Le dilemme genre/culture ou comment penser la citoyenneté

confluent des mouvements existants et, par conséquent, ne sont pas reflétés par leurs
agendas politiques exclusifs : le problème prioritaire étant la domination masculine
pour le féminisme, l’exploitation capitaliste pour le marxisme, le racisme et la
discrimination ethnique pour les mouvements antiracistes/multiculturels, ainsi de
suite… L’émergence des mouvements qui luttent contre les dominations multiples est
d’ailleurs liée à la marginalisation des personnes confrontées à ces minorisations
imbriquées à l’intérieur des mouvements existants. La marginalisation des femmes
noires dans le mouvement féministe comme dans le mouvement antiraciste des années
1970 est une réalité bien documentée 8 .
Aujourd’hui, les courants de pensée à la fois féministes et antiracistes, en dépit d’une
existence datant de plusieurs décennies, demeurent encore à la marge des débats sur
la citoyenneté et la diversité, sur les limites à poser à l’accommodement pluraliste ­
limites par lesquelles on souhaiterait empêcher de cautionner, sous couvert du respect
des différences culturelles, les systèmes normatifs illibéraux et discriminatoires envers
certains segments de population dits vulnérables, comme les femmes, les enfants et les
homosexuels.
Il existe une littérature philosophique abondante sur le sujet qui a été impulsée à la fin
des années 1990 par la publication de l’essai influent de Susan Moller Okin, dans lequel
la renommée féministe libérale se demande si le multiculturalisme ne serait pas
nuisible aux femmes et soutient qu’en cas de conflit, l’égalité des sexes devrait primer
sur l’égalité culturelle 9 . Cette thèse a été débattue depuis son apparition, à commencer
dans le numéro même où elle fut publiée à l’origine et dans lequel certains des
répondants formulent des critiques bien appuyées 10 . Cependant, les réserves émises ne
semblent pas avoir altéré l’écho favorable qu’elle a trouvé auprès d’un large public qui
8 Dans son histoire critique du mouvement afro-américain Black Power, Michelle Wallace expose les
manières dont les femmes noires ont été poussées vers les marges du mouvement qui était devenu, dans
les années 1970, « super-phallocrate ». Michelle Wallace. Black Macho and the Myth of the Superwoman,
New York, Dial, 1979. Voir également D.G. Bryan. “Her-story Unsilenced – Black Female Activists in
the Civil Rights Movement”, Sage, N° 5, Sept 1988, p. 60-64 ; bell hooks. “Reconstructing Black
Masculinity”, in Black Looks: Race and Representation, Toronto, Between the Lines, 1992, p. 87-113.
D’autres ont confronté le racisme au sein du mouvement féministe. La littérature sur la question étant
abondante, je ne fournis ici que quelques références : Rosalyn Terborg-Penn (1978), Adrienne Rich
9
(1979), bell hooks (1981), Bettina Apthekar (1981), Hazel Carby (1982).
“Is Multiculturalism Bad for Women?”, initialement publié dans Boston Review, Vol. 22, Oct./Nov. 1997.
10 Voir l’ensemble du dossier “Feminism and Multiculturalism”, Boston Review, Vol. 22, Oct./ Nov. 1997.
En sus de Susan Moller Okin, sont intervenus dans ce dossier Azizah al-Hibri, Abdullahi An-Na'im, Homi
Bhabha, Sander Gilman, Janet Halley, Bonnie Honig, Will Kymlicka, Martha Nussbaum, Bhikhu Parekh,
Katha Pollitt, Robert Post, Joseph Raz, Saskia Sassen, Cass Sunstein, et Yael Tamir.
http://bostonreview.net/BR22.5/toc.html. Plus tard, un ouvrage éponyme dirigé par Joshua Cohen,
Matthew Howard et Martha Nussbaum a été publié (1999). Pour les critiques, voir notamment les
contributions des auteurs suivants : Parekh, Gilman, Bhabha et Honig.
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