14.07.2013 Views

La vie de J. Honorius Daignault - La Société historique de Saint ...

La vie de J. Honorius Daignault - La Société historique de Saint ...

La vie de J. Honorius Daignault - La Société historique de Saint ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

ASCENDANCE DE JOSEPH-HONORIUS DAIGNEAULT<br />

1. Pierre Deniau — mariage — Jeannette Gau<strong>de</strong>t<br />

Enfants:<br />

+ 2. i Jean Deniau<br />

Deuxième génération<br />

2. Jean Deniau (1.Pierre1 ) naissance Nantes, Bretagne<br />

(Loire-Atl.) FRANCE, mariage 1664-01-21, à Montréal<br />

(Notre-Dame) (Québec), Hélène Dodin (fille <strong>de</strong> Isaac<br />

Dodin et Anne Jarnet) décès 1695-08-12, inh. 1695-08-<br />

13, Boucherville (Québec). Jean décès 1695-08-12, inh.<br />

1695-08-13, Boucherville (Québec). Tué par les<br />

Iroquois. Hélène: Tuée par les Iroquois.<br />

Enfants:<br />

+ 3. i Pierre Deniau<br />

Troisième génération<br />

3. Pierre Deniau (2.Jean2 , 1.Pierre1 ) mariage 1698-11-10,<br />

à Boucherville (Québec), Marie-Anne César (fille <strong>de</strong><br />

François César et Anne Delestre).<br />

Enfants:<br />

+ 4. ii Jacques Deniau<br />

Quatrième génération<br />

4. Jacques Deniau (3.Pierre3 , 2.Jean2 , 1.Pierre1 ) mariage<br />

1725-11-12, à Rivière-<strong>de</strong>s-Prairies (Québec), Marie-<br />

Anne Thibault (fille <strong>de</strong> Pierre Thibault dit l’Eveillé et<br />

Catherine Beaudry).<br />

Enfants:<br />

+ 5. i Pierre Deneau<br />

Cinquième génération<br />

5. Pierre Deneau (7.Jacques4 , 3.Pierre3 , 2.Jean2 ,<br />

1.Pierre1 ) mariage 1757-01-12, à Contrat <strong>La</strong>lanne,<br />

Marie-Josèphte Beaudin (fille <strong>de</strong> Guillaume Beaudin<br />

et Marie-Françoise Dupuis).<br />

Enfants:<br />

+ 6. i Louis <strong>Daignault</strong><br />

Sixième génération<br />

12.Louis <strong>Daignault</strong> (10.Pierre5 , 7.Jacques4 , 3.Pierre3 ,<br />

2.Jean2 , 1.Pierre1 ) mariage 1796-11-07, à St-Philippe<br />

<strong>de</strong> <strong>La</strong>prairie (Québec), 1796-11-06, Contrat Notaire<br />

Henry, Marie-Louise Mercier (fille <strong>de</strong> Joseph Mercier<br />

et Marie Josephe Christin).<br />

Enfants:<br />

+ 7. i Anselme <strong>Daignault</strong><br />

Septième génération<br />

7. Anselme <strong>Daignault</strong> (12.Louis6 , 10.Pierre5 , 7.Jacques4 ,<br />

3.Pierre3 , 2.Jean2 , 1.Pierre1 ) mariage 1833-08-26, à St-<br />

Philippe <strong>de</strong> <strong>La</strong>prairie (Québec), Apolline <strong>La</strong>vallée (fille<br />

<strong>de</strong> Joseph <strong>La</strong>vallée et Susanne Chamier).<br />

Enfants:<br />

+ 8. i Narcisse <strong>Daignault</strong><br />

Huitième génération<br />

8. Narcisse <strong>Daignault</strong> (14.Anselme7 , 12.Louis6 ,<br />

10.Pierre5 , 7.Jacques4 , 3.Pierre3 , 2.Jean2 , 1.Pierre1 )<br />

mariage 1865-01- 31, à Sherrington (Québec),<br />

Mathil<strong>de</strong> Perras (fille <strong>de</strong> Louis Perras et Osithe<br />

Dupuis).<br />

Enfants:<br />

+ 9. iii Joseph-<strong>Honorius</strong> <strong>Daignault</strong>, né en 1867.<br />

Neuvième génération<br />

9. Joseph-<strong>Honorius</strong> <strong>Daignault</strong> (16.Narcisse8 ,<br />

14.Anselme7 , 12.Louis6 , 10.Pierre5 , 7.Jacques4 ,<br />

3.Pierre3 , 2.Jean2 , 1.Pierre1 ) naissance 1867, St-<br />

Philippe <strong>de</strong> <strong>La</strong>prairie (Québec), mariage 1894-03-28, à<br />

Dunrea (Manitoba), Georgina Marie Beaupré, naissance<br />

1875-07-07, Bradley (Maine), (fille <strong>de</strong> Israel<br />

Beaupré et Anna Roy ) décès 1958-01-12. Joseph-<br />

<strong>Honorius</strong> décès 1952-07-29, <strong>Saint</strong>-Boniface (Manitoba),<br />

inh. 1952-07-31, <strong>Saint</strong>-Boniface (Cathédrale)<br />

(Manitoba).<br />

À l’âge <strong>de</strong> 12 ans il vint, avec ses parents, rési<strong>de</strong>r au<br />

Manitoba. Après <strong>de</strong> brillantes étu<strong>de</strong>s au collège <strong>de</strong><br />

<strong>Saint</strong>-Boniface, où il gagna quatre bourses, il étudia la<br />

mé<strong>de</strong>cine pendant <strong>de</strong>ux ans à l’Université du<br />

Manitoba. Puis, il occupa successivement, à Dunrea,<br />

les postes <strong>de</strong> maître d’école, <strong>de</strong> marchand, <strong>de</strong> maître<br />

<strong>de</strong> postes et <strong>de</strong> juge <strong>de</strong> paix. Pendant 17 ans, il fut surveillant<br />

au pénitencier <strong>de</strong> Stony Mountain et secrétaire<br />

<strong>de</strong> M.A.G. Irvine, directeur <strong>de</strong> l’établissement. Pendant<br />

20 ans il fut secrétaire <strong>de</strong> l’Association d’Éducation <strong>de</strong>s<br />

Canadiens Français du Manitoba, <strong>de</strong> même que prési<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>Saint</strong>-Jean-Baptiste <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-<br />

Boniface pendant trois termes. Il fut l’un <strong>de</strong>s cinq membres<br />

qui fondèrent l’Association <strong>de</strong>s Fils Natifs <strong>de</strong><br />

<strong>Saint</strong>-Boniface. Il fut aussi directeur <strong>de</strong> la chorale <strong>de</strong> la<br />

cathédrale <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface.<br />

(<strong>La</strong> Liberté et le Patriote, le 9 avril 1948)<br />

2 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


MES SOUVENIRS<br />

par J. <strong>Honorius</strong> <strong>Daignault</strong><br />

<strong>Saint</strong>-Boniface, le 14 mars 1943<br />

Je suis né à <strong>Saint</strong>-Philippe <strong>de</strong> <strong>La</strong>prairie, la plus<br />

belle paroisse <strong>de</strong> la province <strong>de</strong> Québec. Cela vous<br />

paraîtra peut-être un début un peu prétentieux et<br />

chacun <strong>de</strong> vous en ce moment, j’en suis convaincu,<br />

doit se dire : « Ah, s’il voyait ma paroisse natale à<br />

moi, comme il serait désabusé ». Mais non, il est<br />

bon que chacun gar<strong>de</strong> au fonds du coeur une place<br />

<strong>de</strong> choix pour le coin qui l’a vu naître ; c’est un sentiment<br />

bien humain et il n’est pas désirable qu’il en<br />

soit autrement.<br />

Mon père, issu d’une <strong>vie</strong>ille famille terrienne<br />

du Poitou, venue <strong>de</strong> France au pays <strong>de</strong> Québec en<br />

1666 [sic], ne voyant pas jour <strong>de</strong> faire vivre sa<br />

famille grandissante sur sa terre <strong>de</strong> 60 arpents,<br />

résolut d’essayer la ville. Mes premiers souvenirs<br />

datent <strong>de</strong> cette époque, j’avais alors six ans. Nous<br />

<strong>de</strong>meurions dans S-Henri <strong>de</strong>s Tanneries, nommé<br />

communément « les buttes ».<br />

J’ai appris <strong>de</strong>puis que Montréal avait alors une<br />

population <strong>de</strong> 52,000 âmes répartie du fleuve à la<br />

rue Sherbrooke d’un côté et <strong>de</strong> St-Henri à<br />

Hochelaga <strong>de</strong> l’autre. Au-<strong>de</strong>là, du côté ouest<br />

jusqu’à <strong>La</strong>chine s’étendait un vaste champ <strong>de</strong><br />

pâturage où les vaches <strong>de</strong> la ville venaient passer<br />

la journée sous la gar<strong>de</strong> d’un gamin accompagné<br />

d’un chien énorme qui nous faisait bien peur.<br />

Aujourd’hui, tout cet espace est rempli <strong>de</strong> belles<br />

paroisses et même <strong>de</strong> villes florissantes, à savoir :<br />

St-Zotique, Ste-Cunégon<strong>de</strong>, Verdun, <strong>La</strong>salle et<br />

d’autres encore.<br />

Mon frère et moi, nous allions à l’école <strong>de</strong>s<br />

Soeurs que nous appelions les Soeurs noires, à<br />

cause <strong>de</strong> leur costume <strong>de</strong> couleur sombre. Après la<br />

classe, ma foi, nous faisions comme font tous les<br />

enfants ; dans la belle saison nous allions par les<br />

rues à la découverte, un peu partout : sur les bords<br />

du canal <strong>La</strong>chine pour voir passer les bateaux et<br />

les billots flottants dirigés vers le moulin à scie où<br />

travaillait notre père, le marché Bon-Secours où il<br />

nous arrivait <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s connaissances <strong>de</strong><br />

St-Philippe, le carré Chaboyer, et souvent jusqu’à<br />

la côte <strong>de</strong>s Neiges pour chasser l’écureuil. Une fois<br />

ou <strong>de</strong>ux même, entraînés par d’autres qui n’en<br />

étaient pas à leur première aventure <strong>de</strong> ce genre,<br />

nous nous rendîmes jusqu’au Griffingtown,<br />

quartier <strong>de</strong>s Irlandais, afin <strong>de</strong> donner à ces petits<br />

« va-nu-pieds » ce que nous appelions une bonne<br />

raclée et leur apprendre à vivre. Conduite<br />

naturelle et combien typique d’enfants qui reflétait<br />

la mentalité qui se manifestait déjà malheureusement<br />

entre ces <strong>de</strong>ux groupes qui <strong>de</strong>vraient normalement,<br />

<strong>de</strong> par le fait d’une croyance commune,<br />

s’entendre et vivre comme <strong>de</strong>s frères. Qui pourrait<br />

expliquer un tel antagonisme ?<br />

Mais la grosse affaire pour nous <strong>de</strong> la gante<br />

écolière, c’était le passage périodique, dans notre<br />

quartier, d’un certain Savoyard qui, à chaque coin<br />

<strong>de</strong> rue faisait danser un gros ours, nommé Jean-<br />

Pierre et qui nous paraissait d’une grosseur<br />

énorme. Ce Savoyard, pour nous, était le plus<br />

brave <strong>de</strong>s hommes. Avec ça que nous étions sans<br />

doute une classe privilégiée car il n’exigeait jamais<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 3


un sou, aussi, fallait voir la foule grouillante qui lui<br />

faisait escorte d’une rue à l’autre.<br />

Un jour, en allant porter le dîner à notre père,<br />

mon frère et moi, nous nous avisâmes <strong>de</strong> traverser<br />

sur les billots flottants un bassin qui en était rempli.<br />

Cela, tout simplement afin <strong>de</strong> nous éviter <strong>de</strong> le<br />

contourner. Mal nous en prit, car arrivés au beau<br />

milieu le billot qui me portait se mit à rouler et je<br />

disparus entre <strong>de</strong>ux. À l’appel désespéré <strong>de</strong> mon<br />

frère, on vint à mon secours et je fus repêché à ma<br />

gran<strong>de</strong> confusion.<br />

Ah ! cher <strong>vie</strong>ux pays <strong>de</strong> Québec<br />

Donc, après trois ans <strong>de</strong> cette <strong>vie</strong> qui n’en<br />

menait pas large avec les salaires <strong>de</strong> misère du<br />

temps, mon père entendit l’appel <strong>de</strong> la terre dont<br />

le souvenir le tenaillait et il revint sur sa terre à St-<br />

Philippe.<br />

Notre cours d’étu<strong>de</strong>s n’était pas terminé et<br />

nous dûmes reprendre le chemin <strong>de</strong> l’école, mon<br />

frère malgré lui et en pleurant, moi le coeur en joie<br />

car nos goûts différaient entièrement sur ce point.<br />

Quand, pour une raison ou pour une autre, il nous<br />

fallait rester à la maison, c’était à mon tour <strong>de</strong><br />

pleurer et au sien <strong>de</strong> chanter. Je me rappelle avec<br />

émotion notre bonne maîtresse d’école, personne<br />

d’un certain âge et pleine <strong>de</strong> douceur qui se<br />

dévouait pour l’énorme salaire <strong>de</strong> 5 $ par mois et<br />

avec cela qu’elle était tenue d’allumer le feu et<br />

entretenir la salle. Ceci n’est pas un exemple que je<br />

désire soumettre à l’attention <strong>de</strong> nos commissaires<br />

du Manitoba. Nous savons qu’ils savent mieux<br />

comprendre leurs <strong>de</strong>voirs. D’ailleurs, ce triste état<br />

<strong>de</strong> choses n’existe plus, même dans la province <strong>de</strong><br />

