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Présentation du texte de Montesquieu Le texte de Montesquieu ...

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<strong>Présentation</strong> <strong>du</strong> <strong>texte</strong> <strong>de</strong> <strong>Montesquieu</strong><br />

<strong>Le</strong> <strong>texte</strong> <strong>de</strong> <strong>Montesquieu</strong> semble s'ordonner <strong>de</strong> la façon suivante : une définition initiale <strong>de</strong> la<br />

justice, qui en affirme en particulier le caractère "objectif" ; puis trois parties qui évoquent<br />

successivement le rapport <strong>de</strong> l'homme à la justice, le rapport <strong>de</strong> Dieu à la justice, et enfin<br />

l'hypothèse <strong>de</strong> l'inexistence <strong>de</strong> Dieu, qui laisserait intacte pour l'homme le <strong>de</strong>voir d'aimer la justice ;<br />

enfin un retour sur le fait que la justice "ne dépend point <strong>de</strong>s conventions humaines", assortie d'une<br />

curieuse ouverture en forme <strong>de</strong> réserve : "quand elle en dépendrait, ce serait une vérité terrible, qu'il<br />

faudrait se dérober à soi-même".<br />

La définition initiale est forte et paradoxale. La justice est définie "un rapport <strong>de</strong> convenance, qui<br />

se trouve réellement entre <strong>de</strong>ux choses". Il faut ici relever <strong>de</strong>ux affirmations, ou <strong>de</strong>ux difficultés,<br />

qu'on pourrait ramener à cette formule : il s'agit d'une définition doublement objective <strong>de</strong> la justice :<br />

objective, d'abord, en ce sens que la justice est définie un "rapport <strong>de</strong> convenance entre <strong>de</strong>ux<br />

choses" : on sent bien, par exemple, qu'un châtiment sera pensé "juste" quand il "convient" à la<br />

faute commise ; voilà <strong>de</strong>ux "choses" entre lesquels il s'agit <strong>de</strong> penser une "rapport <strong>de</strong> convenance" ;<br />

mais plus largement, peut-on penser la justice, dans toute son éten<strong>du</strong>e, à la lumière <strong>de</strong> cette idée<br />

d'un "rapport <strong>de</strong> convenance entre <strong>de</strong>ux choses" ? Et en quoi consisterait ce rapport ? Il importera<br />

d'y réfléchir. Objective, la justice l'est aussi en ce sens que ce "rapport <strong>de</strong> convenance" est dit<br />

"exister réellement", c'est-à-dire "dans les choses", être, en quelque sorte, inscrit dans la nature<br />

même <strong>de</strong>s choses, comme le médicament convient au corps mala<strong>de</strong>, et donc ne pas dépendre <strong>de</strong>s<br />

opinions, jugements <strong>de</strong> valeurs ou convictions <strong>de</strong> qui que ce soit : ce rapport <strong>de</strong> convenance ne peut<br />

être que constaté. Personne n'en déci<strong>de</strong> : il est le même, "quelque être qui le considère".<br />

L'intelligence doit s'incliner <strong>de</strong>vant son évi<strong>de</strong>nce comme <strong>de</strong>vant celle <strong>de</strong> 2x2=4.<br />

C'est à partir <strong>de</strong> cette définition paradoxale que <strong>Montesquieu</strong> développe trois analyses dont il faut<br />

comprendre la progressivité, pour marquer l'intention qui anime l'auteur <strong>de</strong> ces lignes.<br />

<strong>Le</strong> rapport <strong>de</strong> l'homme à la justice, rappelle <strong>Montesquieu</strong>, est doublement imparfait. C'est d'abord,<br />

semble-t-il, un problème d'intelligence : l'homme "ne voit pas toujours ces rapports", autrement dit<br />

il ne sait pas toujours discerner ce qui est juste. En second lieu, c'est un problème <strong>de</strong> volonté :<br />

l'homme, même quand il sait ou <strong>de</strong>vine ce qui est juste, choisit le plus souvent <strong>de</strong> suivre "sa propre<br />

satisfaction", ses "passions" ou "son intérêt". Cette double "critique" <strong>de</strong> l'imperfection <strong>de</strong> l'homme<br />

ne semble pas nécessiter en elle-même d'éclaircissement ; ce qui est plus étrange, c'est l'insistance<br />

