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Annexes THESE - Bibliothèques de l'Université de Lorraine

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La Gran<strong>de</strong> Illusion selon Marc Ferro<br />

Observons-en quelques aspects.<br />

* La représentation <strong>de</strong>s juifs. En 1937, à l’heure <strong>de</strong> la campagne antisémite menée contre<br />

Léon Blum et le Front populaire, le film apparut comme une réponse aux calomnies <strong>de</strong><br />

Gringoire et <strong>de</strong>s publications maurrassiennes ; le Juif Rosenthal a fait la guerre comme tous les<br />

Français, il n’a pas cherché à s’embusquer ; il partage généreusement le contenu <strong>de</strong> ses colis<br />

avec ses camara<strong>de</strong>s prisonniers ; il partage aussi leur courage. La séquence <strong>de</strong> l’algara<strong>de</strong> avec<br />

Gabin est ressentie comme une scène d’exorcisme : instinctivement antisémite, le Français<br />

prend conscience <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> ses pulsions ; il domine et comprend que son antisémitisme<br />

ne repose sur rien. Dans le climat <strong>de</strong> 1937 ce film satisfait pleinement les victimes du<br />

racisme. L’antisémite Goebbels ne s’y trompe pas qui coupe précisément les scènes sur les<br />

Juifs.<br />

Avec le recul, la représentation du Juif apparaît <strong>de</strong> façon différente. Tous les traits attribués à<br />

Rosenthal en font un être à part : il est seul à recevoir <strong>de</strong>s colis, du courrier, à pouvoir<br />

distribuer <strong>de</strong>s cigarettes, il déclare défendre la patrie pour sauver ses biens ; se vante d’avoir<br />

une famille qui est <strong>de</strong>venue plus riche en une génération, bref, son patriotisme est loin d’être<br />

désintéressé. Les changements aménagés dans les dialogues se disputent la prime <strong>de</strong><br />

l’antisémitisme : « Lui, sportif ? », lance un poilu, « il est né à Jérusalem », dans une première<br />

version ; et dans une autre : « Ta patrie, t’en as pas, tu es né à Jérusalem. » Un prisonnier<br />

commente : « Il est <strong>de</strong> vieille noblesse bretonne, quoi », une plaisanterie qui revivifie une<br />

polémique <strong>de</strong> 1936 : « Un Juif vaut-il bien un Breton ? » Enfin, dans une scène coupée après la<br />

guerre, Rosenthal donne du chocolat à une sentinelle alleman<strong>de</strong> : « Tout est pourri », commente<br />

un autre prisonnier. Pour lui, comme pour le spectateur, c’est le Juif qui collabore avec les<br />

Allemands alors que, toujours hautain, le capitaine aristocrate refuse les avances <strong>de</strong> von<br />

Rauffentein. Une <strong>de</strong>rnière phrase révèle la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l’antisémitisme en France : « Je<br />

commence à m’habituer aux gentillesses <strong>de</strong> Rosenthal », commente l’instituteur, dans cette<br />

étonnante complicité du dialogue avec la société qui le produit.<br />

* Les observations concernant les Allemands et les Anglais sont également révélatrices <strong>de</strong><br />

l’idéologie latente du film. Les Allemands sont représentés comme <strong>de</strong>s êtres animés d’une<br />

réelle humanité : la sentinelle dit « bonsoir » aux prisonniers, le geôlier offre son harmonica à<br />

Maréchal ; les femmes alleman<strong>de</strong>s plaignent ces jeunes hommes qui s’entraînent avant <strong>de</strong><br />

partir pour le front ; von Rauffenstein manifeste humour et noblesse. « Les geôliers sont<br />

honnêtes », observe l’instituteur, répétant, avant 1940, ce que les Français dirent <strong>de</strong>s<br />

Allemands durant les premiers mois <strong>de</strong> l’Occupation.<br />

Les scènes où les Anglais apparaissent ne sont qu’une seule fois à leur avantage ; lorsque<br />

ceux-ci interrompent leur représentation costumée, retirent perruques, se mettent au gar<strong>de</strong>-àvous<br />

pour chanter La Marseillaise et célébrer la victoire <strong>de</strong> Verdun. Toutes les autres notations<br />

sont négatives : l’arrivée <strong>de</strong>s prisonniers anglais avec leurs raquettes (pour eux la guerre est<br />

comme un sport, ce ne sont pas <strong>de</strong> « vrais » soldats) ; totale absence <strong>de</strong> communication avec<br />

les Anglais alors qu’il y en a avec les Russes. Homosexualité suggérée, alors que les<br />

Français, viril, « couche » au début et à la fin du film. Fait caractéristique : l’aristocrate <strong>de</strong><br />

Boeldieu, qui sait utiliser la langue anglaise comme un co<strong>de</strong> aristocratique pour s’entretenir<br />

avec von Rauffenstein « oublie » qu’il sait l’anglais quand il <strong>de</strong>vrait dire à ses compagnons et<br />

alliés également prisonniers qu’un souterrain est creusé dans le cantonnement. Or les<br />

Français s’interrogent : doivent-ils ou non confier ce secret aux Anglais, comme si l’Anglais<br />

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