Québec. Je vous parle là <strong>de</strong> 1878.<br />

Les <strong>de</strong>rnières années passées là me sont restées<br />

bien vivaces dans la mémoire : les marches au<br />

catéchisme, nous étions à <strong>de</strong>ux milles <strong>de</strong> l’église, il<br />

fallait alors attendre notre dixième année avant <strong>de</strong><br />

faire la première communion, et savoir parfaitement<br />

le petit catéchisme <strong>de</strong> Québec qui, malgré le<br />

nom qu’il portait nous paraissait d’un volume<br />

énorme ; la pêche à la barbotte dans la petite rivière<br />

St. <strong>La</strong>mbert qui passait à la porte ; et surtout<br />

l’événement annuel et inoubliable <strong>de</strong>s sucres.<br />

Nous avions un oncle à Sherrington, à 12 milles<br />

qui possédait une superbe érablière et c’était là que<br />

chaque printemps, à la fonte <strong>de</strong>s neiges, nous<br />

allions manger <strong>de</strong> la trempette, ce nectar <strong>de</strong>s<br />

dieux, qui faisait nos délices. Et les nombreuses<br />

soirées au coin <strong>de</strong> feu dans les longues veillées<br />

d’hiver, écoutant avec une douleur au dos et un<br />

regard furtif dans les coins sombres, les histoires<br />

<strong>de</strong> feu-follet, <strong>de</strong> loup-garou et <strong>de</strong> revenants, car il<br />

n’en manquait pas dans ces temps là. Du moins,<br />

nos mères nous l’assuraient. Tout cela forme le trésor<br />

du souvenir <strong>de</strong> la terre natale que Dieu a placé<br />

au coeur <strong>de</strong> chacun et qui ne s’oublie pas. Cela est<br />

tellement vrai que, repassant il y a quelques<br />

années à cet endroit où j’avais joué, enfant, je dus<br />

essuyer les larmes qui coulaient sur mes joues.<br />

Une chose que nous ne voyons pas dans<br />

l’Ouest, c’est le cahot creusé par le berlot dans la<br />

neige profon<strong>de</strong> du chemin, <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> pois<br />

entourés d’une clôture <strong>de</strong> perches, et tout à côté un<br />

clos <strong>de</strong> sarrasin au parfum subtil qui se transforme<br />

sous la main magique <strong>de</strong> la ménagère en galette <strong>de</strong><br />

sarrasin, mets délicieux s’il en fut lorsque trempé<br />

dans la bonne graisse <strong>de</strong> lard. Se trouve-t-il<br />

quelque chose <strong>de</strong> meilleur au mon<strong>de</strong> ? St-Georges<br />

est le seul endroit au Manitoba où nous retrouvons<br />

ces richesses, <strong>de</strong> même que la <strong>vie</strong>ille grange <strong>de</strong><br />

chez nous, avec son carré en planches <strong>de</strong>bout,<br />

<strong>vie</strong>rge <strong>de</strong> peinture toujours et étalant aux regards<br />

par ses gran<strong>de</strong>s portes jumelles, sa batterie et ses<br />

tasseries regorgeant <strong>de</strong>s produits abondants <strong>de</strong> la<br />

terre fécon<strong>de</strong>. Ah, cher <strong>vie</strong>ux pays <strong>de</strong> Québec,<br />

gar<strong>de</strong> toujours, gar<strong>de</strong> jalousement ces trésors qui<br />

sont bien à toi, transmets-les à tes nombreux<br />

enfants avec l’amour du sol natal pour que vivent<br />

éternellement, pour l’édification <strong>de</strong>s étrangers, nos<br />

<strong>vie</strong>illes coutumes ancestrales.<br />

Débarquer dans la boue<br />

<strong>de</strong> la rivière Rouge<br />

À cette époque, j’avais alors 11 ans, nous<br />

entendions beaucoup parler <strong>de</strong> la Rivière Rouge.<br />

Remarquez bien qu’il n’était nullement question ni<br />

du Manitoba, ni <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface, ces noms nous<br />

étaient inconnus, c’était la Rivière Rouge, à l’autre<br />

bout du mon<strong>de</strong>. Un oncle maternel, voyageur<br />

invétéré qui revenait du Montana en passant par la<br />

Rivière Rouge, passait l’hiver dans la famille visitant<br />

la parenté qu’il bouleversait par ses récits<br />

4 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


fabuleux en faisant miroiter <strong>de</strong>vant un auditoire<br />

avi<strong>de</strong> un avenir mirobolant sur ces immenses<br />

plaines fertiles qui n’attendaient que <strong>de</strong>s bras pour<br />

les cultiver. Dans les tristes conditions<br />

économiques où se débattait alors la province <strong>de</strong><br />

Québec, une telle campagne d’embauchage <strong>de</strong>vait<br />

porter <strong>de</strong>s fruits dans l’entourage ; toujours est-il<br />

qu’au printemps <strong>de</strong> 1879 les familles Gagnon,<br />

Perras, Cayer, Robidoux et <strong>Daignault</strong>, toutes<br />

apparentées se décidèrent à entreprendre le long<br />

voyage <strong>de</strong> la Rivière Rouge. Comme ça paraissait<br />

loin. Papa vendit sa terre, fit encan <strong>de</strong> tout et par<br />

un soir inoubliable <strong>de</strong> tempête <strong>de</strong> neige collante<br />

nous prenions tous le train du G. Tronc à la gare<br />

Bonaventure—nom <strong>de</strong> bonne augure—à la gran<strong>de</strong><br />

joie <strong>de</strong>s enfants qui ne voyaient que l’attrait du<br />

voyage et au milieu <strong>de</strong>s pleurs <strong>de</strong> notre pauvre<br />

mère et <strong>de</strong>s parents que nous laissions et qui croyaient<br />

ne jamais plus nous revoir. Pour eux, ils nous<br />

voyaient partir pour l’exil, parmi les<br />

[Amérindiens] qui allaient nous exterminer<br />

jusqu’au <strong>de</strong>rnier. Nous étions sur un train <strong>de</strong><br />

colons, <strong>de</strong>s Canadiens venant <strong>de</strong>s manufactures <strong>de</strong><br />

la Nouvelle Angleterre qui, eux aussi se<br />

dirigeaient vers la Rivière Rouge, sous la direction<br />

<strong>de</strong> l’agent <strong>de</strong> colonisation <strong>La</strong>lime et du Révérend<br />

Père <strong>La</strong>combe.<br />

Je veux ici payer un tribut d’hommage<br />

respectueux à tous ces pionniers <strong>de</strong> la race qui, les<br />

premiers se sont aventurés sur ces terres lointaines<br />

et à peine connues. Quel courage ne leur a-t-il pas<br />

fallu pour s’exiler ainsi loin <strong>de</strong> leur pays natal et<br />

pour toujours, semblait-il.<br />

Me trouvant en visite à Montréal il y a<br />

quelques dix ans, j’étais à souper un soir chez un<br />

cousin à moi. Au <strong>de</strong>ssert, naturellement la conversation<br />

tomba sur le Manitoba, et quelqu’un me<br />

<strong>de</strong>manda pourquoi mon père, et avec lui tant<br />

d’autres avaient fait le sacrifice <strong>de</strong> s’expatrier aussi<br />

loin. Ah oui, pourquoi ? Et alors, en imagination je<br />

vis défiler <strong>de</strong>vant mes yeux toute cette phalange<br />

<strong>de</strong> braves habitants et d’artisans <strong>de</strong> tout métier<br />

qui, après avoir dit adieu au confort plus ou moins<br />

relatif <strong>de</strong> nos belles paroisses <strong>de</strong> la province natale<br />

étaient venus tous les premiers, à la suite <strong>de</strong>s<br />

coureurs <strong>de</strong>s bois, <strong>de</strong>s découvreurs et <strong>de</strong>s missionnaires<br />

coloniser ces immenses plaines qui s’éten-<br />

<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Rivière Rouge aux Rocheuses et qui<br />

<strong>de</strong>vaient plus tard, grâce à leur initiative, former<br />

trois <strong>de</strong>s plus riches provinces du Canada. Je laisse<br />

à d’autres le soin d’appeler fondateurs d’empire<br />

cette légion <strong>de</strong> courageux <strong>de</strong>vanciers. Pour moi, je<br />

préfère leur donner le nom plus chrétien <strong>de</strong> créateurs<br />

<strong>de</strong> foyers, dirigés par la Divine Provi<strong>de</strong>nce,<br />

ayant pour mission sacrée <strong>de</strong> prendre possession<br />

du sol, lui arracher vaillamment la <strong>vie</strong> <strong>de</strong> leurs<br />

nombreuses familles, avec l’aisance peut-être, et <strong>de</strong><br />

bâtir dans la pensée <strong>de</strong> Dieu <strong>de</strong>s chapelets <strong>de</strong><br />

clochers dans la plaine où <strong>vie</strong>ndraient s’agenouiller<br />

leurs <strong>de</strong>scendants. C’est là la vision que<br />

j’avais vue se réaliser.<br />

Le voyage dura cinq jours ; partis <strong>de</strong> Montréal<br />

le lundi en passant par Sarnia où notre train entier<br />

fut embarqué, à notre grand étonnement, sur un<br />

immense bateau plat qui traversa la rivière St.<br />

Clair au milieu <strong>de</strong> glaces flottantes, par Chicago,<br />

Milwaukee, St. Paul, St. Vincent, nous arrivions à<br />

<strong>Saint</strong>-Boniface, le samedi saint à 5 heures, à l’endroit<br />

où se trouve aujourd’hui la gare <strong>de</strong> la rue<br />

Archibald, le bout du rail, car le chemin <strong>de</strong> fer ne<br />

traversa la rivière qu’à l’automne suivant.<br />

Nous débarquons dans la boue <strong>de</strong> la Rivière<br />

Rouge qui vous est bien connue. Le père Levreault,<br />

comme on l’appelait, qui tenait une pension et une<br />

écurie <strong>de</strong> louage sur la rue <strong>La</strong>Vérendrye amena<br />

chez lui les femmes en voiture, mais les hommes,<br />

et je fus du nombre, durent marcher, et quelle<br />

marche ! Notre arrivée, comme vous le voyez, ne<br />

s’annonçait pas <strong>de</strong>s plus brillantes. Le len<strong>de</strong>main,<br />

M. l’abbé Cherrier, alors, curé <strong>de</strong> la Cathédrale,<br />

vint faire connaissance avec les nouveaux arrivés<br />

et leur souhaiter la bienvenue et bonne chance, ce<br />

qui réconforta énormément le petit groupe, les<br />

mamans surtout dont le visage attristé n’annonçait<br />

rien <strong>de</strong> bon.<br />

Le <strong>Saint</strong>-Boniface <strong>de</strong>s années 1880<br />

À cette époque, <strong>Saint</strong>-Boniface <strong>de</strong> même que la<br />

campagne avait une forte population métisse qui<br />

vivait fraternellement, comme une seule gran<strong>de</strong><br />

famille, sur les bords <strong>de</strong> la Rivière Rouge, <strong>de</strong><br />

l’Assiniboine et <strong>de</strong> la Seine. Le petit groupe <strong>de</strong><br />

Canadiens venu du Québec habitait le nord <strong>de</strong> la<br />

rue Provencher ; du côté sud c’était la forêt si on<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 5


excepte la Cathédrale, l’Archevêché et la maison<br />

Provinciale sur la rue Taché.<br />

Le len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> notre arrivée qui était le jour<br />

<strong>de</strong> Pâques, nous allâmes à la messe, et je dois vous<br />

avouer en toute can<strong>de</strong>ur que, parlant pour moimême,<br />

j’éprouvais plus <strong>de</strong> curiosité que <strong>de</strong> dévotion.<br />

Posté en éclaireur sur les marches <strong>de</strong> la<br />

Cathédrale, je vis arriver <strong>de</strong> gros messieurs avec<br />

leurs dames habillés à la mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> par chez nous et<br />

d’autres moins futés qui tous parlaient français<br />

comme à <strong>Saint</strong>- Philippe. Mais ce qui me frappa<br />

surtout ce fut <strong>de</strong> voir arriver par petits groupes <strong>de</strong>s<br />

gens du pays pieds-nus pour la plupart, sans<br />

doute pour ne pas salir leurs souliers mous qu’ils<br />

portaient à la main. En arrivant, assis sur le perron,<br />

ils chaussaient leurs souliers après avoir eu soin <strong>de</strong><br />

se rincer les pieds dans les flaques d’eau glacée. Ils<br />

parlaient entre eux un langage que je ne comprenais<br />

pas. Nombre <strong>de</strong> femmes étaient coiffées d’un<br />

large châle tissu <strong>de</strong> drap fin, invariablement <strong>de</strong><br />

couleur sombre qui cachait la plus gran<strong>de</strong> partie<br />

du visage. Tout cela était du nouveau pour moi et<br />

bien <strong>de</strong> nature à justifier ma curiosité.<br />

Pendant notre séjour à <strong>Saint</strong>-Boniface qui se<br />

prolongea 15 jours, mon frère et moi allions par les<br />

rues à la découverte. <strong>La</strong> Rivière Rouge dont nous<br />

avions cru que l’eau <strong>de</strong>vait en bonne logique être<br />

<strong>de</strong> cette couleur, nous paraissait plutôt grise et loin<br />

d’être limpi<strong>de</strong> comme toute rivière qui se respecte,<br />

alors pourquoi l’appelait-on rouge ? Comme il n’y<br />

avait pas encore <strong>de</strong> pont pour traverser à<br />

Winnipeg il fallait prendre le ferry à moteur qui<br />

faisait le trajet <strong>de</strong> la rue Dumoulin à la rue Notre<br />

Dame. Ce n’est qu’en 1883, je crois, que fut construit<br />

le pont Provencher, mais tout <strong>de</strong> même ce<br />

bateau là nous intriguait fort et tenait pendant <strong>de</strong>s<br />

heures notre attention. Des chroniqueurs sur le<br />

<strong>vie</strong>ux <strong>Saint</strong>-Boniface d’alors vous ont parlé <strong>de</strong> la<br />

maison qui faisait le coin <strong>de</strong>s rues St-Joseph et<br />

Dumoulin et remarquable par le fait bizarre <strong>de</strong> sa<br />

position anormale — elle se trouvait <strong>de</strong> biais sur le<br />

coin, sans respect pour l’alignement <strong>de</strong>s rues.<br />

Nous passions par là tous les jours car c’était notre<br />

chemin pour venir à la rivière. Elle était alors<br />

occupée comme rési<strong>de</strong>nce par le sénateur Girard<br />

apparenté à la famille Levreault.<br />

Nous rencontrions souvent <strong>de</strong>s [Amérindiens]<br />

qui se promenaient tout empanaches par les<br />

[Amérindiennes]. Un jour nous en rencontrâmes<br />

<strong>de</strong>ux qui vendaient <strong>de</strong>s arcs et <strong>de</strong>s flèches tout<br />

peinturés <strong>de</strong> couleurs voyantes et garnis <strong>de</strong><br />

plumes d’oiseaux. Après les avoir admirés pendant<br />

assez longtemps, la tentation fut trop forte et<br />

il fut décidé <strong>de</strong> saisir cette chance qui s’offrait. Une<br />

chose cependant nous préoccupait, où trouver l’argent<br />

? Nous savions qu’il était inutile d’en parler à<br />

notre mère, il y avait bien d’autre chose plus<br />

importante à acheter. Le diable dut s’en mêler, en<br />

nous donnant une inspiration qui ne <strong>de</strong>vait pas<br />

venir d’ailleurs : prendre un pain à la maison et<br />

l’échanger pour les flèches. Ce qui fut dit fut fait et<br />

après leur avoir fait comprendre que nous allions<br />

revenir, nous enlevions clan<strong>de</strong>stinement, un beau<br />

pain dans la huche et revenions prestement conclure<br />

le marché. Restait la difficulté d’expliquer à<br />

la maison la provenance <strong>de</strong> ces flèches. Inutile d’ajouter<br />

que notre plaidoyer n’eut aucun succès et<br />

bien à regret, il nous fallut retrouver nos<br />

[Amérindiens] et remettre les flèches mais le pain<br />

était disparu. C’était pourtant <strong>de</strong> belles flèches !<br />

Vers <strong>Saint</strong>-François-Xa<strong>vie</strong>r<br />

Dans l’intervalle, notre père se mettait à la<br />

recherche d’une terre où il pourrait s’établir à<br />

<strong>de</strong>meure. Il partit donc avec le père Levrault du<br />

côté <strong>de</strong> Lorette, appelée la petite pointe <strong>de</strong> chênes,<br />

