II et qui constituait une
première étape à l’évincement des Hongrois demeurés la seule grande
puissance freinant l’expansion ottomane vers l’Europe. Belgrade tomba
en août 1521 après une série de bombardements intenses lancés à partir
d’une île située sur le Danube. La ville devenait une base importante
pour l’armée ottomane dans ses expéditions vers l’Europe.
Conquêtes en Europe
Face au soutien apporté par les Chevaliers de Rhodes à ceux qui s’opposaient
au pouvoir ottoman, il devenait maintenant indispensable à
Soliman de régler l’affaire de l’île. A l’été 1522, il envoya une armada
de quelques 4000 navires hérités de la flotte de son père vers l’île de
Rhodes. Au même moment, il dirigea en personne une armée de 1000
soldats à travers l’Asie mineure, à un point opposé à l’île de Rhodes.
Au bout de cinq mois d’un terrible siège, Rhodes capitula. Soliman
consentit à laisser partir les Chevaliers qui firent route vers Malte où
ils fixèrent leur nouvelle base. En écartant ainsi toute menace sérieuse,
Soliman put reprendre sa campagne en Europe de l’est et d’abord en
Hongrie. Il devint un acteur majeur dans la politique européenne en
poursuivant une diplomatie déstabilisante à la fois pour l’Eglise Catholique
Romaine et pour le Saint Empire Romain, stratégie qui allait
assurer à l’Empire ottoman un pouvoir considérable.
L’ambition poursuivie par la campagne de Hongrie avait un double enjeu
: d’une part, étendre les territoires de l’Empire, de l’autre, semer des
dissensions entre les Hongrois et les autres Etats européens. Pendant
que Soliman était occupé par les préparatifs de la campagne, François
Ier de France - vaincu par le Saint Empereur Romain Charles Quint à
Pavie en 1525 - incita les Ottomans à attaquer les Habsbourgs et ce fut
l’occasion rêvée d’intervenir dans les affaires politiques européennes. Le
29 août 1526, Soliman infligea une défaite à Louis II de Hongrie lors
de la bataille de Mohács où il trouva la mort. La résistance hongroise
ainsi que le pouvoir central s’effondrèrent à la suite de cette bataille.
Soliman entra à Buda et plaça sur le trône Jean Zsapolyai ( Jean I er

de Hongrie) qui bénéficiait de l’appui des adversaires des Habsbourgs.
Contrairement à Soliman, certains nobles hongrois proposèrent de désigner
roi de Hongrie l’Archiduc Ferdinand d’Autriche qui était lié à
la famille de Louis II par des liens matrimoniaux. Ces nobles hongrois
qui s’opposaient à Soliman invoquaient des accords passés selon lesquels
les Habsbourgs devenaient les successeurs légitimes au trône au
cas où Louis II viendrait à mourir sans héritier. Il s’ensuivit un conflit
qui opposa trois camps après que Ferdinand tenta de soumettre son
autorité au royaume de Hongrie. Deux rois se firent ainsi concurrence :
Ferdinand au nord-ouest de la Hongrie, et Jean I er en Hongrie centrale
et en Transylvanie. Et ce fut le début d’une guerre interminable entre
Ottomans et Habsbourgs.
Trois ans plus tard, Soliman mena une nouvelle campagne contre la
Hongrie pour affirmer la suprématie de Jean. Ferdinand n’osa pas se
battre contre les troupes ottomanes qui réinvestirent Buda en 1528
mais qui échouèrent l’automne d’après devant Vienne assiégée. En
1531, Ferdinand reprit Buda obligeant Soliman à reprendre sa campagne
contre lui. Cette fois-ci, il voulait organiser une bataille rangée
contre les Ottomans avec l’appui de son allié l’empereur Charles Quint.
Les Ottomans s’enfoncèrent dans les terres autrichiennes, mais Ferdinand
s’abstint de les affronter en une bataille rangée. Les Ottomans
durent donc rebrousser chemin en direction de l’Anatolie pour combattre
les Safavides. Soliman trouva un arrangement avec Ferdinand
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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qui concéda le titre de roi à Jean et accepta de payer tribut pour les territoires
qui étaient sous son autorité. La question du choix d’un héritier
pour le trône de Hongrie refit surface à l’occasion de la mort de Jean
I er en 1540. Ferdinand en profita pour assiéger Buda, ce qui contraignit
Soliman à revenir avec ses troupes en Hongrie. La conséquence en fut
une partition du royaume en trois : la plupart du territoire correspondant
à la Hongrie d’aujourd’hui fut annexé en tant que Beylerbeyi de
Buda (gouvernement provincial) ; le fils de Jean Ier Zsapolyai fut installé
comme souverain indépendant de la principauté de Transylvanie
qui était un Etat vassal de l’Empire ottoman ; Ferdinand revendiquait
la ‘Hongrie royale’ dans le nord et le nord-ouest, fixant temporairement
les frontières entre les Habsbourgs et les Ottomans, et accepta de payer
un tribut à la Porte. La lutte entre Ottomans et Hongrois ne cessa
pas pour autant durant le règne de Soliman, mais sans déplacements
significatifs des frontières.
Les luttes ne se limitaient pas au seul continent européen, elles se déplaçaient
aussi sur le terrain des batailles navales en Méditerranée.
Les conquêts à l’est
Tirant parti de l’engagement des Ottomans en Europe, les Safavides
ne cessèrent de les harasser à l’est. En réalité, ce sont les Habsbourgs
qui attisèrent les tensions entre Ottomans et Safavides afin de contrebalancer
l’alliance franco-ottomane à l’ouest. En 1533-1534, Bagdad
et Tabriz passèrent sous la domination des Ottomans intégrant du
même coup sous leur contrôle la route de la soie et la route des épices
de Bagdad-Basra - qui étaient vitales pour l’économie ottomane. Dans
l’espoir d’en finir avec Shah Ismail, Soliman s’embarqua dans une seconde
expédition en 1548-1549. Mais le shah, à l’instar de ce qu’il fit
précédemment, évita tout affrontement avec l’armée ottomane et choisit
de se retirer. Cette campagne permit aux Ottomans de prendre Van
et ses environs ainsi que quelques places fortes en Géorgie. En 1553,
Soliman Ier engagea sa troisième et dernière campagne contre le Shah
qui se conclut par l’accord d’Amasya en 1555 au terme duquel les Safavides
acceptèrent de reconnaître la souveraineté ottomane sur Bagdad,
Tabriz et l’Anatolie de l’est, mettant ainsi fin à un état de guerre qui
avait commencé dans les années 1514.
Suprématie en Méditerranée
Depuis l’époque de Mehmed II, les Ottomans accordèrent une grande
importance à l’amélioration de leur flotte, et devint même une question
centrale au temps de Selim Ier alors que les Portugais s’imposèrent, grâce

à leur flotte, comme pouvoir dominant sur la route des épices asiatique.
1517 marqua un tournant dans l’histoire de la flotte ottomane lorsque
Hizir Bey en prit le commandement — appelé également Barberousse
Khayr ad-Din Pacha qui avait conquis Alger et s’était proclamé Bey.
En 1534 il fut nommé amiral en chef (Kaptan-ı Derya) et chargé de
reconstruire la flotte ottomane. Bientôt celle-ci allait égaler toutes les
flottes mises ensemble des autres pays du pourtour méditerranéen. La
forteresse stratégique de Coron en Morée (le Péloponnèse) perdue au
profit de Charles Quint et grâce à son amiral Andrea Doria en 1532,
fut reprise en 1533 et la ville de Tunis passa sous domination ottomane.
En 1535, cependant, Charles Quint remporta une victoire importante
contre les Ottomans à Tunis. Mais la flotte de Barberousse reprit le
dessus en infligeant une défaite à la flotte espagnole à la Bataille de
Préveza en 1538, ce qui assura le contrôle ottoman sur la Méditerranée
orientale durant 33 ans. La flotte ottomane remporta encore quelques
victoires significatives en Méditerranée contre les Espagnols, mais fut
défaite devant Malte en 1565.
Quant aux Portugais, les Ottomans observaient de près leurs agissements
dans la Mer Rouge et l’Océan Indien depuis le temps de Bayezid
II. En 1530, ils réinvestirent le Golfe de Basra et reprirent la Mer
Rouge à la flotte portugaise. Tous ces efforts de la part des Ottomans
étaient destinés à sécuriser les routes commerciales de l’Inde. En 1538,
une flotte ottomane soumit Aden (à l’entrée de la Mer Rouge). Après
l’annexion de Basra en 1547, une nouvelle flotte fut mise sur pied. Les
Portugais tentèrent de faire obstacle à l’hégémonie ottomane dans le
golfe Persique en construisant les forteresses de Muscat et Hormuz,
deux places stratégiques qui contrôlaient l’entrée du golfe. Piri Reis prit
le commandement de la flotte ottomane dans l’Océan Indien et fut
l’amiral de la flotte à suez. Grâce à lui, les Ottomans reprirent Aden
de la main des Portugais en 1549. Il mit le siège devant Hormuz après
avoir pris en 1552 la forteresse de Muscat qu’occupaient les Portugais
depuis 1507. Mais voyant sa flotte encerclée par celle des Portugais,
Piri Reis dut retourner en Egypte. Aucun de ses successeurs ne parvint
à mettre fin à la suprématie portugaise dans l’Océan Indien et dans le
golfe Persique, et ce principalement en raison de la constitution de la
flotte ottomane qui comptait des galères munies de canons à courte
portée. Il reste que grâce à ces expéditions contre les Portugais, les Ottomans
réussirent à les empêcher de s’installer à Aden, dans la Mer
rouge et sur les côtes du golfe Persique. Dans la foulée, les Ottomans
imposèrent leur contrôle sur le Yémen et les côtes sud de l’Arabie.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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A la mort de Soliman le Magnifique en 1566, les territoires de l’Empire
ottoman s’étendaient de la Péninsule arabique à la péninsule des
Balkans. Et ce n’était pas encore la fin de l’élargissement de l’Empire
puisque de nouvelles conquêtes allaient s’accomplir jusqu’au milieu du
XVIIème siècle. De leur côté, n’ayant plus d’adversaires dans l’Océan
Indien, l’émergence des Portugais marqua l’avènement d’une puissance
mondiale en Europe. Les Ottomans ne pouvaient rivaliser avec une
puissance navale dans le pacifique bien que leur force navale fit ses
preuves en Méditerranée. De même, ils ne pouvaient bénéficier de la
manne commerciale fournie par les routes atlantiques, ils continuaient
à profiter du commerce méditerranéen encore florissant. Partant, l’économie
européenne, qui se plaçait loin derrière celle des Ottomans,
commença à se développer plus rapidement. Quoiqu’il en soit du développement
de l’Europe, les Ottomans demeuraient l’Etat le plus puissant
au monde jusqu’au XVIIème siècle. Mais il se peut qu’ils n’aient
pas pris toute la mesure des effets négatifs qui allaient en découler à
l’intérieur et hors de l’empire. Cela ne signifie pas nécessairement que
les Ottomans méconnaissaient l’essor européen compte tenu des tentatives
pour freiner l’avancée portugaise dans l’Océan Indien.
Les conquêtes ottomanes après Soliman Ier Après la mort de Soliman, l’Empire fut gouverné par une série de sultans
incompétents. Selim II (1566-1574), fils de Soliman, fut le premier
sultan qui ne mena aucune campagne. Il fut pourtant l’homme qui
traça les contours d’une politique de conquête de l’Empire, malgré que
le grand vizir Sokullu Mehmed Pacha dirigeât la plupart des affaires
de l’Etat. Ce dernier n’était pas favorable à une conquête de Chypre
craignant que cela puisse provoquer une nouvelle croisade. Chypre fut
finalement prise aux Vénitiens en 1571. Les campagnes du Hedjaz et
du Yémen furent également couronnées de succès. Mais une expédition
navale la même année, sous l’égide de l’Espagne et de l’Italie, pour
sauver Chypre, asséna une défaite cuisante aux Ottomans à Lépante
(Inebahtı en turc). Mais tout de suite après, les Ottomans allaient
démontrer leur supériorité en Méditerranée, dont ils avaient déjà fait
preuve à Préveza en 1538. Ils reconstruirent rapidement leur flotte et
reprirent le contrôle de la Méditerranée orientale.
Au temps de Selim, les Ottomans percevaient la Russie comme une
figure menaçante depuis qu’elle avait conquis Astrakhan en 1556. En
effet, depuis le début du XVIème siècle, la Russie gagnait de plus en
plus en puissance. A l’été 1569, Sokullu Mehmed Pacha élabora un
plan pour unir la Volga et le fleuve du Don à l’aide d’un canal, afin de

prévenir toute extension des Russes plus avant vers le sud. La conquête
des khanats de Kazan et d’Astrakhan et ce qui restait après l’éclatement
du territoire de la Horde d’Or, permit d’une part de circonscrire
les Safavides à la mer Caspienne, d’autre part de rendre les Ottomans
maîtres des routes de commerce d’Asie centrale situées à l’ouest. L’un
des buts de ce projet était d’atteindre les musulmans sunnites d’Asie
centrale avec le concours desquels les Ottomans pouvaient contenir les
Safavides.
L’autre projet de Sokullu Mehmed Pacha était d’ouvrir le canal de Suez
pour mieux contrôler les routes de commerce indiennes. Mais ce plan
resta lettre morte. Les Ottomans atteignirent néanmoins la mer Caspienne
en 1590 après une série de victoires contre les Safavides, sans
pour autant parvenir à imposer leur autorité longtemps.
Les frontières de l’est sécurisées pour un temps, les Ottomans dirigèrent
une nouvelle fois leur attention vers l’ouest où les tensions étaient
latentes depuis 1587. La guerre contre l’Autriche débuta en 1593 et allait
durer 14 ans sans aucun avantage au final pour les Ottomans. L’Autriche
organisa une croisade afin de reprendre aux Ottomans les Etats
vassaux de Valachie, Bogdan et la Transylvanie. Mehmed III - qui fut
contraint de prendre le commandement de son armée - vainquit les
Croisés à la Bataille de Keresztes (Haçova en turc, dans le nord de la
Hongrie) en 1596. Au beau milieu de la bataille, on dut dissuader le
sultan de fuir le champ d’affrontement. Mais ce ne fut pas la fin de la
guerre austro-ottomane qui devait durer jusqu’en 1606. Au moment
où les Safavides attaquaient à l’est, un soulèvement des protestants en
Transylvanie obligea les deux parties à signer en 1606 un accord dit
de ‘La paix de Zsitvatorok’. Avec cette paix, les ceci sultans ottomans
devenaient les égaux des empereurs autrichiens et annonça un tournant
dans la diplomatie et la politique étrangère de l’Empire ottoman. D’autant
que cette époque marqua le début de la fin de l’expansion ottomane
dans la mesure où les Habsbourgs en Europe centrale et les Safavides
en Asie centrale constituaient de solides barrières contre toute avancée
des Ottomans. De son côté, la Russie apparue comme un pouvoir fort
dans la région, bloquait l’expansion ottomane vers le nord.
B. Crises et consolidation (1600-1774)
Comme il a été dit, après la mort de Soliman Ier , les conquêtes se poursuivirent
mais à un rythme plus lent. Certains changements intervinrent
dans le système classique de l’administration ottomane. Du reste,
contrairement aux sultans ottomans qui commandaient traditionnel-
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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lement leurs troupes durant une campagne, Selim II - fils de Soliman
- et son fils Murad III (1574-1595), se désengagèrent des affaires
militaires. Vers la fin du XVIème siècle, les sultans ottomans abandonnèrent
la pratique du fratricide mais restaient méfiants à l’égard de la
loyauté filiale. Mehmed III (1595-1603) fut le dernier sultan qui eut
recours au fratricide et qui fit assassiner son fils. Les frères du sultan
furent enfermés au harem du palais. Alors qu’ils vivaient dans le luxe,
ils durent restés cloîtrés dans de petites pièces isolés du monde : on
appelait cela le système des cages (kafes). La coutume de confier le
gouvernement provincial aux princes pour les préparer au sultanat fut
également délaissée. Un nouveau code juridique fut introduit par le
sultan Ahmed Ier (1603-1617) stipulant que le trône reviendrait au
plus ancien membre de la dynastie ottomane.
Au début du XVIIème siècle, l’Empire ottoman était encore l’Etat le
plus puissant dans le monde d’alors sur le plan de la richesse et de la capacité
militaire. Pourtant, le style de pratique gouvernementale cultivé
parmi les premiers sultans avait complètement disparu à cause des ajustements
apportés au système de succession, et dès lors que les sultans
accédèrent au trône sans préparations préalables - c’est-à-dire la charge
de gouverneur provincial et les luttes sanglantes pour la succession - ils
devinrent moins compétents et eurent plus de mal à tenir leur propre
maison ainsi que les affaires de l’Etat. Ce déclin du pouvoir du sultanat
est considéré comme l’une des causes principales de la crise dans l’Empire.
Aussi, la désintégration de l’Empire entraîna un déplacement du
centre du pouvoir en son sein. Des luttes de pouvoir se manifestèrent
dans de nombreux milieux de l’administration : le grand vizir, le Divan
ou Conseil Suprême, et surtout parmi les janissaires ; par conséquent,
ce fut le début d’une longue instabilité du pouvoir au sein du gouvernement,
sans oublier l’influence grandissante des mères des sultans
(Valide sultan) dans les affaires de l’Etat. Elles étaient un maillon clé
dans les réseaux de complots, et ce depuis la Hürrem Sultan (Roxelane),
femme de Soliman le Magnifique. Avec elle, le palais principal
des femmes –celui de la mère du sultan et de ses femmes– acquit une
influence grandissante pouvant aller jusqu’à la nomination à des postes
élevés au sein de l’Empire. En réalité, ce dont avait besoin l’Empire en
ce temps là c’était d’un sultan puissant aux commandes au moment où
l’Empire faisait face à de graves problèmes sociaux et économiques.
En effet, depuis la seconde moitié du XVIème siècle, l’Empire connaissait
une inflation préoccupante en raison de l’affaiblissement de son
autorité sur les routes traditionnelles du commerce maritime asiatique

au profit des européens. Les mutations démographiques furent l’autre
cause de l’inflation : alors que la population croissait considérablement,
le nombre des terres cultivables de l’Empire –dont l’économie
était principalement basée sur l’agriculture– stagnait. La dévaluation
provoqua inévitablement la hausse des prix des marchandises due à
l’augmentation de la population, et cela accrut les besoins du Trésor
pour financer les réformes du système militaire. Les métaux précieux
importés d’Amérique affectèrent tout aussi défavorablement l’économie
ottomane.
Par ailleurs, l’importance qu’accordaient les monarques européens à
l’infanterie munie d’armes à feu, poussa les Ottomans à faire de même,
exigeant ainsi des transformations dans leur système militaire classique.
Le système financier devait à son tour s’adapter à cette politique militaire.
Comme les corps d’infanterie devenaient un facteur décisif dans
la guerre, particulièrement avec les Habsbourgs, les hommes d’Etat
ottomans durent recruter des mercenaires armés parmi leurs sujets :
ceux-ci sont connus sous le nom de ‘infanterie sekban’.
Les Ottomans encouragèrent également les pachas et nobles provinciaux
fortunés à recruter des fantassins sekban pour remplacer les spahis
timariotes (la cavalerie). Parallèlement aux nouveaux recrutements
de fantassins, le nombre des janissaires allait croissant — alors que se
dégradaient la discipline et l’efficacité. Tout cela faisait peser un fardeau
supplémentaire sur l’économie ottomane. Pour faire face à ces dépenses
militaires, les Ottomans introduirent un nouveau système de fiscalité
connu sous le nom de ‘Iltizam’. Les Iltizam étaient affermés par l’Etat
à de riches notables (mültezim) qui prélevaient cinq fois la valeur du
montant fixé de l’impôt en taxant les paysans et récoltant les productions
agricoles. Les fantassins sekban, qui ne percevaient pas de salaire
en temps de paix, se rebellèrent sous la conduite des puissants Jelalis.
Plusieurs terres cultivées et des villages furent abandonnés.
De retour à Istanbul, les janissaires terrorisaient les responsables et le
peuple. Ils devinrent d’influents acteurs dans le gouvernement et cela
est dû principalement à la détérioration du système du devchirmé. Tout
au long du XVIIème siècle, les janissaires se sont petit à petit accaparés
des postes militaires et administratifs importants dans le gouvernement
et les ont transmis à leurs enfants, très souvent en soudoyant
quelques-uns. En prenant de l’ascendance dans les affaires du pouvoir,
les janissaires fomentèrent des révoltes afin de faire accéder au pouvoir
l’homme de leur choix avec parfois l’aval des Valide sultanes.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Après Soliman Ier, les sultans ottomans étaient trop crédules pour pouvoir
surmonter de tels troubles. Osman II (1618-1622), dit ‘Le Jeune’
(Genç), tenta de restaurer l’autorité des sultans mais fut assassiné par
les janissaires. Lui succéda Murad IV âgé de 8 ans et fils d’Ahmad I er .
Le jeune Murad IV demeura longtemps sous le contrôle de sa mère, la
passionnée sultane Kosem qui gouverna à travers lui. L’Empire tomba
dans l’anarchie : les Safavides envahirent l’Irak, des révoltes éclatèrent
en Anatolie du nord, et en 1631, les janissaires prirent d’assaut le palais
et tuèrent entre autres le grand vizir. Murad VI, craignant de subir le
même sort que son frère aîné Osman II, résolut d’affirmer son autorité.
Il voulut s’attaquer à la corruption qui gangrenait le système depuis les
sultans précédents et qu’il ne put régler au temps de la régence de sa
mère. Il parvint à limiter le gaspillage financier du gouvernement. Et
dans la foulée, il prohiba l’alcool et le tabac à Istanbul.
L’un des plus remarquables exploits de Murad IV fut la victoire contre
les Safavides qui permit aux Ottomans de récupérer Tabriz, Hamadhan
et Bagdad en 1638. Il dirigea lui-même la campagne d’Iran et d’Irak
et se révéla un extraordinaire commandant sur le champ de bataille. Il
fut le dernier sultan ottoman à commander une armée sur le champ de
bataille. La campagne contre les Safavides se termina en 1539 par la
signature d’un accord appelé le Kasr-i Shirin. Durant cette expédition,
il soumit les rebelles en Anatolie et restaura l’ordre de l’Etat. Mais cette
accalmie ne dura pas longtemps puisqu’il mourut à l’âge de 27 ans.
Son frère Ibrahim lui succéda (1640-1648) et avec lui les intrigues et
les révoltes que Murad IV en son temps avait réussi à apaiser ont tôt
fait de resurgir.
Ibrahim était incapable de prendre en charge le gouvernement après
qu’il ait été ‘relâché’ de la ‘cage’ (kafes). Il n’avait reçu aucune éducation
sur la lourde tâche qui l’attendait, à savoir gouverner un immense
Empire. Plusieurs historiens pensent qu’il était atteint d’une maladie
mentale et il est probable que son état mental fut gravement affecté
par son long séjour dans le kafes du palais. Durant son règne, l’Empire
ottoman était au bord de l’effondrement. On craignit également qu’il
ne mît fin à la dynastie étant donné qu’il n’avait pas d’enfant mâle. Par
chance, il eut un fils, Mehmed, ce qui sauva l’existence de l’Empire.
Au début, Ibrahim se tint à l’écart des affaires politiques, mais il finit
par s’investir dans les affaires du pouvoir et exécuta un grand nombre
de vizirs. Néanmoins, il ne put mettre fin aux intrigues du palais. Il
fut assassiné par un coup d’Etat en 1648. Ce fut une aubaine que les
Européens étaient tout occupés avec la guerre de trente ans (1618-

