Le dilemme genre/culture ou comment penser la citoyenneté

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Dans un contexte marqué par la montée et la persistance des sentiments anti immigration dans plusieurs pays occidentaux, les débats concernant la « condition féminine » au sein des communautés religieuses et ethnoculturelles mettent un groupe en particulier sur la sellette: les musulmans. Non seulement « les sociétés arabes et musulmanes contemporaines [sont] accusées d’arriération, d’absence de démocratie et d’indifférence pour les droits des femmes 14 », mais les revendications des immigrés musulmans sont aussi perçues comme plus menaçantes pour la culture majoritaire et provoquent davantage d’opposition que les demandes formulées par les autres groupes minoritaires. Nombre d’auteurs notent un recul important dans l’engagement multiculturel des pouvoirs publics et une intensification tant des critiques du multiculturalisme que des acclamations du retour des agendas assimilationnistes dans plusieurs pays européens, dont les Pays-Bas, l’Allemagne et la Grande-Bretagne 15 . Les critiques deviennent particulièrement virulentes lorsque ce sont les minorités musulmanes qui cherchent à se prévaloir de ces politiques, à les utiliser comme le fondement légitime de leurs demandes d’acceptation et d’accommodement de leur différence (revendiquée) dans l’espace public. C’est dans ce contexte que la question de l’égalité des sexes chez les musulmans se trouve instrumentalisée par les acteurs politiques de tout bord. Il convient de rappeler ici que l’adoption, en 2004, d’une loi interdisant les signes religieux « ostensibles » à l’école publique française s’était appuyée sur une interprétation unique du foulard, le faisant équivaloir à un symbole d’infériorité des femmes, alors même que les recherches anthropologiques mettent en lumière la polysémie de cette pratique. Au lieu, donc, de donner la parole aux femmes voilées qui n’attribuent pas toutes la même signification à leur couvre-chef, dont la signification peut fluctuer pour la même personne en fonction des contextes d’interaction, les 14. Edward. Saïd. “Préface (2003)”, dans L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 2003, [1978], p. III. 15 Les Back et al. “New Labour’s White Heart: Politics, Multiculturalism and the Return of Assimilation”, Political Quarterly, Vol. 72, N° 4, 2002, p. 445-454; Christian Joppke. “The Retreat from Multiculturalism in the Liberal State: Theory and Policy”, British Journal of Sociology, Vol. 55, N° 2, 2004, p. 237-257; Han Entzinger. “Changing the Rules while the Game Is On: From Multiculturalism to Assimilation in the Netherlands”, in Michal Bodemann and Gökçe Yurdakul (eds.). Migration, Citizenship, Ethnos, New York, Palgrave, 2006. 5
autorités chargées du dossier ont préféré écouter la définition donnée par les « experts » et les « témoins » 16 , soigneusement sélectionnés parmi les partisans de la prohibition du voile 17 . Des débats similaires se déroulant ailleurs en Europe montrent que le problème n’est pas la présence du religieux dans l’espace public, mais bien celle de l’islam en particulier. Ainsi, en Allemagne, le Land de Bade-Wurtemberg décide d'interdire aux enseignantes, et non pas aux élèves, le port du foulard dans les écoles publiques, alors que les signes religieux chrétiens ou juifs y demeurent tolérés. En guise de justification d’une politique de deux poids, deux mesures qui discrimine les musulmans, la ministre régionale de l’Éducation avance l’argument selon lequel « le voile islamique est un symbole [...] de l'histoire de l'oppression de la femme 18 ». Il s’agit là de la légitimation d’une inégalité, d’une mesure discriminatoire, via la dénonciation d’une autre inégalité – réelle ou imaginée – (« mais ils oppriment leurs femmes! ») qui est riche en informations sur des manifestations contemporaines de la domination ethnico-raciale, où accuser l’Autre de sexisme sert à légitimer le refus de la société majoritaire de lui offrir un accommodement pluraliste et de lui reconnaître des droits collectifs. Dans un contexte où l’égalité des sexes devient un outil de légitimation de la domination ethnoculturelle/religieuse, il semble impératif d’inscrire toute interrogation scientifique sur la « condition féminine » en milieux minoritaires dans un contexte social et politique plus large qui permettrait, non seulement de débusquer les récupérations politiques éventuelles de la « cause » des femmes minoritaires, mais aussi d’éclairer les rapports de pouvoir qui président aux dénonciations des patriarcats 16 Chahdortt Djavann, française d’origine iranienne et auteure d’une critique cinglante du voile islamique, Bas les voiles! (Gallimard, 2003) témoigne ainsi devant la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par Bernard Stasi (dite la commission Stasi), de son expérience du port obligatoire du voile islamique pendant dix ans en Iran. Représentée dans les médias de masse comme une détentrice du vrai sens du voile : « Chahdortt Djavann restitue au voile sa signification – le marquage visible de la soumission de la femme – et surtout sa fonction: par l'empaquetage de l'objet de tentation, protéger l'homme d'une pulsion sexuelle qu'il n'apprend pas à maîtriser », elle avance également que « le code de civilité occidental qui règle les jeux de la séduction entre les deux sexes – contrôle de soi et respect de l'autre – est en péril dans des banlieues où des filles sont menacées d'un autre type de rapports entre les sexes: “Le viol ou le voile”.» (É. Conan. « Le combat de Chahdortt Djavann », L'Express, 30 octobre 2003). Pour Fadela Amara, autre figure de proue du camp pro-loi et « porte-drapeau des filles des banlieues » (entendre: des filles issues de l’immigration), « le voile n'a aucune connotation religieuse. C'est le sceau de l'humiliation des femmes. » (« Fadela Amara, présidente du mouvement Ni Putes, Ni Soumises : “Le voile, c'est le sceau de l'humiliation des femmes”», L'Express, 11 décembre 2003, propos recueillis par C. Chartier). 17 Voir l’article remarquablement documenté de Françoise Lorcerie. « À l’assaut de l’agenda public : la politisation du voile islamique en 2003-2004 », in F. Lorcerie (dir.). La politisation du voile, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 14-37. 18 B. Thiolay. « Voile. Retombées étrangères », L’Express, 19 avril 2004. 6
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