mais après avoir failli se noyer sur la Seigneurie<br />

dont la plaine était inondée, ils revinrent sur leurs<br />

pas. Après ce voyage désastreux, mon père, l’ennui<br />

aidant eut un moment <strong>de</strong> découragement et<br />

parla <strong>de</strong> retourner à Montréal, mais ma mère, toujours<br />

plus vaillante dans l’adversité, comme le<br />

sont toutes les femmes, refusa net. Il tourna alors<br />

les yeux du côté <strong>de</strong> l’ouest et partit pour la prairie<br />

du cheval blanc, <strong>Saint</strong>-François-Xa<strong>vie</strong>r maintenant,<br />

où il loua d’un <strong>vie</strong>ux Métis, une terre pour<br />

six mois en attendant, une terre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux acres en<br />

largeur sur quatre milles <strong>de</strong> long, comme le sont<br />

toutes les terres <strong>de</strong> rivière. À quinze jours <strong>de</strong> notre<br />

arrivée nous partions donc pour cet endroit dans<br />

un wagon tiré par <strong>de</strong>ux ponies du pays que conduisait<br />

notre <strong>vie</strong>ux Métis, J. B. Gervais ; huit heures<br />

en voiture par <strong>de</strong>s chemins atroces, à tel point que<br />

les ponies tirant, haletant, suant, étaient à bout <strong>de</strong><br />

6 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


force. Notre installation se fit rapi<strong>de</strong>ment et bientôt<br />

nous eûmes chevaux, vaches et poules et du<br />

grain <strong>de</strong> semence. Avec cela une charrue toute <strong>de</strong><br />

bois, à l’exception du coutre, empruntée du voisin,<br />

ce qui, vous pouvez m’en croire, faisait dans la<br />

terre humi<strong>de</strong> un labour peu satisfaisant. Disons<br />

immédiatement que cette première récolte à l’automne<br />

fut abondante quoique restreinte en superficie<br />

et <strong>de</strong> ce moment une atmosphère <strong>de</strong> contentement<br />

et d’espoir élut domicile au logis et remplaça<br />

graduellement l’ennui.<br />

Il ne faut pas oublier qu’aussitôt installés dans<br />

notre nouvelle <strong>de</strong>meure il nous fallut retourner à<br />

l’école dont je commençais à m’ennuyer. Nous<br />

allions à l’école du village tenue par les<br />

Révéren<strong>de</strong>s Soeurs Grises, les Soeurs Dussault,<br />

Goulet, d’Eschambault et Massey. Il faut vous dire<br />

que la paroisse, dans le temps, possédait une forte<br />

population, 300 familles environ, toutes métisses, à<br />

l’exception <strong>de</strong> la famille Régnier, venue <strong>de</strong> la<br />

Pointe aux Trembles, un an avant nous, et dont les<br />

<strong>de</strong>scendants sont encore dans la paroisse. L’école<br />

était donc très peuplée. Le « cree » naturellement la<br />

langue usitée en récréation, bien que tous parlaient<br />

le français, un français entremêlé <strong>de</strong> mots « cree »<br />

et prononcé sur le ton chantant naturel aux gens<br />

du pays. Comme résultat nous apprîmes à parler<br />

la langue tout comme <strong>de</strong>s bois-brûlés, ce qui n’était<br />

pas une mince satisfaction pour notre orgueil<br />

d’enfants.<br />

Il y a peu <strong>de</strong> chose à dire sur ces quelques<br />

années passées à l’école, elles se ressemblent tellement<br />

dans leur monotonie. Je me rappelle cependant<br />

d’une circonstance assez comique qui <strong>de</strong>vait<br />

tourner à notre confusion. <strong>La</strong> classe <strong>de</strong> la journée<br />

finissait et nous sortions <strong>de</strong> l’école. En traversant la<br />

cour nous fîmes la rencontre <strong>de</strong> l’abbé Kavanagh,<br />

notre curé, accompagné <strong>de</strong> Mgr Grandin, son hôte<br />

<strong>de</strong> passage au presbytère, en route pour <strong>Saint</strong>-<br />

Boniface. Tous <strong>de</strong>ux s’en allaient rendre visite aux<br />

Soeurs Grises. Nous savions la conduite à tenir en<br />

présence d’un évêque, et sans hésiter, car le temps<br />

pressait, dans un élan superbe et en toute humilité,<br />

nous voilà tous agenouillés aux pieds <strong>de</strong><br />

Monseigneur. Mais nous n’avions pas réfléchi au<br />

fait que la cour, arrosée le matin par un violent<br />

orage était <strong>de</strong>venue un bourbier <strong>de</strong> vase infecte et<br />

collante. Je n’ai pas besoin <strong>de</strong> vous dire quelle<br />

mine piteuse était la nôtre en nous relevant.<br />

Heureusement que Monseigneur plein <strong>de</strong> con<strong>de</strong>scendance<br />

voulut bien nous bénir et nous adresser<br />

quelques bonnes paroles qui nous consolèrent un<br />

peu.<br />

<strong>La</strong> gran<strong>de</strong> eau haute <strong>de</strong> 1882<br />

Parlons un peu <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> eau haute <strong>de</strong> 1882.<br />

Au temps <strong>de</strong> la débâcle <strong>de</strong>s glaces, l’eau, bien<br />

qu’au-<strong>de</strong>ssus du niveau ordinaire en pareil cas s’écoula<br />

assez normalement sans causer trop d’appréhensions,<br />

mais les pluies abondantes <strong>de</strong>s mois<br />

<strong>de</strong> mai et juin firent que les rivières sortant <strong>de</strong><br />

leurs lits débordèrent dans la plaine, surtout du<br />

côté sud <strong>de</strong> l’Assiniboine, et sur tout le cours <strong>de</strong> la<br />

rivière Salle où le terrain est plus bas. On assurait<br />

dans le temps que Divertissant Falcon, le neveu <strong>de</strong><br />

Pierre Falcon, l’auteur <strong>de</strong> la chanson <strong>de</strong>s Bois-<br />

Brûlés sur le combat <strong>de</strong> la Grenouillère, partit du<br />

petit Canada en canot atteignit Carman aux Îlets<br />

<strong>de</strong> Bois, sans atterrir. À notre nouveau chez nous,<br />

à un <strong>de</strong>mi mille à l’est du village, sur la terre au<br />

<strong>vie</strong>ux « Quenonce » que mon père avait achetée à<br />

l’automne qui suivit notre arrivée au pays, l’eau<br />

couvrait les pointes <strong>de</strong>s rivières et le bas <strong>de</strong>s terres.<br />

<strong>La</strong> maison était entourée d’eau et pour sortir il<br />

nous fallait la chaloupe, attachée à la poignée <strong>de</strong><br />

porte. Nous allions au village <strong>de</strong> la même manière<br />

en piquant à travers champs. Il y avait <strong>de</strong>ux pieds<br />

d’eau sur le chemin en face <strong>de</strong> l’église, et pour aller<br />

à la messe nous attachions la chaloupe au perron<br />

<strong>de</strong> l’église qui émergeait <strong>de</strong> l’eau <strong>de</strong> sorte que<br />

notre trajet s’effectuait d’une clenche à l’autre. Et<br />

ce fut ainsi jusqu’à la fin <strong>de</strong> juin. Ce n’était pas gai !<br />

Que dire <strong>de</strong> la Baie St-Paul, l’ancienne mission<br />

<strong>de</strong> Belcourt, qui fait aujourd’hui partie <strong>de</strong> St-<br />

Eustache. Située à 12 milles à l’ouest <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-<br />

François-Xa<strong>vie</strong>r, cette baie forme une dépression<br />

très prononcée du niveau normal et là, au plus<br />

profond <strong>de</strong> la dépression vivaient un groupe <strong>de</strong><br />

colons venus <strong>de</strong>s bords du Richelieu : les familles<br />

Dorval, Précourt, Pépin et Senécal, ce <strong>de</strong>rnier<br />

connu <strong>de</strong> vous tous <strong>de</strong>vaient s’établir à <strong>Saint</strong>-<br />

Boniface, comme entrepreneur constructeur. <strong>La</strong><br />

baie se remplit, va sans dire, <strong>de</strong> sorte que ces<br />

familles éprouvées durent se replier sur <strong>Saint</strong>-<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 7


François-Xa<strong>vie</strong>r, à l’exception <strong>de</strong> M. Dorval qui<br />

s’en alla au Dakota pour <strong>de</strong>venir plus tard le juge<br />

Dorval. M. l’abbé d’Eschambault, ce chercheur<br />

infatigable en tout ce qui touche notre histoire,<br />

m’assure que ce M. Dorval, avant <strong>de</strong> passer au<br />

Dakota séjourna à <strong>Saint</strong>-Joseph, associé à un<br />

nommé Senécal venu avec lui <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-François-<br />

Xa<strong>vie</strong>r, le frère <strong>de</strong> l’entrepreneur peut-être. Une<br />

fille <strong>de</strong> Dorval est religieuse <strong>de</strong>s Soeurs <strong>Saint</strong>s<br />

Noms <strong>de</strong> Jésus-Marie et a enseigné, parait-il, à l’école<br />

<strong>de</strong> Holy Cross. Après cette épreuve la <strong>vie</strong><br />

reprit son cours normal.<br />

<strong>La</strong> paroisse d’Elie n’existait pas encore. Là où<br />

se trouve la gare actuelle <strong>de</strong> même que la région<br />

environnante ne pouvait produire que du foin, du<br />

foin à la hauteur <strong>de</strong>s chevaux et qui rendait jusqu’à<br />

12 tonnes à l’âcre. J’en sais quelque chose car<br />

lorsque le foin manquait chez nous dans les années<br />

<strong>de</strong> sécheresse, nous allions en couper en cet<br />

endroit, en campant sous la tente. À chaque printemps,<br />

ce coin du pays était le paradis <strong>de</strong>s chasseurs<br />

et sans vouloir imiter l’inimitable Tartarin <strong>de</strong><br />

Tarascon, laissez-moi vous dire que les canards<br />

sauvages ne manquaient pas. Ce n’était qu’un<br />

coinc-coinc endiablé et étourdissant. Et le plus<br />

beau <strong>de</strong> l’affaire c’est qu’il n’était nullement<br />

question <strong>de</strong> se procurer une licence, en ces temps<br />

<strong>de</strong> parfaite liberté. C’était le temps heureux où tout<br />

le mon<strong>de</strong> vivait paisiblement et jouissait <strong>de</strong> cette<br />

liberté saine et sans entraves que les générations à<br />

venir ne connaîtront sans doute jamais.<br />

Il y avait toutefois <strong>de</strong>s désagréments, la <strong>vie</strong><br />

sans cela serait vraiment trop belle. Le Créateur <strong>de</strong><br />

toutes choses avait décidé dans sa sagesse infinie<br />

que le genre humain serait appelé à souffrir pour<br />

le rachat <strong>de</strong> ses fautes ; il envoya donc <strong>de</strong>s<br />

maringouins et je puis vous dire qu’il y en avait<br />

pour tous les goûts, <strong>de</strong>s gros, <strong>de</strong>s plus petits, <strong>de</strong>s<br />

jaunes et <strong>de</strong>s gris, tous aussi maringouins les uns<br />

que les autres, et assez nombreux pour faire crever<br />

d’en<strong>vie</strong> le tyran détesté <strong>de</strong> cette engeance infernale,<br />

le Dr Speechley, s’il eut eu connaissance du<br />

fait.<br />

On sourit <strong>de</strong> façon sceptique en entendant l’expression<br />

commune : « Les maringouins étaient<br />

assez nombreux pour les couper avec un couteau ».<br />

Et pourtant, c’est possible comme vous allez bien<br />

le voir. Un jour, ou plutôt un soir, vers les sept<br />

heures en plein mois <strong>de</strong> juin, par un temps calme<br />

et chaud à suffoquer, je m’en allais reporter un<br />

couteau à longue lame, bien tranchante, chez mon<br />

voisin auquel je l’avais emprunté. J’avais à traverser<br />

un petit champ <strong>de</strong> hautes herbes sur les bords<br />

<strong>de</strong> la rivière ; c’était une invitation aux millions <strong>de</strong><br />

maringouins qui se proposaient <strong>de</strong> coucher là<br />

probablement sans avoir soupé pour la plupart.<br />

L’endroit et l’heure ne pouvaient être plus propices<br />

et ils n’y manquèrent pas. Assailli <strong>de</strong> tous côtés par<br />

<strong>de</strong>s myria<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ces satanés insectes au point que<br />

le soleil en était obscurci je fis <strong>de</strong> vains efforts pour<br />

sortir <strong>de</strong> l’embusca<strong>de</strong> et alors affolé et presque fou<br />

<strong>de</strong> rage impuissante mon bras instinctivement fit<br />

un mouvement rapi<strong>de</strong> et violent <strong>de</strong> haut en bas au<br />

beau milieu du nuage, et, messieurs, croyez-moi, il<br />

y avait <strong>de</strong>s pattes <strong>de</strong> maringouins encore toutes<br />

palpitantes sur la lame du couteau. Je parie qu’aucun<br />

<strong>de</strong> vous n’a jamais rien vu <strong>de</strong> pareil, même<br />

mon ami J. A. Cusson, le sceptique. Aussi me suisje<br />

dit : « S’il n’est pas dans la salle à ce moment là,<br />

il y a <strong>de</strong>s chances que ça passe ». Amable Toupin,<br />

lui, va sans dire, aurait vu mieux que cela, il aurait<br />

vu <strong>de</strong>s langues pour le moins, sinon <strong>de</strong>s yeux.<br />

Notre bon <strong>vie</strong>ux curé Kavanagh<br />

Notre bon <strong>vie</strong>ux curé, l’abbé Kavanagh arrivé<br />

au pays en 1868 avait été témoin <strong>de</strong> bien <strong>de</strong>s<br />