<strong>de</strong> <strong>Montesquieu</strong> à la reformuler d'une autre manière, ou plutôt à insister sur l'idée que "nul n'est<br />

mauvais gratuitement", que lorsque l'homme ne suit pas la justice, "il y a toujours une raison qui<br />

détermine". Pourquoi cette idée est-elle si importante ?<br />

Elle le paraît d'autant plus si on considère la suite <strong>du</strong> <strong>texte</strong>. <strong>Montesquieu</strong> y explique que Dieu, qui<br />

par principe "voit" la justice (puisqu'il est considéré comme omniscient), la suit également toujours,<br />

parce que la "raison d'intérêt" qui en détourne l'homme ne peut exister pour lui : Dieu en effet "se<br />

suffit à lui-même" - on pourrait dire en un sens que "rien ne l'intéresse", qu'il n'a rien à attendre <strong>du</strong><br />

fait <strong>de</strong> ne pas suivre la justice, et donc que rien ne s'oppose en lui à ce qu'il la suive. Dieu n'est pas<br />

ici l'auteur <strong>de</strong> la justice, ni sa source ; il semble s'incliner <strong>de</strong>vant l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> ce qui est en soi juste,<br />

et il semble même que sa volonté s'incline <strong>de</strong>vant l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la valeur <strong>du</strong> juste comme son<br />

ntelligence s'incline <strong>de</strong>vant l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> sa nature. S'il ne la suivait pas, il serait "le plus méchant<br />

<strong>de</strong>s êtres", parce qu'il se refuserait à la suivre sans raison.<br />

Pourquoi évoquer Dieu ainsi ? La suite nous l'indique. D'abord il est évi<strong>de</strong>nt que si Dieu n'est pas<br />

la source <strong>de</strong> la justice, si Dieu ne déci<strong>de</strong> pas <strong>du</strong> bien et <strong>du</strong> mal, si le juste et l'injuste sont juste et<br />

injuste absolument, alors le respect <strong>de</strong> la justice n'est pas un <strong>de</strong>voir religieux. "Quand il n'y aurait<br />

pas <strong>de</strong> Dieu, nous <strong>de</strong>vrions toujours aimer la justice". On a presque le sentiment que Dieu pourrait<br />

apparaître comme uine image que l'homme se donne pour savoir à quoi il doit tendre : "aimer la


justice, c'est-à-dire faire nos efforts pour ressembler à cet être dont nous avons une si belle idée".<br />

Quelle est cette "idée" ? Celle d'un être doué d'intelligence et libéré <strong>de</strong> l'emprise <strong>de</strong>s passions.<br />

"Aimer la justice", on le sent, c'est d'abord travailler à se libérer <strong>du</strong> "tumulte <strong>de</strong>s passions", pour se<br />

préparer à accueillir la "voix <strong>de</strong> la justice" lorsqu'elle parle en nous. C'est aussi, sans doute, cultiver<br />

son intelligence pour être en mesure <strong>de</strong> mieux la discerner ; mais l'insistance <strong>de</strong> <strong>Montesquieu</strong> sur les<br />

"raisons d'intérêt" et le "tumulte <strong>de</strong>s passions" mettent l'accent sur cet effort <strong>de</strong> pacification<br />

intérieure qui est le vrai amour <strong>de</strong> la justice. Au fond, la vie religieuse, conçue comme "imitation <strong>de</strong><br />

Dieu", est une forme possible <strong>de</strong> l'amour <strong>de</strong> la justice, et se justifierait peut-être par là. L'idée<br />

fondamentale est semble-t-il que la justice a en elle-même une puissance d'entraînement <strong>du</strong> coeur<br />

humain, et qu'il ne s'agit, pour l'homme, que <strong>de</strong> s'efforcer <strong>de</strong> lever les obstacles à cette "voix <strong>de</strong> la<br />

justice". Ne sommes-nous pas bien près <strong>de</strong> la "religion naturelle" <strong>de</strong> Rousseau, <strong>de</strong> cette "voix <strong>de</strong> la<br />

conscience" qui est en même temps la "voix <strong>de</strong> la nature", et qui est la vérité <strong>de</strong> toute religion<br />

instituée ?<br />

Mais revenons au <strong>texte</strong>. En quel sens tout cela mène-t-il à l'idée que la justice est "éternelle" ?<br />

Cela peut vouloir dire qu'elle ne fluctue pas avec les opinions et les goûts, puisqu'elle est<br />