1648) quand les Ottomans affrontaient les Safavides et faisaient face à
d’autres problèmes sans craindre qu’un danger vienne de l’ouest.
La période des Köprülü
Lorsque Mehmed IV (1648-1687) succéda à son père, il avait à peine 7
ans. Sa grand-mère, Kosem Sultan fut la régente de 1648 à 1651. Cette
situation créa une vacance du pouvoir : sans surprise, l’appareil de l’Etat
était pratiquement contrôlé par le chef des janissaires et les spahis qui
jouaient un rôle déterminant dans le choix des vizirs. Ces chefs de l’armée
terrorisaient le pays et n’hésitaient pas à éliminer tous leurs rivaux.
La structure politique et économique de l’Empire n’en devint que plus
vulnérable. Les luttes parmi les plus âgées des femmes du palais causèrent
encore plus de dommages à l’Etat étant donné qu’elles prenaient
une part active dans les activités de complot au sein du palais. L’affrontement
ouvert entre Kosem sultan et Turhan Hadice Sultan –mère de
Mehmed IV– se termina par l’étranglement de la première. Turhan, qui
n’était pas aussi passionnée que sa belle-mère, devint régente. Peu après,
les chefs et leurs complices furent pendus.
Entre temps, les Ottomans avaient envahi la Crète en 1644 en représailles
de la capture d’un navire ottoman faisant route vers l’Egypte par
les corsaires maltais en Crète. Hania, la deuxième grande ville de Crète,
tomba aux mains des Ottomans. Mais la guerre dura plus longtemps
que prévu puisque les Vénitiens bloquaient l’embouchure du Bosphore
et les ports de Morée (le Péloponnèse). En 1656, la panique gagna
Istanbul à l’annonce de la défaite des Ottomans par une flotte vénitienne
à l’entrée des Dardanelles et la prise des îles Ténédos et Lemnos.
Turhan Sultan chercha un homme compétent pouvant faire face aux
difficultés que vivaient l’Empire. Elle désigna Mehmed Köprülü, un
homme âgé, grand vizir en octobre 1656 et se retira des affaires de
l’Etat. Mehmed IV, connu comme ‘Le Chasseur’ (Avcı) -cette activité
occupait en effet le plus clair de son temps - renonça à la plupart de ses
prérogatives au profit de son grand vizir. Dès lors, la famille Köprülü
allait dominer la scène politique pour 28 ans. Cette période est désignée
par ‘époque des Köprülü’ (1656-1683). Pour la première fois dans
l’histoire ottomane, une période est désignée du nom du grand vizir
plutôt que de celui du sultan.
Durant les gouvernements de Mehmed Pacha Köprülü (1656-1661)
et de Fazil Ahmad Pacha Köprülü (1661-1676), l’Empire ottoman retrouva
une certaine gloire de l’époque de Soliman I er . Ils reprirent les
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
93

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
94
îles de la Mer Egée des Vénitiens et menèrent des campagnes victorieuses
contre la Transylvanie en 1664 et la Pologne en 1670-1674. Ils
réussirent également à mettre fin aux révoltes des janissaires. A la mort
de Mehmed Pacha en 1676, l’Empire était de nouveau stable et puissant.
Kara Mustapha Pacha, le dernier membre de la famille Köprülü,
prit la suite d’Ahmad Pacha comme grand vizir.
L’Empire Ottoman fournissait une assistance militaire aux Hongrois
et aux minorités non catholiques habitant les territoires occupés par les
Habsbourg en Hongrie. En 1681, les protestants et autres forces anti-
Habsbourg menés par Imre Thokoly se rebellèrent contre Léopold I er
et firent appel à l’aide des Ottomans. Ces derniers reconnurent Imre roi
de la ‘Hongrie supérieure’ –correspondant à l’est de la Slovaquie et des
parties du nord-est de la Hongrie actuelle– et décidèrent de marcher
contre l’Autriche. La prise de Vienne constituait depuis longtemps
un objectif stratégique d’importance pour les Ottomans puisqu’elle
contrôlait le croisement des routes danubiennes du sud de l’Europe (de
la mer Noire à l’Europe de l’ouest) et des routes commerciales terrestres
(de la Méditerranée orientale à l’Allemagne).
La première grande défaite
En septembre de l’année 1683, les troupes ottomanes commandées
par le grand vizir Kara Mustapha Pacha mirent le siège devant Vienne
après avoir vaincu l’armée dirigée par Charles V, duc de Lorraine. Cependant,
l’armée ottomane fut défaite par une Ligue catholique menée
par le roi polonais Jean III Sobieski. La trahison de Murad Giray, Khan
de Crimée, fut l’une des raisons de la défaite ottomane. Mustapha Pacha
avait demandé à Murad Giray de freiner l’avancée de Jean Sobieski
sur le Danube, mais celui-ci n’entreprit aucune action contre les troupes
polonaises. La bataille de Vienne mit fin à l’hégémonie ottomane dans
le sud de l’Europe. En 1684, une nouvelle Ligue Sainte fut lancée par
le Pape Innocent XI et comprenait le Saint Empire romain dirigé par
les Habsbourg d’Autriche, la République de Venise et la Pologne. En
1686, la Russie rejoignit la Sainte Ligue. Les Ottomans durent affronter
la Sainte Ligue sur plusieurs fronts pendant 16 ans. Finalement, la
Sainte Ligue sortit victorieuse en 1699 et força les Ottomans à signer
le Traité de Karlowitz. En conséquence de quoi, les Ottomans durent
céder une grande partie de la Hongrie, de la Transylvanie et de la Slovénie
à l’Autriche, tandis que la Podolie passa aux mains de la Pologne.
De même, Venise s’empara de la majeure partie de la Dalmatie et du
Péloponnèse. La Russie fit main basse sur la forteresse d’Azov durant
la guerre et étendit ses territoires jusqu’à la Mer Noire.

Le Traité de Karlowitz marqua ainsi le début du déclin ottoman dans
l’Europe de l’est et fit de la monarchie des Habsbourg la puissance
dominante du moment en Europe centrale. Il restait aux Ottomans à
réorganiser leur flotte et leur armée. Ils devaient aussi bien remanier le
fonctionnement financier et administratif de l’Empire en accord avec
les nouvelles pratiques étatiques européennes plutôt que suivre leurs
pratiques traditionnelles. L’un de leurs objectifs du moment était de
récupérer les territoires perdus avec le Traité de Karlowitz. Pour ce
faire, ils durent mener une série de guerres contre la Russie, Venise et
l’Autriche. Ils marquèrent quelques victoires importantes lors de ces
guerres.
Une série de guerres pour une reconquête
des territoires perdus
L’ambition de Pierre le Grand d’avoir un accès à un port des mers du
sud conduisit inévitablement à un conflit avec les Ottomans. Il convoitait
la mer d’Azov, puis de là Istanbul et finalement les détroits du
Bosphore avec un œil sur la Méditerranée. Les Ottomans de leur côté
voulaient rétablir leur position dans la mer d’Azov. Le conflit qui se
préparait éclata lorsque Pierre le Grand s’attira l’hostilité des Suédois
durant ses campagnes dans le nord. Carl XII de Suède envahit la Russie
mais fut vaincu à Poltava en 1709, et pour ne pas être fait prisonnier,
il chercha asile en Turquie qui lui fut accordé par le sultan Ahmad III
(1703- 1730). Pierre le Grand envoya son ambassadeur, Tolstoï, pour
demander qu’il soit extradé mais essuya un refus. Et comme les Russes
s’obstinaient, Ahmad III fit emprisonner l’ambassadeur dans la forteresse
des Sept Tours à Istanbul (Yedikule Zindanı en turc) entraînant
la guerre entre les deux pays.
En juillet de l’année 1711, les troupes ottomanes défirent l’armée russe
à Prout. Pour des raisons mystérieuses, les ottomans furent incapables
de tirer avantage de cette victoire qui leur aurait permis d’avancer
jusqu’à Moscou. Au lieu de cela, Pierre le Grand fut contraint selon
les termes du Traité de Prout de retirer son ambassade permanente à
Istanbul et de céder la mer d’Azov qui était sous contrôle russe depuis
1700. En battant ainsi l’un des membres de la Sainte Ligue, les Ottomans
reprirent de l’assurance. Ils se tournèrent alors vers Venise en
plein déclin et récupérèrent la majeure partie du Péloponnèse. Sachant
bien qu’elle serait la prochaine cible, l’Autriche s’empressa de former
une alliance offensive avec Venise en 1716, obligeant les Ottomans affaiblis
à accepter les accords du traité de paix de Passarowitz en 1718,
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
96
selon lequel tout le Péloponnèse resterait aux mains des Ottomans,
Belgrade et Timisoara (Temeşvar en turc) seraient cédés à l’Autriche.
La perte de Belgrade fut le signe de la vulnérabilité de la position ottomane
dans les Balkans.
L’Ère des Tulipes (1718-1730)
Face à de telles pertes, le grand vizir Damad Ibrahim Pacha –celui-là
même qui avait signé le Traité de Passarowitz avec l’Autriche– pensait
à juste titre que l’Empire avait besoin de mener certaines réformes susceptibles
de mettre fin aux gaspillages et à la corruption politique et
socioéconomique. Il travailla également à une politique d’apaisement.
Cette conception inaugura ainsi une nouvelle ère dans l’histoire ottomane
de 1718 à 1730, appelée l’Ère des Tulipes (Lale Devri). Ce nom
vient du fait que la tulipe était en vogue à cette époque, très largement
recherchée par la noblesse, et finit par désigner la mode de ce temps.
Ibrahim Pacha envoya des représentants dans les capitales européennes
afin d’acquérir des savoirs sur le mouvement de renaissance en Europe.
Une imprimerie fut établie à Istanbul pour publier des ouvrages en
turc. De nouvelles librairies virent le jour et certains livres occidentaux
et orientaux furent traduits en turc. Les productions culturelles et artistiques
typiquement ottomanes connurent un essor considérable à travers
tout l’Empire. La capitale établit de nouveaux projets de construction,
spécialement avec les yalis sur le Bosphore. Ce fut une période
relativement calme et pour la première fois de son histoire, l’Empire
ottoman regardait vers l’Ouest, ayant réalisé l’importance des progrès
effectués en Europe. Jusqu’alors, les hommes d’Etat ottomans croyaient
que la corruption politique et socioéconomique dans l’Empire était due
à la perte des valeurs classiques des Ottomans seules susceptibles de
mettre fin à la corruption et au désordre interne. Avec l’Ère des Tulipes
néanmoins, on ne croyait plus que la solution était dans le retour à ces
valeurs traditionnelles, mais bien plutôt de s’imprégner des innovations
européennes. Mais tout cela ne correspondait pas aux besoins pressants
de la population qui vivait dans la pauvreté alors que l’élite gouvernante
baignait dans le luxe. Un autre événement important provoqua la colère
de la population, ce fut la prise de Tabriz par les Safavides. C’est ainsi
qu’en 1730 une insurrection exprimant le mécontentement du peuple
et menée par Patrona Halil éclata dans la capitale. Ahmad III fut détrôné,
Mahmud Ier (1730-1754) lui succéda et le grand vizir fut assassiné.
L’Ère des Tulipes était révolue les réformes furent de courte durée.
Profitant de la situation à laquelle faisait face l’Empire, Catherine I re de
Russie (1725-1727) poursuivit la politique de son mari Pierre le Grand

qui convoitait un accès vers les mers du sud. Elle s’allia à l’impératrice
Anne d’Autriche (1730-1740) contre les Ottomans. La Russie obtint
d’éclatantes victoires avec la prise d’Otchakov (Özü en turc) en Crimée
en 1737. Les Russes commençaient à caresser l’idée de conquérir
Istanbul et restaurer l’ancien Empire byzantin. Mais les Ottomans
réagirent en reprenant Belgrade à l’Autriche qui se retira de la guerre
contraignant ainsi la Russie à signer avec Istanbul en 1739 un accord
dit Traité de Belgrade. Avec la médiation de la France, le Traité de
Belgrade entérina la cession par l’Autriche de Belgrade et de la Serbie
en faveur des Ottomans. La Russie accepta de détruire la forteresse
d’Azov et de ne pas construire leur flotte sur la mer d’Azov et la mer
Noire. Du coup, les Russes perdirent le droit d’y naviguer. Dorénavant
ils devaient commercer sur des navires ottomans, sous pavillon ottoman.
Somme toute, l’Empire ottoman regagna non seulement certains
des territoires qu’il avait perdus avec les accords de Karlowitz et de Passarowitz,
mais aussi l’assurance d’être capable d’affronter deux grandes
puissances en même temps.
Après le traité de Belgrade, les Ottomans étaient plutôt enclins à préserver
la paix et n’envisageaient plus la guerre comme unique solution
aux problèmes extérieurs. Et c’est un signe du climat de cette époque
où la diplomatie s’est imposée comme la voie privilégiée dans les relations
internationales. Pendant une trentaine d’années, les Ottomans
suivirent cette politique dont le plus fervent avocat n’était autre que
le grand vizir Koca Ragıb Pacha (1757-1763) qui évita de contracter
une alliance avec un quelconque Etat contre d’autres. Mais à sa mort
en 1763, les Ottomans abandonnèrent cette politique, décision qui se
termina par une tragédie en partie parce que Catherine II de Russie
(1762-1796) provoqua les Ottomans à la guerre en ranimant la politique
expansionniste de la Russie vers la Méditerranée. La guerre avec
la Russie entraîna des tensions internationales à l’intérieur même de la
Pologne où les dissensions battaient leur plein entre les nationalistes et
le roi Stanislas Poniatowski qui bénéficiait du soutien militaire de la
Russie. Les troupes russes poursuivaient tous les nationalistes polonais
qui cherchaient refuge dans les territoires ottomans et jusque dans le
village de Balta où ils les massacrèrent. Cette accusation fut rejetée par
les autorités russes. Suite à cet incident de frontière à Balta, le sultan
Mustapha III déclara la guerre à la Russie le 25 septembre de l’année
1768 sans aucun préparatif militaire préalable du fait que ce massacre
souleva de vives réactions parmi la population ottomane.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
98
La guerre turco-russe (1768-1774)
Ce fut une guerre dévastatrice qui dura six années et se déroula sur
terre comme sur mer. La Russie était soutenue par le Royaume Uni qui
procura des conseillers à la flotte russe. Les hostilités commencèrent
d’abord dans les Balkans, en Crimée et sur la frontière caucasiennegéorgienne.
Une flotte russe venant de la mer d’Azov ravagea les côtes
ottomanes de la mer Noire et parvint même à percer quelques ouvertures
à travers les détroits. Au même moment, une autre flotte russe fit
route de la Baltique vers la Méditerranée où elle fut assistée par une
flotte britannique sous le commandement de l’amiral Elphinstone. Le
5 juillet 1770, la flotte ottomane fut écrasée par les navires russo-britanniques
lors d’un affrontement à Chesmé (Çeşme), un des districts
d’Izmir sur la mer Égée.
Ces revers pressèrent les Turcs à entamer des négociations de paix que
les Russes rejetèrent. Tandis que le conflit traînait en longueur, les Turcs
finirent par repousser les Russes au-delà du Danube en 1773 quoique
pas pour longtemps. Peu de temps après, ils attaquèrent de nouveau
Dobroudja mais ne parvinrent pas à reprendre Silistra et Varna. Durant
ce conflit, Mustapha III trouva la mort le 24 décembre 1773. Abdulhamid
I er lui succéda (1774-1789). Après une série de défaites, celui-ci fit
tout ce qui était en son pouvoir pour sauver ce qui pouvait l’être. Ainsi,
il fut contraint le 21 juillet 1774 de signer un accord appelé Traité de
Kutchuk-Kaïnardji (Küçük Kaynarca) aux conditions sévères imposées
par la Russie et très défavorable aux Ottomans.
C. Le déclin (1774-1914)
Le Traité de Kutchuk-Kaïnardji fut dévastateur pour l’empire ottoman
et marqua le début du déclin des Ottomans en Europe du sud et dans
la Mer Noire. Les Russes s’assurèrent le droit de naviguer librement
dans la Mer Noire, le libre accès à la Méditerranée, un traitement
bienveillant à l’égard de ses ambassadeurs, le libre passage aux Saintes
sépultures à ses pèlerins en route vers Jérusalem et la protection de
tous les chrétiens sur le sol ottoman. Cette dernière concession généra
de terribles conflits depuis que ce privilège a été garanti aux Français
sous Soliman le Magnifique. En outre, les Ottomans perdirent la Mer
d’Azov et durent renoncer à toute prétention sur la Valachie. Ils cédèrent
également le Khanat de Crimée auquel ils furent forcés de reconnaître
l’indépendance. Quoiqu’en principe le Khanat de Crimée fût indépendant,
dans les faits il dépendait de la Russie et fut définitivement
annexé par l’Empire russe en 1783. L’aspect le plus significatif de ce

traité et lié à l’histoire navale est qu’il octroya à la Russie le droit d’accéder
aux ports des mers du sud et le passage à travers les Dardanelles.
Abdulhamid I er chercha les moyens de réparer la disgrâce du Traité de
Kutchuk-Kaïnardji. Pourtant, la menace que faisait peser la Russie sur
l’Empire ottoman ne cessait d’enfler dans la mesure où Catherine II
continuait à inciter les Chrétiens dans les Balkans à se rebeller contre
les Ottomans. Elle engagea aussi une alliance avec l’Autriche à dessein
de partager les territoires ottomans et conquérir Istanbul. Face à ces
constantes provocations, la Porte ottomane (nom donné en référence
au gouvernement ottoman) déclara la guerre à la Russie le 19 août 1787,
répondant ainsi au souhait de reprendre la Crimée et Kutchuk-Kaïnardji
aux Russes. Mais encore une fois, les préparatifs de guerre n’étaient
pas au point et le moment mal choisi en raison de la toute nouvelle
alliance austro-russe. Se battant contre deux grandes puissances sur
deux fronts différents, les Ottomans se mirent dans de graves difficultés.
Le jeune sultan Selim III (1789-1807) se souciait de restaurer
le prestige des Ottomans grâce à une victoire avant d’entreprendre des
pourparlers de paix, mais l’état de ses troupes rendit ses espoirs vains.
Les circonstances tournèrent en faveur des Ottomans lorsque la Suède
et la Prusse, inquiètes de la montée de la Russie et de l’Autriche et des
effets de la Révolution française de 1789, signèrent des traités d’assistance
mutuelle avec l’Empire ottoman mettant ainsi fin à la guerre. La
Révolution française sauva l’Empire ottoman. L’Autriche dut restituer
les territoires qu’elle avait acquis lors de la guerre contre les Ottomans
–y compris Belgrade– et donna les garanties dans le traité dit de la Paix
blanche de Sistova en 1791 qu’elle ne contractera aucune alliance avec
la Russie contre l’Empire ottoman. Le traité de Jassy ou Iassy (Yaş en
turc) signé en 1792 avec la Russie soulagea quelque peu les Ottomans
du poids du Traité de Kutchuk-Kaïnardji. Toutefois, les Ottomans devaient
renoncer à leur prétention sur la Crimée et la Bessarabie, encore
que les grandes puissances de l’époque avaient de plus pressants problèmes
que de prêter attention à ceux des Ottomans. Désormais, leur
intérêt ne se situait plus à l’Est mais bien plutôt à l’Ouest. À Paris, la
Révolution triomphait.
Des efforts pour la réforme
du système militaire ottoman
Depuis le début du XVIIIème siècle, les autorités ottomanes cherchaient
à améliorer leur armée selon les standards occidentaux. À cet
effet, Mahmud I er nomma le Conte de Bonneval en 1731 pour qu’il
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
100
forme la division d’artillerie (Humbaracı Ocagı) de l’armée ottomane
conformément aux modèles européens. Le Conte de Bonneval s’était
réfugié dans l’Empire ottoman et converti à l’islam. Plus tard, il devint
célèbre sous le nom de Humbaraci Ahmed Pacha. En 1734, une école
appelée Hendesehane fut fondée dans le but d’entraîner le personnel
militaire de la division d’artillerie qui se montra très efficace lors de la
guerre avec la Russie et l’Autriche dans les années 1736-1739. Mais
l’école ne fit pas long feu et ferma ses portes en 1747 en raison de l’opposition
des janissaires. Il est vrai que les hommes d’Etat ottomans y
compris les sultans ont opté pour des réformes radicales de leur système
militaire, options non suivies d’effet à cause de la défiance des janissaires
qui en arrivèrent au point d’assassiner les sultans. Après la défaite
ottomane contre la Russie lors de la guerre de 1768-1774, Abdulhamid
I er remit les réformes militaires à l’ordre du jour. Afin de rivaliser avec
les puissances européennes, il fit appel à plusieurs étrangers comme
conseillers de l’armée ottomane sans tenir compte de leur confession ou
de leur engagement pour la cause ottomane. L’un de ses réformateurs
européens auquel il a été fait appel était le Baron de Tott, un officier
français. Il réussit à construire une nouvelle fonderie de construction
de mortiers et forma des unités d’artillerie mobiles. Il fit édifier des
fortifications sur le Bosphore et dirigea la construction d’un nouveau
chantier naval. Grâce à ses conseils et ses initiatives, les Ottomans s’investirent
dans la course à la science navale qui aboutit à la fondation
en 1775 de l’école d’ingénierie navale, la Mühendishane-i Bahri Humayun.
Durant le règne de Selim III, l’école de l’armée de terre, la
Mühendishane-i Berri Humayun, fut fondée en 1795 pour répondre
au besoin d’entraînement des officiers d’artillerie à la mode occidentale.
Selim III était persuadé que l’établissement d’une armée moderne selon
les critères occidentaux était le seul moyen pour l’Empire de regagner
sa puissance d’antan. Après son accession au trône, il envoya Ebu Bekir
Ratıb Efendi à Vienne en tant qu’ambassadeur de la Porte. Celui-ci
était chargé de rédiger un rapport sur les puissances européennes, particulièrement
sur la formation administrative et militaire de l’Autriche.
Plus tard, il lança un grand projet de réformes dans les domaines de la
finance, du commerce, de l’administration et dans le domaine militaire.
On appela cet ensemble de réformes Nizam-i Cedid (le Nouvel Ordre).
La plus importante de ces réformes fut la création d’une nouvelle unité
d’élite de l’infanterie, les nizam-i cedid (les nizamis). On leur donna des
uniformes à la mode occidentale, des armes à feu et de l’entraînement.
Très vite ils se distinguèrent par leurs succès contre l’armée napoléo-

nienne à Acre (Akka) pendant l’expédition d’Egypte. Ce fut la preuve
de la nécessité et de l’importance d’une nouvelle armée ottomane qui
leur attira par ailleurs les faveurs de la population. Néanmoins, ce nouveau
groupe mécontenta largement les janissaires devenus du coup une
élite conservatrice usant de leur pouvoir militaire au profit de leurs intérêts
commerciaux et politiques.
Enhardi par ce succès, Selim III édita un ordre selon lequel les janissaires
devaient à l’avenir servir tous les ans dans les Nizam-i Cedid.
Là-dessus, les janissaires et autres ennemis du progrès se manifestèrent
à Edirne. Au regard de leur nombre, plus de 10.000, et la violence
de leur opposition, décision fut prise de suspendre momentanément
le mouvement des réformes. Les janissaires fomentèrent une nouvelle
insurrection et incitèrent le cheikh al islam –la plus haute autorité sur
les questions religieuses– à édicter une fatwa contre les réformes. Ils allèrent
jusqu’à détrôner le sultan Selim III et l’emprisonner, et placèrent
sur le trône son neveu Mustapha IV (1807-1808). Un an après, il fut
remplacé par Mahmud II (1808-1839). La même année, une loi martiale
fut introduite par Alemdar Mustapha Pacha qui renoua toutefois
avec les efforts de réforme. Sa première action fut de s’allier aux janissaires
pour fragiliser le pouvoir des gouverneurs de province. Ensuite, il
s’en prit aux janissaires, les massacrant dans leurs casernes à Istanbul et
dans les capitales provinciales en 1826. Le sultan Mahmud envisagea
de se débarrasser des janissaires et les remplacer par d’autres troupes
régulières appelées Asakir-i Mansure-i Muhammediye. Il est à noter
un fait révélateur : par un aimable euphémisme, la population ottomane
désigna le massacre des janissaires sous le nom de Vak’a-i Hayriyye,
littéralement l’« heureux événement ».
L’Empire ottoman au XIXème siècle
Les Ottomans déployèrent une grande énergie à défendre leur intégrité
territoriale souvent mise en péril par les mouvements nationalistes
instigués par les puissances européennes. Ils devaient en même
temps contenir les interventions européennes dans les affaires internes
de l’Empire. Pour répondre à ces deux exigences, les Ottomans s’investirent
dans une série de réformes dans les domaines militaire, économique
et bureaucratique pour moderniser la structure de l’Empire.
Il reste que tout au long du XIXème siècle, l’Empire ottoman a connu
des crises majeures impliquant les grandes puissances européennes qui
ne manquaient pas de provoquer les sujets ottomans contre la Porte.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
101