événements bien qu’il ne fut pas curieux. Il était ici<br />

lors <strong>de</strong>s troubles <strong>de</strong> 1869 et il nous racontait que<br />

certains orangistes <strong>de</strong> Headingly lui faisaient souvent<br />

un mauvais parti quand il revenait <strong>de</strong> la<br />

Fourche, aujourd’hui Winnipeg. Ces fanatiques,<br />

encore sous le coup <strong>de</strong> l’exécution du turbulent<br />

Scott, sentaient <strong>de</strong> loin le catholique, surtout s’il<br />

était irlandais. Ce saint prêtre <strong>de</strong> l’Église<br />

quoiqu’un peu sévère selon nous n’entendait pas<br />

badiner sur toute infraction à la règle établie. Très<br />

sévère pour lui-même d’ailleurs car il couchait sur<br />

un lit <strong>de</strong> perches, façonné <strong>de</strong> ses mains et recouvert<br />

d’une seule peau <strong>de</strong> buffalo. Ce n’est guère<br />

moelleux ! C’était la croyance générale qu’il conversait<br />

avec les morts et l’on disait même qu’il<br />

opérait <strong>de</strong>s miracles. Je le crois.<br />

Quelques années avant notre arrivée, M.<br />

Kavanagh suivait chaque été ses paroissiens à la<br />

8 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


chasse émouvante du buffalo qui fournissaient<br />

alors aux Métis la nourriture et le vêtement. <strong>La</strong><br />

paroisse se vidait vers les plaines <strong>de</strong> la<br />

Saskatchewan où ces tueries intenses les avaient<br />

refoulés, et revenaient à l’automne chargés <strong>de</strong> provisions<br />

pour l’hiver et <strong>de</strong> peaux que les femmes<br />

préparaient et que l’on vendait à vil prix à la Baie<br />

d’Hudson. À cette époque et jusqu’à notre arrivée<br />

un beau manteau <strong>de</strong> cette fourrure maintenant si<br />

recherchée se vendait 12 $. On préparait la vian<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières pour la conserver : en pemmican<br />

et en vian<strong>de</strong> sèche. <strong>La</strong> vian<strong>de</strong> <strong>de</strong> choix, prise sur la<br />

protubérance du cou était pilée et cuite en y<br />

ajoutant du suif en quantité suffisante que l’on<br />

massait ensuite dans <strong>de</strong>s sacs d’une dizaine <strong>de</strong><br />

livres ayant l’apparence <strong>de</strong> gros boulets ; c’était le<br />

pemmican. <strong>La</strong> préparation <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong> sèche était<br />

beaucoup plus simple : on tranchait la vian<strong>de</strong> en<br />

lanières d’un pouce ou <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> large que l’on faisait<br />

ensuite sécher en l’exposant au soleil ; <strong>de</strong> l’une<br />

ou <strong>de</strong> l’autre manière, la vian<strong>de</strong> pouvait ainsi se<br />

conserver indéfiniment, mais c’était tout un problème<br />

d’absorber cette <strong>de</strong>rnière, il fallait <strong>de</strong> bonnes<br />

<strong>de</strong>nts.<br />

M. Kavanagh avait une tâche énorme, car à<br />

part sa nombreuse paroisse qu’il <strong>de</strong>sservait avec<br />

dévouement il faisait les missions environnantes,<br />

jusqu’aux Îlets <strong>de</strong> Bois, toujours avec son <strong>vie</strong>ux<br />

Frank, son poney fidèle, et son meilleur compagnon.<br />

Il aimait la solitu<strong>de</strong> qui favorisait ses<br />

méditations et il ne se gênait pas pour rabrouer, à<br />

l’occasion, ses confrères <strong>de</strong> l’Évêché qui faisaient<br />

<strong>de</strong>s gorges chau<strong>de</strong>s sur ses manières peu sociales,<br />

en les appelant les fins-fins <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface. Il<br />

aimait à nous répéter que lorsqu’il <strong>de</strong>vait se rendre<br />

à la Fourche, il fermait les yeux à la hauteur <strong>de</strong><br />

l’hôtel Clarendon, bien en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la ville, pour<br />

ne les rouvrir qu’à l’Évêché, se fiant entièrement<br />

au flair du <strong>vie</strong>ux Frank qui ne se trompait jamais.<br />

Que ferait-il aujourd’hui ?<br />

Rencontrant un jour un <strong>de</strong> ses paroissiens, ami<br />

<strong>de</strong> la bouteille et fortement éméché qui croyant lui<br />

faire une politesse, lui offrit <strong>de</strong> prendre un « coup »<br />

en lui présentant un flacon d’alcool, il saisit le flacon<br />

et dans un élan <strong>de</strong> sainte colère le brisa en<br />

miettes sur la roue <strong>de</strong> la voiture. Ce que voyant, le<br />

paroissien abasourdi <strong>de</strong>vant une telle perte se mit<br />

à pleurer comme un enfant. M. Kavanagh avait<br />

une horreur convaincue <strong>de</strong> la boisson et il savait, à<br />

l’occasion, flageller l’ivrogne. Ce trop généreux<br />

paroissien l’avait oublié.<br />

Le « Petit Canada » et les « Purs »<br />

L’année qui précéda la gran<strong>de</strong> inondation sévit<br />

une fièvre <strong>de</strong> spéculation qui fit la ruine <strong>de</strong><br />

plusieurs. L’immigration nous arrivait <strong>de</strong> l’Ontario<br />

à plein train. Le terrain atteignit <strong>de</strong>s prix fabuleux<br />

et fous ces nouveaux venus, affolés, se bousculaient,<br />

perdant la tête dans la course effrénée pour<br />

arriver les premiers et acheter, cher, n’importe où<br />

et n’importe quoi, pourvu que ce fut un morceau<br />

<strong>de</strong> terre. Le petit ferry <strong>de</strong> la rue Dumoulin, fit la<br />

fortune <strong>de</strong> Robert Tait, un écossais qui lui ne perdit<br />

pas la tête et continua placi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> faire fonctionner<br />

son bateau jour et nuit traversant les gens<br />

qui souvent étaient trop pressés pour attendre leur<br />

change. On dit qu’un piéton arrivé en courant<br />

pour prendre le bateau paya dix dollars pour le<br />

trajet, n’ayant pas le temps d’attendre. Un an plus<br />

tard Tait laissait là son bateau <strong>de</strong>venu inutile et se<br />

bâtissait un château princier à St-James. On<br />

ouvrait <strong>de</strong>s salles d’encan où le terrain se vendait<br />

à l’enchère sans qu’on sut exactement où ce terrain<br />

se trouvait, souvent. On vendit <strong>de</strong> la sorte du terrain<br />

situé sous un lac. Des lots où se trouve aujourd’hui<br />

Edmonton se vendirent à l’enchère à<br />

Winnipeg. Les hôtels regorgeaient, on faisait <strong>de</strong>s<br />

affaires d’or et tout le mon<strong>de</strong> se croyait pour le<br />

moins millionnaire lorsque vint l’eau haute du<br />

printemps qui immobilisa tout en laissant nombre<br />

<strong>de</strong> blessés sur le carreau.<br />

Comment dépeindre la <strong>vie</strong> sociale du temps,<br />

elle était <strong>de</strong>s plus simple. <strong>La</strong> paroisse <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-<br />

François-Xa<strong>vie</strong>r comprenait trois cantons, pourrait-on<br />

dire, et chaque canton vivait en harmonie<br />

comme une gran<strong>de</strong> famille, mais isolé <strong>de</strong>s autres. Il<br />

y avait à Pigeon <strong>La</strong>ke à l’ouest <strong>de</strong> l’église où se<br />

trouvait un bon groupe <strong>de</strong> familles métisses qui<br />

avaient conservé intactes les coutumes primitives<br />

<strong>de</strong> leurs ancêtres maternels, les femmes portant<br />

châles et mocassins et parlant plutôt le « cree ». À<br />

l’église, elles ne prenaient jamais place dans les<br />

bancs avec les hommes, elles préféraient s’asseoir<br />

sur le plancher, dans les allées, obstruant tout l’espace<br />

<strong>de</strong> sorte que M. Kavanagh qui y était<br />

habitué, avait toutes les peines du mon<strong>de</strong> pour se<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 9


frayer un passage et se rendre à l’autel. Il y avait<br />

par contre à l’est, au sud <strong>de</strong> la rivière un autre<br />

groupe plus nombreux et plus avancé qui affectait<br />

d’imiter les Canadiens-français dans leurs coutumes<br />

et leurs vêtements, les femmes portant chapeaux<br />

et chaussures françaises. C’est <strong>de</strong> là que leur<br />

est venu le nom <strong>de</strong> « Petit Canada » que leur donnaient<br />

en dérision les gens <strong>de</strong> Pigeon <strong>La</strong>ke, pendant<br />

que ces <strong>de</strong>rniers recevaient en revanche le<br />

nom <strong>de</strong> « purs ». Le troisième groupe, <strong>de</strong><br />

préférence se serrait au centre, autour <strong>de</strong> l’église et<br />

comprenait surtout les Canadiens venus <strong>de</strong> l’Est et<br />

dont le nombre augmentait graduellement.<br />

Au Petit Canada on trouvait ce qu’on était convenu<br />

d’appeler l’aristocratie métisse : Maxime<br />

Lépine, frère <strong>de</strong> Didyme, les <strong>La</strong>vallée, les<br />

Deslauriers, les Lespérance, les Dauphinais, les<br />

Bellehumeur, les Pagé, etc. N’est-ce pas que c’est là<br />

une liste <strong>de</strong> beaux noms, <strong>de</strong>s noms enchanteurs<br />

qui sentent le terroir et qui sont bien <strong>de</strong> chez nous,<br />

<strong>de</strong>s noms chantés par notre inoubliable Marchand.<br />

Charles Holmes nous dit que Louis D. Riel épousa<br />

en 1881 Marguerite Bellehumeur <strong>de</strong> la Prairie du<br />

Cheval Blanc. Je n’ai jamais vu Riel bien qu’il soit<br />

venu plus d’une fois au Cheval Blanc, mais j’ai<br />

bonne souvenance <strong>de</strong> cette Marguerite<br />

Bellehumeur et j’ai un vague souvenir <strong>de</strong> son<br />

mariage avec Riel, mariage qui fit époque dans le<br />

temps.<br />

Au centre, on continuait la louable tradition<br />

<strong>de</strong>s veillées <strong>de</strong> familles. On se rencontrait au coin<br />

du feu, l’hiver, entre voisins pour jouer au « casino<br />

», le jeu <strong>de</strong> cartes alors en vogue, chanter les<br />

<strong>vie</strong>ux refrains <strong>de</strong> Québec et surtout pour écouter<br />

les récits palpitants d’un fameux conteur qui captivait<br />

toujours notre attention. Chez les Métis,<br />

beaucoup plus nombreux, on favorisait la danse :<br />

les <strong>vie</strong>ux quadrilles et la gigue <strong>de</strong> la rivière Rouge<br />

qui s’exécutait toujours avec entrain mais sans<br />

désordre, sous les regards <strong>de</strong>s plus <strong>vie</strong>ux qui parlaient<br />

avec enthousiasme <strong>de</strong> leurs <strong>vie</strong>illes chasses<br />

endiablées dans les plaines <strong>de</strong> la Saskatchewan.<br />

Tout cela, au milieu d’une épaisse fumée <strong>de</strong> tabac<br />

mêlé <strong>de</strong> hart rouge, le quinikinik. C’était là les<br />

amusements du temps car le cinéma, la radio et<br />

l’auto étaient encore inconnus. Et pour moi qui ai<br />

vécu les <strong>de</strong>ux époques, je préfère encore celle du<br />

temps passé où tout le mon<strong>de</strong> vivait relativement<br />

heureux. Les millionnaires étaient rares mais par<br />

contre il n’y avait pas <strong>de</strong> miséreux, ni <strong>de</strong> guerres<br />

surtout.<br />

Un mets que cuisaient savamment les <strong>vie</strong>illes<br />

métisses et pour lequel j’ai toujours conservé un<br />

faible, c’est la fameuse galette du pays, d’un goût<br />

tout particulier et je le préférais <strong>de</strong> beaucoup au<br />

pain <strong>de</strong> chez nous. Il y a quelques années je vis<br />

venir vers moi sur la rue Aulneau mon ami Frank<br />

Savoie qui serrait précieusement un objet sous son<br />

bras. En m’abordant il me dit, un éclair <strong>de</strong> joie<br />

dans les yeux :<br />

— Devine ce que j’ai dans ce sac ?<br />

— Je ne saurais <strong>de</strong>viner, lui dis-je, vaut mieux<br />

me le dire <strong>de</strong> suite.<br />

— De la galette <strong>de</strong> Métis, qu’il me dit, du ton<br />

d’un prospecteur qui aurait découvert une mine<br />

d’or.<br />

— Hein, <strong>de</strong> la galette, chanceux, où prends-tu<br />

ça ?<br />

Il est superflu d’ajouter qu’il dut partager.<br />

Les traiteurs et leurs charrettes<br />

Avant la venue du chemin <strong>de</strong> fer, c’est-à-dire<br />

avant 1885, le commerce avec l’Ouest se faisait par<br />

un service <strong>de</strong> bateaux plats sur l’Assiniboine<br />

jusqu’à Fort Ellice, le Cheyenne, le Marquette, le<br />

Manitoba et l’Alberta. Deux <strong>de</strong> ces bateaux par<br />

semaine passaient à notre porte et c’était un événement<br />

surtout pour les jeunes. De Winnipeg à Fort<br />

Ellice, aujourd’hui <strong>Saint</strong>-<strong>La</strong>zare, on compte 200<br />

milles par le chemin mais le même trajet en bateau<br />

était alors calculé à 500 milles à cause <strong>de</strong>s replis<br />

multiples <strong>de</strong> la rivière, <strong>de</strong> sorte que nous entendions<br />

venir et aller ces bateaux toute une <strong>de</strong>mijournée.<br />

Il y avait aussi les traitants et ici entre en scène<br />

la charrette <strong>de</strong> la rivière Rouge dont on a tant parlé<br />

et dont se servaient exclusivement ces traitants.<br />

Tout homme qui en avait les moyens pouvait<br />

charger <strong>de</strong> marchandises autant <strong>de</strong> charrettes qu’il<br />

voulait pour aller, soit à Edmonton, à la montée,<br />

(Carlton) Qu’Appelle ou la rivière Castor, rencontrer<br />

les [Amérindiens], un jour <strong>de</strong> traité, et leur<br />

vendre à gros prix ses diverses marchandises qui<br />

consistaient surtout en étoffes aux brillantes<br />

couleurs, en tabac et en objets <strong>de</strong> quincaillerie <strong>de</strong><br />

toute sorte. Les familles Breland, Poitras et<br />

10 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


Delorme étaient les traitants les plus renommés et<br />

possédant les plus grosses caravanes. Ils revenaient<br />

à l’automne avec une petite fortune en billets<br />

<strong>de</strong> un dollar. Ces charrettes chargées et toujours<br />

<strong>vie</strong>rges <strong>de</strong> graisse, au nombre d’une trentaine<br />