"objective". C'est ce que semble indiquer la conjonction "et" qui signifie souvent "c'est-à-dire" :<br />

éternelle, parce qu'elle "ne dépend point <strong>de</strong>s conventions humaines". On en revient donc à la portée<br />

<strong>de</strong> la définition initiale. Et pourtant <strong>Montesquieu</strong> semble laisser planer un doute : "quand elle en<br />

dépendrait, ce serait une vérité terrible, qu'il faudrait se dérober à soi-même".<br />

Au terme <strong>de</strong> cette lecture, il nous semble que les difficultés <strong>de</strong> ce <strong>texte</strong> se ramènent à <strong>de</strong>ux<br />

questions fondamentales : pouvons-nous penser la justice comme un rapport objectif <strong>de</strong><br />

convenance, et quel sens donner à cette idée <strong>de</strong> convenance ? Deuxième question : l'idée que la<br />

justice dépend <strong>de</strong>s "conventions humaines" est-elle une idée si "terrible" ? N'est-ce pas l'idée<br />

qu'expose Pascal dans les Pensées ? Et au fond, ne pourrions-nous comprendre ce rapport <strong>de</strong><br />

convenance, à l'échelle <strong>de</strong> l'homme, sous les traits <strong>de</strong> l'intérêt général ou <strong>de</strong> l'intérêt réel, ce qui<br />

permettrait <strong>de</strong> réconcilier l'idée d'une objectivité <strong>de</strong> la justice et la nécessité <strong>de</strong> son caractère<br />

conventionnel ?<br />

Sur la définition <strong>de</strong> la justice.<br />

L'idée d'une justice "objective", comprise comme "rapport <strong>de</strong> convenance existant réellement<br />

entre <strong>de</strong>ux choses" est-elle au fond si paradoxale ? Il faut d'abord comprendre <strong>de</strong> quoi il s'agit : il ne<br />

s'agit pas <strong>de</strong> la justice comme institution (ensemble <strong>de</strong> règles <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ites, droit positif, etc. ;<br />

encore moins <strong>de</strong> l'institution judiciaire) ; il ne s'agit pas même <strong>de</strong> la justice comme vertu (laquelle<br />

sera d'une certaine manière abordée à la fin, comme "amour <strong>de</strong> la justice" et effort d'imiter Dieu. Il<br />

s'agit ici <strong>de</strong> la justice comme état <strong>de</strong>s choses, comme quand on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si le mon<strong>de</strong> est juste.<br />

Maintenant, la définition même est-elle paradoxale ? En tous cas, elle n'est pas neuve. C'est, par<br />

exemple, l'idée <strong>de</strong> la justice selon Platon, telle qu'il la développe dans le Gorgias (le<br />

parallélogramme) et dans la République (la justice "vertu <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong>"). L'image <strong>du</strong> Gorgias<br />

(parallèle entre le arts <strong>du</strong> corps et les arts <strong>de</strong> l'âme ou "politiques") est claire. Un corps vivant a une<br />

nature. La conservation <strong>de</strong> cette nature (la survie, la santé) exige que les éléments <strong>du</strong> corps<br />

entretiennent entre eux un rapport <strong>de</strong> convenance, c'est-à-dire conspirent à la santé <strong>du</strong> corps. Mais<br />

cet ordre naturel ne correspond pas à ce que nous nommons justice, et qui relève d'une décision<br />

concernant le corps, concernant la façon <strong>de</strong> le traiter. La nature <strong>du</strong> corps permet ainsi <strong>de</strong> déterminer<br />

le régime convenable à un corps, (c'est l'objet <strong>de</strong> la "gymnastique") comme la mé<strong>de</strong>cine permet<br />

d'i<strong>de</strong>ntifier, par la connaissance <strong>de</strong> la nature <strong>du</strong> corps et l'analyse <strong>de</strong> son trouble passager, le remè<strong>de</strong><br />

convenable - ces rapports <strong>de</strong> "convenance" définissant le "régime juste" et le "remè<strong>de</strong> juste". Ce qui<br />

est juste, c'est ce qui convient objectivement au corps, et qui relève <strong>de</strong> ma décision.<br />

