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- C’est toi qui fais ce raffut ?<br />
La lumière a inondé la chambre.<br />
- … Un cauchemar…<br />
- Tu braillais comme un cochon qu’on saigne…<br />
- Parle-moi d’autre chose…<br />
- Je peux te causer de l’heure…<br />
- Quelle heure ?<br />
- Celle <strong>du</strong> boulot. Elle a sonné.<br />
Je me suis vêtu à la hâte et j’ai traversé l’atelier qui pionçait dans la poussière.<br />
L’établi, des outils disparates, un cadre de vélo, une portière de bagnole, de<br />
l’huile à vidange, un moteur à essence…Sur le mur une affiche jaunissait :<br />
« Réparation d’automobiles, motos et cycles. Bonnot et Demange ».<br />
- Bonnot. Comme celui de la bande… C’est marrant.<br />
- Pas tellement...<br />
- Ils ont le même nom.<br />
- Normal, c’est lui.<br />
- Qui lui ?<br />
- Bonnot… Jules. Il avait monté ça il y a vingt piges, ça a mal tourné.<br />
L’affiche mentionnait « travail à façon en tout genre »… Quand je suis sorti,<br />
l’aube avait la pâleur d’un matin guillotine. Les ombres des bandits tragiques<br />
m’ont escorté jusqu’à l’usine. J’en avais oublié le noyé. Le phosphore dans sa<br />
flotte s’est chargé de me le rappeler. Je levais mon marteau pour effacer un reste<br />
de nuit lorsqu’une main m’a retenu.<br />
- Pas si fort ou tu feras pas de vieux os.<br />
Les joues creuses ombrées de barbe, il dardait sur moi des yeux d’un noir de jais.<br />
Je l’ai remercié :<br />
- Je m’appelle Nestor.<br />
Il a porté la main à sa poitrine :<br />
- Djamal.<br />
Il avait quitté Tipaza sur un cargo rouillé poussé par ce foutu besoin des oiseaux<br />
de passage d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus grasse. Une vilaine fièvre<br />
l’avait cloué à Lyon. Depuis deux mois, il se remplumait au phosphore. Bientôt il<br />
repartirait. Juré, craché.<br />
- Paris. La Goutte d’Or. Un joli nom, hein ?<br />
Je l’ai pas démenti. Les étoiles on en tombe toujours trop tôt.<br />
- Khaled et moi, on devait y aller ensemble. Il m’a pas atten<strong>du</strong>.<br />
- Khaled ?<br />
- Il bossait ici, lui aussi.<br />
- Peut-être, il te prépare la Goutte d’Or…<br />
- Inch Allah.<br />
- Tu l’as dit bouffi.<br />
Il a planté ses yeux dans les miens histoire de vérifier si c’était hallal. Il a jugé que<br />
oui. On était fait pour s’entendre. On a cassé nos cailloux tout le jour <strong>du</strong>rant. Le choc<br />
des masses, les lances à incendie, le contremaître aboyant ses ordres, les caillebotis<br />
traînés sur le sol ruisselant… La fin <strong>du</strong> jour m’a trouvé sonné, abruti de fatigue.<br />
- Foutu turbin…<br />
Djamal rangeait son marteau :<br />
- Tu l’as dit bouffi.<br />
On a fait un bout de route côte à côte. A la porte d’un tabac, un canard titrait sur « le<br />
noyé mystérieux ». La photo, en une, ne laissait rien deviner. L’article, torché pour<br />
la dernière édition, n’en révélait pas davantage. « Le mort sans visage » gardait<br />
son secret. Au vu de son état, la police penchait pour un règlement de compte.<br />
Suivait un rappel des derniers hauts faits des apaches lyonnais et l’éternelle<br />
complainte des braves gens que les plus pauvres feront toujours trembler. «Selon<br />
les premières constatations, la victime, qui portait sur le bras gauche, un trident<br />
tatoué serait d’origine nord-africaine… ». Nordaf, autant écrire qu’il avait le surin<br />
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