environ se faisaient entendre <strong>de</strong> six milles dans un<br />

vacarme infernal, une cacophonie insupportable.<br />

Quand on sait que ces charrettes étaient tirées par<br />

<strong>de</strong>s boeufs, faisant en moyenne jamais plus que<br />

dix milles par jour, il est facile <strong>de</strong> comprendre combien<br />

peu agréable nous était leur passage.<br />

Pour en finir avec <strong>Saint</strong>-François-Xa<strong>vie</strong>r<br />

Pour en finir avec <strong>Saint</strong>-François-Xa<strong>vie</strong>r, laissez-moi<br />

vous raconter un inci<strong>de</strong>nt assez drolatique<br />

qui prend place vers 1887 et dont M. Joseph Forget<br />

fut la victime. M. Forget, un ancien zouave, célibataire,<br />

avait fait <strong>de</strong> bonnes étu<strong>de</strong>s. On disait<br />

même qu’il avait passé par le séminaire avant<br />

d’aller à Rome. C’était en tout cas un vrai gentilhomme<br />

qui était venu, pour je ne sais quelle raison,<br />

enfouir ses talents à Pigeon <strong>La</strong>ke où il faisait<br />

la classe en menant une <strong>vie</strong> d’anachorète. Ce M.<br />

Forget serait, m’assure M. l’abbé d’Eschambault, le<br />

frère <strong>de</strong> l’abbé Forget-Despatis, ancien directeur<br />

du premier collège—le cloître <strong>de</strong>s Carmélites—<br />

venu ici en 71 et qui mourut en 81. Les <strong>de</strong>ux frères,<br />

tous <strong>de</strong>ux zouaves, étaient venus ensemble au<br />

Manitoba probablement. Joseph est mort à <strong>Saint</strong>-<br />

François-Xa<strong>vie</strong>r vers 1897.<br />

Mgr <strong>La</strong>flèche alors évêque <strong>de</strong>s Trois-Rivières<br />

et qui avait été autrefois curé à <strong>Saint</strong>-François-<br />

Xa<strong>vie</strong>r, se trouvait <strong>de</strong> passage à <strong>Saint</strong>-Boniface, à<br />

l’occasion <strong>de</strong> la consécration <strong>de</strong> la <strong>vie</strong>ille cathédrale.<br />

Mgr <strong>La</strong>flèche voulut revoir ses anciens<br />

paroissiens et par un beau dimanche, il venait<br />

nous chanter la messe. Après quoi, toute la population<br />

se rendit en avant du presbytère où on<br />

<strong>de</strong>vait lui lire une adresse. M. J. A. Senécal, le<br />

préfet <strong>de</strong> la municipalité fut choisi pour en faire la<br />

lecture. Monseigneur répondit en termes<br />

touchants qui firent pleurer les bons <strong>vie</strong>ux Métis<br />

qui l’avaient connu et aimé, et il nous annonça<br />

qu’il allait nous bénir. Tous se préparaient à s’agenouiller,<br />

mais M. Forget qui était au premier rang<br />

voulut donner le signal, et oubliant sans doute<br />

qu’il tenait dans sa main gauche son chapeau <strong>de</strong><br />

haute forme, communément dénommé « tuyau <strong>de</strong><br />

castor » se frappa dans les mains à tour <strong>de</strong> bras,<br />

avec le triste résultat que le chapeau fut aplati<br />

comme une assiette, à la gran<strong>de</strong> confusion <strong>de</strong> ce<br />

pauvre M. Forget et non sans provoquer dans la<br />

foule plus d’un rire étouffé pendant que Mgr faisait<br />

un grand signe <strong>de</strong> croix, dans un effort surhumain<br />

pour ne pas éclater.<br />

Au Collège <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface<br />

Nous sommes en 1884, époque à laquelle je fis<br />

mon entrée au collège, ce qui me fut accordé bien<br />

à contre coeur car mes parents imbus <strong>de</strong>s idées du<br />

temps ne voyaient pas bien l’utilité <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> frais<br />

pour faire un habitant, mais je voulais aller plus<br />

loin que l’école primaire. Le collège d’abord ne<br />

comprenait que la partie centrale et l’abbé Azarie<br />

Dugas en était le directeur. Mes <strong>vie</strong>ux condisciples<br />

se rappelleront la patinoire que nous remplissions,<br />

à force d’énergie, d’eau tirée <strong>de</strong> la pompe à bras,<br />

<strong>de</strong> nos fameux pique-niques aux crêpes sous<br />

l’égi<strong>de</strong> débonnaire du Révérend Père Lebel, le<br />

planteur d’arbres qui conçut l’idée et commença le<br />

parc Provencher, nos séances académiques si<br />

intéressantes, nos promena<strong>de</strong>s à la Seine, à l’abord<br />

à Plouffe, à la pointe où se trouvait la poissonnière<br />

du Père Samson, le jeu <strong>de</strong> balle au mur qui existe<br />

encore, je crois, où brillait De<strong>La</strong>ron<strong>de</strong>, les courses<br />

<strong>de</strong> vitesse où Roger Goulet arrivait toujours bon<br />

premier, la balle au camp, l’arrivée en 1885 du premier<br />

groupe <strong>de</strong> Jésuites, les Révérends Pères Lory,<br />

Drummond, French, Blain et Paquin, et enfin nos<br />

marches journalières aux examens universitaires<br />

qui avaient lieu dans le <strong>vie</strong>ux Trinity Hall, où se<br />

situe aujourd’hui le bureau <strong>de</strong> poste. Et vous sou<strong>vie</strong>nt-il<br />

du <strong>vie</strong>ux colporteur d’eau qui vendait la<br />

rivière Rouge aux portes, à 25 sous le quart ? Tout<br />

cela ne peut s’oublier.<br />

En 86, l’homme d’État rusé qu’était Sir John A.<br />

Macdonald avait invité à Ottawa le chef Crowfoot<br />

<strong>de</strong>s Pieds-Noirs et Poundmaker <strong>de</strong> la tribu <strong>de</strong>s<br />

« Cree » en vue <strong>de</strong> les récompenser pour leur attitu<strong>de</strong><br />

plus ou moins tacite durant le soulèvement<br />

<strong>de</strong>s Métis l’année précé<strong>de</strong>nte. Ces chefs, la poitrine<br />

couverte <strong>de</strong> médailles offertes par Sir John<br />

Macdonald dont ils étaient très fiers rendirent visite<br />

à Mgr Taché à leur retour. Monseigneur eut la<br />

délicate attention <strong>de</strong> les amener souper au collège,<br />

au réfectoire <strong>de</strong>s élèves. Grand émoi parmi ces<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 11


<strong>de</strong>rniers car Crowfoot surtout était pour nous un<br />

personnage quasi légendaire, connu par sa<br />

bravoure, sa sagesse et son éloquence dont nous<br />

fûmes à même <strong>de</strong> juger par les brillants discours<br />

qu’il débita avec feu au <strong>de</strong>ssert et que nous<br />

traduisit le Révérend Père <strong>La</strong>combe. Ce Pied Noir<br />

superbe était vraiment un chef.<br />

Je veux m’accuser ici d’un méfait impardonnable<br />

que je mis à exécution sous l’impulsion<br />

du moment le 24 mai 1885. Nous avions célébré à<br />

notre manière, la fête <strong>de</strong> la Reine Victoria par un<br />

grand congé, avec force pétards. Notre héros<br />

national Dollard n’était pas encore à l’honneur.<br />

Montés à la salle d’étu<strong>de</strong>s après une journée<br />

épuisante et peu disposés au travail, il me vint à<br />

l’idée d’allumer le pétard oublié dans mes poches.<br />

J’obtins une allumette <strong>de</strong> mon compagnon d’en<br />

face qui ignorait absolument l’usage que j’en<br />

voulais faire.<br />

Le pétard allumé, je le lançai <strong>de</strong> toutes mes<br />

forces vers l’allée centrale où se promenait le surveillant,<br />

l’abbé Massicotte, homme d’un caractère<br />

bouillant et qui n’entendait pas les plaisanteries <strong>de</strong><br />

ce genre. L’obus en miniature éclata sous le pupitre<br />

<strong>de</strong> Angus Boucherville McKay, fils <strong>de</strong> James<br />

McKay, député, et le filleul <strong>de</strong> Mgr Taché. Un bruit<br />

<strong>de</strong> tonnerre et Angus, par un sursaut formidable<br />

renversa son pupitre et aussitôt il se fit un silence<br />

lugubre qui annonçait l’orage.<br />

Le point <strong>de</strong> vue le plus en évi<strong>de</strong>nce à ce<br />

moment critique et plein <strong>de</strong> menace était le visage<br />

du surveillant <strong>de</strong>venu violacé et qui rappelait les<br />

colères du dieu Jupiter lançant ses foudres. « Que<br />

le coupable se déclare ou je punis toute la salle »<br />

fut sa sentence et le même silence morne, impalpable<br />

se rétablit. Mais cela ne pouvait durer, et pour<br />

le bien général, car j’étais moi-même sur les épines,<br />

la vérité ne pouvait sortir enfin du sac. Un jeune<br />

qui m’avait vu ne put tenir plus longtemps <strong>de</strong>vant<br />

les assauts répétés d’une enquête inlassable qui<br />

dura 15 jours, conduite patiemment par les surveillants.<br />

J’eus une audience tout à fait à mon désavantage<br />

avec le directeur qui m’accorda comme faveur<br />

spéciale <strong>de</strong> ne pas me renvoyer chez nous, mais la<br />

mercuriale qu’il m’adressa valait quelque chose,<br />

ne l’oubliez pas, et ma promesse <strong>de</strong> ne pas recommencer<br />

était sincère. Dois-je ajouter que le com-<br />

plice involontaire dont j’avais reçu l’allumette n’était<br />

autre que celui qui est <strong>de</strong>venu le vénéré<br />

Archevêque <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface.<br />

L’année suivante, notre professeur <strong>de</strong> Belles-<br />

Lettre, le bon père Blain, voyant que j’avais<br />

quelques loisirs me <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> préparer un examen<br />

d’honneur sur les commentaires <strong>de</strong> la guerre<br />

<strong>de</strong>s Gaules <strong>de</strong> César. Ce n’était pas une mince<br />

besogne mais je m’y mis volontiers car j’aimais les<br />

classiques, le latin surtout, cependant qu’en mathématiques<br />

et en apologétique celui qui plus tard<br />

<strong>de</strong>vait <strong>de</strong>venir le chef spirituel du diocèse occupait<br />

la première place <strong>de</strong> la classe. Au printemps je dus<br />

passer un examen oral <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux longues heures<br />

<strong>de</strong>vant trois Jésuites, et non <strong>de</strong>s moindres, les<br />

pères Lory, Drummond et French, et dont je fus<br />

heureux <strong>de</strong> sortir haut la main.<br />

Les congés <strong>de</strong> sortie étaient rares et la nostalgie<br />

du foyer paternel me visitait souvent. On m’accorda<br />

cependant trois jours pour le 1 er jan<strong>vie</strong>r, mais<br />

n’ayant pas le temps d’en avertir mes parents, je<br />

dus partir à pied 18 milles par un froid <strong>de</strong> loup. Je<br />

comptais sur une chance d’occasion, mais comme<br />

il nous arrive assez souvent, toutes les voitures<br />

allaient en sens contraire. À la sortie <strong>de</strong> la ville, le<br />

vent qui soufflait du nord augmenta en violence et<br />

souleva une tempête, comme on en voit peu<br />

aujourd’hui, mais je continuai. Après un repos <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux heures au magasin tenu par les frères Burke<br />

à <strong>Saint</strong>-Charles, où je dînai, je repartis pour<br />

Headingly, distant <strong>de</strong> quatre milles, mais quatre<br />

milles <strong>de</strong> plaine, sans abri ni point <strong>de</strong> repaire et<br />

renommée comme dangereux dans les tempêtes,<br />

c’était ce qu’on appelle la traverse. Ceux qui ont<br />

connu les froids et les tempêtes <strong>de</strong> cette époque me<br />

comprendront aisément en leur disant que j’étais<br />

aveugle, à moitié gelé et presque mort <strong>de</strong> fatigue<br />

lorsque j’arrivai au magasin Francis où la chaleur<br />

du poêle aidant, je m’endormis auprès du feu,<br />

après qu’on m’eut restauré.<br />

Quand je m’éveillai il faisait déjà nuit et je<br />

repartis, plein d’un nouveau courage et content <strong>de</strong><br />

me savoir aussi près <strong>de</strong> chez nous, cinq milles<br />

seulement. J’avais couvert un <strong>de</strong>mi-mille quand<br />

j’entendis soudain le son argentin <strong>de</strong> clochettes<br />

venant <strong>de</strong> l’arrière. Me retournant, je vis venir un<br />

« cutter » vi<strong>de</strong> dont le cheval fringant aiguillonné<br />

par le froid allait grand train. C’était la chance qui<br />

12 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


me souriait enfin, quoiqu’un peu tard et je sautai<br />

rapi<strong>de</strong>ment dans la voiture qui me rendit chez<br />

nous, à la gran<strong>de</strong> surprise <strong>de</strong> la maisonnée réunie<br />

pour la veillée du jour <strong>de</strong> l’an. <strong>La</strong> joie que j’éprouvai<br />

quand je me trouvai au milieu <strong>de</strong> tous les<br />

miens, après avoir reçu la bénédiction paternelle,<br />

me récompensa largement <strong>de</strong>s peines du voyage.<br />

Et c’est ainsi que l’on voyageait en l’an <strong>de</strong> grâce<br />

1887.<br />

Quelques Collégiens bien connus<br />

J’ai nommé De <strong>La</strong>ron<strong>de</strong> ; comme élève il<br />

mérite mieux qu’une simple mention. Il était en<br />

rhétorique lors <strong>de</strong> mon arrivée au collège ; j’ai donc<br />

vécu à ses côtés pendant trois ans. Talent universel<br />

et hors <strong>de</strong> l’ordinaire qui sans le moindre effort<br />

arrivait toujours bon premier dans toutes les<br />

matières. Le plus souvent on le voyait à l’étu<strong>de</strong><br />

avec un livre <strong>de</strong> la bibliothèque et malgré cette<br />

inertie apparente chaque fin d’année lui apportait<br />

les lauriers <strong>de</strong> sa classe : classiques, mathématiques,<br />

apologétique, musique, poésie, rien n’était<br />

trop fort pour lui. De nature un peu sauvage, peu<br />

communicatif mais fier à l’excès <strong>de</strong> sa race et <strong>de</strong> la<br />

part importante qu’elle a jouée dans l’histoire du<br />

pays. Dans les loisirs <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière année il composa<br />

sa complainte du « <strong>de</strong>rnier pied noir », chant<br />

d’une sombre gran<strong>de</strong>ur où l’on croit entendre les<br />

<strong>de</strong>rniers sanglots d’une race altière qui ne veut pas<br />

mourir ! Nous ne pouvons que regretter qu’un<br />

homme si bien doué ait décidé, après une année<br />

dans l’étu<strong>de</strong> du célèbre avocat Hagel, <strong>de</strong> se retirer<br />

sous sa tente à <strong>Saint</strong>-<strong>La</strong>urent où il vit encore.<br />