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
102
Les implications du déclin du pouvoir ottoman, la vulnérabilité et l’attrait
de ses vastes possessions, les velléités nationalistes parmi ses sujets
et les crises périodiques que tous ces éléments et bien d’autres facteurs
entraînaient, furent communément désignés par les diplomates européens
au XIXème siècle du nom de « la question d’Orient ». En 1853,
le Tsar Nicolas I er de Russie décrivit l’Empire ottoman d’« homme
malade » de l’Europe. La question qui se posait de la perspective des
diplomates européens était de savoir comment disposer de l’Empire de
façon à ne pas léser les intérêts d’une puissance aux dépens d’une autre
et ne pas risquer de rompre l’équilibre politique de l’Europe.
L’Empire ottoman entama le siècle avec une grave crise due à l’invasion
de l’Egypte par Napoléon en 1798. Selim III, qui accordait une grande
importance aux relations avec la France, une alliée de longue date, accéda
au trône juste avant l’avènement de la Révolution. Il entretenait
même une correspondance avec Louis XVI et Napoléon Bonaparte.
En fait, la Révolution ne suscita aucune réaction tant qu’elle était vue
comme un problème propre à la France. D’ailleurs, les Ottomans ne se
préoccupaient guère des autres Etats par manque de temps et devant
eux-mêmes surmonter leurs difficultés, en plus de la guerre qu’ils menaient
sur deux fronts simultanément contre l’Autriche et la Russie.
La Porte n’a pas envisagé les effets de la Révolution sur son Empire
multiethnique. L’Empire ottoman allait devenir la proie des grandes
puissances dont les positions politiques pesaient comme une menace
sur son existence. Et ce fut la stupeur pour les autorités ottomanes en
apprenant que Napoléon avait envahi l’Egypte. La raison de l’insistance
de Napoléon à conquérir l’Egypte n’est pas claire. Les objectifs
apparents prétendaient vouloir reprendre le contrôle de l’Empire indien
des mains des Britanniques. Dans ses mémoires, Napoléon ne
donne qu’une seule raison, à savoir la ‘gloire’. Quelques fussent les motivations
d’une telle invasion, ses conséquences mirent l’Empire dans
une périlleuse situation. D’abord, il ne parvint à chasser les Français
de l’Egypte qu’avec l’assistance de la Russie et de la Grande Bretagne
qui avaient leurs propres vues sur la région. Les forces françaises se
retirèrent et l’Egypte se transforma en champ de bataille des grandes
puissances, l’autorité ottomane s’affaiblissait. Le vainqueur dans ce qui
fut effectivement une guerre civile était Méhémet Ali. C’était un commandant
militaire ottoman, présent à la première bataille d’Aboukir en
1799. Lorsque les armées de Napoléon eurent quitté l’Egypte, il y fut
envoyé en tant que second commandant d’un contingent albanais pour
apporter appui aux troupes ottomanes les plus professionnelles. Vers

1805, il était devenu le vrai commandant de l’Egypte et sa position fut
reconnue par le sultan d’Istanbul. Il allait régner sur l’Egypte près de 40
ans et de manière quasi indépendante.
Après avoir quitté l’Egypte, les Français et les Ottomans retrouvèrent
des relations ‘normalisées’, ce qui suscita l’irritation des Russes et des
Britanniques. Ces derniers expédièrent une flotte vers les Dardanelles
pour intimider Istanbul alors que les Ottomans étaient en guerre contre
la Russie qui avait envahi en 1806 la Valachie et Bogdan. La Porte chercha
alors la coopération des Britanniques contre la Russie qui aboutit à
la signature d’un accord en 1809. La seconde guerre russo-turque qui se
prolongea jusqu’en 1812, s’acheva par le Traité de Bucarest conformément
auquel les Ottomans cédaient la Bessarabie à la Russie, et d’autres
concessions étaient faites aux Serbes en pleine révolte.
Mouvements nationalistes et rébellions
Dès le début du XIXème siècle, l’empire ottoman était confronté à deux
problèmes: d’abord, il devait parer aux attaques des pouvoirs impérialistes
sur son territoire; ensuite, faire face aux rébellions de ses sujets
chrétiens entraînés par les effets des mouvements nationalistes impulsés
par la Révolution française. La première rébellion nationaliste que
connut l’Empire eut lieu en Serbie en 1804. En réalité, la résistance des
groupes serbes qui s’étaient plaint des pratiques des janissaires et de la
pression exercée par les notables provinciaux (Ayan) revêtit un caractère
national à cause des mauvaises pratiques des autorités ottomanes.
Etant donné les affinités d’ordre religieux et culturel avec les Serbes, la
Russie leur apporta son appui. Du coup, pour éviter toute provocation
à l’encontre de la Russie, les Ottomans durent accorder son autonomie
à la Serbie en 1816.
Néanmoins, les mouvements serbes éveillèrent les velléités de révolte
des Grecs. La Filiki Eterya (la Société Amicale) fut fondée en 1814
et avait pour objectif de chasser le gouvernement ottoman de Grèce et
établir un Etat grec indépendant. Durant les premiers mois de l’année
1821, la Société comptait environ 1000 membres, parmi lesquels se
trouvaient des commerçants, des membres du clergé, des fonctionnaires
de l’Empire originaires de Phanar, et bien d’autres. L’Empire fut pris au
dépourvu quand en 1821 la révolte grecque éclata en Morée et s’étendit
en peu de temps à travers la Grèce centrale et les régions du sud. Le sultan
Mahmud sollicita l’aide de son gouverneur d’Egypte. Méhémet Ali
Pacha accepta d’envoyer son armée en Grèce en échange de la Crète et
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
104
du Péloponnèse, le sultan dut accéder à sa demande. Lorsque la révolte
fut sur le point d’être maîtrisée grâce à l’aide égyptienne, les puissances
européennes intervinrent en faveur de la Grèce.
Ainsi, la guerre d’indépendance grecque fut la première crise du siècle
qui mena à l’intervention européenne. Le 20 octobre 1827, la flotte
franco-russo-britannique, à l’initiative des chefs locaux mais tacitement
avec l’accord de leurs gouvernements respectifs, attaqua et détruisit la
flotte ottomane, y compris la flotte égyptienne, à la bataille de Navarin,
dans la baie de Navarin à l’ouest du Péloponnèse. Ce fut un moment
décisif dans la guerre d’indépendance. Alors que la France et la Grande
Bretagne restèrent silencieuses, la Russie s’empara une nouvelle fois de
la Valachie et de la Moldavie, et les troupes russes pénétrèrent aussi loin
qu’Edirne et dans les régions est de l’Anatolie. La guerre se conclut par
la paix d’Edirne en 1829. Les marchands russes acquirent le droit de
passer librement à travers les Dardanelles, en contrepartie, la Russie
céda les territoires conquis et l’indépendance de la Grèce fut confirmée.
Les Ottomans durent accepter l’établissement d’un Empire grec indépendant.
Cet événement marqua le début du morcellement progressif
de l’Empire ottoman, tandis que les autres populations non turques de
l’Empire amorçaient leurs propres mouvements d’indépendance.
La question égyptienne
Méhémet Ali mit sur pied une armée et une marine modernes en
Egypte avec l’assistance de la France désireuse de contrer l’influence
britannique en Méditerranée orientale. N’ayant pas été récompensé
comme promis pour son assistance durant la révolte grecque, il envahit
en 1831 la Syrie et poursuivit l’armée ottomane qui battait en retraite
jusqu’au cœur de l’Anatolie. Désespérée, la Porte, fit appel à l’aide des
Russes. C’est alors que la Grande Bretagne s’entremit forçant Méhémet
Ali à retirer ses troupes d’Anatolie vers la Syrie. Le prix que dut payer
le sultan à la Russie est compris dans le Traité de Hunkar Iskelesi de
1833 qui stipulait, à la demande des Russes, que le Bosphore et les
détroits des Dardanelles devaient être fermés aux navires des autres
grandes puissances.
Il est intéressant de noter ici le fait que la Porte fit appel à l’aide de la
Russie contre la révolte de son propre gouverneur. Par conséquent, les
puissances européennes furent encouragées à intervenir dans les affaires
internes de l’Empire ottoman. La France et la Grande Bretagne, inquiètes
de voir la Russie gagner la Porte, déclarèrent qu’ils n’acceptaient

aucune modification du statu quo sur les détroits turcs –le Bosphore
et les Dardanelles. Au-delà de la question égyptienne, vint s’ajouter
la question des détroits. Ainsi, à la reprise de la guerre avec Méhémet
Ali en 1839, les cinq puissances européennes menées par la Grande
Bretagne préoccupée par l’expansion russe, soumirent un mémorandum
à la Porte afin de trouver un accord avec l’Egypte. C’est ainsi qu’un
problème interne à l’Empire devint une affaire internationale. Après la
nouvelle défaite des Ottomans face à Méhémet Ali, ils signèrent avec
la Grande Bretagne l’accord dit de la Convention de Balta Liman qui
profita largement à cette dernière sur les plans économiques et politiques
en échange de son assistance à la Porte.
Suite à la convention de Londres de 1840, Méhémet Ali fut obligé
de renoncer à ses prétentions sur la Syrie, mais fut confirmé comme
gouvernant héréditaire de l’Egypte sous l’autorité nominale de la Porte.
Selon un nouveau protocole datant de 1841, la Porte décida de fermer
les détroits à tous les navires de guerre d’une quelconque puissance.
Mahmud II et les réformes civiles
Durant son sultanat, Mahmud II entreprit de grandes réformes malgré
les difficultés intérieures et extérieures auxquelles faisait face l’Empire.
Il commença par supprimer les janissaires en 1826 qu’il considérait
comme un obstacle à la mise en oeuvre des réformes nécessaires. Il
établit également les fondations d’institutions modernes pour l’Empire
ottoman. A cet effet, il envoya des étudiants en Europe s’entraîner à
l’art militaire moderne. Après avoir créé des écoles militaires et de médecine,
il fit venir des instructeurs et des spécialistes de l’Europe afin
d’améliorer le niveau éducatif. A l’exception de la brève période de l’Ère
des Tulipes, ce fut une première dans l’histoire ottomane que de voir
fleurir les influences occidentales dans les arts et la culture ottomans.
Les uniformes des officiers et des fonctionnaires administratifs se mirent
à la mode européenne. Le Divan se transforma en système de cabinet.
Suivant une série d’autres mesures importantes, l’administration
fut simplifiée et renforcée. Un grand nombre de fonctions inefficaces
furent abolies et le sultan donna l’exemple parfait d’un bon sens économique
en réorganisant la maison impériale et fut impitoyable quand il
décida de supprimer tous les titres ne correspondant pas à des responsabilités
et tous les salaires des officiels n’ayant pas de fonction.
Les réformes de Mahmud II étaient vues par les historiens ottomans
comme un projet de changement de civilisation. De leur côté, les his-
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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toriens européens le comparèrent à Pierre le Grand de Russie qui en
son temps avait mené des réformes radicales et donnèrent au sultan le
nom de ‘Pierre le Grand des Ottomans’. De l’avis de certains historiens
turcs, Mahmud II fut l’un des plus imminents sultans ottomans après
Soliman le Magnifique, car ses réformes préparèrent la voie qui allait
mener à la République turque.
L’ère des Tanzimat (1839-1876)
Les Tanzimat –signifiant littéralement ‘réorganisations’– furent une ère
de réformes commencées en 1839 avec la proclamation par le sultan
Abdulmedjid Ier (1839-1861) d’un édit appelé le Tanzimat Firman. Il
fut élaboré par Mustapha Rachid Pacha, un sympathisant des Britanniques,
et soumis au sultan Mahmud qui mourut quelque temps après,
et ce fut au nouveau sultan de l’approuver. Les Tanzimat consolidèrent
et renforcèrent les réformes initiées sous le règne de Mahmud II. Ils
garantirent en outre aux sujets ottomans la sécurité de leur vie, de leur
dignité et de leurs biens, ainsi que l’égalité devant l’impôt, le droit de
propriété à tout le monde et l’établissement de tribunaux en charge de
défendre ces acquis.
Il semblerait que le but recherché par ces réformes était de s’assurer du
soutien occidental face aux menaces tant externes qu’internes –comme
ce fut le cas avec Méhémet Ali. Néanmoins, il ne faudrait pas omettre
le fait que le Tanzimat Firman avait déjà reconnu la nécessité des réformes
bien avant les Tanzimat. Les Ottomans cherchaient d’abord à
prévenir le démembrement de l’Empire. Par la suite, les réformes visèrent
à encourager l’ottomanisme parmi les nations séparatistes et empêcher
la progression des mouvements nationalistes au sein de l’Empire.
Ces tentatives n’aboutirent pas en dépit des efforts faits pour intégrer
complètement les non musulmans et les non turcs dans la société ottomane
avec de nouvelles lois et des réformes.
Les puissances européennes essayèrent de tirer avantage des Tanzimat
à leurs fins propres. En effet, les Tanzimat leur offraient l’opportunité
d’interférer dans les affaires de l’Empire ottoman. Elles revendiquèrent
que les droits des sujets chrétiens de l’Empire ottoman soient élargis.
Ces sujets chrétiens pouvaient alors servir à fragiliser l’Empire au profit
des puissances européennes selon qui ces chrétiens de l’Empire ottoman
ne jouissaient pas de suffisamment de liberté et les Tanzimat
n’avaient pas satisfait leurs demandes. La pression constante imposée
aux Ottomans par ces puissances, obligea la Porte à introduire en 1856

des droits nouveaux pour les sujets non musulmans avec la proclamation
du rescrit impérial (le Hatt-ı Humayun) : la taxe de capitation qui
imposait des tarifs plus élevés sur les non musulmans fut abolie, garantissant
ainsi l’égalité entre tous les sujets ottomans ; les non musulmans
eurent en plus le droit d’accéder aux fonctions militaires et de nouvelles
dispositions furent introduites pour une meilleur administration des
services de l’Etat et pour le développement du commerce. Mais non
contentes de ces mesures, les puissances européennes maintinrent leur
pression sur l’Empire ottoman jusqu’à son effondrement.
Le Royaume-Uni n’eut de cesse de s’ingérer dans les affaires internes
et la politique étrangère de l’Empire. Depuis le Traité de Balta Liman
et son rôle dans la proclamation des Tanzimat, sa position auprès de
la Porte s’était renforcée. De leur côté, les hommes d’Etat ottomans et
particulièrement Mustapha Rachid Pacha, pensaient que l’Etat ottoman
ne pouvait être en sécurité sauf à repousser la menace russe, raison
pour laquelle la Porte s’allia aux Français et aux Anglais. Ce mauvais
calcul tomba à un moment où la Russie posait une série de revendications
difficilement acceptables pour la Porte et entraîna une guerre
majeure connue sous le nom de guerre de Crimée (1854-1856). Alors
que l’Empire était tout à ses réformes, les grandes puissances, excepté
la Russie, luttaient contre les révoltes de 1830 et 1848 qui visaient à
transformer l’ordre social européen et à établir des frontières nettes aux
Etats de l’Europe. Profitant de ces désordres en Europe, la Russie désirait
manœuvrer la question d’Orient à son avantage. Ce qui l’intéressait
en premier lieu c’était d’acquérir de nouveaux territoires. Tout au long
des XVIIème et XVIIIème siècles, elle était parvenue à annexer les
Etats musulmans de l’Asie centrale. Vers 1854, elle se trouvait sur les
côtes de la Mer Noire. Soucieux de conquérir des territoires en Europe
de l’est, les Russes entrèrent en guerre avec les Ottomans sous de spécieux
et dérisoires prétextes : les Ottomans auraient garanti à la France
catholique plutôt qu’à la Russie orthodoxe le droit de protection des
chrétiens des Lieux Saints qui étaient sous contrôle ottoman. Cette
raison justifiait l’entrée en guerre contre les Ottomans. L’alliance entre
l’Empire ottoman, la France et le Royaume-Uni ne tarda pas à se former
contre la Russie. Les trois années que dura la guerre de Crimée se
conclurent par le Traité de Paris en 1856 : la Russie abandonnait ses
prétentions à un protectorat sur les chrétiens de l’Empire ottoman de
rite orthodoxe et renonçait au droit d’intervenir dans les Balkans. En
outre, le tsar et le sultan conclurent à un arrangement selon lequel il ne
devait pas être établi d’arsenaux militaires ou navals dans la Mer Noire.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
108
Les clauses de cet arrangement tournèrent à l’immense désavantage de
la Russie réduisant ainsi toute menace navale sur les Turcs. Et au-delà,
toutes les grandes puissances s’engagèrent à respecter l’indépendance
et l’intégrité territoriale de l’empire ottoman. Mais très vite tout cela
s’avéra être des paroles creuses.
Le Traité de Paris resta en vigueur jusqu’en 1871 lorsque la France fut
écrasée par les Etats germaniques pendant la guerre franco-prussienne.
Après que la Prusse et de nombreux autres Etats germaniques s’unirent
pour former le puissant Empire germanique, l’empereur de France,
Napoléon III, fut déposé à la proclamation de la troisième République.
Et tandis que l’équilibre du pouvoir penchait avec l’émergence de deux
nouveaux Etats puissants en Europe, l’Italie et l’Allemagne, la Russie
s’empressa de dénoncer les termes du Traité de Paris concernant particulièrement
la présence navale en Mer Noire, et décida de régler la
question balkanique en sa faveur.
Les difficultés auxquelles devait faire face l’Empire après la guerre de
Crimée étaient le signe de l’approche de sa fin. Et quand bien même
l’Empire ne fut pas de nouveau en guerre jusqu’en 1877, les révoltes et
les conflits violents dans ses différentes parties, ainsi que les lourdes
dettes qui entraînèrent la faillite de l’économie impériale, le mirent au
bord de l’effondrement. Les conflits entre communautés musulmanes
et chrétiennes à Djedda en 1858 et au Liban en 1860-1861, fomentés
par les Français et les Britanniques, conduisirent à l’immixtion étrangère
avec l’établissement d’une administration privilégiée dans ces régions.
La Valachie et Bogdan s’unirent pour former la principauté de
Roumanie en 1861, et la révolte de l’île de Crète soutenue par la Grèce
marqua le début de son détachement de l’Empire ottoman. De son
côté, la Russie initia une politique fondée sur le panslavisme appelant
la solidarité de tous les Slaves et les nations orthodoxes à se joindre
sous l’autorité russe. Du coup, des rébellions éclatèrent, d’abord en
Herzégovine en 1875, puis en Bulgarie en 1876, et ce fut au tour de
la Serbie et du Monténégro de déclarer la guerre. La riposte ottomane
à ces révoltes en Bulgarie fit l’objet de propagande en Europe sous le
terme d’« atrocités turques » qui créa un sentiment anti-turc parmi la
population britannique servant du même coup les desseins de la Russie.
La première Constitution monarchique (1876-1908)
La population turque était exaspérée par les tueries et l’expulsion de
nombreux Turcs des Balkans durant les révoltes nationalistes. Au milieu
de ces événements, le sultan Abdulaziz (1861-1876) fut déposé

par ses ministres le 30 mai et remplacé par Murad V qui fut à son tour
détrôné après seulement 3 mois de règne à cause de sa maladie mentale.
En accédant au trône, Abdülhamid II (1876-1909) promit l’établissement
d’une constitution. Il fut le dernier sultan ottoman à régner
sans être inquiété par un pouvoir contestataire. Et malgré sa déposition
après la révolution Jeunes Turcs de 1908, d’aucuns lui reconnaissent le
fait d’avoir retardé de quelques décennies l’effondrement de l’Empire
ottoman. Il gouverna l’Empire avec autoritarisme et des manœuvres
diplomatiques habiles jouant sur un pouvoir européen contre un autre.
Alors que les tensions dans les Balkans s’intensifiaient, les grandes
puissances tinrent une conférence à Istanbul pour discuter du statut
d’autonomie à donner à la Bosnie-herzégovine et à la Bulgarie. Pour
déjouer les effets de la Conférence, Abdülhamid proclama la constitution
qui fut immédiatement rejetée comme insignifiante par les puissances
présentes à la conférence. La Russie se préparait à la mobilisation
pour la guerre qui fut déclarée le 24 avril 1877. Au début de la
guerre, la Russie détruisit tous les navires bordant le long du Danube,
puis marchèrent sur la Bulgarie. En atteignant Pleven, Osman Pacha
organisa une défense exemplaire et repoussa deux attaques russes qui
firent subir de grandes pertes aux Russes. Mais la défense héroïque
de Pleven échoua et incita les Russes à marcher contre Istanbul. Et
bien que les Russes aient accepté la trêve proposée par les Turcs en
janvier 1878, ils poursuivirent leur avancée vers Istanbul. En chemin,
ils tuèrent des milliers d’enfants, de femmes et de vieux parmi la population
turque avec la complicité de bandes bulgares. Suite à ces atrocités,
plusieurs populations turques migrèrent des Balkans vers Istanbul
et l’Anatolie. La Russie accepta finalement un accord avec la Traité
de San Stefano (Ayastefanos) le 3 mars 1878. Selon les clauses de
ce traité, l’Empire ottoman devait reconnaître l’indépendance de la
Roumanie, de la Serbie et du Monténégro, ainsi que l’autonomie de
la Bulgarie. Alarmés par l’expansion du pouvoir russe dans les Balkans,
les puissances européennes exigèrent plus tard certaines modifications
du traité au congrès de Berlin, entre autres le partage de la Bulgarie
comme prévu par les accords antérieurs entre les grandes puissances,
pour empêcher la création d’un nouvel Etat slave élargi. Les parties
nord et est de la Bulgarie donnèrent naissance à des principautés séparées
avec à leur tête des gouverneurs différents comme cela était le
cas par le passé (la principauté de Bulgarie et la Roumélie de l’est). Le
congrès de Berlin ramena la région de Macédoine, qui selon le Traité de
San Stefano faisait partie de la Bulgarie, sous l’administration directe
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
110
des Ottomans, et suggéra une série de réformes en faveur des sujets
arméniens de l’Empire ottoman.
Avec le Traité de Berlin, les grandes puissances réalisèrent que l’Empire
ottoman était faible au point de ne pouvoir résister aux mouvements
d’indépendance qui se multipliaient à l’intérieur de ses frontières. Les
grandes puissances cessèrent alors de considérer l’intégrité territoriale
de l’Empire : la Grande Bretagne s’établit à chypre en 1878 et en 1882
occupa l’Egypte pour un temps ; de son côté, la France soumit son protectorat
à la Tunisie en 1881 ; la Roumélie de l’est s’unit à la Bulgarie en
1885. La révolte en Crète provoquée par la Grèce entraîna une guerre
avec cette dernière dont les Turcs sortirent victorieux en 1897, mais une
administration autonome y fut établie par suite de l’intervention des
Britanniques et des Russes.
Hormis les pertes subies, les embarras financiers qu’éprouvaient l’Empire
forcèrent le sultan Abdulhamid II à consentir à une tutelle étrangère
sur les dettes de l’Etat. Par un décret impérial issu en décembre
1881, une grande partie des revenus de l’Empire était dorénavant perçue
par l’organisme de l’Administration de la Dette Publique Ottomane
majoritairement au profit des obligataires étrangers. Face à la
Triple-Entente regroupant la Grande Bretagne, la France et la Russie
qui firent cause commune contre l’Empire ottoman après le Traité de
Berlin, le sultan Abdulhamid se approcha de l’Empire allemand dans
l’espoir d’y trouver un allié potentiel. L’empereur Guillaume II fut deux
fois reçu à Istanbul par Abdulhamid II, une première fois le 21 octobre
1889, et une seconde fois neuf ans plus tard le 5 octobre 1898. Des
officiers allemands tels le Baron von der Goltz furent employés pour
superviser la réorganisation de l’armée ottomane, ainsi que des fonctionnaires
gouvernementaux chargés de la mission de réorganisation
des finances de l’Empire ottoman. En 1899, la concession tant convoitée
du Chemin de fer de Bagdad fut accordée aux Allemands. C’était
l’un des aspects de la politique étrangère d’Abdulhamid que de jouer
une puissance contre une autre. L’ambition de l’Empereur germanique
d’étendre sa présence au Moyen-Orient impliqua une influence croissante
auprès de la Porte.
L’émergence de la question arménienne
Le Traité de Berlin souleva à la table des discussions des grandes puissances
la question arménienne. Le fait qu’elle pouvait conduire à l’éclatement
des territoires ottomans d’Anatolie en fit une affaire de grande
importance pour la Russie et la Grande Bretagne qui avaient toutes