Il en va <strong>de</strong> même, selon Platon, pour l'âme et pour le "corps social". La difficuté, rappelons-le, est


que lorsque Platon parle "politique", il est le plus souvent probable qu'il pense "âme". Mais la<br />

position <strong>du</strong> problème est la même. La recherche <strong>de</strong> la justice se confond avec la recherche <strong>de</strong> la<br />

justesse, c'est-à-dire <strong>de</strong> l'intérêt réel <strong>de</strong> l'âme ou <strong>du</strong> corps social, étant enten<strong>du</strong> qu'on ne peut<br />

opposer en vérité l'intérêt <strong>de</strong> la partie à celle <strong>du</strong> tout, comme on ne peut opposer l'intérêt <strong>de</strong> la main<br />

à l'intérêt <strong>du</strong> corps. Tout est solidaire (c'est chez <strong>Montesquieu</strong> l'image <strong>du</strong> joug 1 ). Celui qui poursuit,<br />

comme dans le <strong>texte</strong> <strong>de</strong> <strong>Montesquieu</strong>, "son intérêt" a toutes les chances <strong>de</strong> ne pas poursuivre son<br />

intérêt réel, qui se confond avec l'action "juste". Il est important <strong>de</strong> remarquer dans ce <strong>texte</strong> que la<br />

justice incline, que la justice, quand elle est perçue, entraîne naturellement la vlonté. <strong>Montesquieu</strong><br />

ne pense pas que suivre la justice c'est se faire violence : c'est juste cé<strong>de</strong>r à une voix qu'on aime à<br />

suivre, mais qui est simplement couverte par les hurlements d'autres voix, plus violentes, mais pas<br />

forcément plus aimées en elles-mêmes (les passions).<br />

<strong>Le</strong>s lois selon lesquelles les hommes choisissent <strong>de</strong> se gouverner (indivi<strong>du</strong>ellement comme<br />

collectivement) relèvent <strong>de</strong> la convention, sinon toujours <strong>du</strong> choix. Il reste qu'elles peuvent en droit<br />

être évaluées, c'est-à-dire qu'on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r dans quelle mesure elles sont pertinentes, ou<br />

justes. Peut-être cette "pertinence" est-elle difficile, voire impossible à connaître. <strong>Montesquieu</strong> n'est<br />

pas si pessimiste. Et l'argument <strong>de</strong> l'incertitu<strong>de</strong> est souvent la meilleure excuse <strong>de</strong>s passions. Mais<br />

sans vouloir argumenter, il est clair que <strong>Montesquieu</strong> estime que la justice "parle" à l'homme, c'està-dire<br />

que l'homme sait, au moins dans une certaine mesure, ce qui est juste, et que son effort doit<br />

surtout consister à ôter <strong>de</strong> lui ce qui étouffe cette voix.<br />

Sur "l'idée terrible"<br />

On en a semble-t-il un exemple avec Pascal : la Justice, c'est ce que l'homme dit juste. Car<br />

l'homme ne peut connaître la justice en soi. Il déci<strong>de</strong> donc d'un ordre à suivre, et l'impose par la<br />

force à ceux qui en rêveraient un autre.<br />

Cela est-il "terrible" ? Non. Cela est à savoir. D'abord pour comprendre que l'ordre doit être<br />

respecté, ensuite pour ne pas prendre l'ordre humain pour la réalisation <strong>de</strong> la justice.<br />

Il n'empêche qu'en un sens comprendre la justice comme convention, c'est bien la pensée comme<br />

ce qui convient à l'imperfection <strong>de</strong> la nature humaine. L'idée pascalienne n'est donc pas si<br />

incompatible avec la pensée <strong>de</strong> <strong>Montesquieu</strong>. Mais il est vrai que Pascal lui-même dit que cette<br />

vérité n'est pas bonne à dire à tout le mon<strong>de</strong>.<br />

1 Beaucoup ont cru lire dans le <strong>texte</strong> une critique <strong>de</strong> la religion, en particulier à cause <strong>de</strong> ce terme. Mais le joug est ce<br />

qui assure la solidarité et permet d'avancer dans la même direction et <strong>de</strong> faire oeuvre commune. Si le terme avait une<br />

valeur péjorative quand Montesqueiu évoque le "joug <strong>de</strong> la religion", il en aurait aussi une lorsqu'il évoque "celui <strong>de</strong><br />

l'équité", qui n'est évi<strong>de</strong>mment pas péjoratif chez lui. On pourrait même définir l'équité (qui ici ne désigne riend<br />

'autre que l'amour <strong>de</strong> la justice, ou la justice comme vertu), comme le sentiment <strong>de</strong> la solidarité réelle.

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