Mes anciens condisciples se sou<strong>vie</strong>ndront<br />

également du brillant orateur <strong>de</strong> nos séances<br />

académiques, Eugène Gauthier, mort il y a peu<br />

d’années, curé d’une importante paroisse<br />

d’Augusta dans le Maine. Nous l’appelions notre<br />

Mirabeau dont il avait la stature, un peu la même<br />

chevelure et surtout le même feu sacré, la même<br />

conviction.<br />

Et d’autres qui ont brillé par leurs talents :<br />

Roger Goulet, D. Brisebois, Joseph Dubuc, Jos.<br />

Bernier, A. C. <strong>La</strong>Rivière, le bon <strong>vie</strong>ux Samson qui<br />

pleurait sur sa tâche qui lui paraissait insurmontable<br />

mais qu’il sut mener à bonne fin par un<br />

travail opiniâtre, Wilfrid Jubinville, le copain<br />

jovial, le bout-en-train <strong>de</strong> toutes les occasions et<br />

enfin le <strong>de</strong>rnier nommé mais non pas le moindre,<br />

le compagnon fidèle <strong>de</strong> cette époque inoubliable<br />

qui m’a toujours gardé une part <strong>de</strong> sa précieuse<br />

amitié mais qui, chaque année, nous enlevait, sans<br />

aucun scrupule, les prix les plus convoités <strong>de</strong> notre<br />

classe, les prix <strong>de</strong> sagesse et d’instruction<br />

religieuse, Arthur Béliveau, le successeur <strong>de</strong> Mgr<br />

<strong>La</strong>ngevin et que je pourrais appeler le <strong>de</strong>uxième<br />

blessé <strong>de</strong> l’Ouest dans la tranchée manitobaine.<br />

Ah, cher <strong>vie</strong>ux collège, où pendant <strong>de</strong>s années<br />

tu ne représentais à ma jeune âme irréfléchie,<br />

qu’une prison sombre et sans issue, combien je t’ai<br />

regretté <strong>de</strong>puis au milieu <strong>de</strong>s déboires cruels que<br />

me réservait la <strong>vie</strong>, et combien chau<strong>de</strong> s’est<br />

préservée dans mon coeur l’affection que je t’ai<br />

voué pour le calme si vivifiant <strong>de</strong> ta sereine atmosphère<br />

!<br />

<strong>La</strong> fameuse élection <strong>de</strong> jan<strong>vie</strong>r 1888<br />

Un mot <strong>de</strong> la fameuse élection <strong>de</strong> jan<strong>vie</strong>r 1888<br />

qui eut lieu à <strong>Saint</strong>-François-Xa<strong>vie</strong>r entre J. Burke,<br />

le candidat du gouvernement Harrison et Francis,<br />

le candidat <strong>de</strong> Greenway. Il ne faut pas oublier<br />

d’abord qu’à cette époque nombre <strong>de</strong> familles<br />

métisses étaient émigrées en Saskatchewan, dès<br />

avant 85, sollicitées par leurs frères <strong>de</strong> Batoche et<br />

<strong>de</strong> Duck <strong>La</strong>ke. Il faut se rappeler également que<br />

<strong>de</strong>puis le fameux malheureux « boom » <strong>de</strong> 82, la<br />

population anglo-protestante jusque là en minorité<br />

était <strong>de</strong>venue la majorité et <strong>de</strong> ce moment prit<br />

naissance graduellement, la campagne insidieuse<br />

contre le français et l’école séparée.<br />

Au temps <strong>de</strong> cette élection, il n’était rumeur<br />

partout dans les campagnes, que le gouvernement<br />

pour se sauver du naufrage, allait passer une loi<br />

abolissant les écoles confessionnelles et le français<br />

comme langue officielle. Il n’en fallait pas plus<br />

pour que <strong>de</strong>s démagogues comme Jos McCarthy et<br />

Jos Martin prissent la campagne contre le gouvernement<br />

en se servant, parmi les catholiques, <strong>de</strong><br />

cet épouvantail et en y ajoutant les promesses les<br />

plus formelles. On sait le résultat. L’Honorable J.<br />

Burke, ministre d’un jour, fut battu et Greenway<br />

qui prit le pouvoir n’hésita pas, malgré les<br />

promesses solennelles faites à Mgr Taché à passer<br />

la loi néfaste à la session <strong>de</strong> 90. Nos catholiques,<br />

trop confiants, encore une fois, s’étaient laissés<br />

tromper et l’Honorable M. Pren<strong>de</strong>rgast, en protes-<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 13


tation, sortit du cabinet. Et nous avons là, une fois<br />

<strong>de</strong> plus, la mesure <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> bonne foi que<br />

nous <strong>de</strong>vons attendre d’une majorité hostile.<br />

Les fils <strong>de</strong> famille riche <strong>de</strong> France<br />

Après ma sortie du collège je suivis, pendant<br />

<strong>de</strong>ux saisons, les cours du collège médical que je<br />

dus abandonner pour raisons <strong>de</strong> finances et <strong>de</strong><br />

santé, et au printemps <strong>de</strong> 91, je faisais le recensement<br />

comme énumérateur dans la partie qui comprenait<br />

alors <strong>Saint</strong>-François-Xa<strong>vie</strong>r et se prolongeait<br />

jusqu’à Carman, 15 jours à cheval, par<br />

terre et par eau dans les chemins impassables. Je<br />

dus passer par Fannystelle alors colonie naissante<br />

où je fis la connaissance d’Allard, jeune Français<br />

excentrique, fils <strong>de</strong> famille riche qui faisait partie<br />

<strong>de</strong>s premiers colons venus <strong>de</strong> fils <strong>de</strong> famille riche<br />

qui faisait partie <strong>de</strong>s premiers colons venus <strong>de</strong><br />

France vers ce temps : les frères Rosenberg, Duflot,<br />

le vicomte <strong>de</strong> la Forêt d’Yvonne.<br />

Sportsman passionné, Allard possédait une<br />

écurie <strong>de</strong> bons chevaux, pur sang pour la plupart,<br />

et une meute <strong>de</strong> chiens, lévriers et grands danois<br />

qui le suivaient partout dans ses courses. On pouvait<br />

le voir dans les beaux jours d’automne partir à<br />

cheval ou dans sa barouche, accompagné <strong>de</strong> ses<br />

chasseurs, à la poursuite <strong>de</strong>s loups <strong>de</strong> prairie, (coyote)<br />

dont il faisait le massacre. Il montrait avec<br />

orgueil un jeune ourson qu’il avait lui-même<br />

apprivoisé. On dit qu’un jour il partit en voiture<br />

attelée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses meilleurs chevaux, en même<br />

temps que le train et qu’il atteignit Winnipeg avant<br />

ce <strong>de</strong>rnier ; il faut dire cependant que le train n’était<br />

pas <strong>de</strong>s plus rapi<strong>de</strong>s. Une <strong>de</strong> ses bêtes en mourut<br />

mais il avait gagné son pari.<br />

Ce premier essai en colonisation enfanté par la<br />

touchante amitié <strong>de</strong> la noble comtesse d’Albuféra<br />

en souvenir <strong>de</strong> sa chère amie Fanny River, eut <strong>de</strong>s<br />

débuts difficiles et <strong>de</strong>vait languir un certain temps.<br />

Il fallut que d’autres colons français, plus initiés<br />

aux choses <strong>de</strong> la terre et plus tard <strong>de</strong>s Canadiens<br />

venus <strong>de</strong>s Trois-Rivières et <strong>de</strong> Nicolet, vinssent y<br />

tenter fortune. Dès lors, Fannystelle ne <strong>de</strong>vait pas<br />

tar<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>venir la florissante paroisse qu’elle est<br />

aujourd’hui.<br />

Vers 1891, <strong>Saint</strong>-Boniface eut la visite du<br />

fameux Louis Cyr, l’homme fort dont les tours <strong>de</strong><br />

force ont fait l’admiration <strong>de</strong> tous. Pendant son<br />

séjour ici on put voir exposé au coin <strong>de</strong>s rues Main<br />

et Portage une haltère <strong>de</strong> 250 livres sur laquelle<br />

chaque passant, se croyant plus fort que l’autre,<br />

essayait ses forces, mais il n’allait pas loin. J’ai<br />

essayé moi-même et je puis vous assurer que c’était<br />

lourd en diable. Louis Cyr logeait à l’hôtel<br />

Beauregard, le Tourist <strong>de</strong> nos jours et vous me<br />

croirez facilement quand je dis que l’endroit était<br />

le ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> toute la population masculine.<br />

Les hôtels du temps avaient l’oeil à la clientèle<br />

comme vous voyez.<br />

Un jour Cyr en train <strong>de</strong> causer gaiement dans<br />

la roton<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’hôtel avec ses sympathiques compatriotes,<br />

enleva sur sa main droite un <strong>de</strong> ses auditeurs<br />

présents et le déposa sans effort sur le comptoir.<br />

Si j’ai bonne mémoire ce monsieur n’était<br />

autre que l’honorable Pren<strong>de</strong>rgast. Un beau soir,<br />

sous les grands ormes séculaires <strong>de</strong> Elm Park, il<br />

régala la foule par <strong>de</strong>ux tours <strong>de</strong> force incroyables.<br />

Il fit monter sur une forte table <strong>de</strong> chêne quatorze<br />

<strong>de</strong>s gros hommes qui se trouvaient là. Le tout<br />

<strong>de</strong>vait peser au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> 3,000 livres, qu’il souleva<br />

<strong>de</strong> terre sur son dos puissant. En second lieu, il se<br />

planta <strong>de</strong>bout, les bras croisés, entre <strong>de</strong>ux paires<br />

<strong>de</strong> chevaux <strong>de</strong> traits, les plus forts <strong>de</strong> Winnipeg,<br />

appartenant à la Baie d’Hudson et la brasserie<br />

Drewry. Les bras liés aux baccus <strong>de</strong> chaque côté,<br />

on fit partir les chevaux qui malgré tous leurs<br />

efforts ne purent lui ouvrir les bras. Si les chevaux<br />

d’un côté paraissaient avoir l’avantage sur les<br />

autres, d’un vigoureux coup d’épaules il les ramenait<br />

à leur place. Et la fameuse haltère qu’il soulevait<br />

d’un bras au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête pour la laisser<br />

<strong>de</strong>scendre ensuite lentement à ses pieds. Ce <strong>de</strong>uxième<br />

mouvement exigeait un plus grand effort<br />

d’énergie que le premier, contrairement à ce que<br />

nous serions portés à le croire.<br />

À <strong>Saint</strong>-Félix <strong>de</strong> Dunrea<br />

Je me vois plus tard à Deloraine tenant une<br />

épicerie et où je fis la rencontre <strong>de</strong> l’abbé Turcotte,<br />

le curé, que j’avais connu surveillant au collège et<br />

qui me décida à partir pour <strong>La</strong>ngsvale, une <strong>de</strong> ses<br />

missions où résidait un bon noyau <strong>de</strong> familles<br />

venues <strong>de</strong> la Patrie, dans les cantons <strong>de</strong> l’Est et du<br />

<strong>La</strong>c Mégantic. <strong>La</strong>ngsvale <strong>de</strong>vait bientôt prendre le<br />

nom <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Félix dont je fus le premier maître <strong>de</strong><br />

poste et plus tard Dunrea.<br />

14 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


Pendant trois ans je tins magasin général à St-<br />

Félix, nommé d’après le curé Turcotte et ensuite<br />

j’enseignai la classe quatre ans dans la première<br />

école <strong>de</strong> la paroisse. Je dois dire que pendant ce<br />

temps, M. Turcotte avait été remplacé par le curé<br />

par excellence, l’apôtre charitable et affable qui<br />

<strong>de</strong>vait plus tard, durant un quart <strong>de</strong> siècle, se<br />

dévouer si intensément à <strong>Saint</strong>-Boniface, dont la<br />

population lui en <strong>de</strong>vra une reconnaissance éternelle.<br />

J’ai nommé Mgr Jubinville.<br />

Disons un mot <strong>de</strong> l’abbé Turcotte, homme <strong>de</strong><br />

Dieu, et qui possédait un coeur d’or, connu <strong>de</strong><br />

tous, quêteur émérite qui donnait d’une main ce<br />

qu’il recevait <strong>de</strong> l’autre. Apôtre infatigable dont le<br />

coeur débordait d’amour pour les pauvres. Il avait<br />

cependant un petit travers, qui n’en a pas ?... Il<br />

aimait à parler ce qu’il croyait être <strong>de</strong> l’anglais<br />

mais qui n’était en réalité qu’un jargon, mélangé<br />

<strong>de</strong> français et d’anglais qui faisait l’amusement <strong>de</strong><br />

ses auditeurs. Exemple typique : c’était en 97;<br />

voulant dire dans son prône qu’il faisait dans les<br />

<strong>de</strong>ux langues, que la reine allait forcer la main <strong>de</strong><br />

Greenway à restaurer les écoles séparées il s’exprima<br />

en ces termes : « The queen is gone to send soldiers<br />

to make him give our schools, Victoria, she is<br />

a good mare ». Imaginez ce qui s’en suivit. Du haut<br />

du ciel, où il est sans doute, comme il doit sourire<br />

<strong>de</strong> pitié <strong>de</strong> nos prétentions linguistiques !<br />

Quand j’étais à Deloraine, je fis la rencontre du<br />

<strong>vie</strong>ux Costin, un ancien prospecteur qui après<br />

avoir parcouru l’Ouest et les Rocheuses, à la<br />

recherche <strong>de</strong> l’or sans amasser fortune, était venu<br />

s’échouer, épave humaine sur les bords du lac<br />

Blanc, d’où il tirait sa subsistance. À l’âge où tout<br />

jeune homme est friand d’aventures, j’aimais à l’écouter<br />

raconter ses voyages. Il se trouvait à<br />

Willow-Bunch, chez Jean L. Légaré dont il était<br />

l’ami, lorsque le chef <strong>de</strong>s Sioux Américains,<br />

Sitting-Bull, arriva avec sa ban<strong>de</strong> encore remplie<br />

<strong>de</strong> fureur guerrière, après le récent massacre <strong>de</strong><br />