deux des visées concurrentes sur le Moyen-Orient. D’un côté, la Russie
sollicitait la collaboration des Arméniens pour atteindre la Méditerranée
orientale et la Mésopotamie. De son côté, la Grande Bretagne
avait besoin des Arméniens afin de prévenir l’expansion des Russes vers
le sud. Ainsi, la question arménienne apparut au moment où les Arméniens
commencèrent à fomenter des actions terroristes dans l’est de
l’Anatolie sous les incitations de la Russie et de la Grande Bretagne.
Ces provocations invoquaient le prétexte des réformes suggérées par le
Traité de Berlin.
Depuis longtemps, les communautés arméniennes, musulmanes et
turques de l’Empire ottoman vivaient paisiblement jusqu’à l’implication
des pouvoirs impérialistes dans la région et les intérêts qu’ils y
manifestèrent. Avec l’intervention de ces pouvoirs, une multitude d’organisations
politiques et sociales arméniennes vit le jour.
En effet, dès le début des années 1860, des organisations arméniennes
locales furent créées à Adana, à Van et à Muş. En 1880, toutes ces organisations
s’unifièrent pour former les Organisations arméniennes unies
et la même année furent établies de nouvelles organisations révolutionnaires
arméniennes telles que la Croix Noire, les Sociétés arméniennes
à Van et les Gardes Nationales à Erzurum.
Réalisant qu’ils pouvaient être plus influents en étant à l’étranger grâce
au soutien actif et direct des grandes puissances, les nationalistes arméniens
décidèrent de baser leurs organisations en dehors des territoires
ottomans. Le Parti Hentchak fut alors établi à Genève en 1887 et le
Parti Dachnak à Tbilissi en 1890. Ils déclarèrent que leur objectif premier
était de « libérer les territoires de l’est anatolien et les Arméniens
de la domination ottomane ». Les émeutes débutèrent juste après la
création de ces deux institutions politiques actives.
Vingt années durant, de 1889 à 1909, une quarantaine d’émeutes et
d’actions terroristes eurent lieu et entraînèrent plusieurs épisodes violents.
En 1905 un attentat fut perpétré contre le sultan Abdulhamid
qui y échappa par chance. Très souvent, les mesures prises par la Porte
provoquèrent l’immixtion des grandes puissances. La question arménienne
prit une tournure pus dangereuse durant la première guerre
mondiale.
La restauration de la Constitution en 1908
Quand le sultan Abdulhamid décida de suspendre la Constitution en
mai 1878, une opposition vit le jour contre lui et allait prendre de l’am-
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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pleur durant la première décade du XXème siècle. Cette opposition
violente se manifesta surtout à travers le Comité Union et Progrès,
CUP (Ittihad ve Terakki Cemiyeti). Le CUP était l’une des organisations
Jeunes Turcs ( Jöntürkler) qui réclamaient le retour de la constitution
et du parlementarisme. Il était très populaire parmi les officiers
de l’armée dont la participation rendait le mouvement plus fort et plus
actif. Les opposants exilés à l’étranger commencèrent à retourner dans
l’Empire ottoman. Vers le milieu de l’année 1908, la branche du CUP
présente à Thessalonique fomenta une révolte en réponse à la crise venue
de Macédoine. Ils pensaient que le seul moyen de prévenir le détachement
des Balkans de l’Empire ottoman était de leur apporter les
réformes nécessaires. Le CUP exigea le retour de la Constitution, et la
tentative du sultan de mater la révolte échoua en raison de la popularité
du mouvement parmi les troupes elles-mêmes. Face à l’envergure
de la rébellion, le sultan dut se résigner à restaurer la Constitution le
23 juillet 1908. Le 13 avril 1909, une contre révolte éclata à Istanbul
contre la monarchie constitutionnelle. Elle fut matée par le Mouvement
Armé (Haraket Ordusu). Abdulhamid fut accusé de soutenir la
contre révolte et fut déposé. Son frère Mehmed Rechad (Mehmed VI)
lui succéda. Ce sultan se maintint au pouvoir de 1909 à 1918 mais fut
en fait un sultan incompétent. Après la restauration de la Constitution,
le CUP devint un parti politique très influent avec une majorité au
Parlement de 1908 à 1913. Toutefois, les élections parlementaires n’ont
pas bouleversé la configuration du gouvernement ottoman toujours dominé
par les personnalités non partisanes de la période prérévolutionnaire
qui devinrent la cible du CUP. Le 23 janvier 1913, le CUP prit
le pouvoir par un coup d’Etat connu sous le nom de Bab-ı Ali Baskını
et ses leaders, Enver Pacha, Djemal Pacha et Talaat Pacha, restèrent au
pouvoir jusqu’aux dernières années de l’Empire ottoman.
La monarchie constitutionnelle ne parvint pas à empêcher le démembrement
de l’Empire comme le prétendaient les Jeunes turcs et
le CUP. Peu de temps après la restauration de la Constitution, l’Autriche
annexa la Bosnie-Herzégovine le 5 octobre 1908. Le lendemain,
la Bulgarie déclara son indépendance et la Grèce annexa la Crète le 9
mai 1910. Profitant de la situation, l’Italie envahit la Tripolitaine (aujourd’hui
la Lybie) avec le soutien des puissances européennes le 29
septembre 1911. Grâce à l’appui local, les troupes turques commandées
par Mustapha Kemal Pacha et Enver Pacha repoussèrent les Italiens
pour au moins un an. L’Italie se tourna alors contre les îles du Dodécanèse
pour rompre la résistance turque. Vers la fin, les Ottomans si-

gnèrent le Traité d’Ouchy avec l’Italie le 15 octobre 1912. Ils n’y furent
pas forcés en raison des succès militaires des Italiens mais bien plutôt à
cause des guerres balkaniques qui battaient leur plein et exigeaient tout
leur rassemblement. Le Traité d’Ouchy céda à l’Italie la Tripolitaine et
les îles du dodécanèse.
Les guerres balkaniques (1912-1913)
Alors que les Ottomans étaient occupés par la guerre en Tripolitaine,
la Russie signait la fin du pouvoir ottoman dans les Balkans. Plusieurs
années durant, elle ne cessait d’inciter les Etats balkaniques à se rebeller
contre l’autorité ottomane. Au printemps 1912, nombre de chrétiens
des nations balkaniques formèrent un réseau d’alliances appelé la Ligue
Balkanique. A la fin de septembre, les armées de la Ligue et des Ottomans
étaient mobilisées. Après avoir lancé un ultimatum difficilement
acceptable à la Porte, le Monténégro déclara la guerre contre l’Empire
ottoman en octobre 1913. Trois autres Etats balkaniques suivirent
l’exemple du Monténégro. La Ligue vint finalement à bout des forces
ottomanes. L’une des raisons de la défaite ottomane était la présence
de dissidence politique au sein même de l’armée ottomane. Les forces
bulgares avancèrent jusqu’à Chataldja, l’un des districts d’Istanbul. La
Grèce s’empara de Thessalonique, et la Serbie de Bitola (Manastır). Eut
alors lieu la conférence de Londres le 29 novembre 1912. La Porte sollicitait
la médiation des puissances européennes. Celles-ci reconnurent
l’indépendance de l’Albanie le 17 décembre 1913 et forcèrent même
l’Empire ottoman à céder la Roumélie y compris la Thrace orientale et
les îles égéennes aux Etats balkaniques. C’est à ce moment que le parti
Union et Progrès prit le pouvoir par un coup d’état le 23 janvier 1913. A
la fin de la conférence, la Bulgarie reçut la partie nord de la Thrace entre
Enos sur la mer Égée et Midia sur la mer Noire. Ce fut une grande
perte pour l’Empire et le ressentiment envahit la population turque.
Les termes du Traité de Londres eurent pour conséquence l’éclatement
de la deuxième guerre balkanique entre les belligérants en juin 1913 à
cause des larges concessions territoriales obtenues par la Bulgarie. Finalement,
une paix fut trouvée avec le Traité de Bucarest en août 1913.
A travers les multiples traités conclus avec la Bulgarie et la Grèce, les
Ottomans récupérèrent la majeure partie de leurs pertes subies pendant
la première guerre balkanique. Les frontières actuelles entre la
République turque, la Bulgarie et la Grèce, sont le résultat des tracés
de cette époque.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Les conséquences des guerres balkaniques furent des plus catastrophiques
auxquelles les Turcs eurent à faire face dans leur histoire. Cinq
siècles d’hégémonie turque sur la Roumélie prirent soudain fin, excepté
sur la Thrace orientale. Des milliers de Turcs dans la région subirent
des atrocités et durent abandonner leurs biens pour migrer vers l’Anatolie.
Cette immigration mit l’Empire dans une grave situation alors
qu’il était déjà accablé par sa situation économique. Quant aux Turcs
qui vivaient encore dans les Balkans, ils souffraient de discriminations
économiques et sociales.
D. La dissolution (1914-1922)
La première guerre mondiale:
la dernière guerre de l’Empire
Le 28 juin 1914, l’Archiduc François Ferdinand fut assassiné par
un étudiant serbe bosniaque à Sarajevo. L’archiduc était l’héritier du
trône de l’Empire austro-hongrois. Son assassin était membre de la
société Jeune Bosnie qui avait pour objectif premier la création d’une
fédération rassemblant les slaves du sud et l’indépendance vis-à-vis de
l’Empire austro-hongrois. L’assassinat de Sarajevo déclencha une cascade
d’événements qui rapidement se muèrent en une guerre à grande
échelle. L’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie sous le prétexte
que celle-ci fut incapable de punir les responsables de l’assassinat.
En quelques semaines, les puissances européennes entrèrent en guerre
en raison des systèmes imbriqués d’alliances de défense collective et
de la nature complexe des accords internationaux. Ce conflit mondial
impliquait néanmoins des causes plus complexes.
Les Alliés, c’est à dire la France, l’Angleterre et la Russie, furent vite
poussés dans la guerre lorsque l’Allemagne, l’Etat à la tête des Empires
centraux, déclara la guerre à la Russie le 1 er août 1914. L’Allemagne
était en effet une puissance mondiale émergente qui commençait à
convoiter les possessions d’outre-mer de la Grande Bretagne. Pour se
prémunir des ambitions allemandes, cette dernière fit cause commune
avec la Russie sur la scène internationale, ce qui signifiait qu’elle accédait
aux prétentions historiques de la Russie à savoir sur les Balkans
et sur les détroits turcs en échange de la reconnaissance de ses propres
intérêts stratégiques au Moyen-Orient. Cette alliance russo-britannique
menaçait l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman. Pourtant,
la position de l’Empire au début de la guerre restait ambiguë, et malgré
l’alliance qui liait l’Empire à l’Allemagne depuis le Traité de Berlin de

1878, les chefs du parti Union et Progrès au pouvoir depuis 1913 cherchèrent
à s’allier avec la Grande Bretagne pour parer à la pression russe.
Ils considéraient de même les intérêts allemands sur les territoires ottomans
excessifs. Mais ni la France ni la Grande Bretagne n’acceptèrent
l’offre d’alliance ottomane. Talaat Pacha proposa alors une alliance à la
Russie, mais elle fut rejetée. Le gouvernement ottoman comprit finalement
que les puissances alliées s’étaient déjà arrangées pour diviser
l’Empire dans une guerre d’envergure. Par conséquent, le parti Union
et Progrès, dont les partisans étaient plutôt favorables aux Allemands,
s’allia à l’Empereur Guillaume II le 2 août 1914. Il est intéressant de
rapporter le fait suivant : en 1911, le gouvernement ottoman avait commandé
deux navires de guerre à la Grande Bretagne, le Sultan Osman
et le Reshadiye. Il avait à cet effet collecté les donations de ses sujets
pour payer ces navires. Mais la Grande Bretagne en avait délibérément
retardé la livraison et les captura le 3 août. Il était clair qu’elle ne voulait
pas que ces navires soient utilisés contre elle.
L’entrée des Ottomans dans la première guerre mondiale
En réalité, ni l’Assemblé ottomane ni la majorité de la population ne
voulaient entrer en guerre. Les chefs du parti au pouvoir étaient quant à
eux impatients de se ranger du côté des Empires centraux croyant ainsi
pouvoir prévenir le démembrement de l’Empire au profit des grandes
puissances. Les événements qui ont poussé l’Empire ottoman à s’engager
dans la guerre se rapportent au moment où celui-ci accepta d’abriter
les deux croiseurs allemands, le Goeben, croiseur lourd d’un déplacement
de 19.000 tonnes et le Breslau, croiseur léger d’un déplacement
de 5.000 tonnes. Le gouvernement ottoman déclara que ces croiseurs
avaient été acquis et renommés respectivement Yavuz et Midilli. En
faisant cela, il pensait compenser la perte des deux navires commandés
à l’Angleterre, le Sultan Osman et le Reshadiye. Peu de temps
après, le 29 octobre 1914, les ports russes de Sébastopol et d’Odessa
furent bombardés par ces deux navires allemands sous le commandement
de l’amiral Souchon sans l’autorisation préalable du Parlement
ou du cabinet ottoman. Ce fut en fait une provocation voulue par les
Allemands afin d’entraîner l’Etat ottoman dans la guerre. L’entrée des
Ottomans dans la guerre devait desserrer la pression des Alliées sur
les fronts de l’est et de l’ouest où les forces allemandes (et austro-hongroises)
subissaient leurs premiers revers à la Marne et en Galicie. Cet
incident obligea la Russie à déclarer la guerre à l’Empire ottoman le 3
novembre, suivie par la France et la Grande Bretagne le 5 novembre.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
116
Les Ottomans se trouvaient impliqués au cœur même de la guerre. Le
sultan appela alors tous les musulmans au djihad, la guerre sainte, le 23
novembre, y compris les musulmans vivant en Russie, en France et en
Grande Bretagne, et c’est ce que voulaient les Allemands en prenant
en compte la possibilité de révoltes des sujets musulmans des colonies
britanniques, particulièrement en Inde, qui pouvaient mettre la
Grande Bretagne dans de grandes difficultés. Cela valait tout autant
pour la Russie qui comptait de nombreux sujets musulmans matière
à inquiétude.
L’armée turque se battait sur plusieurs fronts en même temps : au Caucase,
en Irak, dans les Dardanelles, en Egypte, au Yémen et en Macédoine.
Au début de la guerre, les troupes turques reçurent l’ordre de
leur commandant en chef Enver Pacha de marcher sur le Caucase pour
encercler les troupes russes. Mais en raison de mauvaises planifications,
près de 90 mille soldats turcs périrent : la méconnaissance des conditions
hivernales, un hiver rude, le manque d’uniformes, la famine et la
maladie eurent raison des soldats dans leur ascension du mont Allahu
Ekber pour affronter les troupes russes. Finalement, celles-ci envahirent
Manzikert, Van, Erzincan, Erzurum et Trébizonde vers le mois
de février 1916. Juste après, les populations arméniennes vivant dans la
région se soulevèrent contre les Ottomans et firent de grands massacres
de la population turque et musulmane de la région sous les incitations
de la Russie. Il ressort des archives et des sources civiles qu’un nombre
non négligeable de sujets arméniens de l’Empire ottoman collaborèrent
et furent impliqués dans certaines activités visant à faciliter l’invasion
ennemie.
La question arménienne de 1915
Pour contrer les nombreuses rébellions qui éclatèrent après 1890 suite
aux massacres des Arméniens qui conduisirent à l’assassinat de plusieurs
milliers de Turcs, le gouvernement ottoman informa les plus imminents
personnages des congrégations arméniennes et les députés arméniens
que « le gouvernement va prendre les précautions nécessaires
si les Arméniens continuaient à poignarder les Turcs dans le dos et à les
assassiner ». Il devenait urgent au gouvernement ottoman de garantir
la sécurité à l’intérieur de ses frontières, étant engagé dans la guerre
sur plusieurs fronts. Mais les incidents, loin de cesser, se multiplièrent
ainsi que les assauts contre les femmes et enfants turcs sans défense. A
la suite de cela, le gouvernement ottoman décida de ‘déplacer’ (tehcir
en turc-ottoman) les Arméniens impliqués dans les insurrections vers

des lieux plus sûrs, notamment la Syrie et le Liban, parties de l’Empire
ottoman. Notons un point important : le terme tehcir d’origine arabe
signifie littéralement ‘faire migrer’ et n’a pas du tout le sens de ‘déportation’
ou d’‘exil’. Ainsi, la loi communément appelée ‘Loi de tehcir’ n’était
en fait que « la Loi provisoire sur des mesures à mettre en pratique
par l’armée pour ceux qui s’opposent aux décisions du gouvernement
pendant la guerre ». La protection de la vie et des biens des Arméniens
durant cette étape de déplacement et le soin apporté à leur approvisionnement
en eau, nourriture et hébergement, ont été confiés aux autorités
régionales le long de la route du déplacement. Il a été décrété que les
Arméniens déplacés étaient autorisés à emporter leurs biens et des arrangements
concernant leurs propriétés devaient être établis et soumis
aux autorités concernées.
Ce fut une action fâcheuse mais une mesure militaire inévitable pour
le gouvernement ottoman impliqué dans une guerre majeure. Aucune
puissance au monde n’aurait pu rester indifférente face à une telle situation.
Le déplacement fut également décidé sous l’insistance du général
en chef de l’armée allemande. En effet, l’une des raisons de ce déplacement
était d’éviter un conflit entre Arméniens et Turcs en Anatolie
de l’est du fait que les assauts arméniens avaient provoqué les réactions
des Turcs. N’oublions pas que la Loi du tehcir fut émise au moment où
les troupes turques étaient en pleine bataille des Dardanelles, l’une des
plus féroces côté turc durant la première guerre mondiale. Le processus
de déplacement fut mené avec succès puisque la plupart des Arméniens
furent sûrement transférés vers la Syrie. Bien entendu, certaines
autorités locales ont agi de manière irresponsable et quelques bandes
attaquèrent les convois arméniens pour se venger.
Il n’est guère possible de qualifier cela de ‘génocide’ que les Arméniens
prétendent. Il est vrai que ce qui eut lieu en 1915 fut une histoire malheureuse
pour les Arméniens. Mais on ne devrait pas omettre la souffrance
des Turcs et autres populations musulmanes en Anatolie due
aux assauts arméniens. Dans ce sens, Turcs et Arméniens s’entretuèrent
dans une lutte réciproque.
Un autre point souvent perdu de vue est que les deux nations ont vécu
ensemble en paix durant des siècles sous le gouvernement ottoman
jusqu’au milieu du XIXème siècle. Dès que les puissances européennes
manifestèrent leurs intérêts dans la région, la nature des relations entre
Arméniens et Turcs prit une tournure dramatique. Si l’on devait blâmer
quiconque, ce devrait être les pouvoirs impériaux de l’Occident mais ni
les Turcs ni les Arméniens.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
118
A regarder la position actuelle des relations turco-arméniennes, indéniablement
certains obstacles existent toujours à la réconciliation et à
la compréhension des problèmes, et le premier d’entre eux est d’ordre
politique. Celui-ci provient en grande partie de la diaspora arménienne
qui cherche à forcer les politiques des différents pays, davantage préoccupés
par leurs affaires intérieures et leurs électeurs que par la question
du génocide arménien, à passer des résolutions contre la Turquie. Ceci
ne mena à rien d’autre qu’à faire de cette affaire une question politique
et creuser le fossé entre les parties désirant une réconciliation. Le plus
important dans tout cela, c’est que ce processus a ouvert la voie à une liquidation
de l’histoire. En effet, les résolutions adoptées pour le respect
du prétendu ‘génocide’ arménien par certains parlements de pays tiers,
n’en constituent pas, loin de là, une preuve historique, mais rendent
bien plutôt la question délicate et d’un enjeu politique. A contre-pied
de ces actions, la Turquie use de son pouvoir politique, économique
et diplomatique pour déjouer les impacts de telles actions politiques.
La Bataille des Dardanelles ou
Campagne des Dardanelles
L’une des grandes batailles de la guerre prit place à Gallipoli, connue
sous le nom de bataille de Çanakkale en turc, de campagne de Gallipoli
ou des Dardanelles en France, en Grande Bretagne, en Australie
et en Nouvelle Zélande. Une opération conjointe franco-britannique
fut conduite dans le but de conquérir éventuellement la capitale ottomane
Istanbul. A travers cette bataille, les Alliés cherchaient à ouvrir
une route sûre d’approvisionnement vers la Russie qui faisait face à
la révolte menée par Lénine. L’Empire allemand et austro-hongrois
bloquaient les routes terrestres de commerce de la Russie vers l’Europe
et aucune route maritime praticable n’existait. Le seul accès à la
Mer Noire se faisait par les Dardanelles et le Bosphore contrôlés par
l’Empire ottoman.
Le premier lord de l’Amirauté du Royaume-Uni, Winston Churchill,
exposa ses premiers plans d’une attaque navale sur les Dardanelles. Un
plan d’attaque et d’invasion de la péninsule de Gallipoli finit par être
approuvé par le cabinet britannique en janvier 1915.
La première grande attaque navale des Alliés fut lancée sur les Dardanelles
le 18 mars 1915. Une flotte massive commandée par l’Amiral
de Robeck comptant pas moins de 16 cuirassés tenta de pénétrer dans
le détroit des Dardanelles. Mais la plupart des navires furent endom-

magés par une série de mines sous-marines disposées le long de la rive
asiatique par le poseur de mines turc Nusret. Des chalutiers furent utilisés
par les Britanniques comme démineurs. Les Alliés se retirèrent dès
que les Turcs ouvrirent le feu sur eux, laissant le champ de mines intact.
Puis, 3 cuirassés furent coulés par l’artillerie turque : deux navires britanniques,
l’Ocean et l’Irresistible, et un navire français, le Bouvet. Le
cuirassé britannique l’Inflexible et les deux cuirassés français, le Suffren
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
120
et le Gaulois, furent sévérement endommagés. Ces pertes incitèrent les
Alliés à suspendre toute autre tentative de forcer les détroits par la seule
puissance navale. La défaite de la flotte britannique remonta le moral
des troupes turques. Après l’échec de ces attaques navales, il fut décidé
d’engager les forces terrestres pour abattre l’artillerie mobile turque.
Au début de l’année 1915, des soldats volontaires australiens et néozélandais
furent campés en Egypte. Ces troupes furent organisées en
Corps d’armée australien et néo-zélandais (Australia and New Zealand
Army Corps, ANZAC). Le Général Hamilton avait également sous
son commandement les 29è et 10è divisions régulières britanniques
ainsi que les Corps expéditionnaire français de l’Orient. Les forces alliées
entamèrent dès lors l’invasion de la péninsule de Gallipoli le 25
avril 1915. Ils durent néanmoins faire face à une extraordinaire résistance
de la part des Turcs. Au début, il fut difficile aux troupes turques
de contenir l’avancée des envahisseurs, mais ceux-ci ne parvenaient pas
à avancer comme prévu, à peine trois kilomètres en trois mois. C’est
alors que le 2 août, l’infanterie alliée accosta à Suvla. Une fois de plus,
les Turcs sous commandement du lieutenant Mustapha Kemal, parvinrent
à gagner les hauteurs des collines d’Anafarta, ce qui transforma le
front de Suvla en guerre statique de tranchée.
La bataille dura jusqu’à la fin du mois de décembre sans grand succès
du côté des Alliés. Comble de l’ironie, l’évacuation commencée en décembre
fut le plus grand succès des Alliés pendant cette campagne. La
dernière troupe alliée quitta Gallipoli à la fin de la première semaine
de janvier 1916. En fin de compte, les Turcs perdirent environ 250 000
personnes, et les pertes alliées s’élevaient à environ 150 000.
La Bataille des Dardanelles fut l’un des meilleurs moments et des plus
glorieux dans l’histoire des Turcs. Ce fut l’élan ultime dans la défense
de la patrie alors que depuis des siècles l’Empire ottoman s’écroulait ;
c’est ainsi que furent jetées les bases de la lutte nationale turque menant
à la fondation de la nouvelle République huit ans plus tard par
Atatürk, lui-même commandant lors de la bataille de Gallipoli. Encore
aujourd’hui, la journée de l’ANZAC est célébrée en Australie et en
Nouvelle Zélande, et l’on considère que la Bataille marqua la naissance
des identités nationales collectives de ces deux nations supplantant le
sentiment collectif d’affiliation à l’Empire britannique.
Les Turcs ont courageusement résisté et défait les gigantesques flotte
et armée alliées à Gallipoli. Mais la situation sur le front de l’Egypte
n’allait pas sans problèmes. L’objectif de cette campagne encouragée