Custer, dans l’embusca<strong>de</strong> <strong>de</strong> Big-Horn, au<br />

Montana. Poursuivi par les troupes américaines il<br />

s’était réfugié en territoire canadien. Légaré, avec<br />

un tact admirable sut se rendre sympathique ce<br />

chef <strong>de</strong>venu légendaire et il fut l’instrument dont<br />

se servirent les <strong>de</strong>ux gouvernements pour amener<br />

la reddition <strong>de</strong> Sitting-Bull qui fut ramené aux<br />

États-Unis. L’histoire ne donna pas à Légaré tout le<br />

crédit qui lui est dû à cette occasion, lui qui amena<br />

l’accord entre les partis intéressés lorsque, <strong>de</strong> part<br />

et d’autre, on commençait à s’inquiéter d’une situation<br />

périlleuse. Pour ce service signalé, Légaré fut<br />

payé d’ingratitu<strong>de</strong>, malgré les promesses qu’il<br />

avait reçues.<br />

Revenons à Dunrea dont le nom est tiré <strong>de</strong>s<br />

premières syllabes <strong>de</strong> noms <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux fermiers d’alentour<br />

: Dunlop et Rae. Voyez l’esprit toujours<br />

mesquin dont nous sommes les victimes ; les<br />

autorités n’auraient jamais consenti à donner un<br />

nom français à ce village qui allait surgir autour <strong>de</strong><br />

la gare mais comme il arrive souvent les berceaux<br />

canadiens ont pris leur revanche pacifique, et<br />

aujourd’hui Dunrea est un gros village entièrement<br />

canadien-français.<br />

<strong>La</strong> plaine <strong>de</strong> Dunrea qui s’étend vers l’ouest,<br />

<strong>de</strong>s bords du lac Pélican, est <strong>de</strong>s plus fertile et en<br />

quelques années, les familles canadiennes venues<br />

pauvres <strong>de</strong> l’Est <strong>de</strong>vinrent bientôt à l’aise et forment<br />

aujourd’hui une <strong>de</strong> nos belles paroisses qui<br />

donne à l’Église, disons-le en passant, trois prêtres<br />

et nombre <strong>de</strong> religieuses. L’abbé Sabourin me<br />

<strong>de</strong>mandait un jour, avec un sourire ironique sur les<br />

lèvres, si c’était le résultat <strong>de</strong> mon enseignement à<br />

St-Félix. Ma foi ! Ne faut-il pas s’attendre à la critique,<br />

même lorsqu’on fait <strong>de</strong> son mieux.<br />

J’étais juge <strong>de</strong> paix du canton mais cela ne pouvait<br />

faire vivre une famille car il faut vous dire que,<br />

si je laissais Dunrea après sept ans <strong>de</strong> séjour, sans<br />

avoir amassé une fortune, j’y avais trouvé en<br />

retour un trésor infiniment plus précieux dans la<br />

compagne <strong>de</strong> toute ma <strong>vie</strong>, et lorsque l’église<br />

changea <strong>de</strong> site et fut transportée à Dunrea même,<br />

à quatre milles, par une décision pleine <strong>de</strong> sagesse<br />

<strong>de</strong> Mgr <strong>La</strong>ngevin, je dus vendre et revenir à <strong>Saint</strong>-<br />

François-Xa<strong>vie</strong>r où je passai l’hiver et au printemps<br />

<strong>de</strong> 1901 je fus nommé commissaire conjoint<br />

pour faire le recensement dans le comté <strong>de</strong> Selkirk,<br />

avec A. R. Léonard, <strong>de</strong>venu plus tard Mc<strong>La</strong>ughlin-<br />

Léonard, agents d’automobiles.<br />

Le nouveau Winnipeg<br />

Pendant ce travail je me suis convaincu que<br />

d’autres que les Canadiens-français aiment la<br />

soupe aux pois. Les agents que j’avais sous moi, la<br />

plupart anglo-saxons, se faisaient un réel plaisir <strong>de</strong><br />

venir chez moi, sous prétexte <strong>de</strong> faire rapport,<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 15


mais uniquement dans le but <strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la<br />

soupe aux pois dont ils raffolaient. Elle était si<br />

bonne.<br />

Après cela je vins <strong>de</strong>meurer à Winnipeg qui<br />

avait bien changé ces <strong>de</strong>rnières années. Ce n’était<br />

plus la ville aux trottoirs en bois, et aux tramways<br />

conduits par <strong>de</strong>s chevaux. <strong>La</strong> rue commerciale<br />

tendait à changer <strong>de</strong> place et à prendre le nom<br />

d’avenue du Portage. <strong>La</strong> rue Main était laissée aux<br />

banques et aux professionnels. <strong>La</strong> rue Main du<br />

passé, le boulevard <strong>de</strong>s beaux défilés <strong>de</strong> jadis, [...],<br />

n’était plus la même. Les anciens se rappellent le<br />

brillant spectacle qu’offrait à la fin du siècle<br />

<strong>de</strong>rnier l’artère principale <strong>de</strong> la capitale.<br />

Par un beau samedi après-midi, on pouvait<br />

voir la belle société en voitures <strong>de</strong> gala, attelées <strong>de</strong><br />

bêtes superbes, fières et élégantes semblant rivaliser<br />

entre elles en vitesse et en beauté, sous l’ar<strong>de</strong>ur<br />

du soleil qui faisait étinceler l’argenterie <strong>de</strong>s attelages<br />

et nous offrant le tableau le plus admirable<br />

qui soit. Et tout cela est maintenant disparu pour<br />

ne plus revenir et pour faire place à l’invention<br />

meurtrière qu’est <strong>de</strong>venue l’automobile <strong>de</strong> nos<br />

jours. Le progrès peut avoir du bon, mais dans sa<br />

marche souvent aveugle il fait parfois, vous en<br />

con<strong>vie</strong>ndrez, oeuvre entachée <strong>de</strong> vandalisme.<br />

N’oublions pas non plus un autre spectacle<br />

non moins attrayant, les courses d’hiver en<br />

voitures sur la glace, entre le pont Provencher et le<br />

site actuel du pont du Norwood. Les courses commercialisées<br />

<strong>de</strong>s parcs Polo et Whittier font, à mon<br />

avis, bien piteuse mine à côté <strong>de</strong> ces courses<br />

d’autrefois, inspirées par le seul amour <strong>de</strong> sport et<br />

le simple délassement d’une foule en liesse...<br />

Au Pénitencier <strong>de</strong> Stony Mountain<br />

Donc revenu à Winnipeg, j’entre en société<br />

avec <strong>La</strong>ne, An<strong>de</strong>rson & Cie, épiciers coin Main et<br />

Ste-Marie où je reste jusqu’à l’automne <strong>de</strong> 1902<br />

alors que j’accepte un poste au pénitencier <strong>de</strong><br />

Stony Mountain. Comme il fallait commencer au<br />

bas <strong>de</strong> l’échelle, je fus d’abord gar<strong>de</strong> mais pour un<br />

mois seulement alors que par l’entremise du souspréfet<br />

Manseau et sans doute à cause <strong>de</strong> ma connaissance<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux langues je fus nommé secrétaire<br />

du préfet et en charge du magasin. Le préfet,<br />

le Lieutenant Colonel Irvine était né à Québec et<br />

était venu au Manitoba en 70 avec les troupes <strong>de</strong><br />

Wolseley, le défonceur <strong>de</strong> portes ouvertes, puis fit<br />

partie <strong>de</strong> la Police Montée dès sa formation où il<br />

atteignit le plus haut poste, celui <strong>de</strong> commissaire,<br />

lorsqu’il fut nommé préfet en 91 pour remplacer le<br />

colonel Bedson. Homme distingué, d’attitu<strong>de</strong> militaire,<br />

le préfet Irvine était le vrai type du gentleman<br />

anglais dont il avait conservé les manières. <strong>La</strong><br />

<strong>vie</strong> sociale parmi les officiers est loin d’être gaie,<br />

soumis qu’ils sont à une règle quasi militaire,<br />

surtout pour les Canadiens-français qui se tiennent<br />

naturellement quelque peu isolés. On a bien<br />

décrié l’ancien patronage politique, mais ce système<br />

malgré ses défauts donnait au moins aux<br />

nôtres une chance égale dans le partage <strong>de</strong>s positions.<br />

Il y eut dans mon temps jusqu’à dix officiers<br />

<strong>de</strong> langue française sur une quarantaine. Combien<br />

pouvons-nous en compter aujourd’hui ?... <strong>La</strong> trop<br />

fameuse commission du service civil a mis fin à<br />

cela, à notre détriment, naturellement, paie<br />

Baptiste !... En 1908, M. Beaupré dut prendre sa<br />

retraite <strong>de</strong> l’hôpital tout en <strong>de</strong>meurant secrétaire.<br />

Disons un mot <strong>de</strong> Manseau, le sous-préfet, que<br />

certains d’entre vous, ont connu. Lui aussi avait<br />

passé quelques années dans la Police Montée, sous<br />

le Major McLeod et durant les termes d’office du<br />

Colonel Steele et du Lieutenant Colonel Irvine. Il<br />

avait servi au Fort McLeod en même temps que le<br />

fils du célèbre romancier anglais Charles Dickens,<br />

Manseau aimait l’apparat, le côté brillant <strong>de</strong> l’uniforme<br />

et <strong>de</strong> la <strong>vie</strong> quasi militaire <strong>de</strong> la Police<br />

Montée. Arrivé à Stony Mountain, où la discipline<br />

était un peu la même, il se retrouva dans son élément.<br />

Nommé sous-préfet peu <strong>de</strong> temps après son<br />

arrivée, au grand déplaisir <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s anglo-saxons,<br />

il semblait prendre à plaisir <strong>de</strong> leur faire sentir<br />

son autorité, cela en toute justesse, il faut le dire,<br />

car il était franc et honnête comme l’épée du Roi.<br />

Les Canadiens-français du pénitencier, tant<br />

officiers que détenus, perdirent leur meilleur soutien<br />

lorsqu’il dut résigner en 1912 pour cause <strong>de</strong><br />

santé.<br />

Il y a peu <strong>de</strong> chose à dire <strong>de</strong> mon prédécesseur<br />

à la pharmacie, J. O. Beaupré, décédé <strong>de</strong>puis peu à<br />

South Junction. Homme d’une certaine culture, au<br />

caractère paisible et d’un sang-froid tout britannique,<br />

honnête et loyal il était <strong>de</strong> ceux qui passent<br />

dans la <strong>vie</strong> en faisant le bien et peu <strong>de</strong> bruit et sur<br />

lesquels la critique reste à court d’aliments.<br />

16 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


Et les prisonniers, il ne faut pas trop s’apitoyer<br />

sur leur sort, ils sont bien nourris, bien logés et<br />

tenus proprement, enfin ils sont bien traités. Le travail<br />

qui leur est imposé est plutôt un bienfait<br />

qu’une corvée. Il est connu qu’il faut cinq jours <strong>de</strong><br />

prisonniers pour faire une journée d’homme. <strong>La</strong><br />

privation <strong>de</strong> leur liberté <strong>de</strong>meure pour eux le<br />

grand châtiment, et chose incompréhensible, la<br />

plupart d’entre eux sont <strong>de</strong>s récidivistes.<br />

Quelques détenus <strong>de</strong> marque<br />

Vous parlerai-je <strong>de</strong>s quelques détenus <strong>de</strong> marque<br />

que j’ai connus là-bas ? D’abord l’unique<br />

Kraftchenko, intelligent comme un singe et vicieux<br />

comme Satan. Il faisait un terme pour faux à Prince<br />

Albert lorsqu’il s’évada après avoir assommé un<br />

gar<strong>de</strong> en lui lançant un sceau <strong>de</strong> peinture au visage.<br />

Trois mois après, un vol avec effraction à<br />

Brandon l’envoyait à Stony Mountain pour trois<br />

ans. Son terme fini, la police le ramena à Prince<br />

Albert pour finir son temps avec six mois en plus<br />

pour évasion. Sorti <strong>de</strong> Prince Albert, il vint rô<strong>de</strong>r à<br />

Plum Coulee où il tua le gérant Arnold dans un<br />

raid sur la banque. Arrêté peu après, il s’évada <strong>de</strong><br />

nouveau avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son avocat Hagel et du<br />

constable Reid. Arrêté chez son complice Westlake<br />

sur la rue Ellice il fut condamné à mourir sur<br />

l’échafaud. Reid et Westlake eurent <strong>de</strong>ux ans et<br />

Hagel trois ans. Peu <strong>de</strong> temps après, Reid qui travaillait<br />

sur le mur d’enceinte se tua en tombant<br />

d’un échafaudage mal bâti.<br />

Percy Hagel était le fils du célèbre avocat criminaliste<br />

que nous avons connu à Winnipeg au<br />

temps <strong>de</strong> sa belle renommée. Percy était l’enfant<br />

gâté, le mouton noir <strong>de</strong> la famille qui représentait<br />

<strong>de</strong> préférence les bas-fonds <strong>de</strong> la société. On disait<br />

couramment dans le temps qu’il avait décidé l’évasion<br />

<strong>de</strong> Krafchenko, mais qu’il avait eu soin <strong>de</strong><br />

couper <strong>de</strong>ux brins <strong>de</strong> la cor<strong>de</strong> au moyen <strong>de</strong> laquelle<br />

ce <strong>de</strong>rnier se laissa glisser <strong>de</strong> sa cellule du<br />

troisième étage <strong>de</strong> la rue Rupert mais Krafchenko<br />

lui joua un bon tour en ne se fracturant qu’une<br />

jambe au lieu <strong>de</strong> se rompre le cou comme le voulait<br />

Hagel.<br />

Au pénitencier, il eut une conduite modèle. Il<br />

avait choisi <strong>de</strong> fendre le bois pour les poêles à cuisine.<br />

On pouvait le voir, au grand soleil, le corps<br />

nu jusqu’à la ceinture, tout ruisselant <strong>de</strong> sueurs et<br />

frappant à la tâche comme un homme <strong>de</strong> métier. Il<br />

voulait se tenir en forme, disait-il.<br />

Un autre type qui mérite une mention spéciale<br />

c’est le célèbre Tom Kelly qui fut le bouc émissaire<br />

dans le scandale du collège d’Agriculture. Kelly<br />

eut tous les privilèges. Jamais il ne fut mêlé aux<br />

autres détenus, n’endossa jamais le costume réglementaire<br />

<strong>de</strong> la prison et n’eut pas à travailler. Il<br />

habitait la chambre presque somptueuse réservée<br />

pour l’inspecteur. Sa famille le visitait à volonté et<br />

ne lui ménageait pas la nourriture la plus<br />

alléchante où se mêlait les gâteries et les friandises<br />

les plus coûteuses, accompagnées <strong>de</strong>s cigares les<br />

plus recherchés.<br />

J’en sais quelque chose car <strong>de</strong> temps à autre, le<br />

préfet <strong>de</strong>mandait à trois ou quatre officiers<br />

catholiques, toujours les mêmes, pour aller passer<br />

la veillée avec Kelly et le distraire. Homme d’une<br />

intelligence supérieure et fin causeur il nous tenait<br />

sous le charme <strong>de</strong> sa conversation, dans l’appréciation<br />

toujours sensée et pleine <strong>de</strong> sages commentaires<br />

qu’il nous donnait dans l’intimité <strong>de</strong>s événements<br />

remarquables dont il avait été le témoin et<br />

sur la politique internationale. Il était né en<br />

Irlan<strong>de</strong>, qu’il aimait avec passion. Il revenait souvent<br />

sur cette douloureuse étape du long martyre<br />

<strong>de</strong> sa malheureuse patrie. Puis venait le jeu <strong>de</strong><br />