par l’Allemagne, était de rétablir le contrôle ottoman sur l’Egypte et
particulièrement Suez d’où l’on pouvait couper la route vers l’Inde à
l’Empire britannique. Mais l’entreprise fut un échec.
Les accords secrets
Le chérif Hussein Ibn Ali, l’émir du Hedjaz, lança la Révolte arabe
contre les Ottomans en 1916. Il visait à établir un Etat arabe indépendant
s’étendant d’Alep en Syrie à Aden au Yémen. C’était là la promesse
des Britanniques en contrepartie de la révolte qu’il lança contre
les Ottomans. En réalité, cela faisait partie de la politique des grandes
puissances pour le partage de l’Empire ottoman. La Grande Bretagne
et la France établirent des accords secrets dits les accords Sykes-Picot
de mai 1916 délimitant les zones d’influence respectives après la première
guerre mondiale et le partage du Moyen-Orient après la chute
attendue de l’Empire ottoman. Conformément aux accords, la Grande
Bretagne contrôlerait la zone comprenant à peu près la Jordanie, l’Irak
et une partie autour de Haïfa pour permettre l’accès aux ports de la
Méditerranée, tandis que la France étendrait son mandat sur le sud-est
de l’Anatolie. Plus tard, les accords s’élargirent pour laisser place à la
Russie et à l’Italie. La Russie recevrait l’Anatolie de l’est, les Italiens
prendraient les îles égéennes et étendrait son influence sur la zone autour
d’Izmir dans le sud-ouest de l’Anatolie. Et ce n’était pas tout :
la Grande Bretagne soutenait également les plans sionistes pour un
‘foyer national’ pour le peuple juif en Palestine à travers la déclaration
Balfour de 1917, du nom du ministre des Affaires Étrangères britannique
Arthur James Balfour, suivant le plan de dépècement de l’Empire
ottoman.
La Révolution russe de 1917 fut désavantageuse pour la Russie qui
s’est vue désavouée dans ses prétentions sur l’Empire ottoman. Lénine
divulgua alors le texte confidentiel des accords de Sykes-Picot ainsi
que d’autres traités causant de l’embarras dans le camp des Alliés et
éveillant le sentiment de méfiance chez les Arabes. La Révolution
russe eut également pour conséquence le retrait des troupes russes de
là où elles avaient envahies les territoires ottomans en signant le Traité
de Brest-Litovsk en mars 1918, tandis que la situation militaire des
troupes turques stationnées en Irak et en Syrie empirait. Les autres
membres des pouvoir centraux se retirèrent à leur tour de la guerre
en acceptant leur défaite. Confiants dans le programme du Président
américain Wilson qui garantissait qu’« aux régions turques de l’Empire
ottoman actuel devraient être assurées la souveraineté et la sécurité », le
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
122
gouvernement ottoman décida d’offrir une trêve aux Alliés et signa le
30 octobre 1918 l’armistice de Moudros.
L’Empire ottoman qui couvrait tous les Balkans, la plupart du Moyen-
Orient et l’Afrique du nord aussi bien que le Caucase, avait réussi à
maintenir une quasi stabilité à l’apogée de son pouvoir aux XVIème et
XVIIème siècles et une grande partie du XVIIIème siècle. Cette période
fut appelée la Pax-Ottomana par certains historiens ottomans. Le
terme est significatif si l’on comparait la situation d’instabilité sociale,
économique et politique qu’ont vécue ces régions après la fin du gouvernement
ottoman, particulièrement après la fin de la guerre froide.
L’armistice de Moudros
L’armistice qui mit fin aux hostilités entre l’Empire ottoman et les Alliés
fut signé par le ministre de la Marine Rauf Bey et l’amiral anglais
Calthorpe à bord du HMS Agamemnon dans le port de Moudros sur
l’île de Lemnos, entérinant la défaite de l’Empire durant la première
guerre mondiale. Avant la signature du Traité, l’amiral Calthorpe apporta
la garantie à Rauf Bey qu’Istanbul ne serait pas occupée et que les
navires de guerres grecs ne s’en approcheraient pas. Conformément aux
25 articles de l’armistice, les Ottomans devaient renoncer à leur Empire
à l’exception de l’Anatolie, et devaient abandonner leurs garnisons au
Hedjaz, au Yémen, en Syrie, en Irak, en Tripolitaine et en Cyrénaïque.
Les Alliés occupèrent les détroits des Dardanelles et du Bosphore
et les tunnels des montagnes du Taurus. Ils s’acquirent également le
droit d’occuper six provinces peuplées d’Arméniens dans le nord-est
de l’Anatolie en cas de désordres, aussi bien que des lieux stratégiques
lorsqu’il s’agissait de la sécurité des Alliés. Leur objectif premier était
de contrôler toutes les munitions et leur distribution. Leur deuxième
objectif était de disperser les différentes petites unités armées soit en
les intégrant dans de plus grandes unités mieux contrôlées, soit en les
renvoyant chez elles.
A y regarder de plus près, on peut déceler à travers les articles de l’armistice
que la vraie visée des Alliés était d’ouvrir l’Anatolie à l’invasion
sans rencontrer de résistance. Sans même attendre la conférence de paix
qui devait se tenir après la guerre, les Alliés commencèrent à envahir
l’Anatolie invoquant divers prétextes. D’abord, la Grande Bretagne
envahit illégalement Mossoul trois jours seulement après la signature
de l’armistice. En fait, au moment de la signature, les troupes britanniques
étaient stationnées à une soixantaine de kilomètres au sud de la

province. Ils ne devaient pas avancer vers le nord selon les termes de
l’armistice.
Au mépris des promesses déjà faites, 73 unités de navires de guerre britanniques,
françaises, italiennes et grecques jetèrent l’ancre devant Istanbul
le 12 novembre 1918. Les provinces turques d’Adana et Mersin
dans le sud de l’Anatolie furent envahies par les Français en décembre
1918 ; à son tour, Antep fut prise par les Anglais le 17 décembre de la
même année, tout comme Marach le 22 février et Urfa le 24 mars 1919.
Les Italiens, de leur côté, s’emparèrent d’Antalaya, de Fethiye, de Bodrum
et de Konya. Par la suite, les Anglais étendirent leur contrôle sur
les régions de la Mer Noire en s’emparant de Samsun et de Merzifon et
cédèrent Antep et Marach à la France, manifestant plus d’intérêt pour
l’Irak, région riche en pétrole.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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CHAPITRE 11
La guerre d’indépendance turque (1919-1923)
La lutte nationale turque (1919-1923)
Signalons de prime abord que la lutte nationale turque fut la conséquence
des développements politiques et militaires qui prirent place
entre 1919 et 1922 et matérialisés par les conditions de l’armistice de
Moudros. Néanmoins, cette lutte revêtit un autre aspect dans la mesure
où elle a accéléré le processus de modernisation turc entamé depuis de
XVIIIème siècle. Au terme de cette lutte nationale, son chef, Mustapha
Kemal Atatürk, fonda la République turque. Ce fut un moment important
dans l’histoire turque car, pour la première fois, il vit le passage de
la souveraineté aux mains du peuple.
L’armistice de Moudros mit pratiquement fin à l’Empire ottoman dont
les territoires, hormis l’Anatolie et la Thrace orientale, furent abandonnés
à l’autorité des Alliés. Lorsque les officiers chefs de l’armée
ottomane comme Mustapha Kemal, Kazim Karabekir et bien d’autres,
retournèrent à Istanbul en novembre 1918, ils trouvèrent la capitale
quasiment occupée. Une anecdote célèbre rapporte que lorsque Mustapha
Kemal vit les navires ennemis accostés dans le Bosphore, il aurait
dit : « Ils (les ennemis) retourneront de là où ils sont venus ». Cela
démontre sa détermination à la résistance contre l’invasion.
Le gouvernement ottoman et le sultan étaient trop affaiblis pour
pouvoir imposer leurs décisions ou restaurer la loi et l’ordre dans les
différentes régions, principalement parce que la capitale était occupée
par les Alliés. Bien pis encore, les membres du gouvernement ottoman
ne voyaient d’autres solutions que de coopérer avec les occupants
dont les intentions ont été soulignées plus haut. Ainsi, depuis que le
pays était en état d’effondrement et que le gouvernement d’Istanbul
n’avait aucune perspective pour surmonter la situation dans laquelle se
trouvait l’Empire, Mustapha Kemal et ses collègues tinrent une série
de réunions à Istanbul pour débattre de l’avenir du pays. Des factions
adverses et des visions contradictoires s’affrontaient, mais tous étaient
unis par la conviction que l’objectif des Alliés était l’éviction de leur
souveraineté dans leur propre patrie. Cette vision fut la force motrice
derrière l’union des populations turques d’Anatolie. Il fut décidé que
puisque le gouvernement d’Istanbul et le sultan lui-même étaient sous
contrôle étranger, la seule manière d’échapper à cette domination était

de rejoindre l’Anatolie afin d’y organiser le mouvement national contre
les occupants. Et ce fut un changement inattendu pour les nationalistes
lorsque certains collègues de Mustapha Kemal tels Refet Bele, Kazim
Karabekir, Ali Fuad Cebesoy, etc., en majorité des officiers nationalistes,
furent nommés par le Ministère de la Défense (Harbiye Naziri)
dans les corps militaires en différentes parties de l’Anatolie.
Entre-temps, les gouvernements alliés étaient sur le point de prendre
une décision sur le sort de l’Anatolie de l’ouest. Izmir et l’ouest anatolien
furent concédés à l’Italie par des accords secrets établis pendant
la guerre visant à partager l’Anatolie entre les Alliés. Mais lorsque la
Grande Bretagne mit sur la table des discussions la possibilité de l’invasion
grecque d’Izmir, l’Italie quitta la Conférence de Paix le 24 avril
1919 et n’y retourna que le 5 mai. En son absence, Llyod Georges persuada
la France et les Etats-Unis de favoriser les intérêts de la Grèce
à Izmir et en Anatolie occidentale aux dépens de l’Italie. L’ on peut
aisément affirmer que l’invasion d’Izmir par la Grèce le 15 mai 1919
réveilla le sentiment national et accéléra l’adhésion de la population aux
mouvements de lutte nationale en organisant localement la Société de
Défense des Droits et Intérêts (Müdafa-i Hukuk Cemiyetleri) et en
établissant des Milices nationales (Kuvay-i Milliye) pour faire front
aux occupants dans leurs régions. A ce moment, l’occasion fut donnée à
Mustapha Kemal d’obtenir un poste officiel en Anatolie lorsque l’amiral
Calthorpe, l’intermédiaire britannique dans l’Empire ottoman, remit
un mémorandum au gouvernement alléguant que les Grecs en Mer
Noire étaient sujets aux assauts des civils Turcs. Le ton du mémorandum
monta d’un cran et menaça que: « si cela ne cessait pas, l’intervention
alliée serait inévitable ». En fait, même si la menace existait pour
les Turcs qui subissaient des attaques de bandes grecques encouragées
par les forces alliées, tout cela ne fut qu’une excuse pour justifier l’intervention
alliée. Pour éviter que l’immixtion étrangère ne prenne plus
d’ampleur, le sultan Mehmed Vahdedin (Mehmed VI, 1918-1922), le
36è et dernier sultan, nomma Mustapha Kemal inspecteur général de
la neuvième armée le 30 avril 1919 en lui accordant de larges pouvoirs.
Sa tâche consistait à désarmer l’armée turque et rétablir le calme dans
la région ; en d’autres termes, il devait inspecter les progrès de l’application
des termes de l’armistice. En réalité, Mustapha Kemal allait se
servir de cette mission pour accomplir son objectif principal qui était
d’organiser le mouvement de résistance nationale. Deux motivations
animaient Mustapha Kemal : l’une était de lutter contre l’invasion
étrangère, l’autre visait l’établissement de la souveraineté nationale qui
conduisait forcément à la lutte contre le sultan et le gouvernement ot-
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
125

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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toman. Le nom de Mustapha Kemal était déjà familier à la population
turque étant donné que ses succès passés à Gallipoli lui avaient donné
quelque crédit.
Le réveil national
Mustapha Kemal quitta Istanbul en embarquant sur un paquebot, le
Bandirma, l’après-midi du 16 mai 1919 en direction de Samsun, un
district au milieu de la région de la Mer Noire, où il débarqua le 19
mai. Cette date est communément acceptée comme le début du Mouvement
de lutte nationale. Il fit prendre conscience à la population de la
ville du débarquement des Grecs et de l’invasion étrangère du pays et la
mit au courant de l’incapacité du gouvernement d’Istanbul à faire face
à cette situation. Il informa ses collègues par télégraphe de sa présence
à Samsun et de son intention d’avancer dans l’Anatolie intérieure. Sa
destination finale était Sivas, beaucoup plus sûre qu’un autre lieu, pour
y organiser le Mouvement de résistance nationale. Sivas fut choisie
entre autres en raison de la présence de son ami Kazim Karabekir à
la tête d’un corps d’armée à Erzurum toute proche et en raison de son
éloignement du champ d’influence du gouvernement d’Istanbul.
Pour atteindre Sivas, il se déplaça vers Havza où il établit des liens avec
les différents groupes nationalistes et appela la population à un grand
congrès. Il envoya également des télégrammes de protestation aux ambassades
étrangères et au Ministère de la guerre à Istanbul au sujet
des renforts anglais dans la région et du soutien anglais aux bandes de
brigands grecs. Alors qu’il était officiellement chargé du désarmement
des militaires, Mustapha Kemal multipliait ses contacts pour donner de
l’impulsion à son mouvement. Il passa à Amasya où il rencontra Rauf
Bey, Ali Fuat Bey et Refet Bey. Après un travail préparatoire, le 22 juin
1919 ils émirent un document dit ‘la circulaire d’Amasya’ appelant la
population turque à être vigilante aux attaques étrangères qui menaçaient
leur existence. Distribuée à travers l’Anatolie, la circulaire déclarait
que l’indépendance de la Turquie et son intégrité étaient en danger.
Elle appelait aussi à un congrès national qui allait se tenir à Sivas, mais
avant, à un congrès à Erzurum qui comprendrait les représentants des
province de l’est anatolien.
Pour le gouvernement d’Istanbul, Mustapha Kemal était allé trop loin
en publiant la circulaire.
Le sultan le rappela à Istanbul dans la nuit du 7 juillet 1919 et Mustapha
Kemal n’eut d’autre choix que de démissionner de ses postes officiels.
Cependant, son leadership dans le mouvement national demeura

intact. Il continua à préparer avec d’autres le congrès d’Erzurum qui eut
lieu du 23 juillet au 7 août. Ce fut la seconde étape dans la constitution
de l’unité nationale.
Par ailleurs, l’invasion grecque suscita un éveil national dans l’ouest de
l’Anatolie où également certains congrès se tenaient. Des délégués de
cette région furent envoyés au congrès de Sivas (4-11 septembre 1919).
Ce congrès prit certaines décisions qui allaient fondamentalement déterminer
la future politique du Mouvement national. Il fut décidé de
reconnaître les frontières de la Turquie telles qu’elles ont été établies par
l’armistice de Moudros et de donner aux organisations locales le nom
de ‘Société de Défense des Droits et Intérêts des provinces d’Anatolie
et de Roumélie’. On décida également à Sivas que le parlement devrait
se réunir à Istanbul même s’il paraissait clair qu’il ne pourrait pas fonctionner
sous occupation étrangère. Ce fut une occasion exceptionnelle
de jeter les bases et affirmer la légitimité du Mouvement national. Une
autre décision tout aussi importante fut prise au Congrès : la création
d’un Comité exécutif qui sera chargé de la diffusion et de l’application
des décisions du Congrès. Toute cette organisation pouvait très bien
représenter un nouveau gouvernement si les Alliés décidaient de dissoudre
la totalité de la structure gouvernementale ottomane. Mustapha
Kemal fut élu chef du Comité. A partir du congrès de Sivas, le Mouvement
d’Anatolie dirigé par Mustapha Kemal devint une structure
organisée qui couvrait pratiquement tout le pays. Le Comité agissait tel
un réel gouvernement dès que Ali Fuat Pacha fut nommé commandant
des forces miliciennes nationales d’Anatolie occidentale ayant pour
mission de lutter contre l’armée grecque.
Le Mouvement national en Anatolie devint si efficace que le gouvernement
d’Istanbul dut prêter une plus grande attention aux nationalistes.
Ainsi, le premier ministre Damat Ferid Pacha, un farouche opposant au
Mouvement national et un probritannique fervent, dut démissionner et
fut remplacé par Ali Riza Pacha plus complaisant à l’égard du Mouvement.
Ce dernier dépêcha le ministre de la Marine, Salih Pacha, auprès
de Mustapha Kemal pour négocier. Les deux hommes se rencontrèrent
à Amasya les 20 et 22 octobre 1919 et signèrent un protocole par lequel
ils s’engageaient à défendre l’intégrité territoriale telle qu’elle a été
définie par l’armistice de Moudros. Salih Pacha accepta également que
le parlement ottoman se tienne en quelque lieu de l’Anatolie et non à
Istanbul. Le 27 décembre, Mustapha Kemal transféra son Comité exécutif
à Ankara pour y établir le centre permanent des Mouvements nationaux.
En outre, Ankara fut choisie car plus proche du front de l’ouest
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
127

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
128
et d’Istanbul. De la sorte, Mustapha Kemal était en position d’élargir
son contrôle sur le Parlement via ses partisans choisis en Anatolie pour
devenir membres du Parlement. Ankara acquit très vite de l’importance
pour Mustapha Kemal et son Comité exécutif.
Le Serment national
A cause de la pression que faisait subir les Anglais, Ali Riza était
dans l’incapacité de faire reconnaître la plupart des termes du Protocole
d’Amasya. Il parvint néanmoins le 12 janvier 1920 à rassembler
le Parlement ottoman à Istanbul. Avant cela, de nouvelles élections
parlementaires avaient eu lieu. Le gouvernement d’Ali Riza était probablement
perçu comme une aubaine par les nationalistes si ce n’est
que le Parlement vivait sous la menace du bataillon anglais stationné à
Istanbul. Le Serment national fut toutefois reconnu par le Parlement
comme l’avait suggéré Mustapha Kemal aux députés venus lui rendre
visite avant son arrivée à Istanbul.
La première clause du Serment était d’une grande importance : elle
stipulait que l’avenir des territoires habités par une population majoritairement
arabe au moment de la signature du Traité de Moudros le
30 octobre 1918, serait déterminé par un référendum. Les territoires
qui n’étaient pas occupés à ce moment et qui étaient habités majoritairement
par des populations turques musulmanes appartiendraient à
la patrie de la Nation turque. Une autre clause du Serment réclamait
l’indépendance et la liberté du pays afin de pouvoir le développer dans
tous les domaines et ajoutait que toute restriction sur le développement
politique, constitutionnel, et financier du pays serait levée.
Les chefs du Mouvement national turc énoncèrent leurs objectifs dans
un Serment national dans lequel ils proclamèrent leur détermination
à poursuivre la résistance pour le salut et l’indépendance totale de la
Nation turque. Le Serment délimita également les frontières d’une
nouvelle Turquie habitée par une majorité de musulmans, unis dans la
foi, la culture et la race.
Les puissances alliées n’étaient forcément pas ravies de cette déclaration
du Serment national. Elles manifestèrent leur réaction en occupant
officiellement Istanbul le 16 mars 1920. Le Parlement ottoman
fut dissous le 11 avril par le sultan. Les députés arrêtés par les Britanniques
furent envoyés à Malte. D’autres, qui sont parvenus à échapper à
l’arrestation, rejoignirent Mustapha Kemal à Ankara. Ce dernier avait
voulu que le Parlement se tienne à Ankara ou en un lieu en Anatolie
comme Bursa, et ce qu’il avait prévu arriva.

La renaissance d’une Nation
Mustapha Kemal envoya un mémorandum aux représentants des Alliés
à Istanbul et aux parlements français, anglais et italien en signe de
protestation contre l’invasion. De son côté, Kazim Karabekir, le commandant
du 15è corps de l’armée, arrêta le colonel anglais Rawlinson
ainsi que 20 autres ressortissants anglais en protestation contre l’invasion
d’Istanbul. Après cela, Mustapha Kemal défendit toute relation
de quelque nature que ce soit avec le gouvernement d’Istanbul. Il émit
une circulaire le 19 mars déclarant qu’un nouveau parlement au pouvoir
extraordinaire devait être rassemblé à Ankara. Il serait composé
de députés de l’ancien Parlement et de nouveaux membres élus par le
peuple turc. La question à ce point de développement était de savoir si
le nouveau parlement serait la continuation du Parlement ottoman ou
non. Mustapha Kemal voulait que ce Parlement soit ‘constitutionnel’.
Mais pour échapper à de longs débats sur sa nature, il décida de le
nommer la Grande Assemblée Nationale (GAN) qui se composerait
de 300 députés. Elle ouvrit sa première séance le 23 avril 1920 avec
Mustapha Kemal pour président. Il est évident que cette nouvelle formation
en Anatolie n’était pas seulement un mouvement dirigé contre
les puissances d’occupation, mais marquait aussi la fondation d’un Etat
nouveau. L’Assemblée Générale adopta la première Constitution le 20
janvier 1921, qui stipulait que :
1. Le pouvoir national investi dans l’Assemblée nationale est le
principe fondamental pour l’avenir du pays.
2. La Grande Assemblée Nationale est investie des pouvoirs législatifs
et exécutifs.
3. Un Comité qui sera élu au sein de l’Assemblée, exercera le pouvoir
exécutif. Le président de l’Assemblée présidera aussi ce Comité.
Les événements qui suivirent l’ouverture de la GAN mirent la nouvelle
administration devant un choix difficile, entre la vie et la mort. Ils devaient
lutter sur deux fronts : d’abord avec Istanbul et les puissances
alliées ; puis contre les révoltes en Anatolie, fomentées pour la plupart
par ces mêmes puissances. Après la dissolution du pouvoir ottoman,
Ali Riza Pacha fut remplacé par Damat Ferit Pacha favorable aux Anglais
et qui coopérait avec les Alliés pour mettre à mal le gouvernement
d’Ankara. Au même moment, se tenait à San Remo une conférence
internationale organisée par les puissances alliées (18-26 avril 1920)
autour de laquelle on discutait des termes du traité de paix qui devait
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
129

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
130
être signé avec les Turcs. Une première ébauche du traité fut proposée
aux Turcs qui le rejetèrent comme inacceptable vu qu’il suggérait le démembrement
de la Turquie. Le 22 juin, les forces grecques envahirent
la ligne ouest entre Uşak et Bursa pour forcer les Turcs à accepter les
offres de paix des Alliés. Le 8 juillet, l’invasion de Bursa était effective,
et de là, toute la région égéenne et la Thrace orientale. Sous de telles
pressions, le gouvernement de Damat Ferit Pacha dut signer le Traité
de Sèvres le 10 août 1920. Ce traité consacrait le dépeçage de l’Empire
ottoman conformément aux accords secrets établis par les puissances
alliées. La Turquie, dont les frontières avaient été définies par le Serment
national, se voyait limitée à Istanbul et son arrière-pays et à une
mince partie de l’Anatolie. Les Alliés ne laissèrent que peu d’espace aux
Turcs en Anatolie. Le Traité de Sèvres fut catégoriquement rejeté par la

GAN et ceux qui signèrent le Traité furent déclarés ‘traîtres’. Ce fut un
accord avorté en l’absence du Parlement ottoman aboli après l’occupation
d’Istanbul par les Alliés. Dû à cette absence, le Traité ne fut donc
pas envoyé au sultan Mehmed VI pour être ratifié, et ne parut même
pas dans le journal officiel, le Takvim-i Vakayi. De surcroît, aucun autre
pays hormis la Grèce ne ratifia le Traité.
La lutte pour la liberté
Le Traité ne fut pas ratifié en raison de la forte opposition de la GAN et
du rejet très vif de la population turque. Pour autant, les Alliés n’abandonnèrent
pas leurs objectifs en Turquie. Ils fomentèrent des insurrections
par-ci par-là en Anatolie avec la collaboration du gouvernement
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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d’Istanbul et menèrent une propagande dans l’est anatolien appelant à
l’établissement des Etats arménien et kurde indépendants. Les Arméniens,
impatients d’avoir leur part de l’Anatolie orientale pour réaliser
leur projet de Grande Arménie qui fut à chaque fois repoussé par les
Alliés, attaquèrent et massacrèrent la populations de la région. Kazim
Karabekir fut chargé d’attaquer les forces arméniennes et les repoussa
au-delà des frontières turques. Le 18 novembre 1920, on appela à un
cessez-le-feu sur le front de l’est et un traité de paix dit Traité de Gumri
fut signé le 3 décembre 1920.
Une autre lutte commencée juste après l’armistice de Moudros se déroulait
sur le front du sud. Les forces françaises avaient occupé les régions
sud de la Turquie après l’armistice mais durent faire face à un
immense mouvement de résistance organisée de la population locale
soutenue par la GAN. Le conflit avec les Français prit fin avec les Accords
d’Ankara le 20 octobre 1921.
Un nouveau conflit éclata en Thrace orientale lorsque les Grecs envahirent
la région en 1920. Déjà, de rudes affrontements eurent lieu au
moment de l’occupation grecque de la partie ouest de la Turquie. Avec
la prise d’Izmir par les Grecs, les populations vivant dans les zones
occupées organisèrent des milices pour se défendre de la cruauté des
Grecs dans la région. Ces milices commencèrent à s’organiser en une
armée nationale après l’ouverture de la GAN. Ainsi, vers la fin de l’année
1920, le gouvernement d’Ankara se trouvait en présence d’une armée
nationale organisée. Ce fut une étape de grande importance pour
la GAN à un moment où les Grecs entamèrent leur campagne à l’intérieur
de l’Anatolie au début de l’année 1921.
Le 6 janvier 1921, les troupes grecques marchèrent d’abord de Bursa et
d’Uşak vers Eskişehir et Afyon mais furent défaits à la première bataille
menée par Inönü le 11 janvier 1921 et durent battre en retraite. Suite
à ces premiers succès des Turcs sur le front ouest, les Alliés crurent
nécessaire d’apporter quelques modifications aux clauses du Traité de
Sèvres. Ils invitèrent donc les Turcs à la conférence de Londres qui se
tint du 21 février au 12 mars 1921. Quand bien même les Turcs ne
parvinrent pas à prendre d’importantes résolutions, cette conférence
leur fut utile dans la mesure où elle fit connaître le Mouvement national
turc à travers le monde. Comme la GAN rejetait l’offre des Alliés,
les troupes grecques furent encouragées par les Britanniques à lancer
une nouvelle attaque. Le 30 mars marqua une nouvelle fois leur défaite
devant l’armée d’Inönü.

Entre-temps, l’Italie qui avait établi depuis peu de bonnes relations
avec Ankara, commençait à retirer ses troupes d’Antalaya et de ses
environs vers le mois de juin. Cette décision marquait une rupture
entre les Alliés. Néanmoins, les forces grecques furent victorieuses aux
batailles d’Eskişehir et de Kutahya les 10 et 24 juin 1921. Mustapha
Kemal ordonna alors à l’armée turque de se retirer en position défensive
à l’est de Sakarya, à une cinquantaine de kilomètres d’Ankara. Ce
retrait tactique devait donner le temps de réorganiser l’armée. Mais
cette opération suscita de nombreuses réactions critiques à la GAN
qui était en état de panique. C’est alors que Mustapha Kemal convint
la GAN de lui remettre les pleins pouvoirs et se fit nommer commandant
en chef grâce à une loi entérinée le 5 août 1921. Il mit en place
les préparatifs nécessaires pour un assaut final sur les troupes grecques
en Anatolie. De leur côté, les troupes grecques avaient hâte, après leurs
victoires, d’attaquer les troupes turques pour leur infliger la défaite
finale. Mais à la fin de la bataille de Sakarya (entre le 23 août et le
13 septembre 1921) qui s’étendait sur un front de 100 kilomètres, les
troupes grecques furent obligées de se replier vers l’ouest mettant fin
à l’offensive en Anatolie. La GAN qui avait formulé des critiques à
l’encontre de Mustapha Kemal avant la bataille, le récompensa en lui
accordant le titre de Maréchal et de Ghazi (Héros Vétéran) pour ses
exploits à la bataille de Sakarya.
Grâce à ces exploits, la GAN gagna en crédibilité, non seulement aux
yeux des Turcs, mais également vis-à-vis du monde entier et même
parmi les Alliés. Le Traité d’Ankara fut signé avec la France le 20 octobre
1921. Les traité de Kars fut quant à lui signé avec les Etats de
l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et de l’Arménie, rendant de la sorte les
frontières turques de l’est plus sûres. Après Sakarya, la coopération
gréco-britannique prit fin.
Suite à ces développements, la Grèce voulut que les forces alliées jouent
les médiateurs en faveur d’une trêve avec les Turcs mais Ankara la rejeta.
Malgré la victoire de l’armée turque, elle n’était pas encore en position
de pouvoir repousser complètement les occupants d’Anatolie. Les
Turcs avaient besoin de temps pour mettre sur pied une armée solide
prête à donner l’assaut final contre l’armée grecque, et cela prit un an,
temps pendant lequel les troupes des fronts est et sud furent transférées
vers le front occidental ainsi que les munitions. Mustapha Kemal, le
commandant en chef, ordonna que tous les préparatifs soient prêts le
15 août 1922.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
134
La grande offensive fut lancée le 26 août, sous le commandement de
Mustapha Kemal, du général Fevzi (Çakmak) et du général Ismet
(Inönü). Les forces grecques furent encerclées et ce fut la débâcle
dans ses rangs. Certains furent faits prisonniers. Le 30 août, les forces
turques vainquirent les Grecs dans une bataille rangée dite ‘La bataille
du Commandant en chef ’ qui n’était autre que Mustapha Kemal. L’armée
turque poursuivit son opération, et le 9 septembre pénétra à Izmir,
le 11 à Bursa et finalement, le 18 septembre, tout le pays fut libéré de
l’occupation grecque.
La phase finale du conflit:
La formidable victoire de Mustapha Kemal
La dernière chose à faire pour Mustapha Kemal était de libérer Istanbul,
les détroits des Dardanelles et du Bosphore et la Thrace orientale.
Toutefois, la tension entre les troupes turques et britanniques était
à son comble lorsque le premier ministre anglais, Llyod Georges, dé-

clara que cela justifiait un casus belli. Cette fois, la guerre était imminente
entre la Grande Bretagne et la Turquie, les troupes d’occupation
britanniques étant postées pas loin de Chanak (Çanakkale), un petit
port situé sur les bords du détroit des Dardanelles. Le 15 septembre, la
Grande Bretagne envoya un télégramme faisant appel à la contribution
de ses colonies en soldats pour démontrer la solidarité au sein de son
Empire contre les Turcs. Cette crise fut appelée l’‘Affaire de Chanak’.
Le lendemain, la requête fut rendue publique, accusant ainsi une transgression
de l’étiquette impériale et du bon sens politique. En fait, la
France et l’Italie se sont désolidarisées de l’Angleterre, la laissant seule
dans cette affaire. Le public britannique n’étant pas non plus favorable
à une guerre et les Turcs de leur côté s’engageant à ne pas fermer les
détroits, la crise prit fin rapidement.
Les pourparlers de paix
Les victoires remportées par l’armée turque amenèrent les Alliés à discuter
les modalités d’une trêve avec Mustapha Kemal. Finalement, le
11 octobre 1922, l’armistice de Mudanya fut signé, ouvrant la voie au
Traité de Lausanne. Conformément à cet armistice, les Grecs devaient
évacuer dans les 15 jours la Thrace orientale qui revenait aux Turcs.
Les forces alliées présentes à Istanbul et dans le Bosphore y resteraient
jusqu’à la signature du traité de paix. Sous occupation étrangère depuis
le traité de Moudros, la Turquie était maintenant délivrée de l’occupation.
Le moment était venu de discuter les termes d’un nouveau traité
de paix. A l’époque, le Traité de Sèvres, imposé au gouvernement ottoman
par les Alliés, entérinait la fin de la grande guerre, mais fut rejeté
par la GAN, entraînant une série de conflits due au rejet des clauses
qu’il contenait. Les nationalistes et leur chef Mustapha Kemal firent
en sorte de rendre le Traité de Sèvres inapplicable. Le 20 novembre,
s’ouvrirent à Lausanne, en Suisse, les négociations pour remplacer le
Traité de Sèvres, négociations entamées cette fois sur un pied d’égalité.
Les Alliés convoquèrent à la table des négociations aussi bien le gouvernement
ottoman d’Istanbul que le gouvernement national d’Ankara
pour mieux jouer de l’un contre l’autre et insinuer l’existence de deux
gouvernements en Turquie. Cette dualité des apparences aurait pu
mettre l’intégrité du pays en danger. C’est à cette occasion que Mustapha
Kemal abolit le sultanat perçu comme un système suranné. Le 1 er
novembre 1922 signa officiellement la fin de l’Empire ottoman. Mais
comme les sultans portaient aussi le titre de Califes, Abdulmedjid fut
désigné calife à la place de Mehmed VI déchu de sa position de sultan.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
136
La dynastie ottomane garda le pouvoir de califat entre ses mains, mais
la GAN devint la seule autorité du pays.
Les négociations entre les Alliés et la Turquie commencèrent alors à la
conférence qui se tenait à Lausanne à partir du 20 novembre 1922. La
délégation turque était menée par Ismet Bey (Inönü). La conférence
s’interrompit le 4 février 1923 et ne reprit que le 23 avril. Tandis que
les délégations turques insistaient sur les termes du Serment national
de 1920, les puissances alliées tenaient davantage aux termes du Traité
de Sèvres. Les principales querelles néanmoins tournaient autour des
questions de la dette ottomane, des capitulations, du statut des détroits
turcs et de la frontière irakienne.
Au bout de longues discussions, un accord fut finalement arrêté à
Lausanne le 24 juillet 1923. Le Traité confirma l’indépendance de la
République turque et marqua la reconnaissance internationale du gouvernement
de Mustapha Kemal à Ankara et de l’Etat turc. Ce fut une
immense victoire pour les Turcs qui recouvraient leur totale indépendance.
Les capitulations furent abolies. Désormais, il n’y aurait plus
d’Etat autonome arménien ou kurde, ni aucune forme d’organisation
politique dans l’est de la Turquie. L’Anatolie occidentale ne ferait pas
non plus partie du territoire grec. Les objectifs du Serment national
voulu par Mustapha Kemal étaient presque remplis. Certaines questions
demeuraient en suspens comme celles de Mossoul, Hatay (province
d’Alexandrette) et des détroits qui ne purent être résolues à la
conférence tel que l’avait envisagé le Serment national de 1920. La
Grande Bretagne persistait à vouloir rattacher Mossoul à l’Irak contrairement
à ce qui a été suggéré par l’armistice de Moudros. Les détroits
turcs furent démilitarisés et leur administration devait être prise en
charge par une commission internationale. La Turquie ne s’obstina pas
sur ces questions et préféra conclure sur une paix depuis longtemps
espérée. Elle pensa que ces problèmes seraient réglés par des voies diplomatiques
après un laps de temps.

CHAPITRE 12
La fondation de la République turque
Après les exploits militaires et politiques de la Turquie, deux autres décisions
importantes mais attendues furent prises : la première proclama
Ankara capitale de la Turquie en 1923, le 13 octobre ; la deuxième fut
la déclaration par la Grande Assemblée Nationale de la République
turque le 29 octobre 1923. La GAN élut Mustapha Kemal premier
président de la nouvelle République, lui qui avait joué un rôle primordial
dans sa fondation. Il reste le fondateur de la Turquie moderne. La
population turque lui donna le nom d’ « Atatürk » qui signifie ‘ancêtre
des Turcs’.
A. L’ère Atatürk (1923-1938): Les premières réformes
Atatürk chargea Inönü de constituer un cabinet, puis il mena une série
de réformes révolutionnaires pour jeter les fondements d’un Etat
moderne basé sur des principes démocratiques et laïques. Le 3 mars
1924, la GAN accepta une loi abolissant le califat. Le même jour, furent
promulguées deux autres lois : l’une abolissant le ministère des
Affaires religieuses et des fondations pieuses (waqfs), l’autre au sujet
de l’unification de l’éducation. Toutefois, pour régler les affaires religieuses
de la société, fut établi le Département des Affaires religieuses.
Pour satisfaire le besoin en personnel religieux, une faculté de théologie
ouvrit ses portes à Darulfunun rebaptisée Université d’Istanbul
en 1933. Du coup, toutes les écoles contrôlées par le Ministère des
Affaires religieuses et le Ministère des Fondations pieuses fermèrent
leurs portes. Avec l’unification de l’éducation, toutes les écoles passèrent
sous le contrôle du Ministère de l’Education nationale en accord
avec les principes nationaux et laïques. L’un des principaux objectifs
d’Atatürk était de moderniser l’Etat et la société turque. Pour ce faire, il
fallait se battre pour promouvoir un système d’éducation moderne. De
nombreuses écoles et universités virent le jour en 1930.
Le 20 avril 1924, la nouvelle Constitution visant à réorganiser l’Etat fut
promulguée par la Grande Assemblée Nationale turque. Les Lois du
Commerce qui avaient été réformées durant la période des Tanzimat
selon les principes de la charia (loi islamique) furent abolies. Le Code
Civil turc entra en vigueur le 4 avril 1926 grâce auquel les femmes
turques obtinrent des droits fondamentaux ; ainsi de nouveaux jalons
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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étaient posés sur la voie du progrès. La Loi Municipale de 1930 et la
Loi de l’Assemblée Nationale de 1934 garantissaient le droit de vote
aux femmes qui se voyaient acquérir tous les droits politiques fondamentaux.
En 1928, la mention « l’islam est la religion officielle de l’Etat » fut
retirée de la Constitution en conformité avec l’esprit de la laïcité. La
Constitution de 1937 posa comme principe d’élever la Turquie vers la
civilisation moderne et laïque.
Tentative avortée d’un système multipartite
Aspirant à un système démocratique, Atatürk établit le Parti du Peuple
le 9 septembre 1923 qu’il renommera le Parti Républicain du Peuple
(PRR) lors de la déclaration de la République.
Evidemment, l’un des principes d’un système démocratique est l’existence
de divers partis politiques. La Turquie avait déjà connu plusieurs
partis depuis 1908, puisque durant la période de la seconde Constitution,
certains partis furent fondés. Mais la prise forcée du pouvoir en
1913 par le parti Union et Progrès qui établit sa dictature marqua la
naissance du système du parti unique.
Après la fondation de la République, le nouvel Etat devait faire face à
une multitude de problèmes intérieurs et extérieurs. Les débats autour
de ces problèmes provoquèrent le départ de certains députés du PRR
tels Kazim Karabekir, Refet Bele et Rauf Orbay qui étaient les compagnons
d’Atatürk pendant la lutte nationale. Ils formèrent un nouveau
parti sous l’égide de Karabekir appelé le Parti du Progrès Républicain
(PPR) qui fut le premier parti d’opposition dans l’histoire de la République.
Au niveau de la politique intérieure, ce parti était généralement
considéré comme un parti à tendance islamiste. En fait, ce parti était
respectueux à l’égard des principes religieux et rassembla tous ceux qui
s’opposaient aux principes de modernisation voulus par Atatürk. Le
programme du Parti du Progrès Républicain menaçait l’unité de la
Turquie vu que cette opposition fut à l’origine de quelques événements
regrettables. A cette époque, alors que la Turquie était accaparée par la
question de Mossoul qui ne fut pas réglée pendant les négociations de
Lausanne, une rébellion menée par Cheikh Saïd éclata à l’Est. Elle fut
matée avec grand peine le 31 mai 1925, puis on déclara que le PPR
avait encouragé cette rébellion ainsi que des activités séparatistes dans
le pays. Le parti fut interdit le 5 juin 1925 mettant ainsi fin aux espoirs
de créer un système multipartite du temps d’Atatürk.

Atatürk était pleinement conscient qu’un système de parti unique était
incompatible avec la démocratie, et en dépit de l’échec de la première
tentative, il demanda à son associé proche, Fethi Okyar, de fonder un
nouveau parti pour apaiser les mécontentements engendrés par les
difficultés économiques et les programmes radicaux du gouvernement.
Fethi Okyar quitta son poste d’ambassadeur en France et retourna en
Turquie pour assumer la direction du parti. Le Parti Républicain Libre
vit le jour le 12 août 1930. Il favorisait une politique économique libérale
et respectait les principes laïques et démocratiques de la pensée
d’Atatürk. Mais quand des éléments religieux et d’autres commencèrent
à s’organiser autour de ce nouveau parti, Fethi Okyar réalisa le
danger que cela posait au régime et décida par conséquent de mettre
fin à ce parti le 17 novembre 1930. Ne parvenant pas à instaurer un
système multipartite de son vivant, Atatürk préféra maintenir la démocratie
en préservant le système parlementaire. N’oublions pas qu’à
l’époque les systèmes dictatoriaux prédominaient à travers le monde.
La politique étrangère d’Atatürk
On devrait accorder une importance particulière aux relations diplomatiques
avec les pouvoirs impérialistes établies par Atatürk au lendemain
de la lutte nationale menée contre eux. En effet, le monde au
temps d’Atatürk était entraîné dans une crise où le libéralisme était au
bord de la faillite et les régimes dictatoriaux et tyranniques prévalaient
dans la majeure partie de l’Europe. En considérant tout cela, l’émergence
d’un leader comme Atatürk était un atout non seulement pour
la Turquie mais aussi pour le monde. Lui qui s’était longtemps battu
contre les pouvoirs impérialistes occidentaux pour défendre son pays,
choisit finalement d’adopter un système politique de style occidental.
Ainsi, il devint l’un des rares leaders dans le monde à se faire l’avocat de
la paix usant de la diplomatie comme moyen de résoudre les problèmes.
Les objectifs du Mouvement national furent largement atteints avec le
Traité de Lausanne de 1923 qui accepta juridiquement l’existence de la
Turquie moderne reconnue par l’ensemble de la communauté internationale.
Encore que, pour la première fois dans son histoire, la Turquie
restait privée de son entière souveraineté sur les détroits pour la sécurité
desquels les puissances européennes se sentaient tant concernées.
La Turquie d’Atatürk était loin d’être satisfaite tant que subsistaient la
commission des détroits et les zones démilitarisées, dans la mesure où la
question des détroits constituait une barrière devant l’aspiration à une
pleine souveraineté nationale. Elle ne put insister davantage sur une ré-
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139

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
140
solution finale à Lausanne avec
la menace des navires anglais
amarrés à l’extérieur d’Istanbul,
elle attendait donc le moment
opportun. Tevfik Rüştü Aras,
l’un des délégués de l’Assemblée
Nationale engagé dans les négociations
de Lausanne et devenu
plus tard ministre des Affaires
étrangères, déclara qu’après de
longues discussions il fut conclu
que, même si la Convention des
détroits ne contredisait pas le
Serment National de 1920, les
clauses concernant la démilitarisation
des détroits mettraient à
coup sûr la Turquie dans une situation d’insécurité. Pour arriver à un
règlement pacifique, il fut décidé finalement que tant que les quatre
puissances (la Grande Bretagne, la France, l’Italie et le Japon) garantissaient
la sécurité des détroits et la possibilité d’une base militaire en
dehors des zones, ceci apporterait les mesures de protection militaire
nécessaires.
En somme, la ligne poursuivie par les responsables de la politique
étrangère turque, essentiellement Atatürk, était le fruit de leur expérience
depuis l’époque ottomane et la lutte du Mouvement national
après 1918 qui, dans une certaine mesure, les incita à adopter une politique
étrangère pragmatique et prudente. Après le démembrement
de l’Empire ottoman, l’élite kémaliste était déterminée à établir un
Etat-nation reposant sur des modèles occidentaux contemporains.
L’approche pragmatique de la politique étrangère dictait également le
besoin d’un climat pacifique afin de mener à bien les réformes à l’intérieur
du pays, et cela faisait partie du processus de modernisation visant
une complète indépendance tant politique qu’économique et idéologique
et par conséquent, aligner la Turquie au niveau de l’Occident
et remédier à sa faiblesse économique. En réalité, l’élite gouvernante
était suffisamment consciente du fait que cette attitude était le seul
moyen d’instaurer un climat pacifique dans une telle région géographiquement
au carrefour de l’Est et l’Ouest, où les puissances européennes
avaient d’immenses intérêts, particulièrement dans le cas de la Grande
Bretagne et de l’Union Soviétique (URSS).