cartes, le «500» qu’il jouait en expert, et ses<br />

savoureux « perfectos » dont il n’était pas avare.<br />

Kelly ne fit qu’un tiers <strong>de</strong> son terme. Selon le<br />

mé<strong>de</strong>cin officiel, il était en parfaite santé, mais il se<br />

dit très mala<strong>de</strong> et, l’influence aidant, le département<br />

lui envoya <strong>de</strong>ux spécialistes <strong>de</strong> Winnipeg, les<br />

docteurs Popham et Meindle qui firent le rapport<br />

qu’il désirait et il fut libéré.<br />

Les grévistes <strong>de</strong> 1919<br />

J’allais oublier <strong>de</strong> mentionner l’arrivée <strong>de</strong>s<br />

principaux chefs <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> grève <strong>de</strong> 1919. Ceuxci<br />

n’étaient pas <strong>de</strong>s détenus proprement dits<br />

puisqu’ils n’avaient pas subi aucun procès, mais le<br />

département <strong>de</strong> justice, craignant les effets pernicieux<br />

d’une agitation qui menaçait le bon ordre les<br />

fit arrêter à domicile pendant la nuit et les fit enfermer<br />

à Stony Mountain où ils restèrent trois<br />

semaines que dura l’enquête menée par une commission<br />

spéciale. À remarquer que ces chefs<br />

étaient tous <strong>de</strong>s britanniques et <strong>de</strong>s Juifs venus<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 17


d’Angleterre, <strong>de</strong>s étrangers enfin, parmi lesquels<br />

le Révérend Ivans, Queen qui fut maire <strong>de</strong><br />

Winnipeg, An<strong>de</strong>rson, Russell, et Bloomberg, une<br />

douzaine en tout. Woodsworth, plus tard chef du<br />

parti politique C.C.F., qui se trouvait en tournée à<br />

Vancouver fut épargné.<br />

Tous les officiers <strong>de</strong> langue anglaise étaient<br />

Francs-maçons. Or un soir <strong>de</strong> février 1916, tous<br />

partirent pour la ville, laissant le pénitencier en<br />

charge <strong>de</strong> trois gar<strong>de</strong>s Canadiens-français, et trois<br />

jours plus tard les journaux nous apprenaient que,<br />

le bill Thornton, rayant <strong>de</strong>s statuts le système<br />

bilingue, avait été adopté en chambre. Ceci ne<br />

prouve rien, direz-vous. Oui, si j’ajoute que l’un<br />

<strong>de</strong>s officiers, un ami intime et qui comptait bien<br />

me faire entrer dans sa loge, me confia dans un<br />

moment d’épanchement, que pour le bien général<br />

et celui <strong>de</strong>s Canadiens-français en particulier, ces<br />

bons maçons avaient appuyé le projet Thornton.<br />

Ceci prouve autre chose, c’est que seul le secret <strong>de</strong><br />

la confession est bien gardé.<br />

<strong>La</strong> Provi<strong>de</strong>nce nous a favorisés dans nos<br />

chapelains. Ce fut d’abord Mgr Cloutier, ce dignitaire<br />

au visage austère qui me rappelait le grand<br />

Cardinal, ministre <strong>de</strong> Louis XIII, puis notre futur<br />

Archevêque et ensuite l’abbé Joubert <strong>de</strong> sainte<br />

mémoire, l’ami <strong>de</strong>s malheureux. Après la division<br />

du diocèse nous eûmes le Vicaire Général <strong>de</strong> Mgr<br />

Sinnott, Mgr Blair, un bon catholique, quoiqu’un<br />

peu fantasque, mais ennemi implacable <strong>de</strong> tout ce<br />

qui est français, <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Mgr Fallon. Tous les<br />

<strong>de</strong>ux sont maintenant dans l’Éternité. Que Dieu<br />

leur pardonne !<br />

Le renvoi <strong>de</strong> Stony Mountain<br />

Pourquoi ai-je laissé Stony Mountain après un<br />

séjour <strong>de</strong> 17 ans ?... Toute médaille a <strong>de</strong>ux côtés et<br />

tout événement, en passant d’une bouche à l’autre<br />

peut se présenter sous divers aspects. Je n’ai jamais<br />

raconté ma version ; je le fais maintenant en toute<br />

sincérité, n’ayant que la vérité pour gui<strong>de</strong>, telle<br />

que je la conçois. Tous les prisonniers, chaque<br />

semaine, venaient par escoua<strong>de</strong> d’une dizaine, se<br />

faire raser chez le barbier qui se tenait en face <strong>de</strong> la<br />

pharmacie où je travaillais d’habitu<strong>de</strong>. À la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’un prisonnier, je lui passai un <strong>vie</strong>ux<br />

scalpel pour se couper les ongles, disait-il. C’était<br />

la coutume, avec la permission du préfet et du<br />

docteur, qui d’ailleurs faisaient <strong>de</strong> même en mon<br />

absence. Ce prisonnier qui sans doute avait un<br />

compte à régler avec le gar<strong>de</strong> en charge <strong>de</strong><br />

l’escoua<strong>de</strong> s’approcha <strong>de</strong> lui et traîtreusement le<br />

frappa à la gorge, atteignant la caroti<strong>de</strong>. Après huit<br />

jours d’hôpital, le gar<strong>de</strong> mourut. Il fallait un<br />

coupable et selon la loi naturelle qui veut que les<br />

gros mangent les petits, je fus choisi comme le<br />

bouc émissaire.<br />

C’était cinq mois après la guerre et le<br />

fanatisme qui avait sévi dans le Québec trouvait<br />

une victime au Manitoba, c’était là une aubaine<br />

inespérée. Notre inspecteur était alors W. St Pierre<br />

Hughes—comment pouvait-il s’appeler St<br />

Pierre ?... Il était le frère <strong>de</strong> Sir Sam, <strong>de</strong> triste<br />

mémoire, famille <strong>de</strong> jaunes fanatiques <strong>de</strong><br />

l’Ontario. L’inspecteur ne pouvait laisser passer<br />

une chance pareille, faisant ainsi d’une pierre trois<br />

coups : tout en faisant apparemment son <strong>de</strong>voir, il<br />

satisfaisait sa haine héréditaire du « French-<br />

Catholic » et il me faisait perdre également le droit<br />

à ma pension, quelques centaines <strong>de</strong> piastres. Les<br />

gouvernements sont tellement économes.<br />

Aujourd’hui on fait danser les milliards dans un<br />

gaspillage effréné. Que Dieu nous gar<strong>de</strong> après le<br />

conflit actuel d’une pareille vague <strong>de</strong> haine !...<br />

Je dus partir et j’achetai un magasin à<br />

Fannystelle où je <strong>de</strong>meurai trois ans, content malgré<br />

tout <strong>de</strong> me retrouver dans un centre canadienfrançais.<br />

Ici un fait typique qui peint bien la mentalité<br />

maladive que je pourrais appeler notre grand<br />

défaut national dans l’attrait qu’a pour nous une<br />

élection. C’était pendant l’élection générale <strong>de</strong><br />

1921.<br />

Je ne me suis jamais inféodé à aucun parti politique<br />

; selon moi, l’un ne vaut guère mieux que<br />

l’autre et les fameux principes énoncés en temps<br />

d’élection ne sont que <strong>de</strong>s paravents. Mais en 1921,<br />

j’avais un compte à régler avec Arthur Meighen<br />

qui en définitive avait signé mon renvoi <strong>de</strong> Stony<br />

Mountain. Il agissait alors comme ministre <strong>de</strong> la<br />

justice—quelle ironie—en l’absence <strong>de</strong> Doherty<br />

qui se trouvait à la conférence <strong>de</strong> la paix, à<br />

Versailles, cette paix boiteuse et mal faite qui a été<br />

la cause première, à n’en pas douter, du cataclysme<br />

qui fait trembler l’univers aujourd’hui. Mes sympathies<br />

étaient donc acquises au parti <strong>de</strong> l’opposition.<br />

Dans la chaleur <strong>de</strong> la discussion je fis une<br />

18 Hiver 1998-1999/BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface


gageure avec Alfred Hamel qui la perdit, comme<br />

on sait, et alors on vit le perdant pousser <strong>de</strong>vant lui<br />

par les rues du village une brouette toute enguirlandée<br />

où j’étais confortablement installé, ayant à<br />

notre suite une foule en fête portant <strong>de</strong>s mouchoirs<br />

au bout <strong>de</strong> bâtons en guise <strong>de</strong> bannières, et en tête<br />

<strong>de</strong> la para<strong>de</strong> le <strong>vie</strong>ux cheval gris du père Black que<br />

les gamins avaient couvert <strong>de</strong> peinture rouge.<br />

Secrétaire <strong>de</strong> l’AECFM<br />

L’hiver suivant, l’incendie détruisit complètement<br />

mon magasin m’infligeant une perte presque<br />

totale et c’est alors que j’arrivai à <strong>Saint</strong>-Boniface où<br />

je travaillai quelque temps pendant le stage <strong>de</strong><br />

Hector Héroux à la direction <strong>de</strong> <strong>La</strong> Liberté. Je connus<br />

le bouillant N. Jutras dont les colères foudroyantes<br />

ne duraient guère. Au fond, un vrai bon<br />

garçon.<br />

Puis par un beau soir <strong>de</strong> mars 1923, Mgr<br />

Jubinville vint m’offrir <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’Exécutif, le<br />

poste <strong>de</strong> secrétaire <strong>de</strong> l’Association d’Éducation<br />

<strong>de</strong>s Canadiens-Français du Manitoba. Le salaire<br />

n’était pas gros mais c’était du pain pour ma<br />

famille et ce qui me parut alors comme un phare<br />

lumineux sur la mer orageuse dont j’avais été si<br />

longtemps le jouet. J’en remercie encore ce porteur<br />

<strong>de</strong> la bonne nouvelle. Ce sera là mon <strong>de</strong>rnier souvenir.<br />

Je l’ajoute aux autres en vous assurant qu’il<br />

n’en est pas le moins consolant !<br />

Vous voyez que j’ai essayé un peu <strong>de</strong> tout dans<br />

ma <strong>vie</strong>, mais si vous me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z quel est le<br />

poste que j’ai le mieux aimé je vous répondrai : Si<br />

on en juge par le temps que j’y ai consacré, celui <strong>de</strong><br />

secrétaire est sans contredit le poste qui a eu mes<br />

préférences. Depuis mon temps <strong>de</strong> collège où j’étais<br />

secrétaire <strong>de</strong> l’Académie et secrétaire général<br />

<strong>de</strong>s jeux, ensuite à <strong>Saint</strong>-François-Xa<strong>vie</strong>r, à St-Félix<br />

et à Fannystelle où j’ai agi comme secrétaire <strong>de</strong> la<br />

commission scolaire, puis à Stony Mountain secrétaire<br />

du préfet, pendant 17 ans et enfin à <strong>Saint</strong>-<br />

Boniface où je fus pendant 20 ans secrétaire <strong>de</strong><br />

l’Association tout en étant secrétaire <strong>de</strong> la chorale,<br />

<strong>de</strong> la société <strong>Saint</strong>-Jean-Baptiste et <strong>de</strong>s Artisans<br />

Canadiens-français. En tout près <strong>de</strong> soixante ans.<br />

Ces <strong>de</strong>rnières vingt années que j’ai passées au<br />

milieu <strong>de</strong> vous resteront certainement les plus<br />

belles d’une <strong>vie</strong> passablement agitée. J’ai maintenant<br />

terminé ma carrière mais avant <strong>de</strong> clore ce<br />

récit déjà long laissez-moi vous dire combien j’ai<br />

aimé la tâche qui m’était assignée. Je l’ai aimée<br />

avec passion dans ses efforts constants et plein <strong>de</strong><br />

sollicitu<strong>de</strong> dans le redressement <strong>de</strong> griefs souvent<br />

dus à la gaucherie maladroite <strong>de</strong> patriotes mal<br />

éclairés, dans ses directives toujours marquées au<br />

coin <strong>de</strong> la plus sage clairvoyance, et dans sa lutte<br />

pacifique, silencieuse et sans trêve pour le droit<br />

outrage. L’Association a eu constamment la main<br />

heureuse dans le choix judicieux <strong>de</strong> ses prési<strong>de</strong>nts,<br />

tous hommes <strong>de</strong> valeur intellectuelle et morale qui<br />

ont fait la force <strong>de</strong> l’oeuvre. J’en puis dire autant<br />

<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s exécutifs anciens et actuels qui,<br />

tous ont été, sans marchan<strong>de</strong>r et sans rémunération<br />

aucune, sublimes <strong>de</strong> dévouement dans l’accomplissement<br />

d’une tâche parfois bien ardue.<br />

Tous ont bien mérité <strong>de</strong> la religion et <strong>de</strong> la patrie !<br />

Hommage aussi aux grands Archevêques qui<br />

ont appuyé la lutte <strong>de</strong>s laïques <strong>de</strong> leur autorité et<br />

<strong>de</strong> leurs bénédictions. L’avenir parait sombre <strong>de</strong><br />

nuages pour nous en ce moment et la lutte n’est<br />

pas finie mais Dieu qui ne peut vouloir la disparition<br />

<strong>de</strong> notre vaillant petit peuple qui combat avec<br />

tant <strong>de</strong> courage pour le règne <strong>de</strong> la vérité n’a pas<br />

encore dit le <strong>de</strong>rnier mot. Continuons donc la lutte<br />

avec courage et confiance et... Haut les Coeurs !<br />

UN RAPPEL<br />

Le Lieu <strong>historique</strong> national <strong>de</strong> la Maison-Riel, géré par la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>Saint</strong>-Boniface, est ouvert au public, 7 jours sur 7, <strong>de</strong> 10 heures à<br />

18 heures, <strong>de</strong> la mi-mai jusqu’à la Fête du Travail en septembre.<br />

Lieu <strong>historique</strong> national <strong>de</strong> la Maison-Riel<br />

330, chemin River • C.P. 73 • <strong>Saint</strong>-Vital (Manitoba) R2M 4A5<br />

Vania Gagnon, directrice • Téléphone : (204) 257-1783<br />

BULLETIN <strong>de</strong> la <strong>Société</strong> <strong>historique</strong> <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-Boniface/Hiver 1998-1999 19

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!