Quelques mois après les accords de Lausanne, la première préoccupation
de la Turquie en matière de politique étrangère était de résoudre
les problèmes restés en suspens dans le Traité, et le plus important
d’entre eux était l’épineuse question de Mossoul disputée à la Grande
Bretagne. Finalement, ce fut à la faveur de cette dernière qu’un arrangement
fut trouvé par le biais du Conseil de la Société des Nations le
6 décembre 1925. La décision du conseil conduisit inévitablement à
un rapprochement entre la Turquie et l’URSS. Le lendemain même de
la décision du Conseil, les deux pays signèrent un traité d’amitié nullement
fondé sur des affinités idéologiques, la Turquie moderne ayant
adopté les principes occidentaux incompatibles avec le bolchevisme.
Toujours est-il que les circonstances de l’époque rendaient la Turquie
vulnérable à l’influence économique et politique des Soviétiques depuis
que ces derniers, prenant de l’ascendant, cherchaient à imposer leur
empreinte politique sur la Turquie. En effet, l’Union Soviétique justifiait
cette attitude par la lenteur du rapprochement entre la Turquie et
l’Occident après la résolution de la question de Mossoul par le traité
anglo-turc du 6 juin 1926.
Etant donné que les principes d’intégrité territoriale et d’indépendance
totale étaient d’une importance capitale pour la Turquie kémaliste
depuis son origine, le pays voyait la Convention de Lausanne
sur les détroits comme une solution insatisfaisante qui empiétait sur
son indépendance, l’exposait à de sérieuses agressions et affaiblissait
sa position sur la scène diplomatique internationale. Et comme elle
ne se sentait pas en sécurité, la Turquie trouva le moyen de minimiser
l’impact de cette convention en construisant une nouvelle route à
l’intérieur des zones démilitarisées afin de lui permettre de mobiliser
son armée, d’installer une artillerie à la limite et même à l’intérieur des
zones, et placer des mines aux débouchés des Dardanelles et à l’entrée
du Bosphore pour pouvoir fermer les détroits en cas d’agression. Cette
solution était malgré tout encore insatisfaisante dans la mesure où le
Traité de Lausanne maintenait la Turquie dépendante de son amitié
avec l’URSS.
Les relations étroites avec l’URSS, qui ne durèrent d’ailleurs qu’une
décennie, ont montré que la politique soviétique vis-à-vis des détroits
n’était pas si différente de la politique tsariste. Les soviétiques maintenaient
leur pression sur la Turquie pour s’assurer une position plus
favorable et ce au mépris des accords de Lausanne. Ceci étant, l’URSS,
allant à l’encontre de la Convention de Lausanne, proposa au gouverne-
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
141

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
142
ment turc, en tant que mesure défensive commune au cas où elle serait
impliquée dans une guerre, de fermer les détroits aux navires de guerre
des parties belligérantes. En d’autres termes, Moscou essayait par un
moyen ou un autre de tirer avantage de ses bonnes relations avec la Turquie.
Dans cet ordre, le gouvernement soviétique cherchait à faire de la
Turquie une barrière entre lui et les autres puissances navales, particulièrement
la Grande Bretagne. Mais l’approche de l’URSS fut mal accueillie
par les décideurs politiques turcs qui pensaient qu’entretenir de
bonnes relations avec l’URSS la placerait dans une position plus forte,
ce qui était contraire aux principes de politique étrangère d’Atatürk.
Par conséquent, l’élite kémaliste était décidée à établir avec les pays occidentaux
des relations basées sur l’égalité et à travers lesquelles la Turquie
pourrait s’assurer une position plus stable dans la région. D’autre
part, les politiques turcs savaient pertinemment, ayant faits l’expérience
avec l’affaire de Mossoul, qu’un éventuel conflit avec les pays occidentaux
mettrait l’URSS dans une position prédominante par rapport à la
Turquie. Il était clair que cette dernière n’apprécierait pas la présence
constante de l’URSS le long de ses frontières. Au lieu de cela, la politique
étrangère turque se tourna vers l’Occident et tous ses voisins
avec qui elle cherchait à établir de bonnes relations afin de se faire une
place respectable dans la diplomatie internationale en tant que puissance
régionale. En outre, on pensait qu’avoir de bonnes relations avec
l’Occident atténuerait la pression soviétique sur la Turquie. A cette fin,
l’amitié avec la Grande Bretagne était l’approche la plus pragmatique
dans la politique étrangère.
Parmi les premières mesures prises par la Turquie pour établir de
bonnes relations avec tous ses voisins, il y avait la signature de traités
d’amitié réglant les questions de frontières ; elle orienta ensuite sa politique
étrangère vers l’Occident et parvint à un accord avec la Grande
Bretagne sur la question de Mossoul préférant cela à des revendications
territoriales sans fin.
Après avoir insisté longtemps sur la préservation du régime des capitulations
et sur le remboursement de la dette due à l’intervention passée
de l’Occident dans l’économie de la Turquie, la France trouva finalement
des arrangements avec la Turquie sur les questions financières
et économiques en juin 1928. Toujours sur cette même ligne politique
d’apaisement avec l’Occident, la Turquie signa un traité de neutralité
avec l’Italie en mai 1928, et les difficiles relations avec la Grèce en-

trèrent dans une phase de normalisation à partir de juin 1930. Des
accords semblables furent conclus avec les pays orientaux : l’Irak, l’Iran
et l’Afghanistan, ainsi qu’avec les pays balkaniques comme l’Albanie, la
Bulgarie et la Yougoslavie à la même période.
Au demeurant, la période comprise entre Lausanne et le début des
années 30 fut d’abord une phase d’introspection, la politique étrangère
venait en second. La Turquie s’employait activement à définir son
identité nationale et à mener des réformes intérieures et n’avait que
peu de temps à consacrer aux affaires extérieures. Ce n’est qu’à partir de
1930 qu’elle entreprit une politique étrangère plus active. Elle se tourna
vers les organisations internationales et s’impliqua davantage dans les
réunions bilatérales et multinationales dans lesquelles la priorité était
donnée à la question des détroits. En fait, la Turquie profita de toutes
les opportunités pour pointer le fait que les zones démilitarisées des détroits
mettaient non seulement en danger sa sécurité, mais menaçaient
aussi la paix de la région. Il ne fait aucun doute que ces arguments
faisaient écho à la prise en compte plus large de l’existence d’une réelle
menace extérieure pesant sur la Turquie et incarnée par les ambitions
de l’Italie fasciste de dominer militairement la Méditerranée orientale
et l’Anatolie. En effet, au lendemain de la première guerre mondiale,
on se rendait bien compte que le Traité de paix de Versailles avait exacerbé
les ressentiments nationalistes qui avaient affligé toute l’Europe.
La lutte pour la création d’un système de sécurité international afin de
maintenir les statu quo établis par les traités de paix, fut vaine et l’espoir
frustré par les pays dépités par les accords au lendemain de la guerre.
Mustapha Kemal prédisait l’imminence d’un autre grand conflit. Il fit
remarquer lors de sa conversation avec le Général Mc Arthur en 1931
que le Traité de Versailles n’avait pas supprimé les causes qui ont mené
à la première guerre. Au contraire, il n’a fait qu’aggraver les désaccords
entre les ennemis d’hier. Or, si une nouvelle guerre venait à éclater,
aussi loin que cela mettait la sécurité de la Turquie en jeu, les détroits
turcs auraient été en mauvaise posture. Dès lors, il était nécessaire de
prendre des mesures préalables afin de garantir la sécurité de la Turquie.
Contrairement aux méthodes adoptées par les anciens Etats ennemis,
le gouvernement turc était déterminé à atteindre son objectif en usant
de la diplomatie. En ce sens, l’adhésion de la Turquie à la Société des
Nations en 1932 fut considérée comme un grand succès, la sortant ainsi
de son isolation diplomatique voulue par les pays occidentaux au lendemain
de la guerre, et du champ d’influence de l’URSS. Alors que les
relations turco-anglaises s’amélioraient, les relations turco-soviétiques
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
144
se détérioraient. Craignant, à juste titre, l’influence grandissante des
Britanniques sur les détroits, le gouvernement soviétique reprit la politique
de la Russie impériale et chercha à conclure une alliance avec
la Turquie qui lui aurait permis d’établir une base militaire dans les
détroits. Face à la pression croissante des Soviétiques et à la situation de
plus en plus préoccupante en Méditerranée orientale due à la présence
italienne, la Turquie accéléra son rapprochement des pays occidentaux
à qui elle demanda la révision de l’administration des détroits.
L’espoir de paix
Pour la Turquie, obtenir l’appui de la Grande-Bretagne dans cette révision
lui était d’une grande importance, car elle pouvait espérer une
conclusion en sa faveur. A cet égard, il est généralement accepté que
l’année 1934 avec la nomination de Sir Percy Loraine comme ambassadeur
à Ankara, et Fethi Okyar, l’ami proche d’Atatürk, comme
ambassadeur turc à Londres, marqua le début d’une nouvelle ère dans
le rapprochement turco-anglais. Loraine noua une amitié personnelle
avec Atatürk ; les deux hommes jouaient souvent au poker jusqu’à tard
dans la nuit. Évidemment, ce que voulait avant tout Atatürk, c’étaient
les signes d’une amitié plus concrète qu’il attendait depuis des années.
Loraine recommanda au Foreign Office de renforcer les liens avec la
Turquie, mais Londres hésitait à s’engager plus avant dans cette voie
craignant que cela n’aboutisse à des gages de sécurité avec la Turquie
au moment même où elle se réarmait et ne pouvait guère assumer une
telle entreprise. Reste que cet épisode a créé une atmosphère de compréhension
entre les deux pays.
Face aux intentions agressives de l’Italie qui visaient aussi la Turquie,
Ankara chercha par tous les moyens diplomatiques à obtenir les garanties
de sa sécurité. La signature d’un Pacte des Balkans le 9 février
1934 réunissant la Turquie, la Yougoslavie, la Grèce et la Roumanie,
ne fit qu’augmenter la pression pour une révision en profondeur des
accords d’après-guerre. L’un des objectifs de la Turquie en formant ce
pacte fut d’y intégrer la Bulgarie à dessein de la séparer de l’Italie. Les
Bulgares rejetèrent l’offre, mais Ankara s’assura du soutien des autres
pays balkaniques concernant la question des détroits.
A partir de la mi-mars 1936, ce fut un tournant dans la question des
détroits, car le Traité de Versailles qui assurait à la Turquie des motifs
favorables à ces revendications était contesté de toute part, d’abord par

la campagne militaire italienne en Abyssinie en violation de la charte
de la Société des Nations, et ensuite par la réoccupation allemande de la
zone démilitarisée en Rhénanie le 7 mars 1936 en violation des traités
de Versailles et de Locarno. Ces évènements ébranlèrent la crédibilité
de la loi internationale et permirent à la Turquie de se présenter comme
le « bon élève » montrant qu’il était encore possible de modifier les
traités sans recourir à la force et « nous donner notre seul vrai espoir
de paix » selon les mots de Rendel, chef du Département de l’Est au
Foreign Office. Encouragée, la Turquie souleva à nouveau la question
des détroits et profita des développements ultérieurs pour devenir la
« gardienne » de ces deux passages maritimes grâce à la Convention de
Montreux de 1936. Ce fut une grande victoire pour la Turquie due à
l’obstination d’Atatürk à n’utiliser que les voies diplomatiques.
A partir de 1937, Atatürk montra les premiers signes d’une santé déclinante
et tomba sérieusement malade pendant un voyage à Yalova
au début de 1938. Mustapha Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie
moderne, mourut le 10 novembre 1938 à l’âge de 57 ans.
B. L’ère İnönü (1938-1950)
Ismet İnönü fut élu deuxième président de la République le lendemain
de la mort d’Atatürk, poste qu’il conservera jusqu’en mai 1950, et remporta
les élections au Congrès général du Parti Républicain du Peuple
(Cumhuriyet Halk Partisi, CHP) le 26 décembre 1938 pour en devenir
« le président immuable ». Le Congrès conféra à Atatürk le titre de
« chef éternel » et à İnönü celui de « chef national » (Milli Şef ). Dans le
système du parti unique en vigueur en Turquie à l’époque, les appareils
de l’Etat et du parti étaient étroitement imbriqués : le président de la
République était aussi le président du parti ; le ministre de l’Intérieur
occupait le poste de secrétaire général du parti ; et les gouverneurs des
provinces étaient les chefs locaux du parti. İnönü eut donc sous son
contrôle direct à la fois l’Etat et le parti, concentra entre ses mains le
pouvoir de la politique intérieure et extérieure et fit tout pour empêcher
l’émergence d’un deuxième homme. Au congrès extraordinaire du
CHP du 29 mai 1939, et en l’absence d’opposition, un groupe de députés
se constitua « groupe indépendant » au sein du parti avec l’objectif
de pouvoir critiquer le gouvernement. Mais les membres de ce groupe
se conduisirent plutôt comme le reste du CHP et ne soulevèrent aucune
objection sérieuse contre la politique gouvernementale ; la seule
opposition venait d’autres députés du parti.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
146
Il faut dire que si İnönü concentra tous les pouvoirs, ce fut moins par
ambition dictatoriale que par désir de maintenir vivaces les réformes
d’Atatürk. N’oublions pas qu’İnönü arriva au sommet de l’Etat à la
veille de la Seconde Guerre mondiale, dans un pays où l’expérience
démocratique était toute récente, et que l’homme lui-même manquait
du charisme dont jouissait son prédécesseur. Il n’est pas facile de se
maintenir au pouvoir dans de pareilles conditions, et l’on peut supposer
qu’une contestation sérieuse aurait menacé les acquis de la République.
Enfin, ce fut İnönü lui-même qui introduisit le multipartisme en Turquie
et préféra quitter toutes ses fonctions après la guerre.
La politique intérieure et extérieure de la Turquie sous İnönü fut façonnée
par la Seconde Guerre mondiale. Le pays ne participa pas au
conflit, mais son armée fut constamment en état d’alerte et une part
importante du budget national consacré à la défense. Afin de soulager
le pays du poids des contraintes économiques, le gouvernement fit voter
le 18 janvier 1940 la Loi de la protection nationale (Milli Korunma
Kanunu). Cette loi avait pour but d’éviter le chaos économique dû à la
guerre, mais se solda par un échec. Un deuxième programme fut mis
en place pour redresser la situation économique par le biais d’une taxe
sur les citoyens les plus fortunés qui, selon le gouvernement, profitaient
de la guerre pour spéculer au marché noir et dont les bénéfices étaient
insuffisamment taxés. Ainsi, vit le jour la loi du 11 novembre 1942 dite
la Loi sur l’impôt sur la fortune (Varlik vergisi) qui visait à lever les
fonds nécessaires à la défense du pays en taxant les citoyens les plus
riches, parmi lesquels beaucoup étaient des non-musulmans. L’impôt
s’appliqua aux « immobilisations » - tels les biens immobiliers et les entreprises
commerciales ou industrielles - de tous les citoyens, y compris
les minorités. Ceux qui ne pouvaient pas payer furent envoyés dans des
camps de travail. Le gouvernement essuya de violentes critiques, car les
non-musulmans furent les plus fortement touchés par ces mesures qui
furent finalement abandonnées le 15 mars 1944. Les riches ne furent
pas les seuls à pâtir : les paysans aussi durent payer en vertu de la loi
du 15 mai 1943 sur les produits agricoles. La situation dans les campagnes
fut bien pire que dans les zones urbaines, ce qui amena certains
à considérer la loi sur les produits agricoles comme une prolongation
de l’impôt sur la fortune.
Projets culturels
L’un des projets phares de l’ère İnönü fut la création des « instituts de
villages » en 1940, une initiative qui constitua la pierre angulaire de la

politique de développement rural. Il s’agissait de former les habitants
des zones rurales à pouvoir enseigner dans les écoles des villages. A
l’époque, les zones rurales manquaient d’enseignants et l’on estima que
l’une des causes fut l’incapacité des enseignants venus des villes à supporter
les conditions de vie rudes dans les villages. Dans ces nouvelles
écoles, les élèves étaient chargés de construire les bâtiments et produire
leur propre nourriture. L’éducation dispensée couvrait des sujets
pratiques comme l’agriculture, la construction et les métiers manuels,
ainsi que les sujets plus classiques tels les mathématiques, la science, la
littérature et l’histoire. Produits du système de parti unique, ces écoles
ne lui survécurent pas et furent fermées en 1954 avec l’avènement du
multipartisme.
Un autre projet important de cette époque porte le nom de « maisons
du peuple » (Halkevleri) dont le but était d’éduquer les adultes
à travers des conférences, des séminaires et d’autres activités. Les premières
maisons ouvrirent à l’époque d’Atatürk dans les villes en 1932 ;
İnönü étendit le programme aux villages à partir de 1940 sous forme
de « chambres du peuple», plus petites que les « maisons ». Afin de
promouvoir la vie culturelle et familiariser les gens avec les principes
de la République, la maison du peuple d’Ankara publia un magazine
trimestriel sous le nom d’Ülkü (choisi par Atatürk lui-même) de février
1933 jusqu’en août 1950. D’autres maisons suivirent l’exemple et publièrent
des magazines du même style, mais sous différents noms. Ce
ne fut pas la meilleure manière d’éduquer une population qui à l’époque
était largement analphabète, on créa donc une organisation nommée
« les orateurs du peuple » au sein des « maisons ».
Sous İnönü les maisons et chambres du peuple s’intégrèrent dans les
structures du parti unique, le CHP. Comme avec les écoles des villages,
les maisons du peuple sont nées du système de parti unique et furent
abolies à l’arrivée du Parti démocrate au pouvoir en 1950 sous prétexte
qu’elles s’étaient éloignées de leurs objectifs premiers.
La Seconde Guerre mondiale
et la politique étrangère turque
Atatürk avait compris qu’un second conflit à l’échelle mondiale allait
prendre des proportions énormes. Il songea à former une alliance avec
la Grande-Bretagne, la France et l’Union soviétique pour contrer la
politique expansionniste d’Hitler et de Mussolini en Europe centrale
et en Méditerranée orientale. Fixé sur la politique d’apaisement vers
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
148
l’Allemagne et l’Italie, Londres rejeta cette idée et mit du temps à comprendre
que sa position conciliatrice ne faisait qu’encourager Berlin et
Rome à poursuivre leur programme pour dominer politiquement et
économiquement l’Europe centrale et la Méditerranée orientale. Ce
ne fut qu’avec l’occupation allemande de la Tchécoslovaquie le 15 mars
1939 et les menaces contre la Pologne et la Romanie que la Grande-
Bretagne abandonna sa ligne conciliatrice envers les régimes fascistes et
chercha une alliance calquée sur celle qu’avait proposée Atatürk. Mais
le fondateur de la République turque mourut au moment où les tensions
et la course aux alliances battaient leur plein. İnönü lui succéda
quelques mois avant le déclenchement de la guerre.
Suivant la même ligne, le nouveau président cherchait activement à
établir des alliances avec l’Occident tout en insistant pour y intégrer
l’URSS, car il estimait qu’une alliance sans la participation de cette
dernière serait inefficace. On peut dire que les inquiétudes d’Ankara
vis-à-vis de l’Union soviétique furent l’une des considérations majeures
derrière la ligne suivie par la politique étrangère turque pendant la Seconde
Guerre mondiale. L’URSS espérait depuis longtemps pouvoir
accéder aux détroits turcs, et Ankara de son côté voulait éviter tout acte
qui pourrait donner le prétexte à une attaque de la part de Moscou. Or,
Berlin aussi avait des desseins sur la Turquie largement dépendante
économiquement de l’Allemagne. Franz von Papen, le nouvel ambassadeur
allemand à Ankara, s’appuya sur la question de la neutralité turque
pour persuader les dirigeants du pays de ne pas aller plus loin dans la
direction de l’alliance occidentale. Il avertit que l’Allemagne pourrait
arrêter toute coopération économique et culturelle avec la Turquie si
celle-ci ne demeurait pas neutre.
Mais la Turquie ne fut pas le seul pays que l’Allemagne courtisait afin
d’empêcher son encerclement par les pouvoirs occidentaux. Après
avoir réussi à détacher Ankara de l’alliance occidentale, l’Allemagne se
mit à chercher un pacte avec l’Union soviétique espérant la dissuader
d’intégrer l’alliance franco-britannique et de s’ingérer dans un conflit
entre l’Allemagne et la Pologne. Ces négociations secrètes continuèrent
jusqu’à la signature du pacte de non-agression germano-soviétique le
23 août 1939. L’accord entre Berlin et Moscou mit Ankara dans une
position délicate, car elle ne pouvait rester à la fois pro-Alliés et pro-
URSS, mais ne pouvait pas non plus se ranger d’un côté ou de l’autre
sans prendre de grands risques. La Turquie avait basé toute sa politique
sur l’hypothèse que l’URSS finirait par rejoindre l’alliance occidentale,
mais elle ne se laissa pas décourager pour autant. D’un côté, elle main-

tint les négociations avec la France et la Grande-Bretagne en vue d’un
pacte, et de l’autre, dépêcha son ministre des Affaires étrangères, Sükrü
Saraçoglu, à Moscou le 26 septembre 1939 afin de sonder les intentions
soviétiques. A son arrivée à la capitale soviétique, le ministre turc se
trouva face à face non seulement avec son homologue russe, mais aussi
avec le ministre des Affaires étrangères allemand que les Russes avaient
invité sans l’en avoir prévenu, cherchant sans doute à améliorer leur
position de négociations vis-à-vis de Berlin et d’Ankara.
La visite de Saraçoglu ne donna rien, et à partir de ce moment, le gouvernement
turc forma la conviction que l’Union soviétique était déterminée
à poursuivre l’ancienne politique russe de chercher un accès aux
détroits par tous les moyens. Par conséquent, Ankara adopta une attitude
qui consistait à ne prendre aucun engagement concernant la Russie
qui pourrait affaiblir la position turque sur la scène internationale.
Cette politique fut mise en avant dans le traité d’assistance mutuelle
entre la France, la Grande-Bretagne et la Turquie signé le 19 octobre
1939 et dont l’article troisième dispensait Ankara d’entreprendre une
quelconque action qui pourrait entraîner l’hostilité de l’URSS.
La question de savoir si la Turquie allait entrer en guerre suscitait
beaucoup d’intérêt en Grande-Bretagne, surtout pour Churchill. La
politique turque, cependant, consistait à essayer de gagner du temps
et espérer ne pas être rattrapé par la guerre, au moins jusqu’à ce que
le réarmement du pays atteignît un niveau lui permettant de résister
à une invasion allemande. La Turquie avait tout misé sur une alliance
avec la France, la Grande-Bretagne et l’URSS, et voilà que la Russie se
rangeait du côté de l’Allemagne et que la France sortait de la guerre
après sa défaite face aux Allemands. Tout cela ne fit que renforcer la
détermination turque à rester à l’écart du conflit.
La Turquie de l’époque n’était pas une grande puissance militaire, mais
sa position géostratégique lui confèrait une place importante dans les
stratégies des camps adverses. Avec l’arrivée de troupes allemandes à la
frontière turco-bulgare en mars 1941 et dans les îles de la mer Egée en
mai, sans parler de la présence depuis 1912 de l’Italie dans le Dodécanèse,
la position turque devint une question de première importance
pour les deux camps de belligérants. Mais au lieu de tenter d’atteindre
le Moyen Orient via la Turquie, Hitler préféra envahir l’Union soviétique
à partir du 22 juin 1941. Cela ne mit pas fin pour autant à la menace
contre la Turquie qui voyait sa frontière ouest entourée de troupes
allemandes.
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Les deux parties belligérantes faisaient pression sur la Turquie pour
qu’elle facilite l’accès à leurs navires de guerre, pour arrêter le passage
des ennemis à travers les détroits et pour ouvrir ses bases aériennes et
ses ports pour leur propre usage. La position stratégique de la Turquie
fit d’Ankara une amie convoitée. Mais la Turquie resta neutre jusqu’au
dernier moment de la guerre, ce qui lui valut une importance au-delà
de ses moyens en tant que petite puissance au potentiel militaire limité
qui a su résisté aux pressions de toutes les grandes puissances. En effet,
la Turquie ne voulait pas s’embarquer dans une politique aventurière
comme ce fut le cas pendant la première guerre mondiale. Elle n’avait
pas non plus d’ambitions territoriales. Elle avait surtout besoin de
temps pour mener à bien les réformes kémalistes pour pouvoir ancrer
le pays dans le monde moderne.
En réalité, les Allemands avaient promis à la Turquie de faire des
amendements en sa faveur en échange de sa coopération. Mais la Turquie
n’avait aucune prétention territoriale sur les pays voisins à ce moment.
La propagande allemande qui chercha à unifier les populations
turques de l’URSS n’eut pas d’écho dans les cercles officiels turcs, bien
que les mouvements panturkistes fussent enthousiasmés par cette idée.
Les décideurs politiques turcs étaient conscients qu’il n’y avait pas de
place à de telles revendications idéologiques dans la real politik, et particulièrement
İnönü, la figure majeure de la politique étrangère du pays,
n’accorda aucun crédit à ceux qui cherchaient une politique aventurière.
Il ne serait pas exact d’affirmer que la politique étrangère turque dans
cette guerre fut strictement neutre. La meilleure définition qu’on puisse
donner à la position turque est la non-belligérance ou, comme l’a dit
Selim Derengil, la neutralité bienveillante. D’abord, depuis le début,
la Turquie se rangea du côté des Alliés en signant le Pacte tripartite.
Pendant la guerre, elle leur fournit une aide considérable allant au-delà
de la stricte neutralité. D’aucuns pourraient prétendre que la Turquie
tenait également une position pro-allemande du fait qu’elle ait signé
un traité d’amitié avec l’Allemagne le 18 juin 1941 qui permit à cette
dernière d’envahir facilement l’URSS (nom de code Opération Barbarossa)
le 22 juin. Mais la Turquie n’avait d’autre choix que de signer
ce traité au risque de se voir à son tour envahir par l’Allemagne alors
qu’elle ne disposait pas d’une armée moderne pour pouvoir faire face à
une telle éventualité.
La Turquie voulait ardemment que le bloc occidental gagnât la guerre,
mais la coopération des Soviétiques avec les Britanniques après l’Opé-

ation Barbarossa, souleva la question dans les cercles officiels turcs du
rôle de l’Union soviétique dans l’après-guerre. Cela ne signifiait pas que
le choix de la Turquie alla vers les Nazis. Pour les autorités du pays, les
objectifs nazis n’étaient pas si éloignés de ceux de l’URSS. La Grande
Bretagne était dans l’incapacité d’aider l’armée turque car elle devait se
préparait pleinement et être bien équipée face à l’armée allemande. La
seule chose qui restait à faire à la Turquie était de se tenir aussi loin que
possible de la guerre et ce fut la ligne de conduite d’İnönü. Et même
si la position de la Turquie penchait du côté des Alliés, elle dut faire
quelques concessions à l’Allemagne.
Cette position était parfaitement compréhensible aux Anglais jusqu’en
1943, autant qu’ils pouvaient tirer avantage de cette neutralité. Mais
dès que la situation tourna en faveur des Alliés, ils pressèrent la Turquie
d’entrer en guerre de leur côté ; et pour ce faire, Churchill vint à Adana,
une province turque dans la région de la Méditerranée orientale, le 30
janvier 1943, afin de discuter avec İnönü et Saraçoglu, à l’époque premier
ministre, de l’éventualité d’une entrée en guerre de la Turquie.
Churchill voulait que celle-ci entre en guerre à la fin de l’année en
contrepartie de son approvisionnement en armement. A ce stade, l’opinion
des Alliés sur la participation de la Turquie à la guerre était affaire
de discussion. Certains demandaient la coopération de la Turquie sous
forme d’autorisations pour utiliser ses bases plutôt qu’une participation
militaire active ; d’autres, particulièrement l’URSS, souhaitaient une
plus grande implication militaire. Suite à de longs pourparlers diplomatiques,
İnönü accepta « en principe » la participation de la Turquie à
la guerre lors dune réunion tenue au Caire entre le 4 et le 8 décembre
1943. Il sollicita beaucoup d’équipements militaires pour moderniser
son armée, et sa demande fut prise en compte par les Alliés. A ce moment,
Moscou était réticent à l’entrée en guerre de la Turquie, pensant
que c’était trop tard. Cette attitude aiguisa la méfiance de la Turquie
quant aux intentions soviétiques d’après-guerre à son égard. Finalement,
la guerre arriva à son terme sans que la Turquie y participât.
La ligne politique adoptée par la Turquie fut contestée par l’Angleterre
et les USA, ce qui conduisit à une rupture dans leurs relations en
1944. Les développements ultérieurs ne tournaient plus à l’avantage de
la Turquie. Les Alliés préparaient l’Opération Overlod, nom de code
donné au débarquement de Normandie. C’est alors que la Turquie se
rallia aux termes des Alliés en juin 1944 et le 2 août elle rompit ses
relations diplomatiques et économiques avec l’Allemagne comme le
voulaient les Alliés qui lui avaient assuré qu’elle serait traitée comme un
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
152
membre allié à la fin de la guerre. Ceci ne contenta pas du tout l’URSS.
A la conférence de Yalta entre le 4 et le 11 février 1944, Staline souleva
la question de la modification de la Convention de Montreux de 1936
qui réglait le passage des navires de guerre à l’entrée et à la sortie de la
Mer Noire, mais ni les Anglais ni les Américains ne voulaient satisfaire
ses demandes. Une autre décision importante prise à Yalta au sujet de
la Turquie était d’inviter à la Conférence de San Francisco les pays
qui avaient rompu leurs relations diplomatiques avec l’Allemagne sans
avoir pris part à la guerre. C’était une preuve pour la Turquie que l’Angleterre
ne l’abandonnerait pas après la guerre seule face à l’URSS, au
nom des intérêts anciens qui la lient à la région.
Le 23 février 1945, la Turquie déclara la guerre au Japon et à l’Allemagne
comme il avait été décidé à Yalta afin qu’elle puisse assister à la
Conférence de San Francisco qui allait établir les Nations Unies. Ainsi,
la Turquie aura été l’un des membres fondateurs des NU.
Finalement, la Turquie avait réussi à se placer du côté des vainqueurs
alors qu’elle s’était tenue à l’écart de la guerre.
La période de transition:
vers une démocratie libérale (1945-1950)
Bien que la Turquie n’ait pas participé au conflit, elle en fut très affectée.
Tout au long de la guerre, une armée était prête et maintenue en alerte,
les prix avaient augmenté de façon prodigieuse, beaucoup de matières
premières alimentaires étaient rationnées et souvent inexistantes ou
vendues au marché noir. Une large contestation sociale se manifesta
contre le PRP dont les projets sociaux et économiques ne répondaient
pas aux attentes de la population, surtout dans les zones rurales. En
outre, un mouvement de forte opposition émergea au sein même du
PRP se plaignant de la gestion autoritaire du parti et réclamant plus de
liberté et de démocratie. L’attitude bienveillante d’İnönü encouragea ce
mouvement, car il ne pouvait rester sourd aux contestations sociales. En
fait, il fut le premier à mentionner la nécessité d’une « libéralisation du
régime » en 1945. Dès lors, il commença à évoquer « le besoin d’avoir
un parti d’opposition ».
D’autres facteurs extérieurs ont motivé İnönü dans son désir de démocratisation.
La Turquie craignait d’être mise à l’écart du monde libre à
cause de sa position de neutralité durant la Seconde guerre. Un isolement
l’aurait livré aux Soviétiques qui ne cessaient de faire pression sur

elle en réclamant des bases militaires et une défense commune dans les
détroits turcs. La Turquie ne pouvait rien contre eux sans un soutien
de l’extérieur. Afin d’obtenir ce soutien occidental, elle accéléra la transition
à un système multipartite, mais cela est à rattacher aussi au fait
que le système du parti unique n’était plus compatible avec les pratiques
démocratiques occidentales d’après-guerre.
Il ne fait aucun doute que le mouvement qui inaugura la période de
transition émana de l’opposition à l’intérieur du PRP. Quatre membres
de ce parti, Celal Bayar, le dernier premier ministre d’Atatürk, Refik
Koraltan, Fuat Köprülü et Adnan Menderes, déposèrent une motion
au groupe parlementaire du PRP devenue fameuse sous le nom de la
‘Motion du Quartet’. Ils voulaient apporter des changements aux réglements
intérieurs du parti et modifier certaines lois. Suite au rejet de
leur motion, Bayar démissionna du Parti et du Parlement. Menderes,
Köprülü et Koraltan furent exclus du Parti pour ne pas s’être conformés
à sa discipline. Ils fondèrent alors le Parti Démocratique (PR) le 7 juin
1946 qui fut accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par la population
exténuée par les politiques intransigeantes du régime du parti unique.
Le PD défendait la démocratie et une approche libérale de l’économie.
Il connut un développement rapide en peu de temps. Mais le premier
parti d’opposition fut le Parti du Développement National (PDN)
fondé le 8 juillet 1945. Il ne connut pas le succès fulgurant du PD. En
1946, 11 autres partis virent le jour.
L’apparition d’un aussi grand nombre de partis poussa le PRP à réévaluer
son programme démocratique. Le 10 mai 1946, İnönü abandonna
les titres de Chef éternel et de Chef national lors d’un extraordinaire
Congrès du Parti. Le groupe indépendant au sein du PRP fut aboli, le
système d’élection fut révisé et des lois concernant la libéralisation de la
presse furent promulguées.
Entre-temps, le PD réussit à entrer au Parlement suite aux élections de
1946. Aux élections du 14 mai 1950, le PD accéda au pouvoir. La période
du parti unique prenait fin en Turquie et pour la première fois, un
changement de pouvoir se réalisait grâce au vote du peuple. Celal Bayar
fut choisi comme Président de la République turque par le Parlement.
Ensuite, il chargea Adnan Menderes de former un cabinet.
Ainsi, après 27 ans de pouvoir, le Parti Républicain du Peuple était
remplacé par le Parti Démocratique à travers un processus démocratique.
Ce fut le premier jalon sur la voie de la démocratie en Turquie. A
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
153

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
154
partir de là, la Turquie allait expérimenter, et le fait encore, un système
politique multipartite. Cependant, la démocratie turque eut à traverser
des difficultés telles que l’armée fut obligée d’intervenir pour « sauver
la démocratie ». L’intervention militaire eut lieu deux fois, en 1960 et
en 1980. Le gouvernement fut chaque fois remplacé et un nouveau
système démocratique mis en place. En 1971, la démocratie turque fut
de nouveau affectée par un coup d’état via un mémorandum, forçant
un changement de gouvernement. En 1997, l’armée turque exerça des
pressions à travers le Conseil de Sécurité National pour sauver l’Etat
laïque de la prétendue tentative de sabotage du Parti du bien-être (Refah
Partisi) qui gouvernait alors. À chaque fois, ces interventions interrompaient
le processus démocratique, mais ne proposaient aucune
alternative au système démocratique.
C. La politique étrangère turque pendant
la guerre froide
Avec la défaite d’Hitler disparaît la principale raison d’être de la Grande
Alliance entre les pouvoirs occidentaux et l’URSS, et à partir de la fin
de la guerre chaque pays suivit sa propre politique. Les Etats-Unis et
l’Union soviétique émergèrent comme les super puissances dont les intérêts
et les alliances partageaient le monde en deux blocs - l’Occident
démocratique mené par les USA et l’Est communiste autour de l’URSS
- qui s’affrontaient dans une guerre froide. Durant toute cette période,
chaque pays devait choisir son camp selon ses intérêts.
La Turquie fit le choix de l’Occident. Il faut dire que pour Ankara la
neutralité n’était pas une option viable étant donné les pressions que
l’Union soviétique exerçait sur elle pour obtenir des bases militaires
sur les détroits. İnönü s’empressa d’adopter une politique étrangère basée
sur une coopération étroite avec les Etats-Unis, mais ces derniers
mirent du temps à apprécier l’importance de la position stratégique
turque. L’intégration de la Turquie dans l’Alliance occidentale fut donc
lente, mais n’en a pas été moins profonde. Le passage du cuirassé américain
l’USS Missouri à Istanbul en 1946, et l’arrivée de la première aide
économique et militaire avec la mise en œuvre de la doctrine de Truman
en 1947 ainsi que le plan Marshall en 1948, renforcèrent les fondements
pro-occidentaux de la politique étrangère turque instaurée par
İnönü et suivie par le Parti Démocrate. Ankara montra sa préférence
pro-occidentale en s’impliquant activement dans la guerre de Corée
en 1950-53 et devint membre de l’OTAN le 17 février 1952. Pendant

la guerre froide, les détroits étaient particulièrement importants pour
neutraliser la menace des sous-marins soviétiques dans la Méditerranée.
La Turquie était en quelque sorte la garante de la sécurité du front
sud de l’Alliance, une position prééminente au sein du système sécuritaire
occidental qu’elle gardera tout au long de la guerre froide.
Si les relations étroites entre la Turquie et l’Occident étaient basées
principalement sur des considérations économiques et sécuritaires, elles
peuvent aussi être interprétées comme une prolongation de la modernisation
et de l’occidentalisation de la société turque entreprises depuis
la fondation de la République. Cela peut expliquer cette sorte de dérive
pro-occidentale unilatérale qu’on observe de temps à autre dans la politique
étrangère turque (comme ce fut le cas sous le Parti Démocrate) et
qui affaiblissait l’autorité du pays vis-à-vis de ses alliés occidentaux. Par
exemple, le gouvernement du Parti Démocrate se montra très enthousiaste
à l’idée de coopérer avec la politique moyen-orientale des Etats-
Unis, allant jusqu’à autoriser le déploiement des missiles américains
Jupiter sur son territoire, mais n’obtint jamais l’aide financière qu’il
espérait. La donne changea avec la crise des missiles cubains en 1962,
car il devint clair que les Etats-Unis et l’Union soviétique étaient déterminés
à ne pas se laisser entraîner dans une guerre directe. La politique
étrangère de la Turquie déçue par le manque de soutien financier de la
part de ses alliés occidentaux, évolua vers un peu plus de multilatéralisme.
De temps en temps, Ankara tenta des ouvertures diplomatiques
en direction de l’Union soviétique ou les pays non-alignés, mais n’alla
jamais jusqu’à revoir en profondeur l’orientation pro-occidentale de sa
politique étrangère. La Turquie ne pouvait ou ne voulait pas suivre une
autre ligne: en ce qui concerne la politique étrangère, la seule alternative
aux USA fut la Communauté économique européenne (qui deviendra
plus tard l’Union européenne) ; autrement dit, la seule alternative à une
puissance occidentale était une autre puissance occidentale.
En ce qui concerne la politique étrangère, les principales préoccupations
des décideurs turcs pendant la guerre froide et même après
étaient doubles: la question de Chypre et l’entrée dans la Communauté
européenne.
La question chypriote
Les racines du problème chypriote remonte aux temps des Ottomans.
En 1878, la Grande Bretagne s’empara temporairement de l’île de
Chypre en contrepartie de son soutien pendant la guerre russo-turque.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
155

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
156
Après la chute de l’Empire ottoman, la Turquie reconnut la souveraineté
britannique sur Chypre à la conférence de Lausanne. Néanmoins,
les Grecs chypriotes adoptèrent une politique appelée ‘enosis’ grâce à
laquelle Chypre devait s’unir à la Grèce qu’ils considèrent comme leur
mère patrie. Et comme les Grecs chypriotes poursuivaient cette politique
de l’unification, l’enosis, les Chypriotes turcs de leur côté s’organisèrent
en partis et groupes pour défendre leurs droits et prévenir
un éventuel rattachement de l’île à la Grèce. La Grèce voulait pour sa
part examiner la question avec la Grande Bretagne lors de pourparlers
bilatéraux qui eurent lieu en 1954. Elle offrit même une base aux Britanniques
en échange de leur reconnaissance de l’enosis, mais ceux-ci
refusèrent alléguant qu’il n’y avait aucune question chypriote à discuter.
La Turquie ne voulut pas s’impliquer dans la question aussi longtemps
que Chypre restait sous contrôle britannique. Toutefois, elle se réservait
le droit d’intervenir si une quelconque modification dans le statu quo
intervenait. Pendant ce temps, lorsque fut créé à Chypre en 1955 le
mouvement de guérilla l’EOKA (Organisation Nationale des Combattants
Chypriotes), qui visait à mettre fin à la présence britannique
sur l’île et rattacher celle-ci à la Grèce, la Grande Bretagne commença
à parler d’évacuation. L’EOKA menait une série d’actions terroristes
contre les Chypriotes turcs et les Britanniques. A la suite de ces événements,
la Turquie devint une partie de la question surtout que les
Britanniques étaient en train d’appliquer leur plan d’évacuation et que
les attaques terroristes se multipliaient contre les Chypriotes turcs.
Après de longues discussions entre la Grèce, la Grande Bretagne et la
Turquie, les Chypriotes grecs et la Grèce durent accepter la formation
d’une Chypre indépendante en 1960. La République de Chypre fut
fondée avec les accords de Zurich de 1959 et les accords de Londres de
1960. Conformément à ces accords, une administration collective entre
la Turquie et les Chypriotes grecs devait être mise en place : le président
serait grec ; son député serait un chypriote turc qui aurait le droit de
veto sur les décisions du président. Les Turcs et les Grecs auraient les
mêmes droits. La Grèce, la Grande Bretagne et la Turquie seraient les
garantes de la République. S’il y avait la moindre violation des statu
quo tels qu’ils ont été établis en 1960, n’importe lequel de ces pays avait
le droit d’intervenir seul ou avec la coopération des deux autres.
L’archevêque Makarios, président de la République, ne manifesta aucun
empressement à mettre en œuvre la Constitution de 1960. Au
contraire, il traita les turcs comme une minorité enfreignant les statu

quo établis en 1960. Il poursuivait également une politique favorable
à la ligne de l’enosis qui entraîna une rupture des accords de 1960. Ensuite,
les Chypriotes turcs qui travaillaient dans les instituions de l’Etat
furent chassés en 1963 et depuis, la population chypriote turque subit
de graves attaques de la part des chypriotes grecs. Lorsque la Turquie
rappela aux Chypriotes grecs que, selon les conditions des accords de
Zurich et de Londres, une intervention turque était possible face à leur
méprise et à leur cruauté envers la société turque de l’île, le président
américain Lyndon B. Johnson prévint la Turquie de ne pas mettre à
exécution ses menaces. Puis, des discussions furent entamées entre la
Grèce et la Turquie afin de trouver une solution diplomatique au problème.
Entre-temps, l’EOKA-B, une organisation paramilitaire chypriote
grecque radicale pro-enosis, fut fondée en 1971 et activement soutenue
par la junte militaire grecque au pouvoir depuis 1967. Au départ, le
EOKA-B était une organisation terroriste qui assassina des civils et
était sous le contrôle direct et l’influence de la junte militaire à Athènes
qui avait renversé Makarios et installé à sa place Nikos Sampson en
1974 comme dictateur de Chypre dans le but de réaliser l’enosis par
des moyens violents. Ces circonstances mettaient les Chypriotes turcs
dans une situation encore plus dangereuse qui entraîna l’intervention
militaire de la Turquie en 1974 sous réserve des accords de Zurich et de
Londres de 1959 et 1960. Cette intervention est justifiée par la volonté
de mettre fin aux assauts des Chypriotes grecs sur les Chypriotes turcs.
Finalement, l’île est divisée en deux: les Chypriotes grecs au sud, les
turcs au nord.
La Turquie dut souffrir, à cause de son intervention à Chypre, un embargo
américain jusqu’en 1978. Vu que les longues discussions n’apportèrent
aucune solution, les Chypriotes turcs finirent par déclarer
leur indépendance en établissant la République turque de Chypre du
nord le 5 novembre 1983. Rauf Denktaş en devint le premier président.
Néanmoins, aucune organisation ni aucun pays ne voulut reconnaître
son existence hormis la Turquie. Il est intéressant de noter que la Turquie
et Chypre du nord sont souvent blâmées comme étant ceux qui
ne voulaient aucune solution au problème de Chypre, alors même que
Denktaş fit de grands efforts pour tenter de régler la question. Cela
apparut plus clairement lorsque la Turquie et Chypre du nord accueillirent
avec enthousiasme les résolutions de Kofi Anan sur la question
chypriote dans un référendum qui eut lieu simultanément en chypre du
nord et du sud en avril 2004, pourtant les Chypriotes grecs le rejetèrent.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
157

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
158
La longue quête de l’Union européenne
C’est en 1959 que la Turquie fit sa première demande d’adhésion à la
CEE et fut acceptée comme membre associé en 1963. La Turquie a
toujours voulu être acceptée comme une partie de l’Europe mais ne mit
pas suffisamment d’énergie pour faire avancer sa candidature, principalement
pour des raisons économiques, craignant les effets de l’ouverture
de son marché à l’Europe. Néanmoins, lorsque Turgut Özal prit le pouvoir
en 1983, il adopta une politique favorisant l’économie de marché,
mais sa candidature fut rejetée en 1987. Depuis lors, les relations avec
l’Union Européenne occupent une place décisive et primordiale dans
la politique étrangère turque. En juin 1983, la réunion du conseil européen
à Copenhague mit en évidence certains critères politiques pour
devenir membre de l’Union.
En 1995, la Turquie signa un accord d’union douanière avec l’UE
complétant le processus d’intégration économique. Cette étape fut
consacrée comme une étape majeure vers son adhésion à l’UE, mais fut
amèrement déçue à la réunion du Conseil de l’Europe au Luxembourg
en 1997 où elle ne trouva pas sa place comme pays candidat. Après
deux années de froides relations avec la Turquie, le conseil de l’Europe
l’accepta comme pays membre à la réunion de Helsinki en 1999 qui
permit de normaliser les relations. Alors, la Turquie s’imposa un strict
agenda de réformes à appliquer et réalisa des efforts législatifs colossaux
qui incluent entre autres des mesures telles que l’élargissement
des amendements constitutionnels en octobre 2001 et mai 2004. Les
relations entre la Turquie et l’UE prirent un tournant important en
direction de l’adhésion avec l’ouverture des négociations d’adhésion le
3 octobre 2005.
Le fait est que la période post guerre froide a conduit à des changements
majeurs dans la région poussant les décideurs de la politique
étrangère de la Turquie à s’adapter au nouveau contexte international et
régional. Ainsi, Ankara encouragea une politique étrangère multilatérale
concrétisée par les rapprochements diplomatiques avec le Caucase,
l’Asie centrale, le Balkans, et même plus tard avec le Moyen-Orient,
rapprochements perçus comme géographiques mais aussi comme
culturels et politiques. La Turquie essaya également d’établir de bonnes
relations avec la Fédération russe et ce fut avec un remarquable succès
qui vaut aussi pour ses relations avec Israël. Néanmoins, ce trait de la
politique étrangère turque ne doit pas faire oublier la coopération avec
les USA et l’UE qui demeure une priorité. Récemment, la Turquie dut

faire face à de grands défis avec la crise du golfe en 1990 et l’invasion de
l’Irak par les troupes internationales sous commandement américain en
2003, et les conséquences de tout cela y compris l’instabilité de l’Irak.
La Turquie devait aussi affronter la question du PKK, une organisation
qui mena des actions terroristes à l’intérieur du pays, mais elle fut
grandement déçue lorsqu’elle sollicita l’aide internationale dans sa lutte
contre le terrorisme.
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
159

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
164

ANNEXES
Arslan İsrail
Kutalmış
Süleyman
(1077-1086)
Seldjoukides
d’Anatolie
La généalogie de Seldjouk
Tugrul Bey
(1038-1063)
Seldjoukides
Kirman
Mahmut Berkyaruk I. Mehmed
Mikail Musa
Kavurd
Seldjoukides
d’Irak
Çağrı Bey
Melik Shah Tutuş
Sencer
Alparslan
(1063-1073)
Rıdvan
Dukak
Seldjoukides de
Syrie
Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
165

Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
166
Liste des sultans seldjoukides d’Anatolie
Süleyman Ier Shah (1074-1086)
Kılıç Arslan Ier (1092-1107)
Malik Shah Ier (1107-1116)
Mas`ûd Ier (1116-1155)
Kılıç Arslan II (1155-1188)
Malik Shah II (1188-1192)
Kay Khusraw Ier (1192-1196) (premier règne)
Süleyman II Shah (1196-1204)
Kılıç Arslan III (1204-1205)
Kay Khusraw Ier (1205-1210) (second règne)
Kay Kâwus Ier (1210-1219)
Kay Qubadh Ier (1219-1237)
Kay Khusraw II (1237-1246)
Kay Kâwus II (1246-1256)
Kılıç Arslan IV (1248-1265)
Kay Qubadh II (1249-1257)
Kay Khusraw III (1265-1284)
Mas`ûd II (1284-1298) (premier règne)
Kay Qubadh III (1298-1303)
Mas`ûd II (1303-1307) (second règne)
Mas’ûd III (1307-1308, règne incertain)
Liste des sultans ottomans
Osman I (1299-1326)
Orhan Ghazi (1326-1359)
Murad I (1359-1389)
Bayezid I (1389-1402)
Mehmed I (1413-1421)
Murad II (1421-1451)
Mehmed II (1451-1581)
Bayezid II (1481-1512)
Selim I (1512-1520)
Soliman I (1520-1566)
Selim II (1566-1574)
Murad III (1574-1595)
Mehmed III (1595-1603)
Ahmed I (1603-1622)
Mustapha I (1622-1623)
Osman II (1618-1622)

Murad VI (1623-1640)
Ibrahim (1640-1648)
Mehmed IV (1648-1687)
Suleyman II (1687-1691)
Ahmed II (1691-1695)
Mustapha II (1695-1703)
Ahmed III (1703-1730)
Mahmud I (1730-1754)
Osman III (1754-1757)
Mustapha III (1757-1774)
Abdulhamid I (1774-1789)
Selim III (1789-1807)
Mustapha IV (1807-1808)
Mahmud II (1808-1839)
Abdulmedjid (1839-1861)
Abdulaziz (1861-1876)
Murad V (1876)
Abdulhamid II (1876-1909)
Mehmed V (1909-1918)
Mehmed VI (1918-1922)
Les présidents de la République turque
Mustafa Kemal Atatürk (1923-1938)
İsmet İnönü (1938-1950)
Celal Bayar (1950-1960)
Cemal Gürsel (1960-1966)
Cevdet Sunay (1966-1973)
Fahri Korutürk (1973-1980)
Kenan Evren (1982-1989)
Turgut Özal (1989-1993)
Süleyman Demirel (1993-2000)
Ahmet Necdet Sezer (2000-2007)
Abdullah Gül (2007-)
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Esquisse de 2000 ans d’Histoire de la Turquie
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